Étatisme et Anarchie. Bakounine Je déteste le...

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Étatisme et Anarchie. Bakounine Je déteste le communisme [autoritaire], parce qu'il est la négation de la liberté et que je ne puis concevoir rien d'humain sans liberté. Je ne suis point communiste parce que le communisme concentre et fait absorber toutes les puissances de la société dans l'État, parce qu'il aboutit nécessairement à la centralisation de la propriété entre les mains de l'État. [...] Je veux l'organisation de la société et de la propriété collective ou sociale de bas en haut, par la voie de la libre association, et non du haut en bas par le moyen de quelque autorité que ce soit. Voilà dans quel sens je suis collectiviste et pas du tout communiste. Prétendre qu'un groupe d'individu, même le plus intelligent et les mieux intentionnés, sera capable de devenir la pensée, l'âme, la volonté dirigeante et unificatrice du mouvement révolutionnaire et de l'organisation économique du prolétariat de tous les pays, c'est une telle hérésie contre le sens commun et contre l'expérience historique, qu'on se demande avec étonnement comment un homme aussi intelligent que Marx a pu la concevoir. Nous n'admettons pas même comme transition révolutionnaire, ni les Conventions nationales, ni les Assemblées constituante, ni les gouvernements provisoires, ni les dictatures soi-disant révolutionnaires ; pire que nous sommes convaincus que la révolution [...] lorsqu'elle se trouve concentrée entre les mains de quelques individus gouvernants, devient inévitablement et immédiatement la réaction. Je me demande comment il fait pour ne point voir que l'établissement d'une dictature universelle, collective ou individuelle, d'une dictature qui ferait en quelque sorte la besogne d'un ingénieur soi chef de la révolution mondiale, réglant et dirigeant le mouvement insurrectionnel des masses dans tous les pays comme on dirige une machine, que l'établissement d'une pareille dictature suffirait à lui seul pour tuer la révolution, pour paralyser et pour fausser tous les mouvements populaires. Et que penser d'un congrès international qui, dans l'intérêt soi-disant de cette révolution, impose au prolétariat de tout le monde civilisé un gouvernement investi de pouvoirs dictatoriaux, avec le droit inquisitorial et pontifical de suspendre des fédérations régionales, d'interdire de nations entières au nom d'un principe soi-disant officiel et qui n'est autre que la propre pensée de Marx, transformée par le vote d'une majorité factice en une vérité absolue ? Si le prolétariat devient la classe dominante, qui demandera-t-on, dominera-t-il ? [...] Qui dit État dit nécessairement domination et, par conséquent, esclavage. [...] Sous quelque angle qu'on se place, on arrive au même résultat exécrable : le gouvernement de l'immense majorité des masses populaires par une minorité privilégiée, Mais cette minorité, disent les marxistes, se composera d'ouvriers. Ont, certes, d'anciens ouvriers, mais qui, dés qu'ils seront devenus des gouvernants, cesseront d'être des ouvriers et se mettront à regarder le monde prolétaire du haut de l'État, ne représenterons plus le peuple, mais eux-mêmes et leurs prétentions à le gouverner.

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Étatisme et Anarchie.

Bakounine

Je déteste le communisme [autoritaire], parce qu'il est la négation de la liberté et que je ne puis concevoir rien d'humain sans liberté. Je ne suis point communiste parce que le communisme concentre et fait absorber toutes les puissances de la société dans l'État, parce qu'il aboutit nécessairement à la centralisation de la propriété entre les mains de l'État. [...] Je veux l'organisation de la société et de la propriété collective ou sociale de bas en haut, par la voie de la libre association, et non du haut en bas par le moyen de quelque autorité que ce soit. Voilà dans quel sens je suis collectiviste et pas du tout communiste. Prétendre qu'un groupe d'individu, même le plus intelligent et les mieux intentionnés, sera capable de devenir la pensée, l'âme, la volonté dirigeante et unificatrice du mouvement révolutionnaire et de l'organisation économique du prolétariat de tous les pays, c'est une telle hérésie contre le sens commun et contre l'expérience historique, qu'on se demande avec étonnement comment un homme aussi intelligent que Marx a pu la concevoir. Nous n'admettons pas même comme transition révolutionnaire, ni les Conventions nationales, ni les Assemblées constituante, ni les gouvernements provisoires, ni les dictatures soi-disant révolutionnaires ; pire que nous sommes convaincus que la révolution [...] lorsqu'elle se trouve concentrée entre les mains de quelques individus gouvernants, devient inévitablement et immédiatement la réaction. Je me demande comment il fait pour ne point voir que l'établissement d'une dictature universelle, collective ou individuelle, d'une dictature qui ferait en quelque sorte la besogne d'un ingénieur soi chef de la révolution mondiale, réglant et dirigeant le mouvement insurrectionnel des masses dans tous les pays comme on dirige une machine, que l'établissement d'une pareille dictature suffirait à lui seul pour tuer la révolution, pour paralyser et pour fausser tous les mouvements populaires. Et que penser d'un congrès international qui, dans l'intérêt soi-disant de cette révolution, impose au prolétariat de tout le monde civilisé un gouvernement investi de pouvoirs dictatoriaux, avec le droit inquisitorial et pontifical de suspendre des fédérations régionales, d'interdire de nations entières au nom d'un principe soi-disant officiel et qui n'est autre que la propre pensée de Marx, transformée par le vote d'une majorité factice en une vérité absolue ? Si le prolétariat devient la classe dominante, qui demandera-t-on, dominera-t-il ? [...] Qui dit État dit nécessairement domination et, par conséquent, esclavage. [...] Sous quelque angle qu'on se place, on arrive au même résultat exécrable : le gouvernement de l'immense majorité des masses populaires par une minorité privilégiée, Mais cette minorité, disent les marxistes, se composera d'ouvriers. Ont, certes, d'anciens ouvriers, mais qui, dés qu'ils seront devenus des gouvernants, cesseront d'être des ouvriers et se mettront à regarder le monde prolétaire du haut de l'État, ne représenterons plus le peuple, mais eux-mêmes et leurs prétentions à le gouverner.

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Vive le marxisme-léninisme !

LENINELa maladie infantile du communisme (le " gauchisme ")

I DANS QUEL SENS PEUT-ON PARLER DE LA PORTEEINTERNATIONALE DE LA REVOLUTION RUSSE ?

Pendant les premiers mois qui suivirent la conquète du pouvoir politique par le prolétariat en Russie(25 octobre - 7 novembre 1917), il pouvait sembler que les différences très marquées entre ce paysarrièré et les pays avancés d'Europe occidentale y renfraient la révolution du prolétariat trèsdifférentes de la nôtre.

Aujourd'hui nous avons par devers nous une expérience internationale fort appréciable, qui attestede toute évidence que certains traits essentiels de notre révolution n'ont pas une portée locale, niparticulièrement nationale, ni uniquement russe, mais bien internationale.

Et je ne parle pas ici de la portée internationale au sens large du mot : il ne s'agit pas de certainstraits, mais tous les traits essentiels et aussi certains traits secondaires de notre révolution ont uneportée internationale, en ce sens qu'elle exerce une action sur tousles pays.

Non, c'est dans le sens le plus étroit du mot, c'est à dire en entendant par portée internationale lavaleur internationale ou la répétition historique inévitable, à l'echelle internationale, de ce qui c'estpassé chez nous, que certains traits essentiels ont cette portée.

Certes, on aurait grandement tort d'exagérer cette vérité, de l'entendre au-delà de certains traitsessentiels de notre révolution. On aurait également tort de perdre de vue qu'après la victoire de la révolution prolétarienne, simême elle n'a lieu que dans un seul des pays avancés, il se produira, selon toute probabilité, unbrusque changement, à savoir : la Russie redeviendra, bientôt après, un pays, non plus exemplaire,mais retardataire (au point de vue "soviétique" et socialiste).

Mais en ce moment de l'histoire, les choses se présentent ainsi : l'exemple russe montre à tous lespays quelque chose de tout à fait essentiel, de leur inévitable et prochain avenir. Les ouvriersavancés de tous les pays l'ont compris depuis longtemps, mais le plus souvent ils ne l'ont pas tantcompris que pressenti avec leur instinct de classe révolutionnaire.

D'où la "portée" internationale (au sens étroit du mot) du pouvoir des Soviets, et aussi des principesde la théorie et de la tactique bolchéviques.

Voilà ce que n'ont pas compris les chefs "révolutionnaires" de la lie Internationale, tels que Kautskyen Allemagne, Otto Bauer et Friedrich Adler en Autriche, qui, pour cette raison, se sont révélés desréactionnaires, les défenseurs du pire opportunisme et de la social-trahison.

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Au fait, la brochure anonyme intitulée la Révolution mondiale (Weltrevolution), parue à Vienne en1919 ("Sozialistische Biicherei", Heft II; Ignaz Brand), illustre avec une évidence particulière toutce cheminement de la pensée, ou plus exactement tout cet abîme d'inconséquence, de pédantisme,de lâcheté et de trahison envers les intérêts de la classe ouvrière, le tout assorti de la "défense " del'idée de "révolution mondiale".

Mais nous nous arrêterons plus longuement sur cette brochure une autre fois. Bornons-nous àindiquer encore ceci: dans les temps très reculés où Kautsky était encore un marxiste, et non unrenégat, en envisageant la question en historien, il prévoyait l'éventualité d'une situation danslaquelle l'esprit révolutionnaire du prolétariat russe devait servir de modèle pour l'Europeoccidentale.

C'était en 1902; Kautsky publia dans l'Iskra révolutionnaire un article intitulé "Les Slaves et larévolution".

Voici ce qu'il y disait :

"A l'heure présente (contrairement à 1848), on peut penser que les Slaves ont non seulement prisrang parmi les peuples révolutionnaires, mais aussi que le centre de gravité de la pensée et del'action révolutionnaire se déplace de plus en plus vers les Slaves. Le centre de la révolution sedéplace d'Occident en Orient.

Dans la première moitié du XIX6 siècle, il se situait en France, par moments, en Angleterre.

En 1848, l'Allemagne à son tour prit rang parmi les nations révolutionnaires...

Le nouveau siècle débute par des événements qui nous font penser que nous allons au-devant d'unnouveau déplacement du centre de la révolution, à savoir : son déplacement vers la Russie...

La Russie, qui a puisé tant d'initiative révolutionnaire en Occident, est peut-être maintenant sur lepoint d'offrir à ce dernier une source d'énergie révolutionnaire.

Le mouvement révolutionnaire russe qui monte sera peut-être le moyen le plus puissant pourchasser l'esprit de philistinisme débile et de politicaillerie, esprit qui commence à se répandre dansnos rangs ; de nouveau ce mouvement fera jaillir en flammes ardentes la soif de lutte etl'attachement passionné à nos grands idéaux.

La Russie a depuis longtemps cessé d'être pour l'Europe occidentale un simple rempart de laréaction et de l'absolutisme. Aujourd'hui, c'est peut-être exactement le contraire qui est vrai.L'Europe occidentale devient le rempart de la réaction et de l'absolutisme en Russie...

Il y a longtemps que les révolutionnaires russes seraient peut-être venus à bout du tsar,' s'ilsn'avaient pas eu à combattre à la fois son allié, le capital européen. Espérons que, cette fois, ilsparviendront à terrasser les deux ennemis, et que la nouvelle "sainte alliance" s'effondrera plus viteque ses devanciers.

Mais quelle que soit l'issue de la lutte actuellement engagée en Russie, le sang et les souffrances desmartyrs qu'elle engendre malheureusement en nombre plus que suffisant, ne seront pas perdus. Ilsféconderont les pousses de la révolution sociale dans le monde civilisé tout entier, les feronts'épanouir plus luxuriantes et plus rapides.

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En 1848, les Slaves furent ce gel rigoureux qui fit périr les fleurs du printemps populaire. Peut-êtreleur sera-t-il donné maintenant d'être la tempête qui rompra la glace de la réaction et apporterairrésistiblement un nouveau, un radieux printemps pour les peuples." (Karl Kautsky: "Les Slaves etla révolution", article paru dans l'lskra, journal révolutionnaire social-démocrate russe, n° 18, 10mars 1902).

Karl Kautsky écrivait très bien il y a dix-huit ans!

II - UNE DES CONDITIONS ESSENTIELLES DU SUCCES DES BOLCHEVIKS

Certes, presque tout le monde voit aujourd'hui que les bolchéviks ne se seraient pas maintenus aupouvoir, je ne dis pas deux années et demie, mais même deux mois et demi, sans la discipline laplus rigoureuse, une véritable discipline de fer dans notre parti, sans l'appui total et indéfectibleaccordé à ce dernier par la masse de la classe ouvrière, c'est-à-dire par tout ce qu'elle possède deréfléchi, d'honnête, de dévoué jusqu'à l'abnégation, de lié aux masses, d'apte à conduire derrière soiou à entraîner les couches arriérées.

La dictature du prolétariat, c'est la guerre la plus héroïque et la plus implacable de la nouvelle classecontre un ennemi plus puissant, contre la bourgeoisie dont la résistance est décuplée du fait de sonrenversement (ne fût-ce que dans un seul pays) et dont la puissance ne réside pas seulement dans laforce du capital international, dans la force et la solidité des liaisons internationales de labourgeoisie, mais encore dans la force de l'habitude, dans la force de la petite production.

Car, malheureusement, il reste encore au monde une très, très grande quantité de petite production:or, la petite production engendre le capitalisme et la bourgeoisie constamment, chaque jour, àchaque heure, d'une manière spontanée et dans de vastes proportions.

Pour toutes ces raisons, la dictature du prolétariat est indispensable, et il est impossible de vaincrela bourgeoisie sans une guerre prolongée, opiniâtre, acharnée, sans une guerre à mort qui exige lamaîtrise de soi, la discipline, la fermeté, une volonté une et inflexible.

Je répète, l'expérience de la dictature prolétarienne victorieuse en Russie a montré clairement à ceuxqui ne savent pas réfléchir ou qui n'ont pas eu l'occasion de méditer ce problème, qu'unecentralisation absolue et la plus rigoureuse discipline du prolétariat sont une des conditionsessentielles pour vaincre la bourgeoisie.

On revient souvent là-dessus.

Mais tant s'en faut qu'on se demande ce que cela signifie, dans quelles conditions la chose estpossible.

Les acclamations adressées au pouvoir des Soviets et aux bolchéviks, ne conviendrait-il pas de lesaccompagner un peu plus souvent d'une très sérieuse analyse des causes qui ont permis auxbolchéviks de forger la discipline indispensable au prolétariat révolutionnaire ?

Le bolchévisme existe comme courant de la pensée politique et comme parti politique depuis 1903.Seule l'histoire du bolchévisme, tout au long de son existence, peut expliquer de façon satisfaisantepourquoi il a pu élaborer et maintenir, dans les conditions les plus difficiles, la discipline de ferindispensable à la victoire du prolétariat.

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Et tout d'abord la question se pose: qu'est-ce qui cimente la discipline du parti révolutionnaire duprolétariat? qu'est-ce qui la contrôle?

Qu'est-ce qui l'étaye? C'est, d'abord, la conscience de l'avant-garde prolétarienne et son dévouementà la révolution, sa fermeté, son esprit de sacrifice, son héroïsme.

C'est, ensuite, son aptitude à se lier, à se rapprocher et, si vous voulez, à se fondre jusqu'à un certainpoint avec la masse la plus large des travailleurs, au premier chef avec la masse prolétarienne, maisaussi la masse des travailleurs non prolétarienne.

Troisièmement, c'est la justesse de la direction politique réalisée par cette avant-garde, la justessede sa stratégie et de sa tactique politiques, à condition que les plus grandes masses se convainquentde cette justesse par leur propre expérience.

A défaut de ces conditions, dans un parti révolutionnaire réellement capable d'être le parti de laclasse d'avant-garde appelée à renverser la bourgeoisie et à transformer la société, la discipline estirréalisable.

Ces conditions faisant défaut, toute tentative de créer cette discipline se réduit inéluctablement àdes phrases creuses, à des mots, à des simagrées.

Mais, d'autre part, ces conditions ne peuvent pas surgir d'emblée.

Elles ne s'élaborent qu'au prix d'un long travail, d'une dure expérience; leur élaboration est facilitéepar une théorie révolutionnaire juste qui n'est pas un dogme, et qui ne se forme définitivement qu'enliaison étroite avec la pratique d'un mouvement réellement massif et réellement révolutionnaire.

Si le bolchévisme a pu élaborer et réaliser avec succès, de 1917-1920, dans des conditionsincroyablement difficiles, la plus rigoureuse centralisation et une discipline de fer, la cause en estpurement et simplement dans plusieurs particularités historiques de la Russie.

D'une part, le bolchévisme est né en 1903, sur la base, solide s'il en fut, de la théorie marxiste.

Et la justesse de cette théorie révolutionnaire - et de cette théorie seule- a été prouvée nonseulement par l'expérience universelle au XIXe siècle tout entier, mais encore et surtout parl'expérience des flottements et des hésitations, des erreurs et des déceptions de la penséerévolutionnaire en Russie.

Pendant près d'un demi-siècle, de 1840-1890, en Russie, la pensée d'avant-garde, soumise au jougd'un tsarisme sauvage et réactionnaire sans nom, chercha avidement une théorie révolutionnairejuste, en suivant avec un zèle et un soin étonnant chaque "dernier mot" de l'Europe et de l'Amériqueen la matière.

En vérité, le marxisme, seule théorie révolutionnaire juste, la Russie l'a payé d'un demi-siècle desouffrances et de sacrifices inouïs, d'héroïsme révolutionnaire sans exemple, d'énergie incroyable,d'abnégation dans la recherche et l'étude, d'expériences pratiques, de déceptions, de vérification, deconfrontation avec l'expérience de l'Europe.

Du fait de l'émigration imposée par le tsarisme, la Russie révolutionnaire s'est trouvée être dans laseconde moitié du XIXe siècle infiniment plus riche en relations internationales, infiniment mieux

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renseignée qu'aucun autre pays sur les formes de théories du mouvement révolutionnaire dans lemonde entier.

D'autre part, le bolchévisme né sur cette base théorique de granit, a vécu une histoire pratique dequinze années (1903-1917), qui, pour la richesse de l'expérience, n'a pas d'égale au monde.

Aucun autre pays durant ces quinze années n'a connu, même approximativement, une vie aussiintense quant à l'expérience révolutionnaire, à la rapidité avec laquelle se sont succédé les formesdiverses du mouvement, légal ou illégal, pacifique ou orageux, clandestin ou avéré, cercles oumouvement de masse, parlementaire ou terroriste.

Aucun autre pays n'a connu dans un intervalle de temps aussi court une si riche concentration deformes, de nuances, de méthodes, dans la lutte de toutes les classes de la société contemporaine,lutte qui, par suite du retard du pays et du joug tsariste écrasant, mûrissait particulièrement vite ets'assimilait avec avidité et utilement le "dernier mot" de l'expérience politique de l'Amérique et del'Europe.

III- PRINCIPALES ETAPES DE L'HISTOIRE DU BOLCHEVISME

Années de préparation de la révolution (1903-1905).

On sent partout l'approche de la grande tempête. Fermentation et préparation dans toutes les classesde la société.

A l'étranger, la presse de l'émigration pose théoriquement toutes les questions essentielles de larévolution.

Les représentants des trois classes fondamentales, des trois principaux courants politiques, libéral-bourgeois, démocrate petit-bourgeois (se camouflant du pavillon "social-démocrate" ou "socialiste-révolutionnaire") et prolétarien révolutionnaire, dans une lutte des plus acharnées où s'affrontentprogrammes et tactiques, ... anticipent et préparent la future lutte de classes déclarée.

Toutes les questions pour lesquelles les masses ont combattu les armes à la main en 1905-1907 eten 1917-1920, on peut (et l'on doit) les retrouver, sous une forme embryonnaire, dans la presse del'époque.

Et entre ces trois tendances principales il existe, bien entendu, une infinité de formationsintermédiaires, transitoires, bâtardes.

Plus exactement: c'est dans la lutte des organes de presse, des partis, des fractions, des groupes, quese cristallisent les tendances idéologiques et politiques qui sont réellement des tendances de classe;les classes se forgent l'arme idéologique et politique dont elles ont besoin pour les combats à venir.

Années de révolution (1905-1907). Toutes les classes s'affirment ouvertement. Toutes lesconceptions de programme et de tactique se vérifient par l'action des masses.

La lutte gréviste revêt une ampleur et une acuité sans précédent dans le monde

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. Transformation de la grève économique en grève politique, de la grève politique en insurrection.Vérification pratique des rapports entre le prolétariat dirigeant et la paysannerie dirigée, hésitante,instable. Naissance, dans le développement spontané de la lutte, de la forme d'organisationsoviétique.

Les débats de l'époque sur le rôle des Soviets anticipent la grande lutte des années 1917-1920.Succession des formes de lutte parlementaires et non parlementaires, de la tactique de boycottagedu parlementarisme et de celle de la participation à ce dernier, des formes de lutte légales etillégales, de même que les rapports et liaisons qui existent entre ces formes, tout cela se distinguepar une étonnante richesse de contenu.

Chaque mois de cette période équivalait, pour l'enseignement des principes de la science politique -aux masses et aux chefs, aux classes et aux partis,- à une apnée de développement "pacifique","constitutionnel". Sans la "répétition générale" de 1905 la victoire de la Révolution d'Octobre 1917eût été impossible.

Années de réaction (1907-1910). Le tsarisme a vaincu.

Tous les partis révolutionnaires ou d'opposition sont écrasés. Abattement, démoralisation, scissions,débandade, reniement, pornographie au lieu de politique.

Tendance accentuée à l'idéalisme philosophique; le mysticisme qui sert de masque à l'esprit contre-révolutionnaire. Mais en même temps, la grande défaite justement offre aux partis révolutionnaireset à la classe révolutionnaire une leçon véritable, infiniment salutaire, une leçon de dialectiquehistorique et qui leur fait comprendre et apprendre l'art de soutenir la lutte politique.

On connaît le véritable ami dans le besoin. Les armées défaites sont à bonne école.

Le tsarisme victorieux est obligé de détruire au plus vite les vestiges de l'ordre de chosesprébourgeois, patriarcal de la Russie.

Son développement bourgeois fait des progrès remarquablement rapides. Les illusions sur lapossibilité de se situer en dehors, au-dessus des classes, sur la possibilité d'éviter le capitalisme,sont réduites en poussière. La lutte de classes s'affirme d'une façon toute nouvelle, avec d'autantplus de relief.

Les partis révolutionnaires doivent parachever leur instruction. Ils ont appris à mener l'offensive. Ilfaut comprendre maintenant que cette science doit être complétée par cette autre science : commentmieux reculer.

Il faut comprendre, - et la classe révolutionnaire s'applique à comprendre par sa propre et amèreexpérience - qu'il est impossible de vaincre sans avoir appris la science de l'offensive et de laretraite.

De tous les partis révolutionnaires ou d'opposition défaits, les bolchéviks furent ceux qui sereplièrent avec le plus d'ordre, avec le moins de dommage pour leur "armée", avec le moins depertes pour son noyau, avec les scissions les moins profondes et les moins irréparables, avec lemoins de démoralisation, avec la plus grande capacité de fournir à nouveau le travail le plus large,le mieux conçu et le plus énergique.

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Et si les bolchéviks y sont parvenus, c'est uniquement parce qu'ils avaient dénoncé sans pitié etbouté dehors les révolutionnaires de la phrase qui ne voulaient pas comprendre qu'il fallait sereplier, qu'il fallait savoir se replier, qu'il fallait absolument apprendre à travailler légalement dansles parlements les plus réactionnaires, dans les plus réactionnaires organisations syndicales,coopératives, d'assurances et autres organisations analogues.

Années d'essor (1910-1914). Au début l'essor fut incroyablement lent, puis, à la suite desévénements de la Léna, en 1912, il se fit un peu plus rapide.

Les bolchéviks, surmontant des difficultés inouïes, refoulèrent les menchéviks, dont le rôle d'agentsde la bourgeoisie au sein du mouvement ouvrier avait été admirablement compris, après 1905, partoute la bourgeoisie qui, pour cette raison, les soutenait de mille manières contre les bolchéviks.

Pourtant les bolchéviks ne seraient jamais arrivés à ce résultat s'ils n'avaient appliqué la tactiquejuste qui allie le travail clandestin à l'utilisation expresse des "possibilités légales".

Dans la plus réactionnaire des Doumas, les bolchéviks surent gagner toute la curie ouvrière.Première guerre impérialiste mondiale (1914-1917).

Le parlementarisme légal, étant donné le caractère profondément réactionnaire du "parlement", rendles plus grands services au parti du prolétariat révolutionnaire, aux bolchéviks. Les députésbolchéviks prennent le chemin de la Sibérie.

Dans la presse de l'émigration, toutes les nuances d'opinions du social-impérialisme, du social-chauvinisme, du social-patriotisme, de l'internationalisme inconséquent ou conséquent, dupacifisme et de la négation révolutionnaire des illusions pacifistes, trouvent chez nous leurexpression totale.

Les savantasses et les vieilles commères de la IIe Internationale, qui fronçaient le nez avec dédain ethauteur devant l'abondance des "fractions" dans le socialisme russe et devant la lutte acharnéequ'elles se livraient, n'ont pas su, au moment où la guerre abolissait dans tous les pays avancés la"légalité" tant vantée, organiser, même à peu près, un échange de vues aussi libre (illégal) et uneélaboration aussi libre (illégale) de vues justes, que ceux que les révolutionnaires russes avaient suorganiser en Suisse et dans plusieurs autres pays.

C'est bien pourquoi les social-patriotes déclarés et les "kautskistes" de tous les pays se sont révélésles pires traîtres au prolétariat.

Et si le bolchévisme a su triompher en 1917-1920, une des principales causes de cette victoire estque, dès la fin de 1914, il avait dénoncé sans merci la bassesse, la vilenie et la lâcheté du social-chauvinisme et du "kautskisme" (auquel correspondent le longuettisme (2) en France, lesconceptions des chefs du Parti travailliste indépendant" et des fabiens( 4) en Angleterre, de Turatien Italie, etc.), et que les masses s'étaient ensuite convaincues de plus en plus, par leur propreexpérience, de la justesse des vues bolchéviques.

Deuxième révolution russe (de février à octobre 1917). La vétusté et la décrépitude incroyable dutsarisme (auxquelles s'ajoutaient les atteintes et les souffrances d'une guerre infiniment dure)avaient dressé contre lui une immense force de destruction.

En quelques jours la Russie se transforma en une République démocratique bourgeoise plus libre -dans les conditions de la guerre - que n'importe quel pays du monde.

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Les chefs des partis d'opposition et des partis révolutionnaires se mirent en devoir de former legouvernement tout comme dans les républiques les plus "strictement parlementaires"; et le titre dechef d'un parti d'opposition au parlement, même dans ce parlement tout ce qu'il y a de plusréactionnaire, facilitait le rôle que devait jouer plus tard un tel chef dans la révolution.

En quelques semaines menchéviks et "socialistes-révolutionnaires" s'assimilèrent admirablementtous les procédés et manières, les arguments et sophismes des héros européens de la IIInternationale, des ministérialistes et autre ramassis opportuniste.

Tout ce que nous lisons maintenant sur les Scheidemann et les Noske, sur Kautsky et Hilferding,Renner et Austerlitz, Otto Bauer et Fritz Adler, sur Turati et Longuet, sur les fabiens et les chefs duParti travailliste indépendant d'Angleterre, nous semble (et l'est en réalité) une fastidieuserépétition, la reprise d'un vieil air connu.

Tout cela, nous l'avons déjà vu chez les menchéviks. L'histoire a joué un tour de sa façon: elle aobligé les opportunistes d'un pays retardataire à anticiper le rôle des opportunistes de plusieurs paysavancés.

Si tous les héros de la II Internationale ont fait faillite, s'ils se sont couverts de honte pour n'avoirpas compris la portée et le rôle des Soviets et du pouvoir des Soviets, si l'on a vu se déshonoreravec un singulier "éclat" et s'enferrer sur cette question les chefs de trois partis très importantsactuellement sortis de la TP Internationale (à savoir: le Parti social-démocrate indépendantd'Allemagne (5), le Parti longuettiste en France et le Parti travailliste indépendant d'Angleterre), sitous se sont montrés les esclaves des préjugés de la démocratie petite-bourgeoise (tout à fait dans legoût des petits bourgeois de 1848, qui se donnaient le nom de "social-démocrates"), tout cela nousl'avions déjà vu par l'exemple des menchéviks.

L'histoire a joué ce bon tour que les Soviets sont nés en Russie, en 1905, qu'ils ont été falsifiés enfévrier-octobre 1917 par les menchéviks qui firent banqueroute pour n'avoir pas su comprendre lerôle et la portée des Soviets, et que maintenant, dans le monde entier, est née l'idée du pouvoir desSoviets, idée qui se répand avec une rapidité prodigieuse dans le prolétariat de tous les pays, tandisque les héros attitrés de la W Internationale font partout banqueroute parce que ne comprenant pas,exactement comme nos menchéviks, le rôle et la portée des Soviets.

L'expérience a prouvé que dans certaines questions très essentielles de la révolution prolétarienne,tous les pays passeraient inévitablement par où a passé la Russie.

Les bolchéviks commencèrent leur lutte victorieuse contre la République parlementaire (en fait)bourgeoise et contre les menchéviks, avec une extrême prudence; ils l'avaient préparée avecinfiniment de soin, contrairement à l'opinion assez répandue aujourd'hui en Europe et en Amérique.

Au début de cette période nous n'avons pas appelé à renverser le gouvernement; nous avonsexpliqué qu'il était impossible de le renverser sans que des changements préalables fussentintervenus dans la composition et la mentalité des Soviets.

Nous n'avons pas proclamé le boycottage du parlement bourgeois, de la Constituante; mais nousavons dit, - nous l'avons dit officiellement, au nom du parti, dès notre Conférence d'avril 1917, -qu'une république bourgeoise avec une Constituante valait mieux que cette même république sansConstituante, mais qu'une République "ouvrière et paysanne", soviétique, valait mieux que touterépublique démocratique bourgeoise, parlementaire. Sans cette préparation prudente, minutieuse,

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circonspecte et persévérante, nous n'eussions pu ni remporter la victoire en octobre 1917, nimaintenir cette victoire.

IV- DANS LA LUTTE CONTRE QUELS ENNEMIS AU SEIN DUMOUVEMENT OUVRIER LE BOLCHEVISME S'EST-ILDEVELOPPE, FORTIFIE, AGUERRI?

C'est, d'abord et surtout, en combattant l'opportunisme qui, en 1914, s'est définitivement mué ensocial-chauvinisme et s'est définitivement rangé aux côtés de la bourgeoisie contre le prolétariat.

Il fut naturellement le principal ennemi du bolchévisme au sein du mouvement ouvrier. C'est encorele principal ennemi à l'échelle internationale.

C'est à cet ennemi que le bolchévisme a consacré et consacre le maximum d'attention. Aujourd'huicet aspect de l'activité des bolchéviks est assez connu, même à l'étranger.

On ne peut pas en dire autant de l'autre ennemi du bolchévisme au sein du mouvement ouvrier.

On ne sait pas encore suffisamment à l'étranger que le bolchévisme a grandi, s'est constitué et s'estaguerri au cours d'une lutte de longues années contre l'esprit révolutionnaire petit-bourgeois quifrise l'anarchisme ou lui fait quelque emprunt et qui, pour tout ce qui est essentiel, déroge auxconditions et aux nécessités d'une lutte de classe prolétarienne conséquente.

Il est un fait théoriquement bien établi pour les marxistes, et entièrement confirmé par l'expériencede toutes les révolutions et de tous les mouvements révolutionnaires d'Europe, - c'est que le petitpropriétaire, le petit patron (type social très largement représenté, formant une masse importantedans bien des pays d'Europe) qui, en régime capitaliste, subit une oppression continuelle et, trèssouvent, une aggravation terriblement forte et rapide de ses conditions d'existence et la ruine, passefacilement à un révolutionnarisme extrême, mais est incapable de faire preuve de fermeté, d'espritd'organisation, de discipline et de constance.

Le petit bourgeois, "pris de rage" devant les horreurs du capitalisme, est un phénomène socialpropre, comme l'anarchisme, à tous les pays capitalistes. L'instabilité de ce révolutionnarisme, sastérilité, la propriété qu'il a de se changer rapidement en soumission, en apathie, en vaine fantaisie,et même en engouement "enragé" pour telle ou telle tendance bourgeoise "à la mode", tout cela estde notoriété publique.

Mais la reconnaissance théorique, abstraite de ces vérités ne préserve aucunement les partisrévolutionnaires des vieilles erreurs qui reparaissent toujours à l'improviste sous une forme un peunouvelle, sous un aspect ou dans un décor qu'on ne leur connaissait pas encore, dans une ambiancesingulière, plus ou moins originale.

L'anarchisme a été souvent une sorte de châtiment pour les déviations opportunistes du mouvementouvrier. Ces deux aberrations se complétaient mutuellement.

Et si en Russie, bien que la population petite-bourgeoise y soit plus nombreuse que dans les paysd'Occident, l'anarchisme n'a exercé qu'une influence relativement insignifiante au cours des deuxrévolutions (1905 et 1917) et pendant leur préparation, le mérite doit en être sans nul doute attribuéen partie au bolchévisme, qui avait toujours soutenu la lutte la plus implacable et la plusintransigeante contre l'opportunisme, Je dis: "en partie", car ce qui a contribué encore davantage à

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affaiblir l'anarchisme en Russie, c'est qu'il avait eu dans le passé (1870-1880) la possibilité des'épanouir pleinement et de révéler jusqu'au bout combien cette théorie était fausse et inapte àguider la classe révolutionnaire.

Le bolchévisme, dès son origine, en 1903, reprit cette tradition de lutte implacable contre l'espritrévolutionnaire petit-bourgeois, mi-anarchiste (ou capable de flirter avec l'anarchisme), tradition quifut toujours celle de la social-démocratie révolutionnaire, et qui s'était particulièrement ancrée cheznous aux années 1900-1903, au moment où étaient jetées les fondations d'un parti de masse duprolétariat révolutionnaire en Russie.

Le bolchévisme reprit et poursuivit la lutte contre le parti qui, plus que tout autre, traduisait lestendances de l'esprit révolutionnaire petit-bourgeois, à savoir : le parti "socialiste-révolutionnaire",sur trois points principaux.

D'abord ce parti, niant le marxisme, s'obstinait à ne pas vouloir (peut-être serait-il plus exact dedire: qu'il ne pouvait pas) comprendre la nécessité de tenir compte, avec une objectivité rigoureuse,des forces de classes et du rapport de ces forces, avant d'engager une action politique quelconque.

En second lieu, ce parti voyait une manifestation particulière de son "esprit révolutionnaire" ou deson "gauchisme" dans la reconnaissance par lui du terrorisme individuel, des attentats, ce que nous,marxistes, répudions catégoriquement.

Naturellement, nous ne répudions le terrorisme individuel que pour des motifs d'opportunité.

Tandis que les gens capables de condamner "en principe" la terreur de la grande révolutionfrançaise ou, d'une façon générale, la terreur exercée par un parti révolutionnaire victorieux, assiégépar la bourgeoisie du monde entier, - ces gens-là, Plékhanov dès 1900-1903, alors qu'il étaitmarxiste et révolutionnaire, les a tournés en dérision, les a bafoués.

En troisième lieu, pour les "socialistes-révolutionnaires", être "de gauche" revenait à ricaner sur lespéchés opportunistes relativement bénins de la social-démocratie allemande, tout en imitant lesopportunistes extrêmes de ce même parti, par exemple dans la question agraire ou dans la questionde la dictature du prolétariat.

L'histoire, soit dit en passant, a confirmé aujourd'hui, sur une vaste échelle, à l'échelle mondiale,l'opinion que nous avons toujours défendue, à savoir que la social-démocratie révolutionnaired'Allemagne (remarquez que dès 1900-1903 Plékhanov réclama l'exclusion de Bernstein, et lesbolchéviks, continuant toujours cette tradition, dénoncèrent en 1913 la bassesse, la lâcheté et latrahison de Legien), - la social-démocratie révolutionnaire d'Allemagne, dis-je, ressemblait le plusau parti dont le prolétariat révolutionnaire a besoin pour vaincre.

Maintenant, en 1920, après toutes les faillites honteuses et les crises de l'époque de la guerre et despremières années qui la suivirent, il apparaît clairement que de tous les partis d'Occident, c'est lasocial-démocratie révolutionnaire d'Allemagne qui a donné les meilleurs chefs, qui s'est remise surpied, s'est rétablie, a repris des forces avant les autres.

On peut le voir dans le Parti spartakiste (6) et dans l'aile gauche, prolétarienne, du "Parti social-démocrate indépendant d'Allemagne", qui mène sans défaillance la lutte contre l'opportunisme et lemanque de caractère des Kautsky, des Hilferding, des Ledebour et des Crispien.

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Si l'on jette maintenant un coup d'oeil d'ensemble sur la période historique parfaitement révolue, quiva de la Commune de Paris à la première République socialiste des Soviets, on voit se préciser endes contours absolument nets et indiscutables l'attitude générale du marxisme envers l'anarchisme.

C'est le marxisme qui a prévalu finalement, et si tes anarchistes n'avaient pas tort de signaler lecaractère opportuniste des idées sur l'Etat, professées par la plupart des partis socialistes, cecaractère opportuniste tenait tout d'abord à la déformation et même à la dissimulation pure et simpledes idées de Marx sur l'Etat (dans mon livre l'Etat et la Révolution, j'ai noté que Bebel avait tenusous le boisseau pendant trente-six ans, de 1873-1911, la lettre où Engels dénonçait avec unevigueur, une franchise, une clarté et un relief étonnants, l'opportunisme des conceptions social-démocrates courantes sur l'Etat); en second lieu, ce sont justement les courants les plus marxistesexistant dans les partis socialistes d'Europe et d'Amérique qui ont le plus vite et le plus largementredressé ces vues opportunistes, reconnu le pouvoir des Soviets et sa supériorité sur la démocratieparlementaire bourgeoise.

En deux occasions la lutte du bolchévisme contre les déviations "de gauche" dans son propre partiprit une ampleur particulière: en 1908, à propos de la participation au "parlement" le plusréactionnaire et aux associations ouvrières légales, régies par des lois ultra-réactionnaires, et en1918 (paix de Brest-Litovsk), sur la question de savoir si l'on pouvait admettre tel ou tel"compromis".

En 1908, les bolchéviks "de gauche" furent exclus de notre parti pour s'être obstinément refusés àcomprendre la nécessité de participer au "parlement" ultra-réactionnaire.

Les "gauches" - parmi lesquels figuraient bon nombre d'excellents révolutionnaires qui, plus tard,appartinrent (et continuent d'appartenir) avec honneur au Parti communiste, - s'inspiraient plusparticulièrement de l'expérience heureuse du boycottage de 1905.

Lorsqu'au mois d'août le tsar avait proclamé la convocation d'un "parlement" consultatif, lesbolchéviks, à l'encontre de tous les partis d'opposition et à l'encontre des menchéviks, avaientproclamé le boycottage de ce parlement, et celui-ci fut effectivement balayé par la révolutiond'octobre 1905.

Alors le boycottage était tout indiqué, non pas que la non-participation aux parlementsréactionnaires soit juste en général, mais parce qu'on avait exactement tenu compte de la situationobjective qui menait à une transformation rapide des grèves de masse en grève politique, puis engrève révolutionnaire et, enfin, en insurrection.

L'objet du débat était alors de savoir s'il fallait laisser au tsar l'initiative de la convocation de lapremière institution représentative, ou bien tenter d'arracher cette convocation des mains du vieuxpouvoir. Puisque l'on n'avait pas et que l'on ne pouvait avoir la certitude que la situation objectiveétait bien analogue à celle-là, et que son développement se poursuivrait dans le même sens et à lamême allure, le boycottage n'était plus indiqué.

Le boycottage bolchévik du "parlement" en 1905 enrichit le prolétariat révolutionnaire d'uneexpérience politique extrêmement précieuse, en lui montrant qu'il est parfois utile et mêmeobligatoire, lorsqu'on use simultanément des formes de lutte légales ou non, parlementaires etextraparlementaires, de savoir renoncer aux formes parlementaires.

Mais transposer aveuglément, par simple imitation, sans esprit critique, cette expérience dansd'autres conditions, dans une autre conjoncture, c'est commettre la plus grave erreur. Le boycottage

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de la "Douma" par les bolchéviks, en 1906, fut une erreur pourtant sans gravité et facile à réparer(Ce qui vaut pour les individus peut être appliqué, toutes proportions gardées, à la politique et auxpartis.

L'homme intelligent n'est pas celui qui ne fait pas de fautes. Ces gens-là n'existent pas et ne peuventpas exister. Celui-là est intelligent qui fait des fautes, pas très graves, et qui sait les corrigerfacilement et vite.).

Par contre, une erreur très grave et difficilement réparable fut le boycottage de 1907, 1908 et desannées suivantes.

A cette époque en effet, d'une part, on ne pouvait s'attendre à voir monter très rapidement la vaguerévolutionnaire, ni à ce qu'elle se transformât en insurrection, et, d'autre part, la nécessité decombiner le travail légal avec le travail illégal découlait de la situation historique créée par larénovation bourgeoise de la monarchie.

Quand on considère aujourd'hui rétrospectivement cette période historique parfaitement révolue,dont le lien avec les périodes ultérieures est maintenant tout à fait manifeste, il apparaît clairementque les bolchéviks n'avaient pas pu conserver (je ne dis même pas: affermir, développer, fortifier),entre 1908 et 1914, le noyau solide du parti révolutionnaire du prolétariat, s'ils n'avaient pas sumaintenir, au prix d'une âpre lutte, l'obligation de combiner les formes de lutte illégales avec lesformes légales, avec la participation obligatoire au parlement ultra-réactionnaire et à une séried'autres institutions, régies par une législation réactionnaire (caisses d'assurances, etc.).

En 1918, les choses n'allèrent pas jusqu'à la scission.

Les communistes de "gauche" se bornèrent à constituer un groupe à part, une "fraction" au sein denotre parti, pas pour longtemps d'ailleurs. Dans la même année 1918, les représentants les plusmarquants du "communisme de gauche", Radek et Boukharine par exemple, reconnurentouvertement leur erreur. La paix de Brest-Litovsk était à leurs yeux un compromis avec lesimpérialistes, inadmissible en principe et nuisible au parti du prolétariat révolutionnaire.

C'était bien, en effet, un compromis avec les impérialistes, mais il était justement celui que lescirconstances rendaient obligatoire.

Aujourd'hui, lorsque j'entends attaquer, comme le font par exemple les "socialistes-révolutionnaires", la tactique que nous avons suivie en signant la paix de Brest-Litovsk, ou lorsquej'entends cette remarque que me fit le camarade Lansbury au cours d'un entretien: "Nos chefsanglais des trade-unions disent que les compromis sont admissibles pour eux aussi, puisqu'ils l'ontété pour le bolchévisme", je réponds généralement tout d'abord par cette comparaison simple et"populaire " :

Imaginez-vous que votre automobile soit arrêtée par des bandits armés. Vous leur donnez votreargent, votre passeport, votre revolver, votre auto.

Vous vous débarrassez ainsi de l'agréable voisinage des bandits.

C'est là un compromis, à n'en pas douter. "Do ut des" (je te "donne" mon argent, mes armes, monauto, "pour que tu me donnes" la possibilité de me retirer sain et sauf). Mais on trouveraitdifficilement un homme, à moins qu'il n'ait perdu la raison, pour déclarer pareil compromis"inadmissible en principe", ou pour dénoncer celui qui l'a conclu comme complice des bandits

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(encore que les bandits, une fois maîtres de l'auto, aient pu s'en servir, ainsi que des armes, pour denouveaux brigandages). Notre compromis avec les bandits de l'impérialisme allemand a étéanalogue à celui-là.

Mais lorsque les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires de Russie, les partisans deScheidemann (et dans une large mesure les kautskistes) en Allemagne, Otto Bauer et FriedrichAdler (sans parler même de MM. Renner et Cie) en Autriche, les Renaudel, Longuet et Cie enFrance, les fabiens, les "indépendants" et les "travaillistes" ("labouristes")7 en Angleterre, ontconclu en 1914-1918 et en 1918-1920, contre le prolétariat révolutionnaire de leurs pays respectifs,des compromis avec les bandits de leur propre bourgeoisie et, parfois, de la bourgeoisie "alliée",tous ces messieurs se comportaient en complices du banditisme.

La conclusion est claire : rejeter les compromis "en principe", nier la légitimité des compromis engénéral, quels qu'ils soient, c'est un enfantillage qu'il est même difficile de prendre au sérieux.L'homme politique désireux d'être utile au prolétariat révolutionnaire, doit savoir discerner les casconcrets où les compromis sont inadmissibles, où ils expriment l'opportunisme et la trahison, etdiriger contre ces compromis concrets tout le tranchant de sa critique, les dénoncer implacablement,leur déclarer une guerre irréconciliable, sans permettre aux vieux routiers du socialisme "d'affaires",ni aux jésuites parlementaires de se dérober, d'échapper par des dissertations sur les "compromis engénéral", à la responsabilité qui leur incombe.

C'est bien ainsi que messieurs les "chefs" anglais des trade-unions, ou bien de la société fabienne etdu Parti travailliste "indépendant", se dérobent à la responsabilité qui pèse sur eux pour la trahisonqu'ils ont commise, pour avoir perpétré un compromis tel qu'il équivaut en fait à de l'opportunisme,à une défection et à une trahison de la pire espèce.

Il y a compromis et compromis.

Il faut savoir analyser la situation et les conditions concrètes de chaque compromis ou de chaquevariété de compromis.

Il faut apprendre à distinguer entre l'homme qui a donné aux bandits de l'argent et des armes pourdiminuer le mal causé par ces bandits et faciliter leur capture et leur exécution, et l'homme quidonne aux bandits de l'argent et des armes afin de participer au partage de leur butin.

En politique, la chose est loin d'être toujours aussi facile que dans mon exemple d'une simplicitéenfantine.

Mais celui qui s'aviserait d'imaginer pour les ouvriers une recette offrant d'avance des solutionstoutes prêtes pour toutes les circonstances de la vie, ou qui assurerait que dans la politique duprolétariat révolutionnaire il ne se rencontrera jamais de difficultés ni de situations embrouillées,celui-là ne serait qu'un charlatan.

Pour ne laisser place à aucun malentendu, j'essaierai d'esquisser, ne fût-ce que très brièvement,quelques principes fondamentaux pouvant servir à l'analyse des exemples concrets de compromis.

Le parti qui a conclu avec les impérialistes allemands un compromis en signant la paix de Brest-Litovsk, avait commencé à élaborer pratiquement son internationalisme dès la fin de 1914.

Il n'avait pas craint de préconiser la défaite de la monarchie tsariste et de stigmatiser la "défense dela patrie" dans une guerre entre deux rapaces impérialistes. Les députés de ce parti au parlement

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prirent le chemin de la Sibérie, et non pas celui qui conduit aux portefeuilles ministériels dans ungouvernement bourgeois.

La révolution qui a renversé le tsarisme et créé la République démocratique, a été pour ce parti unenouvelle et grande épreuve; il n'a accepté aucune entente avec "ses" impérialistes, mais a préparéleur renversement et les a renversés. Une fois maître du pouvoir politique, ce parti n'a laissé pierresur pierre ni de la grande propriété terrienne ni de la propriété capitaliste.

Après avoir publié et annulé les traités secrets des impérialistes, ce parti a proposé la paix à tous lespeuples, et n'a cédé à la violence des rapaces de Brest-Litovsk qu'après que les impérialistes anglo-français eurent torpillé la paix, et que les bolchéviks eurent fait tout ce qui était humainementpossible pour hâter la révolution en Allemagne et dans les autres pays. La parfaite justesse d'un telcompromis, conclu par un tel parti, dans une telle situation, devient chaque jour plus claire et plusévidente pour tous.

Les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires de Russie (comme d'ailleurs tous les chefs de lalie Internationale dans le monde entier en 1914-1920) avaient commencé par trahir, en justifiant,directement ou indirectement, la "défense de la patrie", c'est-à-dire la défense de leur bourgeoisiespoliatrice. Ils ont persisté dans la trahison en se coalisant avec la bourgeoisie de leur pays et enluttant aux côtés de leur bourgeoisie contre le prolétariat révolutionnaire de leur propre pays. Leurbloc, d'abord avec Kérenski et les cadets, puis avec Koltchak et Dénikine en Russie, de même quele bloc de leurs coreligionnaires étrangers avec la bourgeoisie de leurs pays respectifs, marqua leurpassage aux côtés de la bourgeoisie contre le prolétariat. Leur compromis avec les bandits del'impérialisme a consisté, du commencement à la fin, à se faire les complices du banditismeimpérialiste.

V- LE COMMUNISME DE "GAUCHE" EN ALLEMAGNE.CHEFS, PARTI, CLASSE, MASSE

Les communistes allemands dont nous aurons maintenant à parler ne se donnent pas le nom decommunistes de "gauche", mais, si je ne me trompe, celui "d'opposition de principe".

Mais qu'ils présentent des symptômes caractérisés de cette "maladie infantile, le gauchisme", c'estce qu'on verra dans l'exposé ci-après.

La brochure la Scission du Parti communiste d'Allemagne (Ligue Spartacus), publiée par le "groupelocal de Francfort-sur-le-Main", et qui reflète le point de vue de cette opposition, expose avec unrelief, une exactitude, une clarté et une concision extrêmes, le fond des idées de cette opposition.

Quelques citations suffiront à le faire connaître au lecteur :

"Le parti communiste est le parti de la lutte de classe la plus décidée.. ".

" ...Au point de vue politique, cette période de transition" (entre le capitalisme et le socialisme) "estcelle de la dictature du prolétariat... "

" ..La question se pose: qui doit exercer la dictature: i e Parti communiste ou la classeprolétarienne? . . Faut-il tendre en principe à la dictature du Parti communiste ou à la dictature de laclasse prolétarienne ?

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Plus loin, le Comité central du Parti communiste d'Allemagne est accusé, par l'auteur de labrochure, de chercher un moyen de se coaliser avec le Parti social-démocrate indépendantd'Allemagne, et de n'avoir soulevé "la question de l'admission en principe de tous les moyenspolitiques" de lutte, y compris le parlementarisme, que pour cacher ses véritables et principalestendances à la coalition avec les indépendants.

Et la brochure continue:

"L'opposition a choisi une autre voie.

Elle est d'avis que la domination du Parti communiste et la dictature du Parti, ce n'est qu'unequestion de tactique.

En tout cas, la domination du Parti communiste est la forme dernière de toute domination de parti.Il faut tendre en principe à la dictature de la classe prolétarienne.

Et toutes les mesures prises par le parti, son organisation, ses formes de lutte, sa stratégie et satactique doivent être orientées vers ce but.

Il faut par suite repousser de la façon la plus décidée tout compromis avec les autres partis, toutretour aux formes parlementaires de lutte qui, historiquement et politiquement, ont fait leur temps,toute politique de louvoiement et d'entente." "Les méthodes spécifiquement prolétariennes de lutterévolutionnaire doivent être particulièrement soulignées.

Et pour entraîner les plus larges milieux et couches de prolétaires qui doivent entrer dans la lutterévolutionnaire, sous la direction du Parti communiste, il faut créer de nouvelles formesd'organisation sur la plus large base et dans le plus large cadre.

Le point de rassemblement de tous les éléments révolutionnaires est l'union ouvrière qui a à sa baseles organisations d'usines. C'est là que doivent se réunir tous les ouvriers qui suivent le mot d'ordre:Sortez des syndicats! C'est là que le prolétariat militant se formera en rangs serrés pour le combat.

Pour y entrer il suffit de reconnaître la lutte de classes, le système des Soviets et la dictature.

Ultérieurement, toute l'éducation politique des masses en lutte et l'orientation politique de la lutteincombent au Parti communiste qui reste en dehors de l'union ouvrière.

".. .Ainsi, deux partis communistes se trouvent maintenant en présence : L'un est le parti des chefs,qui entend organiser la lutte révolutionnaire et la diriger par en haut, acceptant tes compromis et leparlementarisme, afin de créer des situations permettant à ces chefs d'entrer dans un gouvernementde coalition qui détiendrait la dictature.

L'autre est le parti des masses, qui attend l'essor de la lutte révolutionnaire d'en bas qui ne connaît etn'applique dans cette lutte que la seule méthode menant clairement au but ; qui repousse toutes lesméthodes parlementaires et opportunistes; cette seule méthode est celle du renversement résolu dela bourgeoisie, afin d'instituer ensuite la dictature prolétarienne de classe et réaliser le socialisme. . "

" ..Là, c'est la dictature des chefs; ici, c'est la dictature des masses! Tel est notre mot d'ordre."Telles sont les thèses essentielles qui caractérisent les vues de l'opposition dans le Parti communisteallemand.

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Tout bolchévik qui a consciemment participé au développement du bolchévisme, ou l'a observé deprès depuis 1903, dira aussitôt, après avoir lu ces raisonnements: "Quel vieux fatras connu delongue date! Quel enfantillage de "gauche"!

Mais examinons de près les raisonnements cités.

La seule façon de poser la question: "dictature du parti ou bien dictature de la classe?

Dictature (parti) des chefs ou bien dictature (parti) des masses?" témoigne déjà de la plus incroyableet désespérante confusion de pensée. Ces gens s'appliquent à inventer quelque chose de tout à faitoriginal et, dans leur zèle à raffiner, ils se rendent ridicules.

Tout le monde sait que les masses se divisent en classes; qu'on ne peut opposer les masses et lesclasses que lorsqu'on oppose l'immense majorité dans son ensemble sans la différencier selon laposition occupée dans le régime social de la production, et les catégories occupant chacune uneposition particulière dans ce régime; que les classes sont dirigées, ordinairement, dans la plupart descas, du moins dans les pays civilisés d'aujourd'hui, par des partis politiques; que les partis politiquessont, en règle générale, dirigés par des groupes plus ou moins stables de personnes réunissant lemaximum d'autorité, d'influence, d'expérience, portées par voie d'élection aux fonctions les plusresponsables, et qu'on appelle les chefs.

Tout cela ce n'est que l'a b c.

Tout cela est simple et clair. Pourquoi a-t-on besoin d'y substituer je ne sais quel charabia, je ne saisquel nouveau volapùk ?

D'une part, il est évident que ces gens se sont empêtrés dans les difficultés d'une époque où lasuccession rapide de la légalité et de l'illégalité du parti trouble le rapport ordinaire, normal etsimple entre chefs, partis et classes.

En Allemagne, comme dans les autres pays d'Europe, on s'est trop habitué à la légalité, à l'électionlibre et normale des "chefs" par les congrès réguliers des partis, à la vérification commode de lacomposition de classe des partis par les élections au parlement, les meetings, la presse, lesdispositions d'esprit des syndicats et autres associations, etc.

Quand il a fallu, par suite de la marche impétueuse de la révolution et du développement de laguerre civile, passer rapidement de cet état de choses coutumier à la succession, à la combinaisonde la légalité et de l'illégalité, aux procédés "incommodes", "non démocratiques", de désignation, deformation ou de conservation des "groupes de dirigeants", on a perdu la tête et on s'est mis àimaginer des énormités.

Sans doute les "tribunistes" hollandais(8) qui ont eu le malheur de naître dans un petit paysjouissant des traditions et des conditions d'une légalité particulièrement stable et privilégiée, quin'ont jamais vu se succéder la légalité et l'illégalité, se sont-ils empêtrés eux-mêmes; ils ont perdu latête et ont favorisé ces inventions absurdes.

D'autre part, on observe l'emploi simplement irréfléchi et illogique des vocables "à la mode", pournotre temps, sur la "masse" et les "chefs". Les gens ont beaucoup entendu parler des "chefs", ils ontla tête pleine d'attaques de toute sorte contre eux, ils se sont habitués à les voir opposer à la"masse"; mais ils n'ont pas su réfléchir au pourquoi de la chose, y voir clair.

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C'est surtout à la fin de la guerre impérialiste et dans l'après-guerre que le dissentiment entre les"chefs" et la "masse" s'est marqué dans tous les pays avec le plus de force et de relief.

La cause principale de ce phénomène a été maintes fois expliquée par Marx et Engels, de 1852-1892, par l'exemple de l'Angleterre.

La situation exclusive de l'Angleterre donnait naissance à une "aristocratie ouvrière", à demi petite-bourgeoise, opportuniste, issue de la "masse".

Les chefs de cette aristocratie ouvrière passaient continuellement aux côtés de la bourgeoisie qui lesentretenait, directement ou indirectement. Marx s'attira la haine flatteuse de cette racaille pour les avoir ouvertement taxés de trahison.

L'impérialisme moderne (du XXe siècle) a créé à quelques pays avancés une situationexceptionnellement privilégiée, et c'est sur ce terrain qu'on a vu partout dans la IIe Internationale sedessiner le type des chefs traîtres, opportunistes, social-chauvins, défendant les intérêts de leurcorporation, de leur mince couche sociale: l'aristocratie ouvrière.

Les partis opportunistes se sont détachés des "masses", c'est-à-dire des plus larges couches detravailleurs, de leur majorité, des ouvriers les plus mal payés.

La victoire du prolétariat révolutionnaire est impossible si on ne lutte pas contre ce mal, si on nedénonce pas, si on ne flétrit pas, si on ne chasse pas les chefs opportunistes social-traîtres. Telle estbien la politique pratiquée par la IIIe Internationale.

Mais en arriver sous ce prétexte à opposer en général la dictature des masses à la dictature deschefs, c'est une absurdité ridicule, une sottise.

Le plaisant, surtout, c'est qu'aux anciens chefs qui s'en tenaient à des idées humaines sur les chosessimples, on substitue en fait (sous le couvert du mot d'ordre "à bas les chefs!") des chefs nouveauxqui débitent des choses prodigieusement stupides et embrouillées.

Tels sont en Allemagne Laufenberg, Wolfheim, Horner (9), Karl Schroeder, Friedrich Wendel, KarlErler (Journal ouvrier communiste (n° 32, Hambourg, 7 février 1920, "La Dissolution du Parti", parKarl Erler) : "La classe ouvrière ne peut détruire l'Etat bourgeois sans anéantir la démocratiebourgeoise, et elle ne peut anéantir la démocratie bourgeoise sans détruire les partis."

Les esprits les plus brouillons parmi les syndicalistes et anarchistes latins, peuvent être "satisfaits":des Allemands sérieux, qui visiblement se croient marxistes (K. Erler et K. Horner affirment avec leplus grand sérieux dans leurs articles de ce journal, qu'ils se considèrent comme des marxistessérieux et débitent d'une façon particulièrement plaisante d'invraisemblables sottises, manifestantainsi leur incompréhension de l'abc du marxisme), en arrivent à dire des choses qui ne riment à rien.Il ne suffit pas d'accepter le marxisme pour être préservé des erreurs. Nous autres Russes le savonsfort bien, le marxisme ayant souvent été chez nous une "mode").

Les tentatives de ce dernier pour "approfondir" la question et proclamer en général l'inutilité et le"bourgeoisisme" des partis politiques représentent à elles seules de telles colonnes d'Hercule en faitde sottises, que les bras vous en tombent.

Voilà bien où s'applique cette vérité que d'une petite erreur on peut toujours faire une erreurmonstrueuse: il suffit d'y insister, de l'approfondir pour la justifier, de la "mener à son terme".

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Nier la nécessité du parti et de la discipline du parti, voilà où en est arrivée l'opposition.

Or, cela équivaut à désarmer entièrement le prolétariat au profit de la bourgeoisie.

Cela équivaut, précisément, à faire siens ces défauts de la petite bourgeoisie que sont la dispersion,l'instabilité, l'inaptitude à la fermeté, à l'union, à l'action conjuguée, défauts qui causerontinévitablement la perte de tout mouvement révolutionnaire du prolétariat, pour peu qu'on lesencourage.

Nier du point de vue du communisme la nécessité du parti, c'est sauter de la veille de la faillite ducapitalisme (en Allemagne), non pas dans la phase inférieure ou moyenne du communisme, maisbien dans sa phase supérieure.

En Russie nous en sommes encore (plus de deux ans après le renversement de la bourgeoisie) àfaire nos premiers pas dans la voie de la transition du capitalisme au socialisme, ou stade inférieurdu communisme.

Les classes subsistent, et elles subsisteront partout, pendant des années après la conquête dupouvoir par le prolétariat.

Peut-être ce délai sera-t-il moindre en Angleterre où il n'y a pas de paysans (mais où il y acependant des petits patrons!).

Supprimer les classes, ce n'est pas seulement chasser les grands propriétaires fonciers et lescapitalistes, - ce qui nous a été relativement facile, - c'est aussi supprimer les petits producteurs demarchandises; or, ceux-ci on ne peut pas les chasser, on ne peut pas les écraser, il faut faire bonménage avec eux.

On peut (et on doit) les transformer, les rééduquer, - mais seulement par un travail d'organisationtrès long, très lent et très prudent.

Ils entourent de tous côtés le prolétariat d'une ambiance petite-bourgeoise, ils l'en pénètrent, ils l'encorrompent, ils suscitent constamment au sein du prolétariat des récidives de défauts propres à lapetite bourgeoisie: manque de caractère, dispersion, individualisme, passage de l'enthousiasme àl'abattement.

Pour y résister, pour permettre au prolétariat d'exercer comme il se doit, avec succès etvictorieusement, son rôle d'organisateur (qui est son rôle principal), le parti politique du prolétariatdoit faire régner dans son sein une centralisation et une discipline rigoureuses.

La dictature du prolétariat est une lutte opiniâtre, sanglante et non sanglante, violente et pacifique,militaire et économique, pédagogique et administrative, contre les forces et les traditions de lavieille société.

La force de l'habitude chez les millions et les dizaines de millions d'hommes est la force la plusterrible.

Sans un parti de fer, trempé dans la lutte, sans un parti jouissant de la confiance de tout ce qu'il y ad'honnête dans la classe en question, sans un parti sachant observer l'état d'esprit de la masse etinfluer sur lui, il est impossible de soutenir cette lutte avec succès.

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Il est mille fois plus facile de vaincre la grande bourgeoisie centralisée que de "vaincre" les millionset les millions de petits patrons; or ceux-ci, par leur activité quotidienne, coutumière, invisible,insaisissable, dissolvante, réalisent les mêmes résultats qui sont nécessaires à la bourgeoisie, quirestaurent la bourgeoisie. Celui qui affaiblit tant soit peu la discipline de fer dans le parti duprolétariat (surtout pendant sa dictature), aide en réalité la bourgeoisie contre le prolétariat.

A côté de la question relative aux chefs, au parti, à la classe, à la masse, il faut poser la question dessyndicats "réactionnaires".

Mais auparavant je me permettrai encore, en guise de conclusion, quelques remarques fondées surl'expérience de notre parti.

Des attaques contre la "dictature des chefs", il y en a toujours eu dans notre parti: les premières dontje me souvienne remontent à 1895, à l'époque où notre parti n'existait pas encore formellement,mais où le groupe central de Pétersbourg commençait à se constituer et devait prendre sur lui ladirection des groupements de quartier.

Au IXe Congrès de notre parti (avril 1920), il y avait une petite opposition qui s'élevait aussi contrela "dictature des chefs", l'"oligarchie", etc.

Il n'y a donc rien d'étonnant, rien de nouveau, rien de terrible dans cette "maladie infantile" qu'est le"communisme de gauche", chez les Allemands.

Cette maladie passe sans danger et, après elle, l'organisme devient même plus robuste.

D'autre part, la rapide succession du travail légal et illégal, qui impose la nécessité de "cacher" toutparticulièrement, d'entourer d'un secret particulier, justement l'état-major, justement les chefs,entraîne parfois chez nous les plus funestes conséquences.

Le pire fut, en 1912, l'entrée du provocateur Malinovski au Comité central bolchéviks.

Il fit repérer des dizaines et des dizaines de camarades, parmi les meilleurs et les plus dévoués, il lesfit envoyer au bagne et hâta la mort de beaucoup d'entre eux.

S'il ne causa pas un mal encore plus grand, c'est parce que nous avions bien établi le rapport entre letravail légal et illégal. Pour gagner notre confiance, Malinovski, en sa qualité de membre du Comitécentral du Parti et de député à la Douma, devait nous aider à lancer des journaux quotidiens légauxqui savaient, même sous le tsarisme, livrer combat à l'opportunisme des menchéviks, et répandre,sous une forme utilement voilée, les principes fondamentaux du bolchévisme.

D'une main Malinovski envoyait au bagne et à la mort des dizaines et des dizaines de meilleursmilitants du bolchévisme; de l'autre, il devait aider, par la voie de la presse légale, à l'éducation dedizaines et de dizaines de milliers de nouveaux bolchéviks.

Voilà un fait que feront bien de méditer les camarades allemands (et aussi anglais et américains,français et italiens) qui ont pour tâche d'apprendre à mener le travail révolutionnaire dans lessyndicats réactionnaires (Malinovski fut prisonnier en Allemagne.

Quand il revint en Russie sous le gouvernement bolchevik, il fut aussitôt mis en jugement et fusillépar nos ouvriers.

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Les menchéviks nous avaient reproché avec une âpreté particulière notre faute: avoir laissé unprovocateur pénétrer au Comité central de notre Parti. Mais quand, sous Kérenski, nous exigeâmesl'arrestation et la mise en jugement du président de la Douma, Rodzianko, qui, dès avant la guerre,avait eu connaissance du rôle d'agent provocateur de Malinovski et n'en avait rien dit aux députéstroudoviks et ouvriers de la Douma - ni les menchéviks ni les socialistes-révolutionnaires quiparticipaient au gouvernement en même temps que Kérenski, ne soutinrent notre revendication, etRodzianko, laissé en liberté, put s'en aller librement rejoindre Dénikine.)

Dans nombre de pays, y compris les plus avancés, la bourgeoisie envoie certainement et enverra desprovocateurs dans les partis communistes. L'un des moyens de combattre ce danger, c'est decombiner avec intelligence le travail légal et illégal.

VI- LES REVOLUTIONNAIRES DOIVENT-ILS MILITER DANSLES SYNDICATS REACTIONNAIRES ?

Les "gauches" allemands croient pouvoir répondre sans hésiter à cette question par la négative.Selon eux, les déclamations et les apostrophes courroucées à l'adresse des syndicats "réactionnaires"et "contre-révolutionnaires ", suffisent (K. Horner l'affirme avec une "gravité" très part et très sotte)à "démontrer" l'inutilité et même l'inadmissibilité pour les révolutionnaires, les communistes, demiliter dans les syndicats jaunes, contre-révolutionnaires, 1es syndicats des social-chauvins, desconciliateurs, des Legiens.

Mais, si convaincus que soient les "gauches" allemands du caractère révolutionnaire de cettetactique, elle réalité foncièrement erronée et ne renferme rien d'au des phrases creuses.

Pour bien le montrer, je partirai de notre expérience conformément au plan général du présentarticle qui a pour but d'appliquer à l'Europe occidentale ce qu'il y a de généralement applicable, degénéralement significatif, de généralement obligatoire dans l'histoire et dans la tactique actuelle dubolchévisme.

Le rapport entre les chefs, le parti, la classe, les masses et, d'autre part, l'attitude de la dictature duprolétariat et de son parti envers les syndicats, se présentent aujourd'hui chez nous, concrètement,de la manière suivante.

La dictature est exercée par le prolétariat organisé dans les soviets et dirigé par le Parti communistebolchévik qui, selon les données de son dernier congrès (avril 1920), groupe 611000 membres. Seseffectifs ont subi de sensibles variation avant et après la Révolution d'Octobre; ils étaient beaucoupmoins importants autrefois, même en 1918 et en 1919.

Nous craignons une extension démesurée du parti, car les arrivistes et les gredins - qui ne méritentque le poteau d'exécution cherchent forcément à se glisser dans les rangs du parti gouvernemental.

La dernière fois que nous ouvrîmes grandes les portes du parti - rien qu'aux ouvriers et aux paysans- c'était aux jours (hiver 1919) où Ioudénitch se trouvait à quelques verstes de Pétrograd et Dénikineà Orel (350 kilomètres environ de Moscou); c'est-à-dire dans un moment où un danger terrible, undanger de mort menaçait la République des Soviets, et où les aventuriers, les arrivistes, les gredinset, d'une façon générale, les éléments instables ne pouvaient pas le moins du monde compter surune carrière avantageuse (mais plutôt s'attendre à la potence et aux tortures) en se joignant auxcommunistes. Un Comité central de 19 membres, élu au congrès, dirige le parti qui réunit des

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congrès annuels (au dernier congrès, la représentation était de 1 délégué par 1 000 membres); letravail courant est confié, à Moscou, à des collèges encore plus restreints appelés "Orgbureau"(Bureau d'organisation) et "Politbureau" (Bureau politique), qui sont élus en assemblée plénière duComité central, à raison de 5 membres pris dans son sein pour chaque bureau. Il en résulte donc laplus authentique "oligarchie".

Et dans notre République il n'est pas une question politique ou d'organisation de quelqueimportance qui soit tranchée par une institution de l'Etat sans que le Comité central du Parti aitdonné ses directives.

Dans son travail, le parti s'appuie directement sur les syndicats qui comptent aujourd'hui, d'après lesdonnées du dernier congrès (avril 1920), plus de quatre millions de membres et, formellement, sontsans-parti.

En fait, toutes les institutions dirigeantes de l'immense majorité des syndicats et, au premier chef,naturellement, le Centre ou le Bureau des syndicats de Russie (Conseil central des syndicats deRussie) sont composés de communistes et appliquent toutes les directives du parti.

On obtient en somme un appareil prolétarien qui, formellement, n'est pas communiste, qui estsouple et relativement vaste, très puissant, un appareil au moyen duquel le parti est étroitement lié àla classe et à la masse, et au moyen duquel la dictature de la classe se réalise sous la direction duparti.

Sans la plus étroite liaison avec les syndicats, sans leur appui énergique, sans leur travail toutd'abnégation non seulement dans la construction économique, mais aussi dans l'organisationmilitaire, il est évident que nous n'aurions pas pu gouverner le pays et réaliser la dictature, je ne dispas pendant deux ans et demi, mais même pendant deux mois et demi.

On conçoit que, pratiquement, cette liaison très étroite implique un travail de propagande etd'agitation très complexe et très varié, d'opportunes et fréquentes conférences non seulement avecles dirigeants, mais, d'une façon générale, avec les militants influents des syndicats; une lutterésolue contre les menchéviks qui, jusqu'à ce jour, comptent un certain nombre - bien petit, il estvrai - de partisans qu'ils initient à toutes les roueries de la contre-révolution, depuis la défenseidéologique de la démocratie (bourgeoise), depuis le prône de " l'indépendance" des syndicats(indépendance vis-à-vis du pouvoir d'Etat prolétarien!) jusqu'au sabotage de la disciplineprolétarienne, etc., etc.

Nous reconnaissons que la liaison avec les "masses" par les syndicats, est insuffisante.

La pratique a créé chez nous, au cours de la révolution, une institution que nous nous efforçons partous les moyens de maintenir, de développer, d'élargir: ce sont les conférences d'ouvriers et depaysans sans-parti, qui nous permettent d'observer l'état d'esprit des masses, de nous rapprocherd'elles, de pourvoir à leurs besoins, d'appeler les meilleurs de leurs éléments aux postes d'Etat, etc.Un récent décret sur la réorganisation du Commissariat du peuple pour le contrôle d'Etat en"Inspection ouvrière et. paysanne", donne à ces conférences de sans-parti le droit d'élire desmembres des services du contrôle d'Etat, qui procéderont à diverses révisions, etc.

Ensuite, il va de soi que tout le travail du parti se fait par les Soviets qui groupent les masseslaborieuses sans distinction de profession.

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Les congrès des Soviets de district représentent une institution démocratique comme n'en ontencore jamais vu les meilleures parmi les républiques démocratiques du monde bourgeois; c'est parl'intermédiaire de ces congrès (dont le parti s'efforce de suivre les travaux avec une attentionsoutenue), de même qu'en déléguant constamment des ouvriers conscients à la campagne, auxfonctions les plus diverses, - que le prolétariat remplit son rôle dirigeant à l'égard de la paysannerie;que se réalise la dictature du prolétariat des villes, la lutte systématique contre les paysans riches,bourgeois, exploiteurs, spéculateurs, etc.

Tel est le mécanisme général du pouvoir d'Etat prolétarien considéré "d'en haut", du point de vue del'application pratique de la dictature.

Le lecteur comprendra, on peut l'espérer, pourquoi au bolchévik russe qui connaît ce mécanisme,qui l'a vu naître des petits cercles illégaux, clandestins, et se développer pendant vingt-cinq ans,toutes ces discussions sur la dictature "d'en haut" ou " d'en bas", des chefs ou de la masse, etc, nepeuvent manquer de paraître enfantines et ridicules, comme le serait une discussion sur la questionde savoir ce qui est le plus utile à l'homme, sa jambe gauche ou son bras droit.

Non moins enfantines et ridicules doivent nous paraître les graves dissertations tout à fait savanteset terriblement révolutionnaires des "gauches" allemands qui prétendent que les communistes nepeuvent ni ne doivent militer dans les syndicats réactionnaires, qu'il est permis de refuser ce travail,qu'il faut sortir des syndicats et organiser, sans faute, une "union ouvrière" toute neuve, touteproprette, inventée par des communistes bien gentils (et, pour la plupart, sans doute, bien jeunes),etc., etc.

Le capitalisme laisse nécessairement en héritage au socialisme, d'une part, les vieilles distinctionsprofessionnelles et corporatives, qui se sont établies durant des siècles entre les ouvriers, et, d'autrepart, des syndicats qui ne peuvent se développer et ne se développeront que très lentement, pendantdes années et des années, en des syndicats d'industrie plus larges, moins corporatifs (s'étendant àdes industries entières, et non pas simplement à des corporations, des corps de métiers et desprofessions).

Par l'intermédiaire de ces syndicats d'industrie, on supprimera plus tard la division du travail entreles hommes; on passera à l'éducation, à l'instruction et à la formation d'hommes universellementdéveloppés, universellement préparés, et sachant tout faire.

C'est là que va, doit aller et arrivera le communisme, mais seulement au bout de longues années.Tenter aujourd'hui d'anticiper pratiquement sur ce résultat futur du communisme pleinementdéveloppé, solidement constitué, à l'apogée de sa maturité, c'est vouloir enseigner les hautesmathématiques à un enfant de quatre ans.

Nous pouvons (et devons) commencer à construire le socialisme, non pas avec du matériel humainimaginaire ou que nous aurions spécialement formé à cet effet, mais avec ce que nous a légué lecapitalisme. Cela est très "difficile", certes, mais toute autre façon d'aborder le problème est si peu sérieusequ'elle ne vaut même pas qu'on en parle.

Les syndicats ont marqué un progrès gigantesque de la classe ouvrière au début du développementdu capitalisme; ils ont marqué le passage de l'état de dispersion et d'impuissance où se trouvaientles ouvriers, aux premières ébauches du groupement de classe.

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Lorsque commença à se développer la forme suprême de l'union de classe des prolétaires, le partirévolutionnaire du prolétariat (qui ne méritera pas ce nom aussi longtemps qu'il ne saura pas lier leschefs, la classe et les masses en un tout homogène, indissoluble), les syndicats révélèrentinévitablement certains traits réactionnaires, une certaine étroitesse corporative, une certainetendance à l'apolitisme, un certain esprit de routine, etc.

Mais nulle part au monde le développement du prolétariat ne s'est fait et ne pouvait se faireautrement que par les syndicats, par l'action réciproque des syndicats et du parti de la classeouvrière. La conquête du pouvoir politique par le prolétariat est, pour le prolétariat considérécomme classe, un immense pas en avant.

Aussi le parti doit-il, plus encore que dans le passé, à la manière nouvelle et pas seulement àl'ancienne, éduquer les syndicats, les diriger, sans oublier toutefois qu'ils restent et resterontlongtemps l'indispensable "école du communisme" et l'école préparatoire des prolétaires pourl'application de leur dictature, le groupement nécessaire des ouvriers afin que la gestion de toutel'économie du pays passe graduellement d'abord aux mains de la classe ouvrière (et non à telles outelles professions), et puis à l'ensemble des travailleurs.

Un certain "esprit réactionnaire" des syndicats, en ce sens, est inévitable sous la dictature duprolétariat. Ne pas le comprendre, c'est faire preuve d'une totale incompréhension des conditionsessentielles de la transition du capitalisme au socialisme.

Redouter cet "esprit réactionnaire", essayer de l'éluder, de passer outre, c'est commettre une graveerreur, car c'est craindre d'assumer ce rôle de l'avant-garde du prolétariat qui consiste à instruire,éclairer, éduquer, appeler à une vie nouvelle les couches et les masses les plus retardataires de laclasse ouvrière et de la paysannerie.

D'autre part, remettre la mise en oeuvre de la dictature du prolétariat jusqu'au moment ou il neresterait plus un seul ouvrier atteint d'étroitesse professionnelle, plus un ouvrier imbu des préjugéscorporatifs et trade-unionistes, serait une erreur encore plus grave.

L'art du politique (et la juste compréhension de ses devoirs par un communiste) est d'appréciercorrectement les conditions et le moment où l'avant-garde du prolétariat sera à même de s'emparerdu pouvoir; de bénéficier, pendant et après, d'un appui suffisant de couches suffisamment larges dela classe ouvrière et des masses laborieuses non prolétariennes; où elle saura dès lors soutenir,renforcer, élargir sa domination, en éduquant, en instruisant, en attirant à elle des masses toujoursplus grandes de travailleurs.

Poursuivons.

Dans les pays plus avancés que la Russie, un certain esprit réactionnaire des syndicats s'estmanifesté et devait se manifester incontestablement, avec beaucoup plus de force que chez nous. EnRussie les menchéviks avaient (et ont encore en partie, dans un très petit nombre de syndicats) unappui dans les syndicats, précisément grâce à cette étroitesse corporative, à cet égoïsmeprofessionnel et à l'opportunisme.

Les menchéviks d'Occident se sont bien plus solidement "incrustés" dans les syndicats, et une"aristocratie ouvrière " corporative, étroite, égoïste, sans entrailles, cupide, philistine, d'espritimpérialiste, soudoyée et corrompue par l'impérialisme, y est apparue bien plus puissante que cheznous.

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Cela est indiscutable.

La lutte contre les Gompers, contre MM. Jouhaux, Henderson, Merrheim, Legien et Cie en Europeoccidentale, est beaucoup plus difficile que la lutte contre nos menchéviks qui représentent un typepolitique et social parfaitement analogue. Cette lutte doit être impitoyable et il faut absolument lapousser, comme nous l'avons fait, jusqu'à déshonorer complètement et faire chasser des syndicatstous les incorrigibles leaders de l'opportunisme et du social-chauvinisme.

Il est impossible de conquérir le pouvoir politique (et il ne faut pas essayer de prendre le pouvoir)aussi longtemps que cette lutte n'a pas été poussée jusqu'à un certain degré; dans les différents payset dans des conditions diverses, ce "certain degré" n'est pas le même, et seuls des dirigeantspolitiques du prolétariat, réfléchis, expérimentés et compétents, peuvent le déterminer exactementdans chaque pays. (En Russie, la mesure du succès dans cette lutte nous fut donnée notamment parles élections à l'Assemblée constituante, en novembre 1917, quelques jours après la révolutionprolétarienne du 25 octobre 1917.

Lors de ces élections, les menchéviks furent battus à plate couture, n'ayant recueilli que 700 000suffrages -1 400 000 voix en ajoutant celles de la Transcaucasie - contre 9 000 000 de voix auxbolchéviks. Voir à ce sujet mon article "Les élections à l'Assemblée constituante et la dictature duprolétariat"12 dans le n0 7-8 de l'internationale Communiste.)

Mais nous luttons contre "l'aristocratie ouvrière" au nom de la masse ouvrière et pour la gagner ànous; nous combattons les leaders opportunistes et social-chauvins pour gagner à nous la classeouvrière. Il serait absurde de méconnaître cette vérité élémentaire et évidente entre toutes.

Or, c'est précisément la faute que commettent les communistes allemands "de gauche" qui, del'esprit réactionnaire et contre-révolutionnaire des milieux dirigeants syndicaux, concluent à . . . lasortie des communistes des syndicats !

Au refus d'y travailler! et voudraient créer de nouvelles formes d'organisation ouvrière qu'ilsinventent ! Bêtise impardonnable qui équivaut à un immense service rendu par les communistes à labourgeoisie.

Car nos menchéviks, de même que tous les leaders opportunistes, social-chauvins et kautskistes dessyndicats, ne sont pas autre chose que des "agents de la bourgeoisie au sein du mouvement ouvrier"(ce que nous avons toujours dit des menchéviks) ou "les commis ouvriers de la classe capitaliste"(labour lieutenants of the capitalist class), selon la belle expression, profondément juste, desdisciples américains de Daniel De Leon.

Ne pas travailler dans les syndicats réactionnaires, c'est abandonner les masses ouvrièresinsuffisamment développées ou arriérées à l'influence des leaders réactionnaires, des agents de labourgeoisie, des aristocrates ouvriers ou des "ouvriers embourgeoisés" (cf. à ce sujet la lettred'Engels à Marx sur les ouvriers anglais, 2858)13.

La "théorie" saugrenue de la non-participation des communistes dans les syndicats réactionnairesmontre, de toute évidence, avec quelle légèreté ces communistes "de gauche" envisagent la questionde l'influence sur les "masses", et quel abus ils font dans leurs clameurs du mot "masse".

Pour savoir aider la "masse" et gagner sa sympathie, son adhésion et son appui, il ne faut pascraindre les difficultés, les chicanes, les pièges, les outrages, les persécutions de la part des "chefs"

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(qui, opportunistes et social-chauvins, sont dans la plupart des cas liés - directement ouindirectement - à la bourgeoisie et à la police) et travailler absolument là où est la masse.

Il faut savoir consentir tous les sacrifices, surmonter les plus grands obstacles, afin de faire untravail de propagande et d'agitation méthodique, persévérant, opiniâtre et patient justement dans lesinstitutions, sociétés, organisations - même tout ce qu'il y a de plus réactionnaires - partout où il y ades masses prolétariennes ou semiprolétariennes.

Or les syndicats et les coopératives ouvrières (celles-ci dans certains cas, tout au moins) sontjustement des organisations où se trouve la masse.

En Angleterre, d'après les informations d'un journal suédois, le Folkets Dagblad Politiken (du 10mars 1920), les effectifs des trade-unions ont passé, de fin 1917 - fin 1918, de 5500 000 à 6 600000 membres, accusant ainsi une augmentation de 29%.

A la fin de 2929, on en comptait jusqu'à 7 500 000. Je n'ai pas sous la main les chiffrescorrespondants pour la France et l'Allemagne, mais il est des faits absolument indiscutables etconnus de tous, qui attestent un accroissement sensible du nombre des syndiqués dans ces paységalement.

Ces faits attestent de toute évidence ce que des milliers d'autres symptômes confirment: laconscience accrue et la tendance toujours plus grande à l'organisation qui se manifestent justementdans les masses prolétariennes, dans les "couches inférieures", retardataires.

Des millions d'ouvriers en Angleterre, en France, en Allemagne passent pour la première fois del'inorganisation totale à la forme d'organisation élémentaire, inférieure, la plus simple et la plusaccessible (pour ceux qui sont encore profondément imbus des préjugés démocratiques bourgeois),à savoir: aux syndicats.

Et les communistes de gauche, révolutionnaires, mais peu raisonnables, sont là à crier: "la masse","la masse"! et refusent de militer au sein des syndicats !! en prétextant leur "esprit réactionnaire"! !Et ils inventent une "Union ouvrière" toute neuve, proprette, innocente des préjugés démocratiquesbourgeois, des péchés corporatifs et étroitement professionnels, - cette Union qui, à ce qu'ilsprétendent, sera (qui sera!) large, et pour l'adhésion à laquelle il faut simplement (simplement!)"reconnaître le système des Soviets et la dictature" (voir plus haut la citation)!!

On ne saurait concevoir plus grande déraison, plus grand tort fait à la révolution par desrévolutionnaires "de gauche"!

Mais, si en Russie, après deux années et demie de victoires sans précédent sur la bourgeoisie de laRussie et de l'Entente, nous posions, aujourd'hui, comme condition d'admission aux syndicats, la"reconnaissance de la dictature", nous commettrions une sottise, nous porterions préjudice à notreinfluence sur les masses, nous ferions le jeu des menchéviks.

Car toute la tâche des communistes est de savoir convaincre les retardataires, de savoir travaillerparmi eux et non de se séparer d'eux par des mots d'ordre "de gauche" d'une puérile invention.

Il est hors de doute que MM. Gompers, Henderson, Jouhaux et Legien sont très reconnaissants à cesrévolutionnaires "de gauche" qui, comme ceux de l'opposition "de principe" allemande (Dieu nouspréserve de semblables "principes"!) ou comme certains révolutionnaires américains des "Ouvriersindustriels du monde" prêchent l'abandon des syndicats réactionnaires et se refusent à y travailler.

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N'en doutons pas, messieurs les "leaders" de l'opportunisme useront de toutes les roueries de ladiplomatie bourgeoise, ils en appelleront au concours des gouvernements bourgeois, du clergé, de lapolice, des tribunaux pour fermer aux communistes l'entrée des syndicats, pour les en éliminer partous les moyens, leur rendre le travail dans les syndicats désagréable au possible, pour les outrager,les traquer, les persécuter.

Il faut savoir résister à tout cela, consentir tous les sacrifices, user même - en cas de nécessité - detous les stratagèmes, de toutes les astuces, recourir aux expédients, taire, celer la vérité, à seule finde pénétrer dans les syndicats, d'y rester et d'y mener coûte que coûte l'action communiste.

Sous le tsarisme, jusqu'en 1905, nous n'eûmes aucune "possibilité légale"; mais quand le policierZoubatov organisait ses réunions ultra-réactionnaires d'ouvriers et ses associations ouvrières pourrepérer et combattre les révolutionnaires, nous envoyions à ces réunions et dans ces associations desmembres de notre parti (dans leur nombre, je me souviens personnellement de l'ouvrierpétersbourgeois Babouchkine, militant remarquable, fusillé en 1906 par les généraux du tsar), quiétablissaient la liaison avec la masse, s'ingéniaient à faire leur travail de propagande et arrachaientles ouvriers à l'influence des hommes de Zoubatov (Les Gompers, les Henderson, les Jouhaux, lesLegien ne sont que des Zoubatov dont ils se distinguent par l'habit, le vernis européen, les procédéscivilisés, raffinés, démocratiquement pommadés, dont ils usent pour pratiquer leur infâmepolitique.)

Certes, il est plus difficile d'en faire autant dans les pays d'Europe occidentale, particulièrementimbus de préjugés légalistes, constitutionnels, démocratiques bourgeois, particulièrement enracinés.Cependant on peut et on doit le faire, et le faire systématiquement.

Le Comité exécutif de la IIIe Internationale doit, à mon avis personnel, condamner ouvertement etengager le prochain congrès de l'Internationale Communiste à condamner d'une façon générale lapolitique de non-participation aux syndicats réactionnaires (en expliquant minutieusement ce qu'unetelle non-participation a de déraisonnable et d'infiniment préjudiciable à la cause de la révolutionprolétarienne), et, notamment, la ligne de conduite de certains membres du Parti communistehollandais, qui - directement ou indirectement, ouvertement ou non, totalement ou en partie, peuimporte - ont soutenu cette politique fausse.

La IIIe Internationale doit briser avec la tactique de la IIe, ne pas éluder les questions angoissantes,ne pas les estomper, mais au contraire les poser de front. Nous avons dit, bien en face, toute lavérité aux "indépendants" (au Parti social-démocrate indépendant d'Allemagne); il faut la dire demême aux communistes "de gauche".

VII- FAUT-IL PARTICIPER AUX PARLEMENTS BOURGEOIS?

Les communistes "de gauche" allemands répondent à cette question avec le plus grand dédain - et laplus grande légèreté - par la négative. Leurs arguments ? Dans la citation reproduite plus haut nousavons vu:" ... . repousser de la façon la plus décidée tout retour aux formes parlementaires de lutte qui,historiquement et politiquement, ont fait leur temps. . " Cela est dit en termes prétentieux jusqu'auridicule, et cela est manifestement faux. "Retour" aux formes parlementaires ! Peut-être qu'enAllemagne la république soviétique existe déjà ? Non, ce me semble. Mais alors comment peut-onparler de "retour" ? N'est-ce pas là une phrase en l'air ?Les formes parlementaires "historiquement ont fait leur temps".

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C'est vrai au sens de la propagande. Mais chacun sait que de là à leur disparition dans la pratique, ily a encore très loin. Depuis des dizaines d'années on pouvait dire à bon droit que le capitalisme"historiquement avait fait son temps"; mais' cela ne nous dispense nullement de la nécessité desoutenir une lutte très longue et très opiniâtre sur le terrain du capitalisme.

Le parlementarisme a "historiquement fait son temps" au point de vue de l'histoire universelle,autrement dit l'époque du parlementarisme bourgeois est terminée, l'époque de la dictature duprolétariat a commencé.

C'est indéniable. Mais à l'échelle de l'histoire universelle, c'est par dizaines d'années que l'oncompte.

Dix ou vingt ans plus tôt ou plus tard ne comptent pas du point de vue de l'histoire universelle; c'estau point de vue de l'histoire universelle une quantité négligeable qu'il est impossible de mettre enligne de compte, même par approximation. Mais c'est justement pourquoi, en invoquant, dans unequestion de politique pratique, l'échelle de l'histoire mondiale, on commet la plus flagrante erreurthéorique.

Le parlementarisme a-t-il "politiquement fait son temps" ?

Là, c'est une autre affaire. Si c'était vrai, les communistes "de gauche" seraient en bonne position.

Mais il faudrait le prouver par une analyse très sérieuse; or, les communistes "de gauche" ne saventmême pas aborder cette tâche. L'analyse contenue dans les Thèses sur le parlementarisme, publiéesdans le n0 i du Bulletin du Bureau provisoire d'Amsterdam de l'internationale Communiste(Bulletin o/ the Provisional Bureau in Amsterdam o/ the Communist international, February 1920),et qui traduisent manifestement la tendance de gauche des Hollandais ou la tendance hollandaise degauche, - cette analyse, comme nous le verrons, ne tient pas debout.

Premièrement. Les "gauches" d'Allemagne, on le sait, estimaient dès le mois de janvier 1919 que leparlementarisme avait "politiquement fait son temps", contrairement à l'opinion de ces chefspolitiques éminents qu'étaient Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht.

On sait que les "gauches" se sont trompés. Ce fait seul détruit d'emblée et radicalement la thèseselon laquelle le parlementarisme aurait "politiquement fait son temps".

Les "gauches" ont le devoir de démontrer que leur erreur indiscutable autrefois a cessé d'en être uneaujourd'hui. Mais ils n'apportent pas l'ombre d'une preuve et ne peuvent l'apporter.

L'attitude d'un parti politique en face de ses erreurs est un des critériums les plus importants et lesplus sûrs pour juger si ce parti est sérieux et s'il remplit réellement ses obligations envers sa classeet envers les masses laborieuses.

Reconnaître ouvertement son erreur, en découvrir les causes, analyser la situation qui l'a fait naître,examiner attentivement les moyens de corriger cette erreur, voilà la marque d'un parti sérieux, voilàce qui s'appelle, pour lui, remplir ses obligations, éduquer et instruire la classe, et puis les masses.

En ne remplissant pas ce devoir, en n'apportant pas dans l'étude de leur erreur manifeste uneextrême attention, le soin et la prudence nécessaires, les "gauches" d'Allemagne (et de Hollande)prouvent par là qu'ils ne sont pas Le parti d'une classe, mais un petit cercle; qu'ils ne sont pas le

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parti des masses, mais un groupe formé d'intellectuels et d'un petit nombre d'ouvriers rééditant lespires déformations de la gent intellectuelle.

Deuxièmement. Dans la même brochure du groupe des "gauches" de Francfort, dont nous avonsdonné plus haut des citations détaillées, nous lisons:

" .... des millions d'ouvriers qui suivent encore la politique du Centre (du parti catholique du"Centre") sont contre-révolutionnaires. Les prolétaires des campagnes forment les légions destroupes contre-révolutionnaires" (p. 3 de la brochure en question). "

On voit tout de suite le ton: à la fois désinvolte et prétentieux. Mais le fait essentiel est indiscutable,et l'aveu qu'en font les "gauches" atteste leur erreur avec une évidence particulière. En effet,comment peut-on dire que "le parlementarisme a fait son temps politiquement", si des "millions" etdes "légions" de prolétaires non seulement s'affirment encore pour le parlementarisme en général,mais sont franchement "contre-révolutionnaires"!?

Il est évident qu'en Allemagne le parlementarisme n'a pas encore fait son temps politiquement. Il estévident que les "gauches" d'Allemagne ont pris leur désir, leur façon de voir en idéologie et enpolitique, pour une réalité objective.

C'est là pour des révolutionnaires la plus dangereuse erreur. En Russie, où le jougexceptionnellement sauvage et féroce du tsarisme engendra, pendant une période particulièrementlongue et sous des formes particulièrement variées, des révolutionnaires de toute nuance, desrévolutionnaires admirables d'enthousiasme, de dévouement, d'héroïsme, de force de volonté, - enRussie nous avons pu observer de très près, étudier avec une attention toute spéciale, cette erreurdans laquelle tombent les révolutionnaires.

Nous la connaissons fort bien, et c'est pourquoi nous la voyons si bien chez les autres. Il est évidentque pour les communistes d'Allemagne le parlementarisme "a fait son temps politiquement"; maisle tout est justement de ne pas croire que ce qui a fait son temps pour nous, a fait son temps pour laclasse, a fait son temps pour les masses.

Nous voyons ici une fois de plus que les "gauches" ne savent pas raisonner, ne savent pas seconduire en parti de la classe, en parti des masses.

Vous êtes tenus de ne pas vous abaisser au niveau des masses, au niveau des couches retardatairesd'une classe. C'est indiscutable. Vous êtes tenus de leur dire l'amère vérité. Vous êtes tenusd'appeler préjugés leurs préjugés démocratiques bourgeois et parlementaires.

Mais en même temps vous êtes tenus de surveiller d'un oeil lucide l'état réel de conscience et depréparation de la classe tout entière (et pas seulement de son avant-garde communiste), de la massetravailleuse tout entière (et pas seulement de ses éléments avancés).

Si même ce n'était pas des "millions" et des "légions", mais simplement une minorité assezimportante d'ouvriers industriels qui suivait les prêtres catholiques, et d'ouvriers agricoles quisuivait les grands propriétaires fonciers et les koulaks (Grossbauern), il en résulterait déjà sans lemoindre doute que le parlementarisme en Allemagne n'a pas encore fait son temps politiquement,que la participation aux élections parlementaires et aux luttes parlementaires est obligatoire pour leparti du prolétariat révolutionnaire précisément afin d'éduquer les couches retardataires de sa classe,précisément afin d'éveiller et d'éclairer la masse villageoise inculte, opprimée et ignorante. Tant quevous n'avez pas la force de dissoudre le parlement bourgeois et toutes les autres institutions

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réactionnaires, vous êtes tenus de travailler dans ces institutions précisément parce qu'il s'y trouveencore des ouvriers abrutis par la prêtraille et par l'atmosphère étouffante des trous de province.Autrement vous risquez de n'être plus que des bavards.

Troisièmement. Les communistes "de gauche" disent beaucoup de bien de nous, bolchéviks.

Parfois on a envie de leur répondre: Louez-nous donc un peu moins, étudiez davantage la tactiquedes bolchéviks, familiarisez-vous davantage avec elle!

Nous avons participé aux élections pour le parlement bourgeois de Russie, pour l'Assembléeconstituante, en septembre-novembre 1917. Notre tactique était-elle juste ou non?

Si c'est non, il faut le dire clairement et le prouver: cela est nécessaire pour que le communismeinternational puisse élaborer une tactique juste. Si c'est oui, certaines conclusions s'imposent. Bienentendu, il ne saurait être question d'assimiler les conditions de la Russie à celles de l'Europeoccidentale.

Mais sur la question spéciale de savoir ce que signifie la notion: "le parlementarisme a fait sontemps politiquement", il faut de toute nécessité tenir exactement compte de notre expérience, carces notions se changent trop aisément en phrases creuses, quand on néglige de tenir compte del'expérience concrète.

Nous, les bolchéviks russes, n'avions-nous pas, en septembre-novembre 1917, plus que tous lescommunistes d'Occident, le droit d'estimer que le parlementarisme avait politiquement fait sontemps en Russie?

Nous l'avions, évidemment, car la question n'est pas de savoir si les parlements bourgeois existentdepuis longtemps ou depuis peu, mais si les grandes masses laborieuses sont prêtes(idéologiquement, politiquement, pratiquement) à adopter le régime soviétique et à dissoudre leparlement démocratique bourgeois - ou à en permettre la dissolution.

Que la classe ouvrière des villes, les soldats et les paysans de Russie aient été, en septembre-novembre 1917, par suite de conditions particulières, admirablement préparés à l'adoption durégime soviétique et à la dissolution du plus démocratique des parlements bourgeois, c'est là un faithistorique tout à fait indéniable et parfaitement établi.

Et cependant les bolchéviks n'avaient pas boycotté l'Assemblée constituante; ils avaient, aucontraire, participé aux élections avant et après la conquête du pouvoir politique par le prolétariat.Que ces élections aient donné des résultats politiques infiniment précieux (et utiles au plus hautpoint pour le prolétariat), c'est ce que j'ai démontré - j'ose l'espérer - dans l'article mentionné plushaut, où j'analyse en détail les résultats des élections à l'Assemblée constituante de Russie.

De là une conclusion absolument indiscutable: la preuve est faite que même quelques semainesavant la victoire de la République soviétique, même après cette victoire, la participation à unparlement démocratique bourgeois, loin de nuire au prolétariat révolutionnaire, lui permet dedémontrer plus facilement aux masses retardataires pourquoi ces parlements méritent d'être dissous,facilite

Le succès de leur dissolution, facilite l'"élimination politique" du parlementarisme bourgeois.

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Dédaigner cette expérience et prétendre cependant appartenir à l'Internationale Communiste, quidoit élaborer internationalement sa tactique (une tactique non pas étroitement ou exclusivementnationale, mais réellement internationale), c'est commettre une grosse erreur, et c'est précisémentrenier en fait l'internationalisme, tout en le reconnaissant en paroles.

Considérons maintenant les arguments des "Hollandais de gauche" en faveur de la non-participationaux parlements. Voici, traduite de l'anglais, la plus importante des thèses "hollandaises" ci-dessusmentionnées, la thèse :

"Lorsque le système de production capitaliste est brisé et que la société se trouve en état derévolution, l'action parlementaire perd peu à peu de sa valeur, si on la compare à l'action des masseselles-mêmes.

Lorsque, dans ces conditions, le parlement devient le centre et L'organe de la contre-révolution, etque, d'autre part, la classe ouvrière construit les instruments de son pouvoir sous forme des Soviets,il peut s'avérer même indispensable de répudier toute participation, quelle qu'elle soit, à l'actionparlementaire." La première phrase est manifestement fausse, car l'action des masses - une grandegrève, par exemple - est plus importante que l'action parlementaire toujours et non pas seulementpendant la révolution ou dans une situation révolutionnaire.

Cet argument, qui est d'une inconsistance manifeste, qui est historiquement et politiquement faux,révèle simplement avec une clarté particulière que les auteurs de cette thèse ne tiennent aucuncompte ni de l'expérience de l'Europe en général (de La France avant les révolutions de 1848 et de1870, de l'Allemagne entre 1878 et 1890, etc.), ni de l'expérience russe (voir plus haut), surl'importance qu'il y a à combiner la lutte légale et illégale.

Cette question a une importance considérable, générale et spéciale, parce que dans tous les payscivilisés et avancés, l'heure approche rapidement où cette combinaison deviendra de plus en plusobligatoire - partiellement elle l'est déjà devenue - pour le parti du prolétariat révolutionnaire, étantdonné la maturation, l'approche de la guerre civile du prolétariat contre la bourgeoisie, étant donnéles persécutions féroces auxquelles sont en butte les communistes de la part des gouvernementsrépublicains et, en général, des gouvernements bourgeois, qui violent constamment la légalité(l'exemple de l'Amérique est assez édifiant), etc.

Cette question essentielle reste absolument incomprise des Hollandais et, en général, des gauches.La seconde phrase est, d'abord, historiquement fausse. Nous, bolchéviks, avons participé auxparlements les plus contre-révolutionnaires, et l'expérience a montré que cette participation avait éténon seulement utile, mais même indispensable au parti du prolétariat révolutionnaire, précisémentaprès la première révolution bourgeoise en Russie (1905), pour préparer la seconde révolutionbourgeoise (février 1917) et puis la révolution socialiste (octobre 1917).

En second lieu, cette phrase est d'un illogisme surprenant. De ce que le parlement devient l'organeet le "centre" (en fait, il n'a jamais été et ne peut jamais être le "centre", soit dit en passant) de lacontre-révolution, tandis que les ouvriers créent les instruments de Leur pouvoir sous la forme desSoviets, il s'ensuit que les ouvriers doivent se préparer - idéologiquement, politiquement,techniquement - à la lutte des Soviets contre le parlement, à la dissolution du parlement par lesSoviets.

Mais il ne s'ensuit nullement que cette dissolution soit entravée ou ne soit pas facilitée par laprésence d'une opposition soviétique au sein du parlement contre-révolutionnaire.

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Pas une fois nous n'avons remarqué pendant notre lutte victorieuse contre Dénikine et Koltchak,que l'existence chez eux d'une opposition prolétarienne, soviétique, ait été sans effet pour nosvictoires. Nous savons fort bien que la dissolution par nous de la Constituante, le janvier 1918, nefut pas entravée, mais facilitée par la présence, au sein de la Constituante contre-révolutionnaireque nous dissolvions, d'une opposition soviétique conséquente, bolchévique, et d'une oppositionsoviétique inconséquente, socialiste-révolutionnaire de gauche.

Les auteurs de la thèse se sont complètement embrouillés et ils oublient l'expérience de plusieursrévolutions, sinon de toutes, expérience qui atteste combien il est utile, surtout en temps derévolution, de combiner l'action des masses en dehors du parlement réactionnaire avec celle d'uneopposition sympathique à la révolution (ou mieux encore : soutenant directement la révolution) àl'intérieur de ce parlement. Les Hollandais et les "gauches" en général raisonnent ici en doctrinairesde la révolution, qui n'ont jamais participé à une révolution véritable, ou qui n'ont jamais méditél'histoire des révolutions, ou qui prennent naïvement la "négation" subjective d'une institutionréactionnaire pour sa destruction effective par les forces conjuguées de divers facteurs objectifs. Lemoyen le plus sûr de discréditer une nouvelle idée politique (et pas seulement politique) et de luinuire, c'est de la défendre en la poussant ê l'absurde.

En effet, toute vérité, si on la rend "exorbitante" (comme disait Dietzgen père), si on l'exagère, Sion l'étend au-delà des limites de son application réelle, peut être poussée à l'absurde, et, dans cesconditions, se change même infailliblement en absurdité.

Tel est le pavé de l'ours que les "gauches" de Hollande et d'Allemagne jettent à la vérité nouvelle: lasupériorité du pouvoir des Soviets sur les parlements démocratiques bourgeois. Certes, il aurait tortcelui qui dirait comme autrefois, et d'une façon générale, que quelles que soient les circonstances, lerefus de participer aux parlements bourgeois est inadmissible.

Mais essayer de formuler ici les conditions dans lesquelles le boycottage est utile, je ne le puis,l'objet du présent article étant beaucoup plus modeste: tirer des enseignements de l'expérience russepour éclairer certaines questions brûlantes de tactique communiste internationale. L'expériencerusse nous offre une application réussie et juste (en 1905), une autre application erronée (en 1906)du boycottage par les bolchéviks.

En analysant le premier cas, nous voyons que les bolchéviks avaient réussi à empêcher laconvocation d'un parlement réactionnaire par un pouvoir réactionnaire, dans un moment où l'actionrévolutionnaire extraparlementaire des masses (notamment le mouvement gréviste) croissait avecune rapidité exceptionnelle; où pas une couche du prolétariat et de la paysannerie ne pouvaitsoutenir, de quelque façon que ce fût, le pouvoir réactionnaire; où le prolétariat révolutionnaireassurait son influence sur les grandes masses arriérées par la lutte gréviste et le mouvement agraire.

Il est parfaitement évident que cette expérience n'est pas applicable aux conditions actuelles del'Europe. De même, il est parfaitement évident, - pour les raisons exposées plus haut, - que lajustification, même conditionnelle, du refus des Hollandais et des "gauches" de prendre part auxparlements, est foncièrement erronée et nuisible à la cause du prolétariat révolutionnaire.

En Europe occidentale et en Amérique, le parlement s'est rendu particulièrement odieux à l'avant-garde révolutionnaire de la classe ouvrière. C'est indéniable. Et cela se conçoit, car il est difficile dese représenter chose plus infâme, plus lâche, plus perfide, que la conduite de l'immense majorité desdéputés socialistes et social-démocrates au parlement, pendant et après la guerre.

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Mais il ne serait pas simplement déraisonnable, il serait franchement criminel de se laisser aller à cesentiment au moment de trancher la question de savoir comment il faut combattre un maluniversellement reconnu.

Dans beaucoup de pays d'Europe occidentale, le sentiment révolutionnaire est aujourd'hui, on peutle dire, une "nouveauté" ou une "rareté" attendue trop longtemps, en vain, avec trop d'impatience.

Et peut-être est-ce pour cela que l'on cède avec tant de facilité au sentiment. Certes, en l'absenced'un sentiment révolutionnaire chez les masses, sans des conditions favorisant le progrès de cesentiment, la tactique révolutionnaire ne se changera pas en acte; mais en Russie, une trop longue,dure et sanglante expérience nous a convaincus de cette vérité qu'on ne saurait fonder une tactiquerévolutionnaire sur le seul sentiment révolutionnaire.

La tactique doit être tracée de sang-froid, avec une objectivité rigoureuse, en tenant compte detoutes les forces de classe dans un Etat donné (de même que dans les Etats qui l'entourent et danstous les Etats, à l'échelle mondiale), ainsi que de l'expérience des mouvements révolutionnaires.Manifester son "esprit révolutionnaire" en se contentant d'invectiver l'opportunisme parlementaire,de répudier la participation au parlement, est très facile.

Mais justement parce qu'elle est trop facile, cette solution ne résout pas un problème ardu et mêmetrès ardu.

Créer dans les parlements d'Europe une fraction parlementaire authentiquement révolutionnaire estinfiniment plus malaisé qu'en Russie. Evidemment. Mais ce n'est là qu'un aspect particulier de cettevérité générale, qu'étant donné la situation historique concrète, extrêmement originale, de 1917, il aété facile à la Russie de commencer la révolution socialiste, tandis qu'il lui sera plus difficile qu'auxpays d'Europe de la continuer et de la mener à son terme. J'ai déjà eu l'occasion, au début de 1918,d'indiquer ce fait, et une expérience de deux ans a entièrement confirmé ma façon de voir. Desconditions spécifiques telles que :

1) la possibilité d'associer la révolution soviétique à la cessation - grâce à cette révolution - de laguerre impérialiste qui infligeait aux ouvriers et aux paysans d'incroyables tortures;

2) la possibilité de mettre à profit, pendant un certain temps, la lutte à mort des deux groupes derapaces impérialistes les plus puissants du monde qui n'avaient pu se coaliser contre l'ennemisoviétique;

3) la possibilité de soutenir une guerre civile relativement longue, en partie grâce aux vastesétendues du pays et à ses mauvais moyens de communications; 4) l'existence dans la paysanneried'un mouvement révolutionnaire démocratique bourgeois si profond que le parti du prolétariat a puprendre les revendications révolutionnaires du parti des paysans (parti socialiste-révolutionnaire,nettement hostile, dans sa majorité, au bolchévisme) et les réaliser aussitôt grâce à la conquête dupouvoir politique par le prolétariat, - pareilles conditions spécifiques n'existent pas actuellement enEurope occidentale, et le renouvellement de conditions identiques ou analogues n'est guère facile.Voilà pourquoi, en plus d'une série d'autres raisons, il est notamment plus difficile à l'Europeoccidentale qu'à nous de commencer la révolution socialiste.

Essayer de "tourner" cette difficulté en "sautant" par-dessus le problème ardu de l'utilisation desparlements réactionnaires à des fins révolutionnaires, est pur enfantillage. Vous voulez créer unesociété nouvelle et vous reculez devant la difficulté de créer une bonne fraction parlementaire de

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communistes convaincus, dévoués, héroïques, dans un parlement réactionnaire! N'est-ce pas del'enfantillage ?

Si Karl Liebknecht en Allemagne et Hôglund en Suède ont su, même sans un appui massif d'en bas,donner des modèles d'utilisation véritablement révolutionnaire des parlements réactionnaires,comment un parti révolutionnaire de masse, qui se développe rapidement, dans le cadre de ladéception et de la colère des masses au lendemain de la guerre, n'aurait-il pas la force de forger unefraction communiste dans les pires des parlements?! C'est justement parce qu'en Europe occidentalela masse arriérée des ouvriers et, plus encore, des petits paysans est beaucoup plus qu'en Russiepénétrée de préjugés démocratiques bourgeois et parlementaires, - c'est pour cette raison que lescommunistes peuvent (et doivent) uniquement du sein d'institutions comme les parlementsbourgeois, poursuivre une lutte opiniâtre de longue haleine, et qui ne reculerait devant aucunedifficulté, pour dénoncer, dissiper, vaincre ces préjugés. Les "gauches" d'Allemagne se plaignentdes mauvais "chefs" de leur parti et se laissent aller au désespoir; ils en arrivent à une ridicule"négation" des "chefs". Mais dans des conditions où l'on est souvent obligé de cacher les "chefs"dans l'illégalité, la formation de bons chefs, sûrs, éprouvés, ayant l'autorité morale nécessaire, estune tâche particulièrement difficile, dont il est impossible de venir à bout sans allier le travail légalau travail illégal et sans faire passer les "chefs", entre autres épreuves, par celle de l'arèneparlementaire. La critique la plus violente, la plus implacable, la plus intransigeante, doit êtredirigée non point contre le parlementarisme ou l'action parlementaire, mais contre les chefs qui nesavent pas - et, plus encore, contre ceux qui ne veulent pas - tirer parti des élections au parlement etde la tribune parlementaire en révolutionnaires, en communistes.

Seule une telle critique jointe, bien entendu, à l'expulsion des chefs incapables et à leurremplacement par d'autres, plus capables, sera un travail révolutionnaire utile et fécond; il éduqueraà la fois les "chefs", - afin qu'ils soient dignes de la classe ouvrière et des masses laborieuses, - etles masses, afin qu'elles apprennent à bien s'orienter dans la situation politique et à comprendre lesproblèmes souvent très complexes et embrouillés qui en découlent (J'ai eu trop peu l'occasiond'apprendre à connaître le communisme "de gauche" d'Italie. Sans doute, Bordiga, de même que safraction de "communistes-abstentionnistes" (Comunista astensionista). a-t-il tort de préconiser lanon-participation au parlement. Mais il est un point où il me semble avoir raison, autant que l'onpuisse juger d'après deux numéros de son journal il Soviet (n° 3 et 4 du 18 janvier et du 1er février1920), d'après quatre fascicules de l'excellente revue de Serrati, Comunismo (n°s 1-4 de novembre1919), et d'après quelques numéros épars de journaux bourgeois italiens que j'ai pu voir. Bordiga etsa fraction ont raison quand ils attaquent Turati et ses partisans qui, restés dans un parti qui areconnu le pouvoir des Soviets et la dictature du prolétariat, restent aussi membres du parlement etcontinuent leur vieille et si nuisible politique opportuniste. En tolérant cet état de choses, Serrati ettout le parti socialiste italien commettent évidemment une faute qui menace d'être aussi nuisible etdangereuse que celle qui fut commise en Hongrie lorsque les Turati hongrois sabotèrent del'intérieur et le parti et le pouvoir des Soviets. Cette attitude erronée, cette inconséquence ou cemanque de caractère à l'égard des parlementaires opportunistes d'un côté engendrent lecommunisme "de gauche" et, de l'autre, justifient. jusqu'à un certain point, son existence.

Le camarade Serrati a manifestement tort d'accuser " d'inconséquence" le député Turati(Comunismo n°3), alors qu'il n'y a d'inconséquent que le parti socialiste italien, qui tolère dans sesrangs des parlementaires opportunistes comme Turati et Cie).

VIII- JAMAIS DE COMPROMIS ?

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Nous avons vu, dans la citation empruntée à la brochure de Francfort, sur quel ton décidé les"gauches" lancent ce mot d'ordre. Il est triste de voir des gens qui, se croyant sans doute desmarxistes et désirant l'être, oublient les vérités fondamentales du marxisme. Voici ce qu'écrivait, en1874, contre le manifeste des 33 communards-blanquistes, Engels qui, comme Marx, compte parmices rares et très rares écrivains dont chaque phrase de chacun de leurs grands ouvrages est d'uneremarquable profondeur de substance :

" . . . Nous sommes communistes" (écrivaient dans leur manifeste les communards-blanquistes)"parce que nous voulions arriver à notre but sans passer par les étapes intermédiaires et par lescompromis qui ne font qu'éloigner le jour de la victoire et prolonger la période d'esclavage."Les communistes allemands sont communistes parce qu'à travers toutes les étapes intermédiaires ettous les compromis créés non par eux, mais par le développement historique, ils voient clairementet poursuivent constamment leur but final : l'abolition des classes et la création d'un régime socialqui ne laissera plus de place à la propriété privée du sol et des moyens de production. Les 33blanquistes sont communistes parce qu'ils s'imaginent que dès l'instant où ils veulent brûler lesétapes intermédiaires et les compromis, l'affaire est dans le sac, et que si "cela commence" un deces jours, ce dont ils sont fermement convaincus, et que le pouvoir tombe entre leurs mains, "lecommunisme sera instauré" dès après-demain. Si on ne peut le faire aussitôt, c'est donc qu'ils nesont pas communistes.

Quelle naïveté enfantine que d'ériger sa propre impatience en argument théorique !" (F. Engels,Internationales aus dem Volksstaat, 1874, n°73 Extrait de l'article "Le programme descommunards-blanquistes".)

Dans ce même article, Engels dit l'estime profonde que lui inspire Vaillant, il parle des "méritesindiscutables" de Vaillant (qui fut comme Guesde un des grands chefs du socialisme international,avant leur trahison du socialisme en août 1914).

Mais Engels ne laisse pas d'analyser en détail une erreur manifeste. Certes, à des révolutionnairestrès jeunes et inexpérimentés, et aussi à des révolutionnaires petits-bourgeois, même d'âge trèsrespectable et très expérimentés, il paraît extrêmement "dangereux", incompréhensible, erronéd'"autoriser les compromis".

Et nombre de sophistes (politiciens ultra ou trop "expérimentés") raisonnent précisément comme leschefs opportunistes anglais mentionnés par le camarade Lansbury : "Si les bolchéviks se permettenttel ou tel compromis, pourquoi ne pas nous permettre n'importe quel compromis ?"

Mais les prolétaires instruits par des grèves nombreuses (pour ne prendre que cette manifestation dela lutte de classe), s'assimilent d'ordinaire admirablement la très profonde vérité (philosophique,historique, politique, psychologique) énoncée par Engels.

Tout prolétaire a connu des grèves, a connu des "compromis" avec les oppresseurs et les exploiteursexécrés, lorsque les ouvriers étaient contraints de reprendre le travail sans avoir rien obtenu, ou enacceptant la satisfaction partielle de leurs revendications.

Tout prolétaire, vivant dans une atmosphère de lutte de masse et d'exaspération des antagonismesde classes, peut se rendre compte de la différence qui existe entre un compromis imposé par lesconditions objectives (la caisse des grévistes est pauvre, ils ne sont pas soutenus, ils sont affamés etépuisés au-delà du possible), compromis qui ne diminue en rien chez les ouvriers qui l'ont conclu ledévouement révolutionnaire et la volonté de continuer la lutte, - et un compromis de traîtres quirejettent sur les causes objectives leur bas égoïsme (les briseurs de grèves concluent eux aussi un

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"compromis"!), leur lâcheté, leur désir de se faire bien venir des capitalistes, leur manque defermeté devant les menaces, parfois devant les exhortations, parfois devant les aumônes, parfoisdevant la flatterie des capitalistes (ces compromis de trahison sont particulièrement nombreux dansl'histoire du mouvement ouvrier anglais, du côté des chefs des trade-unions, mais presque tous lesouvriers dans tous les pays ont pu observer, sous une forme ou sous une autre, des phénomènesanalogues).

Il se présente évidemment des cas isolés, exceptionnellement difficiles et complexes, où les plusgrands efforts sont nécessaires pour bien déterminer le caractère véritable de tel ou tel"compromis", - de même qu'il est très difficile de décider, dans certains cas, si le meurtre étaitabsolument légitime et même indispensable (par exemple, en cas de légitime défense), ou s'il est lerésultat d'une négligence impardonnable, voire d'un plan perfide, habilement mis à exécution. [Il vade soi qu'en politique, où il s'agit parfois de rapports extrêmement complexes - nationaux etinternationaux - entre les classes et les partis, de nombreux cas se présenteront, infiniment plusdifficiles que la question de savoir si un "compromis" conclu à l'occasion d'une grève est légitime,ou s'il est le fait d'un chef traître, d'un briseur de grève, etc.

Vouloir trouver une recette, ou une règle générale ("Jamais de compromis" !) bonne pour tous lescas, est absurde.

Il faut être assez compréhensif pour savoir se retrouver dans chaque cas particulier.

La raison d'être de l'organisation du parti et des chefs dignes de ce nom c'est, entre autres choses,qu'ils doivent par un travail de longue haleine, opiniâtre, multiple et varié de tous les représentantsconscients de la classe en question (Toute classe, même dans les conditions du pays le plus éclairé,même si elle est la plus avancée et si les circonstances du moment ont suscite en elle un essorexceptionnel de toutes les facultés mentales, compte toujours et comptera nécessairement, - tant queles classes subsistent et que ne sera pas complètement affermie, consolidée et développée sur sespropres fondements la société sans classes, - des représentants qui ne pensent pas et sont incapablesde penser. Le capitalisme ne serait pas le capitalisme oppresseur des masses, s'il cri étaitautrement.), acquérir les connaissances nécessaires, l'expérience nécessaire et, de plus, le flairpolitique nécessaire à la solution juste et prompte de questions politiques complexes.

Les gens naïfs et totalement dépourvus d'expérience s'imaginent qu'il suffit d'admettre lescompromis en général pour que toute limite soit effacée entre l'opportunisme, contre lequel noussoutenons et devons soutenir une lutte intransigeante, et le marxisme révolutionnaire ou lecommunisme.

Ces gens-là, s'ils ne savent pas encore que toutes les limites dans la nature et dans la société sontmobiles et jusqu'à un certain point conventionnelles, on ne peut leur venir en aide que moyennantune longue étude, instruction, éducation, expérience de la vie et des choses politiques. Il faut savoirdiscerner, dans les questions de politique pratique qui se posent à chaque moment particulier ouspécifique de l'histoire, celles où se manifestent les compromis les plus inadmissibles, lescompromis de trahison, incarnant l'opportunisme funeste à la classe révolutionnaire, et consacrertous les efforts pour les révéler et les combattre.

Pendant la guerre impérialiste de 1914-1918 où s'affrontaient deux groupes de pays égalementpillards et rapaces, la forme principale, essentielle de l'opportunisme fut le social-chauvinisme,c'est-à-dire le soutien de la "défense nationale" qui, dans cette guerre, signifiait en réalité la défensedes intérêts spoliateurs de "sa" bourgeoisie nationale.

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Après la guerre: la défense de la spoliatrice "Société des Nations"; la défense des coalitions directesou indirectes avec la bourgeoisie de son pays contre le prolétariat révolutionnaire et le mouvement"soviétique"; la défense de la démocratie bourgeoise et du parlementarisme bourgeois contre le"pouvoir des Soviets", - telles ont été les principales manifestations de ces inadmissiblescompromis de trahison qui ont toujours abouti, en fin de compte, à un opportunisme funeste auprolétariat révolutionnaire et à la cause." ..... Repousser de la façon la plus décidée tout compromis avec les autres partis... toute politiquede louvoiement et d'entente", écrivent les "gauches" d'Allemagne dans la brochure de Francfort.Il est bien étonnant qu'avec de pareilles idées Ces gauches ne prononcent pas une condamnationcatégorique du bolchévisme! Car enfin, il n'est pas possible que les gauches d'Allemagne ignorentque toute l'histoire du bolchévisme, avant et après la Révolution d'Octobre, abonde en exemples delouvoiement, d'ententes et de compromis avec les autres partis, sans en excepter les partisbourgeois!

Faire la guerre pour le renversement de la bourgeoisie internationale, guerre cent fois plus difficile,plus longue, plus compliquée que la plus acharnée des guerres ordinaires entre Etats, et renoncerd'avance à louvoyer, à exploiter les oppositions d'intérêts (fussent-elles momentanées) qui divisentnos ennemis, à passer des accords et des compromis avec des alliés éventuels (fussent-ilstemporaires, peu sûrs, chancelants, conditionnels); n'est-ce pas d'un ridicule achevé ?

N'est-ce pas quelque chose comme de renoncer d'avance, dans l'ascension difficile d'une montagneinexplorée et inaccessible jusqu'à ce jour, à marcher parfois en zigzags, à revenir parfois sur ses pas,à renoncer à la direction une fois choisie pour essayer des directions différentes ?

Et des gens manquant à ce point de conscience et d'expérience (encore si leur jeunesse en était lacause : les jeunes ne sont-ils pas faits pour débiter un certain temps des bêtises pareilles!) ont puêtre soutenus - de près ou de loin, de façon franche ou déguisée, entièrement ou en partie, iln'importe! - par certains membres du Parti communiste hollandais!!

Après la première révolution socialiste du prolétariat, après le renversement de la bourgeoisie dansun pays, le prolétariat de ce pays reste encore longtemps plus faible que la bourgeoisie, d'abordsimplement à cause des relations internationales étendues de cette dernière, puis à cause durenouvellement spontané et continu, de la régénération du capitalisme et de la bourgeoisie par lespetits producteurs de marchandises dans le pays qui a renversé sa bourgeoisie.

On ne peut triompher d'un adversaire plus puissant qu'au prix d'une extrême tension des forces et àla condition expresse d'utiliser de la façon la plus minutieuse, la plus attentive, la plus circonspecte,la plus intelligente, la moindre "fissure" entre les ennemis, les moindres oppositions d'intérêts entretes bourgeoisies des différents pays, entre les différents groupes ou catégories de la bourgeoisie àl'intérieur de chaque pays, aussi bien que la moindre possibilité de s'assurer un allié numériquementfort, fût-il un allié temporaire, chancelant, conditionnel, peu solide et peu sûr.

Qui n'a pas compris cette vérité n'a compris goutte au marxisme, ni en général au socialismescientifique contemporain.

Qui n'a pas prouvé pratiquement, pendant un laps de temps assez long et en des situations politiquesassez variées, qu'il sait appliquer cette vérité dans les faits, n'a pas encore appris à aider la classerévolutionnaire dans sa lutte pour affranchir des exploiteurs toute l'humanité laborieuse. Et ce quivient d'être dit est aussi vrai pour la période qui précède et qui suit la conquête du pouvoir politiquepar le prolétariat.

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Notre théorie n'est pas un dogme, mais un guide pour l'action, ont dit Marx et Engels et la plusgrave erreur, le crime le plus grave de marxistes aussi "patentés" que Karl Kautsky, Otto Bauer etautres, c'est qu'ils n'ont pas compris, c'est qu'ils n'ont pas su appliquer cette vérité aux heures lesplus décisives de la révolution prolétarienne.

"L'action politique, ce n'est pas un trottoir de la perspective Nevski" (un trottoir net, large et uni del'artère principale, absolument rectiligne, de Pétersbourg), disait déjà N. Tchernychevski, le grandsocialiste russe de la période d'avant Marx. Depuis Tchernychevski, les révolutionnaires russes ontpayé de sacrifices sans nombre leur méconnaissance ou leur oubli de cette vérité.

Il faut à tout prix faire en sorte que les communistes de gauche et les révolutionnaires d'Europeoccidentale et d'Amérique, dévoués à la classe ouvrière, ne payent pas aussi cher que les Russesretardataires l'assimilation de cette vérité.

Jusqu'à la chute du tsarisme, les social-démocrates révolutionnaires de Russie recoururent maintesfois aux services des libéraux bourgeois, c'est-à-dire qu'ils passèrent quantité de compromispratiques avec ces derniers.

En 1901-1902, dès avant la naissance du bolchévisme, l'ancienne rédaction de l'Iskra (faisaientpartie de cette rédaction: Plékhanov, Axelrod, Zassoulitch, Martov, Potressov et moi) avait conclu(pas pour longtemps, il est vrai) une alliance politique formelle avec le leader politique dulibéralisme bourgeois, Strouvé, tout en soutenant sans discontinuer la lutte idéologique et politiquela plus implacable contre le libéralisme bourgeois et contre les moindres manifestations de soninfluence au sein du mouvement ouvrier.

Les bolchéviks ont toujours suivi cette politique. Depuis 1905, ils ont systématiquement préconisél'alliance de la classe ouvrière et de la paysannerie contre la bourgeoisie libérale et le tsarisme, sanstoutefois refuser jamais de soutenir la bourgeoisie contre le tsarisme (par exemple, au scrutin de 2edegré ou au scrutin de ballottage) et sans cesser la lutte idéologique et politique la plusintransigeante contre le parti paysan révolutionnaire bourgeois, les "socialistes-révolutionnaires",qu'ils dénonçaient comme des démocrates petits-bourgeois se prétendant socialistes.

En 1907, les bolchéviks constituèrent, pour peu de temps, un bloc politique formel avec les"socialistes-révolutionnaires" pour les élections à la Douma. De 1903 - 1952, nous avons séjournéavec les menchéviks, parfois pendant plusieurs années, nominalement dans le même parti social-démocrate, sans jamais cesser de les combattre sur le terrain idéologique et politique comme agentsde l'influence bourgeoise sur le prolétariat et comme opportunistes.

Nous avons conclu pendant la guerre une sorte de compromis avec les "kautskistes", lesmenchéviks de gauche (Martov) et une partie des "socialistes-révolutionnaires" (Tchernov,Nathanson); nous avons siégé avec eux à Zimmerwald et Kienthal, publié des manifestes communs;mais nous n'avons jamais cessé ni relâché notre lutte idéologique et politique contre les"kautskistes", les Martov et les Tchernov. (Nathanson est mort en 1919, étant "communiste-révolutionnarie" populiste très proche de nous, presque solidaire avec nous.)

Au moment même de la Révolution d'Octobre, nous avons constitué un bloc politique, non pointformel, mais très important (et très réussi) avec la paysannerie petite-bourgeoise, en acceptant enentier, sans y rien changer, le programme agraire des socialistes-révolutionnaires; c'est-à-dire quenous avons consenti un compromis indéniable, afin de prouver aux paysans que, loin de vouloirnous imposer, nous désirions nous entendre avec eux.

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Nous avons proposé en même temps (et nous réalisions peu après) un bloc politique formel - avecparticipation au gouvernement - aux "socialistes-révolutionnaires de gauche" qui dénoncèrent cebloc au lendemain de la paix de Brest-Litovsk pour en venir ensuite, en juillet 1918, à uneinsurrection armée et, plus tard, à la lutte armée contre nous.

On conçoit donc que les attaques des gauches d'Allemagne contre le Comité central du Particommuniste allemand, auquel on reproche d'admettre l'idée d'un bloc avec les "indépendants" (le"Parti social-démocrate indépendant d'Allemagne", les kautskistes), nous paraissent absolumentdénuées de sérieux; c'est une démonstration évidente de l'erreur des "gauches".

Il y a eu, en Russie également, des menchéviks de droite (ils firent partie du gouvernementKérenski) qui correspondaient aux Scheidemann d'Allemagne, et des menchéviks de gauche(Martov) en opposition aux menchéviks de droite et correspondant aux kautskistes allemands.

Nous avons pu observer clairement en 1917 le passage graduel des masses ouvrières, du campmenchévik aux côtés des bolchéviks: au 1er Congrès des Soviets de Russie, en juin 1917, nous neréunissions que 53% des voix. La majorité appartenait aux socialistes-révolutionnaires et auxmenchéviks.

Au deuxième Congrès des Soviets (25 octobre 1917, vieux style) nous avions 51 % des suffrages.Pourquoi en Allemagne le même élan, absolument identique, des ouvriers - de droite vers la gauche- n'a-t-il pas conduit d'emblée à l'affermissement des communistes, mais d'abord à celui du partiintermédiaire des "indépendants", quoique ce parti n'ait jamais eu aucune idée politique propre,aucune politique à lui, et n'ait jamais fait que balancer entre les Scheidemann et les communistes ?

Une des causes en a été évidemment la tactique erronée des communistes allemands, qui doiventreconnaître avec loyauté et sans crainte leur erreur et apprendre à la corriger.

Cette erreur consistait à repousser la participation au parlement réactionnaire, bourgeois, et auxsyndicats réactionnaires; elle consistait en de nombreuses manifestations de cette maladie infantiledite le "gauchisme", qui enfin s'est extériorisée et n'en sera que mieux et plus vite guérie, avec plusde profit pour l'organisme.

Le "Parti social-démocrate indépendant d'Allemagne" manque nettement d'homogénéité: à côté desvieux chefs opportunistes (Kautsky, Hilferding et, vraisemblablement, dans une large mesure,Crispien, Ledebour et autres), qui ont prouvé leur incapacité à comprendre la signification dupouvoir des Soviets et de la dictature du prolétariat, leur incapacité à diriger la lutte révolutionnairede ce dernier, - il s'est formé dans ce parti une aile gauche, prolétarienne, qui suit une progressionsingulièrement rapide.

Des centaines de milliers de membres de ce parti (qui en compte, je crois, jusqu'à 3/4 de million)sont des prolétaires qui, s'éloignant de Scheidemann, marchent à grands pas vers le communisme.Cette aile prolétarienne avait déjà proposé au congrès des indépendants à Leipzig (en 1919)l'adhésion immédiate et sans condition à la IIIe Internationale.

Redouter un "compromis" avec cette aile du parti serait tout bonnement ridicule. Au contraire, lescommunistes se doivent de rechercher et de trouver une forme appropriée de compromissusceptible, d'une part, de faciliter et de hâter la complète et nécessaire fusion avec cette aile, et,d'autre part, de ne gêner en rien la campagne idéologique et politique des communistes contre l'ailedroite opportuniste des "indépendants".

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Sans doute ne sera-t-il pas facile d'établir la forme convenable du compromis, mais il faut être uncharlatan pour promettre aux ouvriers et aux communistes allemands de les conduire à la victoirepar un chemin "facile".

Le capitalisme ne serait pas le capitalisme si le prolétariat "pur" n'était entouré d'une fouleextrêmement bigarrée de types sociaux marquant la transition du prolétaire au semiprolétaire (àcelui qui ne tire qu'à moitié ses moyens d'existence de la vente de sa force de travail), dusemiprolétaire au petit paysan (et au petit artisan dans la ville ou à la campagne, au petit exploitanten général); du petit paysan au paysan moyen, etc.; si le prolétariat lui-même ne comportait pas dedivisions en catégories plus ou moins développées, groupes d'originaires, professionnels, parfoisreligieux, etc.

D'où la nécessité, la nécessité absolue pour l'avant-garde du prolétariat, pour sa partie consciente,pour le Parti communiste, de louvoyer, de réaliser des ententes, des compromis avec les diversgroupes de prolétaires, les divers partis d'ouvriers et de petits exploitants.

Le tout est de savoir appliquer cette tactique de manière à élever, et non à abaisser le niveau deconscience général du prolétariat, son esprit révolutionnaire, sa capacité de lutter et de vaincre.

Notons d'ailleurs que la victoire des bolchéviks sur les menchéviks a exigé, non seulement avantmais aussi après la Révolution d'Octobre 1917, l'application d'une tactique de louvoiement,d'ententes, de compromis, de celles et de ceux, bien entendu, qui pouvaient faciliter, hâter,consolider, renforcer la victoire des bolchéviks aux dépens des menchéviks.

Les démocrates petits-bourgeois (les menchéviks y compris) balancent forcément 'entre labourgeoisie et le prolétariat, entre la démocratie bourgeoise et le régime soviétique, entre leréformisme et l'esprit révolutionnaire, entre l'ouvriérisme et la crainte devant la dictature duprolétariat, etc.

La juste tactique des communistes doit consister à utiliser ces hésitations, et non point à les ignorer;or les utiliser, c'est faire des concessions aux éléments qui se tournent vers le prolétariat, et n'enfaire qu'au moment et dans la mesure où ils s'orientent vers ce dernier, tout en luttant contre ceuxqui se tournent vers la bourgeoisie.

Grâce à l'application de cette juste tactique, le menchévisme s'est de plus en plus disloqué et sedisloque chez nous, isolant les chefs qui s'obstinent dans l'opportunisme et amenant dans notrecamp les meilleurs ouvriers, les meilleurs éléments de la démocratie petite-bourgeoise.

C'est là un processus de longue haleine, et les "solutions" à tir rapide: "Jamais de compromis,jamais de louvoiement" ne peuvent qu'être préjudiciables à l'accroissement de l'influence duprolétariat révolutionnaire et à la montée de ses effectifs.

Enfin, une des erreurs incontestables des "gauchistes" d'Allemagne, c'est qu'ils persistent dans leurrefus de reconnaître le traité de Versailles.

Plus ce point de vue est formulé avec "poids" et "sérieux", avec "résolution" et sans appel, commele fait par exemple K. Horner, et moins cela paraît sensé.

Il ne suffit pas de renier les absurdités criantes du "bolchévisme national" (Laufenberg et autres),qui en vient à préconiser un bloc avec la bourgeoisie allemande pour reprendre la guerre contrel'Entente, dans le cadre actuel de la révolution prolétarienne internationale.

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Il faut comprendre qu'elle est radicalement fausse, la tactique qui n'admet pas l'obligation pourl'Allemagne soviétique (si une République soviétique allemande surgissait à bref délai) dereconnaître pour un temps la paix de Versailles et de s'y plier.

Il ne suit point de là que les "indépendants" aient eu raison de préconiser, quand les Scheidemannsiégeaient au gouvernement, quand le pouvoir des Soviets n'était pas encore renversé en Hongrie,quand la possibilité n'était pas encore exclue d'une révolution soviétique à Vienne qui eût appuyéles Soviets de Hongrie, - de préconiser dans les conditions d'alors, la signature du traité deVersailles.

Les "indépendants" louvoyaient et manœuvraient alors déplorablement, car ils assumaient uneresponsabilité plus ou moins grande pour la trahison des Scheidemann, ils glissaient plus ou moinsdes positions d'une guerre de classe sans merci (et d'un sang-froid absolu) contre les Scheidemann,à une position "hors-classe" ou "au-dessus des classes".

Mais il est manifeste aujourd'hui que les communistes d'Allemagne ne doivent pas se lier les mainsen promettant de répudier à toute force la paix de Versailles au cas où le communisme triompherait.

Ce serait absurde.

Il faut dire : les Scheidemann et les kautskistes ont commis une suite de trahisons qui ont rendudifficile (en partie: ruiné net) l'alliance avec la Russie soviétique, avec la Hongrie soviétique.

Nous nous efforcerons par tous les moyens, nous communistes, de faciliter et de préparer cettealliance, sans être tenus le moins du monde de dénoncer à tout prix - et immédiatement - la paix deVersailles. La possibilité de la dénoncer utilement ne dépend pas seulement des succès dumouvement soviétique en Allemagne, mais aussi de ses succès dans le monde entier.

Ce mouvement a été entravé par les Scheidemann et les kautskistes; nous, nous le favorisons. Là estle fond de la question, là est la différence radicale.

Et si nos ennemis de classe, les exploiteurs, leurs valets, les Scheidemann et les kautskistes, ontlaissé échapper mainte occasion de renforcer le mouvement soviétique et en Allemagne et dans lemonde, de renforcer la révolution soviétique en Allemagne comme dans l'univers, la faute enrevient à eux.

La révolution soviétique en Allemagne renforcera le mouvement soviétique international, ce plusfort rempart (le seul sûr, invincible et universellement puissant) contre la paix de Versailles, contrel'impérialisme international en général. Faire passer absolument, à toute force, immédiatement, lalibération à l'égard du traité de Versailles avant le problème de l'affranchissement des autres paysopprimés du joug de l'impérialisme, c'est du nationalisme petit-bourgeois (digne des Kautsky, desHilferding, des Otto Bauer et Cie et non de l'internationalisme révolutionnaire. Renverser labourgeoisie dans tout grand Etat européen, y compris l'Allemagne, serait un tel avantage pour larévolution internationale que l'on pourrait et devrait consentir - si besoin était - à prorogerl'existence de la paix de Versailles.

Si la Russie a pu à elle seule supporter, avec profit pour la révolution, pendant plusieurs mois, letraité de Brest-Litovsk, il n'y a rien d'impossible à ce que l'Allemagne soviétique, alliée à la Russiesoviétique, supporte avec profit pour la révolution une plus longue existence du traité de Versailles.

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Les impérialistes de France, d'Angleterre, etc., provoquent les communistes allemands, leur tendentce piège :

"Dites que vous ne signerez pas le traité de Versailles."

Et les communistes de gauche, au lieu de manoeuvrer habilement contre un ennemi perfide et àl'heure actuelle plus puissant, au lieu de lui dire: "Maintenant nous signerons le traité de Versailles",tombent dans le piège comme des enfants.

Se lier les mains d'avance, dire tout haut à un ennemi qui, pour l'instant, est mieux armé que nous,Si nous allons lui faire la guerre et à quel moment, c'est pure sottise et non ardeur révolutionnaire.

Accepter le combat lorsqu'il est manifestement avantageux à l'ennemi, et non à nous, c'est un crime;et ceux-là ne valent rien, parmi les politiques de la classe révolutionnaire, qui ne savent pasprocéder par "louvoiement, ententes et compromis", afin de se soustraire à un combat pertinemmentdésavantageux.

IX- LE COMMUNISME "DE GAUCHE" EN ANGLETERRE

Il n'y a pas encore de parti communiste en Angleterre, mais il y a parmi les ouvriers un mouvementcommuniste tout jeune, large, puissant, dont la croissance est rapide et qui autorise les plusradieuses espérances.

Il y a plusieurs partis et organisations politiques ("Parti socialiste britannique", "Parti ouvriersocialiste", "Association socialiste du pays de Galles du Sud", "Fédération socialiste ouvrière"), quidésirent créer un parti communiste et sont déjà en pourparlers à ce sujet. On trouve dans le WorkersDreadnought (tome VI, N0 48, du 21 février 1920), organe hebdomadaire de la "Fédérationsocialiste ouvrière", dirigé par la camarade Sylvia Pankhurst, un article d'elle intitulé : "Vers unparti communiste."

L'article expose comme suit les pourparlers en cours entre les quatre organisations ci-dessusnommées, pour la formation d'un parti communiste unique : adhésion à la IIIe Internationale,reconnaissance du système soviétique au lieu du parlementarisme, et de la dictature du prolétariat.

Il apparaît qu'un des principaux obstacles à la constitution immédiate d'un parti communiste uniqueest le désaccord sur le problème de la participation au parlement et de l'adhésion du nouveau particommuniste au vieux "Labour Party" opportuniste et social-chauvin, corporatif et composé surtoutde trade-unions.

La "Fédération socialiste ouvrière", de même que le "Parti ouvrier socialiste" (Ce parti est, ce mesemble, contre l'adhésion au "Labour Party" mais n'est pas tout entier contre la participation auparlement.) se prononcent contre la participation aux élections parlementaires et au parlement,contre l'adhésion au "Labour Party" et sont, sur ce point, en désaccord avec tous les membres ouavec la majorité des membres du Parti socialiste britannique, qui constitue à leurs yeux "l'aile droitedes partis communistes" en Angleterre (page 5 de l'article de Sylvia Pankhurst).

Ainsi la division fondamentale est la même qu'en Allemagne, malgré les différences considérablesquant à la forme que revêt le désaccord (en Allemagne cette forme se rapproche beaucoup plus de laforme "russe" qu'en Angleterre) et pour maintes autres raisons.

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Mais voyons les arguments des "gauches". Pour ce qui est de la participation au parlement, SylviaPankhurst se réfère à un article publié dans le même numéro par W. Gallacher, lequel écrit au nomdu "Conseil ouvrier d'Ecosse" de Glasgow :

"Ce Conseil, dit-il, est nettement antiparlementaire, et il a pour lui l'aile gauche de diversesorganisations politiques. Nous représentons le mouvement révolutionnaire écossais, qui se proposede créer une organisation révolutionnaire dans les industries (dans les diverses branches del'industrie) et un parti communiste appuyé sur des comités sociaux dans tout le pays. Longtempsnous nous sommes disputés avec les parlementaires officiels. Nous n'avons pas jugé nécessaire deleur déclarer ouvertement la guerre; quant à eux, ils craignent de s'attaquer à nous.

Mais cette situation ne peut pas durer longtemps. Nous triomphons sur toute la ligne.

La masse des membres du Parti travailliste indépendant d'Ecosse est de plus en plus écœurée duparlement, et presque tous les groupes locaux sont pour les Soviets (le mot russe est employé dansla transcription anglaise) ou pour les Soviets ouvriers. Evidemment, ce fait a une importance trèssérieuse pour ces messieurs qui considèrent la politique comme un gagne-pain (comme uneprofession), et ils usent de tous les expédients pour persuader leurs membres de revenir dans legiron du parlementarisme.

Les camarades révolutionnaires ne doivent pas (tous les mots soulignés le sont par l'auteur) soutenircette bande. Ici la lutte nous sera très difficile. La défection de ceux pour qui l'intérêt personnel estun stimulant plus fort que l'intérêt qu'ils portent à la révolution, en sera un des traits les plusaffligeants. Accorder le moindre appui au parlementarisme revient simplement à aider à l'accessionau pouvoir de nos Scheidemann et Noske britanniques. Henderson, Clynes et Cie sontirrémédiablement réactionnaires.

Le Parti travailliste indépendant officiel tombe de plus en plus sous la coupe des libérauxbourgeois, qui ont trouvé un refuge moral dans le camp de MM. MacDonald, Snowden et Cie. LeParti travailliste indépendant officiel est violemment hostile à la III' Internationale, mais la masseest pour elle.

Soutenir de quelque façon que ce soit les parlementaires opportunistes, c'est tout bonnement faire lejeu de ces messieurs.

Le Parti socialiste britannique n'a ici aucune importance...

Ce qu'il faut, c'est une bonne organisation révolutionnaire industrielle et un parti communisteagissant sur des bases scientifiques, claires et nettement définies. Si nos camarades peuvent nousaider à créer l'une et l'autre, nous accepterons volontiers leur concours: s'ils ne le peuvent pas, qu'ilsne s'en mêlent pas pour l'amour de Dieu, à moins qu'ils ne veuillent trahir la révolution en prêtantappui aux réactionnaires qui recherchent avec tant de zèle le titre "honorable" (?) (le pointd'interrogation est de l'auteur) de parlementaires, et qui brûlent de prouver qu'ils sont capables degouverner aussi bien que les "patrons" eux-mêmes, les hommes politiques de classe."

Cette lettre à la rédaction traduit admirablement, à mon avis, l'état d'esprit et le point de vue desjeunes communistes ou des ouvriers de la masse, qui commencent à peine à venir au communisme.Cet état d'esprit est réconfortant et précieux au plus haut point; il faut savoir l'apprécier etl'entretenir, car sans lui on désespérerait de la victoire de la révolution prolétarienne en Angleterre,comme du reste dans tout autre pays.

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Ceux qui savent exprimer, susciter dans les masses cet état d'esprit (qui très souvent sommeille, estinconscient, latent), il faut s'en montrer soucieux et leur prêter aide et attention.

Mais il faut aussi leur dire ouvertement, sans équivoque, que cet état d'esprit à lui seul ne suffit pasà diriger les masses dans la grande lutte révolutionnaire, et que telles ou telles erreurs que leshommes les plus dévoués à la cause révolutionnaire sont disposés à commettre ou commettent,peuvent nuire à cette cause. La lettre adressée à la rédaction par le camarade Gallacher contientindéniablement en germe toutes les erreurs des communistes "de gauche" d'Allemagne et cellescommises par les bolchéviks russes "de gauche" en 1908 et 1918.

L'auteur de cette lettre est tout pénétré d'une très noble colère prolétarienne contre les "politiciensde classe" de la bourgeoisie (colère compréhensible et sympathique du reste aux yeux nonseulement des prolétaires, mais aussi de tous les travailleurs, de toutes les "petites gens", pouremployer ici l'expression allemande).

Cette colère d'un représentant des masses opprimées et exploitées est en vérité le "commencementde la sagesse", la base de tout mouvement socialiste et communiste et de son succès.

Mais l'auteur oublie visiblement que la politique est une science et un art qui ne tombent pas duciel, qui demandent un effort; et que le prolétariat, s'il veut vaincre la bourgeoisie, doit former des"hommes politiques de classe", bien à lui, prolétariens, et qui ne soient pas inférieurs à ceux de labourgeoisie.

L'auteur de la lettre a fort bien compris que seuls les Soviets ouvriers, et non le parlement, peuventoffrir au prolétariat le moyen d'atteindre au but.

Et celui qui ne l'a pas encore compris est évidemment le pire réactionnaire, fût-il l'homme le plussavant, le politique le plus expérimenté, le socialiste le plus sincère, le marxiste le plus érudit, leplus loyal des citoyens et des pères de famille. Mais l'auteur de la lettre ne pose même pas, ne croitpas même nécessaire de poser la question de savoir si l'on peut amener les Soviets à la victoire surle parlement sans faire entrer les politiques "soviétiques " à l'intérieur du parlement ?

Sans désagréger le parlementarisme de l'intérieur, sans préparer au-dedans du parlement le succèsdes Soviets dans la tâche qui leur incombe de dissoudre le parlement.

Cependant l'auteur de la lettre émet cette idée parfaitement juste que le Parti communiste anglaisdoit fonder son action sur une base scientifique.

La science veut d'abord que l'on tienne compte de l'expérience des autres pays, surtout si les autrespays, capitalistes eux aussi, connaissent ou ont connu récemment une expérience sensiblementanalogue.

Elle veut, en second lieu, qu'on tienne compte de toutes les forces: groupes, partis, classes et massesagissant dans le pays, au lieu de déterminer la politique uniquement d'après les désirs et lesopinions, le degré de conscience et de préparation à la lutte d'un seul groupe ou d'un seul parti.

Que les Henderson, les Clynes, les MacDonald, les Snowden soient irrémédiablementréactionnaires, cela est exact. Il n'est pas moins exact qu'ils veulent prendre le pouvoir (préférantd'ailleurs la coalition avec la bourgeoisie); qu'ils veulent "administrer" selon les vieilles règlesbourgeoises et se conduiront forcément, une fois au pouvoir, comme les Scheidemann et les Noske.

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Tout cela est exact.

Mais il ne suit point de là que les soutenir, c'est trahir la révolution; il s'ensuit que lesrévolutionnaires de la classe ouvrière doivent, dans l'intérêt de la révolution, accorder à cesmessieurs un certain soutien parlementaire. Pour bien le montrer, je prendrai deux documentspolitiques anglais d'actualité: r. le discours prononcé le 18 mars 1920 par le premier ministre LloydGeorge (d'après le Manchester Guardian du 19 mars 1920) et 2. les réflexions d'une communiste"de gauche", la camarade Sylvia Pankhurst, dans l'article ci-dessus mentionné. Dans son discours,Lloyd George polémise avec Asquith (qui, spécialement invité à la réunion, avait refusé de s'yrendre) et avec ceux des libéraux qui sont partisans non de la coalition avec les conservateurs, maisd'un rapprochement avec le Labour Party. (Nous savons de même par la lettre du camaradeGallacher à la rédaction, que des libéraux étaient passés au Parti travailliste indépendant.) LloydGeorge s'attache à démontrer qu'une coalition des libéraux et des conservateurs - coalition étroite -est indispensable pour empêcher la victoire du Labour Party, que Lloyd George "préfère appeler"socialiste, et qui préconise la "propriété collective" des moyens de production. "C'est ce qu'on aappelé en France le communisme", explique populairement le chef de la bourgeoisie anglaise à sesauditeurs, membres du Parti libéral parlementaire, qui, vraisemblablement, l'ignoraient jusqu'à cejour. "En Allemagne, cela s'est appelé socialisme; en Russie, cela s'appelle bolchévisme."

Pour les libéraux, la chose est irrecevable par principe, explique Lloyd George, car les libéraux sontpar principe pour la propriété privée. "La civilisation est en danger", déclare l'orateur, et c'estpourquoi les libéraux et les conservateurs doivent s'unir.

" ... .Si vous vous rendez dans les districts agricoles, dit Lloyd George, je le reconnais, vous yverrez se maintenir, comme auparavant, les anciennes divisions de parti. Là le danger est loin. Là ledanger n'existe pas. Mais quand il s'agira des districts agricoles, le danger y sera aussi grand qu'ill'est maintenant dans certains districts industriels. Les quatre cinquièmes de notre pays s'occupentd'industrie et de commerce ; un cinquième à peine s'adonne à l'agriculture. C'est là une descirconstances que je ne perds jamais de vue quand je songe aux dangers que nous réserve l'avenir.La France a une population surtout agricole, et vous avez là une base solide de conceptionsdéterminées, base qui ne se modifie pas très vite et qu'il n'est pas facile de troubler par unmouvement révolutionnaire. Il en va autrement pour notre pays. Il est plus facile de l'ébranler quen'importe quel autre pays au monde, et s'il se met à fléchir, la catastrophe y sera, pour les raisonsindiquées, plus forte que dans les autres pays."

Le lecteur voit ainsi que M. Lloyd George n'est pas seulement un homme de grande intelligence,mais qu'il a beaucoup appris chez les marxistes. Nous ferons bien à notre tour de nous instruireauprès de lui. Il est intéressant de noter encore cet épisode de la discussion qui s'institua après lediscours de Lloyd George:

"M. Wailace : Je voudrais savoir ce que le premier ministre pense des résultats de sa politique dansles districts industriels en ce qui concerne les ouvriers d'industrie, dont un très grand nombre sontactuellement libéraux et auprès desquels nous trouvons un si grand appui. N'y a-t-il pas lieu deprévoir que la force du Labour Party s'accroîtra considérablement grâce aux ouvriers qui sontactuellement nos sincères soutiens ?

Le premier ministre: Je suis d'un tout autre avis. Le fait que les libéraux luttent entre eux, poussesans doute un nombre considérable de libéraux, pris de désespoir, à rejoindre le Labour Party, où ungrand nombre de libéraux fort capables s'emploient aujourd'hui à jeter le discrédit sur legouvernement. L'opinion publique n'en est que mieux disposée en faveur du Labour Party. Elle ne

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se tourne pas vers les libéraux qui sont en dehors du Labour Party, mais vers celui-ci, c'est ce quemontrent les élections partielles."

Marquons en passant que ce raisonnement indique surtout à quel point les hommes les plusintelligents de la bourgeoisie se sont enferrés et ne peuvent plus se retenir de faire des bêtisesirréparables.

C'est ce qui causera la perte de la bourgeoisie. Tandis que nos gens à nous peuvent faire même desbêtises (à la condition toutefois que ces bêtises ne soient pas trop graves et qu'elles soient corrigéesassez tôt), ils n'en seront pas moins au bout du compte les vainqueurs. Le second documentpolitique, ce sont les considérations suivantes de la camarade Sylvia Pankhurst, communiste "degauche":

" ... .Le camarade Inkpin (secrétaire du Parti socialiste britannique) appelle le Labour Party"l'organisation principale du mouvement de la classe ouvrière". Un autre camarade du Partisocialiste britannique a exprimé à la conférence de la IIIe Internationale le point de vue de ce partiavec encore plus de relief. Il a dit : "Nous considérons le Labour Party comme la classe ouvrièreorganisée." Nous ne partageons pas cette opinion sur le Labour Party. Celui-ci a de gros effectifs,quoique ses membres soient dans une notable mesure apathiques et passifs; ce sont des ouvriers etdes ouvrières entrés dans les trade-unions pour faire comme leurs camarades d'atelier et pourtoucher des allocations.

Mais nous reconnaissons que l'importance numérique du Labour Party provient aussi du fait que ceparti est l'oeuvre d'une école de pensée, dont les limites n'ont pas encore été dépassées par lamajorité de la classe ouvrière britannique, quoique de grands changements se préparent dans l'espritdu peuple, qui modifiera bientôt cet état de choses." ..... De même que les organisations social-patriotes des autres pays, le Labour Party britanniqueaccédera inévitablement au pouvoir par le cours naturel du développement de la société. Auxcommunistes d'organiser les forces qui renverseront les social-patriotes, et nous ne devons dansnotre pays ni retarder cette action ni hésiter.

Nous ne devons pas disperser notre énergie en augmentant les forces du Labour Party; sonascension au pouvoir est inévitable. Nous devons employer nos forces à créer un mouvementcommuniste qui vaincra ce parti. Le Labour Party formera sous peu le gouvernement; l'oppositionrévolutionnaire doit être prête à porter l'attaque contre lui..."

Ainsi la bourgeoisie libérale répudie le système des "deux partis" (d'exploiteurs), systèmehistoriquement consacré par une expérience séculaire et infiniment avantageux pour les exploiteurs;elle estime nécessaire que se fasse l'union de leurs forces contre le Labour Party.

Une partie des libéraux, tels les rats d'un navire en perdition, courent rejoindre le Labour Party. Lescommunistes de gauche considèrent comme inévitable l'accession du Labour Party au pouvoir etreconnaissent que, aujourd'hui, ce parti a pour lui la majorité des ouvriers.

De là ils tirent une conclusion bizarre, que la camarade Sylvia Pankhurst formule en ces termes :

"Le Parti communiste ne doit pas conclure de compromis... Il doit conserver pure sa doctrine etimmaculée son indépendance vis-à-vis du réformisme; sa mission est de marcher en tête, sanss'arrêter et sans dévier de sa route, d'aller tout droit vers la révolution communiste."

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De ce que la majorité des ouvriers d'Angleterre suit encore les Kérenski ou les Scheidemannanglais; de ce qu'elle n'a pas encore fait l'expérience du gouvernement de ces hommes, expériencequi a été nécessaire à la Russie et à l'Allemagne pour amener le passage en masse des ouvriers aucommunisme, il résulte au contraire, avec certitude, que les communistes anglais doivent participerà l'action parlementaire, doivent de l'intérieur du parlement aider la masse ouvrière à juger legouvernement Henderson-Snowden d'après ses actes, doivent aider les Henderson et les Snowden àvaincre Lloyd George et Churchill réunis.

Agir autrement, c'est entraver l'oeuvre de la révolution, car si un changement n'intervient pas dansla manière de voir de la majorité de la classe ouvrière, la révolution est impossible; or cechangement, c'est l'expérience politique des masses qui l'amène, et jamais la seule propagande.

"En avant, sans compromis, sans dévier de sa route", si c'est une minorité notoirement impuissanted'ouvriers qui parle ainsi, sachant (ou en tout cas devant savoir) qu'en cas de victoire de Hendersonet de Snowden sur Lloyd George et Churchill, la majorité, perdant toute illusion sur ses chefs, enviendra rapidement à soutenir le communisme (ou en tout cas à la neutralité et le plus souvent à uneneutralité bienveillante à l'égard des communistes), - ce mot d'ordre est manifestement erroné.

C'est comme si 10 000 soldats se jetaient dans la bataille contre 50 000 ennemis, alors qu'il faudrait"s'arrêter", "faire un détour" et même conclure un "compromis", pour donner le temps d'arriver aux100 000 hommes de renfort qui doivent venir et qui ne peuvent entrer en action sur-le-champ.

C'est un enfantillage d'intellectuels, ce n'est pas la tactique sérieuse d'une classe révolutionnaire.

La loi fondamentale de la révolution, confirmée par toutes les révolutions et notamment par les troisrévolutions russes du XXe siècle, la voici : pour que la révolution ait lieu, il ne suffit pas que lesmasses exploitées et opprimées prennent conscience de l'impossibilité de vivre comme autrefois etréclament des changements.

Pour que la révolution ait lieu, il faut que les exploiteurs ne puissent pas vivre et gouverner commeautrefois.

C'est seulement lorsque "ceux d'en bas" ne veulent plus et que "ceux d'en haut" ne peuvent pluscontinuer de vivre à l'ancienne manière, c'est alors seulement que la révolution peut triompher.

Cette vérité s'exprime autrement en ces termes: la révolution est impossible sans une crise nationale(affectant exploités et exploiteurs).

Ainsi donc, pour qu'une révolution ait lieu, il faut: premièrement, obtenir que la majorité desouvriers (ou, en tout cas, la majorité des ouvriers conscients, réfléchis, politiquement actifs) aitcompris parfaitement la nécessité de la révolution et soit prête à mourir pour elle; il faut ensuite queles classes dirigeantes traversent une crise gouvernementale qui entraîne dans la vie politiquejusqu'aux masses les plus retardataires (l'indice de toute révolution véritable est une rapideélévation au décuple, ou même au centuple, du nombre des hommes aptes à la lutte politique, parmila masse laborieuse et opprimée, jusque-là apathique), qui affaiblit le gouvernement et rend possiblepour les révolutionnaires son prompt renversement.

Au fait, en Angleterre, comme il ressort justement du discours de Lloyd George, on voitmanifestement s'affirmer ces deux conditions du succès de la révolution prolétarienne.

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Et toute erreur des communistes de gauche est doublement dangereuse, aujourd'hui que nousobservons chez certains révolutionnaires une attitude insuffisamment raisonnée, insuffisammentattentive, insuffisamment consciente, insuffisamment réfléchie vis-à-vis de chacune de cesconditions. Si nous ne sommes pas un groupe de révolutionnaires, mais le parti de la classerévolutionnaire; si nous voulons entraîner à notre suite les masses (faute de quoi nous risquons den'être plus que des bavards), nous devons d'abord aider Henderson ou Snowden à battre LloydGeorge et Churchill (et même, plus exactement : obliger les premiers - car ils redoutent leur proprevictoire! - à battre les seconds); puis aider la majorité de la classe ouvrière à se convaincre par sapropre expérience que nous avons raison, c'est-à-dire que les Henderson et les Snowden ne sontbons à rien, que ce sont des petits bourgeois perfides et que leur faillite est certaine; enfin,rapprocher le moment où, la majorité des ouvriers ayant perdu ses illusions sur le compte desHenderson, on pourra renverser d'emblée, avec de sérieuses chances de succès, le gouvernement desHenderson, qui à plus forte raison perdra la tête puisque Lloyd George, si intelligent et si posé, nonpas petit mais grand bourgeois, se montre tout à fait désorienté et se débilite lui-même (et débilite labourgeoisie) chaque jour davantage, hier par ses "tiraillements" avec Churchill, aujourd'hui par ses"tiraillements" avec Asquith.

Je serai plus précis. Les communistes anglais doivent, à mon avis, rassembler leurs quatre partis etgroupes (tous très faibles, certains même tout à fait faibles) en un seul parti communiste sur la basedes principes de la IIIe Internationale et de la participation obligatoire au parlement.

Le Parti communiste propose aux Henderson et aux Snowden un "compromis", un accord électoral:nous marchons ensemble contre la coalition de Lloyd George et des conservateurs; nous partageonsdes sièges parlementaires proportionnellement au nombre de voix données par les ouvriers soit auLabour Party, soit aux communistes (non aux élections, mais dans un vote spécial); nous gardons,pour notre part, la plus entière liberté de propagande, d'agitation, d'action politique.

Sans cette dernière condition, impossible de faire bloc, évidemment, car ce serait une trahison: lescommunistes anglais doivent exiger et s'assurer absolument la plus entière liberté de dénoncer lesHenderson et les Snowden comme l'ont fait (quinze ans durant, de 1903-1917) les bolchéviks russesà l'égard des Henderson et des Snowden russes, c'est-à-dire des menchéviks.

Si les Henderson et les Snowden acceptent le bloc à ces conditions, nous aurons gagné. Car ce quinous importe, ce n est pas du tout le nombre des sièges au parlement, nous ne courons pas après, surce point nous serons coulants (tandis que les Henderson et surtout leurs nouveaux amis - ou leursnouveaux maîtres - les libéraux passés au Parti travailliste indépendant, courent surtout après lessièges).

Nous aurons gagné, car nous porterons notre propagande dans les masses au moment même où ellesviennent d'être "mises en goût" par Lloyd George lui-même, et nous aiderons non seulement le Partitravailliste à former plus vite son gouvernement, mais encore les masses à comprendre plus vitetoute la propagande communiste que nous mènerons contre les Henderson sans la moindreréticence, sans la moindre réserve.

Si les Henderson et les Snowden refusent de faire bloc avec nous à ces conditions, nous auronsgagné encore davantage.

Car nous aurons d'un seul coup montré aux masses (notez bien que même au sein du Partitravailliste indépendant, purement menchévik, entièrement opportuniste, la masse est pour lesSoviets) que les Henderson font passer leur intimité avec les capitalistes avant l'union de tous lesouvriers.

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Nous aurons gagné du premier coup devant la masse qui, surtout après les brillantes explicationsd'une justesse supérieure, d'une utilité supérieure (pour le communisme) données par Lloyd George,sera sympathique à l'union de tous les ouvriers contre la coalition de Lloyd George avec lesconservateurs.

Nous aurons gagné du premier coup, car nous aurons démontré aux masses que les Henderson et lesSnowden ont peur de vaincre Lloyd George, de prendre seuls le pouvoir, qu'ils cherchent à s'assurersecrètement l'appui de Lloyd George qui tend ouvertement la main aux conservateurs contre leLabour Party.

A noter que chez nous, en Russie, après la révolution du 27 février 1917 (vieux style), lapropagande des bolchéviks contre les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires (c'est-à-dire lesHenderson et les Snowden russes) a dû ses succès justement à une circonstance analogue.

Nous disions aux menchéviks et aux socialistes-révolutionnaires : Prenez tout le pouvoir sans labourgeoisie, puisque vous détenez la majorité dans les Soviets (au 1er Congrès des Soviets deRussie, en juin 1917, les bolcheviks n'avaient que 13% des suffrages).

Mais les Henderson et les Snowden russes craignaient de prendre le pouvoir sans la bourgeoisie, etquand la bourgeoisie fit traîner les élections à l'Assemblée constituante, parce qu'elle savait fortbien que les socialistes-révolutionnaires et les menchéviks y auraient la majorité (D'après lesrenseignements portant sur plus de 36 millions d'électeurs, les élections à l'Assemblée constituante,en Russie, en novembre 1917, ont donné 25% des suffrages aux bolchéviks; 13% à divers partis desgrands propriétaires fonciers et de la bourgeoisie; 62% à la démocratie petite-bourgeoise, c'est-à-dire aux socialistes-révolutionnaires et aux menchéviks, ainsi qu'aux petits groupes apparentés à cespartis.) (les uns et les autres formaient un bloc politique très étroit, représentant en fait une seule etmême démocratie petite-bourgeoise), les socialistes-révolutionnaires et les menchéviks netrouvèrent pas la force de s'opposer énergiquement, à fond, à ces atermoiements.

Le refus des Henderson et des Snowden de faire bloc avec les communistes assurerait du coup lesuccès de ces derniers: la sympathie des masses et le discrédit des Henderson et des Snowden, et simême cela devait nous coûter quelques sièges au parlement, peu importe. Nous ne présenterionsdes candidats que dans un nombre infime de circonscriptions, absolument sûres, c'est-à-dire où laprésentation de nos candidats ne ferait pas passer un libéral contre un travailliste (membre duLabour Party).

Nous ferions notre propagande électorale en diffusant des tracts en faveur du communisme et eninvitant, dans toutes les circonscriptions où nous ne présenterions pas de candidats, à voter pour letravailliste contre le bourgeois. Les camarades Sylvia Pankhurst et Gallacher se trompent quand ilsvoient là une trahison envers le communisme ou une renonciation à la lutte contre les social-traîtres.

Au contraire, la cause de la révolution communiste y gagnerait sans nul doute.

Aujourd'hui, les communistes anglais ont très souvent de la peine à approcher la masse, même à sefaire écouter. Mais si, me présentant comme communiste, j'invite à voter pour Henderson contreLloyd George, on m'écoutera sûrement.

Et je pourrai expliquer de façon à être compris de tous, non seulement en quoi les Soviets sontpréférables au parlement, et la dictature du prolétariat préférable à celle de Churchill (couverte dupavillon de la "démocratie" bourgeoise), mais aussi que mon intention, en faisant voter pour

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Henderson, est de le soutenir exactement comme la corde soutient le pendu; et que lerapprochement des Henderson vers un gouvernement formé par eux prouvera que j'ai raison, mettrales masses de mon côté, hâtera la mort politique des Henderson et des Snowden, comme ce fut lecas de leurs coreligionnaires en Russie et en Allemagne.

Et si l'on m'objecte: cette tactique est trop "subtile" ou trop compliquée, elle ne sera pas comprisedes masses, elle dispersera, elle fragmentera nos forces, elle nous empêchera de les concentrer surla révolution soviétique, etc., je répondrai à mes contradicteurs "de gauche" : - N'imputez pas auxmasses votre propre doctrinarisme ! Il est certain que les masses ne sont pas plus, mais moinscultivées en Russie qu'en Angleterre.

Et pourtant elles ont compris les bolchéviks; et le fait qu'à la veille de la révolution soviétique, enseptembre 1917, les bolchéviks avaient dressé les listes de leurs candidats au parlement bourgeois(à l'Assemblée constituante), et que le lendemain de la révolution soviétique, en novembre 1917, ilsavaient pris part aux élections à cette même Assemblée constituante qu'ils devaient disperser le 5janvier 1918, - ce fait, loin d'être un empêchement aux bolchéviks, facilita leur action.

Je ne puis m'arrêter ici sur le second point qui divise les communistes anglais : Faut-il ou nonadhérer au Labour Party ? Je suis trop peu documenté sur cette question, rendue particulièrementcomplexe par l'extrême originalité du "Labour Party" britannique, trop différent, par sa structuremême, des partis politiques ordinaires du continent.

Mais une chose est certaine, c'est que, d'abord, sur cette question comme sur les autres, c'ests'exposer à une erreur fatale que de s'imaginer pouvoir déduire la tactique du prolétariatrévolutionnaire des principes dans le genre de celui-ci: "Le Parti communiste doit conserver pure sadoctrine et immaculée son indépendance vis-à-vis du réformisme; sa mission est de marcher en tête,sans s'arrêter et sans dévier de sa route, d'aller tout droit vers la révolution communiste."

En effet, de pareils principes ne font que reprendre l'erreur des communards-blanquistes de Francequi "répudiaient" hautement en 1874 tous les compromis et toutes les étapes intermédiaires.

En second lieu, il est évident qu'ici comme toujours, la tâche est de savoir appliquer les principesgénéraux et fondamentaux du communisme aux particularités des rapports entre les classes et lespartis, aux particularités du développement objectif vers le communisme, propres à chaque pays etqu'il faut savoir étudier, découvrir, deviner.

Mais ce n'est pas à propos du seul communisme anglais, c'est à l'occasion des conclusions généralesconcernant le développement du communisme dans tous les pays capitalistes que ces chosesdoivent être dites.

Et c'est le sujet que nous abordons.

X- QUELQUES CONCLUSIONS

La révolution bourgeoise de 1905, en Russie, marque un tournant extrêmement original de l'histoireuniverselle: dans un des pays capitalistes les plus arriérés, le mouvement gréviste avait atteint uneampleur et une puissance sans précédent dans le monde.

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Pendant le seul mois de janvier 1905, le nombre des grévistes fut dix fois plus élevé que lamoyenne annuelle des grévistes durant les dix années précédentes (1895-1904) ; de janvier àoctobre 1905, les grèves augmentaient sans cesse et dans de vastes proportions.

Sous l'influence d'une série de facteurs historiques très particuliers, la Russie retardataire fut lapremière à donner au monde non seulement l'exemple d'une progression par bonds, pendant larévolution, de l'activité spontanée des masses opprimées (on avait vu cela dans toutes les grandesrévolutions), mais encore l'exemple d'un prolétariat dont le rôle est infiniment supérieur à sonimportance numérique dans la population; l'exemple de la combinaison de la grève économique etde la grève politique avec transformation de cette dernière en insurrection armée, et enfin, deL'apparition d'une nouvelle forme de lutte massive et d'organisation massive des classes oppriméespar le capitalisme: les Soviets.

Les révolutions de février et d'octobre 1917 ont amené les Soviets à un développement complet àl'échelle nationale, et puis à leur triomphe dans la révolution socialiste prolétarienne. Moins dedeux ans plus tard apparaissait le caractère international des Soviets; on vit cette forme de lutte etd'organisation s'étendre au mouvement ouvrier universel, et s'affirmer la mission historique desSoviets, fossoyeurs, héritiers, successeurs du parlementarisme bourgeois, de La démocratiebourgeoise en général.

Bien plus.

L'histoire du mouvement ouvrier montre aujourd'hui que dans tous les pays, le communismenaissant, grandissant, marchant à la victoire, est appelé à traverser une période de lutte (qui a déjàcommencé), d'abord et surtout, contre le "menchévisme" propre (de chaque pays), c'est-à-direl'opportunisme et le social-chauvinisme; puis, à titre de complément, pour ainsi dire, contre lecommunisme "de gauche".

La première de ces luttes s'est déroulée dans tous les pays, sans une seule exception, que je sache,sous la forme d'un duel entre la IIde Internationale (aujourd'hui pratiquement tuée) et la IIIème.

L'autre lutte s'observe en Allemagne et en Angleterre, en Italie et en Amérique (où nous voyons unepartie au moins des "Ouvriers industriels du monde" et des tendances anarcho-syndicalistes,défendre les erreurs du communisme de gauche, tout en reconnaissant d'une façon à peu prèsgénérale, presque sans réserve, le système soviétique); elle s'observe aussi en France (attitude d'uneportion des anciens syndicalistes - qui reconnaissent également le système soviétique - envers lespartis politiques et le parlementarisme); c'est dire qu'elle s'observe incontestablement à une échellenon seulement internationale, mais même universelle.

Mais, bien que l'école préparatoire qui conduit le mouvement ouvrier à la victoire sur la bourgeoisiesoit au fond partout la même, ce développement s'accomplit dans chaque pays à sa manière. Lesgrands Etats capitalistes avancés parcourent ce chemin beaucoup plus vite que le bolchévisme,auquel l'histoire avait imparti un délai de quinze ans pour se préparer à la victoire en tant quetendance politique organisée. La IIIème Internationale a déjà remporté, dans le court délai d'uneannée, une victoire décisive, en battant la IIde Internationale jaune, social-chauvine qui, il y aquelques mois encore, était infiniment plus forte que la IIIème Internationale, semblait solide etpuissante, jouissait de l'appui total, direct et indirect, matériel (sinécures ministérielles, passeports,presse) et idéologique de la bourgeoisie mondiale.

L'essentiel aujourd'hui est que les communistes de chaque pays prennent bien conscience, d'unepart, des objectifs fondamentaux - objectifs de principe - de la lutte contre l'opportunisme et le

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doctrinarisme "de gauche", et de l'autre, des particularités concrètes que cette lutte revêt et doitinévitablement revêtir dans chaque pays, conformément aux caractères spécifiques de sonéconomie, de sa politique, de sa culture, de sa composition nationale (Irlande, etc.), de ses colonies,de ses divisions religieuses, etc., etc.

On sent partout s'élargir et grandir le mécontentement contre la II~ Internationale, tant à cause deson opportunisme que de son inaptitude ou de son incapacité à créer un organisme véritablementcentralisé, un véritable centre dirigeant propre à orienter la tactique internationale du prolétariatrévolutionnaire dans sa lutte pour la république soviétique universelle.

Il faut bien se rendre compte qu'un pareil centre de direction ne peut, en aucun cas, bâtir son activitésur le stéréotypage, le nivellement mécanique, l'identification des règles tactiques de lutte.

Aussi longtemps que des distinctions nationales et politiques existent entre les peuples et les pays,-distinctions qui subsisteront longtemps, très longtemps, même après l'établissement de la dictaturedu prolétariat à l'échelle mondiale, - l'unité de tactique internationale du mouvement ouvriercommuniste de tous les pays veut, non pas l'effacement de toute diversité, non pas la suppressiondes distinctions nationales (à l'heure actuelle c'est un rêve insensé), mais une application desprincipes fondamentaux du communisme (pouvoir des Soviets et dictature du prolétariat), quimodifie correctement ces principes dans les questions de détail, les adapte et les ajuste comme ilconvient aux particularités nationales et politiques.

Rechercher, étudier, découvrir, deviner, saisir ce qu'il y a de particulièrement national, despécifiquement national dans la manière concrète dont chaque pays aborde la solution du problèmeinternational, le même pour tous: vaincre l'opportunisme et le dogmatisme de gauche au sein dumouvement ouvrier, renverser la bourgeoisie, instaurer la République des Soviets et la dictature duprolétariat, telle est, au moment historique que nous traversons, la principale tâche assignée à tousles pays avancés (et pas seulement avancés).

L'essentiel - pas tout évidemment, tant s'en faut, mais cependant l'essentiel - est déjà fait pour attirerl'avant-garde de la classe ouvrière et la faire passer du côté du pouvoir des Soviets contre leparlementarisme, du côté de la dictature du prolétariat contre la démocratie bourgeoise.

Il faut concentrer maintenant toutes les forces, toute l'attention sur l'étape suivante qui semble être,et est réellement, à un certain point de vue, moins fondamentale, mais cependant plus proche de lasolution pratique du problème, à savoir: la recherche des formes pour passer à la révolutionprolétarienne ou l'aborder.

L'avant-garde prolétarienne est conquise idéologiquement.

C'est le principal. Autrement, faire même un premier pas vers la victoire serait impossible. Mais delà à la victoire, il y a encore assez loin.

On ne peut vaincre avec l'avant-garde seule. Jeter l'avant-garde seule dans la bataille décisive, tantque la classe tout entière, tant que les grandes masses n'ont pas pris soit une attitude d'appui direct àl'avant-garde, soit tout au moins de neutralité bienveillante, qui les rende complètement incapablesde soutenir son adversaire, ce serait une sottise, et même un crime.

Or, pour que vraiment la classe tout entière, pour que vraiment les grandes masses de travailleurs etd'opprimés du Capital en arrivent à une telle position, la propagande seule, l'agitation seule nesuffisent pas. Pour cela, il faut que ces masses fassent leur propre expérience politique. Telle est la

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loi fondamentale de toutes les grandes révolutions, loi confirmée maintenant avec une force et unrelief frappants, non seulement par la Russie, mais aussi par l'Allemagne. Ce ne sont pas seulementles masses ignorantes, souvent illettrées, de Russie, ce sont aussi les masses d'Allemagne,hautement cultivées, sans un seul analphabète, qui ont dû éprouver à leurs dépens toute la faiblesse,toute la veulerie, toute l'impuissance, toute la servilité devant la bourgeoisie, toute la lâcheté dugouvernement des paladins de la lie Internationale, le caractère inévitable de la dictature des ultra-réactionnaires (Kornilov en Russie, Kapp et consorts en Allemagne), seule alternative en face de ladictature du prolétariat, pour se tourner résolument vers le communisme.

L'objectif immédiat de l'avant-garde consciente du mouvement ouvrier international, c'est-à-dire despartis, groupes et tendances communistes, c'est de savoir amener les larges masses (encoresomnolentes, apathiques, routinières, inertes, engourdies, dans la plupart des cas) à cette positionnouvelle ou plutôt de savoir conduire non seulement son parti, mais aussi les masses en traind'arriver, de passer à cette nouvelle position.

Si le premier objectif historique (attirer l'avant-garde consciente du prolétariat aux côtés du pouvoirdes Soviets et de la dictature de la classe ouvrière) ne pouvait être atteint sans une victoirecomplète, idéologique et politique, sur l'opportunisme et le social-chauvinisme, le second objectifqui devient d'actualité et qui consiste à savoir amener les masses à cette position nouvelle, propre àassurer la victoire de l'avant-garde dans la révolution, cet objectif actuel ne peut être atteint sansliquidation du doctrinarisme de gauche, sans réfutation décisive et élimination complète de seserreurs.

Tant qu'il s'agissait (et dans la mesure où il s'agit encore) de rallier au communisme l'avant-garde duprolétariat, la propagande s'est située au premier plan; même les petits cercles de propagande sontutiles et féconds en dépit des défauts qui leur sont inhérents.

Mais quand il s'agit de l'action pratique des masses, de la distribution - s'il m'est permis dem'exprimer ainsi - d'armées fortes de millions d'hommes, de la répartition de t o u t e s les forces declasse d'une société donnée en vue du combat final et décisif, on ne fera rien avec les seulesméthodes de propagande, avec la seule répétition des vérités du communisme "pur".

Il ne faut pas compter ici par milliers, comme le fait en somme le propagandiste, membre d'ungroupe restreint et qui n'a pas encore dirigé les masses; il faut compter ici par millions et pardizaines de millions.

Il ne suffit pas de se demander si l'on a convaincu l'avant-garde de la classe révolutionnaire; il fautencore savoir si les forces historiquement agissantes de toutes les classes, absolument de toutes lesclasses sans exception, d'une société donnée, sont disposées de façon que la bataille décisive soitparfaitement à point, - de façon :

1 que toutes les forces de classe qui nous sont hostiles soient suffisamment en difficulté, se soientsuffisamment entre-déchirées, soient suffisamment affaiblies par une lutte au-dessus de leursmoyens;

2 que tous les éléments intermédiaires, hésitants, chancelants, inconstants - la petite bourgeoisie, ladémocratie petite-bourgeoise par opposition à la bourgeoisie - se soient suffisamment démasquésaux yeux du peuple, suffisamment déshonorés par leur faillite pratique; qu'au sein du prolétariat unpuissant mouvement d'opinion se fasse jour en faveur de l'action la plus décisive, la plus résolumenthardie et révolutionnaire contre la bourgeoisie.

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C'est alors que la révolution est mûre; c'est alors que, si nous avons bien tenu compte de toutes lesconditions indiquées, sommairement esquissées plus haut, et si nous avons bien choisi le moment,notre victoire est assurée.

Les divergences de vues entre les Churchill et les Lloyd George d'une part, - ces types d'hommespolitiques existent dans tous les pays, sauf des différences nationales insignifiantes, - et puis entreles Henderson et les Lloyd George d'autre part, sont dérisoires et absolument dénuées d'importancedu point de vue du communisme pur, c'est-à-dire abstrait, c'est-à-dire qui n'est pas assez mûr pourune action de masse, politique et pratique.

Mais du point de vue de cette action pratique des masses, ces différences sont d'une importanceextrême. Pour un communiste qui veut être non seulement un propagandiste conscient, convaincu,théoriquement averti, mais un guide pratique pour les masses dans la révolution, c'est un pointcapital que de tenir compte de ces différences, de savoir déterminer le moment où seront arrivés àpleine maturité les conflits inévitables entre ces "amis", conflits qui affaiblissent et débilitent tousCes "amis" pris ensemble. Le plus strict dévouement aux idées du communisme doit s'allier à l'art de consentir tous lesindispensables compromis pratiques, louvoiements, zigzags, manoeuvres de conciliation et deretraite, etc., afin de hâter l'avènement et puis l'usure du pouvoir politique des Henderson (héros dela lie Internationale, pour ne pas désigner nommément ces représentants de la démocratie petite-bourgeoise qui se disent socialistes); afin de hâter pratiquement leur inévitable faillite, qui éclairerales masses justement dans l'esprit qui est le nôtre, justement dans le sens du communisme; afin dehâter les inévitables frictions, querelles, conflits, le complet divorce entre les I-Ienderson, les LloydGeorge, les Churchill (entre menchéviks et socialistes-révolutionnaires, cadets et monarchistes;entre les Scheidemann, la bourgeoisie et les affidés de Kapp, etc.); et afin de choisir de façonjudicieuse le moment où la dislocation sera la plus grande entre tous ces "soutiens de la sacrosaintepropriété privée", pour les battre tous par une attaque décisive du prolétariat et conquérir le pouvoirpolitique.

L'histoire en général, et plus particulièrement l'histoire des révolutions, est toujours plus riche decontenu, plus variée, plus multiforme, plus vivante, "plus ingénieuse" que ne le pensent lesmeilleurs partis, les avant-gardes les plus conscientes des classes les plus avancées.

Et cela se conçoit, puisque les meilleures avant-gardes expriment la conscience, la volonté, lapassion, l'imagination de dizaines de mille hommes, tandis que la révolution est, - en des momentsd'exaltation et de tension particulières de toutes les facultés humaines, - l'oeuvre de la conscience,de la volonté, de la passion, de l'imagination de dizaines de millions d'hommes aiguillonnés par laplus âpre lutte des classes.

De là deux conclusions pratiques d'une grande importance: la première, c'est que la classerévolutionnaire, pour remplir sa tâche, doit savoir prendre possession de toutes les formes et de tousles côtés, sans la moindre exception, de l'activité sociale (quitte à compléter, après la conquête dupouvoir politique et parfois au prix d'un grand risque et d'un danger énorme, ce qu'elle n'aura pasterminé avant cette conquête); la seconde, c'est que la classe révolutionnaire doit se tenir prête àremplacer vite et brusquement une forme par une autre.

On conviendra qu'elle serait déraisonnable ou même criminelle, la conduite d'une armée quin'apprendrait pas à manier toutes les armes, tous les moyens et procédés de lutte dont dispose oudont peut disposer l'ennemi.

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Or cette vérité s'applique mieux encore à la politique qu'à l'art militaire. On peut moins encoreprévoir en politique quel moyen de lutte se révélera, dans telles ou telles situations futures,praticable ou avantageux pour nous.

Ne pas savoir user de tous les moyens de lutte, c'est risquer une grande défaite, -parfois mêmedécisive, - pour peu que des changements indépendants de notre volonté, survenus dans la situationdes autres classes, mettent à l'ordre du jour une forme d'action où nous serions particulièrementfaibles.

Si nous savons user de tous les moyens de lutte, nous triomphons à coup sûr, puisque noustraduisons les intérêts de la classe réellement avancée, réellement révolutionnaire, même si lescirconstances ne nous permettent pas de faire usage de l'arme la plus dangereuse pour l'ennemi, decelle qui porte le plus vite des coups mortels.

Les révolutionnaires sans expérience pensent souvent que les moyens de lutte légaux sont entachésd'opportunisme, car c'est sur ce terrain que la bourgeoisie a le plus souvent (surtout en des temps"pacifiques", non révolutionnaires) trompé et mystifié les ouvriers; et que les moyens de lutteillégaux sont révolutionnaires.

Mais c'est faux. Ce qui est vrai, c'est que sont opportunistes et traîtres à la classe ouvrière les partiset les chefs qui ne savent pas ou ne veulent pas (ne dis pas: je ne peux pas, dis: je ne veux pas) userdes moyens de lutte illégaux dans une situation comme, par exemple, celle de la guerre impérialistede 1914-1918, où la bourgeoisie des pays démocratiques les plus libres trompait les ouvriers avecun cynisme et une frénésie sans nom, en interdisant de dire la vérité sur le caractère spoliateur de laguerre.

Mais les révolutionnaires qui ne savent pas allier aux formes illégales de lutte toutes les formeslégales sont de bien mauvais révolutionnaires. Il n'est pas difficile d'être un révolutionnaire quand larévolution a éclaté déjà et bat son plein; quand tout un chacun s'y rallie par simple engouement,pour suivre la mode, parfois même pour faire carrière.

Sa "libération" de ces piètres révolutionnaires, le prolétariat doit la payer plus tard, après sa victoire,par des efforts inouïs, par un martyre douloureux, pourrait-on dire.

Il est beaucoup plus difficile - et beaucoup plus précieux - de se montrer révolutionnaire quand lasituation ne permet pas encore la lutte directe, déclarée, véritablement massive, véritablementrévolutionnaire, de savoir défendre les intérêts de la révolution (par la propagande, par l'agitation,par l'organisation) dans des institutions non révolutionnaires, voire nettement réactionnaires, dansune ambiance non révolutionnaire, parmi des masses incapables de comprendre tout de suite lanécessité d'une méthode d'action révolutionnaire. Savoir trouver, pressentir, déterminer exactementla voie concrète ou le tour spécial des événements, qui conduira les masses vers la grande lutterévolutionnaire véritable, décisive et finale: tel est le principal objet du communisme actuel enEurope occidentale et en Amérique.

Exemple: l'Angleterre. Nous ne pouvons pas savoir, -et personne ne peut déterminer par avance, -quand éclatera là-bas la vraie révolution prolétarienne et quel motif contribuera le plus à éveiller, àenflammer, à pousser à la lutte les .masses les plus grandes, aujourd'hui encore assoupies.

Nous sommes donc obligés de conduire tout notre travail préparatoire de façon à être ferrés desquatre pieds, selon le mot de feu Plékhanov à l'époque où il était marxiste et révolutionnaire.

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Il se peut qu'une crise parlementaire "fasse la trouée", "rompe la glace"; il se peut qu'une crisenaisse de la confusion inextricable, de l'aggravation et de l'exaspération chaque jour croissantes desantagonismes coloniaux et impérialistes; peut-être autre chose encore, etc.

Nous ne parlons pas du genre de lutte qui décidera du sort de la révolution prolétarienne enAngleterre (cette question ne suscite de doute dans l'esprit d'aucun communiste; elle est résoluepour nous tous, et résolue une fois pour toutes).

Nous parlons du motif qui incitera les masses prolétariennes, aujourd'hui encore assoupies, à semettre en mouvement et les amènera au seuil de la révolution. N'oublions pas qu'il a suffi dans larépublique française bourgeoise, par exemple, en face d'une situation qui, tant au point de vueinternational qu'au point de vue intérieur, était cent fois moins révolutionnaire qu'aujourd'hui, d'unecirconstance aussi "imprévue" et aussi "insignifiante" qu'une de ces mille et mille fourberiesmalhonnêtes du militarisme réactionnaire (l'affaire Dreyfus), pour mettre le peuple à deux doigts dela guerre civile!

En Angleterre, les communistes doivent sans cesse, sans relâche, sans défaillance tirer parti à la foisdes élections parlementaires et de toutes les péripéties de la politique irlandaise, coloniale,impérialiste du gouvernement britannique dans le monde entier, ainsi que de tous les autresdomaines, sphères et aspects de la vie sociale; ils doivent travailler partout dans un esprit nouveau,dans l'esprit du communisme, de la III Internationale, et non de la II.

Ce n'est ici ni le temps ni le lieu de décrire les modalités de la participation "russe", "bolchévique",aux élections et à la lutte parlementaires; je tiens cependant à assurer les communistes de l'étrangerqu'elles ne ressemblaient en rien aux habituelles campagnes parlementaires de l'Europe occidentale.

On en conclut souvent: "Il en va ainsi chez vous, en Russie, mais notre parlementarisme estdifférent." Conclusion fausse. Les communistes, les partisans de la IIIe Internationale dans tous lespays sont précisément là pour changer sur toute la ligne, dans tous les domaines de la vie, le vieuxtravail socialiste, trade unioniste, syndicaliste et parlementaire, en un travail nouveau, communiste.Des traits opportunistes et purement bourgeois, des traits d'affairisme et de fourberie capitaliste sesont aussi manifestés surabondamment dans nos élections.

Les communistes d'Europe occidentale et d'Amérique doivent apprendre à créer un parlementarismenouveau, inaccoutumé, non opportuniste, non arriviste: il faut que le Parti communiste formule sesmots d'ordre; que les vrais prolétaires, aidés des éléments pauvres, inorganisés et entièrementécrasés, répandent et distribuent des tracts, visitent le domicile des ouvriers, les chaumières desprolétaires ruraux et des paysans des hameaux perdus (heureusement que dans le reste de l'Europe ily a beaucoup moins de hameaux perdus qu'en Russie; en Angleterre ils sont très peu nombreux);qu'ils pénètrent dans les cabarets tout ce qu'il y a de plus peuple, s'insinuent dans les associations,sociétés, rassemblements fortuits les plus populaires; qu'ils parlent au peuple, mais pas un langaged'érudit (et pas trop parlementaire); qu'ils ne courent pas le moins du monde après un "siège" auparlement, mais éveillent partout la pensée, entraînent la masse, prennent au mot la bourgeoisie,utilisent l'appareil qu'elle a créé, les élections qu'elle a fixées, les appels qu'elle adresse au peupleentier; qu'ils fassent connaître le bolchévisme au peuple comme jamais (en régime bourgeois) on n'apu le faire en dehors des périodes électorales (exception faite bien entendu pour les grandes grèvesoù le même appareil de propagande populaire fonctionnait chez nous avec plus d'intensité encore).

Chose difficile, extrêmement difficile à réaliser en Europe occidentale et en Amérique; mais onpeut et l'on doit s'acquitter de cette tâche; car, d'une façon générale, on ne saurait, sans fournir uneffort, atteindre les objectifs du communisme.

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Et il s'agit de travailler à l'accomplissement de tâches pratiques de plus en plus variées, de plus enplus liées à toutes les branches de la vie sociale et permettant de conquérir une branche, un domaineaprès l'autre, sur la bourgeoisie.

Il faut aussi, dans cette même Angleterre, procéder d'une façon nouvelle (pas en socialistes, mais encommunistes, pas en réformistes, mais en révolutionnaires) au travail de propagande, d'agitation etd'organisation dans l'armée et parmi les nationalités opprimées ou ne jouissant pas de la plénitudedes droits dans "leur" Etat (Irlande, colonies).

Car dans tous ces domaines de la vie sociale; à l'époque de l'impérialisme en général et maintenantsurtout, après une guerre qui, ayant épuisé les peuples, leur ouvre rapidement les yeux sur la vérité(à savoir que des dizaines de millions d'hommes ont été tués et mutilés uniquement pour déciderlequel des deux rapaces, anglais ou allemand, pillerait le plus de pays), dans tous ces domaines dela vie sociale, on voit s'accumuler des matières inflammables et se créer de nombreuses causes deconflits, de crises et d'aggravation de la lutte de classe.

Nous ne savons pas, nous ne pouvons savoir quelle étincelle - dans cette masse d'étincelles quijaillissent maintenant de partout, dans tous les pays, sous l'influence de la crise économique etpolitique mondiale, - pourra allumer l'incendie, dans le sens d'un éveil particulier des masses.

Aussi devons-nous mettre en action nos nouveaux principes, les principes communistes, pour"préparer" tous les terrains, même les plus anciens, les plus amorphes et les plus stériles enapparence, sinon nous ne serons pas à la hauteur de notre tâche, nous serons exclusifs, nous neprendrons pas possession de toutes les armes, nous ne nous préparerons ni à la victoire sur labourgeoisie (qui a organisé - et maintenant désorganisé - tous les aspects de la vie sociale sur lemode bourgeois), ni à la future réorganisation communiste de toute la vie, après cette victoire.

Depuis la révolution prolétarienne de Russie et les victoires inattendues - pour la bourgeoisie et lesphilistins, -remportées par cette révolution à l'échelle internationale, l'univers entier est devenu toutautre, la bourgeoisie de même a changé partout.

Elle redoute le "bolchévisme", elle est exaspérée contre lui jusqu'à en perdre la raison.

Et c'est précisément pourquoi, d'une part, elle précipite le cours des événements; de l'autre, attentiveà réprimer violemment le bolchévisme, elle affaiblit par là ses propres positions sur toute une séried'autres terrains.

Ces deux circonstances, les communistes de tous les pays avancés doivent en tenir compte dans leurtactique.

Lorsque les cadets russes et Kérenski déclenchèrent une campagne forcenée contre les bolchéviks -surtout, depuis avril 1917 et plus encore en juin et juillet, - ils "forcèrent la note". Les millionsd'exemplaires de journaux bourgeois, qui clamaient sur tous les modes contre les bolchéviks,permirent aux masses de juger le bolchévisme; et puis, en dehors de la presse, toute la vie sociale,précisément grâce au "zèle" de la bourgeoisie, s'emplissait de discussions sur le bolchévisme.Maintenant, à l'échelle internationale, les millionnaires de tous les pays se comportent de telle façonque nous devons leur être profondément reconnaissants.

Ils persécutent le bolchévisme avec autant de zèle que le firent Kérenski et Cie; ils "forcent la note",et ils nous aident tout comme Kérenski.

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Quand la bourgeoisie française fait du bolchévisme le centre de l'agitation électorale, taxant debolchévisme des socialistes relativement modérés ou hésitants; quand la bourgeoisie américaine,perdant complètement la tête, appréhende des milliers et des milliers d'hommes soupçonnés debolchévisme et crée une atmosphère de panique en répandant partout des nouvelles sur les complotsbolchéviks; quand la bourgeoisie anglaise, la "plus sérieuse" de toutes dans le monde, commet,malgré toute son intelligence et toute son expérience, d'invraisemblables sottises, fonde d'opulentes"sociétés de lutte contre le bolchévisme", crée une littérature spéciale sur le bolchévisme, recrutepour faire la guerre au bolchévisme un personnel supplémentaire de savants, d'agitateurs, de prêtres,- nous devons saluer et remercier messieurs les capitalistes.

Ils travaillent pour nous. Ils nous aident à intéresser les masses à la substance même et au rôle dubolchévisme.

Ils ne peuvent pas agir autrement, puisque leurs efforts pour "taire", pour étouffer le bolchévismeont déjà avorté.

Cependant la bourgeoisie ne voit à peu près qu'un seul aspect du bolchévisme: l'insurrection, laviolence, la terreur; aussi bien, elle s'efforce de se préparer à la résistance et à la riposte de ce côté-là surtout.

Il se peut qu'elle réussisse dans certains cas, dans certains pays, pour des intervalles de temps plusou moins courts: cette éventualité doit être envisagée, et nous n'avons absolument rien à redouter decette réussite.

Le communisme "surgit" littéralement de tous les points de la vie sociale; il éclôt décidémentpartout; la "contagion" (pour nous servir d'un terme de comparaison affectionné de la bourgeoisie etde la police bourgeoise, et qui leur est le plus "agréable") a pénétré à fond l'organisme et l'aimprégné tout entier.

Que l'on "bouche" avec un soin particulier une des issues, la "contagion" en trouvera une autre,parfois la plus imprévisible.

La vie l'emportera.

La bourgeoisie peut bien se démener, s'irriter jusqu'à en perdre la raison, forcer la note, commettredes sottises, se venger par avance des bolchéviks et tâcher de massacrer (dans les Indes, en Hongrie,en Allemagne, etc.) de nouvelles centaines, des milliers, des centaines de milliers de bolchéviks dedemain ou d'hier: en agissant de la sorte, la bourgeoisie agit comme l'ont fait toutes les classescondamnées par l'histoire.

Les communistes doivent savoir que l'avenir leur appartient en tout état de cause. Et c'est pourquoinous pouvons (et devons) unir, dans la grande lutte révolutionnaire, l'ardeur la plus passionnée auplus grand sang-froid et à l'estimation la plus réfléchie des convulsions forcenées de la bourgeoisie.

La révolution russe a été cruellement battue en 1905; les bolchéviks russes furent battus en juillet1917; plus de 15000 communistes allemands furent massacrés à la suite des savantes provocationset adroites manoeuvres de Scheidemann et Noske alliés à la bourgeoisie et aux générauxmonarchistes; la terreur blanche est déchaînée en Finlande et en Hongrie.

Mais dans tous les pays et dans toutes les circonstances, le communisme s'aguerrit et grandit.

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Il jette de si profondes racines que les persécutions, loin de l'affaiblir et de le débiliter, le rendentplus fort. Il ne nous manque qu'une chose pour marcher à la victoire avec plus d'assurance et defermeté, à savoir: le sentiment net et profond, chez les communistes de tous les pays, de la nécessitéd'avoir le maximum de souplesse dans leur tactique.

Ce qui aujourd'hui manque au communisme, d'une si belle venue, dans les pays avancés surtout, cest cette conscience et l'art de s'en inspirer dans la pratique.

Ce qui est advenu à des marxistes d'une aussi haute érudition, à des chefs de la IIe Internationaleaussi dévoués au socialisme que Kautsky, Otto Bauer et autres, pourrait (et devrait) être une utileleçon.

Ils comprenaient parfaitement la nécessité d'une tactique souple; ils avaient appris eux-mêmes et ilsenseignaient aux autres la dialectique marxiste (et beaucoup de ce qui a été fait par eux dans cedomaine restera à jamais parmi les acquisitions précieuses de la littérature socialiste); mais aumoment d'app1iquer cette dialectique, ils commirent une erreur si grande, ou se révélèrentpratiquement de tels non-dialecticiens, des hommes tellement incapable d'escompter les promptschangements de forme et la rapide entrée d'un contenu nouveau dans les formes anciennes, que leursort n'est guère plus enviable que celui de Hyndman, de Guesde et de Plékhanov.

La cause essentielle de leur faillite, c'est qu'ils se sont laissé "hypnotiser" par une seule des formesde croissance du mouvement ouvrier et du socialisme, forme dont ils ont oublié le caractère limité;ils ont eu peur de voir le bouleversement rendu inévitable par les conditions objectives, et ils ontcontinué à répéter des vérités élémentaires, apprises par coeur, aussi indiscutables à première vueque: trois c'est plus que deux.

Or, la politique ressemble plus à l'algèbre qu'à l'arithmétique, et encore plus aux mathématiquessupérieures qu'aux mathématiques élémentaires.

En réalité, toutes les formes anciennes du mouvement socialiste se sont remplies d'une substancenouvelle; de ce fait un nouveau signe, le signe "moins", est apparu devant les chiffres, tandis quenos sages ont continué opiniâtrement (et continuent encore) à se persuader et à persuader les autresque "moins trois", c'est plus que "moins deux".

Tâchons que les communistes ne commettent pas la même erreur dans un autre sens, ou plutôt quecette même erreur, commise dans un autre sens par les communistes "de gauche", soit corrigée leplus vite et avec le moins de suites possibles pour l'organisme.

Le doctrinarisme de gauche est aussi une erreur, pas seulement le doctrinarisme de droite.

Evidemment, l'erreur représentée par le doctrinarisme de gauche dans le mouvement communisteest, à l'heure présente, mille fois moins dangereuse et moins grave que l'erreur représentée par ledoctrinarisme de droite (c'est-à-dire le social-chauvinisme et le kautskisme); mais cela vientuniquement de ce que le communisme de gauche est une tendance de formation récente, qui ne faitque de naître.

C'est d'ailleurs la seule raison pour laquelle la maladie peut être, dans certaines conditions,facilement guérie, et il faut en entreprendre la guérison avec le maximum d'énergie.Les formes anciennes ont éclaté, leur nouveau contenu - contenu antiprolétarien, réactionnaire -ayant atteint un développement démesuré.

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Notre activité (pour le pouvoir des Soviets, pour la dictature du prolétariat) a maintenant, au pointde vue du développement du communisme international, un contenu si solide, si vigoureux, sipuissant qu'il peut et doit se manifester sous n'importe quelle forme, nouvelle ou ancienne; il peut etdoit changer, vaincre, se soumettre toutes les formes, anciennes aussi bien que nouvelles, - nonpoint pour s'accommoder des formes anciennes, mais pour savoir faire de toutes les formes, qu'ellessoient anciennes ou nouvelles, un instrument de la victoire du communisme, victoire définitive ettotale, décisive et sans retour.

Les communistes doivent appliquer tous leurs efforts pour orienter le mouvement ouvrier, et engénéral l'évolution sociale, par la voie la plus directe et la plus rapide, vers le triomphe universel dupouvoir des Soviets et vers la dictature du prolétariat.

C'est là une vérité indiscutable. Mais il suffit de faire le moindre pas au-delà, - un pas accompli,semble-t-il, dans la même direction, - pour que cette vérité se change en erreur.

Il n'est que de dire, comme les communistes de gauche d'Allemagne et d'Angleterre, que nous nereconnaissons qu'une seule voie, la voie directe; que nous n'admettons ni louvoiements, ni accords,ni compromis, et ce sera tomber dans une erreur qui peut porter, qui partiellement a déjà porté etporte les plus graves préjudices au communisme. Le doctrinarisme de droite s'entête à n'admettreque les formes anciennes, il a fait complètement faillite, n'ayant pas remarqué le nouveau contenu.Le doctrinarisme de gauche s'obstine dans la négation absolue d'anciennes

formes déterminées, sans voir que le nouveau contenu s'ouvre un chemin à travers toutes les formespossibles et imaginables; que notre devoir de communistes est de prendre possession de toutes cesformes, d'apprendre à les compléter aussi rapidement que possible l'une par l'autre, à les remplacerl'une par l'autre, à adapter notre tactique à tout changement qui n'aura pas été suscité par notreclasse ou par nos efforts.

La révolution universelle est si puissamment stimulée et accélérée par les horreurs, lesabominations, les turpitudes de la guerre impérialiste mondiale, par la situation sans issue qui enrésulte; cette révolution se développe en étendue et en profondeur avec une si surprenante rapidité,avec une si riche diversité de formes qui se succèdent, avec une réfutation pratique si édifiante detout ce qui est doctrinaire, qu'il y a toutes les raisons d'espérer la guérison prompte et définitive dumouvement communiste international atteint de cette maladie infantile qu'est le communisme "degauche".

27 avril 1920.