Émile Durkheim - Organisations Sociales Des Baganda (1913)

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Émile DURKHEIM (1913) “ Organisations sociales des Baganda ” Un document produit en version numérique par Jean-Marie Tremblay, bénévole, professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi Courriel: [email protected] Site web: http://pages.infinit.net/sociojmt Dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales" Site web: http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.html Une collection développée en collaboration avec la Bibliothèque Paul-Émile-Boulet de l'Université du Québec à Chicoutimi Site web: http://bibliotheque.uqac.uquebec.ca/index.htm

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Organisations Sociales Des Baganda (1913)

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  • mile DURKHEIM (1913)

    Organisations socialesdes Baganda

    Un document produit en version numrique par Jean-Marie Tremblay, bnvole,professeur de sociologie au Cgep de Chicoutimi

    Courriel: [email protected] web: http://pages.infinit.net/sociojmt

    Dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales"Site web: http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.html

    Une collection dveloppe en collaboration avec la BibliothquePaul-mile-Boulet de l'Universit du Qubec Chicoutimi

    Site web: http://bibliotheque.uqac.uquebec.ca/index.htm

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    Cette dition lectronique a t ralise par Jean-Marie Tremblay, bnvole,professeur de sociologie au Cgep de Chicoutimi partir de :

    mile Durkheim (1913)

    Organisations sociales des Baganda

    Une dition lectronique ralise partir d'un texte dmile Durkheim(1913), Organisations sociales des Baganda. Texte extrait de la revue lAnnesociologique, n 12, 1913, pp. 390 394. Texte reproduit in mile Durkheim,Textes. 3. Fonctions sociales et institutions (pp. 304 309). Paris: Les ditionsde Minuit, 1975, 570 pages. Collection: Le sens commun.

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    Organisationsociale des Bagonda par mile Durkheim (1913)

    Une dition lectronique ralise partir d'un texte dmile Durkheim (1913), Organi-sations sociales des Baganda. Texte extrait de la revue lAnne sociologique, n 12,1913, pp. 390 394. Texte reproduit in mile Durkheim, Textes. 3. Fonctions sociales etinstitutions (pp. 304 309). Paris: Les ditions de Minuit, 1975, 570 pages. Collection:Le sens commun.

    Nous avons vu plus haut quel tait le systme religieux des Baganda ; ilnous reste dire quelle est leur organisation sociale et politique. Bien quel'enqute de M. Roscoe ait eu pour objet de reconstituer ce qui existait chez cepeuple avant l'arrive des trafiquants arabes, nous continuerons parler auprsent, comme si l'tat de choses que nous allons dcrire tait encore actuel 1.

    Les Baganda sont diviss en un certain nombre de grands groupes fam-iliaux appels kika qui sont de vritables clans totmiques. Chacun d'eux adeux totems : un totem principal qui sert couramment dsigner le clan, et un

    1 Roscoe John, The Baganda, their customs and beliefs. Londres, 1911.

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    totem secondaire qui, dit l'auteur en termes un peu vagues, est moins bienconnu. L'un et l'autre sont considrs comme sacrs. Tous les membres duclan sont censs tre les descendants d'un mme anctre mythique ; ce titre,ils sont regards comme parents. Tous ceux qui appartiennent la mmegnration sont frres ou surs les uns des autres ; ils appellent pres et mresles hommes et les femmes de la gnration prcdente.

    Mais, en raison de son tendue, chaque clan est lui-mme divis en uncertain nombre de branches secondaires, qui passent pour tre issues des filsou des petits-fils de l'anctre-fondateur. Le domaine foncier se divise de lamme manire. Il y a, d'abord, le vieux domaine hrditaire du clan qui appar-tient au chef dont nous parlerons tout l'heure. C'est l que se trouve le sanc-tuaire du clan. Mais chaque branche secondaire a ses terres qui lui appartien-nent en propre et o elle est souveraine : ni le roi ni aucun chef ne peuventl'en dloger. La raison de cette inviolabilit est essentiellement religieuse.Tout terrain o une subdivision du clan a enseveli ses morts pendant trois ouquatre gnrations devient, par cela mme, sa proprit absolue : c'est, ditnotre auteur, une sorte de fief.

    Le clan est hirarchiquement organis : chaque branche a son chef. Celuiqui est la tte de la branche principale jouit d'une vritable hgmonie parrapport aux autres : il est le pre du clan tout entier. C'est lui qu'on enappelle des jugements rendus par les chefs des branches secondaires. Mais lesuns comme les autres sont dsigns par l'lection : quand l'un d'eux meurt,c'est le conseil des chefs qui dsigne son successeur. Le roi doit ratifier cettedsignation, il peut mme rvoquer le chef lu ; il ne peut pas le dsignerd'office.

    Jusqu' prsent, cette organisation sociale nous apparat comme galitaireet dmocratique. Il est probable que, primitivement, elle eut, en effet, ce ca-ractre : la socit Baganda tait forme par une confdration de clans, plusou moins autonomes et gaux entre eux. Mais sur cette base primitive s'estdifi un systme centraliste, essentiellement monarchique et aristocratique.

    En effet, au-dessus des clans et de leurs chefs, est le roi dont le pouvoir estabsolu. Dans les circonstances ordinaires, il prend l'avis d'un conseil dontnous dirons tout l'heure la composition. Mais il n'est pas tenu cette con-sultation ni oblig de s'y conformer. C'est lui, d'ailleurs, qui nomme sesconseillers et il peut les dposer volont. Il est propritaire du sol, sauf desterrains consacrs aux dieux et aux morts. Il dispose souverainement de lapersonne de ses sujets : il peut les faire arrter, les envoyer la mort comme illui plat, si haute que puisse tre leur situation dans L'tat. Il est le juge

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    suprme ; et on peut en appeler devant lui de tous les jugements rendus parses subordonns. Au reste, ce qui montre le mieux toute l'tendue de son auto-rit, c'est le caractre divin dont il est revtu. Il est l'objet d'un vritable culte.Sa personne est sacre ; nul ne doit le voir manger : ses pieds ne doivent pastoucher le sol ; ceux qui le portent sur leurs paules participent de cecaractre.

    Ainsi, le roi s'est lev au-dessus des clans, se les est subordonns et les afondus en une seule et mme nation. Cette subordination a dtermin unevritable spcialisation des clans. Les diffrents offices royaux ont t commerpartis entre eux : chacun d'eux a le sien. Il y a tout d'abord un clan royal :c'est le clan du Lopard. D'autres sont prposs la garde des diffrents tam-bours sacrs un autre fournit au roi son sommelier ou ses porteurs un autre estcharg de fabriquer les vtements en corce du roi ; un autre, ses canots, etc.Les emplois qui sont ainsi partags sont de toute nature : il en est de purementreligieux, certains sont judiciaires ou politiques (un clan est prpos lapolice prive du roi). Mais tous ont pour effet de resserrer le lien de dpen-dance entre le souverain et les groupes secondaires dont est faite la socit.

    Cependant, la personne du roi, les pouvoirs dont il est arm, ne sont pasles seuls moyens par lesquels est assure l'unit nationale. Il y a, de plus, unesavante administration qui s'tend sut tout le pays et qui, tout en manant duroi, lui survit cependant. Le territoire est divis en dix districts ; la tte dechacun d'eux est un chef nomm par le roi. Chaque chef a lui-mme sous sadpendance des sous-chefs qui lui servent d'intermdiaires ; suivant les dis-tricts, le nombre de ces sous-chefs varie entre deux et six. Ils sont hirar-chiss. Chaque chef reoit du roi des terres dans le district qu'il administre.Mais ces terres, il ne les cultive pas lui-mme. Il y tablit des hommes de sonclan qui travaillent et combattent pour lui. On voit que cette administration estdj une fodalit en germe.

    Au-dessus de tous ces chefs de tous degrs, il y en a deux qui jouissentd'une situation privilgie. Ils ne sont attachs aucun district en particulier ;les terres qui leur sont attribues sont galement disperses sur tout le terri-toire ; ils sont plus prs du roi, plus directement attachs sa personne.L'assemble compose de ces deux chefs suprieurs, des dix chefs de districtet de leurs subordonns constitue le conseil du roi.

    Mais ce qui est trs remarquable, c'est que cette aristocratie administrative,tout en tant sous la dpendance troite du roi, est, en mme temps, la sourcedu pouvoir royal. Le roi, en effet, n'est pas dsign par la naissance. Sans dou-te, il doit appartenir au clan, et mme la famille royale ; mais, l'intrieur de

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    celle-ci, le choix est libre. Quand le trne devient vacant, les trois chefs prin-cipaux S'assemblent ; s'ils s'entendent, ils convoquent les autres et leur pr-sentent le prince choisi. Si ces derniers ne sont pas d'accord, une batailles'engage. Ces priodes d'interrgne sont frquemment des priodes de trou-bles. Ainsi, nous avons ici le curieux exemple d'une socit o le roi estabsolu et o, pourtant, il est dsign par l'lection. C'est dire que cette autoritsouveraine n'est pas impose du dehors ; elle n'est mme pas due tout entireau prestige dont seraient investis, d'une manire hrditaire et, en quelquesorte, constitutionnelle, des sujets dtermins. Elle est voulue, confre parceux-l mmes qui doivent ensuite la subir.

    Pour avoir une ide satisfaisante de cette organisation sociale, on voudraitsavoir quels sont les rapports de ce systme monarchique et centraliste avec lafdration de clans que nous avons dcrite en premier lieu. Il semble bien quecertains des officiers royaux, certains des chefs soient obligatoirement choisisdans des clans dfinis : dans plusieurs cas, le fait n'est pas douteux. Mais il neparat pas qu'il y ait de rgle gnrale. L'auteur, d'ailleurs, ne s'est pas pos laquestion.

    Il nous donne galement trs peu de dtails sur l'organisation proprementdomestique. Le clan est un vaste agrgat : en quoi consiste, l'intrieur duclan, la famille particulire ? Quelle en est l'tendue ? Jusqu'o vont ses droitspar rapport ceux du clan ? Tous ces problmes, si importants, ne sont tou-chs que d'une manire indirecte. Il parat bien qu'en gnral le jeune mnagese fait un foyer autonome. Le nouveau mari se construit une maison distinctede celle o vivent soit ses parents soit ceux de sa femme. Mais le clan gardesur les biens de chacun un droit minent qui se manifeste au moment de l'hri-tage. Bien qu'un homme puisse laisser des indications sur la manire dont ildsirerait qu'on dispost de ses biens, son droit de proprit finit avec sa vie :c'est le clan qui dsigne l'hritier et il n'est pas oblig de se conformer auxdsirs du dcd. L'unit primitive du clan n'est donc que partiellement enta-me par l'autonomie, encore rduite, des familles particulires. La parent estcollective ; les tables de nomenclature en sont la preuve. Ces mmes tablesportent des traces videntes de famille utrine, D'ailleurs, l'enfant apprendd'abord respecter le totem maternel ; c'est seulement quand il avance en gequ'il adopte le totem de son pre, et celui de sa mre passe alors au secondplan. Il a donc, en fait, deux totems ; un principal et un autre secondaire. Nousnous demandons si ce n'est pas l'origine de la rgle en vertu de laquelle cha-que clan a deux totems. Ce caractre utrin de la parent est encore plusaccentu dans la famille royale : les princes appartiennent exclusivement auclan de leur mre et ont le totem maternel. D'ailleurs, la reine et la reinedouairire jouissent d'une trs grande autorit : elles sigeaient dans le conseil

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    et, sur leurs biens comme sur leurs gens, leur pouvoir tait absolu. C'est, sansdoute, ces souvenirs laisss par l'organisation utrine qu'il faut attribuer ladfense absolue faite aux princesses de se remarier et d'avoir des enfants :c'est que ces enfants pourraient devenir des comptiteurs au trne.

    Le mariage est exogame (sauf dans un clan o, d'ailleurs, l'exception n'estqu'apparente). Mais, par une violation de la rgle exogamique dont on, con-nat de nombreux exemples, le roi, au contraire, est tenu d'pouser une de sessurs de pre, mais non de mre. Il faut mme que la mre de la nouvellereine n'ait pas de fils. Le nombre des femmes qu'un homme peut avoir n'estpas limit ; mais il en est qui lui sont dsignes par l'usage. Ainsi, il est tenude prendre sa seconde femme dans le clan de sa grand-mre paternelle. Quandil hrite, il est oblig d'pouser une proche parente du dcd. Ce mariage estpurement nominal ; car il choisit, en pareil cas, de prfrence, une fille dufrre du mort et, comme il donne cette cousine le nom de sur, il ne peutavoir avec elle de relations sexuelles. Tout ce qu'il faut, c'est qu'elle couchequelque temps dans la maison. Ce mariage fictif est videmment un rite qui a,sans doute, pour objet de rattacher la personnalit de l'hritier celle dudfunt.

    Comme il est de rgle dans les socits o la filiation en ligne paternelleest tablie, mais o la famille utrine a laiss des souvenirs encore vivants, lemariage se fait par le paiement d'une certaine somme la famille de la jeunefille et de nombreux cadeaux soit la jeune femme soit ses parents. D'aprsl'auteur, le mari acquiert ainsi un droit de proprit sur sa femme. Nouscroyons l'expression impropre. La preuve en est que, si le mari meurt, laveuve peut se remarier : il suffit que ses parents rendent ce qu'ils ont reu.L'adultre est cependant trs svrement puni ; mais c'est pour des raisonsreligieuses. La premire femme est charge des ftiches de la maison : sesrapports avec un tranger constituent ainsi une profanation. Mais ce serait uneerreur d'attribuer cette svrit la puret des murs : la morale sexuelle est,au contraire, lche. - A signaler les tabous ordinaires des jeunes poux.

    Fin de larticle.