ESPACE ET TRAGÉDIE DANS LA VOIE ROYALE D’ANDRÉ MALRAUX

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ÉTUDES ROMANES DE BRNO 31, 2, 2010 ZUZANA JÁNOŠKOVÁ-WAGNER ESPACE ET TRAGÉDIE DANS LA VOIE ROYALE D’ANDRÉ MALRAUX 1. Introduction La Trilogie asiatique, comme son titre l’indique, renvoie à un cadre exotique, dans lequel Malraux situe ses trois premiers romans (Les Conquérants, 1928 ; La Voie royale, 1930 ; La Condition humaine, 1933), pour transformer l’espace et le temps, liés dans son imaginaire créateur à l’Orient, en fonction des objectifs esthétiques du genre littéraire qu’il a choisi, le genre narratif de type romanesque, qui, par convention, inscrit un récit chronologiquement conçu et présenté dans un cadre spatial. Or, le traitement de ce cadre spatio-temporel dans les trois romans est sin- gulier : il correspond à l’objectif esthétique de l’auteur de métamorphoser les éléments spatiaux et temporels en forces agissantes s’opposant d’une façon irré- médiable à la volonté des personnages qui tendent vers les objets de leurs convoi- tises. Ainsi, chez Malraux, le temps et l’espace ne sont plus seulement les cadres conventionnels de l’action romanesque, mais les opposants dynamiques qui per- mettent de transformer les personnages en héros d’une tragédie, conformément à son concept du roman moderne qui est, aux yeux de l’auteur, « l’expression privilégiée du tragique de l’expérience humaine ». 1 En effet, Malraux se montra particulièrement sensible aux inquiétudes intel- lectuelles et spirituelles de sa génération nées de l’après-guerre et surtout aux risques de voir le roman s’engluer dans une esthétique réaliste sans grandeur ni héroïsme. Stimulé par la ferveur surréaliste, fasciné par le cinéma expressionnis- te, entouré de contemporains qui glorifient le héros, le saint ou le révolutionnaire, il tente, à son tour et à sa manière, par le biais de son roman tragique de retremper l’activité littéraire dans une énergie créatrice. Mais, parmi tous les romans de la Trilogie asiatique, l’objectif de La Voie royale est singulier : contrairement à ce que Malraux a effectué dans Les Conqué- 1 MALRAUX, André. Les Voix du Silence. Paris: Gallimard 1951, p. 523. (Voir aussi PICON, Gaëtan. Malraux. Paris: Seuil, 1945, p. 66)

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ÉTUDES ROMANES DE BRNO31, 2, 2010

ZUZANA JÁNOŠkOvÁ-WAgNER

ESPACE ET TRAGÉDIE DANS LA VOIE ROYALE D’ANDRÉ MALRAUX

1. Introduction

La Trilogie asiatique, comme son titre l’indique, renvoie à un cadre exotique, dans lequel Malraux situe ses trois premiers romans (Les Conquérants, 1928 ; La Voie royale, 1930 ; La Condition humaine, 1933), pour transformer l’espace et le temps, liés dans son imaginaire créateur à l’Orient, en fonction des objectifs esthétiques du genre littéraire qu’il a choisi, le genre narratif de type romanesque, qui, par convention, inscrit un récit chronologiquement conçu et présenté dans un cadre spatial.

Or, le traitement de ce cadre spatio-temporel dans les trois romans est sin-gulier : il correspond à l’objectif esthétique de l’auteur de métamorphoser les éléments spatiaux et temporels en forces agissantes s’opposant d’une façon irré-médiable à la volonté des personnages qui tendent vers les objets de leurs convoi-tises. Ainsi, chez Malraux, le temps et l’espace ne sont plus seulement les cadres conventionnels de l’action romanesque, mais les opposants dynamiques qui per-mettent de transformer les personnages en héros d’une tragédie, conformément à son concept du roman moderne qui est, aux yeux de l’auteur, « l’expression privilégiée du tragique de l’expérience humaine ».1

En effet, Malraux se montra particulièrement sensible aux inquiétudes intel-lectuelles et spirituelles de sa génération nées de l’après-guerre et surtout aux risques de voir le roman s’engluer dans une esthétique réaliste sans grandeur ni héroïsme. Stimulé par la ferveur surréaliste, fasciné par le cinéma expressionnis-te, entouré de contemporains qui glorifient le héros, le saint ou le révolutionnaire, il tente, à son tour et à sa manière, par le biais de son roman tragique de retremper l’activité littéraire dans une énergie créatrice.

Mais, parmi tous les romans de la Trilogie asiatique, l’objectif de La Voie royale est singulier : contrairement à ce que Malraux a effectué dans Les Conqué-

1 MALRAUX, André. Les Voix du Silence. Paris: gallimard 1951, p. 523. (voir aussi PICON, gaëtan. Malraux. Paris: Seuil, 1945, p. 66)

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rants où l’espace possède essentiellement une fonction rhétorique de métonymie (décors décrits comme suggestion d’un sens thématique : exotisme et misère) et à La Condition humaine où le temps sera l’élément primordial de la mise en place d’une poétique tragique, dans La Voie royale, c’est l’espace que Malraux essaie d’intégrer au récit en lui attribuant la responsabilité majeure d’une menace tra-gique. Dès lors un paradoxe surgit : autant il est facile d’envisager un récit où le temps engendre le tragique, autant il est surprenant de lui voir associer l’espace.

Et par suite une question se pose : dans la mesure où le tragique, en tant que récit trouvant la source de sa fin négative dans son commencement positif est essentiellement lié au temps, qu’est-ce qu’un roman dont le tragique naîtrait de l’espace ?

Dans cette perspective, nous allons étudier le processus narratif déployé dans La Voie royale en examinant successivement, dans un premier moment l’émer-gence de la menace spatiale, ensuite l’espace comme risque majeur d’un échec et finalement la victoire définitive des personnages qui leur permet de se constituer en héros, malgré les suites funestes de leur aventure cambodgienne.

2. L’émergence de la menace spatiale

La fonction actantielle du cadre spatial, qui structure et organise la narration dans La Voie royale, se met en place dès les premières pages du roman, grâce à l’opposition des deux lieux d’action : le lieu sécurisant d’un paquebot qui em-porte les deux personnages principaux vers les objectifs de leur expédition et le lieu oppressant de la forêt.2

Or, la menace destructrice, liée à l’espace dangereux, n’est, dans un premier temps, qu’anticipée de manière de plus en plus angoissante. Elle se déploie d’abord sous la forme de visions imagées, qui évoluant en perceptions visuel-les directes, se métamorphosent en émotions. Progressivement, le récit aboutit à désigner explicitement le danger mortel qu’est l’espace séparant l’aventurier de l’objet de sa conquête.

2.1. Anticipations imaginées du danger

L’action des personnages dans un espace qui leur résiste, qui s’oppose à leur volonté conquérante par la violence d’un univers naturel inhumain, hostile et particulièrement sauvage, prend place dans la conscience agitée de Claude van-nec, avant même que celui-ci soit physiquement confronté à un danger réel. En effet, tout au long du voyage ennuyeux dans l’espace apparemment protégé et calme d’un navire, le personnage franchit les entraves du temps et de l’espace, 2 voir Yves Reuter: « Ces lieux s’organisent, font système et produisent du sens. Ainsi, dans

les contes, les lieux sécurisants (la maison) s’opposent aux lieux angoissants. Ils délimitent souvent les camps des personnages: lieux réservés aux uns et aux autres, lieux communs et lieux de passage. » In Introduction à l’analyse du Roman. Paris: Bordas, 1991, p. 55.

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pour se projeter dans une action future, comme s’il conquérait déjà, par son ima-gination, la forêt indomptable :

Maintenant il était presque seul sur le pont. Il ne dormirait pas. Rêver ou lire ? Feuilleter pour la centième fois l’Inventaire, jeter encore son imagination, comme sa tête contre un mur, contre ces capitales de poussière, de lianes et de tours à visages, écrasées sous les taches bleues des villes mortes ?3

Par ces anticipations des citées naufragées dans un paysage dénuée de la moin-dre trace de civilisation humaine, contre lesquels Claude vannec « jette son ima-gination, comme sa tête contre un mur »4, Malraux aboutit à une dramatisation de l’espace romanesque fermé en l’ouvrant vers l’espace infini de l’aventure hé-roïque, tout en brisant la chronologie linéaire de la narration, pour évoquer, au tout début de son récit, la future fonction actantielle d’opposant qu’il confère à l’espace.

Et conformément à cet objectif narratif, l’auteur amplifie progressivement ce danger hypothétique, qui prend possession totalement du personnage, à la façon d’une « obsession de la brousse et des temples, (qui) revient, recouvre tout, re-prend sa domination anxieuse ».5 En outre, les menaces, aux dimensions hyper-boliques, deviennent de plus en plus concrètes et se transforment en « un univers où la forêt et les monuments s’animent peu à peu lorsque son attention se relâche, hostiles comme de grands animaux... »6

3 MALRAUX, André. La Voie royale. In Oeuvres complètes, I. Paris: gallimard, « Biblio-thèque de la Pléiade », 1982, p. 376. L’Inventaire, dont parle le texte, renvoie à l’Inventaire descriptif des monuments de Cambodge, par. E. Lunet de Lajonquière (voir François Tré-court, Notices, documents et variantes, in MALRAUX, André, Oeuvres complètes, I, op. cit., p. 1216.). L’histoire de la conquête de la forêt cambodgienne dans La Voie royale par les aventuriers Perken et Claude vannec, est étroitement liée à la biographie de l’auteur. En effet, André Malraux, accompagné de sa femme Clara, quitte Marseille le 13 octobre 1923, pour l’Extrême-Orient, à bord du paquebot l’Angkor. A Paris, il avait obtenu une autorisation offi-cielle qui allait lui donner la possibilité de faire des recherches archéologiques au Cambodge, royaume alors placé sous le protectorat français d’Indochine. Cette mission officielle l’auto-risait à pénétrer dans un territoire où se trouvaient d’importants vestiges – encore inconnus généralement – de l’ancien empire des khmers (Si, pendant longtemps, cette période de la vie de Malraux resta dans l’ombre, on peut aujourd’hui - grâce à des recherches historiques et à la publication des Mémoires de Clara Malraux – trouver de nombreuses précisions qui permettent d’en reconstituer les grandes lignes. voir à ce sujet : LANgLOIS, Walter g. An-dré Malraux/L’aventure indochinoise. Paris: Mercure de France, 1967, p. 1–27; MALRAUX, Clara. Nos vingt ans. Paris: grasset, 1986, p. 107–156.; LACOUTURE, Jean, Malraux, une vie dans le siècle, Seuil, Paris, 1973, p.48–64; vANDEgANS, André. La jeunesse littéraire d’André Malraux. Essai sur l’inspiration farfelue. Paris: Jean-Jacques Pauvert, 1964, p. 214–239.)

4 MALRAUX, André, La Voie Royale, op. cit., p. 376.5 Ibid., p. 377.6 Ibid., p. 396.

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2.2. Confrontations visuelles directes avec l’obstacle

La résistance hostile d’un univers personnifié par des qualifications amplifiées, cet univers vorace comme de grands animaux qui menaceraient l’homme d’un anéantissement, se confirme, grâce aux perceptions visuelles dont le recours à des jumelles, accroissent l’énormité monstrueuse d’une végétation tropicale :

Il se hâta de monter sur le pont. Par une déchirure des nuages accumulés, le soleil projetait une lumière blême qui éclairait, au ras de l’eau décomposée, la côte de Sumatra. Il regarda à l’aide de la jumelle les monstrueuses frondaisons qui dévalaient du sommet des monts jusqu`à la grève, hérissées ça et là de palmes, et noires dans l’étendue sans couleur. […] ; plus bas des fougères arborescentes se détachaient en clair des taches dans lesquelles se perdaient les plantes. Se frayer un chemin à travers une semblable végétation ? D’autres l’avaient fait, il pourrait donc le faire. À cette affirmation inquiète, le ciel bas et l’inextricable tissu des feuilles criblées d’in-sectes opposaient leur affirmation silencieuse...7

Par ces descriptions qui mettent en scène, au sens dramaturgique de l’expres-sion, un paysage animé par le mouvement brutal d’un monstre naturel doté d’une force surhumaine, prête à l’engloutir, le personnage est directement, agressive-ment opposé à son ennemi et prend conscience du danger et mesure l’ampleur de l’épreuve qui l’attend.8 Claude, ce David humain, réussira-t-il à relever le défi du goliath végétal avec honneur, à vaincre les obstacles monstrueux et à acquérir son statut de héros ? Parallèlement, le récit parviendra-t-il à conquérir, à partir de cette structure de conte épique, son statut de roman tragique ?

Pour réaliser ce double objectif constitutif d’un héroïsme tragique, Malraux multiplie selon une gradation contrôlée, les descriptions démesurées et dé-taillées des éléments naturels, oppressants et répugnants à la fois, qui, filtrés par la conscience perceptive du personnage, dont ils agressent les sens divers (le regard, l’odorat, l’ouïe, le toucher...), deviennent plus des émotions vives de frayeur, qu’elles ne s’enferment dans un statut décoratif ou métonymique à visée réaliste :

La vedette démarra, s’enfonça entre les arbres immergés : les vitres frôlaient les branches cou-vertes de boue coagulée par la chaleur, de filaments de vase verticaux ; sur les troncs, des an-neaux d’écume séchée marquaient la hauteur extrême de la crue. Claude regardait avec passion ce prologue de la forêt qui l’attendait, possédé par l’odeur de la vase qui se tend lentement au soleil, de l’écume fade qui sèche, des bêtes qui se désagrègent, par le mol aspect des animaux amphibies, couleur de boue, collés aux branches. Au-delà des feuilles, dans chaque trouée, il tentait d’apercevoir les tours d’Angkor Vat sur le profil des arbres tordus par les vents du lac: en

7 Ibid., p. 395. Comment ne pas penser ici au silence effrayant des espaces infinis qu’évoque PASCAL, Blaise. Pensées. Paris: Éd. Lafuma – Seuil, 1963 p. 528.

8 Malraux met ainsi en place la figure même du héros tragique, qui se refuse à seulement subir et choisit d’agir et qui trouve sa grandeur suprême dans les épreuves du malheur et de la mort. Comme le précise à ce titre André Bonnard : « Toute tragédie traduit et raffermit l’aspiration de l’homme à se dépasser dans un acte de courage inouï, à prendre une nouvelle mesure de sa grandeur face aux obstacles, face à l’inconnu qu’il rencontre dans le monde… » ; PUZIN, Claude. La Tragédie et le tragique. Paris: Nathan, 2000, p. 58.

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vain, les feuilles, rouges de crépuscule, se refermaient sur la vie paludéenne. [...] Devant lui la forêt terrestre, l’ennemi, comme un poing serré. 9

En effet, les fixations du regard émotif sur les détails dominants de la nature en décomposition, révèlent leur symbolisme de forces destructrices et mortelles (p.ex. « la boue coagulée ») qui font du cadre spatial de « la forêt terrestre » un « ennemi » violent « comme un poing serré ».

2.3. Dénomination explicite du danger mortel

Conformément à sa logique graduelle, Malraux finit par nommer directement l’obstacle mortel, que le cadre naturel représente pour les personnages. Les ima-ges du paysage dont les dimensions démesurées pouvaient jusque-là passer pour le produit d’un esprit enfiévré par son impatience et par une obsession de drogué, prennent soudain une existence réelle et fondée, grâce à l’intervention de nou-veaux personnages caractérisés par leur connaissance concrète du terrain (que ce soit Ramèges ou le délégué anonyme).

Ramèges10, directeur de l’Institut français, cherche à dissuader Claude, qui lui demande une autorisation administrative d’entrer dans la jungle cambodgienne, de poursuivre ses intentions aventurières par les arguments suivants :

Je dois vous dire tout d’abord que cette piste même – je ne parle pas de la route – est in-visible sur des espaces considérables. À l’approche de la chaîne Dang Rek, elle se perd complètement. [...] Il est de mon devoir – et de ma fonction – de vous mettre en garde contre les dangers que vous rencontrerez. vous n’êtes pas sans savoir que deux de nos chargés de missions, Henri Maître et Odend’hal, ont été assassinés. Et cependant, nos malheureux amis connaissaient bien ce pays.11

9 MALRAUX, André, La Voie Royale, op. cit., p. 402–403.10 Pour le personnage de Ramèges, Malraux s’est inspiré de Léonard Arousseau, spécialiste de

la langue et de la littérature chinoises. Arousseau publia des articles sur l’histoire de l’Annam et sur les problèmes de linguistique comparée. (voir à ce propos l’article de gROUSSET, René. La vocation historique de l’Indochine et l’oeuvre française. Revue de Paris, octobre 1949, p. 11.)

11 MALRAUX, André, La Voie Royale, op. cit., p. 397. Henri Maître fut assassiné à Méra, en août 1914, et Prosper Odend’hal trouva la mort le 7 avril 1904, en pays moï, près de Ban Tour, aux mains des hommes du sadète de l’eau. Henri Maître eut une influence considérable. C’est en 1904 qu’il vint en Indochine comme fonctionnaire. Autodidacte, mais doué d’une intelligence et d’une énergie peu communes, il réussit assez vite à obtenir des missions dans les régions inexplorées de la péninsule. Il mena sa première expédition chez les Stiengs in-soumis de la région de Cochinchine, au nord de Saigon. Son premier livre, qui date de 1909 et qui constitue sans doute la première documentation organisée et scientifique concernant cette région, en est le récit. Malraux eut de l’admiration pour lui et s’inspira de lui pour créer le personnage de Perken. Malraux emprunta aussi de nombreux renseignements aux deux ouvrages de cet auteur, livres dont la documentation photographique était remarquable (voir BOUROTTE, Bertrand. Essai d’histoire des populations montagnardes du Sud indochinois. Bulletin de la Société des études indochinoises, 1955, XXX, n° 1, p. 91).

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Ces propos de Ramèges sont chargés de conférer un contenu concret, vérifié par une expérience, aux anticipations apparemment délirantes de Claude et plus encore d’enlever au projet de Claude le moindre bon sens. Pour Ramèges, la vo-lonté de Claude relève d’une folie suicidaire.

Pour renforcer cette première mise en garde explicite, Malraux introduit dans le récit une deuxième scène dialoguée, contrastant avec la première par sa tonalité comique, où Claude Vannec se heurte à une interdiction officielle, accompagnée par une remise en cause définitive de sa réussite :

Alors, comme ça, vous voulez faire de la brousse ? [...] vous, ce que vous voulez faire, c’est pas une petite balade comme celle des autres. Alors, je dois vous dire une bonne chose : les réqui-sitions, dans ce pays-ci, c’est comme qui dirait: la peau [...]. vous pensez bien que je ne suis pas ici pour vous faire des confidences, pas ? Mais enfin, il y a des choses qui ne me plaisent pas toujours, dans c’sacré métier. J’aime pas les histoires. Alors, voyez-vous, je voudrais vous dire encore une bonne chose, mais alors, une vraiment bonne chose, ce qui s’appelle un conseil, quoi ! – msieu vannec, faut pas faire de brousse. Laissez tomber, c’est plus sage. Rentrez dans une grande ville, à Saigon, par exemple. Et attendez un peu. C’est moi qui vous le dis.12

Ce refus radical, qui de surcroît ridiculise l’aventurier en ce qu’il s’oppose à ses objectifs nobles (sauver les objets d’art de leur décrépitude), représente pour Claude un ultime délai qui lui permettrait avant un engagement définitif de renoncer enfin au défi lancé de conquérir l’impossible, d’abandonner son projet après avoir été confronté au danger imminent par le biais de ses visions imagi-nées ou perçues ainsi que par les mises en garde multipliées et le refus impérieux des autorités diplomatiques et administratives. Osera-t-il entreprendre son action et tenter sa chance de devenir un personnage ou tragique ou héroïque ? Et les menaces de l’opposant spatial, qui n’étaient jusque-là qu’anticipées, vont-elles réellement accomplir leur rôle actantiel ?

3. L’espace comme risque majeur d’un échec

Les réponses à ces questions sur lesquelles s’achève la première partie du récit, ne tardent pas à venir ; elles confirment la maîtrise architecturale du romancier et relancent le moteur tragique de la machinerie narrative.

La deuxième partie s’ouvre effectivement sur les descriptions minutieuses des éléments les plus microscopiques du monde animal, végétal et minéral, dont les qualificatifs sont démultipliés à l’infini, pour suggérer un univers « décomposé par les siècles »13, un univers « de masses pourries »14 qui mine par sa puissance destructrice les forces physiques des personnages, de même qu’il « décompose

12 MALRAUX, André, La Voie Royale, op. cit., p. 405. 13 Ibid., p. 416.14 Ibid.

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leur esprit »15 affaibli par la sensation d’une disproportion pascalienne entre le fini apparent de leurs forces morales et l’infini matériel des obstacles à franchir.16

Les qualificatifs agressifs de la végétation et de la vie animale réduite aux for-mes minuscules d’une masse innommable et indistincte, sont de nouveau présen-tés par le biais des perceptions aiguës des personnages, métamorphosées aussitôt en sensations de vif dégoût allant jusqu’à la nausée :

Claude sombrait comme dans une maladie dans cette fermentation où les formes se gonflaient, s’allongeaient, pourrissaient hors du monde dans lequel l’homme compte, qui le séparait de lui-même avec la force de l’obscurité. Et partout, les insectes. [...] Les insectes, eux, vivaient de la forêt, depuis les boules noires qu’écrasaient les sabots des boeufs attelés aux charrettes et les fourmis qui gravissaient en tremblotant les troncs poreux, jusqu’aux araignées retenues par leurs pattes de sauterelles au centre de toiles de quatre mètres dont les fils recueillaient le jour qui traî-nait encore auprès du sol, et apparaissaient de loin sur la confusion de formes, phosphorescentes et géométriques, dans une immobilité d‘éternité. Seules, sur les mouvements de mollusque de la brousse, elles fixaient des figures qu’une trouble analogie reliait aux autres insectes, aux can-crelats, aux mouches, aux bêtes sans nom dont la tête sortait de la carapace au ras des mousses, à l’écoeurante virulence d’une vie de microscope. Les termitières hautes et blanchâtres, sur lesquelles les termites ne se voyaient jamais, élevaient dans la pénombre leurs pics de planètes abandonnées comme si elles eussent trouvé naissance dans la corruption de l’air, dans l’odeur de champignon, dans la présence des minuscules sangsues agglutinées sous les feuilles comme des oeufs de mouches. L’unité de la forêt, maintenant, s’imposait ; depuis six jours Claude avait re-noncé à séparer les êtres des formes, la vie qui bouge à la vie qui suinte ; une puissance inconnue liait aux arbres les fongosités, faisait grouiller toutes ces choses provisoires sur un sol semblable à l’écume des marais, dans ces bois fumants de commencement du monde. Quel acte humain, ici, avait un sens? Quelle volonté conservait sa force ?17

Dans ce monde de fermentation, en mouvement perpétuel, invisible et immo-bile à la fois, immergé dans un hors-temps suspendu à jamais, soumis aux lois mystérieuses d’une vie inhumaine, dans cet univers répugnant et fascinant à la fois, un effort régi par une volonté humaine, quelle que soit sa puissance, sem-ble comme par avance réduit à l’inefficacité et voué à l’anéantissement. Et cette menace d’engloutissement définitif est d’autant plus grande que les substances de l’espace aussi variées qu’elles puissent être, se réduisent à une confusion de formes sans noms, qui échappent totalement à une conceptualisation rationnelle par le langage humain, et réduisent ainsi, par leur non-sens, l’être humain en tant que porteur de sens (ici la volonté de récupérer des sculptures khmers) au néant.

Les hypothèses relatives à une traversée de la forêt qui ne serait pas « une petite balade »18 se confirment, et plus encore, la confrontation des personnages

15 Ibid.16 PASCAL, Blaise. Pensées, op. cit., p. 199 ; « Disproportion de l’homme », p. 525–528. voir

aussi la Pensée 418, « Infini rien » : « le fini s’anéantit en présence de l’infini et devient un pur néant. », p. 550.

17 MALRAUX, André, La Voie Royale, op. cit., p. 416 – 417.18 Ibid., p. 405.

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avec l’opposant démesurément disproportionné, semble rendre impossible toute conjonction avec l’objet de leur désir et mener vers une fin tragique.

4. La victoire définitive des personnages

A mesure que l’énergie physique et morale des personnages s’épuise au contact de l’opposant spatial de plus en plus violent, le récit progresse selon la logique annoncée. Or, Malraux, fidèle à son procédé initial de gradation et de multiplica-tion des dangers de toutes sortes, insère dans son récit des accumulations de mo-ments destinés à imposer l’attente cohérente d’un échec inéluctable à la fin. Mais il déçoit cette attente logique, jamais réalisée dans les situations où les puissances destructrices du monde végétal et minéral deviennent extrêmes et prennent une forme au-delà de laquelle il semble impossible d’aller. Ainsi, l’auteur dramatise l’action narrée à souhait par une succession de ruptures brutales entre une pro-gression narrative lancée et son non-accomplissement immédiat, qui provoquent des frustrations constantes chez le lecteur, dues à ses attentes jamais pleinement récompensées.

La forêt, en effet, promettait une défaite de la volonté humaine. Elle symboli-sait l’orgueil punissable d’un être trop misérable pour accéder à la grandeur dont il se voudrait digne. La défaillance des personnages, régulièrement entretenue par les attributs variés d’un obstacle supputé invincible les mène jusqu’à une désintégration physique et morale qui finit par les priver de toute conscience ra-tionnelle de leur objectif. Toutefois, dans un mouvement dialectique digne d’une logique pascalienne, le moment du pire engendre un retour au bien.19 Une force instinctive de salut se substitue soudainement à la volonté consciente, apparem-ment anéantie. Réduits, en effet, à de purs actes, dépourvus de toute conscience d’eux-mêmes et des objectifs de leur aventure, ils donnent d’abord le sentiment d’être devenus étrangers à tout :

Mètre par mètre, la piste s`allongeait sous les ombres maintenant verticales ; le bruit des coups de marteau demeurait seul dans cette lumière de plus en plus jaune, ces ombres de plus en plus courtes, cette chaleur de plus en plus intense. Elle ne pesait pas sur les épaules, elle agissait comme un poison, détendant peu à peu les muscles, tirant la force avec la sueur qui coulait sur les lunettes noires, de longues rigoles, comme sous des yeux arrachés. Claude frappait presque sans conscience, comme marche un homme perdu dans le désert. Sa pensée en miettes, effon-drée comme le temple, ne tressaillait plus que de l’exaltation de compter les coups: un de plus, toujours un de plus... Désagrégation de la forêt, du temple, de tout... Un mur de prison, et comme des coups de lime, ces coups de marteau, constants, constants...20

19 Blaise Pascal, Pensées, 200: « L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature, mais c’est un roseau pensant. […] Mais quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue […] », op. cit., p. 528.

20 André Malraux, La Voie Royale, op. cit., p. 429.

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L’enfermement des aventuriers dans leur obsession aveugle, avec des corps et des esprits détruits par une puissance obscure qui se propage inéluctablement en eux sous la forme d’une paralysie, est posé comme sans issue. Mais au moment où Claude est dépourvu de ses toutes dernières forces et commence à succomber à « une dépendance, (à un) abandon de la volonté, de la chair même, comme si le sang, pulsation à pulsation s’écoulait »21, au moment où « la forêt reprend sa puis-sance de prison »22, et se transforme, dans sa conscience émotive en forme vitale supérieure et monstrueuse de « masse de la pierre qui reprend une vie indestructi-ble, une vie de montagne, qui garde le passage et le garde lui-même »23, advient, brusquement, une rupture tout à fait inattendue dans le cours de la narration. Le monstre minéral invincible est par un seul coup de marteau soudain dépourvu de sa vie et de sa force magique et le personnage remporte, contre toute attente, une victoire surhumaine :

Soudain – différence de son sous le coup – sa respiration se suspendit ; il arracha ses lunettes : une vision brouillée, bleue et verte, se précipita en lui ; mais tandis que ses paupières battaient, une autre vision s’imposait, plus forte que celle de tout ce qui l’entourait : la cassure ! Le soleil scintillait sur elle ; la partie sculptée, portant, elle aussi, sa cassure nette, gisait dans l`herbe comme une tête tranchée.24

Et avec la victoire (due à un instinct irrationnel plus qu’à une volonté héroï-que), s’établit une conjonction provisoire ; la narration aboutit, après les épreuves les plus douloureuses, à l’accomplissement d’une harmonie entre l’homme, son projet et son milieu comme espace de la réalisation du projet. Les personnages, arrivés en héros au bout de leur conquête, après avoir vaincu l’espace opposant, libérés de leur obsession et des puissances maléfiques du cadre naturel, retrou-vent une unité perdue :

Il respira enfin, lentement, profondément. Claude, lui aussi, était délivré ; plus faible, il eût pleuré. Le monde reprenait possession de lui comme d’un noyé; la stupide gratitude qu’il avait connue en découvrant la première figure sculptée l’envahissait à nouveau. En face de cette pierre tombée, la cassure en l’air, un accord soudain s’établissait entre la forêt, le temple et lui- mê-me.25

La narration, s’achève donc, en apparence de façon arbitraire, contrariant le processus tragique qui la nourrissait jusque-là, et cela, même avant d’arriver à son achèvement réel.

21 Ibid., p. 430. 22 Ibid.23 Ibid.24 Ibid., p. 431. 25 Ibid., p. 432.

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70 ZUZANA JÁNOŠkOvÁ-WAgNER

5. Conclusion

L’effet de choc, produit par cette clôture inattendue où le tragique semble s’épuiser, sans pour autant avoir le dernier mot, est d’autant plus puissant que Malraux, fidèle à son esthétique convulsive, réintroduit aussitôt dans la narration un nouvel élément actantiel : le temps. Mais ce dernier, même s’il est censé re-prendre le rôle jusque-là accompli par l’espace, ne parvient pas à miner la victoire déjà accomplie sur l’espace, malgré la lente, douloureuse et dramatique agonie de Perken (puni de n’avoir plus d’idéal et de ne plus croire à rien ?), car les objets d’art conquis ont une valeur universelle qui ne peut pas être niée ni par le temps comme force de destruction : l’œuvre d’art est définitivement sauvée de son re-tour à la poussière contrairement à l’adage chrétien.26

Et cette idée d’une revanche de l’acte créateur comme confirmation suprême de la victoire humaine sur un espace et (plus tard) sur un temps tragiques, devien-dra, par la suite, le fil conducteur de toute l’activité artistique de l’auteur. Ainsi le récit, comme acte héroïque de révolte, malgré et grâce à une défaite inéluctable, devient un anti-destin. En ce sens, écrire pour Malraux est un combat engagé contre toutes les forces du néant, de même que l’effort des héros dans La Voie royale d’arracher un objet d’art à son anéantissement par le temps dans un espace tragique est le moyen de sauver la dignité et la grandeur, toujours menacées, de l’Homme. Pour mettre en place cette narration de type tragique et chanter l’hé-roïsme de l’homme face à un univers hostile et écrasant, l’espace s’avère come l’élément essentiel et irremplaçable d’une tragédie inachevée (comme il y eut des symphonies inachevées) construite d’une manière magistrale dans le seul roman vraiment spatial de Malraux, La Voie royale.

Bibliographie

Oeuvres de Malraux analysées et citées

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MALRAUX, André. Les Voix du Silence. Paris: gallimard 1951.

Ouvrages de référence

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26 « Tu es poussière et tu redeviendras poussière. »

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71ESPACE ET TRAgÉDIE DANS LA VOIE ROYALE D’ANDRÉ MALRAUX

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Abstract and key words

La Trilogie Asiatique refers to an exotic setting, as the title shows, in which Malraux sets his first three novels (The Conquerors, 1928; The Royal Way, 1930; Man’s Fate, 1933) so as to transform space and time – linked to the Orient as they are in his creative imaginary world – according to the esthetic objectives of the novel narrative genre he chose. Yet the objective of the The Royal Way is singular. In fact the writer builds up space in a rather unheard-of manner as he endows it, more than he does time, with the actantial function of opponent, insofar as the function of space is to hinder the characters’ striving to combine their strengths in the quest for an object. Contrary to what he did in The Conquerors in which space had the rhetorical function of metonymy – a setting descri-bed in order to suggest a thematic meaning, namely the exotic and destitution – but also contrary to Man’s Fate in which time is essential. Malraux is trying his hand at integrating space into the narrative by assigning to it the responsibility of a tragic threat. Does the narrative logic really tally with Malraux’s objective? Did he really succeed in associating space and tragedy? The question comes up inasmuch as the tragic as narrative which finds the source of its negative ending in its positive beginning is essentially linked to time. In this perspective I studied the rise of the spatial threat first, then the characters’ physical experience as they stand up to the ordeal, and finally their definitive victory enabling them to become heroes in spite of the deadly sequels of their adventure in Cambodia.

Narrative semantic; space; time; the tragic; heroism; French literature

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