Encéphalopathie inhabituelle du post-partum

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La Revue de médecine interne 32 (2011) e93–e95 Cas clinique Encéphalopathie inhabituelle du post-partum Unusual leukoencephalopathy of post-partum Y. Hsaini , A. Karouache , A. Bourazza Service de neurologie, hôpital militaire d’instruction Med V, Hay Riad, Rabat, Maroc info article Historique de l’article : Disponible sur Internet le 2 octobre 2010 Mots clés : Encéphalopathie réversible Hypertension artérielle Grossesse Œdème vasogénique résumé Les complications neurologiques du post-partum sont graves, dominées par l’éclampsie et les accidents vasculaires cérébraux. Nous rapportons l’observation d’une patiente de 26 ans, présentant en post- partum, dans les suites d’une césarienne, des crises épileptiques subintrantes précédées de céphalées et des troubles visuels, rapportés à une encéphalopathie postérieure réversible d’évolution favorable. Bien que rare, cette affection que l’on peut observer au cours du post-partum doit être évoquée devant tout signe d’encéphalopathie survenant dans un contexte d’hypertension artérielle aiguë. © 2010 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Keywords: Reversible encephalopathy High blood pressure Pregnancy Vasogenic oedema abstract Neurologic complications of post-partum are serious and usually secondary to eclampsia or stroke. We here report a 26-year-old female who presented with severe headaches, blurred vision, and repeated generalized seizures secondary to posterior reversible encephalopathy that occurred after a caesarean section for fetal death in utero. Outcome was favourable. Although uncommon, this neurologic compli- cation of the post-partum should be discussed in the presence of any sign of encephalopathy occurring in the context of acute hypertension. © 2010 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved. 1. Introduction Les encéphalopathies du post-partum sont rares. Elles sont dominées par l’éclampsie, les accidents vasculaires cérébraux, en particulier les thromboses veineuses cérébrales, les méningites, et les complications de l’anesthésie locorégionale. Nous rapportons une observation d’encéphalopathie inhabituelle survenue en post- partum immédiat chez une patiente exempte de toute pathologie préexistante de grossesse. 2. Observation Une femme âgée de 26 ans, droitière, primipare, sans antécédent particulier, était admise en unité de soins intensifs neurologiques après une césarienne programmée à la 37 e semaine d’aménorrhée pour mort fœtale in utero (fœtus anencéphale), pour crises épi- leptiques généralisées subintrantes. La patiente avait présenté Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (Y. Hsaini). au cours de l’intervention, au moment de l’extraction fœtale, un pic hypertensif à 160/110 mmHg persistant pendant plus de cinq minutes ayant nécessité l’administration d’un traitement. Trois heures après son arrivée en salle de réveil, la patiente présentait, en l’absence de fièvre, des céphalées intenses en casque et un flou visuel, suivis brusquement de deux crises épileptiques tonicoclo- niques généralisées brèves mais sans retour à l’état de conscience en période intercritique. Les crises cessaient sous 10 mg de dia- zépam. L’examen après résolution des crises trouvait une pression artérielle à 115/85 mmHg, une irritation tétrapyramidale sans défi- cit sensitivomoteur, un fond d’œil normal, l’absence d’œdème des membres inférieurs et de protéinurie. La tomodensitométrie (TDM) cérébrale objectivait des lésions hypodenses postérieures mal systématisées, ne se rehaussant pas à l’injection du produit de contraste, évoquant une thrombose veineuse cérébrale (Fig. 1). L’électroencéphalogramme (EEG) décelait une activité périodique diffuse à périodicité courte. Un bilan étiologique comprenant un hémogramme, un ionogramme sanguin, un bilan phosphocalcique, une magnésémie, les transaminases, l’étude du liquide cérébros- pinal, un bilan immunologique, les marqueurs inflammatoires, les hormones thyroïdiennes, les sérologies virales et syphilitique, 0248-8663/$ – see front matter © 2010 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.revmed.2010.08.016

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Les complications neurologiques du post-partum sont graves, dominées par l’éclampsie et les accidentsvasculaires cérébraux. Nous rapportons l’observation d’une patiente de 26 ans, présentant en post-partum, dans les suites d’une césarienne, des crises épileptiques subintrantes précédées de céphaléeset des troubles visuels, rapportés à une encéphalopathie postérieure réversible d’évolution favorable.Bien que rare, cette affection que l’on peut observer au cours du post-partum doit être évoquée devanttout signe d’encéphalopathie survenant dans un contexte d’hypertension artérielle aiguë.

© 2010 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS.Tous droits réservés.

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Neurologic complications of post-partum are serious and usually secondary to eclampsia or stroke. We

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here report a 26-year-old female who presented with severe headaches, blurred vision, and repeatedgeneralized seizures secondary to posterior reversible encephalopathy that occurred after a caesareansection for fetal death in utero. Outcome was favourable. Although uncommon, this neurologic compli-cation of the post-partum should be discussed in the presence of any sign of encephalopathy occurringin the context of acute hypertension.

© 2010 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Published by Elsevier Masson SAS.

. Introduction

Les encéphalopathies du post-partum sont rares. Elles sontominées par l’éclampsie, les accidents vasculaires cérébraux, enarticulier les thromboses veineuses cérébrales, les méningites, et

es complications de l’anesthésie locorégionale. Nous rapportonsne observation d’encéphalopathie inhabituelle survenue en post-artum immédiat chez une patiente exempte de toute pathologieréexistante de grossesse.

. Observation

Une femme âgée de 26 ans, droitière, primipare, sans antécédentarticulier, était admise en unité de soins intensifs neurologiques

près une césarienne programmée à la 37e semaine d’aménorrhéeour mort fœtale in utero (fœtus anencéphale), pour crises épi-

eptiques généralisées subintrantes. La patiente avait présenté

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (Y. Hsaini).

248-8663/$ – see front matter © 2010 Société nationale française de médecine interne (oi:10.1016/j.revmed.2010.08.016

All rights reserved.

au cours de l’intervention, au moment de l’extraction fœtale, unpic hypertensif à 160/110 mmHg persistant pendant plus de cinqminutes ayant nécessité l’administration d’un traitement. Troisheures après son arrivée en salle de réveil, la patiente présentait,en l’absence de fièvre, des céphalées intenses en casque et un flouvisuel, suivis brusquement de deux crises épileptiques tonicoclo-niques généralisées brèves mais sans retour à l’état de conscienceen période intercritique. Les crises cessaient sous 10 mg de dia-zépam. L’examen après résolution des crises trouvait une pressionartérielle à 115/85 mmHg, une irritation tétrapyramidale sans défi-cit sensitivomoteur, un fond d’œil normal, l’absence d’œdèmedes membres inférieurs et de protéinurie. La tomodensitométrie(TDM) cérébrale objectivait des lésions hypodenses postérieuresmal systématisées, ne se rehaussant pas à l’injection du produitde contraste, évoquant une thrombose veineuse cérébrale (Fig. 1).L’électroencéphalogramme (EEG) décelait une activité périodiquediffuse à périodicité courte. Un bilan étiologique comprenant un

hémogramme, un ionogramme sanguin, un bilan phosphocalcique,une magnésémie, les transaminases, l’étude du liquide cérébros-pinal, un bilan immunologique, les marqueurs inflammatoires,les hormones thyroïdiennes, les sérologies virales et syphilitique,

SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

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ig. 1. TDM cérébrale, coupe axiale, avec injection du produit de contraste (C+) :ypodensités bilatérales postérieures mal systématisées.

tait négatif. La patiente était traitée par héparine et valproatee sodium (1,5 g/j). L’imagerie par résonance magnétique (IRM)ncéphalique avec étude des séquences angiographiques réaliséee sixième jour était sans anomalie (Fig. 2 et 3) affirmant ainsi leiagnostic d’encéphalopathie postérieure réversible (EPR) du post-artum et justifiant l’arrêt des anticoagulants. L’EEG de contrôle dix

ours plus tard était normal. Compte tenu de la normalisation des

hiffres tensionnels, le traitement comportait uniquement du val-roate de sodium (1 g/j) maintenu pendant trois mois. L’évolutiontait marquée par une disparition complète des symptômes, aprèsn recul évolutif de 23 mois.

ig. 2. IRM encéphalique, coupes axiales, séquence FLAIR, à J6 : régression desésions radiologiques.

Fig. 3. ARM encéphalique à J6, coupe sagittale : bonne perméabilité des sinus vei-neux cérébraux.

3. Discussion

Notre patiente avait les critères diagnostiques cliniques et radio-logiques de l’EPR. En effet, l’absence de fièvre ou d’élément enrapport avec une éclampsie et la présence d’images d’ischémie malsystématisées au scanner cérébral nous a poussés à favoriser dansun premier temps l’hypothèse d’un accident vasculaire, notammentd’une thrombose veineuse cérébrale, jusqu’à la constatation d’uneIRM normale.

Méconnue jusqu’en 1996 [1], l’EPR est un concept qui désigneun syndrome clinicoradiologique associant à des degrés divers,quatre symptômes cardinaux « céphalées, troubles de la conscience,crises épileptiques et troubles visuels », à des anomalies de la sub-stance blanche essentiellement pariéto-occipitale [2]. Sa survenueest consécutive à une rupture de la barrière hémato-encéphalique(BHE) par augmentation brutale et paroxystique de la pressionartérielle, ou par une atteinte endothéliale toxique, engendrantun œdème vasogénique [3]. Dans le cas particulier du péripar-tum, d’autres mécanismes viennent se surajouter à l’hypertensionartérielle, notamment l’hyperperméabilité capillaire de la gros-sesse, et le rôle des substances modulant le tonus vasculaire tellesl’hypersensibilité aux agents vasopresseurs endogènes, la baissedes prostaglandines vasodilatatrices, et le facteur cytotoxiqued’origine placentaire qui viennent aggraver le dysfonctionnementde la cellule endothéliale [1]. La majorité des cas répertoriés enobstétrique est en lien avec une pré-éclampsie ou une éclampsie[1,4–6] ou un HELLP syndrome [7].

Sur le plan topographique, la prédominance postérieure del’atteinte est expliquée par les particularités de l’autorégulation dela circulation cérébrale à ce niveau. Cette autorégulation repose surun mécanisme myogénique constitué par les cellules endothélialeset un autre neurogénique représenté par le système sympathique.Les lésions endothéliales dues à l’augmentation brutale de la pres-sion artérielle diminuent la réponse myogénique, ce qui conduità une compensation par le système sympathique. Ce système est

moins développé dans les territoires dépendants du système ver-tébrobasilaire et des artères cérébrales postérieures. Il en résultedonc une hyperperfusion qui, associée à l’altération de la BHE et àl’hyperpression artérielle, aboutit à un œdème vasogénique [8].
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L’imagerie encéphalique, et notamment l’IRM, est l’élément cléu diagnostic. En effet, elle permet de montrer des anomalies deignal cortico-sous-corticales pariéto-occipitales, hypodenses en1, hyperdenses en T2 et en séquences FLAIR, avec cependant deséquences de diffusion normales. L’augmentation du coefficientpparent de diffusion (ADC) et la régression rapide des lésions (danses 15 jours pour la plupart des cas) traduisent le caractère œdéma-eux vasogénique des lésions affirmant le diagnostic [9]. Chez notreatiente, l’IRM avec des séquences angiographiques veineuses a étééalisée le sixième jour en vue de préciser la thrombose veineuse.ependant, la régression des anomalies a permis d’affirmer le diag-ostic et de faire de notre observation le deuxième cas documentée résolution précoce après celui de Lee et al. au cinquième jour10].

De nombreuses publications récentes montrent qu’il existe unhevauchement entre le syndrome d’encéphalopathie postérieureéversible (SEPR) et le syndrome de vasoconstriction cérébraleéversible (SVCR) [11,12]. En effet, ces deux entités se rejoignentans la présentation clinicoradiologique ; le SEPR comporte trèsouvent un SVCR alors que le SVCR ne comporte un SEPR queans une minorité de cas (10 %), et les étiologies sont pour la plu-art communes aux deux syndromes. Dans notre cas, il n’a pas étébservé de vasoconstriction à l’ARM.

Le pronostic de l’EPR est généralement favorable sous trai-ement antihypertenseur [2]. Toutefois, des cas d’épilepsiesésiduelles ont été décrits et corrélés à un retard de prise en charge5]. En péripartum, en dehors d’une seule observation où la symp-omatologie avait disparu en dépit de la poursuite de la grossesseusqu’au terme [13] ; la tendance de la plupart des auteurs est versne extraction fœtale précoce [6].

. Conclusion

L’EPR est une affection peu connue. Sa physiopathologie n’estas encore parfaitement élucidée. En péripartum, son diagnostic

oit être évoqué devant la survenue de troubles neurologiques nonxpliqués par les causes classiques [14,15]. Nous soulignons à tra-ers cette observation l’importance de l’IRM en tant que moyene diagnostic permettant de différencier ce syndrome des autres

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affections vasculaires artérielles et surtout veineuses, évitant ainsiaux patientes un traitement souvent lourd.

Conflit d’intérêt

Aucun.

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