En Inde, une fillette, l’air apeuré, est apprêtée pour son ...

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En Inde, une fillette, l’air apeuré, est apprêtée pour son mariage. De nombreuses jeunes mariées vivent en Asie du Sud ou en Afrique subsaharienne où, en moyenne, une fille sur trois âgées de 15 à 19 ans est déjà mariée. Photo : Zana Briski

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En Inde, une fillette, l’air apeuré, est apprêtée pour son mariage. De nombreusesjeunes mariées vivent en Asie du Sud ou en Afrique subsaharienne où, en

moyenne, une fille sur trois âgées de 15 à 19 ans est déjà mariée.

Photo : Zana Briski

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Les mariages précoces

40 % : Le pourcentage de filles qui se marient avant l’âge de 15 ans, au Népal.

50 % : Le pourcentage de filles qui se marient avant l’âge de 15 ans, dans la région d’Amhara, en Éthiopie.

1 sur 3 : La proportion d’adolescentes mariées battues par leur époux, en Égypte.

41 % : Le pourcentage de ces adolescentes qui étaient enceintes au moment des maltraitances.

2 000 000 : Le nombre de femmes qui souffrent de fistules obstétricales dans le monde.

12 : L’âge d’une fillette nigérienne dont le mari avait coupé les jambes parce qu’elle avait tenté à plusieurs

reprises de lui échapper.1

Qu’entend-on par mariage précoce ?

Le Comité inter-africain (CIAF) sur les pratiques traditionnelles affectant la santé desfemmes et des enfants définit le mariage précoce comme suit : « tout mariagecontracté à moins de 18 ans, avant que la fille ne soit physiquement,physiologiquement et psychologiquement prête à assumer les responsabilités dumariage et de la procréation. »2 Une série d’instruments internationaux, dont laDéclaration universelle des droits de l’homme de 1948, la Convention des NationsUnies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes(1979) et la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant (1990), se fontl’écho du point de vue du CIAF, selon lequel le mariage devrait être le fruit d’unedécision prise, exclusivement, entre adultes consentants.3 Les enfants ont le droitd’être protégés de telle sorte qu’ils n’assument pas prématurément les responsabilitésde l’âge adulte, notamment le mariage et la procréation.

Dans certains pays, la loi autorise le mariage avant l’âge de 18 ans. Pourtant, cesmariages sont des mariages précoces, en vertu des normes internationales relativesaux droits de la personne. En effet, celles-ci sont fondées sur le principe que lesjeunes de moins de 18 ans ne sont pas en mesure de donner leur consentement enconnaissance de cause. Les mariages précoces contractés sous l’influence ou lapression d’un parent, du partenaire ou de la société, ou avec la complicité de cesderniers, sont, de facto, des mariages forcés – quel que soit le degré d’enthousiasmeou de consentement de l’enfant destiné à être marié. Dans de nombreux contextes,néanmoins, ces normes fondamentales sont considérées comme hors de propos :elles ne sont pas perçues comme universelles mais plutôt, avec un mépris d’autantplus marqué et ostensible, comme « occidentales ». En Éthiopie, plus de la moitiédes filles sont mariées avant l’âge de 18 ans et les problèmes médicaux associés à laprocréation précoce sont monnaie courante. Pourtant, « De nos jours, les idéesoccidentales se diffusent partout et les filles restent célibataires jusqu’à 30 ans. Tout

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« Fatima » porte sur son dos son bébé de trois mois. Encore enfant elle-même, Fatima a été contrainte de se marier lorsqu’elle avait neuf ans. Après être tombée enceinte,elle s’est enfuie du domicile de son époux pour habiter chez sa mère. Fatima vit toujours chez celle-ci le temps de se remettre d’une intervention chirurgicale qu’elle avait dûsubir pour traiter les complications dont elle avait souffert des suites d’un accouchement dystocique – son bassin trop jeune n’était pas assez large pour mettre au monde un

enfant. Fatima et sa mère sont des esclaves. Elles vivent au Niger, où quelque 82 pour cent des filles se marient avant l’âge de 18 ans. Comme il est de coutume, le maître deFatima l’a forcée à se marier dès l’enfance pour exploiter aussi longtemps que possible la période de fécondité de la jeune fille et ainsi s’assurer une progéniture d’esclaves.

Photo : Georgina Cranston/IRIN

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ça a beau être très scientifique et moderne, notre Église nous l’interdit. Ces filles nesont ni pures ni bénies », insistait un prêtre orthodoxe.4

La conséquence, peu étonnante, de cette perception résonne dans le discours volubilede Deepali, 12 ans, originaire du Bangladesh. La fillette a adhéré au mode de penséede sa société, selon lequel la une fille a une plus grande valeur si elle se marie jeune :

« Les gens disent que j’ai beaucoup de chance d’êtrenée si belle, avec une peau si claire. Mes parents n’onteu aucun problème à me trouver un bon mari.Contrairement à ma cousine Maya, qui a la peaubrune et n’est pas encore mariée à 13 ans ! En plus, je ne suis plus obligée d’aller àl’école. Mais Maya, elle doit aller à l’école jusqu’à ce qu’elle se marie. »5

D’autres ne se satisfont pas de leur sort avec autant de facilité que Deepali. Au coursde discussions de groupe organisées en Afghanistan, par exemple, les participantesavaient à plusieurs reprises désigné le mariage précoce comme l’une despréoccupations majeures de leurs jeunes années. Parmi elles, même les fillettes âgéesd’à peine 10 ou 11 ans avaient compris que mariage et éducation étaient presquetoujours mutuellement exclusifs pour les jeunes Afghanes.6 Pour les fillettes afghanescomme pour bien d’autres dans le monde, devoir renoncer à leur éducation n’est quel’une des nombreuses conséquences négatives du mariage précoce.

L’étendue du problème

Les conséquences des mariages précoces sont particulièrement alarmantes, comptetenu de l’ampleur de la question : dans le monde, on estime que 82 millions de fillesaujourd’hui âgées de 10 à 17 ans seront mariées avant leur dix-huitième anniversaire.Dans les pays en voie de développement (à l’exception de la Chine), sur 331 millionsde filles âgées de 10 à 19 ans, près de la moitié se mariera avant d’avoir 20 ans.7 Bienque de nombreux mariages coïncident avec les premières menstruations de la mariée,dans certaines communautés, les filles sont fiancées dès la petite enfance et mariées àpartir de huit ou neuf ans à peine.

La plupart de ces jeunes épouses vivent en Asie du Sud ou en Afrique subsaharienne,où, en moyenne, une fille sur trois âgées de 15 à 19 ans est déjà mariée. En AmériqueCentrale et aux Caraïbes, elles sont quelque 20 pour cent, une statistique à peinemoins élevée.8 Qui plus est, ces moyennes n’illustrent pas les extrêmes, véritablementsaisissants : deux filles sur trois au Yémen, au Mali, au Népal et au Mozambique semarieront avant l’âge de 18 ans. Au Niger, au Bangladesh et au Tchad, le taux demariages de mineurs se situe entre 70 et 80 pour cent.9

Les mariages précoces sont à la fois la cause et la conséquence de la pauvreté. Dansle passé, le mariage de jeunes filles et de jeunes garçons était courant au sein d’une

majorité de sociétés dans le monde. Toutefois, l’âge moyen du mariage dans lesrégions industrialisées s’est élevé avec le développement économique et social. EnAmérique du Nord, en Asie de l’Est et en Europe occidentale, seuls 2 à 4 pour centdes filles se marient avant l’âge de 19 ans.10 Les filles de ces régions, qui ne se marientpas à un jeune âge, ont de meilleures chances d’achever leur parcours scolaire,d’acquérir de meilleures aptitudes à la vie quotidienne et une certaine autonomie.

Ainsi, elles sont plus en mesure de contribuer à la société, au sein des sphèrespubliques ou privées. Dans ces régions, même pour le petit nombre de filles qui semarient jeunes, le mariage est bien plus susceptible d’être l’expression d’un choixpersonnel, plutôt que le résultat de pressions exercées par les parents ou lacommunauté.

Par ailleurs, le mariage précoce et ses conséquences négatives reflètentincontestablement un parti pris sexiste : au niveau mondial, les garçons sont bienmoins nombreux que les filles à se marier jeunes. En Afrique subsaharienne et en Asiedu Sud, par exemple, seuls 5 pour cent des garçons se marient avant l’âge de 19 ans.11

Qui plus est, pour la plupart de ces jeunes maris, le mariage précoce n’est pas, commepour beaucoup de jeunes épouses, le présage du malheur. Au sein des sociétéstraditionnelles, les jeunes maris sont moins susceptibles que les jeunes épouses d’êtrestrictement tenus d’assumer leurs responsabilités familiales. Les filles qui se marientjeunes acquièrent automatiquement le statut d’adulte et perdent ces protectionsparticulières dont bénéficient les enfants. Les garçons, en revanche, sont plus libresde poursuivre leur scolarité et d’acquérir des compétences qui leur permettront decontinuer à s’épanouir, d’un point de vue personnel et social.

Contexte juridique

Malgré les lois nationales et internationales relatives à l’âge minimum du mariage etau consentement, de nombreuses jeunes filles dans le monde sont encore en danger.Dans 15 pays, l’âge légal du mariage est de 16 ans.12 Même lorsqu’il existe desprotections juridiques contre le mariage précoce, celles-ci peuvent être ambiguës,autoriser la co-existence du droit coutumier et du droit civil ou s’accompagner demécanismes de mise en application limités. Certaines dispositions légales peuvent,par exemple, autoriser la loi traditionnelle à prévaloir sur le droit écrit. Dès lors, lesrestrictions sur les mariages précoces imposées par la loi nationale risquent de ne pass’appliquer aux mariages coutumiers.13

En outre, « lorsque l’âge minimum du mariage diffère, il est nettement plus bas pourles filles que pour les garçons ».14 Selon le Comité pour l’élimination de la

« De nos jours, les idées occidentales se diffusent partout et les filles restentcélibataires jusqu’à 30 ans. Tout ça a beau être très scientifique et moderne, notre

Église nous l’interdit. Ces filles ne sont ni pures ni bénies. »

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discrimination à l’égard des femmes, ces écarts « supposent à tort que les femmes ontun indice de développement différent de celui des hommes, ou que leur stade dedéveloppement physique et intellectuel lors du mariage est sans importance. »15 Les

lois nationales au Cameroun, en Jordanie, au Maroc, en Ouganda et au Yémenn’accordent pas spécifiquement aux femmes le droit de donner leur consentementpréalable.16 Dans la « grande majorité » des pays qui ont codifié le droit de la femmeà choisir son futur époux au même titre que l’homme, les dispositions légales sontsouvent « purement symboliques » – et, par conséquent, ne sont pas mises enapplication ou font l’objet de nombreuses exceptions.17

Dans de nombreux pays, la loi autorise le mariage précoce avec le consentement desparents, une disposition qui, au sein des sociétés traditionnelles, ne permet guère deprotéger les droits des fillettes. En Algérie, au Tchad, au Costa Rica, au Liban, enLibye, en Roumanie et en Uruguay, la loi permet à l’auteur d’un viol – y compris leviol d’une mineure – d’être gracié s’il épouse la victime.18 Le stigmate, la honte, lacoercition et l’ignorance de la loi ne sont que quelques-uns des multiples facteurs quipeuvent empêcher une jeune victime d’exercer son droit de refuser un tel mariage.En Éthiopie, « l’enlèvement de la mariée » reste fréquent dans certains milieux ruraux; cette pratique illégale consiste à enlever une fillette pour l’épouser en consommantle mariage par un viol. Lors d’une étude menée auprès de 227 épouses éthiopiennes,60 pour cent d’entre elles avaient déclaré avoir été enlevées avant l’âge de 15 ans, et93 pour cent avant l’âge de 20 ans.19

Les droits des femmes et des filles ne sont pas une priorité

Dans le monde entier, le mariage précoce prédomine dans les sociétéstraditionnelles, où les désirs et les besoins des parents et de la communauté peuventprimer sur le développement individuel et le bien-être des fillettes. Les valeurspatriarcales qui sous-tendent ces cultures contribuent à porter atteinte aux droitsdont pourraient se prévaloir les jeunes filles. En se mariant tôt, la femme a unepériode de procréation beaucoup plus longue, ce qui signifie qu’elle pourra avoirbeaucoup d’enfants. Cet argument justifie la coutume du mariage précoce, au méprisdes conséquences de cette tradition sur la santé des jeunes épouses.

Le taux de mariages précoces peut également être attribuée à la pauvreté. Danscertaines communautés d’Afrique, le prix de la fiancée est plus élevé pour les jeunesfilles : en tant que vierges, elles sont moins susceptibles d’avoir contracté le VIH/sida

ou d’autres infections sexuellement transmissibles. A l’inverse, dans les communautésafricaines qui disposent de ressources limitées, certains parents craignent de netrouver personne qui puisse s’acquitter d’un prix de la fiancée élevé. Dès lors, ils

peuvent empêcher leurs filles d’acheverleur parcours éducatif de crainte que cetapprentissage n’augmente leur coût.20

Après avoir arrêté l’école, les fillettessont bien plus susceptibles de se marier.Au sein des sociétés asiatiques où lescoutumes de la dot prédominent, les

filles risquent d’être mariées jeunes car la dot augmente avec l’âge de la fille. AuBangladesh, par exemple, la valeur de la dot double une fois que la fillette a atteintl’âge de 15 ans, car elle est alors considérée comme moins « épousable ».21

Les mariages précoces peuvent également être contractés pour d’autres motifs, etnotamment pour maîtriser la sexualité des jeunes filles ou pour réfréner toutemanifestation d’indépendance. Donner en mariage une fille pubère voire prépubèreréduit la probabilité de relations préconjugales, un fait important lorsque la puretésexuelle des femmes et des filles est perçue comme une prérogative communautaireet comme le fondement de l’honneur familial et tribal. Au sein de sociétés oùl’asservissement de l’épouse est une condition requise, les jeunes mariées ontégalement l’avantage d’être plus aisément formées à être des épousesrespectueuses.22

Mariage précoce et violence sexiste

Le mariage précoce est une forme de violence sexiste qui conduit à beaucoup d’autresformes de violence. Selon certaines études, par exemple, les agressions sexuellesentre conjoints seraient plus fréquentes chez les femmes qui se marient jeunes etseraient dues, au moins en partie, à l’inégalité des pouvoirs entre ces jeunes épouseset leurs maris plus âgés. Plusieurs jeunes Indiennes de Calcutta, qui se sont mariéesjeunes, ont déclaré que leurs maris les avaient forcées à avoir des rapports sexuelsavant leurs premières règles. Quatre-vingt pour cent de ces filles ont expliqué queleurs maris continuaient à leur imposer des relations sexuelles en dépit de leursgémissements de douleur et de leur manque de désir.23

Les filles qui se marient jeunes peuvent également être plus exposées aux violencesphysiques, infligées par leurs maris ou leurs beaux-parents. En Jordanie, dans 26 pourcent des cas de violence familiale déclarés en 2000, les victimes étaient des femmesmariées de moins de 18 ans.24 Comme c’est le cas pour les violences sexuelles, cerisque accru peut être lié à la différence d’âge et aux inégalités de pouvoir. Faute deréseaux sociaux et de biens économiques, et du fait de leur piètre estime de soi, lesépouses-enfants sont moins susceptibles de quitter leurs maris violents. Au contraire,elles risquent davantage de tolérer la violence. Par exemple, au cours d’études

« Les gens disent que j’ai beaucoup de chance d’être née si belle, avec une peau si claire.Mes parents n’ont eu aucun problème à me trouver un bon mari. Contrairement à ma cousineMaya, qui a la peau brune et n’est pas encore mariée à 13 ans ! En plus, je ne suis plusobligée d’aller à l’école. Mais Maya, elle doit aller à l’école jusqu’à ce qu’elle se marie. »

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« Salamat », vingt ans, vit au Niger. Elle est la seconde époused’un homme de 28 ans son aîné. Elle n’a pas eu son mot à direau sujet du mariage. Salamat a donné naissance à son premierenfant à l’âge de 13 ans. La première épouse, qui a 35 ans ethabite une hutte située à proximité, a eu six enfants.

Photo : Georgina Cranston/IRIN

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Traces de pas laissées dans l’urine par une patiente de la Fistula Clinic, enÉthiopie. Cette clinique se consacre au traitement des femmes qui souffrent de fis-

tule obstétricale – un mal directement lié à la procréation précoce.

Photo : Evelyn Hockstein/IRIN

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menées au Bénin, en Inde et en Turquie, il avait été constaté que 62 à 67 pour centdes jeunes épouses – contre 36 à 42 pour cent des épouses plus âgées – considéraientcomme justifiées les violences physiques que leur infligeaient leurs maris.25

Les filles qui tentent de fuir un mariage précoce ou violent s’exposent à des représaillesde la part de leur mari, mais aussi de leur propre famille : elles risquent en effet d’êtresoumises à de nouvelles violences, d’être emprisonnées ou même tuées. Au Pakistan,où les crimes d’honneur sont souvent liés à la violence familiale, la Commissionnationale de la condition de la femme avait annoncé en 1989 que « les hommess’efforcent constamment de récupérer leurs femmes parce qu’elles s’enfuient. »26 En2004, selon certaines données recueillies dans les prisons de Kaboul, la capitaleafghane, une majorité de détenues avaient été mariées avant l’âge de 16 ans, et leurincarcération était étroitement liée au mariage précoce. C’est le cas de [Zabia] :

« Lorsque [Zabia] avait 10 ans, ses parents l’ont vendue en mariage à un homme de50 ans, sourd et muet. Pour sa nuit de noces, la fillette a été violée. Au cours desannées qui ont suivi, [Zabia] s’est enfuie pour se réfugier chez son père environ septou huit fois. Chaque fois qu’elle revenait, son père la battait et l’enchaînait jusqu’à ceque son mari vienne la chercher. Finalement, la fillette a fui vers la ville, où elle arencontré une dame bienveillante, qui l’a accueillie chez elle. Après quelque temps,[Zabia] a rencontré un jeune parent de la dame, avec qui elle s’est fiancée puis mariée.Enceinte et mariée depuis six mois, elle coulait des jours heureux lorsqu’elle a avouéà son second époux sa véritable histoire. L’époux a accepté son passé. Il s’est renduchez les parents de [Zabia] pour leur expliquer où était leur fille et leur annoncerl’heureux mariage, et les a même invités à rendre visite à leur fille. Mais les parents de[Zabia] ont préféré dénoncer les mariés à la police, qui les a incarcérés pour mariageillicite. »27

Les maris de ces jeunes épouses sont souvent bien plus âgés qu’elles et par là-mêmeplus susceptibles de mourir avant elles. Dans les cas de violences conjugales, le décèsde l’époux peut être perçu comme un répit pour la jeune épouse. Pourtant, en raisondu taux élevé d’analphabétisme chez les jeunes épouses, ces veuves, privées en outrede droits de propriété ou d’héritage, sont particulièrement exposées à de multiplesformes d’exploitation.28 Dans certaines régions d’Inde, une veuve peut être donnée ennata à un veuf de la famille. Bien qu’officiellement désignée comme l’épouse de celui-ci, elle peut devenir « la propriété commune de tous les hommes de la famille. »29 En

Afrique, dans certaines régions, une veuve est remariée, conformément à la pratiquedu lévirat, à l’un des frères de son défunt mari. Les enfants nés de cette unionporteront le nom du défunt époux, pour assurer la continuité de sa lignée. Si la veuverefuse d’épouser son beau-frère, elle risque non seulement d’être rejetée par la famillede ce dernier, mais aussi de perdre la garde de ses enfants et d’être privée de tout droitaux biens de son mari.30 Les veuves peuvent également être échangées comme desbiens lors de négociations destinées à régler un différend entre familles ou entrecommunautés – elles sont, par exemple, données pour épouses par une famille à uneautre, afin de laver l’honneur d’un homme et de son clan.31

Les nombreux risques du mariage précoce en matière de santé

Outre les dangers physiques liés à la violence familiale, le mariage précoce comporteégalement bien d’autres risques en matière de santé. En raison d’une plus grandeperméabilité de leurs tissus vaginaux mais aussi du fait d’autres facteurs biologiquestels que les changements hormonaux, les filles sont plus vulnérables que les femmesplus mures aux infections sexuellement transmissibles, y compris au VIH. En outre,en raison de leur âge, leur manque d’expérience et leur condition inférieure, lesjeunes épouses auront des difficultés à obtenir une sexualité à moindre risque.32

Pour les hommes, épouser des filles est considéré comme une mesure de protection.Pour leurs épouses, en revanche, cette pratique peut avoir l’effet inverse, notammentau sein de sociétés polygames. Au cours d’une étude réalisée récemment au Rwandaet mentionnée dans le rapport du Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF)sur les mariages d’enfants, 25 pour cent des filles interrogées tombées enceintes à 17ans ou moins étaient séropositives. Pourtant, nombre d’entre elles avaient déclarén’avoir eu de rapports sexuels qu’avec leurs maris. Selon les conclusions de cette étude,plus tôt une fille a des rapports sexuels et plus tôt elle est enceinte, plus elle risque

d’être atteinte du VIH.33 Certaines donnéesrecueillies en Ouganda, dans les milieux ruraux,indiquaient que les jeunes femmes séropositivesâgées de 13 à 19 ans étaient deux fois plussusceptibles d’être mariées que celles qui étaientséronégatives. Pour les jeunes épouses, «l’abstinence est hors de question – celles quitentent de négocier le port du préservatif

risquent habituellement de subir des violences et d’être rejetées. »34

Dans le monde, les complications liées à la grossesse et à la procréation sont laprincipale cause de décès chez les filles âgées de 15 à 19 ans. A en croire les expertsde la santé publique, pour chaque fille qui meurt au cours de la grossesse ou encouche, 30 autres souffriront de lésions, d’infections et de handicaps. De plus, lesmères ne sont pas seules exposées à ces risques : en effet, la probabilité de décèsavant l’âge de 1 an est 60 pour cent plus élevée pour les bébés dont la mère a moins

Lorsque [Zabia] avait 10 ans, ses parents l’ont vendue en mariage à un homme de 50ans, sourd et muet. Pour sa nuit de noces, la fillette a été violée. Au cours des annéesqui ont suivi, [Zabia] s’est enfuie pour se réfugier chez son père environ sept ou huitfois. Chaque fois qu’elle revenait, son père la battait et l’enchaînait jusqu’à ce que sonmari vienne la chercher.

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de 18 ans au moment de l’accouchement.35 Par ailleurs, lorsqu’une fille se marie tôt,sa période de procréation est plus longue, ce qui l’expose, de même que ses enfants,à un risque lié au nombre plus important de grossesses et d’accouchements. Selon uneétude, les femmes qui se marient avant l’âge de 19 ans ont entre deux et quatre foisplus d’enfants que celles qui se marient après 25 ans.36

La fistule obstétricale : un fardeau supplémentaire

De tous les effets de la procréation précoce, la fistule compte parmi les plusdébilitants, d’un point de vue physique et psychologique. Il s’agit d’une déchirure destissus qui crée une ouverture entre le vagin et la vessie ou le rectum, ou les deux. Ellene peut être traitée que par la chirurgie. Principalement causée par la dystocie, lafistule est étroitement liée au mariage et à la procréation chez les filles âgées de 10 à15 ans. Par exemple, au terme d’une étude menée en 1995 au Niger, il avait étéconstaté que 88 pour cent des femmes interrogéessouffrant d’une fistule appartenaient à cette tranched’âge au moment de leur mariage.37 Par ailleurs,comme c’est le cas pour toutes les lésions causées parla grossesse, les jeunes épouses qui vivent dans desmilieux à faibles ressources sont les moins susceptibles d’obtenir un traitement poursoigner leur fistule.38 Non traitée, la fistule entraîne des écoulements d’urine oud’excréments qui dégagent une odeur nauséabonde et vaudront probablement à lajeune fille concernée d’être mise au ban de sa communauté et répudiée.

En Éthiopie, les mariages précoces sont si courants qu’à Fistula Hospital, à Addis-Abeba, la capitale, environ 1 200 filles sont opérées chaque année.39 Qui plus est,parmi les femmes et les filles informées de l’existence de moyens de transport pour serendre à l’hôpital, celles qui parviennent effectivement à s’y rendre ne représententsans doute qu’une faible proportion du nombre de malades nécessitant un traitement.

Une préoccupation urgente en matière des droits fondamentaux

Le Forum sur le mariage et les droits des femmes et des filles, qui a permis de recueillirune bonne partie des informations contenues ici, est un réseau d’organisations non

gouvernementales qui partage avec ses filiales internationales la même vision dumariage, « sphère au sein de laquelle les femmes et les filles ont des droitsinaliénables ».40 Les premiers travaux du Forum avaient souligné que peu dedémarches avaient été entreprises, aux niveaux tant national que mondial, pour luttercontre le problème des mariages précoces.

Le dernier rapport de Forum, publié en 2003, soulignait qu’il restait beaucoup à fairepour supprimer la pratique du mariage précoce. Il faut essentiellement faire pressionsur les gouvernements pour qu’ils adoptent et mettent en application des lois visantà la fois à interdire les mariages précoces et à assurer que les filles aient un accès égalà l’éducation. Il est tout aussi important, cependant, de modifier les attitudes et lescomportements des dignitaires religieux et communautaires, qui par leur complicité,permettent aux mariages précoces de se perpétuer. Enfin, le Forum a préconisé unappui accru aux programmes visant à l’autonomisation des filles, afin d’aider celles-

ci à prendre conscience que leur avenir ne doit pas être prédestiné par des coutumesqui les privent de leurs droits à un bien-être mental, social et physique.

Certaines organisations, telles que le Fonds des Nations Unies pour la population etl’UNICEF, ont commencé à exiger une prise de mesures destinées à mettre fin auxmariages précoces. Dans un même temps, certaines organisations nongouvernementales internationales, et notamment le Conseil de la population et leCentre international de recherche sur les femmes, ont ouvert la voie à des travaux derecherche sur les mariages précoces ainsi qu’à des initiatives visant à faire connaîtrele problème et à informer l’opinion des débats de politique générale. Face à l’ampleurdu problème, il importe au plus haut point – malgré certains progrès - de redoublerd’efforts en cherchant à prévenir les mariages précoces et à offrir un appui aux fillesqui en font déjà l’expérience. Les décideurs, les élus, les dignitaires communautaireset religieux, de même que chaque individu…tous ont un rôle crucial à jouer pourchanger la vie des jeunes femmes et des filles. n

Leur avenir ne doit pas être prédestiné par des coutumes qui les privent de leursdroits à un bien-être mental, social et physique.

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Non traitée, la fistule provoque des écoulements d’urine oud’excréments. Outre la honte et les souffrances liées à ce mal,les jeunes épouses souffrant de fistule non traitée sont souventmises au ban de leur communauté et abandonnées par leurmari. Les fistules sont fréquentes, plus que partout ailleurs, ausein des communautés où les mariages et la procréationprécoces sont des pratiques courantes.

Photo : Evelyn Hockstein/IRIN

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« Jamillah », aujourd’hui âgée de 16 ans, a été contrainte de se marier il y a deux ans. Elle séjourne dans une clinique spécialisée dans letraitement des fistules, au Niger, le temps de se remettre des lésions causées par la naissance de son premier enfant. Depuis la salle des malades, elle raconte son histoire, leslarmes aux yeux :

« Mes parents ont arrangé le mariage. Je n’avais pas le choix. Je n’avais même pas le droit d’aller à l’école. Dans les milieux ruraux, les gens pensent, « Ça sert à quoi, uneéducation formelle, surtout pour les filles ? » Les parents disent toujours, « Personne ne sait quand on va mourir. Nos filles doivent donc se marier jeunes pour nous donnerbeaucoup d’enfants – des enfants qui pourront s’occuper de nous. » Je devais accepter.

J’avais mes sentiments, bien sûr, mais je n’avais pas le droit de les exprimer, mes parents les réduisaient à néant. C’est la culture qui a le contrôle. J’étais si influencée par mesparents que je n’avais même pas le droit de suivre un programme d’alphabétisation.

J’ai mis trois jours à mettre au monde l’enfant que je viens de perdre. C’est pendant l’accouchement que la fistule s’est formée. Je n’ai pas cessé de pleurer. Ce qui m’a choquéele plus, c’est que je ne me sentais pas comme les autres femmes. C’est Dieu qui a voulu que j’aie une fistule. Tout ce que je veux, à présent, c’est me rétablir. Mon père vientsouvent me rendre visite – ma mère est morte il y a six ans. Mon mari, lui, ne vient jamais me voir. Je veux rentrer chez moi. Ici, on m’apprend à faire des colliers et desbracelets de perles. Je veux monter une petite affaire. »

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Photo : Georgina Cranston/IRIN

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