Echos de Picardie · 2017. 9. 6. · à cet effondrement : la collapsologie (1). Il s’agit selon...

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Echos de Picardie Echos de Picardie - Eté 2016 - Trimestriel de la Régionale du CAL Picardie Laïque PB-PP. B-904134 Belgique-België Bureau de dépôt Mons Masspost EGALITE Photo @ Stéphane Custer DOSSIER

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    PB-PP. B-904134Belgique-België

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    P.23

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    EDITO Egalité et équité : des notions différenteVoulons-nous vraiment l’égalité ?

    L’égalité : un précepte politique inatteignable ?

    L’égalité de genre

    L’égalité face à l’emploi

    P.04 L’intérêt de l’altruisme … intéressé

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    SommaireEchos de Picardie - Eté 2016

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    14/06/2016 - La procédure d’asile

    14/06/2016 - Préparation à l’interview du cgra

    21/06/2016 - Le droit des etrangers face à la police

    20/06/2016 - Le risquons-tout en goguette

    20/09/2016 - La religion d’Hitler

    Droits d’auteurs réservésLa reproduction du contenu de cette publication qu’elle soit intégrale ou partielle, dans la forme originale ou remaniée, est interdite sauf autori-sation écrite de l’éditeur responsable. L’utilisation du contenu de cette publication dans un article, compte-rendu ou autre est autorisée, moyennant indication claire et précise de la source.

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    Nous vivons une période de l’histoire de l’humanité très particulière à maints égards. En effet, nous sommes confrontés en peu de temps à une pluralité de situations graves ! Pèlemêle : des attentats terroristes djihadistes sur notre sol, des mesures de protection liberticides acceptés par quasiment toute la population pour y faire face, une « crise » migratoire transformant l’Europe en forteresse, une austérité qui n’en finit pas de détricoter les acquis sociaux de l’Etat providence créés après la seconde guerre mondiale, un taux de chômage qui n’est endigué que par des mesures d’exclusion qui renvoie les usagers les plus faibles vers les CPAS eux-mêmes exsangues, une montée très inquiétante de l’extrême droite même dans des pays qui devraient en être vaccinés à vie comme l’Autriche et l’Allemagne et la révélation d’une fraude fiscale à l’échelle mondiale qui touche tous les milieux favorisés : des artistes aux sportifs, des diamantaires aux personnalités politiques ! La révélation de ce dernier scandale aurait pu apparaître être une farce dans le cortège de tragédies mais c’est malheureusement vrai !

    Il convient d’y ajouter les conséquences dramatiques prévisibles et avérées du réchauffement climatique qui vont détruire des économies entières, transformer l’eau potable en enjeu géopolitique majeur et évidemment jeter sur les routes de l’exil des millions de personnes …

    Sans tomber dans un catastrophisme de mauvais aloi, force est de constater qu’on est bien au-delà d’une situation qui ne tourne pas rond ! On est entrés dans une période comme l’humanité en a connu plusieurs et qui relève pour nous de l’histoire, voire de l’archéologie ! Nous sommes bel et bien confrontés aux prémisses inéluctables de l’effondrement de notre civilisation et de ses logiques consuméristes ! Bientôt certains films catastrophes dont Hollywood nous a abreuvés ces dernières années pour nous « divertir » ne relèveront plus de la fiction ! Comme si on avait été préparés au pire !

    Un nouvelle discipline scientifique est apparue récemment pour analyser les phénomènes précédant et consécutifs à cet effondrement : la collapsologie (1). Il s’agit selon les auteurs Pablo Servigneet Raphaël Stevensde « l’exercice transdisciplinaire d’étude de l’effondrement de notre civilisation industrielle et de ce qui pourrait lui succéder, en s’appuyant sur les deux modes cognitifs que sont la raison et l’intuition et sur des travaux scientifiques reconnus » (2).

    A la prise de contact de cet ouvrage, on pense être en présence d’une interprétation alarmiste parmi d’autres des

    dérèglements actuels du monde. De chapitre en chapitre, on prend pourtant conscience de la réalité et des mécanismes perfides décrits par les auteurs. Cela en devient effrayant de réalité et en matière deperspectives ! Je ne peux que conseiller la lecture de ce livre qui tient le lecteur en haleine … sans pour autant lui remonter le moral !

    Les questions qui se posent suite à la prise de conscience de la perspective inéluctable d’effondrement de notre civilisation et de ses paramètres est : comment en repousser le délai ? Comment en atténuer l’intensité ? Comment vivre pendant et après cet effondrement ? Autant de questions angoissantes ! Aux deux premières questions, la réponse semble la même : IL EST BEAUCOUP TROP TARD ! A la troisième, il apparaît que l’être humain devra un jour composer avec des conditions de vie proches de celles du Moyen Age, pour ceux qui survivront aux affres de cet effondrement. Une évidence s’impose cependant : l’homme peut déjà s’y préparer via des mécanismes liés à un « altruisme intéressé » (3) qui succèdera nécessairement à un individualisme devenant inopérant. En effet, force est de constater que l’être humain ne pose des actes que quand un minimum de ses intérêts et de ceux de ses proches ou de son groupe d’appartenance sont menacés. Le terme « intérêt » est à prendre dans un sens très large : que cela lui convienne, corresponde à ses souhaits, lui permette d’obtenir un minimum de bien-être, intervienne dans un processus d’échange, ... S’il s’agit d’un « égoïsme raisonnable », il apparaît plus opérationnalisable que l’altruisme désintéressé qui ne peut être le fait que de quelques individualités et qui est inapplicable à quelque société que ce soit. L’altruisme intéressé relève d’une réciprocité générale qui fait tellement défaut à notre société post-industrielle et néo-libérale ! En d’autres termes, il consiste àfaire comprendre aux gens que prendre en compte les intérêts des autres est dans leur propre intérêt (4).

    Cet « altruisme intéressé » existe déjà : les repairs café, les jardins suspendus, les potagers communautaires, les centrales d’achat groupé, … en sont la preuve. Ils constituent des alternatives aux modèles dominants qui écrasent l’homme inéluctablement. Ils représentent une éclaircie dans un ciel qui s’assombrit de plus en plus.Picardie Laïque participe déjà à ce mouvement par les actions qu’elle mène dans le cadre de la sensibilisation au développement durable et à la consommation responsable (5).

    Vincent Dufoing,Directeur.

    EDITOL’intérêt de l’altruisme … intéressé

    (1) Néologisme inspiré du latin « collapsus » qui signifie «tombé d’un seul bloc». (2) Pablo Servigne& Raphaël Stevens, « Comment tout peut s’effondrer. Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes », Editions du Seuil, Collection Anthropocène, 2015. (3) Concept développé, entre autres, par Jacques Attali dans plusieurs de ces récents ouvrages dont « Demain, qui gouvernera le monde ? », Editions Fayard, 2011. Polytechnicien, ingénieur des mines, énarque, ancien conseiller du Président Mitterrand, écrivain et économiste qui dirige l’ONG Planet Finance spécialisée dans la lutte la pauvreté dans le monde par le développement (1943 -). (4) Lire à ce sujet l’ouvrage de Mathieu Ricard « Plaidoyer pour l’altruisme: La force de la bienveillance », NiL Editions, Paris, 2013. Docteur en génétique cellulaire, moine bouddhiste tibétain, écrivain et photographe (1946 -). (5) Picardie Laïque gère à travers ses Relais de Tournai et de Mouscron 2 potagers communautaires : l’un dans le quartier du Maroc à Tournai, l’autre dans le Parc du Chalet à Mouscron. Ces même Relais organisent régulièrement des stages à la réalisation de mobilier en bois de palette et en carton.

    EGALITÉ ET ÉQUITÉ : DES NOTIONS DIFFÉRENTES

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    La valeur moderne d’égalité trouve son fondement dans l’article 1er de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, texte fondamental de la Révolution Française.

    Il énonce un ensemble de droits naturels individuels et les conditions de leur mise en œuvre : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions

    sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ». L’article 1er de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 s’en inspire évidemment :

    « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité ».

    Cependant, la valeur d’égalité ne date pas de 1789 : elle était déjà développée par les sociétés de pensée (1) au cours du XVIIIème siècle. A ceci près qu’elle figurait au milieu de plusieurs autres telles que « Amitié »,

    « Charité »,« Sincérité » et « Union ». La valeur d’égalité a trouvé ses lettres de noblesse au cours du même siècle avec la franc-maçonnerie naissante qui la mettait en avant par rapport aux deux autres valeurs de

    « fraternité » et de « liberté », cette dernière étant à l’époque avancée avec une certaine tiédeur.

    La valeurd’égalité dans son acception de 1789 signifie que la loi est la même pour tous, sans distinction de naissance ou de condition. L’égalité devient donc de facto un principe du droit. Il faut cependant noter que l’article 1er de cette déclaration entérine les « distinctions sociales » si elles sont « fondées sur l’utilité

    commune », ce qui introduit le principe d’équité, déjà présent dans ce texte fondateur.

    EGALITÉ ET ÉQUITÉ : DES NOTIONS DIFFÉRENTESApparition moderne de la valeur d’égalité

    Déjà au VIème siècle avant JC …L’égalité en tant que principe est apparue bien plus tôt dans l’histoire : au VIe siècle av. J.-C., l’homme politique et réformateur athénien Clisthène (2) avançait le principe d’isonomie qui a été un des fondements de la démocratie athénienne, principe inconnu des sociétés précédentes.

    L’isonomie, « règle d’égalité » en grec ancien, s’inspire de la philosophie épicurienne et consiste en la première forme d’égalité citoyenne qu’a connu le monde en général et, dans son processus vers la démocratie (3), Athènesen particulier. Le régime politique de l’époque l’a intégré dans ses codes et pratiques. Avec le recul de 26 siècles, on peut considérer qu’il s’agit de la première forme d’égalité de droit ou d’égalité devant la loi. Un bémol de taille doit évidemment être apporté : la démocratie athénienne n’a jamais concerné qu’une petite partie de la population, à savoir les seuls individus reconnus comme citoyens (4).De plus, l’égalité n’est considérée ni comme une valeur ni comme un principe par les philosophes Aristote (5) et Platon (6) mais bien comme un mode opératoire modérateur entre les classes sociales qui composent la société considérée comme inégalitaire par nature. Il faut cependant noter que la démocratie athénienne permet de sortir la justice du domaine du droit divin pour pouvoir l’intégrer dans le droit humain. Cherchant ainsi de nouvelles assises pour la justice institutionnelle, Aristote n’utilise la notion d’égalité qu’à cette fin. (1) Sociétés apparues à partir de 1760 en Angleterre, en France puis en Allemagne et regroupant des individus exclusivement de sexe masculin ralliés aux Lumièresvenant de différentes catégories sociales. Ces sociétés avaient pour origine des académies et des sociétés savantes littéraires réservées aux érudits. L’essor de la franc-maçonnerie se fera dans ce contexte. (2) Réformateur et homme politique athénien né vers -570 qui a instauré les fondements de la démocratie athénienne et a renversé les aristocrates. (3) Le terme « démocratie », par la combinaison de « dêmos » - « peuple » au sens restrictif de « citoyens » et de « kratos » - « pouvoir », signifie étymologiquement « souveraineté du peuple » ou, si le terme « kratein » dont le sens de « commander » est privilégié, désigne le régime politique dans lequel le peuple - uniquement les citoyens - a le pouvoir. (4) http://www.cndp.fr/archive-musagora/citoyennete/citoyennetefr/citoyens-nombre.htm (5) Philosophegrec de l’Antiquité classique (384 av. J.-C.1 - 322 av. J.-C.) (6) Philosophe grec de l’Antiquité classique (428/-427 - -348/-347av. JC)

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    Force est cependant de constater que la démocratie athénienne a pour la première fois dans l’histoire humaine exprimé en terme de droit l’existence du citoyen en tant qu’origine et destinataire du droit, ce qui lui a permis de ne plus subir le cours de l’histoire et de pouvoir prendre part à la vie de Cité.

    Par ailleurs, il s’agit de la première fois dans l’histoire de l’humanité qu’un acte de foi devient une condition de la raison et permet l’établissement d’une valeur qui loue la confiance entre semblables. Il est à remarquer que cette évolution n’a été permise que par la mise en exergue de l’individu par rapport à ses pairs, lointain parent de l’individualisme exacerbé par notre société actuelle.

    La chrétienté a développé avec l’égalité une relation très ambivalente qui a encore des conséquences de nos jours. Le christianisme n’a jamais, en tant que tel, été porteur de revendications égalitaires ; il s’est toujours accommodé de l’ordre civil en vigueur et il a toujours recommandé l’obéissance aux puissances constituées. Au Vème siècle, Saint-Augustin(7) se situe sur cette ligne lorsqu’il estime que la valeur d’ordre prime sur toute autre valeur dans un respect du schéma divin. La seule égalité que dicte le christianisme est celle de tous les croyants dans la soumission à Dieu.

    Thomas d’Aquin(8) adapte au dogme chrétien l’idée aristotélicienne de justice. Contrairement à Saint-Augustin, il rend à l’homme son libre-arbitre qui est selon lui l’émanation de la grâce divine : la justice est la « volonté permanente et constante d’attribuer à chacun son droit »(9). Bien que l’égalité y soit bien affirmée comme principe, elle s’avère antinomique de la liberté. Cette ambiguïté a perduré jusqu’à nos jours, le néo-libéralisme en est la preuve.

    Lorsqu’elle sortira du seul rapport au domaine théologique, l’égalité envisagée en tant que règle sociale entrera dans le domaine collectif grâce, entre autres, au philosophe Guillaume d’Ockham (10), opposant aux idées de Thomas d’Aquin.

    L’égalité et la chrétienté

    Pour Aristote, la justice est la vertu de l’échange, de la relation aux autres. Elle est un juste milieu entre l’excès et le défaut dans les relations entre les hommes. Il distingue la justice commutative qui repose sur une égalité arithmétique et qui vise à ce que chacun perçoive l’équivalent de ce qu’il a donné dans ses transactions et la justice distributive qui repose sur une égalité géométrique, une proportionnalité selon le mérite et qui vise à la répartition des avantages parmi les membres de la Cité.

    Plus simplement, les personnes considérées comme égales reçoivent des parts égales ; les autres reçoivent moins, voire rien ! Aristote fonde donc toute sa réflexion sur la notion d’équité. Selon lui, elle représente l’aspiration à l’égalité en droit ; l’aspiration au bien commun l’emporte donc sur l’exigence de rapports harmonieux entre les seuls citoyens considérés par la société grecque antique comme libres et égaux. On s’aperçoit à quel point notre société néolibérale actuelle s’inspire de la pensée aristotélicienne !

    Photo @ judeochretien.com

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    Au XVIIème siècle, pour les philosophes anglais Locke (11) et Hobbes (12), l’égalité devient une valeur majeure et un droit qui se distingue de tous les autres. La raison en est que l’égalité est considérée comme naturelle et partagée par tous. Locke met particulièrement en exergue « l’état de nature » (13) qui est constitué selon lui à la fois d’égalité et de liberté. Quant à Hobbes, dans son œuvre majeure « Léviathan », il estime qu’il n’existe pas naturellement d’inégalités suffisantes qui justifient le fondement d’un droit à la domination de certains sur d’autres et qu’il n’y a pas par nature entre les hommes de différences assez importantes pour que certains puissent prétendre à des avantages sur d’autres. Cette vision assez naïve n’empêche évidemment en rien la construction d’inégalités sociales, qui plus est sont considérées conformes à la loi divine ! En effet, selon eux, l’adhésion forcenée à la valeur d’égalité dans l’état de nature ne peut qu’engendrer dans la société l’émergence de sa parfaite antinomie : l’inégalité, tant dans le droit que dans les faits ! Car pour ces philosophes, l’égalité naturelle confrontéeà la société engendre nécessairement de la déception qui a pour source les rivalités entre les individus insatisfaits de ce qu’ils ne possèdent pas ou de ce qu’ils ne sont pas. L’héritage de cette ambiguïté est le passage progressif de l’égalité naturelle à la valeur sociale d’égalité, puis l’affirmation du droit à l’égalité pour tous dans la société moderne telle que définie dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. Celle-ci exprime le désir collectif des élites françaises de l’époque, imprégnées des idéesdu philosophe Jean-Jacques Rousseau - lui-même héritier des idées de Locke et de Hobbes -, de faire de l’égalité une valeur première au même titre que la liberté. Pour le philosophe français, l’existence d’inégalités trop importantes empêche l’exercice de la liberté. Dans son œuvre, il part à la recherche d’une égalité sociale relative qui s’incarnedans le « contrat social » (14).

    L’égalité du XVIIème aux XXème siècles

    (6) Philosophe grec de l’Antiquité classique (428/-427 - -348/-347av. JC) (7) Augustin d’Hippone ou Saint-Augustin, est un philosophe et théologien chrétien romain de la classe aisée (354 - 430 ap. J.-C.) (8) Thomas d’Aquinou Saint-Thomas d’Aquin est un religieux de l’ordre dominicain, célèbre pour son œuvre théologique et philosophique (1224/1225 - 1274). St-Thomas d’Aquin, « Somme théologique » ou « Somme de théologie », traité théologique et philosophique inachevé écrit entre 1266 et 1273 qui est son œuvre majeure. (10) Guillaume d’Ockham ou Guillaume d’Occam, philosophe, logicien et théologienanglais, membre de l’ordre franciscain, considéré comme le plus éminent représentant de l’école scolastiqueopposée aux idées de Saint-Thomas d’Aquin (1285 - 1347). (11) John Locke, philosophe anglais (1632-1704). - (12) Thomas Hobbes, philosophe anglais dont l’œuvre majeure est le « Léviathan » publié en 1651. Par sa conceptualisation de l’état de nature et du contrat social, il a eu une influence importante sur la philosophie politique moderne. Le « Léviathan »a eu aussi une influence considérable sur l’émergence du libéralisme et de la pensée économique libérale du XXe siècle (1588 - 1679). (13) Notion de philosophie politique et hypothèse méthodologique forgées par certains philosophes à partir du XVIIe siècle, l’état de nature désigne la situation dans laquelle l’humanité se serait trouvée avant l’émergence de la société et auquel cette dernière aurait mis fin.(14) Jean-Jacques Rousseau, « Du contrat social ou principes du droit politique » publié en 1762. Ouvrage majeur de la philosophie politique qui affirme le principe de souveraineté du peuplesur base des notions de liberté, d’égalité et de volonté générale. (15) Philosophe allemand qui a exercé une influence considérable sur la philosophie postmoderne et la pensée critique (1724-1804). (16) Historien, journaliste, philosophe, économiste, sociologue, essayiste, théoricien de la révolution, socialiste et communisteallemand (1818 - 1883). (17) Cf. Hanna Arendt, « Les origines du totalitarisme », tome 2, « L’Impérialisme », trad. Martine Leiris, coll.Poche, Paris, Seuil, 2005, p.167.

    Cependant, ce désir ne permettra pas l’affirmation de l’égalité dans le droit effectif en dehors de quelques avancées dans l’éducation. En fait, la valeur d’égalité a été inscrite dans la société du XVIIIème siècle qui continuait à valider de nombreuses formes de domination : le cautionnement de l’esclavage par exemple.

    Emmanuel Kant (15) va plus loin : il affirme la notion de sujet qui fait de l’homme une personne morale devant être envisagée et traitée comme une fin en soi et non plus comme un moyen. Comme Rousseau, il estime que l’état de nature est injuste et cruel et que la démocratie doit s’imposer comme un contrat entre les hommes.

    Pour le philosophe allemand Marx (16), l’égalité est fondamentale mais malheureusement illusoire et, en ce sens, constitue une hypocrisie car le droit est confisqué par la bourgeoisie. Selon lui, le droit, par son application, est foncièrement inégal puisqu’il entérine les inégalités présentes dans la société.

    L’égalité a été largement bafouée au cours du XXème siècle par le développement de différents totalitarismes prônant l’égalité absolue et coercitive. Ils sont la preuve que dans une aspiration collective exacerbée, l’égalité mal interprétée peut engendrer des cataclysmes humains tels que le fascisme, le nazisme et le stalinisme. Alors que l’égalité a été conçue comme un instrument de protection des hommes et des femmes face à l’Etat et à l’absolutisme divin, elle a été détournée de son objectif par des systèmes politiques totalitaires. Cette évolution perverse est la preuve que le désir collectif d’égalité doit être pondéré par rapport aux autres valeurs qui forment entre elles un réseau complexe (17).

    Seul le droit de la deuxième moitié du XXème siècle arrive à traduire pour un temps l’égalité dans la société via l’Etat providence après la seconde guerre mondiale : sécurité sociale, accès aux soins de santé, droit aux allocations de chômage,accès à l’éducation pour tous, etc. Ces avancées sont actuellement battues en brèche au nom du néolibéralisme.

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    Qu’en est-il de l’égalité actuellement ? Force est de constater que la justice se fonde sur les droits de possession, ce qui ne sert évidemment pas l’égalité ! Pour qu’elle ait la cote, il faudrait que toutes les composantes de la société estiment que l’égalité est absolument nécessaire à l’organisation de la société et qu’elle réponde à l’intérêt de tous. Si tant est que ce souhait puisse se réaliser, il faudrait que les plus riches acceptent de l’être moins et que les plus pauvres disposent de moyens supplémentaires ! On est évidemment loin du compte !

    Un but égalitaire minimal existe cependant : l’égalité des chances qui garantit à chaque être humain un minimum de chances,quel que soit sasituation sociale. Il faut cependant noter que les processus mis en place pour y arriver ne prévoient aucune ponction

    L’égalité à l’heure actuelle

    Egalité de ressources et égalité de bien-êtreLa conception égalitaire du bien-être vise à rendre les individus égaux du point de vue de ce qui est fondamentalement important aux yeux de tous, ce qui est assez subjectif en fonction du regard que la communauté porte sur tel ou tel groupe d’individus. Une réelle égalité de ressource n’existe au sein d’un groupe que si la valorisation est identique entre ses membres. La primauté accordée à l’égalité de ressources implique que le groupe détermine les ressources minimales dont chaque individu doit disposer. Cette vision est évidemment de nouveau tronquée par la position sociale des observateurs-décideurs et, en cela, tout aussi subjective. Une égalité de ressource efficace nécessite la mise en place de processus d’assurance qui permettent aux personnes plus faibles de voir leur « handicap » social réduit. Ce n’est pas pour autant que ces mécanismesde lissage garantisse à tout individu de pouvoir prétendre à une certaine dignité.

    sur les avoirs des plus nantis.

    La primautéde la valeur d’égalité en tant que posture dans nos sociétés démocratiques renvoie en fait à deux conceptions inspirées de la pensée aristotélicienne : l’une individuelle et « réaliste » qui vise à traiter et à échanger correctement avec autrui ; l’autre collective et subjective qui relève des finalités de l’existence. Ces deux conceptions sont assez contradictoires : il est difficile de revendiquer des droits de nature collective dans une société où les droits individuels constituent la norme. Dès lors, l’application de ces droits ne peut être que différenciée et ne peut que protéger des privilèges et entériner des inégalités. D’où le recours à des formes d’égalité « réelle » plus que « formelle » qui touchent au bien-être ou à l’accès aux ressources.

    On l’aura compris : c’est l’égalité des ressources dont disposent les individus qui prime actuellement dans notre société sur l’égalité de bien-être. Il s’agit pour beaucoup d’une « « égalité négative » dans le sens où elle correspond à un seuil minimum d’accès aux ressources et non à une moyenne qui pourrait permettre l’accès à tous à une certainedignité. De plus, cette « justice distributionnelle à minima » n’entre jamais en conflit avec l’autre grande valeur démocratique qu’est la liberté : une personne pauvre disposant d’un minimum de ressources est théoriquement aussi libre qu’une personne riche ayant une multitude de ressources à sa disposition. La liberté est ainsi garantie au nom de l’égalité subjective de ressources. Ceci est la clé de voûte du système néo-libéral actuel.

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    0908 Echos de Picardie - Eté 2016

    Revenons à Aristote. Pour lui, la notion d’équité représente la forme supérieure de la justice car elle l’adapte aux cas particuliers que la loi n’avait pas prévus. Elle apparaît à ses yeux donc plus nuancée en ce sens qu’elle permet un rééquilibrage et une redistribution.L’équité permet ainsi l’application de la loi jusque dans son esprit. Selon Aristote, l’équité est juste en ce sens qu’elle nuance l’égalité : « L’équitable, tout en étantjuste, n’est pas le juste selon la loi, mais un correctif de la justice légale. La raison est que la loi est toujours quelque chose de général, et qu’il y a des cas d’espèce pour lesquels il est impossible de poser un énoncé général qui s’y applique avec rectitude. […] La faute n’en est pas à la loi, ni au législateur, maistient à la nature des choses, puisque par leur essence même, la matière des chosesde l’ordre pratique revêt ce caractère d’irrégularité. Quand, par la suite, la loi pose une règle générale et que là-dessus survient un cas en dehors de la règle générale, on est alors en droit, là où le législateur a omis de prévoir le cas et a péché par excès de simplification, de corriger l’omission et de se faire l’interprète de ce qu’eut dit le législateur lui-même s’il avait été présent à ce moment, et de ce qu’il aurait porté dans sa loi s’il avait connu le cas en question(18). »

    Beaucoup plus proche de nous, le philosophe américain John Rawls (19) reprend à son compte dans son ouvrage « La Théorie de la justice » les idées développées antérieurement par Rousseau et Kant sur l’égalité pour en tirer deux principes de base de la justice : le principe de liberté et celui de différence. Selon lui, au contraire d’Aristote, il considère que l’équité est préalable à l’égalité en matière de justice dans le sens où elle tente de combattre d’emblée les inégalités. S’il ne remet pas en cause l’existence des inégalités qu’il considère comme sources d’émulation entre les hommes, Rawls estime que la société n’a pas en leurs noms à sacrifier les plus faibles ni à léser les plus riches. Pour cela, il considère qu’il faut

    (18) Aristote, « Ethique à Nicomaque », Livre V, chapitre 14. (19) Philosophe américain, auteur entre autres de « La Théorie de la justice » (1921-2002). (20) Sociologue français, ex-directeur d’études à l’École des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) et ProfesseurHonoraire à l’Université Bordeaux II (1946- ). (21) Dans le but de rétablir l’égalité des chances, lesdiscriminations positives visent à favoriser de façon temporaire certains groupes de personnes victimes de discriminations systématiques. Elles s’appliquent essentiellement dans les domaines ethniques, du genre, de la religion, de l’âge, du handicap et du statut social.

    créer des mécanismes d’équivalence face à un égalitarisme illusoire qui permettent d’assurer aux plus défavorisés une position minimale. Il envisage ainsi une coopération sociale qui doit être construite en tenant compte des disparités entre tous les membres de la société.

    Ce principe d’équité se retrouve chez d’autres auteurs et dans d’autres domaines de la société comme chez François Dubet (20) qui l’applique à l’enseignement. S’il ne remet évidemment pas en question l’égalité comme valeur fondamentale, il estime que seule l’équité permet de lisser les inégalités qui subsistent, particulièrement dans le monde scolaire qui a tendance à les aggraver. Il convoque pour cela la notion de « discrimination positive » (21) dans le cadre de l’assurance d’une dignité collective afin de compenser les différences de performance, l’échec, le sentiment d’humiliation, etc.

    On l’aura compris, notre société a trouvé depuis longtemps en l’équité une manière d’opérationnaliser la valeur d’égalité malgré les contradictions que cette dernière génère. Cependant, il faut veiller à ce que le recours systématique à l’équité n’affaiblisse pas la valeur d’égalité ! Ainsi, si tant est qu’elle est « positive », la discrimination du même nom reste une discrimination qui légitimise l’existence des inégalités ! L’équité ne doit jamais devenir un prétexte pour renoncer à la lutte contre les inégalités ! En amont de cette réflexion, il est nécessaire de se poser les bonnes questions : le recours à l’équité est-il voulu pour compenser les effets des inégalités ou pour justifier l’existence de ces dernières ? De plus, dans les deux cas, l’équité apparaît comme condescendante. La seule manière d’échapper à ces deux effets pervers est de remettre à l’avant plan les valeurs universelles et humanistes et de considérer l’équité non comme une fin en soi mais bien comme un moyen au service de l’égalité.

    LE PRINCIPE D’ÉQUITÉ

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    L’équité au secours de l’égalité ?L’égalité et l’équité sont donc des mots proches mais dont l’acception est différente. Comme on l’a vu, l’égalité est une revendication politique essentielle et ancienne. Elle est difficilement applicable stricto sensu ; le respect d’une stricte égalité ferait que tout le monde disposerait des mêmes moyens quel que soit son métier ou son emploi. L’expérience des kolkhozes soviétiques, où les fermiers étaient des fonctionnaires de l’Etat, témoigne du fait que cette application débouche inévitablement sur un manque de productivité des travailleurs. L’égalité s’est par contre parfaitement incarnée dans le domaine électoral avec le suffrage universel.

    L’équité, conçue comme de l’égalité contenant une dose « acceptable » d’inégalité, permetthéoriquement d’éviter cet écueil. Bien utilisée, elle concourt à créer une société juste. En ce sens, elle garantit à chacun l’accès à un plus grand nombre de libertés : libre expression, accès à la propriété, accès à la dignité, etc. A condition évidemment que les libertés des uns n’empiètent pas sur celles des autres ; le droit à la propriété ne justifie pas le vol des biens d’autrui, le droit à la libre expression ne justifie pas l’insulte, etc.

    L’exercice de ces libertés met théoriquement tous les êtres humains sur le même pied. Cependant, cette démonstration ne tient pas compte des inégalités intrinsèques à la démocratie : la liberté d’entreprendre qui est un droit fondamental justifie que certains possèdent plus que d’autres. Elle justifie également que les personnes moins avantagées puissent bénéficier d’un peu de ces gains supplémentaires : il est normal qu’un patron gagne plus que ses employés à condition qu’il donne et garantisse du travail à ces derniers .

    Equité et austéritéLes mesures d’austérité qui prévalent depuis au moins 2008 en Europe ne font qu’accentuer les inégalités que les mécanismes visant à l’équité ont de plus en plus de mal à compenser. Rappelons que si celles-ci ont pour but essentiel de restaurer les finances publiques, elles diminuent les dépenses publiques, augmentent l’impôt des personnes physiques, accroissent les difficultés économiques de bon nombre d’entreprises et de citoyens, entraînent des suppressions d’emplois et occasionnent une détresse sociale de plus en plus importante. A cela s’ajoutent l’impact négatif sur l’économie des faibles taux d’intérêt censés relancer la consommation et l’accroissement des dettes publiques qui fragilisent toujours plus les économies.

    Cependant, les gains du patron ne doivent pas se faire au détriment de ses travailleurs. Il est inéquitable qu’une entreprise accumule des gains tout en licenciant une partie de ses travailleurs comme c’est souvent actuellement le cas avec l’actionnariat généralisé : si la majorité des gains de l’entreprise se basent sur la spéculation et l’actionnariat, la gestion de cette dernière est inéquitable puisqu’elle avantage les actionnaires et non les travailleurs. L’égalité et l’équité ne sont donc pas opposables mais complémentaires. L’équité bien pensée est en quelque sorte « l’égalité devant la vie » car elle permet comme le dit le prix Nobel d’économie 1998 Amartya Send’appliquer l’égalité à « l’hétérogénéité des êtres humains et[à] la multiplicité des variables dans lesquelles l’égalité peut être évaluée» (22). Elle permet de contrôler le degré d’inégalité au-delà duquel la société ne veut pas aller.

    Le problème réside dans l’interprétation de ces concepts : en effet, l’approche libérale la plus radicaleest fondée sur le seul critère de l’égalité devant la loi. C’est sur cette base que les tenants du néo-libéralisme estiment qu’au nom del’égalité devant l’emploi tout revenu de remplacement doit être supprimé et que les chômeurs sont responsables de leur situation et d’une bonne partie de la crise économique !

    Par ailleurs, si le principe d’équité peut être appliqué avec une certaine justice au sein d’une communauté, il n’en va pas de même au niveau national et international. En effet, les politiques économiques nationales dépendent de celles qui président aux échanges internationaux ; ces dernières sont elles-mêmes différentes si elles s’appliquent à des pays riches ou à des pays pauvres.

    Ce cortège de nuisances va inéluctablement entraîner une baisse de la redistribution des richesses et donc augmenter de nouveau les inégalités jusqu’à les rendre structurelles.

    « Structurelles », c’est au contraire aux réformes à l’être. Mais évidemment des réformes justes, visant à gommer une partie importante des inégalités. Et non pas la baisse des allocations de chômage qui paupérisent une part de la population et qui n’est pas compensée par quelque hausse d’emploi significative ou quelque dispositif facilitant massivement la création de nouvelles entreprises pourvoyeuses d’emploi.

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    Quand le principe d’équité prend le pas sur la valeur d’égalité

    (22) Amartya Kumar Sen est un économiste indien qui a reçu le prix Nobel d’Economie en 1998 pour, entre autres, sathéorie du développement humain et de l’économie du bien-être (1933 - ). (23)“ L’ordolibéralisme “ est une philosophie politique qui justifie l’organisation sociale par les réalités de la société. Elle se base sur une approche pluridisciplinaire de l’Université de Fribourg-en-Brisgau qui mêle des économistes, des juristes, des fonctionnaires et des sociologues. Elle est incarnée par Ludwig Ehrard, Ministre de l’Economie des gouvernements dirigés par le ChancelierAdenauerde 1963 à 1966. Il a à lui seul incarnéen RFA la stratégie d’économie sociale de marché.(24) Jean-Baptiste Colbert est un des principaux ministres de Louis XIV. Il a été Contrôleur Général des Finances de 1665 à 1683. Il a inspiré et promu une politique économique interventionniste et mercantiliste en favorisant le développement du commerce et de l’industrie en France par la création de fabriques et de monopoles étatiques(1619 – 1683). (25) John Maynard Keynes, économiste, haut fonctionnaire et essayistebritannique, il est un des plus influents théoriciens de l’économie du XXe siècle. Fondateur de la macroéconomie keynésienne qui a prévalu lors des accords de Bretton Woods en 1944. Ces derniers ont dessiné les grandes lignes du système financier international après la seconde guerre mondiale ; leur objectif principal était de créer une organisation monétaire mondiale et de favoriser la reconstruction et le développement économique des pays touchés par la guerre (1883 - 1946).

    Force est donc de constater que, sous l’influence des pays à tradition protestante et plus particulièrement l’Allemagne, l’Europe s’est écartée de toutes références à l’égalité en ce qui concerne la gestion socioéconomique pour tout au plus miser sur des mesures visant à un minimum d’équité. En effet, l’Allemagne privilégie depuis les années 30’ le principe d’équité dans l’organisation de la société. En cela, elle continue de s’inspirer de l’analyse pluridisciplinaire réalisée après la crise de 1929 connue sous le nom « d’ordolibéralisme » (23). Selon cette vision, la croissance repose tout entière sur la compétitivité des entreprises dans un objectif de stabilité économique et sociale, ce qui conditionne la protection sociale à la compétitivité. C’est pour cette raison qu’existe en Allemagne une concertation sociale directe entre les dirigeants d’entreprise et les syndicats, sans de réelle intervention de l’Etat. A l’inverse, les pays à tradition catholique, dont la France,ont gardé une tradition interventionniste de l’Etat dans leurs politiques économiques et sociales. La France comme laBelgique sont restés très longtemps fidèles tant à l’organisation économique prônée par Colbert (24) qu’aux préceptes du Conseil National de la Résistance de 1944, à savoir une intervention directe de l’Etat dans les domaineséconomiques et sociaux. C’est pour cette raison que dans ces deux pays, la performance économique resteencore assez fréquemmentopposée à la protection sociale, ce qui justifie qu’ils continuent à invoquer la valeur d’égalité dans leurs prises de position.De plus, ces pays ont cru très longtemps au mirage économique soutenu pendant les années 1980 par les Etats-Unis

    et la Grande Bretagne, à savoir que les dettes des Etats pouvaient être illimitées et que les liquidités pouvaient rester toujours disponibles. Cette vision leur a permis de croire que leur économie pouvait échapper aux contingences internationales tout en continuant à distribuer des droits sociaux devenant de plus en plus fictifs, ce qui a entretenu l’illusion d’une certaine égalité dans l’organisation sociale.

    Le pacte de stabilité et de croissance allemand s’est fracassé contre la réunification de la RFA et de la RDA effective en 1990 qui a coûté au pays en 20 ans 1.900 milliards d’euros ! Cette situation a engendré à partir de 2003 un plan musclé d’assainissement de la protection sociale et de refonte du système de taxation en privilégiant la TVA sur les produits de consommation, plan que l’Allemagne a finalement imposé à l’Europe tout entière. L’Europe s’est ainsi éloignée progressivement du keynésianiste qui, depuis 1944, organisait l’économie sur un équilibre entre la production et la demande(24).

    L’Allemagne ayant pris la direction officieuse de l’Europe depuis plusieurs années et lui ayant imposé sa vision économique et sociale, il n’est pas étonnant que le principe d’équité ait pris le pas sur la valeur d’égalité. Il est bon de rappeler que l’équité cautionne l’existence des inégalités dans la société tout en essayant d’en diminuer les effets. Le problème réside dans la quantité d’inégalités qu’une société basée sur l’équité admet. Une chose est sûre : l’équité, on est loin d’en être quitte !

    Vincent Dufoing,Directeur.

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    En dépit de la légitime aspiration à l’égalité entre tous les êtres humains à l’échelle de la planète entière, force est de constater qu’il est toujours préférable, en ce 21ème siècle, d’être jeune, riche et en bonne santé que vieux, pauvre et malade.

    Et pourtant, à en croire l’article 1er la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité.

    Dès lors, si tous les êtres humains naissent égaux, pourquoi certains sont-ils plus égaux que d’autres, comme le soulignait Coluche il y a déjà plus de 30 ans ?Pourquoi, les inégalités, non seulement existent toujours, mais s’accroissent ?Echec d’une utopie humaniste ou choix de société ?Quelle que soit leur forme, les inégalités peuvent dangereusement être présentées par les idéologies qui les légitiment comme le résultat de forces ou de données liées au hasard ou au destin ; ou comme un phénomène « naturel », qui dédouane la société de ses responsabilités.

    Les inégalités construites, qui conduisent aux traitements discriminatoires de certaines catégories de citoyens, s’inscrivent dans des rapports sociaux de domination, tels qu’ils ont été analysés par la sociologie du dévoilement, popularisée par Pierre Bourdieu et reprise ensuite par ses héritiers : les rapports sociaux de domination sont apparus dès la production excédentaire de biens et ont donné naissance à un enjeu, celui de la propriété. Les groupes dominants visent la dépossession des groupes dominés d’une de leurs dimensions : leur terre, leur corps, leur temps, leur force de travail.

    Les rapports de domination ont toujours une base matérialiste : l’enjeu est bien d’augmenter la propriété, le patrimoine et les richesses du groupe dominant. Pour justifier cet état de fait, les discriminations donnent naissance aux idéologies qui les justifient et permettent un traitement inégalitaire des dominés

    VOULONS-NOUS VRAIMENT L’ÉGALITÉ ?: la colonisation a donné naissance au racismescientifique, justifiant par l’infériorité scientifiquement prouvée des peuples colonisés le traitement qui leur a été infligé. Pour se justifier, les rapports sociaux de domination possèdent un instrument très efficace : l’essentialisme, qui présente comme naturelles les inégalités liées au genre, à l’origine ethnique ou à la classe sociale. Prétendre que les femmes s’occupent plus des enfants en raison de leur instinct maternel est une lecture essentialiste, qui fait écran à l’analyse de l’inégale répartition des tâches entre les femmes et les hommes, à l’échelle de toute la société. De même, affirmer que le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire , occulte une autre grille d’analyse, celle, non essentialiste, qui part du constat que plus l‘Occident se développe, plus l’Afrique s’appauvrit. Et enfin, l’assignation sociale, qui ne permet de très rarement « un saut de classe » n’est pas liée à l’incapacité naturelle ou le déficit intellectuel des classes populaires, mais bien au rôle de reproduction sociale de l’école et la mise en place de mécanismes permettant l’égalité des chances n’y change rien.

    Combattre les inégalités passe impérativement par une analyse des rapports sociaux de domination, dégagée de toute justification essentialiste. Aujourd’hui, la lecture des rapports de « classe, race, sexe » n’est plus très populaire, dans une société où le modèle méritocrate, prônant la concurrence entre individus et la réussite personnelle à n’importe quel prix, influence fortement les choix individuels et ne fait que renforcer les inégalités existantes qui ne peuvent s’expliquer uniquement par des mécanismes économiques engendrés par la mondialisation et la mise en concurrence des économies entre elles. Ce nouveau modèle quasi culturel, tant il est intégré par chacun de nous, devenu invisible à nos propres yeux et présent dans toutes les sphères de notre existence ; nous conduit à adopter volontairement des comportements individuels qui ne font que renforcer les inégalités. Nous sommes tous des bons petits soldats d’un choix de société, celui de la légitimation des inégalités…

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    1312 Echos de Picardie - Eté 2016

    Pour la classe moyenne, dans un monde où les places au sommet de la pyramide sont rares et chères, chacun est prêt, dans la mesure de ses ressources (financières, culturelles ou autres), à mettre toutes les chances de son côté pour se maintenir à sa place, alors que le contexte morose ne permet plus d’envisager de pouvoirse hisser à l’échelon supérieur. À titre d’exemple, autour de la « massification scolaire », qui a permis l’accès à l’école de tous dans une visée égalitaire, apparaissent des stratégies familiales, qui, au final, accentuent les inégalités.Par le choix des établissements et des filières, bien entendu, mais également par le recours aux cours particuliers,le choix d’activités et de loisirs qui positionnent les enfants en première ligne de la course à la réussite sociale. Ces choix, opérés en toute bonne foi par les parents qui veulent assurer à leurs enfants une qualité de vie aussi élevée que possible, entretiennent et justifient, dans une certaine mesure, l’existence des inégalités.En effet, faire de la place à tout le monde risque d’impliquer une diminution des acquis des plus nantis.Car c’est bien la crainte du déclassement qui empêche la lutte contre les inégalités sociales.Comment, dès lors, accepter sans brocher l’idée que nos enfants auront un « niveau de vie » inférieur au nôtre ?Perçue comme injuste, cetteperspective nous encourage à penser que si les uns réussissent à force de travail et de courage, les autres échouent en raison de leur absence de mérite.Nos relations sociales se teintent de méfiance envers celles et ceux qui apparaissent comme des concurrents potentiels et de mépris envers les « déclassés », les exclus, qui n’ont qu’à s’en prendre qu’à eux-mêmes s’ils en sont arrivés là. L’étude ethnographique menée en 1959 par l’anthropologue américain Oscar Lewis a popularisé l’expression de « culture de la pauvreté », devenue rapidement indissociable de l’opinion, très populaire aux Etats Unis pour expliquer la condition sociale des afro-américains, selon laquelle les normes, comportements et pratiques socialesdes pauvres les maintiendrait dans leur état de pauvreté au lieu favoriser la création de conditions leur permettant de s’extraire de la misère. De nouveau, la justification essentialiste, qui explique un phénomène en niant ou au mieux sous-estimant les effets de l’histoire, du contexte social et économique ou des rapports sociaux à l’œuvre, est convoquée.

    L’idéal d’égalité des chances méritocratique, en tant qu’idéal d’égalité de nos sociétés ultralibérales,

    Discours du Président Français N. Sarkozy à l’Université de Dakar, Sénégal, le 26 juillet 2007. / Lire à ce sujet : (sous la direction de ) Saïd Bouamama, Jessy Cormont, Yvon Fotia (2012), Dictionnaire des dominations de sexe, de race, de classe, Editions Syllepse, pp 150 à 155 (égalité des chances). / François Dubet, « Nous avons choisi l’inégalité », Sciences Humaines, n°267, Auxerre, février 2015, p.30 François Dubet(2014), La préférence pour l’inégalité, Seuil.

    n’est qu’une version dépoussiérée de cette lecture essentialiste des inégalités. En 2014, une enquête menée en France montre que 64% des français pensent que s’ils le voulaient, les chômeurs retrouveraient du travail ; et 45% d’entre eux comprennent l’exil fiscal . Le triomphe de la méritocratie ! Les mesures de contrôle des demandeurs d’emploi et allocataires sociaux ainsi que la réduction des allocations sociales renforcent bien entendu ce raisonnement : pourquoi faire peser sur l’ensemble de la société les conséquences du comportement et du manque d’appétence au travail de quelques-uns ? En ces temps d’activation sociale, la promotion du mérite individuel a pris le pas sur la défense d’une valeur essentielle et fondatrice de nos sociétés : la solidarité.

    Mettre cette valeur au centre d’un projet de société implique l’acceptation de payer pour les autres, qu’on les connaisse ou pas, au nom de la mutualisation des moyens de tous pour couvrir les « accidents » de la vie vécus par certains.

    Mécanisme permettant de réduire les inégalités par la mise en place de filets sociaux et économiques basés sur la mutualisation des moyens pour assurer la sécurité sociale de tous, la solidarité, à l’échelle d’une société, repose sur trois éléments selon François Dubet : l’enjeu du maintien de l’ordre social, partant du principe que toutes les classes d’une société étant interdépendantes, pour éviter le conflit, il est préférable d’organiser collectivement la protection sociale de tous ; la confiance dans les institutions démocratiques et surtout la confiance dans les autres, dont on sait à quel point elle est mise à mal aujourd’hui, notamment en raison de la mise en concurrence entre les individus; et enfin la fraternité, élément de nature hautement symbolique, le sentiment de fraternité, bien fragile aujourd’hui, est pourtant le ciment nécessaire à la construction d’une société solidaire, qui remet à l’honneur les mécanismes solidaires permettant d’enrayer les inégalités. Le débat sur l’égalité se situe donc bien au niveau des valeurs, choisies et mises en priorité dans un projet de société.

    Parmi les valeurs essentielles que défend et promeut le mouvement laïque, l’égalité et la solidarité sont indissociables : la solidarité doit être au service d’un projet de société qui met la lutte contre les inégalités sociales au cœur de ses enjeux.

    Barbara MOURIN

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    L’ÉGALITÉ : UN PRÉCEPTE POLITIQUE INATTEIGNABLE ?L’égalité est un droit fondamental de la personne humaine. Les Etats se sont engagés à garantir cette égalité en adoptant en 1948 la Déclaration universelle des droits humains. Celle-ci dispose dans son article premier que tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits, et dans l’article deux que : « Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente Déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation »Mais au-delà de ce principe fondateur des plus respectables et des plus ambitieux, le problème de l’égalité est incommensurable. Il s’est toujours posé et se pose encore aujourd’hui avec une extrême acuité. Aussi, dans son agrégat représentatif, les institutions humaines échouent devant sa réalisation paradigmatique car celles-ci produisent naturellement de la privation ; c’est-à-dire la cristallisation des inégalités et du non accès aux droits fondamentaux pour nombre de citoyens. Une lutte contemporaine pour atteindre un système sociopolitique égalitaire ne suffit pas à définir les conditions du bon fonctionnement d’une société, où la justice sociale etl’appréhension du concept d’égalité s’accompagnent désormais du constat pragmatique de l’existence et de la perpétuation aggravante des inégalités.

    La réflexion sur le principe d’égalité se révèle donc inséparable de la difficulté rencontrée par les sociétés démocratiques à le concrétiser dans leur système juridique et social, partant du principe que notre société est essentiellement basée sur la production économique de richesse accumulée et la maximisation du profit. C’est ce qui emberlificote en outrel’exercice de la démocratie dans le contexte économique que nous connaissons et qui s’accompagne inévitablement d’inégalités et autres disparités sociales. Ce qui suppose par conséquent que ce système « gagnants-perdants » et ses détenteurs convainquent sournoisement les citoyens

    de consentir à l’inégalité structurelle comme étant un appendice naturel du système politique dans lequel nous évoluons, en valorisant la méritocratie. Est-ce à dire que l’égalité semble totalement incompatible avec le fonctionnement et les rouages institutionnels de notre système démocratique actuel?... Il est évident que la démocratie moderne ne peut se délimiter seulement commece régime de gestion du pouvoir qui colmate les brèches d’une précarisation galopante car elle passe alors à côté de l’essentiel, à savoir que la démocratie est un étatd’esprit, qui motive un engagement actif de toutes et tous dans la vie politique de la communauté. Cette participation peut prendre plusieurs formes, le vote, mais aussi l’organisation de débats, d’actions citoyennes, de rassemblements, de manifestations, de pétitions. Ce qui pousse le citoyen à cette participationdémocratique, c’estson désir d’égalité et d’appartenance à la communauté humaine quel que soit sa condition, sa culture ou son statut social. Son envie intrinsèque de participer, d’agir et de compter dans le champ démocratique en exerçant son « pouvoir » de citoyen est importante, il suffit d’observer cette participation politique via les débats sur les réseaux sociaux notamment. Néanmoins, n’est-ce pas là une illusion sommaire de son rapport biaisé à l’inatteignable égalité factuelle ? En outre, il est important également de tenir compte de la grande hétérogénéité culturelle des citoyens, leur intérêt variable et parfois limité pour la politique, la formation de l’opinion par les partis et autres groupes de pression, la prépondérance des médias, le recours à la parole stratégique, à l’affectivité et à la simplification plus qu’à l’argumentation rationnelle ; argumentation qui conditionne cette participation à la vie politique et qui ne présente pas vraiment un rapport égal entre les intéressés. Nonobstant, si l’égalité matérielle semble être inconcevable au sein d’une dualisation socioéconomique de type capitaliste, l’égalité en droits devrait être respectée même si le facteur économique interfère irrévocablement sur cette légitimité civile. Les droits proprement politiques semblent, dans nos sociétés démocratiques, être

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    1514 Echos de Picardie - Eté 2016“Après la démocratie” (Gallimard, Folio, 2008), Emmanuel TodLe destin au berceau : Inégalités et reproduction sociale (Seuil, Paris) Camille Peugny /http://www.universalis.fr, Déclaration universelle des Droits de l’Homme, http://www.cairn.info/sciencessociales

    régis par une règle simple : à chacun les mêmes droits. L’idée selon laquelle ces droits devraient, dans leur application concrète, prendre en compte certaines différences entre les citoyens paraît a priori exclue.

    En somme, l’idéal de l’égalité politique est cependant souvent pensé comme allant au-delà de cette simple égalité formelle. Dans sa version la plus forte, il exige que chaque citoyen dispose d’un pouvoir de délibération et de décision égal à celui des autres. Pourtant, force est de constater que les discours exhortant à établir les conditions de cette égalité et à la rendre effective nous paraissent chaque jour un peu plus vains.Si le sens recherché va vers une forme d’égalité des droits en démocratie, les inégalités politiques restent une conséquence intrinsèque à notre système représentatif. En effet, la complexité de la vie sociale et politique, dans les sociétés démocratiques contemporaines, repousse nécessairement certains individus et groupes du circuit des échanges sociaux et des confrontationsd’idées. Les nouvelles formes de la vie politique, celles-là mêmes qui tendent à généraliser la participation des citoyens, sont loin de donner une voix à tous les groupes sociaux et à tous les individus, car certains sont souvent bloqués par des nécessités primaires. Ces formes expérimentatrices diverses de l’exercice de la démocratie participative peuvent en outre constituer des obstacles qui éloignent de tout engagement politique les plus précaires, les moins instruits, les minorités culturelleset ethniques, voire certains jeunes. Aussi, comment une femme seule avec trois enfants à charge pourrait-elle trouver du temps disponible pour participer à toute forme d’engagement politique participatif si ce n’est que par l’utilisation d’internet et des réseaux sociaux ? Pour que nous puissions réellement envisager une meilleure égalité des droits démocratiques, il serait bon de multiplier les occasions d’égalité, notamment en repensant la formation initiale et son articulation avec un dispositif universel de formation tout au long de la vie, garanti par l’État et les institutions, et qui aurait pour vocation de favoriser la participation citoyenne des plus petits jusqu’à l’âge adulte, et ce, via un processus politique novateur qui alimente constamment la délibération permanente. Cette révolution culturelle est nécessaire pour lutter efficacement contre la transmission des inégalités et autres déterminismes sociaux qui parasitent d’emblée une participation plus égalitaire à l’exercice de la démocratie.Si certains jeunes s’éloignent inexorablement de cet exercice, il n’est dès lors pas étonnant que la violence devienne leur mode d’expression prioritaire ou que le radicalisme de certains se confronte au conspirationnisme ou à l’extrémisme de certains autres. En somme, pour éviter qu’une part importante de la population se détourne

    de leurs droits à cet exercice démocratique légitime, il serait préférable de remplacer ce concept ambigud’égalité des chances par celui d’égalité effective d’accès à l’éducation, à la formation, à la culture et à la qualification. Favoriser la réussite de tous plutôt que la seule méritocratie qui renvoi constamment les individus dans un modèle de compétition permanente. Pour être précis dans son énoncé, l’égalité s’apparente donc plutôt à définir ce qu’elle n’est pas, c’est-à-dire une absence de domination et de division entre les membres d’une même communauté.

    Effectivement, l’égalité n’est pas quelque chose à définir ou à démontrer car c’est à la fois un idéal à atteindre - telle que l’absence de hiérarchie et de domination entre les êtres humains -, tout en étant un principe directeur, une valeur fondamentale, une manière de voir le monde qui refuse de hiérarchiser les individus et de créer une domination symbolique à partir de différences d’accès aux droits.Pour ainsi dire, le concept d’égalité semble être devenu une zone d’influence de la réflexion politique et juridique. Accessible dans ses caractéristiques formelles, la notion apparaît néanmoins plus complexe dès lors qu’elle est envisagée comme aspiration politique destinée à se réaliser toujours davantage dans un progrès légitime considéré comme mise en lumière de la démocratisation des sociétés. Accomplie ou utopique, elle occupe, jusqu’à aujourd’hui, une place centrale dans les grands débats politiques, laissant paraître l’obligation morale de comprimer les inégalités de condition et de traitement et de rendre possible la reconnaissance d’un statut juridique partagé dans le cadre d’une citoyenneté commune. Enfin, au-delà du concept politique proprement dit, le désir d’égalité - engendrant une émulation universelle tout en développant l’ambition individuelle - précise des relations complexes entre les individus. Cette recherche de l’égalité absolue et uniformisée pourrait produire dès lors des possibilités de nivellement et de simplification extrême sous la forme notamment d’une omnipotence des certitudes et opinions majoritaires, voire un totalitarisme de la penséedans le pire des scénarios. La précaution nécessaire face à l’uniformité égalitariste devrait nous préserver de la tentation de nous laisser glisser vers une forme préjudiciable de cette valeur essentielle qui annihilerait toute forme d’altérité, de rapports complexes et de différenciation. L’égalité mérite que l’on défende avant tout son principe premier d’accès aux droits et de considérer chaque être humain de manière égale, tout en cheminant vers une organisation sociétale qui peut diminuer drastiquement les inégalités existantes, tout en se méfiant de la fascination périlleuse de ce qui nie la complexité, la diversité et les contradictions inhérentes à la vie.

    Stéphane Mansy

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    L’ÉGALITÉ DE GENREQUAND LES FEMMES PORTENT LE POIDS D’UNE DOMINATION MASCULINE ANCRÉE DANS LA SOCIÉTÉDans ce dossier consacré à l’égalité, il était difficile de ne pas aborder l’égalité de genre. Aujourd’hui encore les femmes sont victimes de discriminations liées à la construction des rôles homme-femme et à une domination masculine présente dans notre société. Bien entendu, la constante lutte contre les discriminations de genre a amené quelques améliorations en la matière. Cet article fera un état des lieux de la situation actuelle des femmes en matière d’emploi et d’égalité salariale, de logement et de représentation politique.

    Voici quelques évolutions importantes :

    En 1949, la célèbre citation de Simone de Beauvoir : « On ne naît pas femme, on le devient », expliquait comment la civilisation et l’éducation agissent sur les enfants pour les orienter dans un rôle masculin ou féminin alors même que filles et garçons ne sont pas initialement distinguables. (2)

    L’historienne, Joan W.Scott, questionne en 1988 dans son Gender and the Politics of Historyl’approche masculiniste de l’histoire. (3) Pour elle, il ne s’agit plus simplement de décrire l’histoire des femmes mais de mettre en lumière les rapports de genre jusque-là cachés qui définissent l’organisation des sociétés. (4)

    À partir des années 1990, Judith Butler décrit le genre comme « une série d’actes répétés […] qui se figent avec le temps de telle sorte qu’ils finissent par produire l’apparence de la substance, un genre naturel de l’être » (5).

    Le concept de genre Le concept de « genre » est apparu dans les années 1960-1970 dans les travaux de féministes anglo-saxonnes comme outil de déconstruction de l’argumentaire inégalitaire sexiste. Ou comment distinguer ce qui relève de la construction sociale dans des réalités apparaissant et présentées comme « naturelles ».(1) Cette notion de « genre » n’a cessé d’évoluer avec le temps et a été analysée sous différents angles. (1) Dictionnaire des dominations, Collectif Manouchian, 2012, p.178 (2) La construction sociale des catégories de sexe : Simone de Beauvoir, Le deuxième sexe, classique.uqac.fr, 2007 (3) Gaëlle Krikorian, Philippe Mangeot, Adèle Ponticelli et Pierre Zaoui, « History trouble », Vacarme, no 66,hiver 2014, p. 218-248 (4) Éric Fassin, « L’empire du genre. L’histoire politique ambiguë d’un outil conceptuel », L’Homme, vol. 3-4, no 187-188,2008, p. 375-392 (5) Judith Butler, Trouble dans le genre. Le féminisme et la subversion de l’identité, Paris, La découverte,2006, p. 109.

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    1716 Echos de Picardie - Eté 2016

    (6) Gaëlle Krikorian, Philippe Mangeot, Adèle Ponticelli et Pierre Zaoui, « History trouble », Vacarme, no 66,hiver 2014, p. 218-248 (7) Éric Fassin, « L’empire du genre. L’histoire politique ambiguë d’un outil conceptuel », L’Homme, vol. 3-4, no 187-188,2008, p. 375-392 (8) Butler Judith et al., « Pour ne pas en finir avec le « genre »... Table ronde », Sociétés & Représentations 2/ 2007 (n° 24), p. 285-306 (9) Source : DGSIE, Enquête sur la Structure et la Répartition des Salaires (10) Selon la publication de SD Worx, prestataire de services, en après une analyse de fiches de salaires d’employés, de directeurs et de cadres dans le secteur privé.

    Femme et emploi : « A travail égal, salaire égal » ?

    Pour Butler, c’est le genre qui construit le sexe : s’il existe des différences biologiques, elles ne sont pas en elles-mêmes significatives. C’est le genre, et donc la construction sociale, qui assigne un sens aux différences sexuelles. (6)

    Pour Butler, mais également Scott ou des chercheuses françaises comme Christine Delphy ou NaciraGuénif-Souilamas, le genre en tant que rapport de pouvoir s’inscrit dans d’autres rapports de pouvoir impérialiste, basés sur la race ou l’orientation sexuelle (7), le genre faisant partie d’une norme sociale générant de l’exclusion. (8)

    L’écart salarial est toujours l’une des plus grandes discriminations entre les femmes et les hommes. En 2016, il s’élève encore à 20% en Belgique. Il est passé de 28% en 1999 à 20 % aujourd’hui. (9)

    Cependant, on remarque que l’écart salarial passe à 27 % quand on ajoute les rémunérations variables (bonus, commissions, primes,…) et les avantages extra-légaux (chèque-repas, assurance groupe et véhicule de société,…) (10). Aujourd’hui, on constate que trois quarts des véhicules de société sont attribués à des hommes. Ceci s’explique par le fait que deux cadres sur trois sont des hommes et que les véhicules de société sont généralement attribués aux fonctions supérieures. Mais même au sein de fonctions équivalentes, cette discrimination subsiste.En d’autres termes, quelle que soit la place occupée par une femme dans la hiérarchie, la discrimination salariale entre hommes et femmes reste présente.

    Le temps-partiel (9). Si les chiffres évoquent que les femmes travaillant à temps-plein gagnent à peu près autant à l’heure que les hommes, ils révèlent aussi que ce sont les femmes qui occupent la majorité des temps-partiel. En 2014, dans le secteur privé, cela représente 41% des femmes pour 9% des hommes.

    Le motif souvent évoqué par les femmes est la conciliation entre la vie professionnelle et la vie privée tandis que les hommes évoquent la conciliation avec un autre emploi.Prendre soin des enfants ou d’autres personnes dépendantes reste une histoire de femmes ! Elles assument toujours la plus grande responsabilité des tâches dans le ménage. Cette conciliation est aussi amenée par un manque de structures sociales. Le manque de places d’accueil abordables, de qualité et avec des horaires flexibles, le manque de flexibilité des horaires des garderies extra-scolaire et la difficulté d’accéder à des soins de santé abordables et de qualité. Voilà une série de responsabilités et de manques à combler par les femmes !

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    18(11) Enquête belge sur l’Emploi du Temps de 2013 du SPF Economie et de la VUB. (12) http://www.onem.be/sites/default/files/assets/publications/Etudes/2014/Conge_Parental/FR.pdf (13) DGS, Enquête sur la Structure et la Répartition des Salaires 2012

    Différence de parcoursQuand la situation familiale change, ce sont les femmes qui trinquent ! Quand pour un homme l’évolution de sa carrière coïncide avec une augmentation salariale, pour une femme c’est un peu plus compliqué. On remarque que la rémunération des femmesdiminue dès qu’elles ont des enfants car ce sont souvent elles qui décident de lever le pied. Ce qui n’est pas sans impact sur leur carrière ! Entre congé maternité, congé parental et le fait que l’on retrouve de nombreuses femmes dans le secteur du « non-marchand », moins bien rémunérés, elles acquièrent moins d’expérience et manquent d’opportunités de promotions ou de formations au sein de leur entreprise.

    Ce choix des femmes n’est donc pas toujours un choix mais souvent un « non-choix ». Quand l’organisation familiale demande de se libérer du temps, le salaire sacrifié reste celui de la femme car c’est aussi le plus bas au vu de son parcours. En ce sens, l’égalité salariale permettrait aussi de rendre ce choix plus équitable et basé sur la place que chacun veut occuper dans le couple et non plus sur l’aspect financier (le salaire).

    Mais le seul fait d’arriver à l’égalité salariale n’amènera peut-être pas une égalité des rôles au sein du couple ! Les stéréotypes de genre sont bels et bien présents ! On remarque que les hommes passent six heures de plus par semaine que les femmes à leur travail. Les femmes, quant à elles, passent huit heures de plus par semaine à s’occuper des tâches ménagères et une heure et demie de plus à s’occuper des enfants. Les hommes ont donc par semaine six heures de plus de loisirs que les femmes. (11)Quand on parle de congé parental par exemple, seul 26% des hommes ont pris un congé parental en 2012.

    Bien qu’aussi formées que les hommes, voir parfois plus, les femmes occupent moins souvent les postes les plus privilégiés. Elles s’orientent souvent vers le secteur « non-marchand » (enseignement, santé, social,…) moins valorisé socialement et financièrement. Dans le top 5 des emplois occupés par les femmes on retrouve : 75 % d’aide-ménagères et technicienne de surface, 66% de vendeuses, 62% de personnel auxiliaire dans les domaines juridique, social et culturel, 60% de collaborateurs administratifs, 60% de personnel de contact avec la clientèle (13).

    Secteur d’emploi

    Le « plafond de verre »Selon le rapport sur l’écart salarial, les femmes représentent la moitié des salariés et seulement un tiers des dirigeants. Les femmes restent très faiblement représentées dans les fonctions stratégique et postes

    Ils préfèrent souvent réduire leur temps de travail d’1/5plutôt que de s’arrêter complètement durant une période (12). Une enquête de 2015, de l’organisation des femmes VIVA-SVV, révèlent que 27% des pères voudraient prendre un congé parental. L’aspect financier, le refus de l’employeur, la peur de manquer une chance de promotion mais aussi le jugement de ce choix et le mépris qu’ils risquent de rencontrer au travail sont autant de facteurs qui impactent leur décision. Un homme qui s’occupe des enfants ça fait mauvais genre !

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    1918 Echos de Picardie - Eté 2016

    de décision. En 2014, au sein des entreprises cotées en Bourse, 48 % des comités de directeurs interrogés ne comptaient aucune femme et 39% une seule. Plus l’entreprise est petite, plus la parité règne au sein du comité directeur. Au sein des entreprises publiques, les résultats ne sont pas meilleurs. Dans certains cas, les femmes sont même tout à fait absentes. Même si la loi sur les quotas a permis à des femmes de siéger dans les conseils d’administration, on remarque que les changements de mentalité sont difficiles. Une question de stéréotypes ? Peut-être que la maternité possible et la disponibilité réduite qui en découle représentent une crainte pour l’employeur ? Ou peut-être encore, les employeurs pensent que les hommes dirigent mieux que les femmes ? Pas de certitude mais juste des faits inexplicables objectivement.

    Quand la discrimination raciale s’ajoute à la discrimination sexiste…Certaines femmes sont victimes d’une double discrimination en matière d’emploi.

    C’est le cas des femmes d’origine étrangère qui sont victimes d’une discrimination liée au simple fait d’être femme compilée à une discrimination raciale. Surtout si ces femmes sont issues d’un pays hors UE !

    Les femmes originaires d’un pays hors UE ont la moitié moins de chance que les hommes de cette catégorie de trouver un emploi.

    De la même manière, les femmes d’origine étrangère ont la moitié moins de chance de trouver du travail que les femmes belges ou les ressortissantes d’autres pays de l’UE. L’écart salarial augmente considérablement avec « l’écart ethnique ».

    Selon l’Institut pour l’Egalité des Femmes et des Hommes, la moitié de l’écart salarial ne peut s’expliquer à l’aide d’éléments objectivables.

    Une partie de cet écart reste inexplicable. Doit-on penser alors à une discrimination de genre ? Etre une femme est un handicap dans le secteur de l’emploi ?

    L’arrière-cour des Miracles est un recueil de 56 dessins

    avinés parus dans divers journaux et magasines

    tels que «l’écho des savanes»,

    «Zélium», « L’Echos de Picardie »,

    «Fluide Glacial» et «El Batia moûrt sou»...

    Le receuil est disponible au prix de 12€ sur http://www.publier-un-livre.com/fr/catalogue-one/209-arriere-cour-des-miracles

    L’ARRIÈRE-COUR DES MIRACLES

    Philippe DECRESSACEdition du BIDON

    Retrouvez quelques ilustration des numéros précedant

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    Femme et logement La précarité et le mal-logement frappent particulièrement les femmes. Elles disposent des revenus les plus faibles, travaillent plus souvent à temps partiel, connaissent un risque de pauvreté de 15% supérieur en moyenne à celui des hommes et sont à la tête de 70% des familles monoparentales (14). Par conséquent, être femme représente un handicap certain dans la recherche d’un logement !

    Aujourd’hui, il n’existe pas encore d’étude tenant compte de la dimension de genre dans l’accessibilité au logement ni même de statistiques sexuées par rapport à cette problématique. On ne peut dès lors se baser que sur le témoignage des femmes.

    En 2008, la marche bruxelloise des femmes organisait un forum sur la question du logement. De celui-ci en ressortent les conclusions suivantes : (14)

    En 2008, la marche bruxelloise des femmes organisait un forum sur la question du logement. De celui-ci ressortent les conclusions suivantes : (14)

    - La question du logement n’apparaît actuellement nulle part, et certainement pas dans les politiques régionales, comme une problématique sexuée alors que les femmes vivent en la matière des situations spécifiques.

    - La précarisation des femmes en matière d’emploi et l’écart de revenus qu’elle engendre leur rendent l’accès au logement, que ce soit en location ou en pleine propriété particulièrement difficile.

    - Cette pauvreté et précarisation des femmes entraînent leur surreprésentation relative dans le logement social.

    - Les femmes sont les victimes principales de la violence entre partenaires et se heurtent à des problèmes aigus d’accès au logement lors des ruptures.

    - Les femmes, surtout celles qui sont à la tête de famille monoparentales, s’estiment souvent victimes de préjugés sexistes et de pressions tant dans la recherche d’un logement que dans les relations avec les propriétaires.

    (14) http://www.liguedh.be/images/PDF/documentation/la_chronique/ldh_chro_131_def.pdf

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    2120 Echos de Picardie - Eté 2016

    En politique, la perspective « différentialiste » qui postule l’existence de différences innés entre les sexes sur le plan des comportements, des préférences et des aptitudes est très en vogue ! Ces différences entre hommes et femmes influenceraient la manière de faire de la politique.

    Longtemps, ce postulat a tenu les femmes écartées de la sphère politique, soi-disant, parce que naturellement une femme s’intéresse aux choses concrètes, aux émotions, aux relations de proximité et à la famille. Ce qui supposait qu’elles étaient considérées comme inaptes à l’exercice du pouvoir. Ces clichés étaient forts présent avant le droit de vote pour les femmes en 1948. Mais ont-ils réellement disparus aujourd’hui ?

    La différence est qu’aujourd’hui il ne serait pas « politiquement correct » d’oser dire qu’une femme est inapte à occuper une fonction de pouvoir en politique. Au contraire, on se base sur ces caractéristiques, soi-disant, naturelles des femmes pour mettre en avant leurs qualités spécifiques.

    Cet argument peutêtre utilisé à des fins complètement différentes ! La « perspective différentialiste »va utiliser ces qualités pour justifier la présence des femmes au sein de leur foyer et auprès de leur enfant. Alors que la « perspective constructiviste », reconnaît l’engagement des femmes en politique mais attend d’elles qu’elles fassent de la politique au « féminin », c’est-à-dire qu’elles soient plus empathique, douce, coopérative.

    Sous-entendu, qu’elle fasse une politique différente des hommes qui eux sont, soi-disant, plus rationnels, agressifs, égoïstes et compétitifs. Dans cette vision, aussi bien les hommes que les femmes sont victimes de stéréotypes sexistes, qui établissent des attentes différentes selon leur sexe.

    Dans un idéal d’égalité, homme ou femme devraient pouvoir faire leur politique en fonction de leurs propres idées sans devoir subir la pression de préjugés. Chaque être humain a sa vision de la politique. Dès lors, penser que les femmes amèneraient une politique différente ou meilleure de celle des hommes est aussi une manière de véhiculer des clichés et des attentes différentes ! Mais avouons, qu’aujourd’hui encore, l’évolution des mentalités est lente en ce sens

    Les femmes seules, les familles monoparentales et nombreuses représentent donc un public particulièrement fragile dans le domaine de l’accès à un logement décent et abordable.

    Pour certains propriétaires, une femme non accompagnée d’un homme représente un frein même si celle-ci dispose d’un revenu suffisant ! D’autre part, une femme seule avec enfant(s) représente un handicap supplémentaire. Certains propriétaires considèrent que les enfants font du bruit, des dégâts,… A ça s’ajoute la difficulté de trouver un logement adapté à leur taille et à leur budget.

    Victimes de préjugés de par leur sexe et de par leur situation familiale, il est dès lors important pour améliorer les conditions de vie des femmes de se pencher sur la question du logement avec une analyse tenant compte de la discrimination de genre.

    Quelques avancées en la matière !Le 20 avril 2006, l’ordonnance dite « Pékin » impose au Gouvernement régional de présenter un rapport concernant les initiatives prises en matière d’égalité entre hommes et femmes. En effet, chaque ministre doit présenter les initiatives prises dans son domaine politique en vue de promouvoir l’égalité femmes/hommes. En 2009, c’est au tour du code du logement à être modifié avec l’ajout des directives sur l’égalité quelle que soit l’origine ethnique et l’égalité entre hommes et femmes dans la fourniture des biens et services.(14)

    En ce moment, le Gouvernement wallon parcourt le rapport intermédiaire sur l’avancement de l’intégration de la dimension de genre dans les politiques régionales (décret du 11 avril 2014), connu sous l’appellation de Plan Gender. Autrement dit le « GenderMainstreaming » qui consiste à « mettre en place une stratégie qui a pour ambition de renforcer l’égalité des femmes et des hommes dans la société, en tenant compte des différences socialement construites, notamment socioéconomiques, entre la situation des femmes et des hommes, ainsi que de leur impact potentiel dans tous les domaines et à chaque étape des processus politiques – élaboration de lois et mesures, mise en œuvre, suivi et évaluation ».(15)

    Nous ne pouvons qu’espérer que cette démarche aidera à pointer la dimension de genre et à en tenir compte notamment dans les politiques de logement afin de garantir le droit à un logement décent. Comme le dit l’article 23 de la Constitution belge : « Chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine ».

    Femme et politiqueFaire de la politique « féminine » (16)

    (15) https://cwehf.be/

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    A la différence d’un homme, le physique d’une femme fait souvent l’objet de commentaire en politique. En Belgique comme à l’étranger, des propos comme : « elle est jolie », « calme-toi chérie », des caquètements de poule, brouhaha quand une ministre prend la parole avec une robe à fleurs, « elle est plus belle qu’intelligente », « Mais qui va s’occuper des enfants ? »,…

    Ces propos banalisés par les hommes politiques sont pourtant bels et bien porteurs de sexisme et tendent à ramener vers une image de la femme limitée à son apparence physique et son rôle de mère. Une manière supplémentaire de décrédibiliser les femmes dans leur rôle et de véhiculer une misogynie qui a toujours été présente dans ce domaine longtemps réservé aux hommes !

    En conclusion, aujourd’hui, une analyse genrée est nécessaire pour pouvoir déterminer de manière objective et sur base de chiffres sexués l’impact des discriminations de genre dans les différents champs politiques. En matière d’emploi et d’inégalités salariales, des chiffres existent.Ils permettent d’ailleurs de déterminer que les femmes subissent encore des discriminations à l’emploi et une inégalité de revenus déterminées par le simple fait d’être une femme, par leur parcours professionnel différent , par le fait de pallier à des manquements de structures sociales et par le poids d’un rôle qu’on leur a attribué et dans lequel elles sont cantonnées. Cette inégalité salariale est un enjeu primordial pour les femmes car elle a des conséquences sur d’autres domaines, notamment sur l’accès au logement. Si l’égalité salariale ne voit pas le jour, les femmes seront toujours les plus sujettes à la précarisation et la pauvreté et continueront à vivre des discriminations en matière de biens et services. Bien entendu, cet unique progrès n’amènera pas l’égalité homme-femme. La mise à disposition de structures sociales de qualité, abordables avec des horaires flexibles apporteraient une réponse aux manquements de la société auxquels les femmes doivent actuellement pallier et qui ont un impact sur leur liberté de choix.

    L’idéal d’égalité ne sera atteint que si toute notre société revoit sa manière de penser et mette en place des politiques qui tien