Enquête de Savorgnan de Brazza

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  • 8/18/2019 Enquête de Savorgnan de Brazza

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    Lecture : "Les massacres du

    Congo" de ToquéL'ancien administrateur adjoint des colonies Georges Toqué (1879-1920) publia en 1907, à sa sortie de prison, un livre de mémoires

    " Les massacres du Congo ", avec en sous-titre " La terre qui ment, laterre qui tue ".

    Tout comme le titre, la couverture sanglante du livre ne fait pas dansla dentelle, à l'image des journaux à sensation de l'époque. Le livre a pour objectif de le réhabiliter, en dénonçant le système danslequel il était prisonnier, et de relater les exactions commises, qu'il a pu observer de près sur le terrain.

    Le jeune homme (il n'a alors que 20 ans) part "pour les colonies" pleind'enthousiasme et de rêves, ceux d'un avenir plus brillant et d'une promotion sociale plus rapide qu'en métropole. Mais il déchanteraassez rapidement.

    Il commence par un poste d'administrateur stagiaire au Dahomey(Bénin), fin 1899. Il découvre la vie coloniale à Porto Novo : "Oh ! labonne petite ville de province que Porto Novo ! ". Causeries, ragots,surtout sur les absents, sont de rigueur "aux colonies bien plusqu'ailleurs ".

    Il y côtoie un certain Antonetti, et partage même sa case avec lui. Desept ans son ainé, ce dernier deviendra Gouverneur du Dahomey dixans plus tard, puis Gouverneur général de l'AEF de 1924 à 1934.

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    Couverture du livre de Georges Toqué (Edition La Librairie Mondiale - 1907)

    Toqué est rapidement malade, " jaune, maigre et courbatu ". C'est lorsdu voyage retour vers la métropole, dès février 1900, qu'il croise uneautre forte personnalité, Emile Gentil, à bord du Maceïo . C'est Gentilqui l'incite quelques semaines plus tard à partir pour le CongoFrançais, plus précisément au "Chari", tout juste conquis.

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    De nouvelles aventures possibles, le jeune homme veut découvrir la brousse. Après un très long voyage (Landana, Kinshasa, Brazzaville,

    Loukoléla, Bangui, Fort-de-Possel), il rejoint son poste de Fort-Sibut (à l'origine appelé Krébedjé)

    C'est un poste stratégique situé sur la "route du portage".Indispensable pour ravitailler les troupes en cours de conquêtemilitaire de l'Oubangui-Chari et du Tchad. C'est là que Toquécroisera pour la première fois le Sultan Niémé.(cf Loango colonial : un sultan contraint à l'exil...).

    Le jeune Toqué ( L'Illustration du 25 février 1905 - Photo Rives)

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    Toqué rejoint ensuite en 1901 Fort-Crampel (Kaga-Bandoro) situéencore plus au nord, pour devenir l'adjoint du commandant de la

    Région Civile, M. de Roll. Il dresse le tableau en quelques mots : " Au pied du rocher sombre, le poste menace de ses canons, la plaineimmense et déserte ".

    Gentil laisse à cette époque le commandement de la région à unmilitaire, le lieutenant-colonel Georges Destenave. Afin d'assurer le portage coûte que coûte, il met en place une série de mesures trèssévères à l'encontre de la population locale, connues sous le nom de"code Destenave".

    Les "conventions" du 1er avril 1901 donnaient ainsi les possibilitésde répressions suivantes aux administrateurs coloniaux :

    1° - Les agents inférieurs peuvent, vis-à-vis des indigènes, appliquerles peines suivantes :

    a) La chicotte

    b) L'amende

    c) La barre de justice

    d) La prison

    2° - Le commandant de cercle se réserve d'appliquer :

    e) La déportation

    f) La mort

    Les administrateurs avaient donc un pouvoir de police et de justice, porte ouverte à tous les abus, surtout quand il s'agit d'une justiced'exception. La détention d'otages était officiellement prohibée dans

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    toute la colonie du Congo Français, par un arrêté local du Lieutenant-Gouverneur du Gabon datant de 1887, pourtant le texte stipulait :

    "Les femmes détenues au camp y recevront une ration de mil qu'ellesauront à broyer et à cuire elles-mêmes. La femme et, s'il y a lieu, lesenfants, seront rendus à l'homme quand celui-ci aura fourni la corvéequi lui est demandée (portage, impôt, etc.)."

    Si ce n'est pas de la prise d'otages, cela y ressemble fort !!

    Le recrutement de porteurs primait donc sur toute autre considération.Les armes, les munitions, les marchandises devaient absolumentatteindre leur but. Les colons français étant très peu nombreux, cefurent les auxiliaires et autres miliciens (issus le plus souventd'Afrique de l'Ouest) qui constituèrent le bras armé de la répression.

    Toqué raconte : " Les rebellions commencèrent dès la première heure. Les villages étaient réprimés... par les miliciens noirs : la tuerie, leviol, l'incendie, le pillage. Et les otages- la honte ! Atroce procédé

    pris aux sauvages eux-mêmes. Les hommes, rares, venaient amarrés: la corde coupait les chairs et faisait de mauvaises blessures. Les

    femmes lentes à fuir, les vieilles et les nourrices, qui portaient l'enfantà cheval sur la hanche , venaient en troupeau. [...] Les yeux baissés,avec des mines de pauvres bêtes effarés, elles mettaient la main surla bouche des enfants effrayés par les blancs et tout prêts à pleurer.

    Et tous ces otages restaient dans la hutte sordide - le camp - jusqu'àce que leur chef vint les réclamer, la corvée faite ".

    Georges Toqué note : " Il était encore de bon ton d'affecter unsouverain mépris du "sale nègre" ; une exécution sommaires'acceptait facilement, qui s'appuyait sur un semblant de raison

    politique et de besoin de la domination. Cette idée de race ne finiraqu'avec le monde. La justice n'existait pas et la presse s'immisçait fort

    peu dans la gestion d'un domaine vaste et décousu. Les abus persistaient ."

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    Miliciens armés s'embarquant à Brazzaville

    (vers 1905 - carte postale © Vialle)

    La vie en Oubangui-Chari était alors fort rude, les conditionsmatérielles médiocres, l'isolement, la peur, la maladie conduisaient àce que certains qualifiaient "d'effondrement" (on peut lire sur cemême sujet "Un avant-poste du progrès " de Joseph Conrad, cfLecture : "Au coeur des ténèbres"). Des administrateurs sombraient parfois dans une folie meurtrière... frappés de "soudanité" ou"d'africanité" comme on se plaisait à le nommer à l'époque.

    http://voyage-congo.over-blog.com/article-lecture-coeur-tenebres-conrad-93199605.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-lecture-coeur-tenebres-conrad-93199605.html

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    Il relate le cas d'un commis aux affaires indigènes, un certain "H",nommé chef du poste de Nana (du nom d'une rivière, poste situé à

    plus de 100 km au nord de Fort-Sibut). Le dénommé "H" esttransporté mourant à Fort-Sibut et Toqué part faire l'intérim à Nana.Il découvre alors une situation terrible.

    " Des choses navrantes ici : des prisonniers enchaînés de court,alignés à terre, comme des gens que la faim mord. A trois pas dansla brousse, un coup de feu. J'y cours : un auxiliaire déguenillé vientde tirer à bout portant une pauvre vieille grand-mère. Elle râleencore faiblement, la poitrine trouée au-dessous de son pauvre sein

    fané ; la bouche ouverte laisse échapper, au rythme du soufflemourant, un glougloutement de sang noir et de mousse.

    Une dizaine d'autre femmes maigres, étiolées, se tiennent là, tenantdes enfants sur leurs bras impassibles, regardant la pauvre vieille quis'en va. Elles doivent être là depuis de longs jours, couchées dans lagrise poussière du sol, car, ce sont des squelettes blanchis, delugubres pierrots tout blancs, avec deux grandes taches humides : les

    yeux et la bouche. [...] Je découvrais ainsi qu'H... était l'auteur d'un

    code draconien dont l'unique peine était la mort. " Toqué tait le nom de son collègue (pourquoi, alors que d'autres sontcités clairement ?), mais on saura plus tard qu'il s'agissait d'undénommé Hermès.

    Semblant faire preuve d'humaniste, Toqué dénonce la mentalité et les pratiques des "anciens coloniaux", par opposition aux jeunes qui,comme lui, débarquaient à cette époque dans la colonie :

    "Cette nouvelle cohorte se heurtait partout aux vieux éléments, tropdépréciés peut-être, d'une administration amorphe et peu exigeante.Un sang nouveau s'infusait, des idées nouvelles germaient, laméthode remplaçait l'empirisme, la force faisait place à l'humanité,quoique lentement ".

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    Femme du chef de Krébedjé (Fort-Sibut), race banda

    (carte postale vers 1900 © Audema)

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    Il relate les sinistres propos de son supérieur hiérarchique M. de Roll,qui lui intime le silence au sujet des exactions commises : "Pour moi,

    je n'ai que quelques mois à vivre ; je tiens à ne pas les gâter. Quantà vous, avec l'avenir auquel vous pouvez prétendre, votre intérêt estde museler. La pire note que vous puissiez avoir au ministère est celled'un emmerdeur.

    Rappelez-vous ceci : qu'il n'est pas défendu de tuer des nègres, maisbien de le dire, d'être pris ou de laisser des traces ; et qu'il vaut mieuxtuer vingt nègres que d'en égratigner un. Les morts ne parlent pas,tandis que l'homme égratigné deviendrait en France un martyr. Vous

    auriez beau dire et beau faire, vous n'arriviez pas à convaincre quevous n'êtes pas un tortionnaire ".

    Pourtant, Toqué lui-même tient des propos ouvertement racistes, souscouvert de plaisanterie : " A Dakar, nous embarquâmes M. Cougoul,nommé chef du service judiciaire au Congo pour diriger notre affaire.Vous pourriez entendre sans comprendre que M. Cougoul"descendait des cocotiers". [...] Aussi bien est-ce une image. Dire dequelqu'un qu'il descend des cocotiers, c'est faire entendre qu'il

    descend du singe, en passant par le nègre..., stade auquel n'a passongé Darwin ". Cette opinion était alors largement partagée par sescontemporains...

    Après la mort du commandant de Roll, début 1903, Toqué devient lecommandant de cercle de Fort-Crampel. Le "cercle" était le plus petitéchelon de l'organisation administrative coloniale française.

    Il arrive à gagner la confiance de la population, et les Mandjiasviennent progressivement installer leurs cases autour du poste. Maisle dénuement dans lequel se trouvent les gardes régionaux conduit àdes rebellions. Il se voit contraint de fusiller un déserteur, "un

    Marouba du nom de Pikamandji ". Les textes en vigueur le permettaient, une circulaire du Ministère de la Guerre stipulant que pour 1903 ce territoire était en "campagne de guerre " !

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    Il écrit à ce sujet un rapport envoyé à son supérieur, M. Pujol. Maiscelui-ci est de la "vieille école" et étouffe l'affaire : " Je ne vous

    réponds pas officiellement au sujet du nommé Pikamandji, il vautmieux laisser cela tranquille ; je détruis d'ailleurs votre lettre à cesujet. A l'avenir, agissez ainsi, c'est bien préférable. Ce n'est pas que

    je vous blâme, loin de là, je trouve que vous avez bien fait ; maisencore une fois il vaut mieux ne pas ébruiter ces choses-là !! Mecomprenez-vous ? ".

    Voilà comment pouvait naître un sentiment d'impunité totale et ainsiconduire aux pires exactions. Le point d'orgue en sera l'affaire "Gaud-

    Toqué" (cf L'affaire dramatique "Gaud et Toqué").

    Source : "Les massacres du Congo" - Georges Toqué - La Librairie Mondiale 1907 - Réédition L'Harmattan 1996.

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    L'affaire dramatique "Gaud et

    Toqué"En décembre 1902, Toqué est rejoint par un nouveau fonctionnaire,un certain Gaud, Commis aux affaires indigènes. Il le décrit ainsi :

    "Un fils de la Provence, trapu et massif. Une forte chevelure couvraitson large front, une barbe de fleuve se jouait sur sa poitrine. Gaudn'a pas, à proprement parler, le tempérament méridional, et s'il l'a,

    c'est moins par l'exagération propre à ses compatriotes que par le tonet les façons de s'exprimer. [...] Gaud me produisit bonne impression: il comprenait vite et faisait bien. La comparaison avec Chamarandeétait à son avantage. Aussi ne tardai-je pas à lui donner maconfiance.

    Violent, il l'était ; mais d'une violence de méridional, qui s'en allaittoute en jurons, en éclat de voix, en menaces, en mouvement. Quandil se fâchait contre un maladroit ou un paresseux, tout le poste

    l'entendait. Quelque fois une gifle sonore, ou - rarement- un coup de poing, et la tempête passait. Il avait des injures à lui [...] "fils desinge, bête de brousse".

    Puis, comme pour excuser son geste de vivacité, il gratifiait le patientd'un menu cadeau avec des mots cocasses : "Tu sais bien que tu esmon fils ! ".

    Fernand Gaud fut ainsi surnommé par les Africains " Niama Gounda ",autrement dit "La bête féroce". Alors que les morts d'Européens et de miliciens (de maladie oud'accident) entourent ces hommes, que les soldes ne sont pasforcément versées, ils prennent leur poste à Fort-Crampel. Seulement4 hommes "Blancs" dans tout le "cercle", où Toqué considère qu'il enfaudrait au moins dix.

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    Fernand Gaud (au centre) aux côtés de deuxcoloniaux ( L'Illustration février 1905)

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    Pujol donne l'ordre de mettre au pas un chef Mandjia de la région,récalcitrant à la colonisation, un certain Doumba, sorcier couvert de

    gris-gris. L'émissaire choisi, Pakpa, conduit en fait Toqué dans untraquenard. Le traître fuit dans la montagne. Doumba finit par être tuéau fond d'une caverne par un milicien, et Pakpa est capturé quelquessemaines plus tard.

    Au retour d'une nouvelle tournée, Toqué tombe malade, fin juin1903: "des frissons me secouèrent, la fièvre monta, rapide, brûlante;l'urine se teinta de sang noir : c'était la bilieuse hématurique ". Après plusieurs jours de lutte dans un état comateux, Toqué se dit "sauvé,

    mais faible, exsangue, las au moindre mouvement " à la date du 10 juillet. Le docteur Le Maout était arrivé à son chevet le 8 juillet.

    De fait, c'est Gaud qui gère le poste de Fort-Crampel et le 14 juillet arrive. Il était de coutume de gracier les prisonniers pour la Fête Nationale. Deux sont libérés, mais se pose le problème du fameuxPakpa. Gaud s'oppose à sa libération, le jugeant trop dangereux etenclin à la récidive, pouvant inciter à la révolte les tribus voisines.

    En état de faiblesse, presque indifférent, Toqué écoute les argumentsde Gaud. Las de la discussion, il finit par lui concéder son pouvoir dedécision et relate ainsi les faits : " Après tout, je suis malade, c'est vousqui faites marcher la boîte, faites ce que vous voudrez ! ". [...]

    Quelques heures après, Gaud venait m'annoncer qu'il avait fait justice de Pakpa : je n'approuvai ni ne désapprouvai, pensant quePakpa n'avait pu être que fusillé. C'est seulement plus tard que jeconnus les détails de cette exécution, ainsi que la présence deKermarec. Gaud avait voulu décapiter Pakpa sans que celui-ci s'endoutât et frapper un grand coup sur l'esprit des tribus révoltées. Ils'était servi d'une cartouche de dynamite attachée sur le cou dutraître ".

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    Aucune conséquence immédiate... Gaud tombe à son tour gravementmalade le 8 août. L'œuvre de "pacification" se poursuit dans les

    mois suivants et Toqué, remis sur pieds, tisse des liens avec leschefs locaux.

    Georges Toqué en 1904 à Gribingui, alias Fort-Crampel( L'Illustration mars 1905)

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    Chefs Mandjias et Mgaos à Fort Crampel, Congo, Haut-Chari, vers1900 (© Georges Bruel)

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    Georges Toqué fait part d'une autre exaction, celle commise au postedes M'Brous par le Dr Le Maout, devenu à moitié fou, qui dans un

    excès de colère "avait attaché un indigène au mât de pavillon, l'avait fait frapper à coup de chicottes, sur le ventre, jusqu'à la mort ".

    Le scandale de l'horrible exécution du 14 juillet 1903 éclate enmétropole seulement au début de 1905, elle est évoquée pour la première fois dans lePetit Parisien du 15 février 1905.

    Explosion du bâton de dynamite le 14 juillet

    ( L'Assiette au beurre - mars 1905)

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    La presse à sensation et les revues humoristiques s'en donnent à cœur joie pour dénoncer les exactions de ceux censés apportés "LA"

    civilisation, et le terrible crime de Fernand Gaud (" La fête du 14 juilletà Brazzaville - C' qu'on rigole aux colonies ! Vive la République ! ).

    Cet autre dessin humoristique fait d'ailleurs allusion à une autreversion de l'exécution, en évoquant le passé d'étudiant en pharmaciede Gaud :

    "Comme potard, j'ai inventé le suppositoire à la dynamite! ".

    Dessin satyrique - Gaud ancien pharmacien( L'Assiette au beurre - mars 1905)

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    En effet, la presse la plus sérieuse donne écho à une autre version quecelle de Toqué (bâton de dynamite placé autour du cou).

    Ainsi le journal "Le Matin", dans un article au titre accrocheur " Lesbourreaux des Noirs ", relate les "raffinements de cruauté" supposésavoir été pratiqués : "Un nègre étant étendu à terre et maintenu parde solides liens, il s'agissait de faire détonner une cartouche du

    formidable explosif, qu'on lui aurait, au préalable, adaptée sur le dos[...] Un de ces misérables était allé chercher la cartouche. On la fixaitentre les omoplates du patient, quand un nouveau raffinement decruauté germa dans le cerveau des bourreaux. Ils estimèrent que

    l'expérience serait infiniment plus probante si le tube de cuivre faisaitoffice de canule... Le nègre hurla. Une détonation retentit, des débrissanglants, des membres, des intestins, furent projetés à une trèsgrande distance ".

    La presse évoque une autre horrible accusation à l'encontre des deuxcoloniaux : "Quelques jours plus tard, ils auraient décapité un autreindigène, fait bouillir sa tête et servi le bouillon à ses parents et amis,non prévenus, afin de se procurer le spectacle de leur stupeur quandcette tête leur serait exhibée après le repas " ( L'Illustration du 25février 1905).

    La légende du dessin satyrique "Le bouillon de tête" prête ces proposà Gaud : "Vous aimeriez peut-être mieux du veau ? ... Mais c'est bienassez bon pour des cochons comme vous ! ".

    C'est le comble, alors que les indigènes de cette région du Congofrançais étaient accusés de cannibalisme, c'est un colonial qui lesaurait incité à cette pratique !

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    Gaud servant une tête de nègre bouillie

    ( L'Assiette au beurre - mars 1905)

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    Suite à ces fracassantes révélations sur ces terribles méfaits, ousupposés tels, Fernand Gaud est arrêté au Congo et Georges Toqué à

    Paris, où il était rentré en mai 1904 pour profiter d'un congé régulier(suite à une blessure).

    La presse relate : " Les actes de cruauté imputés à ces fonctionnairescoloniaux sont tellement abominables qu'on hésite à les tenir pourexacts, malgré le caractère affirmatif de diverstémoignages " ( L'Illustration du 25 février 1905).

    Un procès se tient alors à Brazzaville pour tenter de faire la lumièresur cette affaire (cf Le procès de l'affaire "Gaud et Toqué"). Sources : "Les massacres du Congo" - Georges Toqué - La Librairie

    Mondiale 1907 - Réédition L'Harmattan 1996.

    Magazine L'illustration n°3235 du 25 février 1905 et n°3237 du 11mars 1905.

    L'Assiette au beurre N°206 - Mars 1905. Journal "Le Matin" n° 7662 du 16 février 1905

    http://voyage-congo.over-blog.com/article-proces-affaire-gaud-toque-1905-124142143.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-proces-affaire-gaud-toque-1905-124142143.html

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    Le procès de l'affaire "Gaud et

    Toqué"Le procès de Gaud et Toqué s'ouvre à Brazzaville le 21 août 1905. Ildébute dans des conditions particulières, le principal accusateur quiavait fait "fuité" les informations dans la presse début 1905, est mort.Il s'agit du Dr Le Maout décédé de "fièvre bilieuse hématurique"seulement trois jours avant l'ouverture des débats.

    D'autre part, les autorités de l'époque n'accordent aucun crédit auxtémoignages des Noirs, selon des croyances alors fermement établies:" Enfin, il faut critiquer de très près tous les témoignages de Noirs.C'est un fait universellement reconnu que le Noir, surtout le Noir

    primitif du Congo, n'a aucun sentiment de la vérité: il se rappellemal; il imagine facilement et se laisse prendre lui-même à ses propres

    fictions, il ment avec une extrême facilité, non seulement par intérêt, par vanité, par vengeance, mais même sans motif, sans intention;suggestionné par celui qui l'interroge, il lui répond spontanément ce

    qu'il pense que celui-ci aura plaisir à entendre. Dans ses belles étudessur la psychologie des races nègres, le docteur Cureau écrit « Letémoignage du nègre en justice n'offre absolument aucune garantie.» (Revue générale des sciences, 30 juillet 1904) ". C'est bien connu, leBlanc n'est lui pas capable de mensonge et de manipulation !

    Le seul représentant de la presse, Félicien Challaye, membre de lamission Brazza, dresse le portrait des deux accusés :

    "Toqué est un très jeune homme, tout petit, maigre, brun, nerveux.Visage mobile, agité de légers tics. Moustache brune, un peutombante.[...] Il parle très facilement, d'ordinaire avec précision,toujours avec un entrain juvénile. Pressé de s'expliquer, il a peine àlaisser l'interlocuteur finir sa phrase, il interrompt souvent « Je

    proteste, je proteste énergiquement. » Parfois il accompagne ses paroles de gestes agiles, parfois il parle les bras croisés, comme un petit élève bien sage qui passerait un examen. "

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    " Gaud est de taille moyenne, gros, chevelu et barbu, très noir. Levisage est déplaisant et bestial; il justifie le surnom que donnent à

    Gaud les indigènes du Haut-Chari la "bête de brousse", la "bêtesauvage". Gaud parle moins et moins bien que Toqué, bien qu'il ymette plus de prétention. Il hésite plus souvent avant de répondre. Ilest d'ailleurs très fatigué en ce moment, a le teint plombé, tousse,garde son mouchoir sur la bouche. Parfois, il allègue son état demaladie pour ne pas répondre : « Je ne suis pas en état de discuter »répète-t-il" .

    Impôt payé en ivoire et caoutchouc, Fort-Crampel, 1904

    (photos Gaud, L'Illustration Février 1905)

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    Le journaliste reconnaît : "Voilà des administrateurs dont le métierest d'arracher à de malheureuses populations des impôts, et surtout

    des porteurs, leur devoir professionnel les oblige à exercer sur lesindigènes la plus dure contrainte, la plus grande partie de leur tempsse passe à exiger des porteurs par la force, à réprimer par la forcedes soulèvement s".

    [...] Les crimes et délits poursuivis ont été commis en 1903 à Fort-Crampel, ils sont longtemps restés ignorés de la justice. Aucuneautorité ne les dénonce. Mais des passagers descendus du Haut-Chari les rapportent dans des conversations particulières ".

    [...]Toqué résume d'un mot la situation du Haut-Chari jusqu'en 1903:« Ç'a été le massacre général, pour faire marcher le service. »

    Toqué est inculpé à titre individuel de complicité d'homicidevolontaire avec préméditation, commis par des gardes régionaux,agissant par ordre et donc non poursuivis, sur la personne d'undénommé Pikamandji. Exécution dont sa hiérarchie préférait ne pasavoir officiellement connaissance. (Lecture : "Les massacres du Congo" de Toqué). Toqué ne nie pas le fait qui lui est reproché : "On était alors en étatde guerre. Pikamandji avait déserté, il prêchait la révolte. Sonexécution était indispensable pour empêcher les autres gardesrégionaux de déserter et pour éviter la révolte de tout le pays ". Il avaitalors le droit d'exercer la peine de mort, en tant que Commandant decercle...

    Par contre, il nie farouchement son implication dans la mort deMoussa Kandji (chef indigène exécuté à coups de baïonnette par desgardes régionaux) et de l'indigène Ndagara, pris en flagrant délit devol de cartouches sur la route de portage, mort noyé dans les chutesde la Ouana (rivière Nana), dans des conditions troubles (accident ouexécution ?). Toqué soupçonne dans ses mémoires le milicienYambissi d'avoir poussé à l'eau N'Dagara...

    http://voyage-congo.over-blog.com/article-livre-massacres-congo-georges-toque-123846719.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-livre-massacres-congo-georges-toque-123846719.html

  • 8/18/2019 Enquête de Savorgnan de Brazza

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    Sur le registre de Fort-Crampel, il est noté : " Le chef Ndagara, «décédé en prison le 23 novembre». Or, il est mort aux

    chutes le 22. Toqué répond qu'ayant écrit cette note longtemps après,il s'est trompé de date. Et on avait l'habitude, toutes les fois que les prisonniers mouraient, même en cours de route, d'ajouter la mention« Mort en prison » ". Voilà un moyen simple de ne pas s'encombrerde détails inutiles...

    Sabangas à Fort-Crampel, Haut-Chari, Congo français

    (carte postale vers 1900 © Georges Bruel)

  • 8/18/2019 Enquête de Savorgnan de Brazza

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    C'est au tour de Gaud d'être mis en accusation à titre individuel pourdivers crimes et délits :

    - d'avoir jeté une femme Mandjia inconnue dans la rivière Gribingui,échappant de justesse à la noyade.

    - d'avoir porté des coups sur la magasinier Zinguéré.

    - d'avoir porté des coups sur le clairon Coroné, lui brisant des dents, parce qu'il jouait faux.

    - d'avoir attaché le menuisier John William à la barre de justice, sansmotif avéré.

    - d'avoir fait évanouir un boy inconnu, en lui déchargeant son révolver près de l'oreille.

    - d'avoir fait boire du bouillon de tête de mort au boy Soumba, cause,on l'imagine sans peine, "d'émotion violente " (cf L'affaire dramatique

    "Gaud et Toqué"). Les faits sont rapportés par son collègue M. Chamarande et par desgardes régionaux. Fernand Gaud semblait beaucoup "s'amuser" avecles indigènes, abusant avec violence de son autorité...

    L'accusé se défend : "Gaud reconnaît avoir donné des gifles, mais nieavoir exercé aucune violence grave. [...] Gaud raconte qu'il lui estarrivé souvent de préparer des têtes de nègres pour collections, ainsiil a préparé la tête du chef Doumba, que M. Chamarande avait faitcouper dans son tombeau" (sic). [...] Gaud n'ayant pas de potasse,

    plongeait les têtes de mort dans un bain d'eau et de cendres. Jamaisun boy n'aurait pu croire que ce mélange d'eau et de cendres était dubouillon. Le fait est donc invraisemblable. D'ailleurs, si plusieurstémoins ont entendu raconter le fait, personne ne prétend l'avoir vu ".

    http://voyage-congo.over-blog.com/article-affaire-dramatique-gaud-toque-123931253.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-affaire-dramatique-gaud-toque-123931253.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-affaire-dramatique-gaud-toque-123931253.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-affaire-dramatique-gaud-toque-123931253.html

  • 8/18/2019 Enquête de Savorgnan de Brazza

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    Faute de témoin direct, en dehors du boy Soumba (témoignaged'indigène décrédibilisé d'office...), l'épouvantable épisode du

    "bouillon de tête de mort", relaté par la presse début 1905, ne peut pasêtre prouvé. Les pratiques morbides de Gaud sont tout de mêmeeffarantes et dénuées de respect pour les populations locales, trèsattachées au respect des morts.

    ("Un des hommes de Doumba, écrit M. Chamarande, pleurait àchaudes larmes pendant la profanation du corps de son maître" ).

  • 8/18/2019 Enquête de Savorgnan de Brazza

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    Itinéraire des caravanes de Fort-Sibut à Fort-Crampel (© PierreMollion)

  • 8/18/2019 Enquête de Savorgnan de Brazza

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    Sont abordées ensuite les accusations concernant les deux hommes :

    - Exécution du chef Yorouba Djéouendi, qui s'opposait aux chefsMandjias, favorables à une "pacification" avec les colonisateurs.Après une condamnation à mort par les chefs Mandjias, il est fusillé par des gardes régionaux.

    - Enfermement d'indigènes dans un silo (où on faisait pousserauparavant du mil). Gaud est accusé de violences et voies de fait, etToqué de complicité. Ils nient avoir privé d'eau et de nourriture lesindigènes. Gaud nie avoir frappé un indigène qui se cramponnait aucouvercle pour ne pas entrer dans le silo. Il nie aussi avoir uriné surles prisonniers... Toqué affirme avoir mis fin à cet enfermement, dèsque le Dr Le Maout lui a signifié le danger que représentait le silo pour la santé des prisonniers. L'accusation n'a pas retenu le fait que plusieurs indigènes seraient morts dans le silo.

    - Exécution à la dynamite de l'ancien guide Pakpa. Gaud est accuséd'homicide volontaire et Toqué de complicité, pour avoir donnél'ordre d'exécution (cf L'affaire dramatique "Gaud et Toqué").

    Gaud reconnait sans sourciller l'exécution à la dynamite (utiliséed'ordinaire pour pêcher le poisson) et " fait le récit de son crime avecun calme stupéfiant ". La version de la cartouche de dynamite attachéeautour du cou est retenue (et pas celle de l'explosif enfoncé dansl'anus...). Toqué nie farouchement toute complicité, il a simplementdonné l'ordre de fusiller le traitre Pakpa (à l'origine d'un guet-apensoccasionnant plusieurs morts et blessés), dès le 9 mai 1903, etdésapprouve le procédé employé le 14 juillet 1903 par sonsubordonné, alors qu'il était en état de faiblesse. Il n'a pas participé àl'exécution, ne tenant même pas debout.

    Gaud explique alors qu'il a fait constater autour de lui la singularitéde cette mort mystérieuse : " Ni trace de coup de fusil, ni trace de coupde sagaie : c’est par une sorte de miracle qu’est mort celui qui n’avait

    pas voulu faire amitié avec les Blancs. "

    http://voyage-congo.over-blog.com/article-affaire-dramatique-gaud-toque-123931253.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-affaire-dramatique-gaud-toque-123931253.html

  • 8/18/2019 Enquête de Savorgnan de Brazza

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    "Education :Tas de brutes ! On ne peut rien vous faire entrer dansla tête " (©L'Assiette au Beurre)

  • 8/18/2019 Enquête de Savorgnan de Brazza

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    D'après Gaud, il n'y aurait eu qu'un seul témoin à l'exécution, le garderégional Matifara. Toqué évoque dans ses mémoires la présence d'un

    certain Kermarec. Toujours d'après Toqué, c'est le Dr Le Maout qui aurait soudoyéMatifara pour colporter tout un tas d'histoires malveillantes :

    " Ah, il en eut pour son argent, grâce aux soins de Matifara qu'ontrouvait partout où il y avait cent sous à gagner. Voilà commentnaquirent les fables de femmes noyées, grillées, du silo-tombeau, devingt autres histoires percées à jour depuis ".

    La source d'information du Docteur est aussi révélée : " Le Maoutavait brouillé Gaud avec Kermarec et obtenu de celui-ci tous lesdétails de l'affaire Pakpa ".

    Les deux hommes sont condamnés à cinq ans de réclusion. Ils quittentla prison de Brazzaville (où Toqué a côtoyé le Sultan Niébé ; cfLoango colonial : un sultan contraint à l'exil...) et prennent le bateau pour Bordeaux, où ils arrivent le 22 octobre 1905, et sont emprisonnés provisoirement au fort du Hâ.

    Le 16 novembre 1905, les deux hommes sont transférés à la prisoncentrale de Thouars (Deux-Sèvres) pour purger leur peine. Le régimecarcéral est alors très dur et Toqué demande secours au Ministre desColonies. Il est transféré à la maison centrale de Melun le 15 août1906.

    Cette condamnation soulève l'indignation dans le milieu colonial. Lescolons considèrent qu'ils sont eux aussi victimes d'exactions de la partdes indigènes, restés impunis (cfLe contexte du procès de l'affaire"Gaud et Toqué"). Il est vrai que le cercle infernal des révoltes,notamment contre l'impôt et le portage, ou tout simplement contre lacolonisation, et des répressions militaires qui s'en suivent estenclenché depuis plusieurs années.

    http://voyage-congo.over-blog.com/article-loango-colonial-sultan-niebe-exil-123728502.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-proces-affaire-gaud-toque-congo-124291954.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-proces-affaire-gaud-toque-congo-124291954.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-proces-affaire-gaud-toque-congo-124291954.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-proces-affaire-gaud-toque-congo-124291954.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-loango-colonial-sultan-niebe-exil-123728502.html

  • 8/18/2019 Enquête de Savorgnan de Brazza

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    C'est dans ce contexte de révélations et de scandales que leGouvernement est contraint de faire appel à Savorgnan de Brazza

    pour mener l'enquête au Congo français, l'affaire Gaud-Toqué n'étant pas la seule à émerger à cette période.

    La peine des deux administrateurs coloniaux est ensuite ramenée àdeux ans d'emprisonnement par une commission de révision.

    C'est peu après sa libération que Georges Toqué publie son livre(cf Lecture : "Les massacres du Congo" de Toqué), pour donner saversion des faits et se dédouaner. Le sujet étant passé de mode en cettefin 1907, son livre n'a pas beaucoup d'écho et sombra dans l'oubli.

    Il constitue pourtant un intéressant témoignage de cette sinistreépoque, avec un narrateur non dénué de talent.

    Sources :

    "Les massacres du Congo" - Georges Toqué - La Librairie Mondiale1907 - Réédition L'Harmattan 1996.

    Magazine L'illustration n°3235 du 25 février 1905. L'Assiette au Beurre N°206 - Mars 1905.

    Journal "Le Temps" du 23 septembre 1905 - L'Affaire Gaud-Toqué(De notre correspondant auprès de la mission Brazza) - FélicienChallaye.

    http://voyage-congo.over-blog.com/article-livre-massacres-congo-georges-toque-123846719.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-livre-massacres-congo-georges-toque-123846719.html

  • 8/18/2019 Enquête de Savorgnan de Brazza

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    Le contexte du procès de l'affaire

    "Gaud et Toqué"Avant l'affaire Gaud et Toqué (cfL'affaire dramatique "Gaud etToqué" ), la presse s'est fait l'écho depuis plusieurs années demassacres d'européens et de révoltes indigènes dans les colonies, sansforcément en expliquer les causes profondes.

    La presse illustrée fait ses choux gras avec des représentations tout

    droit sorties de l'imagination des dessinateurs (qui pour la plupartn'ont jamais mis les pieds au Congo et s'inspirent de quelques photos),mais qui frappent l'opinion publique. Elle révèle une réalité féroce,décrivant le cycle infernal des répressions coloniales et des révoltesdes populations locales. Ainsi, chez nos voisins belges, un massacreest commis fin septembre 1898 à Dundu Sana (pas très loin deMobaye en Oubangui-Chari) :

    "Quatre agents de la Société belge pour le commerce au Congo, MM.

    Bodari, Gyssens, Ceulemans et Kessels tombèrent dans uneembuscade à Dundu Sana et furent faits prisonniers par la tribu des Budja, dont la férocité est connue de tous les explorateurs du Congo. Les quatre malheureux furent attachés à des arbres et à des poteaux,horriblement suppliciés, puis dépecés et mangés par les sauvages. Ona su les détails de cet horrible massacre par un des soldats quiaccompagnaient ces infortunés et qui put prendre la fuite. Unedépêche de M. Fuchs, vice-gouverneur du Congo belge, a confirmél'horrible récit. Des soldats ayant été envoyés pour châtier les Budja

    furent à leur tour faits prisonniers, et l'on suppose qu'ils ont subi lemême sort que MM. Bodari, Gyssens, Ceulemans et Kessels. On a pucapturer un des chefs de la tribu des cannibales qui portait à saceinture, en guise de trophée, les doigts de l'une de ses victimes.

    Le vice-gouverneur du Congo annonce que deux cents hommes, sousle commandement du capitaine Lothaire, ont recu l'ordre de marchercontre la tribu des Budja ".

    http://voyage-congo.over-blog.com/article-proces-affaire-gaud-toque-congo-124291954.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-proces-affaire-gaud-toque-congo-124291954.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-affaire-dramatique-gaud-toque-123931253.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-affaire-dramatique-gaud-toque-123931253.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-affaire-dramatique-gaud-toque-123931253.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-affaire-dramatique-gaud-toque-123931253.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-proces-affaire-gaud-toque-congo-124291954.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-proces-affaire-gaud-toque-congo-124291954.html

  • 8/18/2019 Enquête de Savorgnan de Brazza

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    Européens suppliciés par des cannibales

    (Le Petit Parisien - décembre 1898)

    Source : Supplément Illustré du Petit Parisien - n° 516 - 25 décembre 1898.

  • 8/18/2019 Enquête de Savorgnan de Brazza

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    Meurtre de M. Cazeneuve - Révolte au Congo

    (Le Petit Parisien - avril 1902)

    Il en est de même au Congo français, notamment dans les contréestrès récemment "conquises", comme la Sangha et la Lobaye, soumisesà la pression des sociétés concessionnaires, au portage forcé et bientôtà l'impôt. La factorerie devient le symbole de cette oppression.

  • 8/18/2019 Enquête de Savorgnan de Brazza

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    La presse fait ainsi le récit du meurtre au Congo de M. Cazeneuve :

    " Nos compatriotes installés au Congo français avaient constatédepuis quelque temps une certaine effervescence chez les tribusanthropophages qui vivent dans les régions les plus sauvages de notrecolonie africaine. Cette effervescence s'est transformée en unevéritable insurrection. Les révoltés se sont formés en colonnesdévastatrices et en peu de jours - tuant, incendiant, pillant sur leur

    passage - ont réduit en ruines les factoreries européennes qu'ilsrencontraient. Celles des bords de la Sangha dépourvues d'un effectifde miliciens, ont été surtout l'objectif de la horde hurlante des noirs.

    Ils ont massacré les Européens qui n'avaient pu fuir et mis à sac lesentrepôts et les magasins. A Ibekemba, M. Cazeneuve, directeur de laCompagnie française de la Sangha, résolut de vendre chèrement savie. Il se défendit avec un courage inouï. L'infortuné fut tué avec sesserviteurs indigènes. Les agresseurs pillèrent pour plus de 150 000

    francs de marchandises dans sa factorerie.

    A Pembé, la factorerie de M. Fortin, directeur de la Compagnie del'Afrique française, a été également dévastée. On n'a pas encore de

    nouvelles du pays qui s'étend en amont de la Sangha, et où d'autresentrepôts commerciaux sont établis et où les traitants français sontnombreux. Des mesures de répression ont été prises par lecommissaire-général du gouvernement français au Congo. Déjà, undétachement de milice locale venu d'Ouesso a battu les révoltés à

    Ibekemba. En outre, des détachements de tirailleurs sont partis de Brazzaville. On croit qu'ils suffiront à châtier les coupables et àmettre fin à la rébellion. "

    Source : Supplément Illustré du Petit Parisien - n° 690 - 27 avril1902.

    NB : C'est M. Albert Grodet (1853-1933) qui avait à cette date lacharge de commissaire-général du "Congo français" (ancêtre del'AEF regroupant Gabon, Moyen-Congo, Oubangui-Chari et Tchaden cours de conquête militaire).

  • 8/18/2019 Enquête de Savorgnan de Brazza

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    Au Congo - Assassinat de M. de Livry

    (Le Petit Parisien - mai 1903)

  • 8/18/2019 Enquête de Savorgnan de Brazza

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    Les révoltes touchent d'autres régions plus au nord commel'Oubangui. La presse relate en 1903 l'assassinat au Congo de M. de

    Livry :" M. de Livry, agent d'une société du Congo français, a été assassiné

    par des anthropophages de l'Oubanghi, qui ont ensuite mangé soncadavre. Cette horrible nouvelle a été apportée par une lettre de

    Brazzaville. Dans les premiers jours de mars, M. Jean de Livry,directeur du Barniembé, s'était rendu en pirogue, avec une femmenoire, l'enfant de celle-ci, et deux pagayeurs au village belge d'Imesée; en retournant à la rive française, il avait embarqué le chef N'Dongo,

    du village belge de Mikundo. Tout à coup, un des pagayeurs sedressa, une hache à la main, et frappa M. de Livry à la tête. Celui-citomba, le crâne fracassé, au fond de la pirogue. Alors, les autres

    pagayeurs firent chavirer l'embarcation et se sauvèrent à la nage,emportant la femme et l'enfant. Le soir même, le cadavre de M. de

    Livry fut dévoré par les sauvages assassins.

    La femme, une fois à la rive, se rendit à Beton, un village du Barniembé, où elle raconta d'abord que M. de Livry avait péri par

    suite d'un accident de pirogue. Mais l'enfant, interrogé à part, selaissa arracher la vérité. La mère dut alors faire le récit du crimedans tous ses effroyables détails ."

    Source : Supplément Illustré du Petit Parisien - n° 746 - 24 mai 1903.

    Les révoltes concernent aussi le Gabon. Ainsi en 1904, lenavire Alcyon équipé de 6 canons participe à la répression,notamment au niveau du village d'Alun, en bombardant les côtes !

    On comprend mieux la légende du dessin humoristique représentantla rencontre entre Gaud et le Ministre, faisant allusion à son exécutionà la dynamite d'un indigène le 14 juillet 1903 : « Le châtiment. Leministre, indigné, à Gaud. – Il y a deux façons de tuer les gens,monsieur : à la guerre ou après une sentence de justice. Les tuerautrement, c’est commettre un assassinat (Historique). »

  • 8/18/2019 Enquête de Savorgnan de Brazza

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    Rencontre de Gaud avec le Ministre des Colonies

    (L'Assiette au Beurre - Mars 1905)

  • 8/18/2019 Enquête de Savorgnan de Brazza

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    Dans ce contexte fort belliqueux, nombre de colons ne comprennent pas la condamnation de Fernand Gaud et Georges Toqué, jugeant la

    peine très sévère. La Société de Géographie de Toulouse relaie par exemple l'opiniond'alors. Il peut s'agir du récit honnête des conditions de vie difficilesdans la colonie, faute d'une administration suffisante :

    " Nous extrayons d'une lettre d'un colon français ce qui suit : « Maisil nous paraît qu'il ne serait peut-être pas sans utilité de demanderaux chefs de mission s'ils ont fait porter leurs investigations sur le

    point de savoir si des faits très graves de pillage, de vols à mainarmée, de sac de factoreries, de meurtres, ne pourraient pas êtrerelevés à la charge des indigènes, et ne seraient pas restés impunis.

    Certes, des faits du caractère de ceux dont il a été question, doiventêtre réprimées avec sévérité et énergie. Mais serait-ce trop dedemander que de provoquer des sanctions effectives contre des chefsde villages qui viennent, la nuit, piller les factoreries, contre des

    porteurs qui s'enfuient dans la brousse en abandonnant leurs chargesaprès avoir touché le prix du portage, contre les féticheurs qui tententd'empoisonner le personnel, contre les guides et interprètes quicherchent à vous égarer et à vous faire tomber dans un guet-apens,

    simplement dans le but de vous voler, etc…

    Tous ces menus « incidents » nous sont personnellement arrivés dansdes régions éloignées de plusieurs semaines de tout chef de poste ouadministrateur. Les coupables n'ont jamais été punis; nous avons puêtre volés, pillés, dévalisés, sans que l'administration s'en soit jamaisdoutée. Il faut avoir été simple colon, isolé pendant de longs moisdans la brousse sans autre protection que celle - toute morale - d'uncaractère bien trempé et d'une énergie à toute épreuve pour pouvoirse rendre compte de la force d'inertie de l'indigène et de son hostilitésourde, patiente, énervante. Nous pensons simplement qu'il ne serait

    pas inutile de rechercher, avec un soin égal, les coupables noirs aussibien que les coupables blancs. Nous demandons enfin que l'enquêtene soit pas dirigée exclusivement contre les Européens du Congo."

  • 8/18/2019 Enquête de Savorgnan de Brazza

    40/85

    Guerriers Boudjas du Moyen-Oubangui, vers 1907

    (BNF © Sté de Géographie)

  • 8/18/2019 Enquête de Savorgnan de Brazza

    41/85

    Parfois, l'opinion exprimée est beaucoup plus virulente, vitupérantcontre les "négrophiles" :

    " On sait que Gaud et Toqué ont été condamné à cinq ans deréclusion. Cette condamnation a stupéfait tous les coloniaux. Lesmagistrats qui l'ont prononcée sont l'objet de la réprobation publiqueà Brazzaville. Les blancs de la colonie les ont mis en quarantaine. Unmal colonial est en voie de s'envenimer contre lequel il est tout justetemps de prendre des soins énergiques. L'équivoque créée dansl'opinion distraite par les pseudo-révélations de ces humanitaires quimangent du blanc pour honorer le nègre, le découragement, le dégoût

    du métier où une tragi-bouffonne enquête chez la portière entraîneles fonctionnaires coloniaux, sont de sérieuses menaces : il estintolérable qu'elles demeurent sans réponse. Depuis, trois semaines,on sait à quoi s'en tenir sur les commérages posthumes de l'enquête

    Brazza, que le ministre a été obligé de contre-enquêter. Pourtant, lesracontars de boys, le malsain potinage d'office, l'inepte fantaisied'éperdus négrophiles continuent d'inspirer les seules voix qui

    parlent au nom des coloniaux ."

    Source : Bulletin de la Société de géographie de Toulouse - 1905(BNF - A24,N1)

  • 8/18/2019 Enquête de Savorgnan de Brazza

    42/85

    Paquebot "Ville-de-Maranhao" vers 1910 (Compagnie desChargeurs Réunis)

    Ceci explique l'accueil réservé aux condamnés lors de leur arrivée près de Bordeaux, le 22 octobre 1905 :

    " Les administrateurs coloniaux Gaud et Toqué, condamnés par letribunal criminel du Congo à cinq ans de réclusion, ramenés enFrance à bord du paquebot Ville-de-Maranhao ont été débarqués ce

    matin à Pauillac. Au moment où les prisonniers ont quitté le paquebot pour être remis à quatre agents de la Sûreté, leurs amis qui reviennentdu Congo, et parmi lesquels on remarquait des colons et des

    fonctionnaires, les ont embrassés avec effusion. Toqué paraît trèsmaître de lui. Gaud, par contre, semble déprimé et en moins bon étatde santé."

    Source : Journal Le Temps du 23 octobre 1905.

  • 8/18/2019 Enquête de Savorgnan de Brazza

    43/85

    Humour (*) : Brazza chargé de faire la lumière sur les scandales duCongo (1905 © BNF)

    C'est dans ce contexte très délicat que Savorgnan de Brazza revient"aux affaires", avec la lourde charge d'enquêter sur toutes cesexactions.

    A la suite du scandale Gaud et Toqué, révélé par la presse en février1905, le Gouvernement a en effet décidé de procéder à une enquêteapprofondie sur la situation globale au Congo français. Le choix deBrazza, auréolé de son prestige d'explorateur du Congo et d’ancienCommissaire général, n'allait pourtant pas de soi. Il étaitofficiellement écarté depuis janvier 1898, et avait pris sa retraite àAlger, mais il semblerait que le Président de la République, Emile

    Loubet, ait pesé sur ce choix. Brazza accepte volontiers, sans doute heureux de revoir la terre qu'ilavait tant aimé, animé de la volonté de servir encore une fois son pays,et de tenter de contrer les abus des sociétés concessionnaires dont ilavait connaissance. Sa seule condition fut de choisir librement lesmembres de la mission d'enquête.

  • 8/18/2019 Enquête de Savorgnan de Brazza

    44/85

    Il s’embarque avec ses collaborateurs le 5 avril 1905 à Marseille. Enquelques mois, la mission effectue un travail très important, en dépit

    de l’accueil pour le moins réservé du Commissaire général EmileGentil et d'une campagne de presse hostile, orchestrée par les milieuxcoloniaux. Comme chacun sait, Brazza déjà malade embarque finaoût, et meurt sur le chemin du retour, à Dakar, le 14 septembre 1905.

    C'est là que commence l'affaire du "rapport Brazza" (cfRapportBrazza : la fuite volontaire dans la presse...).

    (*) : remarquez la banderole sur le case, Messieurs Gaud et Toqué,Société de Feux d'Artifice...

    http://voyage-congo.over-blog.com/article-rapport-brazza-fuite-presse-124329370.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-rapport-brazza-fuite-presse-124329370.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-rapport-brazza-fuite-presse-124329370.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-rapport-brazza-fuite-presse-124329370.html

  • 8/18/2019 Enquête de Savorgnan de Brazza

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    Rapport Brazza : la fuite volontaire

    dans la presse...Dans un premier temps, Brazza a cru à la loyauté à son successeur,mais finalement, il a pris conscience de la duplicité d'Emile Gentil.Craignant alors que les éléments de son futur rapport de mission nesoient étouffés, il laisse fuiter volontairement des informations dansla presse. Atteint par la dysenterie, épuisé par ses déplacements dansdifférentes contrées du Congo français, il craint peut-être aussi de ne pas voir la fin du voyage...

    Il envoie ainsi une lettre de Brazzaville, datée du 24 août 1905, unesemaine avant de prendre le bateau pour la France. Elle est publiéedans la presse un mois après, soit postérieurement à son décès. Cettelettre adressée à Paul Bourde, reporter au journal Le Temps , résumeles impressions de Brazza et les grandes lignes de ses conclusions.

    Mon cher ami,

    Je vais rentrer en France par le courrier des Chargeurs Réunis, qui part du Congo le 1er septembre pour arriver vraisemblablement àPauillac le 22 septembre. M. Gentil me précède ; il quitte le Congo

    par le courrier belge et sera à Paris vers le 20 septembre. Dès monarrivée ici, j'ai travaillé au grand jour, d'une façon impartiale, etn'ayant autre chose en vue que l'intérêt supérieur de la colonie. Cetteattitude a été celle que j'ai recommandée à mes collaborateurs detoujours conserver. J'étais donc en droit de m'attendre au concoursloyal de M. Gentil. Il n'en a pas été ainsi, et dès que j'ai eu quitté

    Brazzaville pour gagner le territoire de l'Oubangui-Chari, rompantainsi le fil qui m'unissait aux inspecteurs laissés au Gabon et au

    Moyen-Congo, l'obstruction a commencé, un travail souterrain, dont je ne connais pas encore la portée exacte, a été fait auprès du Ministre des Colonies, et a eu pour but d'entraver les opérations dema mission.

    http://voyage-congo.over-blog.com/article-rapport-brazza-fuite-presse-124329370.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-rapport-brazza-fuite-presse-124329370.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-rapport-brazza-fuite-presse-124329370.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-rapport-brazza-fuite-presse-124329370.html

  • 8/18/2019 Enquête de Savorgnan de Brazza

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    Pierre de Brazza en 1905 (© Collection Hanauer-Dolisie)

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    Il s'est passé à mon passage à Brazzaville un petit incident dont on a, paraît-il, tiré parti contre moi. L'histoire est assez drôle, car elle fait

    bien ressortir le caractère de l'administration toute personnelle de M.Gentil qui a érigé l'équivoque à la hauteur d'une institution et d'unsystème de gouvernement.

    Voici l'histoire : Il y a à Brazzaville une usine qui exploite lecaoutchouc d'herbe. Mais pour cela, il faut avoir de l'écorce de cetteherbe. Alors, au lieu de louer des travailleurs, l'administration decette usine s'est entendue avec M. Gentil pour que les indigènes de larégion de Brazzaville, qui payaient leur impôt en argent sans

    contrainte, apportent cette écorce en quantité déterminée pour selibérer de l'impôt. A mon arrivée à Brazzaville, je reçus les doléancesdes indigènes, ils se plaignaient de ne plus pouvoir continuer às'acquitter de l'impôt en argent.

    J'en fus d'autant plus étonné que M. Gentil proclamait à grand fracasici, et dans ses rapports au Département, que le but poursuivi par luiétait de généraliser le plus tôt possible l'impôt en argent. J'en parlaisà M. Gentil qui m'affirma que les indigènes étaient libres de continuer

    à payer l'impôt, soit en argent, soit en nature, d'après le système que je viens de vous exposer. « Très bien, lui dis-je, mais alors voudriez-vous le leur dire ? » Car ignorant ce fait, je n'ai pas cru pouvoirrépondre à leur demande. Alors, dans un palabre auquel j'ai assisté,

    M. Gentil les a mis au courant de cette faculté qu'ils avaient. Là-dessus, avant de partir pour l'Oubangui, et dans un sentiment debienveillance et de générosité, j'ai télégraphié au ministre que lemaintien de M. Gentil à la tête de la colonie me paraissait s'imposer.

    A mon retour ici, j'apprends que l'usine de Brazzaville, qui faisaitautrefois neuf tonnes de caoutchouc par mois, n'en faisait plus quedeux depuis le palabre, qu'on m'accusait de ruiner le pays, qu'à Paris,on avait saisi le ministre de cette affaire. Bref, qu'on exploitait à monencontre l'équivoque posée par M. Gentil.

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    Usine de caoutchouc du Djoué à Brazzaville

    (BNF © G. Bruel 1908)

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    Les indigènes étaient libres de choisir, à en croire la lettre adresséeà ce sujet au ministre; mais en réalité, on les contraignait à apporter

    de l'écorce d'herbe et on avait négligé de leur parler de cette liberté. J'ai trouvé dans l'Oubangui-Chari une situation impossible. C'est lacontinuation pure et simple de la destruction des populations sous

    forme de réquisitions, et bien que tout ait été mis en œuvre dans larégion de Krébedjé pour m'empêcher de voir clair dans le passé etsurtout dans le présent, j'ai été amené à relever de graves abus derépression commis au moment même où on allait y apprendre l'envoide ma mission.

    De plus, j'ai constaté que le portage ayant été aboli à grands fracas,les indigènes de ces régions vont être astreints à un portage plusintensif encore que par le passé. En outre, j'ai pu constater que le

    Département n'avait pas été tenu au courant de la situation réelle des populations indigènes, ni des procédés dont on use à leur égard.

    On a ici la prétention de tout cacher et on n'admet pas que le ministre puisse envoyer au Congo français une mission dont le but est de voiret de le renseigner, lui ministre.

    Cette constatation générale et un fait dont je saisis la ministre par undossier complet et qui prouve que nous n'avons plus rien à envier aux

    Belges en matière de moyens employés pour recevoir l'impôt ducaoutchouc m'ont amené faire des réserves à mon premiertélégramme au sujet du maintien de M. Gentil à la tête de la colonie,dans une dépêche envoyée du Haut-Oubangui, il y a un mois, au

    Département.

    Je rentre avec le sentiment que nulle réforme n'est possible sans unchangement auquel il doit être procédé avec toutes les formes et tousles ménagements que comportent la reconnaissance pour les servicesrendus par M. Gentil, aussi bien que le souci de notre dignité.

    D'ailleurs, dans l'état mental actuel de M. Gentil, il doit être fait unelarge part à l'influence spéciale du climat du Congo.

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    Résidence du Poste de Krébedjé - Fort-Sibut vers 1900

    (carte postale © Audema)

    L'obstruction dont j'ai à me plaindre personnellement a été égalementle procédé employé à l'égard des inspecteurs des colonies, qui

    pourtant ont des attributions et des pouvoirs réglementaires. Ces pouvoirs, M. Gentil les leur a contestés, sous prétexte que faisant partie de ma mission, ils perdaient toutes les prérogatives desinspecteurs. Aussi, à mon retour à Brazzaville, j'ai été saisi parl'inspecteur général Hoarau-Desruisseaux et par l'inspecteur adjoint

    Loisy de plaintes énergiques contre les entraves apportées par M.Gentil à l'exécution de leur mission.

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    M. Hoarau-Desruisseaux avait été chargé de l'inspection du Gabon; je l'avais en outre prié de se rendre à Brazzaville pour y étudier desquestions importantes traitant de la réorganisation de la colonie etsur lesquelles je désirais être éclairé par un fonctionnaire d'une hautecompétence. J'avais, bien entendu, donné connaissance de cesdispositions à M. Gentil.

    Je viens d'apprendre par M. Hoarau-Desruisseaux que le ministre luia câblé de m'attendre à Libreville, en raison de la pénurie delogements à Brazzaville et pour des raisons budgétaires. M. Hoarau-

    Desruisseaux proteste contre cette mesure, provoquée par M. Gentil. Je lui avais laissé une avance de 5 000 francs pour ses transports. Illui reste 4 000 francs, et son voyage ainsi que celui des secrétairesn'auraient pas atteint, aller et retour, la somme de 2 000 francs.

    D'ailleurs, il y a à mon sens assez de logements à Brazzaville pour lerecevoir, et les raisons budgétaires invoquées n'existent pas. Labonne foi du ministre a été surprise. M. Gentil, se refusant à laisser

    faire la lumière, avait intérêt à empêcher l'inspecteur général de venirà Brazzaville. Il a usé, pour cela, de cette légende qu'on attache àmon nom et a fait miroiter aux yeux du ministre un dépassement decrédits.

    Or, le budget spécial de ma mission a été, par ordre du ministre,divisé en deux parties :

    1° : 150 000 francs ont été consacrés aux dépenses de la colonie;l'ordonnancement en a été confié au commissaire général dugouvernement au Congo, à M. Gentil.

    2° La deuxième partie, soit 118 000 francs, est réservée pour lesautres frais.

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    Pierre de Brazza vers 1895

    (© Boyer - Image Félix Potin)

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    Sur les 150 000 francs que, d'après M. Gentil, je devais dépasser, ilme restera au bas mot 15 000 francs disponibles. Voilà les moyens

    employés et contre lesquels les inspecteurs se sont élevés. Malgré mesvifs regrets, je n'ai pu qu'appuyer leur plainte et la transmettre auministre à qui elle parviendra par ce même courrier. Je rentre avecle sentiment que l'envoi de ma mission était nécessaire. Autrement,dans un laps de temps court, nous aurions eu des scandales pires queceux de l'Abir et de la Mongalla belges. Nous en avions priscarrément le chemin.

    Bien cordialement à vous. S. DE BRAZZA.

    Source : Journal Le Temps du 27 septembre 1905 - N° 16170.

    NB : Brazza évoque dans sa lettre le scandale du "caoutchouc rouge"(c'est à dire "sanglant") dans le Congo d'en face. Les exactionscommises par les compagnies concessionnaires belges(principalement l'ABIR, Anglo-Belgian India Rubber Company, et laMongala) à l'encontre des populations locales ont notamment étérévélées par le journaliste britannique Edmund Morel, en 1903.L’État Indépendant du Congo (futur Congo belge) est alors soumis au pouvoir arbitraire du roi des Belges, Léopold II.

    Assassinats en masse, actes de torture, atrocités et abus divers àl'encontre des populations locales sont alors la règle... Les récolteursde caoutchouc qui ne remplissent pas les quotas exigés, sont exécutésd'une balle par les miliciens. Ceux-ci doivent justifier de l'usage deleurs munitions, ils prélèvent ainsi les mains des victimes pour chaque

    balle tirée. Le Congo belge devient alors le "pays des mainscoupées"...

    Quant à la pénurie de logements à Brazzaville, Gentil prend pour prétexte la tenue du procès "Gaud et Toqué" (cfLe procès de l'affaire"Gaud et Toqué") à cette même période. Il exploite également auprèsdu ministère des Colonies la réputation de mauvais gestionnaire deBrazza. Ce qui ne semble pas être le cas pour cette mission.

    http://voyage-congo.over-blog.com/article-proces-affaire-gaud-toque-1905-124142143.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-proces-affaire-gaud-toque-1905-124142143.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-proces-affaire-gaud-toque-1905-124142143.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-proces-affaire-gaud-toque-1905-124142143.html

  • 8/18/2019 Enquête de Savorgnan de Brazza

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    Rapport Brazza : Gentil mis en

    accusationSentant qu'il n'était que très modérément soutenu par le pouvoir en place, Brazza avait fait fuiter des informations (cf Rapport Brazza : lafuite volontaire dans la presse...) afin que ses révélations ne soient pas complètement étouffées. Du moins, pas tout de suite...

    Il porte, avec ses enquêteurs, notamment l'inspecteur Hoarau-

    Desruisseaux, des accusations à l'encontre d'Emile Gentil. On a vuqu'un système implicite a été mis en place (cfLecture : "Lesmassacres du Congo" de Toqué) afin que les informations écritesconcernant les exactions commises dans les différentes régions duCongo français, ne remontent pas jusqu'à lui. Elles sont détruites parles fonctionnaires, supérieurs des chefs de poste, implantés eux au plus près du terrain. Il peut donc prétendre ne pas être au courant !Rien ne peut prouver le contraire...

    Le travail d'enquête et de synthèse est donc poursuivi après la mortde Brazza par la Commission Lanessan (cf Rapport Brazza : enfin la publication !), toutefois sans pouvoir judiciaire. La presse satyriquene se prive pas de représenter Brazza menaçant d'outre-tombe EmileGentil, ce dernier cherchant de l'aide auprès de Clémentel, alorsMinistre des Colonies

    ("Gentil ! Moi, criminel ! ... Mais tout le monde sait que je suis gentil... ").

    http://voyage-congo.over-blog.com/article-rapport-brazza-gentil-congo-accusation-124554764.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-rapport-brazza-gentil-congo-accusation-124554764.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-rapport-brazza-fuite-presse-124329370.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-rapport-brazza-fuite-presse-124329370.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-livre-massacres-congo-georges-toque-123846719.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-livre-massacres-congo-georges-toque-123846719.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-rapport-brazza-1907-congo-publication-lanessan-124339810.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-rapport-brazza-1907-congo-publication-lanessan-124339810.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-rapport-brazza-1907-congo-publication-lanessan-124339810.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-rapport-brazza-1907-congo-publication-lanessan-124339810.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-livre-massacres-congo-georges-toque-123846719.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-livre-massacres-congo-georges-toque-123846719.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-rapport-brazza-fuite-presse-124329370.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-rapport-brazza-fuite-presse-124329370.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-rapport-brazza-gentil-congo-accusation-124554764.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-rapport-brazza-gentil-congo-accusation-124554764.html

  • 8/18/2019 Enquête de Savorgnan de Brazza

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    Brazza menaçant d'outre-tombe Gentil

    (vers 1905 - carte postale MSJ)

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    Les griefs portés à l'encontre du Commissaire Général dugouvernement sont liés d'une part à sa propre action :

    - Concours prêté à la Mission Brazza par les autorités locales duCongo français :

    Emile Gentil est accusé d'avoir voulu empêcher par différentesmanœuvres et des actions de dénigrement le bon déroulement de lamission d'enquête. Bref de mettre des bâtons dans les roues, en bloquant l'accès à certains dossiers, en empêchant le déplacementde l'inspecteur Hoarau-Desruisseaux à Brazzaville, avec desarguments fallacieux (pénurie de logement), dénonçant par ailleursun dépassement budgétaire imaginaire, et en faisant tout pourdissimuler le camp d'otages de Krébédjé.

    La commission conclut que "d'une manière générale, la mission paraît avoir été mise en mesure d'exercer sans entraves le rôle qui luiavait été assigné ". Mais elle reconnait tout de même que les motifsavancés par Gentil pour empêcher le déplacement à Brazzaville"étaient erronés ".

    - Exécution sommaire d'un indigène à Fort de Possel en 1899 :

    Gentil est accusé d'avoir fait fusiller sur le champ (à l'heure dudéjeuner) un indigène qui aurait commis un vol. Pour les uns, c'est unvol de bananes, pour les autres, un vol de fusil. Il s'agirait d'unmilicien soussou déserteur. D'après Gentil, il aurait également tué unefemme dans un village M'Brous. Les témoignages sont cependant

    contradictoires... L'exécution sommaire n'est pas contestée,seulement le contexte dans lequel elle s'est déroulée.

    La commission conclut "qu'il ne lui est pas possible, vu l'état desrenseignements dont elle dispose, de se prononcer sur la matérialitédu fait ".

    - Sévices exercés sur un indigène inculpé de vol au Trésor deBrazzaville :

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    Emile Gentil est accusé d'avoir fait subir "la question " à un indigèneemployé au Trésor, en lui faisant "administrer la chicotte " (fouet),

    puis en l'emprisonnant, en dehors de toute procédure judiciaire. Gentilse dit " profondément indigné " par ces accusations. Le boy Mapokoreconnait avoir été emprisonné, mais pas frappé. A-t-il subi des pressions ? Toute la hiérarchie administrative et judiciaire soutientGentil par ses témoignages.

    La commission lève toute réserve, après le témoignage favorable deM. de Mérona (procureur de la République), ainsi "il n'y a pas lieu deretenir l'allégation portant sur le fait dont il s'agit ".

    - Sévices commis sur la personne d'un vieillard à Libreville :

    Emile Gentil est accusé de donner le mauvais exemple en faisant subirdes brutalités aux indigènes. Ainsi, il aurait donné pour consigne àdeux de ses gardes de " frapper tout indigène rencontré sur la routequi n'ôterait pas son chapeau ". Deux sénégalais armés de gourdins etde chicottes étaient alors chargés de faire la police de la politesse ! Unvieillard aurait été grièvement blessé sur la route du village de Louis.

    Emile Gentil évoque évasivement une querelle entre l'un de ses plantons et un indigène... Planton qui aurait été ensuite sanctionné.

    La commission estime en conclusion que "si les habitudes attribuéesau commissaire général étaient établies, elles constitueraient une

    pratique blâmable. M. Gentil en a reconnu les inconvénients en punissant un planton... ". On ne peut pas dire que le démenti soit très

    appuyé, on peut supposer que la pratique était bien réelle.

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    Emile Gentil en grand habit de Commissaire Général vers 1905(Nadar © BNF)

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    - Sévices commis sur la personne de différents indigènes dans larégion du Tchad :

    Gentil est accusé d'avoir commis des actes de violence envers desindigènes quand il était commissaire du gouvernement dans le Chari,vers 1899-1900. Sévices et atrocités diverses (indigènes fouettés jusqu'à la mort, femme ligotée, frappée et pendue par les pieds,exécutions sommaires...) sont reprochés par un témoin Gabonais,Ambroise Ogowé, qui se dit lui-même victime de sévices. Il présenteune liste précise de victimes, et cite aussi de nombreux témoins,européens, miliciens et indigènes.

    Pour se défendre, Gentil rappelle ses faits d'armes lors de la conquêtedu Tchad, la mort de Rabah (cf Loango colonial : un sultan contraintà l'exil...), évoque une mutinerie de miliciens, nie avoir ordonné des punitions corporelles, mais reconnaît avoir donné "une simplecorrection ". Un homme fut condamné à mort pour "abandon de son

    poste en présence de l'ennemi ". Rien que de très "normal" dans lecontexte guerrier d'un territoire sous contrôle militaire, pour unofficier de la Marine...

    Gentil brandit plusieurs lettres de ses anciens collaborateurs del'époque (Grodet, Leibell, Robillot...), qui lui rendent hommage etlouent sa modération et son humanité. Le discrédit est également jetésur le témoin Ambroise Ogowé, et sur l'enquêteur Hoarau-Desruisseaux, accusé de ne pas avoir cherché à connaître lesantécédents de ses témoins.

    En conclusion, " La commission estime que ces faits, recueillis sanscontrôle, ne sont pas accompagnés de preuves suffisantes pour qu'ils

    puissent être retenus ".

    http://voyage-congo.over-blog.com/article-loango-colonial-sultan-niebe-exil-123728502.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-loango-colonial-sultan-niebe-exil-123728502.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-loango-colonial-sultan-niebe-exil-123728502.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-loango-colonial-sultan-niebe-exil-123728502.html

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    - Renseignements inexacts donnés au ministre : Le commissaire général est accusé de dissimuler les faits les plusgraves commis au Congo français ou de travestir les évènements. Larévolte de la région de Ngounié en 1904 est évoquée. Des factoreriesont été pillées et au moins trois agents de la compagnieconcessionnaire ont été tués. Des troubles dans la Lobaye (affluent del'Oubangui) sont aussi à noter. La population se révolte contre l'impôt,le portage forcé et les mauvaises conditions de travail dans lesfactoreries. Mais des télégrammes de Gentil envoyés au ministre, évoquant lesfaits cités ont été retrouvés.

    Ainsi " La commission, après avoir constaté ces faits, regrette quel'accusation de ne pas renseigner le ministre, ou de le tromper, ait été

    portée aussi légèrement contre M. Gentil ".

    En bref, Emile Gentil est entièrement blanchi par la CommissionLanessan des différentes accusations portées contre lui à titre personnel.

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    Rapport Brazza : enfin la

    publication !Il y a une expression populaire qui dit "Cela ne va pas durer 107 ans!"Eh bien si, pour le rapport Brazza, il aura fallu attendre 107 ans pourqu'il soit publié, et donc accessible au grand public. L'équivalent de 4ou 5 générations...

    J'ai eu connaissance de cette publication par hasard, en tombant sur

    un petit article paru dans Le Monde des Livres (supplément duquotidien) en mars 2014.

    Le rapport de la "Commission d'enquête du Congo" n'avait été tiré parl'Imprimerie Nationale en 1907 qu'à 10 exemplaires. Avec la mention"Très confidentiel" ! Ce rapport n'avait même pas été porté à laconnaissance des parlementaires de l'époque... Il était uniquementdestiné aux Ministères.

    On le croyait complètement disparu... Fort heureusement, unexemplaire a été retrouvé dans le Centre des Archives Nationalesd'Outre-Mer, dans un fonds d'archives de l'ancienne AEF. Il s'agit dunuméro 10. Au cours du siècle écoulé, il n'avait été consulté que parune poignée de personnes.

    Après la mort de Brazza en 1905, une commission est nommée pour procéder à la rédaction du rapport. Elle est présidée par Jean-Mariede Lanessan. C'est un député Radical (alors élu de Lyon), ancienGouverneur Général de l'Indochine et ancien Ministre de la Marine.Il est donc au parfum de la chose coloniale.

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    Couverture du "rapport Brazza" imprimé en 1907, numéro 10

    (© CAOM)

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    De Lanessan (1843-1919), Président de la Commission d'enquête(vers 1900 © Image Félix Potin)

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    A ses côtés, la "Commission Lanessan" est composée en 1905 d'unaréopage de hautes personnalités, toutes liées à la gestion des colonies

    :- Paul Beau, Gouverneur de l'Indochine (1902-1908)

    - Louis-Gustave Binger, directeur des Affaires d'Afrique au Ministèredes Colonies, ancien Gouverneur de la Côte d'Ivoire (1893-1898).

    - Joseph Gallieni, Gouverneur général de Madagascar (1896-1905),général, qui sera fait maréchal à titre posthume après la PremièreGuerre Mondiale. - Ernest Roume, Gouverneur général de l'AOF (1902-1908)

    - Maurice Meray et Albert Picquié, inspecteurs généraux des colonies

    - les secrétaires chargés de la rédaction étaient des membres duministère des colonies, Albert Duchêne et Joost Vollenhoven (futur

    gouverneur général de l'AOF en 1917-1918) Ils ont eu pour mission de synthétiser les rapports intermédiaires desmembres de la mission d'enquête de Brazza, dont certains sont restésau Congo jusqu'en octobre 1905 pour finaliser leur travail. Il s'agissaitnotamment des rapports des inspecteurs Charles Hoarau-Desruisseaux, Henri Saurin et François-Xavier Loisy.

    Les membres de la commission Lanessan devaient aussi "juger" l'undes leurs, Emile Gentil, suite aux révélations de Brazza (cf RapportBrazza : la fuite volontaire dans la presse...) et à différentes plaintesreçues quant à sa gestion de l'AEF. Difficile tâche...

    En dépit des promesses d'Etienne Clémentel, Ministre des Colonies(janvier 1905 - mars 1906), interpellé à la Chambre des députés parGustave Rouanet (soutenu par Jean Jaurès) et René le Hérissé, lerapport ne fut pas publié.

    http://voyage-congo.over-blog.com/article-rapport-brazza-fuite-presse-124329370.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-rapport-brazza-fuite-presse-124329370.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-rapport-brazza-fuite-presse-124329370.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-rapport-brazza-fuite-presse-124329370.html

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    Son successeur, Raphaël Milliès-Lacroix, qui exerça dans la durée safonction au Ministère des Colonies (1906-1909) au sein du

    gouvernement Clémenceau, ne donnera pas suite à cette promesselorsqu'en 1907 le rapport fut achevé.

    Au-delà du Ministère des Colonies qui préférait évidemmentdissimuler les crimes et exactions, c'est le Ministère des AffairesEtrangères qui œuvra pour la non-publication du rapport. Le contexteinternational était à la dénonciation des crimes commis au Congo belge, et dans le cadre du renouvellement de la convention de Berlinqui avait fixé le partage d'une grande partie de l'Afrique entre nations

    européennes, vingt ans après la signature (1885), la France espéraitsecrètement pouvoir mettre la main sur cet immense et riche territoire.

    A condition de ne pas être éclaboussée elle-même par un scandale demême nature que celui qui touchait Léopold II !! La décision finalefut donc d'enterrer le rapport... Après quelques remous politiques en1906-1907, personne ne parla plus du "rapport Brazza". Seul le journal L'Humanité se posait encore la question en 1909, à quand sa publication ? C'est donc chose faite en 2014, grâce notamment à l'universitaireCatherine Coquery-Vidrovitch. Le rapport a été présenté de manière à être accessible aux lecteurs,avec une large préface, de nombreuses annotations et des documentsannexes qui permettent de comprendre le contexte historique et politique. C'est bien sûr un peu austère (320 pages)... La couleurrouge brique rend le texte de la couverture peu lisible. Elle a étérehaussée d'un bandeau bleu, plus aguicheur, portant la mention "Le premier secret d'Etat de la Françafrique". Le seul petit reproche que je ferais, c'est le manque d'illustrations, quiauraient pu aérer le texte de la préface. On ne trouve que quelquescartes, dont la carte des concessions (page 50) qui est de médiocrequalité.

    Je recommande bien sûr pour les passionnés d'Histoire la lecture del'ouvrage, qui est paru aux éditions "Le passager clandestin" sous letitre "Le rapport Brazza - Mission d'enquête du Congo : rapport etdocuments (1905-1907)".

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    Rapport Brazza : l'affaire des

    otages de Bangui Une effroyable affaire a été révélée par le rapport Brazza, celle desotages de Bangui. Il s'agit du cas de 58 femmes indigènes et de leurs10 enfants qui avaient été enfermés dans une "prison" de Bangui, enavril 1904, et dont 45 femmes et 2 enfants sont morts de faim, en cinqsemaines. L'arrestation collective des "otages" avait eu lieu dans larégion de Mongoumba. Femmes et enfants avaient dû effectuer cinq jours de marche pour rejoindre Bangui (plus de 100 km à pied).

    Poste de Mongoumba - Lobaye - Congo français vers 1900

    (© Audema)

    http://voyage-congo.over-blog.com/article-rapport-brazza-affaire-otages-bangui-124668984.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-rapport-brazza-affaire-otages-bangui-124668984.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-rapport-brazza-affaire-otages-bangui-124668984.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-rapport-brazza-affaire-otages-bangui-124668984.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-rapport-brazza-affaire-otages-bangui-124668984.html

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    Vue de Bangui - Congo français vers 1900

    (carte postale © Audema)

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    Vingt-cinq décès se produisirent en treize jours. On jetait lescadavres au fleuve et tout était dit… La case où on les enferma ensuite

    était plus grande, et d'ailleurs les décès permettaient aux survivantsde respirer un air moins empoisonné. Cependant, comme nousl'avons dit, le 17 juin, sur 58 femmes et 10 enfants, il ne restait plusque 13 femmes et 8 enfants. S'il a survécu 8 enfants sur 10, dit M.

    Rouanet, c'est que même quand la mère était morte, l'enfant trouvaitauprès des autres femmes de la tendresse et des soins. La rationdistribuée était bien faible. Mais les femmes ne mangeaient quelorsque les enfants ne criaient plus la faim.

    Le docteur Fulconis examina trois femmes qui moururent sous ses yeux. Elles présentaient les symptômes suivants : amaigrissementextraordinaire, dépassant celui de n'importe quelle maladiechronique. Peau vidée, sèche, terreuse. Tissu cellulaire absolumentdépourvu de graisse, muscles atrophiés, ventres plats. Plusd'intelligence; plus de faculté de se mouvoir, plus de voix. Pas detrace de sévices et de mauvais traitements. L'état de marasme et deconsomption laisse soupçonner que ces individus ont été séquestrésdans un endroit malsain et qu'ils sont morts par suite d'inanition,

    après avoir survécu relativement longtemps, en prenant de temps entemps quelques aliments. Il ne m'a jamais été demandé de rapportsd'autopsie, et les cadavres ont été jetés au fleuve.

    Le Dr Fulconis fut rappelé à l'ordre par sa hiérarchie, car sous statutmilitaire, en tant qu'aide-major, il était soumis au devoir de réserve.Mais personne ne nia les faits.

    Le Commissaire Général M. Gentil a signalé ces faits à la justice, dans l'optique de punir les agents coloniaux "coupables".Cette dernière n'a pas jugé qu'il y avait lieu d'engager des poursuites...Information rapportée en 1905 par l'inspecteur Loisy, membre de lamission Brazza. En juin 1904, une circulaire de Gentil a donné pourconsigne à ses agents de ne plus saisir comme otages les femmes desvillages n'ayant pas payé l'impôt. Il a prétendu avoir élaboré cettecirculaire avant d'avoir eu connaissance des exactions commises àBangui en avril-mai 1904.

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    Femmes Bondos de la région de Mongoumba (vers 1924 © BNF) La pratique était hélas fréquente d'après d'autres témoignages(cf Lecture : "Les massacres du Congo" de Toqué) et les instructionsécrites les années précédentes par différents administrateurs de larégion. Il s'agissait soit de contraindre au paiement de l'impôt, soit deforcer le recrutement d'hommes pour le portage. Brazza signalera ladécouverte de ces terribles méfaits par un câblogramme envoyédirectement au Ministre des Colonies le 26 juillet 1905.

    Sources :Journal Le Temps du 3 octobre 1905 (Numéro 16176). La Mission

    Brazza et M. Gentil .

    "Le rapport Brazza - Mission d'enquête du Congo : rapport etdocuments (1905-1907)". Ed. Le passager clandestin - 2014.

    http://voyage-congo.over-blog.com/article-livre-massacres-congo-georges-toque-123846719.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-livre-massacres-congo-georges-toque-123846719.html

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    Rapport Brazza : le scandale

    étouffé de la M'PokoPour terminer cette série, évoquons le scandale de la sociétéconcessionnaire de la M'Poko. Ce n'est pas le moindre de cette triste période de l'histoire coloniale, mais il fût soigneusement étouffé.Finalement, la mort de Savorgnan de Brazza lors du voyage retour duCongo arrangea bien du monde. Si bien que son épouse futconvaincue qu'il avait été assassiné...

    Aucun historien n'a, à ma connaissance, retenue cette hypothèse, maisce décès tombant "au bon moment" permit de faire passer à la trappeles années suivantes des exactions, que Brazza aurait probablementeu à cœur de révéler au grand public (cf Rapport Brazza : la fuitevolontaire dans la presse...) et ainsi mettre les politiques face à leurscontradictions.

    Ce sera la préoccupation principale des derniers instants de vie de

    l'ancien explorateur, selon le témoignage de Félicien Challaye : "[...] Il redoute surtout que l'administration, complice des sociétésconcessionnaires, n'abandonne à leur tyrannie les malheureuses

    populations du Congo ; rappelant les atrocités célèbres de la sociétéconcessionnaire du Congo belge, la Mongala, il répète à plusieursreprises : « Il ne faut pas que le Congo français devienne une nouvelle

    Mongala. » Brève formule résumant les graves préoccupations de sesderniers jours..."

    Hélas les faits confirmeront les craintes de Brazza. Il en va ainsi descrimes et exactions commis par des agents de la sociétéconcessionnaire de la M'Poko. La compagnie tire son nom d'unerivière, le bassin de cet affluent de l'Oubangui étant situé au nord-ouest de Bangui.

    http://voyage-congo.over-blog.com/article-rapport-brazza-mpoko-concession-124758575.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-rapport-brazza-mpoko-concession-124758575.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-rapport-brazza-fuite-presse-124329370.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-rapport-brazza-fuite-presse-124329370.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-rapport-brazza-fuite-presse-124329370.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-rapport-brazza-fuite-presse-124329370.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-rapport-brazza-mpoko-concession-124758575.htmlhttp://voyage-congo.over-blog.com/article-rapport-brazza-mpoko-concession-124758575.html

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    Factorerie de la Société M'Poko vers 1905

    (carte postale © Vialle)

    La compagnie avait obtenu, comme d'autres, en 1899, une concession pour une durée de 30 ans dans ce territoire du Congo français, quideviendra par la suite la colonie de l'Oubangui-Chari (actuelleCentrafrique).

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    L'objet de la Société anonyme des Etablissements Congolais Gratryétait :

    " L'exploitation de la concession du bassin de la rivière M'Poko et deses affluents au Congo, et tout ce qui se rattache à cette exploitation,notamment : la plantation, la culture, l'achat et la vente de tous

    produits naturels ; toutes opérations commerciales et industrielles,toutes installations d'établissements ou usines pour la vente,l'échange ou la transformation de ces produits. La Société peuts'occuper de navigation tant fluviale que maritime et de tout ce quis'y rattache. Elle peut acquérir, donner à bail ou prendre à bail