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1 Halifax, F´ evrier-Mars 2010 Et l’homme cassa l’atome par Philippe Fullsack Membre du conseil de l’Alliance Fran¸ caise Halifax [email protected]

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Halifax, Fevrier-Mars 2010

Et l’homme cassa l’atome

par

Philippe Fullsack

Membre du conseil de l’Alliance Francaise [email protected]

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“Si tu penses que les atomes, principes des choses, peuvent trouver le repos et dansce repos engendrer toujours de nouveaux mouvements, tu te trompes et t’egares loin de laverite..” – Lucrece

“Anyone who expects a source of power from the transformation of the atom is talkingmoonshine” –Ernest Rutherford

Il ne fait aucun doute que la physique nucleaire a contribue a faconner le 20eme siecle ade mutiples egards. Qu’on pense a la recherche fondamentale, au role de cette discipline dansl’histoire et la geopolitique, ou aux impacts profonds qu’elle a eus sur la vie quotidienne,et l’on devient songeur en pensant que ces bouleversements ont eu comme origine unedecouverte fortuite et l’extraordinaire sagacite d’une ou deux generations de scientifiques,hommes et femmes.

On est enclin alors de se demander ce qui s’est passe, de reprendre l’echeveau et d’ensuivre le fil pour apercevoir ici ou la le pourquoi et le comment de ces transformations quibien souvent nous depassent completement, tant est complexe de tissus de relations au seinmeme de l’atome.

Car c’est de cela qu’il s’agit. Les philosophes grecs Democrite et Lucrece avaient concula theorie atomique par une demarche intellectuelle et dialectique exemplaire, en cherchanta synthetiser deux systemes de pensee apparemment irreconcilables : celui, immobile etunifiant de Parmenide, et le fluide et mouvant point de vue d’Heraclite. L’atome, par sanature unique et insecable, devenait la partie ’parmenidienne’ de ce nouveau systeme, etl’introduction du vide, invention aussi fantastique que celle du zero en arithmetique, leplongeait dans sa dimension fluide reconcilatrice.

Cette theorie, purement speculative, fit son chemin dans les esprits et c’est par la chimiequ’elle entra dans le domaine du verifiable. Mieux, elle s’imposa comme image fondatricede la constitution de la matiere.

Bien sur, il faut garder en tete la distinction entre philosophie et physique. Les ato-mistes grecs formulaient ce qui etait selon eux l’essence du monde materiel. Les chimistesdu dix-huitieme siecle cherchaient une explication rationnelle a certaines observations quiimpliquaient des rapports constants entiers dans les reactions chimiques, et firent appel al’atome lorsqu’ils eurent compris qu’ils pouvaient s’en servir de brique de base, indivisible,des edifices chimiques.

Les atomes etaient-ils essentiels ? Existaient-ils reellement ? Pourrait-on les voir ou bienles scientifiques ne les utilisaient-ils que comme une commodite dans leur besoin d’exprimerdes relations entre certaines observations ? Paradoxalement, lorsqu’on put, enfin, avoir lapreuve directe de l’existence des atomes (fournie par Einstein en 1905 avec son fameuxarticle contenant l’explication atomique du mouvement brownien), on avait deja ressentiles premisses d’une fissure dans le magnifique crescendo atomique.

Les tremblements qui ebranlerent tout l’edifice vinrent de la decouverte extraordinaired’une nouvelle lumiere. C’est de ces palpitant debuts qu’il sera question dans ce document.

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L’auteur a suivi de pres l’exposition du magnifique livre de M. Korsunsky sur le noyauatomique. Il est d’avis que ce type d’exposition permet de comprendre les motivations etla methodologie d’un champ repute obscur pour les non-specialistes. Visiter le contextehistorique semble aussi necessaire pour les apprenants de ce domaine de la connaissance,s’ils veulent aller au-dela de la simple manipulation mecanique d’un arsenal de recettes.

Si ce recit s’adresse au grand public, il sera entrecoupe de remarques parfois plus tech-niques comme, par exemple, une discussion de la regle d’or de Fermi.

Bonne lecture !

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Chapitre 1

La radioactivite

1.1 La decouverte de Becquerel

1.1.1 Nouveaux rayons

En 1912, l’eminent chercheur brittanique Ernest Rutherford parvenait pour la premierefois a obtenir la preuve de l’existence d’un noyau atomique. Mais c’est plus tot que debutel’histoire de nos connaissances au sujet du noyau atomique.

La chronique nucleaire doit en fait commencer en1896. Ce point de depart est marquepar une erreur scientifique ou, pour etre plus precis, par une hypothese scientifique incor-recte.

La question concernait alors la nature des mysterieux rayons decouverts recemment(1895) par le chercheur allemand Roentgen. La totalite de la communaute scientifiqueinternationale etait subjuguee par cette decouverte. Le travail de Roentgen fut l’objet demoultes analyses et discussions. Le chercheur francais Henri Becquerel avait pris note dela remarque de Roentgen que les rayons X invisibles qu’il avait decouverts emergeaient del’extremite du tube de verre en produisant une lumiere vert-jaunatre qui ressemblait a lalumiere des substances fluorescentes.

La lueur vert-jaunatre et les rayons X sortaient vraiment par le meme endroit du tube.Ce ne pouvait pas etre un hasard. Roentgen parvenait toujours a cette association chaquefois qu’il y avait production de rayons X dans le tube.

Becquerel avait deja passe beaucoup de temps a etudier diverses substances radioactivesqui sous l’action de la lumiere du soleil, se mettent a irradier leur propre et tres particulierelumiere. L’idee qui motivait les experiences de Becquerel etait simple : la fluorescencen’etait-elle pas la cause des rayons X ? Peut-etre la fluorescence s’accompagnait-elle toujoursde rayons X ? Aujourd’hui, a la lumiere de nos connaissances sur la constitution de l’atomeet sur la nature des rayons X, cette idee peut sempler absurde, mais a l’epoque cettehypothese semblait tres naturelle.

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2 CHAPITRE 1. LA RADIOACTIVITE

Figure 1.1 – Antoine-Henri Becquerel

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1.1. LA DECOUVERTE DE BECQUEREL 3

Becquerel, on le sait, eut de la chance. C’est par accident qu’il choisit comme materielfluorescent un des sels d’uranium, le double sulphate d’uranium et de potassium. Cettecirconstance predetermina le succes d’une experience qui etait tres simple et dont voici leprincipe.

Une plaque photographique etait soigneusement enveloppee dans du papier noir quibloquait le passage de la lumiere visible. Le sulphate d’uranium-potassium etait ensuiteplace sur le papier. Le tout etait dispose en plein soleil. Quelques heures plus tard, la plaqueetait developpee avec un maximum de precautions. Une tache noire etait alors detectee surla plaque et elle avait la forme de la silhouette du materiel fluorescent.

Figure 1.2 – Les silhouettes mysterieuses des rayons Becquerel

Becquerel fit une serie d’experiences controlees et prouva que le noircissement venaitde l’action sur la plaque photographique des rayons emis par les cristaux d’uranium, quipassaient a travers le papier noir opaque a la lumiere du soleil. Au debut, il ne fit aucundoute pour Becquerel que ces rayons etaient des rayons X. Mais il s’apercut rapidementqu’il se trompait. Voici comment le destin lui sourit. Pendant ses experiences, il y eut unjour couvert et la lumiere fluorescente emise par l’uranium, qui recevait tres peu de lumiere

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4 CHAPITRE 1. LA RADIOACTIVITE

solaire, etait ’evidemment’ tres faible. Becquerel pensa que cette experience etait inutile etrangea donc la plaque dans un tiroir, ou elle demeura enfermee plusieurs jours.

Avant de passer a l’experience suivante, il developpa la plaque parce qu’il ne se rappelaitpas si elle avait ete utilisee ou non. A sa grande surprise, il vit une tache noire sur la plaque :le sel d’uranium avait impressionne la plaque en depit de l’absence de soleil et de l’obscuritedu tiroir ! Pis -ou mieux encore- l’intensite de l’image etait exceptionnelle. Or le materiaune pouvait avoir emis de lumiere fluorescente dans l’obscurite, et il fallait donc conclure al’existence d’une autre raison impressionnant la plaque.

Becquerel realisa immediatement qu’il venait de decouvrir un nouveau type de rayonset etablit rapidement que ces rayons etaient dus specifiquement a l’uranium, car seuls lesmateriaux contenant de l’uranium impressionnaient la plaque photographique. Mieux : laplus forte action etait produite par de l’uranium pur.

Les rayons decouverts par Becquerel ressemblaient en partie aux rayons de Roentgen :ils pouvaient impressionner une plaque photographique et traverser des couches opaquescomme du papier noir ou de fines couches de metal. Cependant ces rayons etaient aussifort differents. Les rayons X etaient produits par une decharge electrique dans un gaztres rarefie. La pression du gaz devait etre tres basse, de l’ordre d’un millionieme de lapression atmospherique. Quand on appliquait aux electrodes du tube un voltage tres eleve,d’environ cent fois les 110 volt que nous utilisons chaque jour, une decharge se produisaitet c’est dans ces conditions qu’etaient produits les rayons X, quelle que soit la nature dugaz remplissant le tube ou le metal utilise pour les electrodes.

Les rayons de Becquerel, au contraire, n’utilisaient aucun potentiel electrique, faibleou intense. Pas de gaz rarefie non plus. Les rayons X n’apparaissent qu’en presence d’unedecharge electrique mais les rayons de Becqurel etaient emis continument, en permanence.Mais il fallait de l’uranium. Est-ce que l’uranium etait la seule substance capable d’emettreces rayons ? C’est la question que se posa Marie Sklodowska Curie.

1.1.2 Marie Curie

Les recherches de Marie Curie furent longues et incroyablement difficiles. Elles durerentpres de deux ans, au cours desquels elle etudia un nombre enorme de sels, roches et autresminerais. Mais enfin elle reussit et trouva que les sels de thorium emettaient eux aussi lesrayons de Becquerel.

Exactement comme pour l’uranium, plus il y avait de thorium dans une substance, plusintense etait le rayonnement, et le thorium pur etait un meilleur emetteur que les composesdu thorium.

Curie n’utilisa pas de plaque photographique pour rechercher ces substances. Elle mita profit une propriete remarquable que Becquerel avait decouverte au sujet de ces rayons.Dans ces premieres experiences, Becquerel avait en effet note que sous l’action des rayonsemi par l’uranium l’air devenait un conducteur electrique.

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1.1. LA DECOUVERTE DE BECQUEREL 5

Figure 1.3 – Un minerai de thorite

Cette propriete remarquable des rayons Becquerel facilitait grandement la detection dessubstances emettrices. Le test etait simple : on charge un electroscope, qui est un appareilmesurant les charges electriques. Lorsque cela est fait, les feuilles de metal attachees a unetige se repoussent -par repulsion coulombienne puisqu’elles sont porteuses de charges dememe signe- et divergent par un angle d’autant plus ouvert que la charge est grande. Lesfeuilles restent ainsi ecartees tant que la tige de l’electroscope conserve sa charge. Maispour cela il faut bien sur que les feuilles soient isolees du corps de sorte que les chargesne peuvent pas s’ecouler dans le sol. L’air est un bon isolant et les feuilles restent doncimmobiles et ecartees assez longtemps, mais, si l’on place de l’uranium ou un de ses selsdans l’electroscope, il se decharge rapidement, et les feuilles retombent l’une contre l’autre.

On pouvait ainsi de cette maniere determiner en deux ou trois minutes si une substanceemettait ou non des rayons Becquerel.

En continuant ses recherches, Marie Curie rencontra un fait surprenant. Il s’avera que lapechblende, le minerai dont on extrait l’uranium metallique, emettait des rayons Becquereld’une intensite de loin superieure a celle de l’uranium pur. Il devint clair qu’il y avait unenouvelle substance melee a la pechblende qui devait etre capable d’emettre de tres intensesrayons Becquerel puisque les effets de cette substance, en quantite si infime qu’elle avaitjusque la echappe aux chimistes, surpassaient ceux de l’uranium bien plus abondant.

Au cours de ses recherches longues et laborieuses, Marie Curie, travaillant de concertavec son marie Pierre Curie, parvint a isoler deux nouvelles substances inconnues deschimistes et emettrices de rayons Becquerel. Marie Curie forgea l’adjectif ’radioactif’ pource type de substance et le nom de radioactivite pour le phenomene, et on parle depuis derayonnement radioactifs pour qualifier les rayons Becquerel.

Les 2 nouvelles substances decouvertes par les Curie ne figuraient pas parmi les sub-stances connues, alors que le thorium et l’uranium etaient connus depuis longtemps. Lepremier fut baptise polonium en hommage au pays d’origine de Marie Sklodowska, et le se-

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6 CHAPITRE 1. LA RADIOACTIVITE

(a) simple (b) a plateau

Figure 1.4 – Deux electrometres

cond, dont les proprietes chimiques se rapprochait de celles du baryum, fut appele radium.La decouverte du radium fut un evenement d’une importance capitale. Elle rivalisait avecla decouverte des rayons Roentgen et Becquerel. L’emission du radium etait un million defois plus intense que celle de l’uranium. Cette difference quantitative eut des consequencesd’une portee extraordinaire. C’est grace a la puissance de la radiation du radium que l’onput detecter une plethore de nouvelles proprietes des rayons radioactifs, et on ne tarda ales utiliser dans des applications pratiques.

1.2 Les proprietes du rayonnement radioactif

Un jour Becquerel emprunta a Pierre Curie un petit echantillon de radium pour endemontrer les proprietes a ses etudiants. Il placa le tube dans la poche de sa veste etdeambula ainsi pendant plusieurs heures. Quelques jours plus tard, il remarqua une rougeursur sa peau de la taille du tube de radium a l’emplacement de la poche. La chose empira,la rougeur devint douloureuse et la peau se craquela si bien que Becquerel finit par faireappel a un medecin qui traita sa blessure comme une brulure ordinaire et deux mois plustard Becquerel etait gueri.

Pierre Curie se mit a experimenter sur lui-meme pour etudier les effets de l’actiondu radium que Becquerel lui avait decrits. Les faits furent confirmes. Une irradiation de10 heures de la peau de sa main par une preparation de radium conduisait aux memessymptomes, dans les memes delais, et la blessure mis 4 mois a guerir.

Ces faits attirerent l’attention des medecins qui commencerent une etude systematiquede l’action des rayons du radium sur les animaux, puis sur l’homme. On s’apercut rapide-

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1.2. LES PROPRIETES DU RAYONNEMENT RADIOACTIF 7

ment que des doses faibles de ces rayons etaient capables, dans certains cas, de produireun effet benefique sur l’organisme. Elles avaient par exemple la capacite de tres bien guerircertaines maladies de la peau.

Lorsque les resultats de ces experiences furent connus, ils declencherent une abondancede travaux en biologie et en medecine. On se rendit compte que l’action ds rayons du radiumdependait du type de cellules et de tissus exposes. Les cellules qui se emphreproduisaientrapidement etaient plus facilement detruites par l’action des rayons.

Figure 1.5 – Quelques roches fluorescentes revelent leur beaute

Cette decouverte remarquable determina immediatement l’importance pratique de cesrayons. Le radium devint un auxiliaire irremplacable des medecins dans leur lutte contrele cancer, cette plaie de l’humanite. Une tumeur maligne est constituee de cellules qui semultiplient extremement rapidement et il existe donc une differentiation entre ces celluleset les cellules saines sous l’action des rayons du radium puisque ceux-ci detruit les premieresbeaucoup plus rapidement.

Le traitement au radium procede donc de la maniere suivante : une preparation auradium, placee dans une boıte en or, est placee aussi pres que possible de la tumeur. Onapplique cette irradiation pendant un certain temps. Si le malade n’a pas ete neglige etsi la tumeur n’a pas penetre trop profondement dans l’organisme, le traitement est tresefficace et rapide.

Une autre propriete du radium fut aussi decouverte quand on concut des preparationsen dose suffisante. En fait -par un curieux retour de sort- on realisa que le radium pouvaitprovoquer, tout comme la lumiere du soleil, la fluorescence des materiaux fluorescents.

L’ajout de quantites microscopiques de radium a des ecrans de sulphide de zinc, de plati-

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8 CHAPITRE 1. LA RADIOACTIVITE

nocyanide de baryum et autres substances similaires les rendait lumineuses dans l’obscurite.On se mit donc a fabriquer des montres avec des cadrans lumineux. Et pendant la premiereguerre mondiale, on ajouta ces substances fluorescentes aux viseurs des fusils pour que lessoldats puissent les utiliser la nuit ou dans l’obscurite. On les utilisa aussi pour peindredes graduations et divisions des instruments et elles trouvent encore maintes applicationsdans les domaines civils ou militaires.

1.3 L’energie rayonnee par le radium

Les materiaux fluorescents n’emettent de lumiere que si ils ont ete illumines -places ausoleil par exemple. Si de telles substances sont protegees de l’action de la lumiere (solairepar exemple) elles cessent d’etre lumineuses. Lorsqu’il fut etabli que les rayons d’uraniumexcitaient eux-aussi la fluorescence, les chercheurs se rendirent compte que cela posait unprobleme tres particulier. Un grain de radium ajoute, par exemple, a du sulphate de zinc lerend fluorescent en permanence. Il continue d’emettre jour et nuit, pendant des semaines,des mois , des annees, sans que l’on detecte de diminution de l’intensite de la lumiere emise.C’est une observation completement paradoxale !

Si la fluorescence est causee par les rayons radioactifs, cela veut dire que le radium emetdes rayons sans dissipation visible d’intensite, continument et pour un temps indefini.

Comment une telle chose etait-elle possible ? Ces rayons devaient posseder une energie,comme tout autre rayonnement. Alors cela voulait-il dire que le radium emettait constam-ment de l’energie ? C’est Pierre Curie qui touva la reponse a cette question. Peut-apresavoir reussi a concentrer des preparations de radium en dose suffisante, il nota que lessubstances qui contenaient du radium etaient toujours plus chaudes que les objest envi-ronnants. Il decida de mettre cette remarque a profit pour mesurer l’energie liberee parle radium. Il prit un calorimetre, instrument couramment utilise pour mesurer l’energiethermique, dont les parois etaient assez epaisses pour ne pas laisser echapper les rayonsradioactifs. On pouvait facilement concevoir un tel calorimetre car on avait longuementexperimente sur les epaisseurs traversees par les rayons radioactifs.

L’energie liberee par un echantillon radioactif, place avec de la glace a l’interieur ducalorimetre, etait donc absorbee dans les parois et dans la glace qui fondait progressivementen eau. La quantite de glace fondue permettait de mesurer l’energie liberee par le radium,connaissant la chaleur specifique de fusion de la glace.

De ces mesures Pierre Curie conclut qu’un gramme de radium liberait 140 calories parheure, ce qui est peu : il faut une calorie pour elever la temperature d’un gramme d’eaud’un degre centigrade. L’energie liberee par le radium etait si petite qu’il aurait falllu 6jours pour faire bouillir un verre d’eau.

Oui certes. L’energie liberee par le radium etait faible. Mais laissez passer le temps, etl’energie liberee devient gigantesque, illimitee. La question naturelle etait donc : mais d’oule radium tire-t-il toute cette energie ?

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1.4. LES RAYONS ALPHA, BETA, GAMMA 9

La conservation de l’energie est une des lois de base de la physique. L’energie se conserveet se transforme. D’innombrables experiences le prouvent : l’energie ne peut jamais etrecree, ni detruite, et ne peut que passer d’une forme a une autre.

L’energie des substances radioactives est liberee sous forme de rayons radioactifs, etcela, continument. Au debut, les chercheurs etaient incapables de relier cette liberationd’energie avec un changement quelquonque a l’interieur des substances radioactives. Lasource d’energie semblait intarissable. Pire, ces difficultes se conjuguerent bientot avec denouveaux faits d’observations.

Il est tres naturel de se demande, lorsqu’on observe un phenomene, quelles forces dela nature sont capables d’en changer le caractere. Lorsque de telles forces sont trouvees, ildevient plus facile de relier le phenomene a d’autres deja connus, compris ou familiers. Etlorsque les chercheurs se lancerent dans de telles investigations sur les substances radioac-tives, ils n’eurent aucun succes.

Il leur etait impossible d’influencer de quelque maniere que ce soit la puissance radio-active du radium. On essaya des temperatures, basses ou elevees, des champs electriquesou magnetiques forts, on leur appliqua d’enormes pressions, et on utilisa les agents chi-miques les plus puissants possibles. Mais rien n’y fit. Aucune de cet armada de ressourcesdes meilleurs laboratoires de physique ne parvint a affecter d’un iota l’energie emise par leradium.

Au debut du 20eme siecle, le mot radium etait sur toutes les levres. Le puzzle de laradioactivite etait traque par les chercheurs de tous les domaines et bien sur par les physi-ciens. et la quasi-totalite d’entre eux mourait d’envie de decouvrir la cle de ces mysteres. Iln’y avait qu’une seule voie a suivre : etudier les proprietes des rayons radioactifs et chercherdes traces de changements qui prenaient place au sein du radium. Mais comment allait-onparvenir a cela ? Les chercheurs depenserent leurs efforts dans toutes sortes de directionspour dechiffrer le secret de la radioactivite, et les resultats de leurs entreprises titanesquesne tarderent pas a se manifester.

1.4 Les rayons alpha, beta, gamma

1.4.1 Les Curie ouvrent la voie

Nous l’avons dit : tous les efforts pour influencer la capacite d’emission du radiums’avererent vains. En revanche Pierre et Marie Curie s’apercurent, en essayant d’agir sur leradium par un champ magnetique, que si en effet ils ne pouvaient pas changer l’intensitede la radiation, les champs avaient un grand effet sur les rayons eux-memes. Un rayonhomogene avant son entree dans le champ magnetique se trouvait divise, apres passage dansle champ, en deux rayons, un qui continuait dans la direction du faisceau incident, commeimperturbe par le champ, et un autre faisceau qui changeait brutalement de directionsous son influence. Les physiciens avaient deja rencontre, au temps des experiences deBecquerel, des rayons qu’ils pouvaient deflechir dans un champ magnetique.Il s’agissait de

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10 CHAPITRE 1. LA RADIOACTIVITE

faisceaux de particules chargees electriquement et le passage de ces faisceaux dans le champpermettaient d’etablir le signe de la charge. On pouvait obtenir encore plus d’informationssur les particules du faisceau en combinant l’action d’un champ electrique et d’un champmagnetique. On etait alors capable de determiner le rapport de la charge a la masse de laparticule mobile, ce qui peut se comprendre en ce que la masse impartit une inertie a laparticule, alors que la charge influe sur la force qui va deflechir chaque particule dans unchamp d’intensite donnee.

Les experiences des Curie montrerent une chose magnifique : le faisceau deflechi etaitcharge negativement et le rapport en question etait de 5.3×1017 unites electrostatiques.Exactement le meme rapport que celui des faisceaux baptises electroniques dont nous ve-nons juste de parler.

1.4.2 Digression sur l’electron

1.4.3 Retour a la decouverte des Curie

De l’identite des rapports charge-masse, on infera que tres probablement, une partieau moins du faisceau radioactif etait constituee d’electrons. La vitesse de ces electrons futmesuree et on trouva que ces vitesses tres elevees atteignaient presque la vitesse de lalumiere.

Ces investigations leverent une partie du voile mysterieux qui entourait les rayons ra-dioactifs : les rayons etaient de nature complexe, composes en partie d’electrons. Cetteconstatation etait aussi etayee par le caractere complexe de l’absorption de ces rayons. Ilfut etabli que lorsqu’un faisceau radioactif passe a travers differentes epaisseurs de matiere,il est d’abord tres fortement absorbe par la substance, puis continue sa route sans sem-bler etre importune par la matiere environnante. Il etait naturel d’admettre que la partiefortement absorbee etait le pendant du faisceau deflechi, c’est-a-dire la partie composeed’electrons, tandis que l’autre correspondait au faisceau non deflechi. Et pourtant desexperiences speciales conduites par Rutherford indiquerent que tel n’etait pas le cas. Lapartie non deflechie est similaire, en ce qui concerne l’absorption, au faisceau radioactiftotal incident : il est d’abord fortement absorbe, puis l’absorption chute considerablement.

Rutherford en tira la conclusion que cette partie avait elle-meme une composition com-plexe. Apparemment, le champ magnetique utilise par les Curie n’etait pas assez puissantpour separer le faisceau en ses parties constituantes. Et donc Rutherford se mit a repeterleurs experiences avec un champ beaucoup plus intense.

Le resultat fut absassourdissant Le faisceau de rayons indeflechi dans l’experience desCurie se separa en deux sous-faisceau, un qui continuait sa route et l’autre qui etaitlegerement deflechi dans la direction opposee de celle du faisceau d’electrons. Par consequent,ce sous-faisceau etait lui meme constitue de particules chargees, mais cette fois positive-ment. Les experiences montrerent alors que chacun de ses nouveaux faisceaux se compor-taient de facon bien definie vis-a-vis de l’absorption.

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1.4. LES RAYONS ALPHA, BETA, GAMMA 11

La partie non deflechie par le champ magnetique n’etait que tres faiblement absorbeetandis que la partie chargee positivement etait tres fortement absorbee par la matiere.

Il apparaissait donc que les rayons observes par Becquerel etaient un melange detrois types de rayons. Ces types furent nommes alpha(α), beta(β) et gamma(γ), les troispremieres lettres de l’alphabet grec. Les rayons alpha etaient ceux legerement deflechi parle champ magnetique, charges positivement. Les rayons beta correspondaient au faisceauelectronique et les rayons gamma n’etaient pas affectes par le champ magnetique. On no-tera sur la figure jointe que les rayons alpha sont deflechis en un sous-faisceau etroit, alorsque le sous-faiceau des rayons beta s’elargit dans le champ magnetique. La raison, fort im-portante pour la suite de l’histoire, en est que les rayons alpha sont tous de meme energietandis que les rayons beta sont composes d’electrons de differentes energies. On noteraaussi que les trajectoires forment des arcs de cercles, ce fait provient de ce que la forceexercee par un champ magnetique sur une charge en mouvement (voir l’encadre plus basforces et deplacements, est perpendiculaire a la fois au champ magnetique et a la vitesse dela particule. La particule est donc constamment tiree de cote. Dans un champ electriqueau contraire, la force est alignee avec le champ.

Figure 1.6 – La trilogie de Rutherford

1.4.4 Les propriete des rayons alpha, beta, gamma

La separation des rayons radioactifs en rayons alpha, beta et gamma rendit possiblel’investigation de leurs proprietes individuelles. En voici un resume.

absorption

Les rayons alpha sont absorbes rapidement. Une feuille de mica ou d’aluminium mince(.05 mm) les absorbe presque totalement. Il suffit d’envelopper le radium dans du papiera ecrire ordinaire pour absorber tous les rayons alpha. Ils sont aussi fortement absorbes

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12 CHAPITRE 1. LA RADIOACTIVITE

dans l’air. Une simple couche d’air de 7 cmen absorbe la quasi-totalite. L’absorption desrayons beta est considerablement plus faible. Une quantite appreciable de ces rayons peuttraverser une feuille d’aluminium de plusieurs millimetres. L’absorption des rayons gammaest beaucoup plus faible que celles des beta. Les rayons gamma traversent des plaquesd’aluminium de plusieurs dizaines de centimetres d’epaisseur. Une plaque de plomb de 1.3cmreduit de moitie l’intensite du faisceau.

Mais c’est aussi par la nature de l’absorption que chaque type de faisceau se distingue.On le constate en faisant varier a la fois l’intensite incidente et l’epaisseur des plaques. Lesrayons beta et gamma sont absorbes graduellement, et une couche de matiere, aussi mincesoit-elle, va absorber une partie du faisceau. Le nombre d’electrons (pour les rayons beta)et l’intensite de sortie des rayons gamma sont des fonctions continument decroissante del’epaisseur traversee.

Les rayons alpha se comporte completement differemment. En passant par une coucheassez mince, leur nombre ne semble pas affecte. Seule leur energie diminue. Lorsqu’onaugmente l’epaisseur, l’´energie continue de diminuer et l’intensite reste constante, jusqu’ace que l’on atteigne une valeur critique de l’epaisseur et la, tous les rayons alpha sontabsorbes.

Par consequent, chaque particule alpha parcourt, dans une substance donnee, la memelongueur, que l’on nomme la portee des particules alpha (dans la substance en question).Cette portee depend de l’energie incidente et de la nature de la substance traversee. Onobtient donc ainsi le moyen, par calibration, de mesurer l’energie des particules alpha.

action ionisante

Une autre propriete importante des rayons radioactifs est leur action ionisante. Lesrayons alpha sont les plus ionisants et ionisent l’air 100 fois plus que les rayons beta a partirde la meme source radioactive. La capacite d’ionisation des rayons gamma est beaucoupmoindre que celle des rayons beta.

Il existe une relation precise entre l’absorption et la capacite d’ionisation des rayonsalpha, beta, gamma. Plus ils ionisent, mieux ils sont absorbes. L’ionisation de l’air requiertde l’energie et on a pu etablir que pour former une paire d’ions dans l’air, il fallait fournirune energie 1 de 33eV . Comme une particule alpha produit de nombreux ions dans sonpassage a travers la matiere (gazeuse ou non), elle depense une grande partie de son energieet est donc fortement absorbee. Le nombre de paires d’ions creees par une particule alphaest d’environ 200000 (nous expliquerons plus tard comment on a pu le mesurer). Et doncune particule alpha a une energie de 6000000eV. Pour qu’un electron atteigne cette energie,il faudrait donc l’accelerer en utilisant une pile de 6000000V. Une grosse pile.

1. 1eV est l’ energie acquise par un electron tombant en chute libre entre deux plaques reliees a unepile de 1 volt. Il s’agit d’une energie minuscule puisqu’elle vaut 1.6×10−19 joule. Il faut environ 4 joulespour chauffer d’un degre un gramme d’eau a la pression atmospherique

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1.4. LES RAYONS ALPHA, BETA, GAMMA 13

action biologique

Les rayons radioactifs ont une forte influence sur les organismes vivants. Ils peuvent etrefatal si leur intensite est grande. Les effets produits augmentent avec le pouvoir ionisant etcorrespondent donc dans l’ordre decroissant aux rayons alpha, beta et gamma. Cependant,les rayons les plus dangereux sont les rayons beta et gamma. En effet les rayons alphasont tres fortement absorbes. N’importe quel vetement suffit donc pour s’en proteger. Lesrayons beta sont plus forts que les rayons gamma mais ils ne penetrent pas en profondeur,et un vetement assez epais tisse serre suffit pour en absorber une grande partie. Les rayonsgamma traversent facilement les tissus et sont donc les plus difficiles a bloquer. Si la dosede rayonnement, mesuree en roentgens est faible, le rayonnement n’est pas dangereux. Unetre humain peut supporter une irradiation permanente si elle ne depasse pas 2 0.2R parsemaine

On notera que l’action biologique des rayons gamma sur les tissus vivants a un effetcumulatif. Pour cette raison, le resultat de l’irradiation depend non seulement de son in-tensite mais aussi de la dose. Des doses de 500R a 600R pendant une periode meme brevepeut etre fatale.

1.4.5 Qu’est-ce qu’une particule alpha ?

Nous avons deja note que les rayons alpha sont des faisceaux de particules chargeespositivement. Mais quel genre de particule ? Pour repondre a cette question Rutherfordfit passer des rayons alpha dans un champ magnetique et dans un champ electrique, etanalysa comment leur trajectoire etait deflechie. En appliquant les formules simples de ladynamique (voir encadre), Rutherford mesura deux deflections et obtint deux equationspour les deux inconnues recherchees, a savoir la vitesse u et le rapport e

m de la charge ala masse de la particule alpha. Rutherford trouva que la vitesse atteignait 19000 km/s, cequi est enorme mais de 10 a 15 fois inferieur a la vitesse des electrons des rayons beta.

Mais la cle de l’enigme de la nature des rayons alpha vient du rapport em dont la valeur

mesuree vaut 1.44×1014 unites electrostatiques par gramme. Or ce rapport a ete mesureavant cette experience pour les electrons, et pour les ions hydrogene. Dans le premiercas, le rapport des fractions s’etablit a environ 3600, et dans le second, il vaut presqueexactement 2. Lorsque un physicien decouvre que ses mesures, rapportees a des echellesconnues, s’expriment sous forme de nombre entier, il peut se dire qu’il est sur la voie d’unedecouverte majeure.

Ainsi Rutherford decouvrit que la particule alpha avait probablement une masses dontl’ordre de grandeur etait celle de l’atome d’hydrogene. Mais de quelle substance venait-elle ? Si la charge etait opposee a celle de l’electron, la masse devait valoir deux fois celle del’atome d’hydrogene. Mais on ne trouve aucun element chimique ayant cette masse dans la

2. Un rayonnement a la dose d’1roentgen cree 2000000 de paires d’ions par centimetre cube d’air dansles conditions normales

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14 CHAPITRE 1. LA RADIOACTIVITE

table de Mendeleev. Rutherford pouvait donc penser que les particules alpha etaient desions d’un nouvel element jusqu’alors inconnu. Mais il decide de tester une autre hypothese :celle d’un plus grand degre d’ionisation. En imaginant que particules alpha portent unecharge equivalente a un deficit de deux electrons, une substance d’une masse quadruple decelle de l’hydrogene s’imposerait comme l’element recherche. Cet element existe, il s’agitde l’helium, qui a ete decouvert sur le soleil, par la spectroscopie, avant de rejoindre lecercle des elements telluriques.

(a) le chimiste (b) le physicien

Figure 1.7 – Ernest Rutherford et Frederic Soddy

Les particules alpha seraient donc des atomes d’helium doublement ionises. Or cettehypothese corrobore un fait connu alors : tous les mineraux contenant des substancesradioactives contiennent toujours de l’helium, sans exception. N’etait-il pas etrange quel’helium, qui est un gaz chimiquement inerte, accompagnait toujours les substances radio-actives alors qu’on ne le retrouvait jamais dans les autres mineraux ? En fait, lorsqu’ontrouvait de l’helium dans un mineral, on pouvait en deduire de facon quasi-certaine qu’ilcontenait des materiaux radioactifs 3 Rutherford et Soddy venaient de donner une brillanteexplication de ce fait. L’helium ne venait pas s’introduire de l’exterieur dans ces sub-stances, mais etait forme a l’interieur puisque les substances radioactives emettaient cesatomes d’helium doublement ionises. Ce fait s’imposait contre un pilier fondamental de lachimie, celui de Lavoisier, selon lequel les elements chimiques sont eternels et immuables,

3. En anticipant sur la suite de maniere quelque peu malhonnete, on sait aujourd’hui que l’helium estles deuxieme element le plus abondant dans l’univers, alors que quasiment tout l’helium present sur terreprovient de la desintegration alpha. La production annuelle d’helium dans la lithosphere ne depasse pas les3000 tonnes

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1.5. UNE EMANATION EN SOL CANADIEN 15

tous comme l’etaient les atomes pour Lucrece et Epicure. Pour Lavoisier, toute la diver-site chimique du monde est produite par la composition de ces elements immuables. Ensuggerant que l’˙helium pouvait naıtre spontanement dans un mineral ou il ne preexistaitpas, les deux chercheurs remettaient en question 150 ans de chimie. Restait a prouver qu’ilsn’etaient pas en train de speculer ou de faire fausse route. Ce qu’ils firent sans tarder.

Les deviations d’une particule chargee dansun champ magnetique et electrique peuventfacilement etre calculees en utilisant l’expres-sion de Lorentz pour la force exercee par unchamp electromagnetique sur une charge :

F = q(E + v ×B)

s =1

2gt2 (1.1)

gE =eE

m(1.2)

t =l

u(1.3)

gH =gHu

m(1.4)

D’ou l’on deduit :

sE =1

2

eE

m

l2

u2(1.5)

sH =1

2

eHl2

mu(1.6)

Forces et deplacements

1.5 Une emanation en sol canadien

Une des etapes cle du dechiffrage du mystere de la radioactivite se deroula en solcanadien, a Montreal. C’est en effet a l’universite McGill qu’Ernest Rutherford et FredericSoddy conduisirent de 1899 a 1903 une serie d’experiences historiques que nous decrironsdans cette section. On peut encore admirer aujourdhui les appareils fabriques a l’epoquedans le cabinet B du musee Rutherford de l’universite.

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16 CHAPITRE 1. LA RADIOACTIVITE

Figure 1.8 – La force perpendiculaire magnetique implique une trajectoire circulaire

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1.5. UNE EMANATION EN SOL CANADIEN 17

Mais avant de nous plonger la fievre qui animait le batiment McDonald en 1900, 4

rappelons qui etait Ernest Rutherford. Il nait pres de Nelson, dans l’ile du sud de laNouvelle-Zelande, en 1871, d’une famille d’origine ecossaise venue cultiver un peu de lin etbeaucoup d’enfants. Il fait de brillantes etudes au Nelson College, puis obtient une boursepour aller etudier au Canterbury College a Christchurch. ll y complete un 5 BA, puisentreprend un 6 MA en mathematique et en physique. A Christchurch il fait la connaissancede Mary Newton, la fille de son proprietaire, qui deviendra sa femme en 1900. En 1894, ilcommence ses activites de chercheur independant. Sa recherche porte sur la magnetisationdu fer sous l’influence de decharges de haute-frequence, et il publie deux articles sur cesujet qui a des applications potentielles dans les telecommunications sans fil.

L’universite de Cambridge vient juste d’introduire de nouvelles bourses qui permettenta des chercheurs etrangers de venir continuer leurs etudes a Cambridge, et Rutherford estle premier etudiant-chercheur a etre recu a ce titre en 1895. Il est integre au LaboroireCavendish dont le directeur est le fameux J.J. Thompson, l’auteur du modele de l’atome-pain-aux-raisins (ou plum-pudding pour ceux qui preferent).

Deux mois apres son arrivee a Cambridge, on apprend en novembre 1895 la nouvellede la decouverte des rayons X par Wihelm Conrd Roentgen. Ce rayonnement produit despaires d’ions de charges opposees dans les tubes a decharge, et Rutherford analyse leursvitesses et leurs taux de recombinaisons.

En 1896, Becquerel decouvre ses rayons. Les travaux de Becquerel et des Curie vontetre repris par Rutherford qui travaillera sur la radioactivite t ses liens avec la physiquenucleaire et atomique pendant les quarante annees a venir.

En 1898, un poste de professeur s’ouvre a McGill, J.J. Thompson est consulte et re-commande hautement Rutherford pour le poste. Rutherford restera a Montreal de 1898a 1907, et y accomplira pour la physique nucleaire ce que Newton avait accompli pour lamecanique. Rutherford arrive dans un etablissement tres bien equipe, grace a la generosited’un riche donateur, Sir William Mac-Donald. Le magasin de l’institut de physique a enreserve les produits chimiques les plus couteux, comme le bromide de radium par exemple,et les laboratoires de physique sont sans doute parmi les meilleurs en Amerique du Nord.De plus l’institut vient d’engager un brillant chimiste de 21 ans, originaire d’Aberystwithen pays de Galles et tout frais emoulu d’Oxford. Leur collaboration commence et il vontpublier entre Octobre 1901 et Avril 1903 une serie de 9 papiers qui bouleversera la physique.Et c’est ici que nous reprenons notre histoire.

Des 1900 Pierre et Marie Curie avaient note que l’air entourant le radium devenaitradioactif, c’est-a-dire qu’il emettait lui-meme des rayons radioactifs. Ils n’avaient cepen-dant donne aucune explication de ce phenomene dont la signification leur echappait. Cesont Rutherford et Soddy, une fois de plus, qui resolurent ce puzzle. Leur experience etait

4. cette courte biographie reprend l’article de Hohn Meurig Thomas : Lord Rutherford, the Newton ofthe atom...

5. Batchelor in Arts6. Masters in Art

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18 CHAPITRE 1. LA RADIOACTIVITE

la simplicite meme. Ils utiliserent l’aptitude des rayons radioactifs a provoquer de la fluo-rescence. Pour analyser separement les proprietes de l’air qui etait reste pendant quelquestemps en contact avec le radium, ils prirent un tube de verre ferme par deux valves a chaqueextremite. lls pouvaient ainsi isoler l’air de l’exterieur. Ils y placerent de la willemite, unmineral qui devient fortement fluorescent sous l’action des rayons du radium. Et c’etaittout, l’appareil n’etait pas plus complique que cela !

L’experience etait simple, elle aussi. Une certaine quantite d’air qui avait ete mise encontact assez logtemps avec du radium etait injectee dans le tube, on fermait les valves eton transportait le ube dans une autre piece, loin de toute source de radium. Bien qu’il n’yait pas de radium, la willemite brillait, exactement comme si on la placait au voisinage duradium. Soddy indiqua que la lumiere emise par la willemite etait si forte qu’il pouvait lireun titre de journal ou lire l’heure sur sa montre.

Mais quand on laissait l’air s’echapper du tube, la willemite cessait de briller. Rutherfordcomprit que le radium emettait en permanence une sorte de gaz radioactif qu’il appelal’emanation du radium.

Pour prouver que cette emanation etait un gaz ordinaire, Rutherford et Soddy en-treprirent de le transformer en liquide. Ils connecterent le tube contenant la willemite etl’emanation du radium a une bulle de verre recouverte de sulphide de zinc, qui devientfluorescent sous l’action des rayons radioactifs, via un tube en U refroidi a −190 degre parimmersion dans de l’air liquide. Quand, avec une poire flexible, ils poussaient l’air du tubevers la bulle de verre, ils n’observaient aucune fluoresence du sulphide de zinc, alors quela willemite brillait.. Mais s’ils placaient le tube en U hors du bain d’air liquide, alors lesulphide de zinc se mettait immediatement a briller. Ainsi l’emanation du radium etait-elleliquefiee dans le tube en U lorsqu’il etait au froid, puis retransformee en gaz lorsqu’onrechauffait le tube. On avait donc bien affaire a un gaz ordinaire, et non pas a un melangeintermediaire entre de la lumiere et de la matiere, comme l’avaient suppose Pierre et MarieCurie.

Rutherford et Soddy rencontrerent aussi un autre fait interessant.Dans une de leursexperiences, ils chercherent a determiner ce qu’il advenait de l’emanation au cours du temps.Ils observerent tout naturellement comment evoluait la fluorescence lorsqu’on observaitdans l’obscurite le tube ferme contenant l’emanation du radium et la willemite. Apresquelques jours, il noterent une diminution de la fluorescence, et au bout d’un mois, elleavait completement cesse.

L’importance de cette observation etait capitale : c’etait la premiere fois que l’on mon-trait qu’une substance radioactive perd progressivement son pouvoir d’emission.

Les experiences de Rutherfod et Soddy montraient que l’emanation du radium disparaitau cours du temps. Mais que devient-elle ? La reponse fut apportee par Ramsay et Soddy.

Ces chercheurs deciderent d’utiliser l’analyse spectrale pour suivre le devenir de l’emanationdu radium. Si on fait passer un courant electrique dans un gaz rarefie, le gaz va emettre dela lumiere par luminescence et les couleurs de cette lumiere vont dependre de la composi-tion du gaz. Si on observe le gz aumoyen d’un spectroscope, l’appareil invente par Gustav

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1.5. UNE EMANATION EN SOL CANADIEN 19

Kirchhoff, on va voir une serie de raies monochromatiques qui constituent le spectre dugaz.

Ramsay et Soddy utiliserent un tube spectroscopique -avec deux electrodes et unepartie centrale tres etroite- rempli d’emanation de radium, et hermetiquement ferme, etprocederent a l’observation du spectre luminescent de ce gaz. Ils reconnurent evidemmentdans le spectre les raies de l’azote et de l’oxygene, puisque ces elements sont presents dansl’air, mais virent aussi des raies tres brillantes jusqu’ici inconnues. Puis ils s’apercurentque ces raies diminuaient progressivement d’intensite, ce qui corroboraient les resultats deRutherford et Soddy.

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20 CHAPITRE 1. LA RADIOACTIVITE

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Chapitre 2

Le modele nucleaire de l’atome

patience !

2.1 Introduction

21