Dossier spécial LUMIÈRE...DOSSIER LUMIÈRE > 4 - 17 L’histoire moderne de notre appréhension de...

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BIOLOGIE Le Bisphénol A : un perturbateur au quodien BIOLOGIE Les insectes et leurs adaptaons à la température MATHÉMATIQUES La stasque à l’ère des «big data» www.dr8.cnrs.fr le magazine de la délégaon CNRS Centre Limousin Poitou-Charentes octobre 2015 Hors-série 2015 Un regard sur les laboratoires en Centre Limousin Poitou-Charentes > Dossier spécial LUMIÈRE

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B I O L O G I ELe Bisphénol A :

un perturbateur au quotidien

B I O L O G I ELes insectes et leurs adaptations

à la température

M AT H É M AT I Q U E S

La statistique à l’ère

des «big data»

www.dr8.cnrs.fr

le magazine de la délégation CNRS Centre Limousin Poitou-Charentes

octobre 2015

Hors-série2015

Un regard sur les laboratoires en Centre Limousin Poitou-Charentes

> Dossier spécial LUMIÈRE

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D O S S I E R L U M I È R E > 4 - 1 7

L’histoire moderne de notre appréhension de la lumière est marquée par un dialogue qui n’a pas eu lieu. Un dialogue qui aurait confronté les philo-sophes et les poètes comme Locke, Hume, Goethe, Whitehead ou Wittgenstein qui ont tous écrit sur la lumière et la couleur, et les physiciens, qui, de New-ton, et Maxwell, à Planck, Einstein, ou Kastler, ont tous contribué à faire de la lumière un objet mai-trisé, au service d’un grand nombre de technologies devenues indispensables pour chacun d’entre nous.

Ces deux mondes ne se sont jamais parlé. Bien plus, aucune des deux visions qui se dégageaient n’est parvenue à réduire la portée de l’autre ou sa consis-tance. La lumière en devenant un outil, n’a pas per-du son mystère et sa beauté. Les chercheurs et les penseurs qui travaillent sur la lumière ont tous en commun une forme d’émerveillement originel pour cet élément impalpable, dont ils ont su tiré l’envie, constamment renouvelée, d’explorer la lumière et la couleur dans tous leurs aspects.

Cette édition hors-série Microscoop part à la ren-contre des chercheurs de notre Délégation Régio-nale, qui poursuivent dans leur recherche cette quête sans fin.

Au coté de ce dossier spécial, vous trouverez éga-lement, comme à chaque édition et pour chaque champ de recherche, la présentation de travaux de recherche offrant des regards pointant tout à la fois sur des enjeux du front de connaissance fon-damentale et sur des questionnements au cœur des grands enjeux sociétaux et environnementaux d’aujourd’hui, qu’ils touchent aux défis adressés par la révolution numérique, par le dérèglement cli-matique, aux enjeux du développement durable, et aux problèmes de santé publique. Je vous souhaite bonne lecture.

Éric BuffenoirDélégué régional

Age

nda

LumièreCoup de projecteur sur l’optogénétique > 5

Ah, les belles LED ! > 7

Que la lumière soit... et la fibre fût ! > 10

Un selfie pour la planète rouge ? > 12

Oxyde de tellure, des matériaux au service de la lumière > 17

Charlemagne, Rabelais, Montaigne : des couleurs et des écrits en lumière > 19

MathématiquesLa statistique à l’ère des « big data » > 22

PaléontologieDes brebis limousines aux antilopes fossiles de l’Omo > 24

BiologieLes insectes et leurs adaptations à la température > 26

Le Bisphénol A : un perturbateur au quotidien > 28

EnvironnementRecyclage, économie et développement durable : les nouveaux fers de lance de la sidérurgie > 30

CNRS Centre Limousin Poitou-Charentes3E, Avenue de la Recherche ScientifiqueCS 10065 - 45071 ORLÉANS CEDEX 2Tél. : 02 38 25 52 01 - Fax : 02 38 69 70 31www.dr8.cnrs.frContact : [email protected]

ISSN 1291-8083 Imprimeur - Prévost Offset - Impression sur papier 100 % recyclé Cyclusprint.

Directeur de la publicationÉric BuffenoirResponsable de la publicationFlorence RoyerSecrétaire de la publicationFlorence RoyerCréation graphiqueLinda Jeuffrault

Ont participé à ce numéro : Fetah BENABID, Raphaël BOULAY, Christophe CACHONCINLLE, Aurélien CHATELIER, Maggy COLAS, Aurélie COURTOIS, Claire DARRAUD, Benoît DEBORD, Norah DEFAMIE, Jean-René DUCLERE, Dounia EL HAMRANI, Frédéric FOUCHER, Frédéric GEROME, Guillaume GUIMBRETIERE, Luc Hillairet, Claudio LAZZARI, Pierre-Yves LOUIS, Philippe MARTIN, Nicole LE BRETON, Sandra MEME, Gildas MERCERON, Maxime MIKIKIAN, Sylvain PINCEBOURDE, Jacques POIRIER, Patricia ROGER-PUYO, Élodie SALAGER, Philippe THOMAS.

octobre 2015

Photos couverture : Arrière-plan : © Thinkstock® Zoom : Éclairage intérieur d’un bâtiment (GREMI) par projecteurs à LED colorées © Christophe CACHON-CINLLE < GREMI

COP21 - «LA GLACE ET LE CIEL»

Cycle de projection du film «La glace et le ciel»

dans des communes de la région Centre-val de

Loire. Par Ci-clic, Centre-Sciences et le CNRS.

Nov.-Déc. > Région CVDL

http://cinemobile.ciclic.fr

Manifestations

25ÈMES RENCONTRES CNRS JEUNES

« SCIENCES ET CITOYENS »

Réunion de 450 jeunes européens, étudiants ou

engagés dans la vie active, et d’une centaine de

chercheurs de toutes disciplines.

16-18 oct. 2015 > Poitiers

www.cnrs.fr/sciencesetcitoyens

SEMAINE DE L’INSERTION

PROFESSIONNELLEVisites d’entreprises, forum recruteurs/étudiants.

21 nov.-27 nov. > Tours

http://sip.univ-tours.fr/accueil/

FORUM DE L’ORIENTATION

«innovation, la recherche et les

métiers d’avenir»7-8-9 janv. 2016 > Orléans

Parc des expositions

> 1 2

> 1 0

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> 2 6 > 3 0

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Colloques

BIOTECHNOCENTRERencontres scientifiques dans les domaines des

Sciences de la Vie, de la Santé et du Bien-être en

région Centre-Val de Loire.

15-16 oct. 2015 > Seillac

www.biotechnocentre.fr

Colloque Pierre de Coubertin 2015

Le sport au service de l’éducation et des

connaissances.

12-13 nov. 2015 > Poitiers

http://colloquecoubertin2015.critt-sl.eu/

HTMC 1515ème conférence internationale sur la

chimie des matériaux à haute température.

29 mars-1er avr. 2016 > Orléans

http://htmc15.sciencesconf.org/

COP 21 TRAIN DU CLIMATExposition interactive et ludique, conférences,

rencontres, débats. Stands scientifiques dans les

gares.

15 oct. 2015 > Tours

16 oct. 2015 > La Rochelle

www.trainduclimat.fr

21ÈME CONFÉRENCE SUR LES

CHANGEMENTS CLIMATIQUES

30 nov.-11 déc. > Paris Le Bourget

www.cnrs.fr/fr/COP21/

Edit

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C H I M I ELe Bisphénol A :

un perturbateur au quotidien

B I O L O G I ELes insectes et leurs adaptations

à la température

M AT H É M AT I Q U E S

La statistique à l’ère

des «big data»

www.dr8.cnrs.fr

le magazine de la délégation CNRS Centre Limousin Poitou-Charentes

octobre 2015

Hors-série2015

Un regard sur les laboratoires en Centre Limousin Poitou-Charentes

> Dossier spécial LUMIÈRE

Hors-série2015

Microscoop, le magazine de la délégation CNRS Centre Limousin Poitou-Charentes - HS 2015- Octobre 2015Microscoop, le magazine de la délégation CNRS Centre Limousin Poitou-Charentes - HS 2015- Octobre 2015

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La lumière joue dans notre vie un rôle essentiel : elle intervient dans la plupart de nos activités. Les Grecs de l’Antiquité le savaient déjà, eux qui pour dire « mourir » disaient « perdre la lumière » 

Louis Victor de Broglie, Nobel de physique 1929

Coup de projecteur sur l’optogénétique

Elle nous est quotidienne, habituelle et indispensable. Qu’elle soit naturelle ou artificielle, la lumière illumine nos journées … et nos nuits !

Entre les mains des chercheurs, elle devient science des lumières, à la fois sujets d’études et instruments d’exploration scientifiques.

La lumière réunit toutes les qualités pour être honorée d’une année internationale par l’Unesco.

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Microscoop, le magazine de la délégation CNRS Centre Limousin Poitou-Charentes - HS 2015- Octobre 2015Microscoop, le magazine de la délégation CNRS Centre Limousin Poitou-Charentes - HS 2015- Octobre 2015

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LUMIÈRE ! LUMIÈRE !

La recherche se nourrit de rencontres. Et lorsque physiciens et biologistes s’associent, ils font de la lumière un dompteur de cellules.

Depuis 2013, le laboratoire Signalisation et Transports Ioniques Membranaires (STIM-ERL 7368 CNRS/Université de Poitiers) développe la technique d’optogénétique permettant d’observer et de contrôler l’acti-vité cellulaire à distance grâce à des impul-sions lumineuses. C’est un des rares labora-toires au monde et actuellement le seul en France à transposer cette technique issue des neurosciences à la recherche cardiaque et musculaire.

La lumière représente un facteur environ-nemental majeur pour le développement, le métabolisme et la survie de nombreuses espèces animales et végétales. Outre les mécanismes liés à la photosynthèse retrou-vés chez les plantes, les photons peuvent notamment être captés par de nombreux microorganismes via des photorécepteurs spécialisés, les rhodopsines. De la même façon que les cellules photovoltaïques des panneaux solaires, ces protéines conver-tissent l’énergie lumineuse reçue en une activité électrique. En effet, ces rhodopsines forment des pores membranaires dont l’ou-verture, à des longueurs d’onde de lumière spécifiques, va conduire à des mouvements

d’ions responsables de l’activité électrique cellulaire.

De la naissance à l’essor de l’optogénétiqueC’est suite à la reproduction des premiers canaux rhodopsine à partir de l’algue verte Chlamydomonas reinhardtii que des cher-cheurs ont eu l’idée d’exploiter ces protéines pour contrôler l’activité électrique de neurones par des stimulations lumineuses. Dans la première étude publiée en 2005, ils ont utilisés deux types de rhodopsines : le canal rhodopsine de type 2 activé par la lumière bleu (470 nm) autorisant une entrée de cation dans la cellule, et le canal halorhodopsine activé par de la lumière jaune (590 nm) conduisant à une sortie d’anion de la cellule. L’expression de ces deux types de protéines a ainsi permis de contrôler l’activité électrique des neurones en la stimulant à distance par des flashes de lumière bleu et en l’inhibant par des flashes de lumière jaune.

Cette première expérience marqua la nais-sance de l’optogénétique.

La méthode, définie par la combinaison des techniques de la génétique et de l’optique, utilise la lumière pour contrôler et mesurer

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Ah, les belles LED !

Éclairage intérieur d’un bâtiment (GREMI) par projecteurs à LED colorées

Les avancées technologiques, couplées à la puissance de l’optogénétique, permettent de plus en plus facilement de contrôler de façon ciblée, et sans contact physique, un type cellulaire particulier dans un organisme vivant. De nouvelles voies d’investigation uniques s’ouvrent pour répondre aux défis contemporains de la recherche fondamen-tale en biologie. Outre la réflexion éthique

que cela peut engendrer, la question d’un éventuel transfert de cette technologie à des fins thérapeutiques peut également se poser dans l’avenir.

Aurélien CHATELIER < STIM [email protected]

http://stim.labo.univ-poitiers.fr/

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TIM

Microscoop, le magazine de la délégation CNRS Centre Limousin Poitou-Charentes - HS 2015- Octobre 2015Microscoop, le magazine de la délégation CNRS Centre Limousin Poitou-Charentes - HS 2015- Octobre 2015

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LUMIÈRE ! LUMIÈRE !

des fonctions bien déterminées au sein de cellules spécifiques d’un tissu vivant. De très nombreuses perspectives expérimentales se sont ouvertes, qui ont valu à cette technique le prix de la méthode de l’année 2010 attri-bué par la revue Nature Methods.

Depuis, l’optogénétique a connu un essor considérable en neurosciences. Un des enjeux majeurs de cette discipline est de comprendre comment un type de neurone particulier intervient fonctionnellement au sein d’un circuit neuronal complexe. L’utilisation de la lumière comme outils de contrôle à distance des cellules permet alors d’obtenir une résolution spatiale et temporelle jusqu’à lors inégalée par les méthodes d’investigations traditionnelles. Ces outils donnent la possibilité par exemple de contrôler in vivo tous les neurones d’un même type dans une région particulière du système nerveux central sans moduler les autres neurones environnants. Ces nouvelles approches contribuent tous les jours à de grandes avancées scientifiques en amélio-rant la compréhension du fonctionnement des circuits neuronaux et les conséquences pathologiques liées à leur perturbation.

Des neurosciences à la physiologie cardiaque et musculaireAlors que l’optogénétique est en pleine expansion dans le domaine des neuros-ciences, elle reste encore très mal connue dans les autres disciplines de la biologie. Pour autant, les nombreux avantages expé-rimentaux de cette technique novatrice sont

également applicables à d’autres champs d’investigations tels que la physiologie cardiaque ou musculaire. En effet, ce sont des domaines intégrant différents types cellulaires caractérisés par une activité électrique spécialisée au sein de tissu plus complexe. Le laboratoire STIM est spécialisé dans l’étude des canaux ioniques. Dans ce contexte, il développe l’optogénétique cardiaque et musculaire depuis 2013. Ses approches, utilisées pour la première fois en France, permettent notamment de prendre le contrôle des contractions des cellules cardiaques par des flashes de lumière bleue (470 nm) suite à l’expression du canal rhodopsine ChR2. La lumière peut alors être acheminée sur les préparations (des cellules en culture, des tissus ou des organes) à l’aide de fibres optiques.

«... des informations précieuses

et extrêmement encourageantes...»

Ces expérimentations ne se limitent pas au seul muscle cardiaque. En effet, le labo-ratoire étend également l’optogénétique aux cellules musculaires squelettiques. Couplées à d’autres techniques d’investi-gation plus conventionnelles comme de l’imagerie par microscopie confocale ou encore des enregistrements électrophy-

siologiques, ces études apportent des informations précieuses et extrêmement encourageantes pour l’avancée des connais-sances en physiologie et physiopathologie cardiaque et musculaire. Par exemple, le laboratoire déploie plus particulièrement des approches de stimulations lumineuses modulant la différenciation de cellules souches. Des démarches expérimentales dites « tout optique », c’est-à-dire couplant les systèmes optiques pour le contrôle et la mesure simultanée de l’activité cellulaire, permettent également d’étudier très préci-sément les mécanismes calciques impliqués dans la dystrophie musculaire de Duchenne.

Un destin lié aux innovations technologiquesL’utilisation de l’optogénétique est très liée au développement technologique en physique optique. En effet, la qualité de la source lumineuse et l’acheminement de la lumière au plus près des cellules sont des éléments importants pour l’utilisation de l’optogénétique. Plusieurs laboratoires de biologie dans le monde se rapprochent de laboratoires de physique afin de développer les outils biophotoniques facilitant l’accès de la lumière dans les tissus biologiques. Les avancées qui en découlent, comme la miniaturisation de LEDs implantables (seule-ment 50 µm de long) ou l’utilisation de lasers bi-photon, sont autant d’instruments précieux pour l’extension des recherches utilisant l’optogénétique.

Réponse calcique d’une cellule musculaire suite à une stimulation lumineuse.

Nul ne peut plus l’ignorer. Il faut s’y résoudre. S’y résigner, diront même certains. L’éclairage traditionnel à lampe à incandescence n’a plus sa place dans nos foyers. La lumière de l’ampoule magique de Thomas Edison, qui a éclairé toute la révolution industrielle du début du XXème siècle, n’a pas survécu à la rentabilité énergétique exceptionnelle affichée par les nouvelles lampes à LED.

Déjà, dans les années 1970, l’arrivée massive des technologies de lampe à fluorescence, les «tubes néon», avait sonné le glas de l’uti-lisation des lampes à incandescente dans les locaux industriels et le secteur tertiaire. Les exploitants de ces bâtiments avaient vite mesuré l’ampleur des économies de budget qu’ils pouvaient tirer des milliers de mètres carrés gérés. Le tube était 5 fois plus efficace : il consommait 5 fois moins d’élec-tricité pour générer le même niveau d’éclai-rement.

Cependant, l’emploi des lampes fluocom-pactes dans l’éclairage de nos foyers, n’a pas rencontré le même taux de réussite. Oui, c’est vrai, elles consomment bien moins que nos vielles ampoules. Mais, elles sont souvent grosses, inesthétiques et les premiers modèles s’allumaient beaucoup trop lentement.

Une arrivée remarquée Mais, cela n’échappe à personne, les lampes à LED sont arrivées sur le marché. Efficaces, belles et élégantes, de faible encombre-ment, modulables, qui s’allument instanta-nément, de toutes les couleurs… Les lampes idéales ! … Mais parfois de courte durée !

Car sur ce marché, on trouve actuelle-ment en rayon des produits de tout acabit :

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LUMIÈRE ! LUMIÈRE !

de l’excellence technologique avérée aux produits les plus médiocres.

Pourtant, jamais le chercheur n’avait conçu des lampes en lumière blanche aussi perfor-mantes. Pour la première fois de l’histoire de ces lampes blanches, les limites théoriques de l’efficacité lumineuse, mesurée en flux (lm) de lumière produite par Watt de la puis-sance électrique consommée, pourraient bien être atteintes. Cette limite théorique, pour une lumière « idéalement blanche » se situe vers 240 lm/W et peut être repous-sée si la lumière n’est plus « idéalement blanche ». Celle-ci atteint au maximum 683 lm/W pour une lumière monochromatique verte à 555 nm. Les lampes réelles ne sont pas idéalement blanches et restituent une coloration légère : nuance blanc-bleutée pour les couleurs dites froides et blanc-dorée pour les couleurs dites chaudes. Néanmoins, les lumières trop colorées ne sont pas utili-sables en éclairage car elles restituent très mal les couleurs naturelles des objets (indice de rendu de couleur IRC médiocre typique-ment inférieur à 80).

Bien sûr, les LED ne sont pas pour autant la panacée. Elles ont des défauts. Elles coûtent cher. Elles ne durent pas 50 ans… en tout cas pas leur alimentation électronique qui passera à trépas bien avant ! Le composant LED de puissance, une « puce » de nitrure de gallium (GaN) émettant une lumière bleue et recouverte d’un photo-luminophore jaune,

a une capacité exceptionnelle à émettre ses radiations lumineuses à partir de structures nanométriques contenant des métaux rares (Indium par exemple). Ces « puces » sont de petite dimension, de l’ordre du millimètre, et de ce fait, les LED sont intrinsèquement très éblouissantes, car la brillance de leur surface, c’est à dire leur « luminance » expri-mée en Candela par mètre carré (cd/m2), est inversement proportionnelle à l’aire appa-rente d’émission. Petite surface, grande bril-lance. Sed lex, dura lex.

« ... des films diffusant ... conservant

une transparence optique... de l’ordre de

90%.»

Bleu + Jaune = Blanc !C’est gênant ! Tellement gênant que la norme d’éclairage des lieux de travail EN12464 règlemente ces éblouissements mesurés par l’indice UGR (Unified Glare Rating) de l’installation. Mais ce n’est pas nouveau, le petit filament de notre bonne veille ampoule à incandescence était lui aussi très petit… et donc très brillant. C’est la raison pour laquelle on mettait des abat-jours sur les lampes, ce qui évitait d’être ébloui. C’est également la raison pour laquelle les fabricants vendaient des ampoules à verre

dépoli. La surface apparente lumineuse devenant ainsi beaucoup plus grosse, la brillance de l’ampoule chutait. Hélas, les «dépolis» de cette époque avaient tendance à être trop opaques. Aujourd’hui, les bons professionnels savent déposer sur leur lumi-naire à LED des films diffusant qui baissent la brillance intrinsèque tout en conservant

Coordonnées chromatiques d’une source de lumièreet indice de rendu des couleursL’indice de rendu des couleurs (IRC ou Ra de valeur maximale 100) est un chiffre traduisant la proxi-mité de la source étudiée avec un illuminant de référence (rayonnement du corps noir). Il est obtenu par comparaison des mesures des coordonnées chromatiques d’une série de 14 échantillons colorés standardisés éclairés alternativement sous l’illuminant de référence et sous la source de lumière à qualifier. Cet indice est, par construction même, excellent pour les sources à incandescence (IRC 100) et plus faible pour les sources à LED (IRC 80 à 90). On attribue à la lumière étudiée une température T (en Kelvin) définie tel qu’un corps noir porté à cette même température produirait une lumière de nuance colorée très proche (« température de couleur proximale »). Selon la norme EN 12464, la nuance colorée est dite « chaude » lorsque T<3300 K, « froide » si T> 5300 K et « intermédiaire » entre les deux !

En haut, matrice de 12 composants LED blancs éteints (laissant apparaître le photo-luminophore jaune recouvrant le verre)En bas, matrice de 12 composants LED blancs allumés

une transparence optique de l’ensemble de l’ordre de 90%.

La lumière blanche des LED est en fait la superposition d’une lumière bleue, produite par le semi-conducteur GaN dopé, et d’une lumière jaunâtre produite par une couche de matériau phosphorescent irradié par la lumière bleue. C’est une conversion de radiation très efficace du point de vue éner-gétique, mais pas toujours du meilleur effet du point de vue colorimétrique. Bien que le mélange de bleu et de jaune produise une sensation de lumière « presque blanche », il

n’en demeure pas moins que la lumière n’est pas blanche, elle est physiquement bleue et jaune !

Quelques précautions à prendreUn débat grand public a été ouvert il y a quelques années sur la dangerosité poten-tielle de ces LED pour le système visuel. Les photons de couleur bleue étant très éner-gétiques, leur pénétration au fond de l’œil jusqu’à la rétine pigmentaire peut provo-quer des lésions aux forts éclairements. Aujourd’hui, les scientifiques avancent avec précaution mais semblent s’accorder sur le

fait qu’un luminaire à LED bien conçu, avec les composants LED cachés à la vue directe, et correctement utilisé, ne présente pas un risque avéré pour le public, notamment pour les enfants qui sont moins bien proté-gés naturellement contre la lumière bleue que les adultes.

Alors, il ne faut pas hésiter à remplacer les ampoules énergivores par la technologie LED, à faire preuve de bon sens et se rappe-ler que fixer longtemps le soleil conduit à des lésions irréversibles graves car, oui !, le soleil émet aussi du bleu !

Christophe CACHONCINLLE < [email protected]

http://www.univ-orleans.fr/gremi

Projecteur à LED 3 couleurs © Christophe CACHONCI

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EMI

Les unités photométriques sont une restric-tion des valeurs radiométriques classiques au domaine du visible (380 à 780 nm). Mathémati-quement cette restriction s’opère en appliquant un filtre aux grandeurs radiométriques dont on connaît la répartition spectrale énergétique.

Cette fonction filtre est une fonction biologique mesurée expérimentalement sur des échantil-lons de population et moyennée pour produire un « observateur Standard ».(Commission Internationale de l’Eclairage, CIE 086- 1990 : CIE 1988 2° Spectral Luminous Efficiency Function for Photopic Vision)

Bougie Fluocompacte 1 Composant LED* Ciel

Intensité candela (cd) 1 70 150 -

Flux lumen (lm) 12 650 370 -

Éclairement lux (lx) 1 (à 1 m) - - 100 000 (plein soleil)

Luminance cd/m2 5 000 40 000 12 000 000 1500 (ciel bleu)

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Que la lumière soit...et la fibre fût !

L'extrêmement énergétique, ou comment graver la matière avec un bout de fibre optique

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LUMIÈRE ! LUMIÈRE !

Les années 90 ont été le théâtre d’une révolution dans le domaine de l’optique guidée et plus précisément dans la conception de fibre optiques. Des notions de physiques, jusque-là étrangères à l’optique aboutissaient au développement d’une myriade de micro et nano-structures diélectriques pouvant manœuvrer la lumière avec une grande précision.

Comme à leur époque les électrons dans les semiconducteurs, le contrôle des photons, graines de lumière, fait pressentir que la photonique sera l’électronique de demain.

Une fulgurante évolutionLes années 2000 ont vu l’avènement de deux fibres optiques originales de transmission dont le guidage de la lumière contrastait considérablement avec celui de l’optique jusque-là étudiée. Pour la première fois a été démontrée théoriquement puis expéri-mentalement la possibilité, ce qui pouvait paraître contre-intuitif pour des physiciens et chimistes, de transmettre la lumière non plus dans un matériau solide mais dans un cœur d’air !

Ces deux fibres ont la particularité de guider la lumière dans un cœur creux entouré d’une gaine dite périodique, empêchant la lumière de s’échapper. Leurs mécanismes de guidage sont différents du fait de leur motif géométrique de gaine microstructu-rée respectif fait de ponts de silice très fins (de quelques centaines de nanomètres, 1000 fois plus petit que l’épaisseur d’un cheveu). Cette gaine peut être jusqu’à 95%

constituée d’air. La fibre à cœur creux la plus récente, qui émerge en 2002, est basée sur une structuration de sa gaine en forme d’étoiles de David. Elle est communément appelée fibre «Kagomé», tirant son nom d’un panier tressé traditionnel Japonais. Son mécanisme de guidage particulier a été expliqué en 2007 mais puise ses origines dans des notions prédites dans les années 30 ! Il est basé sur un très faible couplage entre la lumière du cœur et la gaine. Cette découverte est le socle des derniers résul-tats phares obtenus dans le domaine des fibres à cœur creux.

Une architecture novatricePlus récemment, en 2010, la fibre Kagomé a connu une évolution majeure en jouant une nouvelle fois sur sa géométrie. La forme du contour de son cœur présentant une succes-sion d’arches, lui confère des propriétés des plus performantes. Celles-ci ont trouvé leur illustration, en 2014, par la fabrication sur la tour de fibrage du laboratoire Xlim, d’une fibre démontrant des pertes de transmission record de 17 dB/km. Elle constitue désor-mais l’état de l’art des fibres optiques à cœur creux et est la pierre angulaire des travaux

de recherche menés au laboratoire. Aujourd’hui, ce type de fibre présentant une combinaison unique d’attributs, est fonda-trice du domaine émergent de la photonique des gaz (Gas Photonics). Avec cette architec-ture originale, la fibre fait cohabiter les gaz et la lumière à des échelles micrométriques et dans des régimes extrêmes surprenants. Pour la première fois on réussit à conte-

Structure géométrique de la fibre des extrêmes.

nir à l’intérieur du cœur de la fibre un gaz ionisé très chaud (>1000C°) sans détruire la structure de la fibre, et d’y agencer des atomes ultra-froids sans perturber leur état quantique. De même, cette fibre optique a permis à la fois le transport d’impulsions laser ultra-énergétiques et ultra-intenses, et de générer presque une centaine de lignes lasers émettant depuis l’ultra-violet jusqu’à l’infra-rouge moyen. Ces résultats impacte-rons plusieurs domaines d’applications : le micro-usinage par lasers ultra-rapides, la métrologie pour développer des horloges atomiques compactes, le bio-médical pour des solutions d’endoscopie innovantes et/ou des sources lasers compacts pour la cyto-

métrie et l’imagerie médicale. Des qualités extrêmes Grâce à la fibre Kagomé, la lumière émise par les très courtisés lasers ultra-rapides et ultra-énergétiques peut être pour la première fois déportée sur des dizaines de mètres de manière fidèle et sans perte d’énergie/de puissance de façon sécuri-sée et flexible. À noter le fait intrigant que le faisceau laser transporté peut correspondre à une intensité plus de 100 fois plus grande que celle du seuil de résistance du verre

constituant la fibre elle-même ! Ce faisceau délivré par la fibre a permis la gravure, à la manière d’un stylo, de différents matériaux tels qu’une plaquette de silicium, de métal, et de feuilles de verre. Une application qui a déjà été adoptée par les industriels est le déport de lasers de puissance ultra-rapides pour le micro-usinage. Dans ce secteur la start-up d’XLIM, GLOphotonics, est leader mondial.

« La fibre Kagomé offre une cohabitation... entre un gaz et la lumière sur

plusieurs mètres. »En raccourcissant davantage les impulsions lumineuses délivrées, la fibre Kagomé fait franchir aux lasers impulsionnels ultra-brefs et ultra-énergétiques existants un saut technologique reconnu aussi bien par le monde académique qu’industriel. Avec une compacité et une efficacité inégalée, une puissance crête de plus de 10 Gigawatt a été atteinte, correspondant environ à la puissance de sortie d’une centrale nucléaire. Un tel exploit trouvera son application dans le développement de lasers ultra-brefs et ultra-intenses compacts.

La fibre Kagomé offre une cohabitation micrométrique entre un gaz et la lumière sur plusieurs mètres. Remplie de gaz, elle permet une exacerbation d’effets physiques sans précédent, la lumière laser venant exci-ter fortement ces molécules et émettre ainsi de nouvelles «couleurs». Avec cette techno-logie on peut, comme l’a démontré le labo-ratoire Xlim en 2014, créer un laser 70-en-1 avec 70 couleurs en sortie de fibre couvrant un très large spectre allant de l’ultra-violet à l’infrarouge (~300 nm -12 µm). Une telle source laser trouvera des applications aussi diverses que variées que celles de l’étude de l’environnement ou le séquençage d’ADN.

Sa capacité à abriter les matériaux en phase gazeuse a été étendue aux plasmas émet-teurs de lumière. Les chercheurs ont généré en son cœur, une colonne plasma avec une émission spectrale riche dans le visible et l’ultra-violet, présentant une très forte température (supérieure à 1000°C) sans détériorer la microstructure de la fibre qui entoure le plasma.

Elle a récemment été utilisée pour accueillir un chapelet d’atomes ultra-froids de stron-tium, avec des résultats porteurs dans le domaine des horloges atomiques optiques. Ici, la fibre a été spécialement conçue pour abriter ces atomes ultra-froids sans

© X

LIM

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Un selfie pour la planète rouge ?

CLUPI sur le rover de la mission ExoMars 2018.

Microscoop, le magazine de la délégation CNRS Centre Limousin Poitou-Charentes - HS 2015- Octobre 2015Microscoop, le magazine de la délégation CNRS Centre Limousin Poitou-Charentes - HS 2015- Octobre 2015

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LUMIÈRE ! LUMIÈRE !

Et si un simple appareil photo se transformait en instrument d’analyse des roches de Mars ? Et s’il pouvait aussi aller au plus près d’un volcan ou au cœur d’une centrale ? C’est ce qu’essaient de réaliser des géologues, des mathématiciens, et des physiciens orléanais en créant le premier référentiel couleurs/matière.

L’œil humain possède des photorécepteurs appelés cônes qui convertissent la lumière en signal électrique que le cerveau inter-prète ensuite en termes de couleur. Les cônes sont de trois types, rouge, vert et bleu, en fonction de leur gamme de sensibi-lité. Ils permettent de capter les ondes élec-tromagnétiques dont les longueurs d’onde sont comprises entre 400 nm et 700 nm. Ce

domaine forme le spectre dit de la lumière visible qui s’étend du violet au rouge, en passant par le bleu, le vert et le jaune.

Lorsque de la lumière interagit avec la matière, son spectre peut être modifié. Depuis les travaux d’Isaac Newton au 17ème siècle, ces modifications sont utilisées pour obtenir des informations sur le matériau

éclairé. L’étude du spectre de la lumière après interaction est à la base des techniques de spectroscopies optiques utilisées dans de nombreux laboratoires à travers le monde et aussi au Centre de Biophysique Molé-culaire (CBM - UPR 4301) et au laboratoire Conditions Extrêmes et Matériaux : Haute Température et Irradiation (CEMHTI – UPR 3079) à Orléans. Les études sont principale-

perturber leur état quantique particulière-ment fragile du fait du confinement micro-métrique des atomes et de leur voisinage avec les parois du cœur de la fibre. Ce résul-tat ouvre une voie originale pour dévelop-per des horloges atomique optiques alliant précision et compacité.

Les propriétés optiques exceptionnelles ont été la clé de plusieurs premières mondiales : le transport d’impulsion laser ultra-rapides ultra-intenses, la génération de plasma à l’échelle micrométrique ou le confinement

d’atomes ultra-froids. De telles démonstra-tions ouvrent des perspectives fortement prometteuses aussi bien scientifiques qu’in-dustrielles, dans le traitement de cellules cancéreuses, ou le développement d’accé-lérateurs de particules par laser compacts pour la radiothérapie. La fibre est aussi la brique de base dans la génération d’un laser peigne pour synthétiser les ondes lumi-neuses.

Fetah BENABID < XLIM [email protected]

Frédéric GEROME< [email protected]

Benoît DEBORD< [email protected]

http://www.xlim.fr/

ment réalisées avec des instruments possé-dant un système dispersif capable d’étaler spatialement le spectre de la lumière sur un détecteur.

Une premièreÀ l’opposé, tout comme l’œil humain, un appareil photo ne disperse pas la lumière mais il enregistre l’intensité lumineuse suivant 3 canaux (Red, Green et Blue) en chaque pixel du détecteur. On parle alors d’encodage de la couleur en RGB. Généra-lement, chaque canal est encodé sur 256 niveaux (de 0 à 255) permettant d’obte-nir une palette de plus de 16,7 millions de couleurs (256x256x256). Les capteurs des appareils photographiques possédant pour certains plusieurs dizaines de millions de pixels, on obtient alors une quasi infinité de possibilités qui sont autant d’information sur l’objet observé. Cependant, est-il possible de relier cette information à une information structurale ou chimique ? C’est la question sur laquelle se sont penchés les acteurs du projet Caliphoto.

La future mission ExoMars 2018 de l’agence spatiale européenne (ESA), en collabora-tion avec l’agence spatiale Russe (Roscos-mos), devrait rouler sur la surface de Mars à la recherche de traces de vie passée ou actuelle. Muni d’une foreuse, le rover de la mission sera le premier robot envoyé sur la planète rouge capable de prélever des roches jusqu’à deux mètres de profondeur sous forme de carottes de la taille d’une

craie d’écolier. Les chercheurs espèrent ainsi obtenir des échantillons non altérés par les conditions de surface (oxydation et rayon-nement solaire) et donc susceptibles d’avoir préservé des molécules organiques.

« voir si les données... et notamment la

couleur des poudres, pouvaient renseigner

sur la composition minéralogique... »

L’équipe d’exobiologie du CBM s’inté-resse à l’origine de la vie sur Terre et à la recherche de vie extraterrestre. Elle est donc particulièrement concernée par la mission ExoMars 2018 et travaille activement à sa préparation. Parmi tous les instruments d’analyses dont disposera le robot pour mener à bien ces recherches, les chercheurs s’inté-ressent de près à un appareil photo-graphique haute résolution dénommé CLUPI, pour CLose-UP Imager. CLUPI est réalisé en Suisse, par l’institut Space-X à Neuchâtel. Le CBM gère la calibration scientifique de l’instrument et le Laboratoire de Physique et Chimie de l’Espace et de l’Environnement (LPC2E – UMR 7328 CNRS/Université d’Orléans*), l’un des principaux labora-toire spatiaux français, a en charge une partie de son développement en étroit partenariat avec le Centre National d’Études Spatiales (CNES).Le LPC2E conçoit, réalise et exploite des instruments scientifiques spatiaux.Il soutient sur le plan technique la parti-cipation du CBM à la mission ExoMars

2018. Le LPC2E est responsable de l’encapsu-lation indispensable du détecteur d’imagerie de CLUPI devant permettre à l’instrument de supporter les rigueurs de l’environnement martien dont la température peut descendre à -130°C.

CLUPI aurait dû être fixé sur le bras robo-tisé du rover, depuis supprimé. Il sera fina-lement ancré sur le carénage du système de forage. Certes cette partie se trouve à la verticale lors des forages, mais elle peut se mettre à l’horizontal, monter, et descendre, lorsque le robot se déplace. CLUPI conserve donc toute son aisance. Avec cette grande mobilité et un habile jeu de miroirs, il pourra réaliser des gros plans de roches et photo-graphier des paysages.

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LUMIÈRE ! LUMIÈRE !

CLUPI est équipé d’un capteur Foveon®.

Cette technologie est présentée comme étant l’équivalent numérique de la pellicule argentique (a). Les systèmes numériques standards utilisent généra-lement un détecteur noir et blanc sur lequel est appliqué un filtre de Bayer qui converti les pixels du capteur en pixels rouge, vert ou bleu (b). Sur les détec-teurs Foveon®, les composantes rouge, vert et bleu sont obtenues à partir de la profondeur de pénétration des photons incidents sur chaque pixel, comme pour une pellicule (c).

Lors des phases de forage, CLUPI sera en première ligne pour saisir les clichés des amas de poudre se formant à la surface. Dans un premier temps ces observations ont pu être considérées comme peu intéressantes, la photographie d’une roche en poudre ne fournissant a priori aucune information réel-lement pertinente. Cependant, toute infor-mation étant bonne à prendre lorsque l’on est sur Mars, les acteurs du projet Caliphoto ont lancé une nouvelle approche : voir si les données ainsi obtenues, et notamment la couleur des poudres, pouvaient renseigner sur la composition minéralogique et/ou élémentaire des roches forées.

Des poudres et des couleursS’il est évident pour un géologue

que les roches présentent une riche déclinaison de couleurs, il est moins certain que cette propriété persiste lorsque la roche est réduite en poudre. La première étape a donc consisté à déterminer si des roches différentes formaient des poudres de couleurs diffé-rentes. La majorité des roches

présentes à la surface de Mars sont d’origine volcanique. Sur

Terre, la chaîne des Puys et le massif des monts Dore présentent

une diversité en roches volcaniques bien connue des géologues. Dans l’op-

tique d’une application à CLUPI et à Mars, diverses roches des monts d’Auvergne ont donc été prélevées avec des membres de l’Institut des Sciences de la Terre d’Orléans (ISTO), avant d’être broyées. Les poudres obtenues ont alors été photographiées avec un appareil commercial grand public. Il est apparu que la couleur d’une poudre était directement reliée à sa granulométrie : plus les grains sont fins plus la poudre est claire. Cependant, pour une même granulo-métrie, les couleurs des poudres sont diffé-rentes d’une roche à l’autre et les variations observées semblent répondre à une logique chimique.

Plus une roche volcanique est riche en silice, plus elle est claire une fois réduite en poudre et ce quelle que soit la couleur de la roche brute. Cette observation est particulière-ment probante dans le cas de l’obsidienne, une roche dépourvue de minéraux mais

riche en silice, très sombre à l’état massif et devenant très claire une fois réduite en poudre.

« Les photographies réalisées... pourraient ...

aider à l’identification des roches... »

Un algorithme correcteur d’imageMalgré ces résultats encourageants, l’identi-fication d’une roche à partir d’une photogra-phie de sa poudre reste incertaine. En effet, s’il est possible de différencier des poudres sur une même photo, il est très difficile de les différencier sur des clichés pris séparément, dans des conditions d’éclairage pouvant varier. Pour s’affranchir de ce problème, il était nécessaire de travailler sur le traite-ment des images afin d’obtenir des couleurs « absolues », propres à chaque poudre.

Les différentes poudres de roches volcaniques utilisées pour l’étude.

Des chercheurs du laboratoire Mathéma-tiques - Analyse, Probabilités, Modélisa-tion – Orléans (MAPMO) spécialisés dans le traitement de l’image ont ainsi rejoint le projet Caliphoto. Les appareils numériques grand public disposent généralement d’algo-rithmes complexes permettant de conver-tir le signal brut collecté par le détecteur en une image flatteuse pour l’œil humain. La contrainte avec ces algorithmes, c’est qu’il est impossible de retrouver l’informa-tion brute à partir de la photographie trai-tée. Les études se sont donc poursuivies au LPC2E, sur un banc de test équipé d’un détecteur commercial Foveon® identique à celui de CLUPI et permettant d’accéder au signal brut. De multiples photographies des poudres ont été réalisées dans différentes conditions de prise de vue (peu de lumière, différents éclairages...) en ayant pris soin au préalable de placer une mire de référence dans le champ de l’image.

« Les premiers résultats affichent un taux de reconnaissance très

satisfaisant.»À l’aide d’un algorithme basé sur un modèle mathématique, les images ont alors été corrigées de façon à ce que la mire d’étalon-nage soit la même dans toutes les photos prises par le détecteur. Pour chaque poudre, un histogramme de couleurs « absolues » indépendant des conditions de prises de vue a ainsi été obtenu. L’ensemble de ces couleurs a été compilé au sein d’une base de données pour permettre l’identification des roches à partir de nouvelles photographies. Les premiers résultats affichent un taux de reconnaissance très satisfaisant. Les photo-graphies réalisées par CLUPI pourraient donc aider à l’identification des roches forées sur

Mars. Ces données, ainsi que les roches utili-sées, seront ajoutées à l’ISAR**, la collection de roches analogues dédiée au test et à la calibration d’instruments spatiaux hébergée à Orléans.

Des atouts sur Terre aussiLe champ d’application du projet Caliphoto dépasse largement le cadre de l’exploration de Mars. Les matériaux naturels et indus-triels présentent parfois des changements de couleur lorsqu’ils sont soumis à des condi-tions extrêmes ou qu’ils sont altérés : chan-gement de couleur du blanc vers le bleu du dioxyde de thorium (ThO2) endommagé par irradiation, couleur de la surface des coulées de lave dépendant des conditions de forma-tion et de vieillissement (hautes tempéra-tures, environnement acide…), changement de couleur des matériaux soumis à des températures extrêmes (olivine verte deve-nant rouge après un traitement à très haute température).

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Oxyde de tellure, des matériaux au service de la lumière

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LUMIÈRE ! LUMIÈRE !

Des matériaux vitreux ou vitrocéramiques à base d’oxyde de tellure sont élaborés au sein du laboratoire SPCTS (Science des Procédés Céramiques et de Traitements de Surface – UMR 7315/CNRS-Université de Limoges-ENSCI) pour diverses applications dans les domaines de la photonique et des télécommunications depuis de nombreuses années.

Ces matériaux trouvent leurs applications pour guider ou encore générer de la lumière lorsqu’ils sont sous formes de fibres optiques ou de nouvelles sources laser dédiées pour l’optique intégrée. Mais la lumière s’avère être également un outil indispensable pour caractériser l’organisation intime de cette matière désordonnée et nous aider ainsi à comprendre les liens qui existent entre propriétés exceptionnelles et ordre à courte et moyenne distances.

Une des thématiques de recherche du labo-ratoire SPCTS porte donc sur la synthèse, la caractérisation et la modélisation des propriétés de matériaux tellurites (riche en TeO2). Cette activité couvre un large domaine d’expertise allant de la fabrication des objets jusqu’à la démonstration même des appli-cations visées, en passant par les mesures expérimentales des propriétés optiques et par les caractérisations structurales néces-saires à la compréhension de l’organisation de la matière. À tout cela s’ajoutent les

approches théoriques qui ont pour but de modéliser la structure et simuler les proprié-tés physiques (notamment optique) des matériaux, de manière à essayer de prédire quels seraient les systèmes chimiques les plus pertinents.Par rapport aux matériaux silicates (à base de SiO2) couramment employés, les maté-riaux tellurites présentent de multiples inté-rêts : une meilleure transmission optique dans l’infrarouge (utilisations pour la vision nocturne, la détection de sources de chaleur, etc...), une meilleure solubilité des ions de terres rares (qualité nécessaire pour les applications laser), et surtout des propriétés optiques non linéaires de deuxième et troisième ordres excep-tionnelles parmi les matériaux oxydes. Ces propriétés sont qualifiées ainsi car elles sortent du cadre de l’optique linéaire « classique ». L’effet Kerr optique,

l’effet Raman stimulé ou encore les phéno-mènes de génération de seconde (absente dans les verres et éventuellement existante dans les vitrocéramiques) et de troisième (toujours présente) harmoniques illustrent ces propriétés.

Poudre de roche (trachy-basalte) et mire de calibra-tion ColorChecker®. Chaque pixel de l’image est associé à une valeur R, G et B. L’ensemble des valeurs sur un canal forme un histogramme propre à chaque poudre (ici canal R).

Les matériaux peuvent changer de couleur lorsqu’ils sont soumis à des conditions extrêmes ou qu’ils sont altérés.

De haut en bas et de gauche à droite : dioxyde de thorium avant et après irradiation, coulée de lave au Piton de la Fournaise en 2004 puis en 2007, et olivine avant et après traitement thermique à 1200°C.

L’information extraite d’une photogra-phie couleur calibrée pourrait donc servir de caractérisation préliminaire en milieu hostile avant d’y exposer des instruments plus onéreux, ou bien même des hommes. C’est en tout cas l’intérêt qu’y voit le CEMHTI, spécialiste de l’étude des matériaux en conditions extrêmes dans des milieux natu-rels ou industriels, tels que des volcans ou des zones irradiées.Par excellence, une instrumentation de terrain doit être compacte, robuste et bon marché. Compacte pour être transportée aisément au plus près de la cible, robuste pour fonctionner correctement dans des milieux intenses, et bon marché car un envi-ronnement extrême et dynamique présente une part d’imprévisibilité pouvant conduire à l’endommagement du matériel.

Évidemment, il existe des instruments scien-tifiques très efficaces exploitant les phéno-mènes d’interaction entre la lumière et la matière, mais ceux-ci sont souvent chers et parfois peu portables. Même si l’informa-tion colorimétrique obtenue par un appareil photo reste moins précise, l’aspect compact donne la possibilité de transporter l’appa-reil sur des robots pilotés à distance, tels que des drônes radio-commandés. Avec le faible coût de certains modèles on peut même envisager d’aller au plus près de la cible, dans les conditions les plus extrêmes, quitte à sacrifier l’instrument. Au final, le projet CaliPhoto pourrait trouver des appli-cations dans de nombreux domaines, de la conquête de Mars à l’étude d’environne-ments hostiles terrestres.

Frances WESTALL < CBM Coprincipal investigator de l’instrument [email protected]

Frédéric FOUCHER < CBM [email protected]

Guillaume GUIMBRETIÈRE < [email protected]

Nicolas BOST < CEMHTI [email protected]

Philippe MARTIN < LPC2E [email protected]

Étienne MARCEAU < [email protected]

Aurélie COURTOIS < [email protected]

http://cbm.cnrs-orleans.fr

http://www.cemhti.cnrs-orleans.fr

http://lpce.cnrs-orleans.fr

http://www.isto.cnrs-orleans.fr

http://www.univ-orleans.fr/MAPMO/

** www.isar.cnrs-orleans.fr

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Charlemagne, Rabelais, Montaigne : des couleurs et des écrits en lumière

153v, détail, Evangiles de St Riquier, Abbeville BM.

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LUMIÈRE ! LUMIÈRE !

À l’aide de chaînes d’analyses spectrométriques totalement non destructives et mises en œuvre in situ, les chercheurs de l’Institut de Recherche sur les Archéomatériaux (IRAMAT-CEB UMR 5060 du CNRS) et de l’Insti-tut de Recherche sur l’Histoire des Textes (IRHT-CNRS), étudient les matériaux de l ‘écrit et des décors dans les manuscrits anciens. Il est ainsi possible de préciser la nature organique ou minérale des pigments et les compo-sés polymoléculaires porteurs de la couleur dans les matériaux employés par les enlumineurs ou apporter des précisions sur les encres utilisées par les copistes ou écrivains humanistes.

Le renouveau des manuscrits pourprésDe récentes investigations ont porté sur un ensemble de manuscrits d’apparat datant de l’époque carolingienne : trois manus-crits issus des ateliers de l’école de la cour de Charlemagne et représentatifs de deux tendances stylistiques différentes, l’Évangé-liaire de Godescalc (781-783, BnF Paris), les Évangiles de Saint-Riquier (avant 800, BM

Abbeville) et les Évangiles du Couronnement (790-810, KHM Vienne). Tous trois ont été exécutés pour le souverain ou son entou-rage proche. Des caractéristiques leur sont communes : ils sont luxueusement écrits à l’encre d’or et/ou d’argent sur du parche-min pourpré et sont pourvus d’une somp-

tueuse décoration ornementale et figurée. Couleur officielle exclusivement réservée aux empereurs dans l’Antiquité à partir du règne de Néron, la pourpre revêt ici une double connotation symbolique, à la fois impériale et chrétienne. Son utilisation dans un groupe de manuscrits de même origine,

Un savant mélangeL’élaboration des verres tellurites repose sur la fusion en creuset (or ou platine) à relative-ment haute température (800 – 900°C) d’un mélange intime de poudres, suivie d’une trempe thermique (refroidissement brutal). Le verre obtenu est ensuite recuit pour l’ai-der à relâcher les contraintes mécaniques internes induites par cette trempe sévère.

Les vitrocéramiques quant à elles, peuvent être décrites comme étant constituées de cristaux dispersés au sein d’une matrice vitreuse. Les vitrocéramiques sont notam-ment bien connues pour leur utilisation comme plaques de cuisson, mais on leur trouve également des applications de pointe pour des miroirs géants de télescopes.

« La lumière... joue un rôle considérable dans l’étude

de ces matériaux...»Une vitrocéramique est traditionnellement obtenue via la dévitrification contrôlée d’un verre subissant des traitements thermiques appropriés en température et en temps appropriés avec une maîtrise des étapes de germination et de croissance des cristaux.Parmi les activités des chercheurs sur ces matériaux visant des applications optiques, l’obtention de vitrocéramiques transpa-rentes apparaît comme un réel challenge.

D’autres voies moins traditionnelles sont aussi explorées pour fabriquer des vitro-céramiques : celles impliquant des agents nucléants (nanoparticules d’or dispersées au sein du verre facilitant la cristallisation), celles « composites » (dispersion de cristaux directement dans le mélange en fusion) ou encore des voies non conventionnelles faisant appel à des techniques de mise en forme et de densification sophistiquées (frit-tage flash).

Comprendre et définir les structuresL’intérêt de ces matériaux pour les excep-tionnelles propriétés optiques dont ils sont la source n’est plus à démontrer. La lumière qu’ils transportent, transforment ou captent, joue un rôle considérable dans l’étude de ces matériaux vitreux ou vitrocé-ramiques. Une étape préliminaire et cruciale au SPCTS, consiste à utiliser la lumière pour caractériser leur structure. Il est maintenant clairement établi, en corrélation avec les approches théoriques menées au laboratoire que la présence de chaînes d’atomes du type Te-O-Te… au sein de ces matériaux est à l’ori-gine des propriétés optiques non linéaires de troisième ordre. Une étude systématique de l’organisation à courte et moyenne distances est réalisée par spectroscopie vibrationnelle de manière à pouvoir relier cette organisa-tion structurale aux propriétés physiques et optiques mesurées. Cette approche néces-

site une connaissance approfondie de la cristallochimie de ces matériaux. Particuliè-rement pour les matériaux vitrocéramiques, un système d’imagerie Raman 3D s’avère être un outil très puissant qui permet de contrôler la répartition des cristaux dans la matrice vitreuse, d’un point de vue spatial et morphologique, et ainsi d’optimiser les paramètres de germination-croissance.

Des propriétés spécifiques pour des usages particuliersMesurer les propriétés optiques non linéaires de deuxième et troisième ordres de ces matériaux tellurites constitue évidem-ment une des priorités des chercheurs et des ingénieur(e)s. Des bancs optiques dédiés spécifiquement pour ces mesures ont donc été développés au laboratoire. Les travaux actuels se concentrent sur l’utilisation concrète et l’intégration de ces matériaux dont on peut citer deux exemples précis : - l’étirage de nouvelles fibres optiques vitreuses et vitrocéramiques à partir de préformes de ces matériaux. Les applica-tions visées concernent le guidage de la lumière mais aussi l’amplification de signaux optiques par effet Raman ou encore la géné-ration de supercontinuum (équivalent à une source de lumière cohérente large spectre) par effets non linéaires.- la fabrication récente de nouvelles sources laser de dimensions millimétriques en insé-rant des ions de terres rares au sein de

Cartographie Raman 3D (vitrocéramique : cristallisation de la variété TeO2 gamma dans une matrice vitreuse TeO2-WO3).

matrices vitreuses. L’obtention d’une émis-sion laser monomode, en régimes continu ou pulsé, se fait dans le proche infrarouge, autour d’une longueur d’onde de 1065 nm.

Le couplage de telles sources laser minia-tures avec des fibres optiques hautement non linéaires pourra ainsi trouver diverses applications concrètes : la naissance de nouveaux types de lasers blancs ou l’émer-gence d’une génération de dispositifs fibrés destinés à un usage médical pour le diagnos-

tic cellulaire précoce et non invasif (détec-tion de cellule tumorale notamment).

Maggy COLAS < [email protected]

Jean-René DUCLERE < [email protected]

Philippe THOMAS < [email protected]

http://www.unilim.fr/spcts/

Collaborations scientifiques impliquées dans cette thématique : Les recherches de SPCTS se font en collaboration avec XLIM (UMR 7252), le Laboratoire Interdisciplinaire Carnot de Bourgogne (UMR 6303), l’Institut de Chimie de la Matière Condensée de Bordeaux (UPR 9048), l’Institut NITECH de Nagoya (Japon) et l’Institut des silicates de Saint-Pétersbourg (Russie).

Illustration d’un verre tellurite dopé Nd3+ servant à la réalisation d’une cavité laser de dimensions réduites, et mise en évidence de l’émission laser associée.

àà

à

AR : couche anti reflet - Rmax : réflexion maximale - R : réflexion

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LUMIÈRE ! LUMIÈRE !

contenant des textes sacrés et destinés à un futur empereur ou à son entourage, reflète les intentions du souverain carolingien de se poser en héritier des empereurs romains, tout en évoquant la Passion du Christ.

La pourpre et ses imitationsL’un des objectifs de l’étude de l’IRAMAT était d’identifier le ou les matériaux ayant servi à obtenir cette couleur pourpre à l’époque carolingienne, alors que la fameuse pourpre tyrienne obtenue à partir du murex était réputée introuvable en Occident. Et effectivement, les analyses ont révélé que la pourpre n’a pas été employée dans ces manuscrits prestigieux. Ce sont des colorants plus communs issus d’orseilles (lichens) et de folium (chrozo-phora tinctoria) qui ont été utilisés afin d’imiter la pourpre. Ces colorants «travail-lés» en milieu basique ou acide pouvaient varier en teintes rouge rose à rouge bleu.

« ... une approche collaborative avec

des artistes et des enlumineurs professionnels...»

Afin de mieux appréhender encore les tech-niques mises en œuvre à l’époque médié-vale, une approche collaborative avec des artistes et des enlumineurs professionnels a aussi été initiée par les scientifiques. Pour cette étude sur la couleur « pourpre », des échantillons de parchemin ont été fabriqués et colorés avec différents colorants rouges

susceptibles d’avoir été employés. Une base de données des résultats a été constituée, permettant la comparaison aux mesures précédemment faites in situ. C’est ainsi que la question de la nature du colorant ou pigment employé a pu trouver réponse

Rabelais et Montaigne : signatures et notes marginales témoinsRabelais (c.1494-1553) comme d’autres auteurs humanistes possédait des livres imprimés dont une trentaine est à ce jour connue. Il y a inscrit son ex-libris et il les annotait parfois dans les marges. Mais on y trouve aussi les traces d’autres lecteurs, si bien qu’aujourd’hui il est parfois difficile d’attribuer telle ou telle note marginale à tel ou tel auteur. Procéder à une investigation de ces notes et signatures, aidés des tech-niques non destructives, permet d’établir un inventaire des encres employées et contri-bue par la suite à mieux comprendre la chro-nologie des annotations.

La bibliothèque de Montaigne (1533-1592) est étudiée depuis quelques années par les chercheurs du Centre d’Etudes supérieures de la Renaissance. A ce jour une centaines d’ouvrages s’y trouve répertoriée. Parmi la production de l’écrivain, l’un des premiers exemplaires imprimés du célèbre ouvrage des Essais est conservé à la bibliothèque municipale de Bordeaux et en consti-tue l’un des « trésors ». Il représente le dernier état du travail d’écriture des Essais, toujours remis sur le métier. De ce fait, de nombreuses questions liées à la présence d’inscriptions manuscrites au fil des pages

se posent aux chercheurs, auxquelles l’œil ne peut pas répondre. La mise en œuvre d’outils spécifiques réoriente ces recherches tout d’abord vers des données physiques.

Comme en témoigne le folio 42 verso, Montaigne a enrichi l’Exemplaire de Bordeaux de ses notes marginales. Dans la marge externe, la main de Marie de Gournay* apparaît à côté de celle de Montaigne sans qu’il soit possible de savoir à quelle date ou période cet ajout a été fait. Grâce à de récentes analyses, il est mainte-nant certain qu’ils ont utilisé la même encre, ce qui laisse supposer un travail conjoint plutôt que successif, ou à plusieurs années de distance.D’autres analyses répétées sur diffé-

rents ouvrages de Montaigne conservés à Bordeaux, ont permis aux chercheurs de définir plusieurs groupes d’encres aux carac-téristiques proches : cela revisite la façon de comprendre la constitution de la biblio-thèque de Montaigne à travers une certaine chronologie.

Lumière et analysesLa lumière est composée de rayonnements électromagnétiques de longueur d’ondes données se matérialisant par des couleurs différentes. Pour bien s’en rendre compte, il suffit d’apercevoir un arc en ciel, résultat de la décomposition de la lumière à travers les gouttes d’eau qui font effet de prisme.

Les couleurs observées dans les manuscrits sont le résultat de l’absorption d’une partie de la lumière du jour dans la couche colo-rée et de la réflexion du reste seulement composé de rayons de la couleur observée.

De ce fait, en éclairant une surface colorée à l’aide d’une source lumineuse blanche, les chercheurs peuvent analyser la lumière réfléchie grâce à un système adapté. Selon les matériaux employés, les courbes spectrales obtenues seront diffé-rentes et permettront de caractériser les différentes couleurs.

Ainsi, en mesurant la surface bleue d’une enluminure et en la comparant à une mesure d’un bleu de référence connu, les physiciens peuvent préciser la nature du ou des matériaux employés pour cette couleur. Ce type d’expérience a, par exemple, révélé sur une première représentation, en occi-dent médiéval, symbolique d’une fontaine de vie (781-783), que la couleur du plumage des paons est réalisée à l’aide de bleu égyp-tien, matériau extrêmement rare à ce jour, détecté dans seulement trois manuscrits.

À partir des courbes d’absorption en réflexion diffuse, des données colorimé-triques dans différents systèmes qui ont été définis par la Commission Internatio-nale de l’Eclairage, peuvent être obtenues complétant l’analyse. Lorsque des couleurs sont proches, il devient ainsi possible de les

comparer de façon plus fine qu’avec la seule analyse de l’œil humain.

Patricia ROGER PUYO < [email protected]

Marie-Elisabeth BOUTROUE < [email protected]

Evelien CHAYES < [email protected]

Olivier PÉDEFLOUS < [email protected]

www.iramat-ceb.cnrs-orleans.fr/spip/

Ces travaux sont financés par le CNRS (ANR MONLOE Montaigne à l’œuvre) et la région Centre (RABLISSIME), dirigés et coordonnés par le CESR et l’IRHT avec le soutien de l’équipex Biblissima et du consortium Corpus Cahier, ainsi que par la MSH val de Loire.

*Marie de Gournay (1565-1645) : une femme de lettres française et « fille d’alliance » de Michel de Montaigne ; elle prend soin d’une édition posthume des Essais, qui incorpore les corrections et «allongeails» manuscrits de l’Exemplaire de Bordeaux.

Ci-dessus : « des échantillons de parchemin ont été fabriqués et colorés avec différents colorants rouges susceptibles d’avoir été employés afin de constituer une base de données »

À gauche : Analyses in situ par spectrométrie de fluorescence X sur les évangiles de St Riquier, manuscrit pourpré carolingien conservé à Abbeville.

Évangéliaire de Charlemagne, Nal 1203, BnF, f3v et détails des têtes des paons bleus.

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expérience à l’aide d’un capteur spécifique, on dispose d’une mesure plus précise, par exemple, quantifiée en code rouge/vert /bleu, il sera plus judicieux, afin d’exploiter la richesse de l’information acquise, de traiter la grandeur comme une variable numérique quantitative. Le besoin de mathématiques demeure afin de choisir une représentation adéquate de l’information afin de la traiter et de la visualiser : graphes, modèles et algo-rithmes aléatoires, analyse matricielle, opti-misation et même topologie et géométrie !

Un travail tout en finesseUn des aspects des données massives réside dans la quantité très importante de gran-deurs mesurées. Une autre de leurs spécifi-cités réside dans le croisement de données de sources diverses, hétérogènes. Elles doivent être considérées conjointement. Un exemple de taille relativement restreinte : les données issues des biopuces. Cette tech-nologie permet de mesurer simultanément un niveau d’expression de nombreux gènes à travers les molécules d’ARN produites. La question du biologiste est de distinguer les gènes sous/surexprimés en fonction de conditions expérimentales différentes dans lesquelles sont placées les cellules. Le statis-ticien doit relever deux défis :- travailler avec un grand nombre de variables quantitatives, typiquement ici de l’ordre du millier ;- ne pas résumer des groupes à des moyennes dont on peut considérer l’écart mais différencier des gènes dont le compor-tement est déviant par rapport au groupe.

En moyennant trop brusquement, les finesses nécessaires pour répondre au biolo-giste sont perdues. La nécessité est alors

de disposer de modèles aléatoires plus précis, qui prennent en compte une plus grande hétérogénéité dans les données. Une manière abstraite de représenter le résultat d’une telle expérience est de consi-dérer que les valeurs mesurées pour chaque gène correspondent à des coordonnées. Chaque cellule est alors représentée par un point dans un espace mathématique de très grande dimension. Une difficulté s’impose au statisticien : les espaces de grande dimen-sion ont des propriétés mathématiques très différentes de l’espace à deux ou trois dimensions auxquels chacun est habitué. En particulier, la notion de localité, de voisi-nage, devient inadaptée pour répondre à ce type de questions. Le nombre de cellules qui constitue ce nuage de points est par ailleurs faible au regard de la très grande dimension.

De nouvelles approximations sont néces-saires, où l’on ne fait plus seulement augmenter la taille de l’échantillon pour améliorer la finesse de l’analyse. L’exemple des biopuces relève d’un cadre expérimental bien défini et pensé au préa-lable. L’approche big data consiste cepen-dant à croiser des données préexistantes sans plan d’expérience statistique réfléchi et sans avoir défini les questions auxquelles on souhaite répondre. Les informaticiens et spécialistes de la fouille des données voient ainsi également leurs méthodes mises à l’épreuve. Les techniques d’apprentissage automatique qu’ils déploient apportent des réponses. La société américaine Oracle, leader mondial des bases de données,

estime que les données non-structurées représentent 80 % des données.

Les données massives présentent de nombreuses particularités qui rendent leur exploitation très limitée avec les outils tradi-tionnels de l’analyse de données. Hors des sentiers traditionnels, les écueils possibles sont nombreux. Le risque est grand de tirer des conclusions et d’établir des liens de causalité à partir de manipulations kabbalis-tiques fortuites de nombres.

La « science des données » étend les champs d’exploration de la statistique largement au-delà de la discipline mathématique vers les domaines applicatifs et d’autres sciences fondamentales, comme l’informatique. Le rôle d’interface de la statistique est renforcé. Ce nouveau champ d’activités confirme les besoins en termes de représentation de l’in-formation, de quantification, de nouvelles approximations, de modèles qui tiennent compte d’une plus grande hétérogénéité. De belles perspectives s’offrent alors aux futur(e)s) mathématicien-s/-nes.

Pierre-Yves LOUIS < [email protected]

http://rech-math.sp2mi.univ-poitiers.fr

*Le Cabinet McKinsey conseille les directions générales de grandes entreprises françaises et internationales, ainsi que celles d’institutions publiques et d’organisations à but non lucratif. Il a publié en 2011 une étude sur l’impact du numérique : Big data: the next frontier for innovation, competition, and productivity.

La période actuelle avec son déferlement de données peut-elle être qualifiée de révolution numérique ? Seul le recul historique le déterminera. De profondes mutations sont cependant déjà en cours. Les statisticiens sont en première ligne.

D’incroyables quantités de nombres jouent dorénavant un rôle décisif dans des domaines techniques, sociétaux et écono-miques variés. Des mutations culturelles sont engagées. La statistique, science des données, voit sa position de connaissance élémentaire renforcée. L’urgence d’une numératie, à l’instar de l’alphabétisation, est régulièrement soulignée par les spécialistes.

L’utilisation de nouvelles technologies et de l’outil informatique génère énormément de données. La quantité produite est d’un ordre de grandeur sans précédent. La production en 2015 devrait être de l’ordre de 5.600 milliards de GB, le double de 2012. La variété des données, ainsi que leur modification très rapide dans le temps posent de nouvelles questions : acquisition, stockage, traite-ment, mais également information utile extraite, décisions en conséquence, régle-mentation et respect de la vie privée et du citoyen, accès libre aux données publiques (open data).

Dès 2014, le gouvernement français a été le premier au monde à nommer un administra-teur général des données, comme les entre-prises se dotent de directeur des données/Chief Data Officer (CDO).

La terminologie de big data, données massives ou mégadonnées est sur toutes les lèvres depuis le rapport McKinsey*. Elle porte des espoirs de croissance écono-mique. Comme une matière première, les données seraient le pétrole du XXIème siècle.

« Il ne s’agit pas uniquement de manipuler

des nombres...»

De nouveaux horizons statistiquesLa science des données est en fait la statis-tique du 21ème siècle, portée sur de nouveaux champs d’exploration et de défis. Dans ces ordres de grandeur inédits, l’acquisition, le stockage, la sécurisation, la recherche, le partage, l’analyse et la visualisation des données doivent être redéfinis. La statis-tique s’est développée et structurée autour de méthodes mathématiques utilisées pour raffiner la matière brute que constituent les données. Ainsi, classiquement, quand une grandeur mesurée ne prend que des valeurs numériques, elle est dite quantitative.

Des fonctions mathématiques (appliquées aux données), des « statistiques », peuvent synthétiser l’information observée. Une valeur « centrale » est par exemple obte-nue grâce à la moyenne usuelle qui possède des propriétés utiles à de nombreuses généralisations. L’écart-type est un indica-teur possible pour quantifier et estimer la manière dont les différentes mesures se dispersent autour de cette valeur moyenne. Une grandeur dite catégorielle qui ne prend que des valeurs qualitatives, comme, par exemple, le sexe d’une personne, ne peut être résumée par une moyenne numérique. Une solution pour représenter l’informa-tion consiste à travailler avec les propor-tions d’hommes et de femmes observées dans les mesures. On est alors ramené à des nombres compris entre 0 et 1 et dont la somme vaut 1.

Il ne s’agit pas uniquement de manipuler des nombres, au-delà des stricts aspects mathé-matiques, il faut tenir compte du contexte dans lequel les mesures sont obtenues. Et ce contexte implique des choix en termes d’objets mathématiques retenus pour repré-senter l’information. Ainsi la couleur des yeux peut-elle être modélisée grâce à une variable qualitative par quelques couleurs courantes. Si toutefois, dans le cadre d’une

La statistique à l’ère des « big data »

Microscoop, le magazine de la délégation CNRS Centre Limousin Poitou-Charentes - HS 2015- Octobre 2015Microscoop, le magazine de la délégation CNRS Centre Limousin Poitou-Charentes - HS 2015- Octobre 2015

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Mathématiques Mathématiques

Mathématiques et statistique

Informatique

Expertise du domaine d’application

Traitementdes données

Sciencesdes

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Apprentissageautomatique

Statistiquesappliquées

Qu’est ce que la science des données ? (data science)

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Paléontologie Paléontologie

« Un atelier spatio-temporel... idéal... pour tester des hypothèses

évolutives. »Une attention particulière a été portée sur le bison. Alors que sa morphologie dentaire soutient une alimentation riche en graminées, certaines études écologiques avancent le contraire. L’analyse des dents sur les crânes des bisons des collections de l’Ins-titut de Recherches sur les Mammifères de Białowieża désigne également une propor-tion assez modeste des graminées. L’étude montre néanmoins qu’au cours de l’hiver les individus sortant de la forêt ingèrent beaucoup plus de graminées. Ces résultats corroborent les données sur les bisons de la période holocène concluant que la forêt n’était et n’est probablement pas l’habi-tat préféré du bison européen. De telles données sont essentielles aux biologistes de la conservation pour proposer des politiques d’aménagement des corridors favorisant les dispersions entre les dernières populations de bisons européens dans l’Est de l’Europe.

De l’Europe à l’Afrique La vallée de l’Omo en Éthiopie est exception-nelle pour les paléontologues. Les fossiles y abondent, incluant ceux de nombreux homi-ninés. Cette vallée est un lieu unique pour comprendre l’histoire évolutive de notre espèce. Le registre fossile a ceci d’excep-tionnel qu’ une datation radiochronologique peut y être faite grâce aux très nombreux niveaux de cendres volcaniques. Un atelier spatio-temporel contraint idéal s’offre aux scientifiques pour tester des hypothèses évolutives.

TRIDENT ambitionne de vérifier d’une part l’impact d’un sévère épisode global d’aridifi-cation entre 2 et 2,5 Ma sur la composition de la végétation (des prairies à graminées ou des zones buissonnantes) et d’autre part de tester la possible corrélation entre les phases d’ouverture des paysages avec l’émergence des genres Paranthropus et Homo. Les reconstitutions des régimes alimentaires des différentes antilopes entre 4 et 1 Ma vont permettre d’évaluer les densités des strates arborée et buissonnante d’une part et de la strate herbacée d’autre part. Un premier groupe d’antilopes a été privilégié : les tragélaphes. Leurs représentants actuels,

définis plutôt comme des mangeurs mixtes, se nourrissent d’herbes ou de buissons. Les modèles établis sur les brebis du Limousin vont permettre d’identifier la source prin-cipale de nourriture (feuillages tendres ou graminées) de ces tragélaphes du Plio-pléis-tocène de la Corne de l’Afrique. D’autres antilopes en cours d’étude aux habitudes alimentaires supposées différentes vont compléter cette étude.

Au delà de l’alimentation de ces antilopes, c’est une évaluation de la végétation qui va alors être proposée, essentielle à la compré-hension de l’évolution des homininés dans un contexte environnemental déjà soumis aux changements globaux du climat.

Gildas MERCERON < [email protected]

http://iphep.labo.univ-poitiers.fr/

*Les agronomes du projet TRIDENT sont issus de la Ferme expérimentale du Mourier (Haute-Vienne) dépendant de l’Institut de l’Elevage qui héberge le CIIRPO (Centre Interrégional d’Information et de Recherche en Production Ovine).

**La tribologie est la science de l’usure, spécialité de l’Institut Pprime (UPR CNRS 3346), partenaire du projet.

***Les paléontologues sont de l’Institut international de paléoprimatologie, paléontologie humaine : évolution et paléoenvironnements (IPHEP- IPHEP UMR 7262, CNRS/ Université de Poitiers).

La prise d'empreinte avec des silicones de haute précision sur les facettes coupantes (surligné en rouge) des molaires permet avec un profilomètre surfacique de capturer la surface en 3D à des résolutions proches du dixième de micromètre. Selon la nature phy-sique des aliments consommés, les textures de surface diffèrent.

De bas en haut, sont illustrées les textures des micro-usures dentaires de ruminants qui ont consommé : 1 des graminées, 2 des feuillages tendres, 3 des

fruits en abondance, 4 et de bulbes et tubercules.

L’identification du régime alimentaire d’une espèce animale est essentielle pour appréhender son mode de vie. La plupart des organes internes et le contenu stomacal sont très rarement préservés dans le registre fossile. Ce sont donc les dents, premiers éléments du système digestif qui renseignent l’alimentation de l’espèce disparue.

La morphologie externe et la structure interne particulièrement bien conservées des dents (grâce à une très forte minérali-sation des tissus), constituent des indica-teurs de ce qu’un animal consommait. Chez les ruminants, les différentes hauteurs de couronne des molaires trahissent des préfé-rences alimentaires contrastées. Les inter-prétations fonctionnelles des caractères dentaires ont d’importantes implications. En effet, sur la base de catégorisations alimen-taires, les paléontologues reconstituent les environnements du passé, tout particulière-ment pour les mammifères herbivores (à la base de la chaîne alimentaire).

Il y a cependant un talon d’Achille à cette approche : la dent reflète ce que l’animal a la capacité de manger et non ce qu’il a effectivement consommé. Les variations des ressources disponibles selon les saisons ou d’une année sur l’autre orientent consi-dérablement les choix alimentaires. Des outils indépendants de la morphologie et de la structure dentaire, comme les analyses texturales des micro-usures dentaires, sont alors nécessaires. Le projet transdisciplinaire TRIDENT (ANR) regroupe les compétences d’agronomes*, de tribologues** et de paléontologues*** avec pour but d’explorer l’écologie des mammifères herbivores. Ils élaborent des modèles de reconstitutions alimentaires en combinant des analyses automatiques de la texture des micro-usures dentaires avec un ambitieux jeu de données

issu d’une expérimentation d’alimentation contrôlée sur des brebis.

Les analyses texturales des micro-usures dentairesLorsqu’un mammifère prélève les aliments dont il se nourrit, il le fait avec les incisives, canines ou prémolaires. Mais une fois dans la cavité buccale, ce sont les molaires qui vont alors couper ou broyer les aliments afin d’en extraire un maximum d’énergie une fois ingérés. Lors de la mastication, les molaires entrent en occlusion et s’usent mutuelle-ment. Mais une part importante de l’usure (abrasion) dentaire résulte des frottements avec les aliments. Les analyses texturales de la micro-usure sont réalisées sur la surface d’émail des facettes des molaires via l’utilisa-tion d’outils analytiques déjà existants asso-ciés à des approches innovantes dévelop-pées par les tribologues. En fonction de la nature des aliments consommés, l’abrasion est plus ou moins importante mais égale-ment différente à l’échelle micrométrique.

Ainsi, la consommation stricte de feuil-lages (tendres) génère peu d’abrasion alors que les fruits (certains ayant une enve-loppe coriace), les graines (souvent dures), les graminées (abrasives de par leur forte teneur en phytolithes de silice) ou encore les bulbes et tubercules (souvent durs et riches en particules terrigènes) vont générer des textures d’abrasion contrastées.

Une mission écologiqueL’expérimentation d’alimentation contrôlée a été réalisée sur 180 brebis. Ont été testées des proportions variées d’herbacées comme les graminées (résistantes et riches en silice) et le trèfle (tendres et pauvres en silice), ou encore des grains d’orge, de maïs ou des châtaignes. La présence de fins dépôts éoliens sur la végétation de zones arides et semi-arides a également été simulée pour tester leur rôle. Le suivi des compositions alimentaires quotidienne et individuelle couplées à des analyses texturales des micro-usures génèrent des modèles permet-tant alors d’explorer l’écologie alimentaire des mammifères, qu’ils soient actuels ou fossiles.

Le projet TRIDENT a aussi pour vocation d’explorer l’écologie de communautés de mammifères actuels afin de calibrer les modèles établis à partir de l’expérimen-tation. Dans cette perspective, la forêt de Białowieża (entre Biélorussie et Pologne) est un écosystème unique en Europe car c’est le seul massif préservé d’activité anthropique où trois espèces de cervidé (cerfs élaphes, chevreuils, et élans) cohabitent avec les derniers bisons européens. Cette commu-nauté d’ongulés fournit ici aux paléontolo-gues un cas d’étude exceptionnel car une telle cohabitation est typique des périodes pléistocènes en Europe.

Des brebis limousines aux antilopes fossiles de l’Omo©

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Un des lots de brebis en bergerie

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À gauche : l’expérimentation des brebis avec alimentation contrôlée permet d’associer les régimes alimentaires à la texture de la surface de l’émail des molaires permettant ainsi de discriminer ces différentes textures. Dans un second temps, le matériel fossile est intégré au mo-dèle et permet d’inférer un régime alimentaire pour l’espèce fossile.

Les couches de sédiments de la vallée de l’Omo renfermant les fossiles d’antilopes.

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Les acariens phytophages vivent à la surface des feuilles des plantes. La température de ces surfaces peut être hétérogène, comme le montre cette image prise en caméra thermique à gauche ; le jeu de couleur montre la gamme de température, du bleu (froid) au rouge puis blanc (chaud). Les acariens se déplacent à la surface des feuille pour thermoréguler.

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Les fourmis du genre Cataglyphis sont actives la journée dans les milieux désertiques. Leur résistance aux températures élevées leur permet d’éviter la compétition avec d’autres espèces de fourmis qui sont actives la nuit. Cette particularité influence directement la distribution géographique de ces fourmis.

Photographie thermique d’une femelle du moustique anophèle en train de s’alimenter sur une personne. La gout-telette de fluide bleue (froid) au bout du corps et la variation de couleur entre la tête et l’abdomen de l’insecte illustrent le comportement de thermorégulation. Sur la peau, d’autres gouttes de fluide ont été éjectées préalablement. ©

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Biologie Biologie

La température du microclimat des insectesLes insectes peuvent utiliser les microclimats pour thermoréguler. Les conditions microcli-matiques sont parfois très différentes des conditions atmosphériques. Les chercheurs de l’IRBI étudient l’environnement ther-mique tel qu’il est perçu par les insectes comme les pucerons et les acariens à la surface des feuilles des plantes. La surface des végétaux peut prendre une tempéra-ture bien différente de la température de l’air ambiant. Par exemple, les feuilles du pommier exposées au soleil peuvent être 6°C plus chaudes que celles ombragées. La température de surface peut même varier fortement au sein d’une seule et même feuille. Des travaux récents montrent que la microtopographie de la surface foliaire peut générer des différences de l’ordre de 10°C entre deux zones de la feuille.

« Les insectes se développent d’autant

plus vite lorsque la température augmente...»

Comment les insectes et les arthropodes (comme les acariens) se comportent-ils dans un environnement aussi hétérogène ? Les insectes se développent d’autant plus vite lorsque la température augmente, mais jusqu’à un certain seuil à partir duquel leur développement est ralenti puis stoppé à température élevée. Les acariens se préoc-cupent de l’hétérogénéité des tempéra-tures à la surface des feuilles pour maximi-ser leur développement, en se déplaçant

de quelques centimètres pour trouver leur température optimale. En revanche, le réchauffement a tendance à homogénéi-ser la température de surface des feuilles, si bien que les acariens n’ont plus vraiment de choix possible. Ils ne peuvent qu’attendre des conditions meilleures ou bien périr. Le réchauffement peut donc limiter considé-rablement la capacité de thermorégula-tion comportementale chez les insectes en homogénéisant la diversité microclimatique.

Climat et distribution des insectesCertains milieux extrêmes abritent des insectes champions de la thermo résistance. C’est le cas des fourmis du genre Catagly-phis, habitantes d’espaces arides et déser-tiques d’Afrique du nord, d’Asie et d’Europe du Sud. Beaucoup d’espèces animales vivant dans ces milieux sont actives du crépuscule à l’aube et se réfugient dans des terriers pendant la journée. À l’inverse, il n’est pas rare de rencontrer la fourmi argentée, Cata-glyphis bombycina, courant sur les dunes du Sahara aux heures les plus chaudes lorsque la température du sable dépasse 70°C. Ce qui, du point de vue d’un humain serait un véritable exploit, est possible pour ces fourmis d’à peine plus d’1,5 cm grâce à une batterie d’adaptations physiologiques, morphologiques et comportementales.

Mais pourquoi affronter de telles tempé-ratures ? Quel bénéfice en tirer ? En étant actives durant la journée, les fourmis ther-mophiles Cataglyphis évitent la compéti-tion avec d’autres espèces moins thermo-tolérantes mais plus populeuses ou plus agressives, dont l’activité est nocturne.

De façon beaucoup plus générale, l’utili-sation de niches thermiques différentes permet la coexistence d’espèces dans un même milieu. Ainsi, la température consti-tue un des éléments les plus structurants des communautés de fourmis et de nombreux autres animaux. Elle contribue au maintien de la biodiversité locale tout en expliquant la distribution géographique des espèces.Le changement climatique actuel est trop rapide pour permettre à la sélection natu-relle de promouvoir l’évolution de nouvelles adaptations thermiques. À peine certaines espèces peuvent elles ajuster leur rythme d’activité au réchauffement planétaire.Toutefois, cet ajustement comportemental est fortement contraint par la compétition avec d’autres espèces.

Les connaissances de l’IRBI servent de base pour estimer la réponse des insectes au changement global. Restent à savoir comment les stratégies de thermorégula-tion vont évoluer au fil du changement, mais aussi quelle sera l’amplitude du réchauffe-ment réellement subie par les insectes dans leur microhabitat.

Sylvain PINCEBOURDE < IRBI [email protected]

Claudio LAZZARI < [email protected]

Raphaël BOULAY < [email protected]

www.univ-tours.fr/irbi

Les insectes et leurs adaptations à la température

La température corporelle des insectes dépend fortement de celle de l’environnement. Ils ont développé des stratégies variées pour survivre dans un microcosme souvent très fluctuant. L’étude de ces stratégies permet aujourd’hui de prédire leur réponse au changement climatique de demain.

La température est un facteur climatique primordial pour le monde du vivant. Elle influence quasiment tous les processus biologiques, depuis les enzymes et les molé-cules jusqu’à la distribution des animaux et des plantes. La température est évidem-ment très variable d’une latitude ou d’une saison à une autre. Mais elle est aussi très changeante à l’échelle d’une journée et dans le paysage, y compris sur des petites étendues (ex: un jardin) lorsque l’animal est de petite taille. Un insecte rencontre des températures très différentes en étant sur du sable chauffé au soleil, à l’ombre sur un sol mouillé, sur une feuille d’arbre, ou bien à la surface de la peau humaine.

Comprendre comment les insectes appré-hendent et gèrent ces variations de tempé-rature est primordial pour mieux expliquer leur démographie et leur distribution dans les systèmes écologiques, l’agriculture ou bien la santé humaine. L’Institut de Recherche sur la Biologie de l’Insecte (IRBI, UMR 7261 CNRS/Université François-Rabe-lais de Tours) focalise une partie de ses recherches sur les stratégies mises en place par les insectes pour gérer les fluctuations de température. Comment peuvent-ils se thermoréguler ? Comment leurs adapta-tions à la température influencent-elles leur distribution à l’échelle locale et biogéogra-phique ?

Stratégies de thermorégulation et toléranceChez la plupart des insectes, leur petite taille les rend très sensibles aux échanges de chaleur. Et pourtant certaines espèces ont la capacité de réguler partiellement leur température corporelle afin d’éviter la surchauffe ou bien pour se rapprocher de leur température optimale. Les insectes piqueurs, pour éviter de se faire écraser pendant qu’ils s’alimentent, sont obligés de prélever à chaque piqûre une quantité rela-tivement importante de sang le plus rapide-ment possible. Le sang ingéré étant norma-lement beaucoup plus chaud que l’insecte lui-même, il est soumis à un stress ther-mique considérable à chaque repas. Pour faire face à cette entrée massive de chaleur dans leur corps, ces insectes possèdent soit des systèmes élaborés de refroidissement, soit des mécanismes molécu-laires pour réparer les dégâts causés par la chaleur. Les mous-tiques anophèles vecteurs de la malaria vont éliminer un fluide

constitué d’urine et de sang fraîchement ingéré au fur et à mesure qu’ils prélèvent le fluide. Une gouttelette reste alors attachée à l’anus et suspendue dans l’air. L’évaporation de ce fluide refroidit le corps.

D’autres moustiques, comme les Aedes, vecteurs de la dengue et du Chikungunya, voient leur température corporelle augmen-ter à chaque repas sanguin, mais ils vont synthétiser dans les minutes qui suivent des protéines de choc thermique (HSP) qui vont rétablir la normalité. Des mécanismes simi-laires ont été trouvés par les chercheurs de l’IRBI dans d’autres arthropodes, montrant que la thermorégulation et la thermotolé-rance font partie des adaptations à la vie hématophage.

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« Par principe de précaution, il a été interdit la fabrication, l’importation, l’exportation et la mise sur le marché de biberons à base de BPA depuis le 30 juin 2010 en France »

Pour reconnaître la présence de Bisphénol :Sigles « PC » polycarbonates et « 7 » autres plastiques

© Source Ministère de la Santé « Recommandations aux femmes enceintes et aux parents de jeunes enfants » Novembre 2011

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Le Bisphénol A : un perturbateur au quotidien

Microscoop, le magazine de la délégation CNRS Centre Limousin Poitou-Charentes - HS 2015- Octobre 2015Microscoop, le magazine de la délégation CNRS Centre Limousin Poitou-Charentes - HS 2015- Octobre 2015

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Biologie Biologie

que l’obésité, la stéatose hépatique non alcoolique (un stockage des graisses dans le foie), l’insulinorésistance (une mauvaise régulation de la glycémie par l’insuline) et le diabète de type 2.Du fait, de la présence ubiquitaire du BPA dans l’environnement et de l’ensemble des effets suspectés sur la santé, des gestes de prévention sont à adopter au quotidien.

Principe de précaution et préventionPar principe de précaution, il a été interdit la fabrication, l’importation, l’exportation et la mise sur le marché de biberons à base de BPA depuis le 30 juin 2010 en France et depuis juin 2011 à l’échelle européenne ; ils ont été remplacées par des biberons en verre ou en polypropylène. Cette mesure a été étendue à tous les contenants alimentaires pour l’en-semble de la population depuis le 1er janvier 2015 et tout en s’assurant de produits de substitution sûrs et adaptés.

Les nourrissons, les jeunes enfants, les femmes enceintes et allaitantes sont des populations à risques ; le ministère de la santé, appliquant le principe de précaution à leur égard, a formulé les recommandations suivantes :- ne pas chauffer la vaisselle et des récipients en plastique polycarbonate (micro-ondes, bain-marie) afin de ne pas favoriser la libé-ration des molécules de BPA- ne pas verser de boissons et d’aliments très chauds dans des contenants en polycarbo-nate- limiter la consommation d’aliments en boîtes de conserves - éviter l’achat de cannettes et préférer les bouteilles en verre.

Les BPA chlorés : des impacts potentiels pour le cerveau et le foieLors du traitement de l’eau potable par le chlore, le BPA contaminant présent dans l’eau va subir une chloration, ce qui va créer des dérivés chlorés du BPA (BPA mono-, di-, tri- et tétrachlorés). Or, ces dérivés chlorés ont été détectés chez l’humain dans l’urine, le tissu adipeux mais également chez la femme dans le placenta et le lait maternel.Dans une étude chez le rat, les dérivés chlo-rés ont montré une affinité plus importante pour les récepteurs œstrogéniques que le BPA non conjugué et donc potentiellement des effets biologiques plus nocifs.

Dans le cadre de ses travaux actuels en collaboration avec les Laboratoires STIM* et IC2MP** à Poitiers, le Centre de Biophy-sique Moléculaire (CBM – UPR 4301) étudie les effets des dérivés chlorés du BPA sur des souris dont les mères ont été traitées pendant la gestation et la lactation avec une faible dose (inférieure à la dose tolérable journalière). Il recherche en particulier les effets périnatals par Imagerie par Résonance Magnétique (IRM) au niveau du cerveau et

du foie. L’IRM est une technique non inva-sive donnant accès à des informations in vivo sur la structure et le métabolisme des organes.

Les résultats permettront d’évaluer les perturbations induites lors d’une exposition aux BPA chlorés pendant le développement (fœtal et postnatal). Ils détermineront s’ils sont un problème de santé publique émer-geant nécessitant une évaluation par les agences sanitaires.

Dounia EL HAMRANI > [email protected]

Sandra MEME < [email protected]

Norah DEFAMIE < STIM [email protected]

http://cbm.cnrs-orleans.fr/

*Laboratoire Signalisation et Transports Ioniques Membranaires (STIM – ERL CNRS/Université de Poitiers)

**Institut de Chimie des Milieux et Matériaux de Poitiers (IC2MP – 7285 CNRS/Université de Poitiers)

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Le Bisphénol A a fait la Une des médias à plusieurs reprises ces dernières années. Ce composé chimique inonde notre quotidien et suscite l’attention des chercheurs pour ses effets néfastes, supposés ou déjà identifiés.

Le Bisphénol A (BPA) est utilisé comme réactif dans la synthèse des polycarbonates et additif des résines époxydes, lesquels trouvent de nombreuses applications indus-trielles dans la fabrication de produits manu-facturés. Les polycarbonates entrent dans la composition des objets du quotidien comme des CD, lunettes, bouteilles en plastiques, vaisselles et certains composites dentaires. Les résines époxydes constituent les revê-tements intérieurs des boîtes de conserves et des canettes préservant ainsi le goût des aliments et les protégeant des potentielles contaminations microbiologiques.Le BPA est également utilisé comme révé-lateur des papiers thermosensibles comme les tickets de caisse et les reçus de cartes bancaires.

Avec une production mondiale de 3 millions de tonnes par an, le BPA se retrouve dispersé de manière ubiquitaire dans l’envi-ronnement (air, sol, eau). Présent dans les contenants alimentaires, il migre en petites quantités dans les aliments et les boissons et particulièrement à température modérée (>60°C). L’Anses (Agence Nationale de Sécu-rité Sanitaire de l’Alimentation, de l’Environ-nement et du Travail) estime à plus de 80% l’exposition de la population par l’alimenta-

tion, et notamment par les bonbonnes d’eau en polycarbonates.

Les dangers pour la santé Le BPA appartient à la catégorie des pertur-bateurs endocriniens c’est-à-dire des molé-cules capables de se fixer sur les récepteurs des hormones naturelles et de mimer (d’imi-ter) leurs actions biologiques. Il se fixe sur les récepteurs œstrogéniques, induisant des perturbations sur l’organisme, variant en fonction de la dose et de la période d’exposi-tion (gestation, lactation, puberté…).

Classiquement, les effets des substances chimiques sont décrits comme suivant une courbe monotone dose/réponse. Cepen-dant, les perturbateurs endocriniens ne suivraient pas ce principe et pourraient provoquer à de faibles doses des effets plus prononcés que ceux observés à fortes doses. L’Anses a fixé la dose tolérable journalière du BPA à 50µg/kg/jour, cela signifie qu’une personne peut ingérer 0,05 mg/kg de poids corporel par jour pendant toute la vie sans risque pour la santé.

Le BPA a été évalué comme un reprotoxique de niveau 1B, ce qui correspond à la caté-gorie des substances présumées toxiques

pour la reproduction humaine. Il induit chez les rongeurs à de faibles doses d’exposition des perturbations sur le système reproduc-teur tels qu’un développement anormal des gamètes, une atrophie des organes repro-ducteurs et une puberté précoce. L’exposi-tion au BPA est suspectée comme augmen-tant les risques de développer des cancers hormono-dépendants du type cancer de la prostate, des testicules, du sein et de l’uté-rus.

«...des gestes de prévention sont à adopter

au quotidien.»Chez les rongeurs, il a été montré des altéra-tions du développement cérébral se tradui-sant par des modifications structurales de l’hypothalamus (région impliquée dans le dimorphisme sexuel) et de l’hippocampe (zone jouant un rôle dans les activités cogni-tives et l’anxiété), une hypoactivité liée à une modification des neurotransmetteurs au niveau du cerveau et des perturbations du comportement maternel.

Le BPA est soupçonné de favoriser le déve-loppement des maladies métaboliques telles

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A gauche : les conditions de refroidissement ont une influence significative sur la taille des cristaux :(Plateau de cristallisation : 1h à 1200°C)

Recyclage, économie et développement durable : les nouveaux fers de lance de la sidérurgie

Microscoop, le magazine de la délégation CNRS Centre Limousin Poitou-Charentes - HS 2015- Octobre 2015

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Environnement Environnement

Microscoop, le magazine de la délégation CNRS Centre Limousin Poitou-Charentes - HS 2015- Octobre 2015

permis au CEMHTI d’étudier l’influence des traitements thermiques et des conditions de refroidissement sur la typologie des laitiers, afin de proposer des pratiques industrielles adaptées et optimales. Elle associe une approche thermodynamique (prédiction des phases cristallines) à une approche cinétique. Pour cela, la minéralogie (nature, cristallisation et pureté des cristaux), la réactivité et la microstructure à différentes échelles, du macroscopique au microsco-pique et jusqu’à la localisation atomique pour le phosphore, ont notamment été caractérisées.

Les clés du succèsLes conditions de refroidissement ont une influence significative sur la taille des cris-taux, la proportion des phases minérales et leur pureté. Différent paramètres ont été analysés tels que le temps et la vitesse de refroidissement du laitier, la température et la durée de maintien du plateau de cristal-lisation et l’effet d’additifs. Les microstruc-tures du laitier après refroidissement selon les différents chemins de cristallisation sont observées au microscope électronique à balayage (FEGSEM).

Ainsi, les chercheurs ont pu optimiser les modalités de cris-tallisation. En effet, un refroidissement contrôlé améliore la pureté des minéraux générés ; Il augmente la taille des cristaux et permet une sépa-ration sélective par broyage et tri magné-

tique des minéraux riches en phosphore et de ceux porteurs de fer et de calcium.

Dans le laitier, le phosphore est présent uniquement dans les silicates de calcium. L’étude de son environnement atomique a permis de mieux comprendre son rôle lors des réactions d’hydratation des silicates de calcium. Pour cela, plusieurs techniques (diffraction des rayons X et des neutrons, microscope électronique en transmission et résonance magnétique nucléaire haute réso-lution du solide) ont été utilisées pour carac-tériser des silicates de calcium synthétisés en laboratoire et dopés à différentes teneurs en phosphore. Les résultats montrent claire-ment que l’ajout de phosphore entraîne la substitution de groupements silicates par des groupements phosphates, ce qui corres-pond à la formation d’une solution solide sans modification de l’architecture globale. De plus, il apparaît que le phosphore est toujours associé au calcium et qu’il a un rôle stabilisant au sein de la structure des sili-cates de calcium.

L’étude a démontré que les phases minérales riches en fer (ferrites de calcium) et celles riches en silice (silicates de calcium associés au phosphore) sont clairement distinctes. Des conditions de refroidissement finement contrôlées peuvent permettre la cristallisa-tion de minéraux purs et de grande taille

(> 100 µm). Cette exigence est nécessaire pour la mise en œuvre de techniques de séparation efficaces des minéraux, offrant ainsi des perspectives intéressantes pour le recyclage et la valorisation des LAC. Des essais menés à l’échelle industrielle par le groupe ArcelorMittal viennent confirmer ces conclusions obtenues en laboratoire. L’industriel a un objectif ultime : que les matières riches en fer et dépourvues de phosphore puissent être recyclées au niveau du procédé sidérurgique pour produire à nouveau de l’acier. Les phases minérales riches en silicium, calcium et phosphore pourront trouver d’autres voies de valori-sation dans la fabrication d’amendements sidérurgiques basiques ou encore la fabrica-tion de matériaux granulaires pour le génie civil.

Jacques POIRIER < [email protected]

http://www.cemhti.cnrs-orleans.fr/

L’activité sidérurgique produit une quantité importante de déchets. L’intérêt économique qu’ils représentent, pousse les industriels à trouver des voies de recyclage. Les chercheurs sont à leurs côtés dans cette démarche d’économie circulaire.

Les gisements de laitiers d’aciéries de conversion (procédés qui transforment la fonte en acier) représentent des millions de tonnes sur le territoire européen, et 1.2 million de tonnes en France. Le laboratoire Conditions Extrêmes et Matériaux : Hautes Températures et Irradiations (CEMHTI-UPR 3079 CNRS) met en œuvre des recherches permettant de concevoir une nouvelle filière de valorisation de ce coproduit, source de richesses.

La transformation de la fonte en acier produit des oxydes qui contribuent à la formation d’un laitier liquide (110 Kg par tonne d’acier) peu valorisé. Ce laitier d’aciérie de conver-sion (LAC) contient des matières de valeur pour la sidérurgie : en moyenne de 15 à 25 % en masse de fer et de 40 à 60 % en masse de chaux. Ces matières sont considérées comme des déchets. Pourtant la réutilisa-tion du LAC comme matière première pour la production de l’acier, entraînerait des économies de minerai de fer et de calcaire appréciables dans un contexte de tension sur les matières premières. Elle diminuerait ainsi le coût ou le besoin en énergie et l’empreinte CO2 du procédé d’élaboration. Compte tenu de la teneur élevée en phosphore du LAC, cette voie de

valorisation a été jusqu’ici écartée. L’enjeu de la recherche consiste maintenant à opti-miser le processus de cristallisation du LAC en vue de séparer par broyage les oxydes de fer et de calcium (avec une faible conta-mination en phosphore) dans une première fraction minérale et les silicates de calcium pour l’autre partie. Le broyage n’est alors pas envisagé comme une simple méthode de réduction granulométrique. Il est aussi un moyen de dissocier ces deux familles de minéraux.

Lever des verrousLes freins techniques concernent notam-ment la faible taille des cristaux. L’imbrica-tion des cristaux ne permet pas un broyage sélectif ni une séparation magnétique optimisée. Pour résoudre ces difficultés, le chemin de cristallisation du laitier doit être autant que possible, plus finement contrôlé. Le but est d’obtenir des minéraux purs, de tailles plus favorables aux processus de broyage et de séparation.

La présence de phosphore est plus ou moins indésirable. L’extraction du phosphore est réalisée à partir de constatations minéralo-giques car les minéraux riches en fer (ferrites de calcium) et les minéraux riches en phos-

phore (silicates de calcium) sont clairement distincts.

« ...proposer des pratiques industrielles

adaptées et optimales... »L’étude des évolutions cristallographiques et microstructurales se produisant dans les laitiers, de la température de fin de conver-sion (environ 1650°C) à la température ambiante, est un point clé pour la valorisa-tion/recyclage. Un couplage original de tech-niques de caractérisation à haute tempé-rature et de calculs thermodynamiques a

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29 mars - 1er avril 2016 Orléans - France

15ème conférence internationale IUPAC sur la

Chimie des matériaux à haute température

Plus d’info : http://htmc15.sciencesconf.org/

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