EN QUETE DE NORMANDIE

37

description

Voici un aperçu du troisième chapitre sur les huit que comprend l'ouvrage « En quête de Normandie »

Transcript of EN QUETE DE NORMANDIE

Page 1: EN QUETE DE NORMANDIE
Page 2: EN QUETE DE NORMANDIE
Page 3: EN QUETE DE NORMANDIE

Les NormaNds bâtisseurs

chap

itre

3

malgré les destructions de la seconde Guerre mondiale, la Nor-mandie reste une des toutes premières régions de France pour le patrimoine bâti. Le moyen âge a semé dans toute la région châ-teaux forts, manoirs, églises et abbayes dont la plus célèbre est le mont saint-michel. ayant conquis l’angleterre, les Normands y édifient des monuments qui restent des points forts du patri-moine anglais : des cathédrales (Westminster, rochester, Canterbury, Winchester…), des abbayes et des châteaux, et même la tour de Londres, construite avec de la pierre de Caen. en Haute comme en basse-Normandie on bâtit avec des maté-riaux locaux, d’où une grande diversité des styles. Les maisons rurales à colombage ou en granit sont toujours très recherchées, tout comme les villas de style anglo-normand des chics stations balnéaires. de nos jours, la construction du mémorial de Caen, celle du pont de Normandie, en 1995, et celle, toute récente, du pont Flaubert à rouen ont marqué les esprits.

91

Page 4: EN QUETE DE NORMANDIE

À la suite de leur chef rollon, de nombreux Normands se convertissent au christianisme. dès la fin du xe siècle, ils prennent part au

relèvement des abbayes et des églises détruites lors des invasions. La Normandie se couvre à nouveau d’un « blanc manteau d’églises ». dès 1050 émerge un style architectural original dont le rayonnement sera bien-tôt considérable : l’art roman normand.

La volonté des ducs normands de rebâtir les cathé-drales, églises et monastères dévastés, l’amélioration des techniques architecturales et le grand élan de fer-veur religieuse qui traverse alors la Normandie contri-buent à l’essor de cette nouvelle forme d’art de la pierre. d’une grande unité stylistique d’un bout à l’autre du duché, l’art roman normand mêle influences exté-rieures variées venues du saint-empire, de la bour-gogne ou de tours et possède des caractères originaux. si l’art roman produit des bâtiments massifs, bas, peu éclairés par de rares ouvertures, il n’en est rien en Nor-mandie. C’est de l’élévation des édifices et de la recherche de la lumière que vient la singularité nor-mande. La voûte de pierre disparaît. d’amples tri-bunes surmontent les bas-côtés et joux-tent la grande nef, soulignant la verticalité des lieux et donnant aux vastes édifices une allure élancée. La lumière pénètre à flots dans le chœur par la tour-lanterne percée de fenêtres. Les bâtisseurs normands recherchent une grande pureté des lignes. Le décor est lui aussi très dépouillé.

À l’extérieur, on trouve un porche massif entouré de deux hautes tours carrées souvent surmontées de flèches. Cette façade normande, dite « harmonique », apparaît dès 1080 et présente une composition alignée. trois niveaux, puis trois divisions verticales soulignées par d’épais contreforts symbolisent l’élévation ternaire. Les premières églises abbatiales de type roman nor-mand sont édifiées à Jumièges et bernay. Parmi les plus remarquables, on compte l’abbaye aux Hommes et l’abbaye aux dames de Caen, les abbayes de Cerisy-la-Forêt et de Lessay. en angleterre, le style roman normand préside à la construction des abbatiales et cathédrales de Canterbury, Winchester, Gloucester, ely ou Lincoln. en sicile, à la suite de la conquête nor-mande, se développe une étonnante synthèse des styles normand, byzantin et musulman appelée « siculo- normand ». on peut en voir des exemples dans les

cathédrales de Cefalù ou barletta.Les premières croisées d’ogives

apparaissent en Normandie et annoncent l’architecture gothique. L’une des plus anciennes, anté-rieure à 1098, a été réalisée à l’abbatiale de Lessay. Ce principe architectural sera ensuite adopté pour de nombreux édifices nor-mands. La première cathédrale architecturale de type ogival est

L’architecture religieuse

Page de droite :

Cathédrale de Bayeux (Calvados)Abbaye de Saint-Wandrille

(Seine-Maritime)Abbaye de Jumièges

(Seine-Maritime)Abbaye du Bec-Hellouin (Eure)

Abbatiale de Saint-Pierre- sur-Dives (Calvados)

L’Abbaye aux Dames (détail)

Page 5: EN QUETE DE NORMANDIE
Page 6: EN QUETE DE NORMANDIE

Les NormaNds bâtisseurs

élevée à Lisieux au xiie siècle. À la cathédrale de Cou-tances, l’une des plus belles, trois étages de fenêtres surplombent la nef, l’inondant de lumière. Contraire-ment aux édifices gothiques d’ile-de-France soutenus par d’énormes piliers, elle repose, comme la plupart des constructions gothiques normandes, sur des colonnes simples ou doubles à chapiteaux circulaires. Cette « cathédrale de fierté » (Louis beuve) du xiiie siècle se distingue encore par sa sobriété sculptu-rale. Quelquefois, des balustrades sont suspendues et des motifs sont sculptés sur les murs. À partir de 1250, cet art local est supplanté par le gothique rayonnant d’ile-de-France. L’architecture gothique normande accordera jusqu’au xvie siècle une grande place à la lumière, au volume et à la verticalité.

après la guerre de Cent ans, la prospérité écono-mique revient plus tardivement dans la région rouen-naise (1525-1550) qu’à l’ouest de la seine, et avec elle prospère une autre forme architecturale : le gothique flamboyant. inspiré des recherches menées en Haute-Normandie, il laisse une plus grande place au travail de la pierre, au foisonnement du décor et du style. ses plus belles expressions se retrouvent en Normandie orientale jusqu’au milieu du xvie et notamment dans la tour de beurre de la cathédrale de rouen ou dans l’église saint-maclou de rouen. mais si le style gothique flamboyant reste encore très fidèle à la tradition archi-tecturale normande, il s’en éloigne par quelques traits spécifiques comme la présence de balustrades à l’exté-rieur des bâtiments (au sommet des murs des bas-côtés et de la nef). La décoration, assez discrète en basse-Normandie, peut atteindre une grande exubé-rance sous l’influence de l’art rouennais. Certaines sculptures de bois sont de vraies dentelles !

Abbaye Saint-Georges à Saint-Martin-de-Boscherville (Seine-Maritime)Cloître de l’abbaye de Saint-Wandrille (Seine-Maritime)Cathédrale de Coutances (Manche)

Page 7: EN QUETE DE NORMANDIE

La basilique de Lisieux

L’immense basilique de Lisieux a été érigée sur les hau-teurs de la ville pour répondre à l’afflux croissant de pèlerins venus se recueillir sur la tombe de sainte Thérèse de l’enfant-Jésus (1873-1897), la plus populaire et la plus humble des saintes, morte à vingt-quatre ans, béatifiée en 1923 et cano-nisée en 1925. La basilique est actuellement le deuxième lieu de pèlerinage le plus visité de France après Lourdes.

Les travaux débutent en septembre 1929, selon les plans de l’architecte Louis marie Cordonnier. La même année, le pape Pie Xi aurait fait savoir à monseigneur suhard, évêque de Lisieux, qu’il fallait « faire très grand, très beau et le plus vite possible ».

« très grand », cela ne fait aucun doute. Le chantier est gigantesque ; la basilique de Lisieux est l’un des plus grands édifices cultuels construits en France au xxe siècle. elle couvre une superficie totale de 4 500 m² et s’étend sur une longueur de 104 m. sa nef est large de 30 m, son transept s’étire sur 52 m, son dôme s’élève à 90 m.

« très beau », les avis sont plus partagés. il est certain que la basilique surprend par sa blancheur, par son style architectural romano-byzantin, par la solidité et l’aspect massif de l’ensemble. elle est principalement composée de béton armé complété de granit de Vire et de marbre. L’inté-rieur est tout aussi imposant. Les vitraux attirent le regard par la vivacité de leurs couleurs. Les orgues sont colossales. La crypte est entièrement recouverte de marbre et de mosaïques qui représentent les principales étapes de la vie de « la petite Thérèse » et reflètent son message (l’amour infini de dieu). La décoration est l’œuvre de Jean Gaudin, maître verrier et mosaïste.

« Le plus vite possible ». La construction de l’édifice est en effet rapide. Les travaux sont lancés le 30 septembre 1929. Le 11 juillet 1937, le cardinal Pacelli (futur pape Pie Xii) pro-nonce la bénédiction solennelle de la basilique. suspendus pendant la seconde Guerre mondiale, les travaux reprennent peu après. Le 11 juillet 1954, le sanctuaire est consacré. Le pèlerinage se prolonge par la visite des buissonnets (la mai-son de sainte Thérèse) et du monastère des Carmélites.

Les NormaNds bâtisseurs 95

La basilique contient les reliques de sainte Thérèse, qui fut immensément populaire pendant la guerre de 1914-1918

Page 8: EN QUETE DE NORMANDIE

96

N aturellement coupé du monde terrestre et de ses agitations, le mont saint-michel se prête parfaitement à la quête d’isolement des

moines. L’architecture des époques romane, puis gothique, contribue à exacerber la spiritualité. Protégé par les grèves et les marées, rendu difficilement pre-nable par son site escarpé, le mont saint-michel est aussi un lieu d’enfermement très sûr. dès le moyen âge, des prisonniers y sont détenus. Puis, à partir du xviie, les rois de France prennent l’habitude de confier ces pensionnaires un peu particuliers aux moines. Lieu de recueillement et d’emprisonnement, le mont saint-michel connaît une histoire singulière, étroitement liée aux évolutions de sa construction et faite de longues périodes de quiétude interrompues par de courts intervalles mouvementés.

La sacralité du rocher est très ancienne. avant même l’arrivée des missionnaires chrétiens au début du ive siècle, le mont tombe (futur mont saint-michel), tombelaine et le mont dol sont les lieux sacrés de cultes païens locaux. ils sont notamment consacrés à un dieu guerrier auquel les romains prê-tent les traits d’Hercule. La baie est elle aussi le cadre d’un mythe celtique que les bénédictins réactualise-ront en l’intégrant à la légende de l’archange.

au milieu du vie siècle, des ermites s’installent sur le mont tombe, abri (rude) pour de pieux solitaires. Puis saint aubert, évêque d’avranches, établit le culte de saint michel dans la région, fait dresser un oratoire en l’honneur de l’archange sur le mont tombe, comme le lui ordonne une vision, et fait venir une commu-nauté de douze clercs réguliers chargés d’y assurer l’of-fice liturgique.

La paix carolingienne favorise un rapide essor du sanctuaire ; les pèlerins sont de plus en plus nom

Le Mont Saint-Michel

Un rêve de pierre au-dessus des eaux,fait pour exacerber la spiritualité

Page 9: EN QUETE DE NORMANDIE
Page 10: EN QUETE DE NORMANDIE

breux à venir invoquer la protection de saint michel et le mont tombe prend peu à peu le nom de saint-michel.

L’histoire du mont s’appuie sur une architecture extraordinaire dont la splendeur, rigoureuse et apai-sante, soutient la quête de spiritualité des pèlerins. À l’emplacement de l’oratoire primitif est érigée une église préromane dont les murs énormes, les fenêtres rares et étroites témoignent de la terreur suscitée par les invasions barbares. Lui succède vers 1023 une abbaye romane. Le chantier est alors d’une tout autre ampleur. dressée sur un pic rocheux de 80 m de haut, l’église doit reposer sur un soubassement artificielle-ment créé. La nef est appuyée sur l’édifice préroman existant. trois cryptes qui supportent les bras nord et sud et le chœur sont construites au sud, à l’est et à l’ouest du bâtiment. un gigantesque escalier de 5 m de dénivelé conduit à l’entrée du chœur. il symbolise l’as-cension spirituelle des pèlerins.

au cours des guerres franco-normandes (1202-1204), le village du mont est incendié, l’abbaye lourde-ment endommagée. Voyant là l’occasion de révéler sa grandeur, le roi de France finance la reconstruction du monastère qui s’étend de 1211 à 1228.

appuyée sur l’abbaye, la merveille, véritable « gratte-ciel » médiéval tant la verticalité est soutenue par les fenêtres et les contreforts, se compose de deux bâtiments alignés. L’un, à l’est, accueille au rez-de-chaussée l’aumônerie traversée de colonnes rondes où les pèlerins pauvres sont nourris. au premier étage, pour les grands seigneurs, la salle des Hôtes, à la dispo-sition similaire à celle de l’aumônerie, inondée de lumière, dotée d’élégantes colonnettes, de chapiteaux sculptés dont les tiges élancées conduisent le regard vers la hauteur, de contreforts rythmant la distribution de l’espace. au second étage, pour les moines, le réfec-toire couvert d’un berceau lambrissé de bois - et non de pierre -, sans colonnes centrales, éclairé par des « murs de lumière ». en effet les hautes fenêtres ne sont pas visibles, chacune étant cachée par une colonnette, ce qui produit une splendide lumière diffuse. La divi-sion de la société en travailleurs, combattants et prieurs est ainsi reproduite.

L’autre bâtiment, à l’ouest, adopte également une division ternaire. Le cellier, qui reçoit les nourritures matérielles, est surmonté du scriptorium, atelier de copie et d’étude des moines, destiné aux nourritures intellectuelles, puis du cloître, jardin suspendu à 80 m au-dessus des grèves, dédié à la prière et à la médita-tion. À l’origine peintes, les colonnettes du cloître ne sont pas jumelées, comme à l’ordinaire, mais décalées en quinconce, donnant l’impression de se poursuivre dans une course sans fin.

Pour ces constructions du xiiie siècle, dans le style gothique, on adopte le principe de la voûte sur croisées d’ogives, on illumine les murs au moyen de hautes fenêtres, on épure le décor, on fait disparaître les divi-sions horizontales au profit d’une verticalité intérieure. effondré en 1421, le chœur roman est reconstruit en suivant le plan précédent et en respectant le style gothique flamboyant de l’ensemble. Lumière et vertica-lité président à la réalisation et l’effet est saisissant. Ces travaux s’achèvent en 1521. en 1776, un important incendie ravage l’église abbatiale. La façade sera reconstruite.

dès 1400, des logis abbatiaux sont bâtis sur le flanc sud, prenant les traits d’une forteresse intégrée aux murailles de l’abbaye. au cours des xive et xve siècles, les troubles de la guerre de Cent ans incitent à renfor-cer les fortifications du village et de l’abbaye. après 1440, une enceinte basse court autour du mont, ponc-tuellement interrompue par des tours à canons à plu-sieurs étages, des ouvertures de tirs et toutes sortes d’embrasures. La configuration géographique du mont et ses fortifications solides auront raison de l’envahis-seur anglais lors de la guerre de Cent ans, puis au cours des guerres de religion. alors que tombelaine tombe en 1356 puis la Normandie en 1419, le mont, défendu par Louis d’estouteville et une centaine de chevaliers, résiste à l’assaillant et reste fidèle à la Cou-ronne de France. Plus d’un siècle plus tard, citadelle des Ligueurs (des ultra-catholiques), il échappe aux assauts des soldats protestants de Gabriel ii de mont-gommery lancés entre 1577 et 1596.

L’institution de la « commende » en 1516 entraîne la décadence de l’ordre bénédictin et le déclin des voca

Page 11: EN QUETE DE NORMANDIE
Page 12: EN QUETE DE NORMANDIE

tions monastiques alors que les pèlerins se font de plus en plus rares au mont. en 1622, une nouvelle congrégation, dite de saint-maur, s’installe au mont et réaménage les espaces abbatiaux. mais plusieurs bâti-ments sont progressivement laissés à l’abandon tandis qu’avec le xviie siècle, la fonction pénitentiaire du mont s’affirme.

Les prisonniers sont envoyés en nombre croissant au mont saint-michel. avec la révolution, le mont prend le nom de « mont Libre » alors que son rôle car-céral est tristement confirmé. de nombreux prêtres réfractaires y sont envoyés. en 1811, la vocation péni-tentiaire du site devient officiellement exclusive. Napo-léon crée la « maison de force et de correction » du mont saint-michel (la Centrale). Pendant plus de cin-quante ans, les condamnés des cours d’assises nor-mandes et bretonnes viennent y purger leur peine. Face à cet afflux, les bâtiments monastiques sont adap-tés : l’église devient atelier, le cloître abrite des caba-nons punitifs. mais progressivement des voix s’élèvent

contre une utilisation du mont si contraire à ses ori-gines et à sa beauté et en octobre 1863, la prison est supprimée sur ordre impérial. La population se confond en lamentations. Pour le maire, « C’est un coup imprévu et terrible ». Victor Poulard, épicier-débitant, se dit « l’habitant le plus lésé et le plus cruel-lement atteint » !

L’histoire du village du mont est très liée à celle de l’abbaye. dès le xe siècle, aubergistes et pêcheurs s’ins-tallent au mont, attirés par l’affluence des visiteurs. Jusqu’à la révolution, ils vivent sous la dépendance de l’abbaye. en 1790, le bourg devient une commune française administrée par un maire. une seule rue structure le village et distribue un réseau de petites ruelles. des maisons de pierre, parmi lesquelles l’Hôtellerie de la Lycorne, la maison du Four banal, la maison de la truie-qui-file jouxtent des habitations à pans de bois, notamment la maison de l’arcade, le Logis saint-Pierre, l’auberge de la sirène… et l’au-berge de la mère Poulard, qui a heureusement fort bien

Au sommet du Mont, le cloître, d’où l’on découvre un panorama stupéfiant

Page 13: EN QUETE DE NORMANDIE

La « Bastille des mers »

avec la révolution, le mont saint-michel est devenu une véritable prison. une « bastille des mers » pour les prêtres réfractaires à la nouvelle constitution civile du clergé. et ce n’était là qu’un sinistre début car sous l’em-pire de Napoléon 1er, le mont a fait office de prison cen-trale. Près de 15 000 prisonniers s’y sont succédé (avec souvent la mort au bout de l’enfermement) jusqu’à sa sup-pression par Napoléon iii. des leaders révolutionnaires républicains comme Louis auguste blanqui et armand barbès ont notamment souffert dans les geôles du mont sous la monarchie de Juillet.

toutefois, il faut aussi remonter plus loin dans le temps pour trouver un mont-prison. sous le règne de Louis Xi, le cardinal de La balue - accusé de trahison - y aurait croupi dans une cage de fer suspendue dans l’air (certains historiens ont placé la même cage au château de Chinon ou de Loches). Plus tard, des possédés comme Guillemine de Cancale ou les

écrivains rebelles comme Victor La Cassagne ont passé de longues années sur le mont.

Le doigt de l’archange

même quand les évêques ont la tête dure, un archange sait toujours être persuasif, comme le démontre la légende de la naissance du mont saint-michel. dans la nuit du 16 octobre 708, l’évêque aubert d’avranches est visité par l’archange michel qui lui ordonne d’édifier un oratoire au sommet du mont tombe. au matin, l’évêque, doutant de la réalité de cette visite, n’obéit pas. Par trois fois, l’archange viendra visiter l’évêque, qui, restant en proie au doute, lui demande une preuve de son apparition… en guise de réponse, saint michel pose son doigt sur le crâne d’aubert. À son réveil, l’évêque constate qu’à l’endroit où l’archange l’a touché, son crâne est troué ! on peut découvrir aujourd’hui la relique de saint aubert (avec son chef troué) dans l’église saint-Gervais d’avranches.

Les NormaNds bâtisseurs 101

L’aumônerie, où se restauraient les pèlerins pauvres, est appelée maintenant « crypte de l’Aquilon »

Page 14: EN QUETE DE NORMANDIE

P rovince ouverte sur la mer, sur l’angleterre et sur les plaines de France, province convoitée par les comtes de Flandre et de Chartres, pro-

vince surveillée par les rois de France, la Normandie est dès le xe siècle une terre d’irruptions, d’incursions et d’invasions. Les premiers châteaux normands sortis de terre aux environs de l’an mil sont donc d’abord conçus comme autant de verrous (ou de clefs) dans un pays offert à la pénétration des armées. ils remplacent les villas carolingiennes et les vieux oppida et associent

pour cinq siècles les

fonctions résidentielle et militaire. demeure du sei-gneur, la forteresse ducale assoit également sa domina-tion sur le pays alentour et lui assure sa protection et celle de ses vassaux. Les menaces et les révoltes répé-tées de barons et petits seigneurs contre le pouvoir ducal aux xie et xiie siècles favorisent le foisonnement de résidences fortifiées mais aussi d’enceintes urbaines, de remparts, de portes fortifiées, de beffrois. instru-ments privilégiés de la politique et de la puissance, les châteaux fortifiés de la Normandie médiévale sont aussi des témoins privilégiés. ils n’ont cessé de se trans-former jusqu’au xvie siècle.

Les portes des premiers châteaux forts normands, érigés au crépuscule du

xe siècle, ouvrent sur des constructions fortifiées de terre et de charpente symbo-lisées par la motte castrale. elle se compose d’un tertre artificiel de terre entouré d’un fossé et sur-

monté d’une tour de guet en bois, réduit défensif servant de demeure au seigneur. Cette motte fortifiée incarne jusqu’au xviiie siècle la puis-sance et l’autorité seigneu-riales. Quelques mottes féo-dales nous sont parvenues comme celles de Plessis (manche), du Vieux-Châ-teau de la forêt de saint-sever (Calvados) et de la butte aux anglais au

Les châteaux forts

La fortification de la porte principale du château d’Alençon est renforcée par deux tours jumelles

Page 15: EN QUETE DE NORMANDIE

tronquay (eure). elle apparaît également dans deux scènes de la tapisserie de bayeux. Puis les donjons normands se multiplient aux xie et xiie siècles, accom-pagnant l’affirmation du pouvoir ducal, la construc-tion du royaume anglo-normand de Guillaume et la fortification de la frontière, devenue nécessaire pour dissuader les tentations d’annexion des comtes voisins et des rois de France.

avec le xiie siècle, la pierre devient de plus en plus présente dans l’ensemble de la construction des forte-resses. un rempart de terre complété d’une enceinte de pierre (courtine) referme un vaste enclos de plusieurs hectares comme au château de Falaise (Calvados). une porte fortifiée assure la défense de l’entrée. un énorme donjon isolé de type normand parachève l’ouvrage. ses murs épais (jusqu’à 4 m) logent escaliers, couloirs, chambres et latrines. Le rez-de-chaussée est clos. Le premier étage abrite le magasin, le deuxième la grande salle d’habitation du seigneur. Les troisième et qua-trième étages, lorsqu’ils existent, sont occupés par les hommes d’armes et les serviteurs. dans la cour sont parfois élevés une chapelle et des bâtiments résiden-tiels et de service. en fait, les premiers châteaux en maçonnerie apparaissent dès le xe siècle ; le premier donjon de pierre est érigé à Langeais (celui de Foulque Nerra) en 994. mais les lourdes dépenses entraînées par le remplacement de la terre et du bois par la pierre, comme le recours nécessaire à une main-d’œuvre rare et spécialisée (carriers, maçons), rendent la construc-tion de châteaux et de donjons de pierre encore excep-tionnelle.

L’entrée dans un château fort médiéval peut paraître aujourd’hui chose aisée ; il n’en a pas toujours été de même. La conception défensive du donjon roman a longtemps suffi à rendre l’édifice difficilement prenable. L’imposante masse de la tour perchée en hauteur sur sa motte et la paroi délicate à escalader sont redoutables pour les assaillants. ainsi Guillaume

Le château de Guillaume le Conquérant à FalaiseLe château de Pirou

Château-Gaillard aux Andelys

Page 16: EN QUETE DE NORMANDIE

le Conquérant mettra trois ans pour prendre le château fortifié de brionne.

mais au xiie siècle, l’art du siège évolue et unperfectionnement des défenses devient nécessaire. L’attaque est dès lors l’affaire de soldats spécialisés et la construction, celle d’architectes expérimentés. Les avancées dans la fortification des châteaux rendent la tâche des assiégeants encore plus difficile. Le donjon cubique laisse la place à des bâtiments cylindriques, mieux protégés des projectiles. Cette forme est adop-tée dès 1097 pour le Château-sur-epte. Puis les don-jons prennent des formes plus complexes : polygonale ou circulaire avec un éperon triangulaire sur le flanc le plus exposé, comme à La roche-Guyon. La tour s’ha-bille d’une chemise, sorte de rempart circulaire ou elliptique comme à Château-Gaillard (1197-1198).

Les contours définitifs pris par le château fort sont fixés au xiiie sous les traits du château gothique. Le donjon disparaît. Le château prend la forme plus fami-lière d’un rectangle ou d’un polygone régulier flanqué de tours circulaires. ouvrant sur la cour intérieure, des logements seigneuriaux, des salles de garde, des arse-naux, des celliers, des casemates. Parfois une première enceinte, plus légère, enferme une basse-cour et le châ-teau. avec le développement de l’artillerie au xve siècle, les murs des courtines et des tours se renforcent d’or-ganes défensifs (chemins de ronde, parapets crénelés, archères pour tirer dans toutes les directions, guettes et vigies pour surveiller les alentours). La fortification de la porte principale est renforcée par deux tours jumelles à alençon et à Harcourt. surtout, le confort domestique, sacrifié dans le donjon roman, affirme ses droits aux xive et xve siècles. Les châteaux se dotent de logis élégants et délicats.

L’artillerie à feu s’imposant aux xvie et xviie siècles, des fortifications bastionnées et rasantes deviennent nécessaires pour résister efficacement. Ne permettant plus le développement d’une vie châtelaine, les places fortes retrouvent un rôle exclusivement militaire. C’est la fin de l’ère des châteaux forts en Normandie.

Le donjon de Gisors

sur leur frontière avec le royaume de France, les ducs de Normandie ont fait édifier dès le début du xiie siècle une importante forteresse, avec donjon de pierre et enceinte, sur la motte féodale de Gisors qui domine la vallée de l’epte.

Passé sous la tutelle anglaise d’Henri ii Plantagenêt, Gisors a droit à un donjon surélévé avec des contreforts renforcés, des fossés agrandis et une nouvelle enceinte de 800 m de long, flanquée de huit tours.

Profitant de la captivité de richard Cœur de Lion au retour de la troisième croisade, Philippe auguste annexe Gisors en 1193. il s’empresse de faire construire un nou-veau donjon circulaire (« la grosse tour » ou « tour du prisonnier ») et une barbacane orientée vers la ville.

Par la suite, richard Cœur de Lion ne cherche pas à reprendre Gisors. il préfère s’occuper d’une autre nouvelle forteresse devenue pour lui plus stratégique, Château-Gaillard (un verrou sur la seine, une frontière dans la pierre)… mais les anglais reviendront quand même à Gisors pendant la guerre de Cent ans. Le château finira par retourner à la Couronne de France avant d’être déclassé en 1591 par sully.

Curieusement, cet imposant donjon a été sérieuse-ment menacé par un chercheur de trésors, un gardien du château. il avait trouvé un vieux manuscrit assurant que les chevaliers de l’ordre des templiers, avant d’être pour-fendus par Philippe le bel, avaient eu le temps de cacher leur inestimable trésor dans un château entre la Norman-die et l’Île-de-France… et que ce château était sans doute celui de Gisors. alors, l’homme a beaucoup creusé dans la motte féodale sous le donjon. il a fallu une quinzaine d’années de travaux pour tout reboucher, tout consoli-der… et pouvoir remonter en haut du donjon de Gisors.

104

Page 17: EN QUETE DE NORMANDIE

Les principaux donjons romans

La Normandie passe pour être la terre d’élection des don-jons de style roman. Plusieurs nous sont parvenus et attes-tent d’une grande diversité. C’est également en Normandie qu’il y a le plus de constructions imposantes, en termes de superficie et d’épaisseur des murs.

À arques-la-bataille (seine-maritime), la forteresse, très bien positionnée, domine la dépression formée par le confluent de la béthune et de la Varenne. il s’agit d’un donjon roman de plan carré à très gros contreforts eux-mêmes car-rés. L’accès se faisait par le mur situé à l’ouest, un escalier ayant été ouvert dans l’épaisseur des murs. Construit vers 1123 par Henri ier, duc de Normandie et roi d’angleterre, le donjon d’arques-la-bataille a connu une histoire mouve-mentée. assiégé par Geoffroy Plantagenêt en 1145, il passe ensuite aux mains de Philippe auguste en 1195 avant d’être repris par le roi d’angleterre au xve siècle. il est finalement libéré en 1449 et revient à la France.

Le château de Valmont (seine-maritime), dont la construction s’étale entre le xve et le xixe siècle, s’est étendu à partir d’un donjon roman situé à l’extrémité nord de l’édifice. Construit par robert ii d’estouteville (mort en 1106), son toit est transformé au xve siècle, armé d’un chemin de ronde et revêtu d’ardoises. des fenêtres sont percées et les trois étages du donjon complètement réaménagés.

du donjon de brionne (eure), élevé sur la rive droite de la risle, il ne reste que quelques ruines. Celles-ci suggèrent cependant une impression de puissance considérable. Les murs sont épais de quatre mètres. Ce donjon est très tôt le siège d’une forteresse ducale, lui est donc attaché le titre de comte. il connaît également un long siège en 1124.

La forteresse médiévale normande la plus connue est certainement celle de Falaise (Calvados), car c’est l’une des mieux préservées et des plus importantes. Juchée sur un rocher de grès, elle est protégée par un profond ravin. Le donjon rectangulaire construit au bout du roc est la partie essentielle du château. L’entrée se fait sur la face est. Côté ouest, un « petit donjon » masque en partie la façade. Les murs du premier étage sont percés de très belles fenêtres géminées. une chapelle a également été bâtie dans le donjon élevé par Henri ier vers 1123 sur l’emplacement de la forte-resse ducale qu’il avait assiégée en 1105.

À Vire (Calvados), on peut voir les ruines d’un donjon campé sur un promontoire rocheux. il ne reste qu’un côté et la moitié d’un autre. au premier étage, l’emplacement d’une cheminée et d’une fenêtre peut être identifié. Le donjon a

sans doute été élevé par Henri ier au xiie siècle. démantelé par richelieu en 1630, il est à l’abandon depuis le xixe.

du donjon de domfront (orne) qui domine de ses 70 m les gorges de la Varenne, seuls deux côtés incomplets ont subsisté. C’est l’un des plus grands donjons normands (26,3 m x 22,4 m). il se compose de trois étages montés sur un rez-de-chaussée. Le donjon actuellement visible a été rebâti par Henri ier après qu’il s’en est emparé en 1092. des aménagements ont ensuite été apportés par Henri ii vers 1180.

Le plus original et le mieux conservé des donjons romans normands est peut-être Chambois (orne). Les quatre murs (26 m) sont intacts. Par contre, la toiture et les étages n’ont pas été préservés. Leur crête, refaite au xvie, est pourvue d’une galerie de mâchicoulis (ouvertures faites dans le sol du chemin de ronde). Les angles du donjon sont armés de tou-relles carrées creusées de petites salles (ou chambres) de tir. on retrouve également les traces d’une grande cheminée au premier étage. La façade nord-ouest est percée d’harmo-nieuses fenêtres géminées. L’ensemble forme un beau corps de logis, spacieux, bien éclairé. La fonction de résidence semble bien l’emporter sur celle de défense. La forteresse a sans doute été construite par Guillaume de mandeville, vassal d’Henri ii Plantagenêt, entre 1165 et 1189.

Les NormaNds bâtisseurs 105

Le donjon de Brionne

Page 18: EN QUETE DE NORMANDIE

E ncouragés par l’essor économique de la pro-vince normande succédant à la longue guerre de Cent ans, des nobles, des hauts fonction-

naires, des armateurs font construire de somptueuses demeures sur leurs terres. Les maîtres d’œuvre chargés des réalisations rivalisent de grandeur et d’originalité. et la Normandie se couvre bientôt de multiples manoirs et châteaux plus majestueux les uns que les autres, symboles de la puissance et de la richesse de la noblesse.

Jusqu’à la fin du xve siècle, l’atmosphère belliqueuse régnante incite les seigneurs normands à s’enfermer dans de véritables forteresses capables de résister aux assauts répétés des anglais, des rois français, des sei-gneurs. avec le xvie siècle et le retour de la paix, un nouveau style architectural inspiré des « usages et modes d’italie » s’épanouit en Normandie, jaillissant progressivement dans les structures, les décors, les jar-dins. Cet art est importé dans la province avec succès par George ier d’amboise, premier ministre du roi de France Louis Xii, cardinal archevêque et mécène de rouen. Le prélat rénove le château de Gaillon, habillant la structure féodale d’une décoration italianisante. en rupture avec les conventions architecturales de l’époque, il fait ajouter de nouveaux motifs étrangers au style flamboyant antérieur : arabesques, rinceaux, médaillons, coquilles. L’austérité de l’édifice médiéval et le raffinement du décor renaissance se mêlent pour le plus grand plaisir des yeux.

autres témoins de cette période de transition conduisant du château fortifié au château d’agrément, les châteaux de Flers et de Couterne exhibent encore leurs tours rondes à canonnières de type médiéval ; le château de Carrouges, encore ceint de douves et dont la tonalité générale est sévère ; le château d’o où la renaissance, discrète à l’entrée - un pont-levis avec herse flanqué de deux tours défensives percées de meurtrières - se déploie dans les galeries de la cour. La finesse de leur décoration, les tourelles aiguës et la toi-

ture inclinée, l’alliance en damiers de la brique et de la pierre confèrent élégance, légèreté et charme à cette demeure.

avec le xviie et l’avènement de l’architecture Louis Xiii, un pas supplémentaire est effectué vers le classicisme. La Normandie abrite de nombreuses demeures nobiliaires de ce type, les plus remarquables étant peut-être celles de beaumesnil et de balleroy. Évoquant le château de beaumesnil, le romancier nor-mand Jean de la Varende a écrit : « il n’y a pas en France de demeure Louis Xiii d’une telle beauté ». Ce château est pour l’essentiel érigé entre 1633 et 1640 par l’archi-tecte Jean Gallard. aux empreintes de la renaissance finissante (notamment la verticalité de l’ensemble sou-lignée par de hautes baies et des cheminées) s’ajoutent des influences plus novatrices venues d’italie et de Hollande. Cet ensemble qui associe la pierre et la brique renferme un bel intérieur meublé et un musée de la reliure. un grand escalier d’honneur distribue les salles du château. au-delà des bassins ceinturant le château se trouvent les jardins, d’une rare beauté, créés par Jean-baptiste La Quintinie, assistant de Le Nôtre à Versailles. au nord, un jardin à la française. À l’est, un parc où court une longue allée qui prolonge le château et découpe la pelouse. À l’ouest, des communs et une ferme de part et d’autre d’une allée qui relie le portail à la cour d’honneur.

Le château de balleroy, construit à partir de 1626, affiche un style Louis Xiii proche de celui de beaumes-nil. L’œuvre du jeune architecte mansart associe égale-ment la brique à la pierre. un pavillon central est enca

Châteaux et manoirs

Château de Balleroy (Calvados)Château des Ravalet à Tourlaville (Manche)

Château de Miromesnil (Seine-Maritime)Château d’O à Mortrée (Orne)

Château de Vendeuvre (Calvados)Château de Beaumont à Valognes (Manche)

Page 19: EN QUETE DE NORMANDIE
Page 20: EN QUETE DE NORMANDIE

108

dré de deux bâtiments plus bas et couvert d’un lan-ternon. Le jardin à la française, dessiné par Le Nôtre, est composé d’un parterre de buis taillés et d’une ter-rasse. L’intérieur est richement décoré, lambrissé et meublé. il recèle notamment une remarquable collec-tion de peintures.

bien d’autres châteaux et manoirs témoignent de l’ardeur à construire et du formidable sens artistique des Normands en ce xviie siècle : les châteaux de Cany, de miromesnil où est né Guy de maupassant, de Champ-de-bataille, une des plus grandioses produc-tions dans le style Louis Xiii. Le château d’eu est peut-être celui qui a connu le destin le plus « royal ». il sera en effet la résidence favorite de Louis-Philippe.

L’âge classique de la seconde moitié du xviie siècle et du premier tiers du xviiie siècle (règne de Louis XiV) ponctuera l’avènement du rationalisme dans l’art fran-çais, de la symétrie architecturale parfaite et de la modestie dans les décorations. Le Haras du Pin, les châteaux de Chèreperrine et de médavy témoignent de cette ordonnance Louis XiV où la rigueur de la struc-ture côtoie la sobriété du décor. ainsi le château de Canon affiche une magnifique et rigoureuse façade blanche en pierre blonde calcaire de Quilly. il domine un parc où se mêlent les influences classiques du jardin à la française et les inspirations anglaises, où se succè-dent des statues antiques, des « fabriques », un miroir d’eau, un kiosque chinois…

Quant au château de bizy, en partie rasé sous la révolution, il est reconstruit sous Louis-Philippe. Le baron de schickler le transforme en un somptueux palais couvert d’une terrasse dont la légèreté vient rele-ver la splendeur régulière des bâtiments du xviiie siècle. Les salons, renommés pour leurs boiseries, sont meu-blés dans le style empire, faisant du château un remar-quable musée napoléonien ! Le baron de schickler s’in-téresse aussi au château de martinvast, dans la manche, qu’il transforme en haras en 1861. il plante dans son

Château de Tocqueville (Manche)Château de Radepont (Eure)Château de Bénouville (Calvados)

Page 21: EN QUETE DE NORMANDIE

Château de Saint-Germain-de-Livet (Calvados)Château de Martinvast (Manche)

Château d’Eu (Seine-Maritime)

parc des camélias et des rhododendrons qui, devenus arborescents aujourd’hui, en sont une des plus belles parures.

Les campagnes normandes n’ont cependant pas l’exclusivité en matière d’architecture nobiliaire. Les villes accueillent également de tout aussi somptueux hôtels renaissance et classiques. de vastes demeures seigneu-riales en pierre, qui arborent une façade sobre mais ouvrent sur une cour plus richement décorée, sont encore visibles comme l’hôtel de bourgtheroulde à rouen et bien d’autres à Honfleur, bernay, Lyons-la-Forêt. mais le raffinement architectural urbain atteint sûrement son comble à Valognes, surnommé le « petit Versailles normand », où de nombreux hôtels, à l’image de celui de beaumont, n’ont rien perdu de leur majesté.

avec ses châteaux et manoirs à pans de bois, à l’ap-parence si délicate et si fragile, le pays d’auge possède de véritables joyaux. dans le pays d’auge nord, les plus intéressants à découvrir sont le manoir des Évêques à Canapville, construit entre le xiiie et le xve siècle, l’an-cien couvent des dames dominicaines de l’isle, avec son balcon de bois, à Pont-L’evêque, le manoir du breuil-en-auge, qui abrite dans ses communs une dis-tillerie de calvados, le château de boutemont, entouré d’un jardin de style renaissance italienne, ou encore le manoir du Champ Versant, avec son logis flanqué de deux tourelles, à bonnebosq.

dans le pays d’auge sud, il ne faut surtout pas man-quer le château de saint-Germain-de-Livet, qui allie une façade en colombage et une aile en damier de pierres et de briques vernissées, le manoir de Chiffretot aux moutiers saint-Hubert, le manoir de bellou, avec un corps de logis central encadré de deux pavillons, et le château de Grandchamp, avec sa partie classique du xviie siècle en pierres et ses tourelles d’angle à colom-bage.

Page 22: EN QUETE DE NORMANDIE

110

L’ habitation normande traditionnelle éveille la même image dans tous les esprits : celle d’une maison à colombage couverte d’un toit de

chaume, entourée d’herbe et de pommiers. Cette « maison type » est sans nul doute bien normande… mais elle n’est cependant pas l’unique maison nor-mande : celle-ci se décline à travers une grande diver-sité architecturale.

Présente dans la partie septentrionale de la seine-maritime, la maison cauchoise s’intègre à un système agricole singulier : le clos-masure, grande exploitation en fermage constituée au xvie siècle. Les bâtiments agricoles à pans de bois et séparés les uns des autres se dispersent sans ordre au milieu d’une vaste prairie her-bagée, plantée de pommiers et entourée d’un talus sur-

monté d’une double rangée de hêtres. L’habitation, également à pans de bois, est isolée du sol par un sou-bassement de silex hourdis de bauge (sorte de torchis de paille). Le toit, très pentu, est en chaume.

La maison se compose généralement de deux par-ties. La plus récente abrite au rez-de-chaussée des salles, au premier étage les chambres et au-dessus les combles. La plus ancienne, tout en longueur, reçoit la salle commune et les pièces de service (laiterie, lave-rie…) À l’étage, les greniers. Le regard des plus curieux croisera peut-être l’une de ces belles et rustiques pro-priétés au détour d’un chemin. un circuit fléché des clos-masures de 60 km fait découvrir de somptueuses propriétés mais aussi des bourgs pittoresques, des manoirs et des châteaux. La promenade débute à la gare de bréauté-beuzeville et se poursuit vers Houque-tot.très similaire à la maison cauchoise, l’habitation du pays de bray se distingue par son pan de bois qui n’est plus apparent mais recouvert de torchis. seuls sont

visibles les poteaux et les sablières. Les briques sont très présentes et offrent un harmonieux décor en jouant avec leurs formes et leurs teintes. sur le clos du pays de bray, les bâtiments sont davantage regroupés et la masure est le plus souvent entou-rée d’une simple haie, sans talus.

Les maisons du pays d’ouche et du pays d’auge aux-quelles correspond le « cliché » de la maison normande diffèrent elles aussi assez peu de la maison cauchoise. Le pan de bois y est hourdi tantôt de torchis renforcé par des éclisses, tantôt de tuileau servant à la décora-tion de l’ensemble. Les façades exposées à la pluie sont recouvertes de bardeaux en châtaignier ou d’ardoises, plus rarement de carreaux en terre cuite.

en des zones plus réduites, sur les marges de la Haute-Normandie (Vexin normand, plaine de saint-

L’architecture rurale

Page de droite : maisons à colombage à Bernay,dans le pays de Caux et le Calvados

Page 23: EN QUETE DE NORMANDIE
Page 24: EN QUETE DE NORMANDIE

andré), les maisons traditionnelles sont en ordre serré. mais c’est dans la plaine de Caen que l’on trouve de beaux exemples de grandes fermes aux bâtiments contigus ordonnés autour d’une cour nue et fermant cette dernière. Les demeures agricoles du Vexin, moins régulières, sont tout aussi monumentales. elles sont construites en calcaire, les toits sont en tuile dans la région caennaise et en ardoise dans le bessin. Le plan d’ensemble de ces fermes à cour totalement fermée reproduit celui de nombreux manoirs de l’ancienne noblesse rurale normande.

dans l’avranchin, le Cotentin et les Îles anglo-nor-mandes, le plant de pommiers et l’ordre dispersé des bâtiments ont complètement disparu. Les bâtiments de la ferme se répartissent autour d’une cour nue en équerre ou parallèlement en files. Les matériaux de construction employés peuvent être très variés, selon les ressources du sol de la région : le granit s’impose dans l’avranchin et les îles, le schiste prédomine dans le Cotentin. À l’origine, la plupart des maisons se cou-vraient de paille. Progressivement, le chaume a laissé place à l’ardoise. Près de Cherbourg, les toits se com-posent d’épaisses plaques de schiste vert produisant une surface polychrome que la pluie et le soleil font rayonner. toutes ces constructions rurales se déclinent bien sûr sous des formes infinies ; constructions de terre, couvertures variées, ouvertures et cheminées en nombres et formes multiples. Parfois surprenantes, ces maisons charment par leur simplicité et leur rusticité.

L’architecture des villes est tout aussi riche et diverse. Les rues pittoresques du vieux rouen offrent un merveilleux exemple de l’architecture à pans de bois typiquement normande. des demeures médié-vales à encorbellement côtoient des maisons classiques dans un voisinage sans heurts. La rue damiette, aujourd’hui investie par de nombreux antiquaires, abrite de magnifiques maisons à pans de bois ayant appartenu à des artisans du textile. dans la rue eau-de-robec, on trouve encore de curieux greniers à étente du xviie ayant servi à sécher les pièces de coton.

Habitat ancien à Rouen, à Tourgéville et dans le Calvados

Page 25: EN QUETE DE NORMANDIE

A ide précieuse pour les marins approchant la côte, le faisceau des phares qui troue l’obscu-rité est aussi un instant magique. Clignotant,

il fait surgir la côte des ténèbres puis la fait retomber dans le noir, indistincte, avec une régularité que rien ne semble pouvoir arrêter. Fixe, il descend avec légè-reté sur les eaux et sur le littoral. À terre ou en mer, les phares normands jalonnent la côte, du tréport à Gran-ville et Chausey. Certains sont de véritables prouesses architecturales.

un premier programme d’éclairage des côtes fran-çaises est lancé en 1825. des ingénieurs, aidés de conducteurs de travaux, dressent des plans puis diri-gent les ouvrages sur le terrain. au début du xixe siècle, le fonctionnement du phare est confié à un entrepre-neur privé chargé de l’entretien du feu en échange d’une redevance. il fournit le combustible d’éclairage, les lampes, le matériel de nettoyage. il est également responsable du recrutement, de la formation et de la rémunération du gardien, ce qui suscite des craintes. La moindre négligence dans la surveillance du phare peut être fatale aux navigateurs : feux trop faibles, trop tardivement allumés, huile de mauvaise qualité… À partir de 1849, les gar-diens de phare rejoignent donc le rang des fonctionnaires et un règlement est établi pour mieux maîtriser le fonctionnement des établisse-ments. Parfois dévoués, les gardiens ne sont pas forcément ces guides sans peur et sans reproche dans la tourmente, ces héros que les romantiques se sont plu à dépeindre à la fin du xixe siècle. La plupart d’entre eux s’ennuient dans leur tour ; certains deviennent indisciplinés, d’autres som-brent dans l’alcoolisme ou s’adonnent à des activités parallèles, parfois illégales. avant 1850, les pièces d’ha-

bitation sont rares. Puis on construit des logements ou on améliore les constructions existantes. de « petits fanaux » voient le jour, sur le modèle des maisons de la région. À partir des années 1990, on ne compte plus de phares normands habités.

Les premiers phares du xixe siècle sont construits suivant les projets et plans prévus par les ingénieurs, libres d’exprimer leur talent artistique. Certains copient leurs prédécesseurs, d’autres s’aventurent dans des réalisations plus personnelles mais qui vont rare-ment jusqu’à la fantaisie.

Lorsque l’on quitte la somme en direction du sud, le premier phare normand s’élève au tréport. Construite en 1885, la tour blanche à lanterne verte signale l’entrée du port en bout de jetée ouest. Haute de 15 m, elle éclaire dans un rayon de 37 km. Puis le phare, ou plutôt les phares, de l’ailly. un premier édi-fice est construit en 1775. menacé par le recul de la falaise et trop exigu pour accueillir les aménagements devenus nécessaires, il est remplacé pour une nouvelle

tour octogonale en pierre de taille et brique rouge en 1899. Les travaux pour un troisième phare com-

mencent en 1951. L’ensemble, en pierres de mignac et surmonté d’une lanterne noire, est sobre, les lignes sont pures. Le phare d’ailly offre un panorama exceptionnel depuis les falaises de

saint-Valery-en-Caux.Le phare de Fécamp, couplé au feu de la jetée sud

(ancien sémaphore), signale l’entrée du port depuis la jetée nord. s’élevant à plus de

100 m au-dessus de la mer, le phare d’antifer, construit en 1955, se distingue

par sa tour octogonale à faces incur-vées. Quatre ans plus tôt, le phare

du Cap de la Hève s’est édifié sur les hautes falaises crayeuses au

Les phares

Le phare de Honfleur

Page 26: EN QUETE DE NORMANDIE

nord de la seine. il éclaire un endroit très dangereux pour la navigation. dès le xive siècle, une tour à feu est en effet érigée sur le cap, construction alors rare et longtemps unique sur la côte normande. après quatre siècles de service, elle est engloutie par les eaux suite à l’effondrement de la falaise. deux phares identiques de 17 m de haut remplacent la première tour dès 1775. ils seront détruits en 1944. Puis se succèdent le feu du Havre, les phares de tancarville, de Quillebeuf-sur-seine et de la roque dont l’activité a cessé à la fin du xixe ou au début du xxe siècle. Le phare de Fatouville-Grestain, construit en 1850, ne fonctionne plus depuis 1907. Vendu aux enchères à des particuliers en 1933, il accueille aujourd’hui les amoureux de la mer désirant vivre, le temps d’une nuit, l’expérience d’un gardien de phare.

À Honfleur, un premier phare est bâti au cours des années 1850. Puis un second est réalisé en 1908 pour signaler l’entrée ouest du port. La tour carrée en maçonnerie de pierres apparentes est rehaussée d’une lanterne verte et équipée de l’appareillage de l’ancien phare. Les feux de trouville-deauville précèdent le phare de ouistreham, à tour cylindrique de granit, peinte en blanc et chapeautée d’une lanterne rouge à laquelle mènent 171 marches de granit bleu de Vire. Ce phare carré garde l’estuaire de l’orne et signale le danger des rochers du Calvados.

Le phare de Ver-sur-mer, en baie de seine, date de 1900. en 1927, son gardien a sauvé l’avion America qui effectuait la traversée de l’atlantique. À court de carbu-rant, l’appareil a pu se poser sur la plage, aidé du fais-ceau lumineux du phare que le gardien déviait vers le bas. Le feu de Port-en-bessin (1887) marque l’entrée du port de pêche.

Les côtes de la manche sont équipées d’une dizaine de phares à terre ou en mer. Le port de barfleur est signalé par un feu blanc. Le feu de la pointe de saire est construit dans un ancien fort de type Vauban en 1836. mais le principal phare du cap nord-est du Cotentin est incontestablement le phare de Gatteville. Cette tour en granit coiffée d’une lanterne mécanique est le deu-xième plus grand phare d’europe (75 m). 365 marches (autant que de jours dans l’année) éclairées par

52 fenêtres (autant que de semaines dans l’année) mènent au sommet d’où l’on peut admirer la côte et la mer sur des dizaines de kilomètres. Le phare de Gatte-ville est construit sur la pointe de barfleur, lieu très fréquenté par les bateaux et rendu très dangereux par les courants violents et les nombreuses roches à fleur d’eau. en 1120, la Blanche Nef avec à son bord 193 hommes (dont 140 chevaliers et le fils unique du roi Henri ier d’angleterre) y fait naufrage. sortant de barfleur, le navire s’écrase sur le récif de Quillebeuf dans le raz de Gatteville ; tous les hommes périssent noyés. La première construction voit le jour en 1774, elle est encore présente au pied de l’actuel phare, convertie en sémaphore. Le phare de Gatteville est érigé entre 1829 et 1834. son feu à éclat blanc a une portée de 53 km. Lorsqu’en 1914 le phare s’est éteint, des navires se sont échoués sur la côte.

relais entre le phare de Gatteville et celui de la Hague, chargé de la protection des navires qui se diri-gent vers Cherbourg, le phare de Cap Levi s’élève à 30 m. détruit en 1944, il est reconstruit en 1947 sur le modèle antérieur. La tour de forme quadrangulaire à faces incurvées est en pierre de granit rose.

Le phare de la Hague, aussi appelé phare de Goury, se dresse à 800 m au large sur le rocher du « Gros du raz », difficilement accessible car enveloppé de cou-rants violents. il signale le raz blanchard, un des plus forts courants d’europe, et le passage de la déroute entre le cap de la Hague et l’île d’aurigny. C’est, pour l’ingénieur morice de la rue, chargé de la construction du phare, « l’un des plus mauvais coins de France ». trois années (1834-1837) de travaux seront néces-saires pour ériger cette tour cylindrique de 46 m de haut en granit de diélette. Les matériaux sont achemi-nés sur des barques plates (pour réduire les prises au courant) et légères (pour manœuvrer à la rame). une plate-forme de 10 m de rayon est construite sur le rocher, puis le phare est monté. La construction est très risquée mais l’ingénieur prend les précautions nécessaires et tous les ouvriers reviendront sains et saufs.

sur la côte ouest du Cotentin, se suivent le phare de diélette, la maison-phare de Carteret, composée d’une

Page 27: EN QUETE DE NORMANDIE

tour carrée surmontant un bâtiment rectangulaire, l’église-feu de Portbail, le phare du sénéquet. Le phare d’agon, en moellons et pierre de taille du pays, couvert de zinc pour résister au vent, indique l’entrée des havres de régneville et Coutainville que les marins ris-quent de ne pas repérer dans la nuit. situé sur un finis-terre isolé (la pointe d’agon), il est équipé d’une habi-tation. Comme les phares de Granville et du sénéquet, il est télécontrôlé par le phare de Chausey.

Construit sur la pointe du roc, le phare de Gran-ville est le deuxième plus ancien phare du plan d’éclai-

rage des côtes lancé en 1825. Cette tour cylindrique en granit gris d’une grande simplicité est enrichie de quelques ornementations.

Le phare de Chausey, dernier phare normand à être habité (jusqu’en 1990), est considéré comme un phare de mer. il est implanté sur la plus grande île de l’archi-pel et signale les nombreuses îles et îlots à proximité desquels il est dangereux de naviguer.

Électrifiés et automatisés, les phares normands res-tent de précieuses signalisations pour les marins et des symboles du paysage côtier.

Se dressant à 75 m au-dessus du Val de Saire, le phare de Gatteville (Manche) a une portée de 53 km

Page 28: EN QUETE DE NORMANDIE

V oilà une bonne cinquantaine d’années, il fal-lait prendre le bac au Hode pour franchir, après des attentes souvent longues, l’estuaire

de la seine… et puis, est enfin venu le temps des ponts. Le pont de tancarville en 1959 et le pont de Norman-die en 1995. aujourd’hui plus de 12 millions de véhi-cules passent ainsi chaque année au-dessus du fleuve.

rappelons que le plus ancien, le pont suspendu de tancarville, fut construit en quatre ans, avec une tra-verse centrale de 608 m de portée et des pylônes de 125 m de haut (record mondial à l’époque).

si la mise en service du pont de tancarville fut le premier pas du désenclavement de la région havraise vers le sud-est et la région parisienne, il a fallu rapide-ment faire face à l’accroissement du trafic et songer à améliorer la desserte avec la basse-Normandie, la bretagne et tout le sud-est. L’idée d’un deuxième pont, encore plus proche de l’estuaire, quasiment entre Le Havre et Honfleur, devait ainsi s’imposer dès 1972.

Première pierre en mars 1988 et inauguration en janvier 1995 : la construction du pont de Normandie a duré six ans. Ce fut un véritable défi technologique car tout, ou presque, était à inventer. Chargée de la construction du tablier métallique, l’entreprise danoise monberg et Thorsen a fait plancher ses ingénieurs des dizaines de milliers d’heures et soigneusement testé chaque élément. Pas question de bricolage pour arrimer la pièce de 180 tonnes suspendue à 50 m au-dessus du vide ! Le pont a une portée centrale de 856 m. Près de 2 000 personnes ont travaillé au pont de Normandie dont le tablier, d’une largeur de 23,60 m, accueille quatre voies pour les automobiles, deux pistes cyclables et deux trottoirs pour les piétons.

depuis septembre 2008, rouen dispose d’un sixième pont sur la seine. Ce pont Flaubert est un étonnant pont levant dont les deux tabliers de 120 m de long et de 17 mètres de large pèsent chacun 1 250 tonnes. Ce « défi à la pesanteur » a été rendu pos-

Les ponts sur la Seine

Le pont Flaubert à Rouen

Page 29: EN QUETE DE NORMANDIE

sible par l’utilisation d’un double mécanisme d’ascen-seur (avec des contrepoids de 950 tonnes) réparti dans les quatre pylônes du pont qui, surmontés de leurs papillons de levage, culminent à 95 m de haut.

Les deux tabliers peuvent s’élever à 55 m au-dessus du fleuve et donc permettre le passage des bateaux de croisière et des grands voiliers. C’est ce qui se produit tous les cinq ans en juillet lors de l’armada, quand les plus beaux bateaux du monde (le Cuauhtemoc, l’Ame-rigo Vespucci, le Belem, le Tenacious, le Dar Mlodziezy, le Grand Turk…) dont beaucoup de navires-écoles, s’assemblent dans le port de rouen pour dix jours de fête. La dernière édition de l’armada, en 2008, a rassemblé sur les quais de rouen 10 millions de visi-teurs ravis de retrouver des navires qu’ils connaissent et d’en découvrir d’autres, de côtoyer des marins italiens, russes, japonais, mexicains, polonais, argen-tins… pour célébrer dans la joie les noces de la Nor-mandie et de la mer.

Lors de l’Armada 2008 à Rouen :Marins du Cuauhtemoc (Mexique)

La figure de proue de l’amerigo VespucciLe dreknor, drakkar construit en 2008

à Tourlaville (Manche)

Page 30: EN QUETE DE NORMANDIE

N ormandy has been the scene of many battles, most recently in 1944, but its architectural heritage has miraculously stood the test of

time.

Houses of God

rollon the Viking’s conversion to Christianity in 912 was soon emulated by large numbers of his com-rades, and by the end of the century, the shattered churches and abbeys were being rebuilt in a new and far grander style than before. The Norman architects derived much of their inspiration from the early Christian basilicas, but whereas romanesque buildings typically had a rather sturdy appearance, their walls pierced by only a very few windows, the new edifices had soaring roofs and sober, light-filled interiors. The exter-

ior was characterized by the so-called ‘harmonic’ facade, exemplified by the abbaye aux Hommes and abbaye aux dames in Caen, where a massive porch was flanked by two square towers, resulting in tripar-tite vertical divisions that echoed the three aisles within.

Normandy was henceforth covered by a ‘white mantle of churches’, while the conquest of england resulted in a spate of cathedral building on the other side of the Channel - all in the Norman romanesque style and some built from Caen stone. in sicily, mean-while, the fusion of Norman romanesque, byzantine and moorish styles gave rise to the ‘siculo-Norman’ architecture embodied in the cathedrals of Cefalù and barletta.Norman romanesque was eventually supplanted by Gothic architecture, heralded at Lessay abbey (1098) by the early use of ribbed vaults. Lisieux was the first cathedral to feature pointed arches. it was built in the 12th century and featured a three-tier elevation that

was to be replicated a century later by Coutances Cathedral, where three storeys of windows flood the nave with light. unlike the Gothic cathedrals in and around Paris, with their massive, thick-set pillars, the edifice is borne aloft on slender single or double columns capped with circular capitals, enhancing the impression of luminousness.The end to the Hundred Years’ War brought fresh prosperity and, with it, the Flamboyant Gothic style, with its emphasis on elaborate decoration. While buildings in what is now Lower Normandy retained their clean, uncluttered lines, those further east received a far more exuberant treat-ment. The finest examples are to be found in rouen, in the shape of the Church of st maclou and the butter tower, added at the very end of the 15th century to the cathedral where rollon had been baptised.

Castles, cathedrals and cottages

118 master buiLders

William the Conqueror consecrating an abbey

Page 31: EN QUETE DE NORMANDIE

Mont St Michel

many of these religious buildings went through successive waves of construction, destruction, rebuild-ing and extension - nowhere more so than the abbey standing on what was originally called mont tombe, an isolated and almost impregnable rock where to build anything at all was an exploit in itself. it became home to Christian hermits in the 6th century, having already been a holy place in pagan times, though dedi-cated to a god of war, not love.

in around 708, bishop aubert had an oratory built there, after being instructed to do so by archangel michael in a series of visions. twelve canons were recruited to conduct services on the mount, which started to attract increasing numbers of pilgrims seeking the saint’s protection. in the process, the mount took on a new name: mont saint michel. a Pre-romanesque church replaced the primitive ora-tory, its thick walls and scant narrow windows a stark reminder of the abiding threat of barbarian invasion. towards 1023, more construction work took place, this time on a far larger scale, as the new romanesque abbey was too large to be supported by the natural rocky outcrop and a manmade cliff had to be built. The

original building was extended by crypts to the south, east and west, and surmounted by the nave of the new abbey church. a monumental five-metre-high stair-case leading to the choir entrance symbolized the pil-grims’ spiritual ascension.

The abbey was badly damaged in the wars preced-ing the confiscation of the duchy of Normandy in 1204. Louis augustus therefore decided to fund its res-toration as a means of enhancing his kingly status. This rebuilding work was carried out in the Gothic style, with vaulted ribs, tall windows, and the removal of horizontal partitions to increase the impression of ver-ticality. Justifiably referred to as the ‘Wonder’, the abbey now took the form of two parallel buildings. The eastern one, its ternary architecture perfectly mirror-ing the division of society into workers, warriors and men of prayer, featured an almonry on the ground floor, where the poorest pilgrims were catered for, a first-floor hall used by noble guests, with large win-dows and slim columns topped with carved capitals, and a second-floor refectory for the monks, lined with tall windows and surmounted by a wooden barrel-vaulted ceiling. similarly, the west building comprised a storeroom on the ground floor ensuring bodily fare, a first-floor scriptorium for nourishing the mind and,

119master buiLders

The monks’ refectory at Mont St Michel

Page 32: EN QUETE DE NORMANDIE

above that, a cloister offering spiritual sustenance, in the form of reflection and quiet communion.

Further work became necessary, first in 1421, when the romanesque choir collapsed, and again in 1780, after a large blaze. successive wars and threats of war led to the fortification of the village below the abbey and the erection of a perimeter wall interspersed with gun towers. The combination of challenging geogra-phy and heavy defences was to keep the english out during the Hundred Years’ War and montgomery’s Protestant soldiers out during the Wars of religion.

meanwhile, on the religious front, the monks grad-ually lost sight of their spiritual vocation and the flood of pilgrims slowed to a trickle. as early as the middle ages, the mount had been used to hold enemies of the king, and by the 17th century, the abbey had become what was effectively a gaol. The French revolution brought a change of name - to mont Libre (mont Free-dom) - but no change in use, as up to six hundred non-juring priests were imprisoned there. Napoleon turned a de facto situation into a de jure one, and the mount was to remain a fully-fledged prison for the next fifty years. The abbey church was converted into a work-shop and the cloister housed punishment cells. even-tually, in the face of mounting pressure to end this des-ecration, Napoleon iii abolished the prison, much to the dismay of local tradesmen. one of the most vocifer-ous of these was Victor Poulard, future husband of mother Poulard, inventor of the famous omelette, who obviously had no idea that tourism would prove so very lucrative.

Fortress Normandy

in between building churches and cathedrals, the Normans devoted a great deal of time and energy to erecting fortresses. The duchy’s long coastline left it vulnerable to attacks from the sea, especially from just across the Channel, while there was no natural barrier between it and the great rolling plains of central France. Coveted by the Counts of Flanders and Char-tres, and kept under close surveillance by the French kings, Normandy was to be the site of numerous incur-

sions and invasions from the 10th century onwards. in order to ward off the enemy from without, but also to ensure there were no enemies from within, in the shape of rebellious barons, the dukes of Normandy therefore fortified their towns with gatehouses, ram-parts and defensive outer walls, and built a network of fortresses. early constructions consisted of a wooden lookout tower, built on top of an artificial mound of earth, and an enclosed courtyard standing on a smaller mound, both of them surrounded by a ditch created by the excavation work. The bayeux tapestry has an illus-tration of a typical ‘motte-and-bailey’ castle and the remains of several mounds can still be seen, including a particularly well-preserved one in saint sever forest (Calvados).

The Norman Conquest recounted in the tapestry heralded the start of a new wave of building, for when William and his successors established their anglo-Norman kingdom, the neighbouring counts and kings became even more envious than before. Foulque Nerra, Count of anjou, had built France’s very first stone keep near tours in 994, but it had proved to be an extremely costly enterprise, and quarrymen and stonemasons were still few and far between. stone had nonetheless been used as a base for some of the wooden towers, and by the 12th century, timber was being replaced by stone on a massive scale, with the introduction of keeps with walls up to four metres deep, housing staircases, corridors, bedchambers and latrines. The bailey was also extended so that it now covered several hectares, surrounded by earthen ram-parts topped by a curtain wall, as in the case of Falaise Castle, while the entrance to the fortress was protected by a massive fortified gateway. This design was to stand the Norman dukes in good stead for some time, but new developments in siege techniques eventually brought a need for change. Circular keeps, which were harder to damage with projectiles, replaced square ones and were given a so-called ‘chemise’. Gaillard

master buiLders120

Arundel Castle (West Sussex)The Tower of London

Lewes Castle (East Sussex)

Page 33: EN QUETE DE NORMANDIE
Page 34: EN QUETE DE NORMANDIE

Castle is a good example of this system of concen-tric walls.

With the advent of Gothic military architecture, the keep was supplanted by a rectangular or polygonal castle flanked by circular towers, the lordly apart-ments, guardrooms, storerooms and ammunition stores opening onto an inner courtyard. arrow slits, crenellations and parapets were added to towers and curtain walls in the 15th century, to take account of advances in artillery technology, while the gateways to the castles of alençon and Harcourt were flanked by massive twin towers to afford further protection. How-ever, the continuing development of gunpowder artil-lery was to lead to yet more radical changes. Thus, while some semblance of domestic comfort had finally been achieved (for the first time since the advent of the stone keep), it was to prove short-lived. by the 17th

master buiLders

Bourgtheroulde House in Rouen (Seine-Maritime)Mézidon-Canon Castle (Calvados)Fontaine-Henry Castle (Calvados)

Keeping watch

in the early 12th century, the Normans replaced the rudimentary motte and bailey castle at Gisors, overlooking the epte Valley, with a stone keep, to guard the duchy’s frontier with the French kingdom. it was strengthened still further by Henry ii of england, who raised the height of the keep and built an outer wall flanked by eight towers. When richard Lionheart was captured, the French King Louis augustus annexed Gisors and added a new circular keep, known as the Prisoner’s tower. richard made no attempt to recapture this stronghold, preferring instead to build a new castle in a more strategic location on the banks of the seine - Gaillard Castle. in 1591, Gisors was deemed no longer to have any military value. Henceforth, the only serious threat of destruction was to come, bizarrely, from a treasure hunter, who excavated much of the motte in search of a hidden treasure said to have been buried there by the Knights templar.

Page 35: EN QUETE DE NORMANDIE

century, fortified residential castles had been replaced once and for all by squat, bastioned fortifications occu-pied exclusively by soldiers.

This parting of the ways in the 16th and 17th cen-turies corresponded to the arrival of the renaissance in France from italy. This was to have a profound influ-ence on architecture, as well as on interior decoration and garden layout. it was introduced into Normandy by George of amboise, Louis Xii’s prime minister and cardinal archbishop of rouen. on his initiative, Gail-lon Castle acquired an italianate patina, its austerity tempered by arabesques, rinceaux, medallions and shells. such ‘makeovers’ were to become frequent, wit-ness Flers, Carrouges and Château d’o. The 17th cen-tury also saw a series of ‘newbuilds’, chief among them beaumesnil and balleroy, both supreme examples of Louis Xiii architecture, influenced still by italian styles but prefiguring a new classicism. The former, built around 1640, in a combination of brick and stone, retained the steeply pitched roofs and tall windows that had been characteristic of the renaissance, but also embodied the more innovative Florentine baroque and dutch styles. its gardens were laid out by La Quin-tinie, Le Nôtre’s assistant at Versailles. The latter, started in 1626, was similar in style, designed by a youthful mansart, again in brick and stone, while the gardens were the work of Le Nôtre himself. The inte-rior was lavishly decorated.

With Louis XiV came a classical style where sym-metry and rationalism were the watchwords, rather than decoration. once again, several existing châteaux were updated. mézidon-Canon, for instance, gained a splendidly rigorous façade in pale Quilly stone. its for-mal French gardens would later be skirted by parkland in the popular english landscaping style.

bizy underwent a particularly long gestation, as the original pre-revolution building was partly demol-ished and later rebuilt in a resolutely italianate style during the reign of Louis Philippe by baron schickler,

123master buiLders

Normandy wedding armoire,its shelves stacked with linen from a bridal trousseau

(19th century)

Page 36: EN QUETE DE NORMANDIE

who filled the interior with empire furniture. The grounds were planted with tens of thousands of trees and adorned with numerous baroque-style fountains.

Humbler abodes

Just as Normandy’s towns and cities had their fair share of mansions, such as the bourgtheroulde House in rouen and above all the aristocratic townhouses in Valognes, earning it the nickname of the Normandy Versailles (many, alas, destroyed by allied bombers), so the countryside also had more humble dwellings.

While the nobility could afford elaborate stone-work, poorer folk used timber, thatch and cob to build their quaint thatched and half-timbered cottages. styles nonetheless varied. in the Pays de Caux, isolated half-timbered farm buildings would be scattered around a vast pasture dotted with appletrees and surrounded by a mound planted with a double row of majestic beeches. The house itself, though also half-timbered, would be raised up on a base of rough stone and flint masonry, and topped with a steeply raked

thatched roof. in the Pays de bray, the timber structure was largely concealed behind the cob and there was also far more brickwork. Farm buildings would be huddled closer together and the surrounding hedge would be on level ground.

our picture postcard images come from the ouche and auge areas, where exposed walls were clad with hung slating or chestnut shingles. on the vast farms sprawling across the plains of Caen, the buildings sur-rounding the farmyard would be constructed from limestone and roofed with either tiles or slate. in the Cotentin Peninsula, the farm buildings, again grouped around a farmyard, would be built either from granite or shale, depending on what was available locally. roofs were initially thatched, gradually being replaced by slate, except around Cherbourg, where thick green stone slates were the norm. Workers’ dwellings in the towns were just as picturesque, with narrow streets lined with overhanging medieval houses sitting cheek by jowl with later, more classical constructions.

Largely spared by allied bombing, rouen has sev-eral such streets, the most curious being rue eau de robec, once inhabited by mercers, where the houses each have an open attic where hanks of cotton and lengths of cloth would be hung out to dry.

Lighthouses

one particular category of buildings - lighthouses - owes its existence entirely to geography. Normandy’s lengthy coastline, stretching from Le tréport to Gran-ville, not forgetting the Chausey archipelago, can be a dangerous place for seafarers, and the first wave of lighthouse building commenced in 1825, as part of a national programme to light up the French coast. in the early part of the 19th century, they were looked after by a private company, which supplied the lamps and fuel, and recruited the people who had to man these lonely outposts. However, fears that the light might fail due to some act of negligence prompted the state to intervene, and from 1849 onwards, lighthouse keepers were public servants. While some cut heroic figures, many felt bored and lonely, and a fair number

master buiLders124

Bonnet cupboard shown with a selection of coifs and bonnets (first half of the 19th cent.)

Page 37: EN QUETE DE NORMANDIE

took to drink or even illegal activities. today, automa-tion means that they are an extinct breed.

The engineers who designed the lighthouses saw them as an opportunity to express their artistic tem-perament, although such were the extreme conditions that many of their creations were destined to have short lives. affording breathtaking views from the clifftop at st Valery en Caux, the original ailly light-house, for example, dating from 1775, had to be demolished because the cliff on which it stood was rapidly crumbling away. it was replaced by an octago-nal tower of stone and red brick in 1899 which, in turn, was replaced in 1951 by a lighthouse built from mig-nac stone. Four years later, the 100-meter antifer lighthouse was erected, a splendid octagonal tower with incurved sides. 1951 also saw the building of Hève lighthouse, in an area just north of the seine estuary that was regarded as so dangerous that a fire tower had been con-structed there back in the 14th century. This early structure survived for four centuries before collapsing, along with the chalk cliff beneath it. it was replaced by two towers, both destroyed in 1944. on the other side of the estuary, Honfleur gained its first light-house in 1850, a second one being added in 1908 to light up the western side of the harbour. ouistreham lighthouse is a white-painted granite cylinder topped with a red lantern reached by 171 blue granite steps.

The light at Ver-sur-mer is famous for having saved the crew of the ‘america’ in 1927. They had successfully flown non-stop across the atlantic, but been prevented from landing in Paris by dense fog. running desper-ately short of fuel, the pilot finally managed to land on the beach, aided by the lighthouse keeper, who shone the beam on his improvised runway.

The Cotentin Peninsula has its full complement of interesting lighthouses, such as the church-cum - beacon in Portbail, but the most famous of all is undoubtedly Gatteville, europe’s second tallest light-house (75m), which took five years to build, from 1829 to 1834. Lit by fifty-two windows, its 365 steps lead to an automated light that can be seen up to 53 km away. Gatteville is a particularly hazardous area, with strong currents and dangerous reefs. one early tragedy was the shipwreck of the Blanche Nef off barfleur in 1120. The ship had been carrying 140 high-ranking barons, eighteen high-born women and Henry i of england’s sole legitimate heir. There were no survivors. unsur-prisingly, when the light was turned off in 1914, a

whole series of shipwrecks followed. Converted into a semaphore station, the former lighthouse still stands at the foot of the giant tower.another spectacular lighthouse is located at the very tip of the peninsula, indeed 800m beyond it, perched on a lonely rock just ten metres in diameter. Goury lighthouse warns vessels that they are approaching the alder-ney race, the notorious strait between Cap de la Hague and the island of alderney. The tidal streams are so powerful there that the boats used to transport the building mate-rials had to have flat bottoms in order to avoid being swept away. miraculously, the lighthouse was completed without any loss of life. Normandy’s southernmost

lighthouse, a simple grey granite cyl-inder in Granville, was the second

lighthouse to be built in the 1825 campaign, while the beacon on Chausey island lying opposite the port was Normandy’s last

manned lighthouse (1990). it warns seafarers of the presence of numerous smaller islands and islets.

master buiLders 125

Ouistreham lighthouse