Dossier Florange : quatre leçons pour la gauche

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ÉCONOMIE Dossier Florange : quatre leçons pour la gauche 6 décembre 2012 à 19:07 Par LAURENT BAUMEL secrétaire national du Parti socialiste., FRANÇOIS KALFON Délégué général aux études d’opinion du Parti socialiste, conseiller régional d’Ile-de-France, PHILIPPE DOUCET député-maire d'Argenteuil Tous trois co-animateurs du réseau de la gauche populaire Même si le dossier Florange n’a pas encore livré tous ses développements, il est possible d’en tirer quatre leçons sur l’attitude de la France dans la mondialisation et sur la politique industrielle qu’elle doit mener. Première leçon : en finir avec une certaine forme de naïveté qui empêche notre pays de défendre ses intérêts stratégiques et ses emplois. La concurrence libre et non faussée n’existe que dans les manuels d’économie, et l’économie mondialisée de ce début de XXI e siècle est largement une «économie du hold-up» (1), régie par la brutalité de capitalistes pour lesquels tous les coups sont permis. L’erreur initiale dans le dossier Mittal a été d’accepter, en 2006, une OPA sur un groupe en bonne situation économique et financière, suite à vingt années d’investissements publics et de restructurations fortes, par un acheteur qui n’était lui-même pas opéable (2). D’autres pays savent se protéger : le Congrès des Etats-Unis, que personne ne suspecte d’être gagné par l’idéologie socialiste, s’est opposé par exemple à l’acquisition du groupe pétrolier Unocal par l’entreprise d’Etat chinoise CNOOC. La France ne peut pas être la seule bonne élève d’une mondialisation idéalisée. Elle doit se doter d’un certain nombre d’outils pour la guerre économique : golden share sur les actifs considérés comme stratégiques, accord préalable du Parlement sur les cessions d’actifs à des groupes étrangers, par exemple. Deuxième leçon : comprendre la grammaire du capitalisme international pour mieux l’appréhender. En France, on pense trop souvent qu’un accord politique suffit. Or, le capitalisme international est régi par la grammaire anglo-saxonne des affaires qui n’existe que sur une base contractuelle, écrite par des avocats et opposable devant les tribunaux. Il n’est pas surprenant, même si on peut le déplorer, de constater que les différents représentants du gouvernement de droite d’alors ont clairement le sentiment de s’être fait flouer par monsieur Mittal qui n’a tenu aucun de ses engagements. On a d’ailleurs bien senti la gêne de Thierry Breton, ancien ministre de l’Economie de Jacques Chirac, et d’Henri Guaino, ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, exprimée dans des interviews publiées les 26 et 27 novembre dernier dans les Echos : en 2006, la France s’est fait avoir. Mais comme ils n’ont signé aucun accord à l’anglo-saxonne, se contentant de belles promesses, fussent-elles publiques, ils n’ont aujourd’hui, et les Français avec eux, que leurs yeux pour pleurer et pour relire cet accord sans portée juridique. Troisième leçon : il est temps de se redonner les moyens d’une politique industrielle. Si nous ne voulons pas être dans la main d’investisseurs internationaux, nous devons soutenir notre tissu d’entreprises nationales. La création de la Banque publique d’investissement, les mesures d’aides aux filières comprises dans le pacte de compétitivité, le nouveau crédit d’impôt dont les partenaires sociaux devront contrôler qu’il est bien ciblé sur l’emploi et l’investissement, ou la séparation annoncée des activités bancaires pour recentrer les banques sur le financement de l’économie réelle, portés par le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, vont dans le bon sens, sans oublier la nécessaire réorientation du budget européen vers la politique industrielle. Quatrième leçon : la nationalisation temporaire fait partie des mesures nouvelles témoignant du retour de l’Etat. Sa mise en œuvre doit répondre à une doctrine précise : l’entreprise concernée devra appartenir à un secteur stratégique, correspondre, par exemple, à des produits vitaux ou des produits intermédiaires qui irriguent de nombreux secteurs de production ; le portage financier devra être clairement transitoire, en association avec un partenaire industriel. Cette idée a été théorisée il y a quelques années par Dominique Strauss-Kahn qu’on ne peut accuser de «gauchisme». Elle a d’ores et déjà servi à Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif, dans le dossier Mittal où elle a été un levier utile de la négociation. Elle mérite donc d’être intégrée dans la boîte à outils de cette nouvelle politique industrielle. Les couches populaires et moyennes de ce pays sont réalistes et ne demandent pas que «l’Etat puisse tout». Elles demandent simplement que «l’Etat puisse quelque chose». La République française, si elle veut garder la maîtrise de son histoire et redonner au peuple français le sentiment qu’elle sait où elle va, doit s’appuyer sur un Etat stratège. (1) Voir l’ouvrage de Paul Vacca «la Société du hold-up, le nouveau récit du capitalisme» , éditions Mille et une 1. Dossier Florange : quatre leçons pour la gauche - Libération http://www.liberation.fr/economie/2012/12/06/dossier-florange-quatre-... 1 sur 2 07/12/2012 11:25

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Tribune publiée dans le journal Libération le vendredi 7 décembre 2012 par Philippe Doucet, Député-maire d'Argenteuil, Laurent Baumel, Député-maire de Ballan-Miré et François Kalfon, Conseiller régional d'Ile-de-France, tous trois co-animateurs du réseau de la Gauche populaire

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ÉCONOMIE

Dossier Florange : quatre leçons pour la gauche

6 décembre 2012 à 19:07

Par LAURENT BAUMEL secrétaire national du Parti socialiste., FRANÇOIS KALFON Délégué général aux études d’opinion du Parti socialiste, conseiller

régional d’Ile-de-France, PHILIPPE DOUCET député-maire d'Argenteuil

Tous trois co-animateurs du réseau de la gauche populaire

Même si le dossier Florange n’a pas encore livré tous ses développements, il est possible d’en tirer quatre leçons

sur l’attitude de la France dans la mondialisation et sur la politique industrielle qu’elle doit mener.

Première leçon : en finir avec une certaine forme de naïveté qui empêche notre pays de défendre

ses intérêts stratégiques et ses emplois.

La concurrence libre et non faussée n’existe que dans les manuels d’économie, et l’économie mondialisée de ce

début de XXIe siècle est largement une «économie du hold-up» (1), régie par la brutalité de capitalistes pour

lesquels tous les coups sont permis. L’erreur initiale dans le dossier Mittal a été d’accepter, en 2006, une OPA sur

un groupe en bonne situation économique et financière, suite à vingt années d’investissements publics et de

restructurations fortes, par un acheteur qui n’était lui-même pas opéable (2).

D’autres pays savent se protéger : le Congrès des Etats-Unis, que personne ne suspecte d’être gagné par l’idéologie

socialiste, s’est opposé par exemple à l’acquisition du groupe pétrolier Unocal par l’entreprise d’Etat chinoise

CNOOC. La France ne peut pas être la seule bonne élève d’une mondialisation idéalisée. Elle doit se doter d’un

certain nombre d’outils pour la guerre économique : golden share sur les actifs considérés comme stratégiques,

accord préalable du Parlement sur les cessions d’actifs à des groupes étrangers, par exemple.

Deuxième leçon : comprendre la grammaire du capitalisme international pour mieux

l’appréhender.

En France, on pense trop souvent qu’un accord politique suffit. Or, le capitalisme international est régi par la

grammaire anglo-saxonne des affaires qui n’existe que sur une base contractuelle, écrite par des avocats et

opposable devant les tribunaux. Il n’est pas surprenant, même si on peut le déplorer, de constater que les

différents représentants du gouvernement de droite d’alors ont clairement le sentiment de s’être fait flouer par

monsieur Mittal qui n’a tenu aucun de ses engagements. On a d’ailleurs bien senti la gêne de Thierry Breton,

ancien ministre de l’Economie de Jacques Chirac, et d’Henri Guaino, ancien conseiller de Nicolas Sarkozy,

exprimée dans des interviews publiées les 26 et 27 novembre dernier dans les Echos : en 2006, la France s’est fait

avoir. Mais comme ils n’ont signé aucun accord à l’anglo-saxonne, se contentant de belles promesses, fussent-elles

publiques, ils n’ont aujourd’hui, et les Français avec eux, que leurs yeux pour pleurer et pour relire cet accord sans

portée juridique.

Troisième leçon : il est temps de se redonner les moyens d’une politique industrielle.

Si nous ne voulons pas être dans la main d’investisseurs internationaux, nous devons soutenir notre tissu

d’entreprises nationales. La création de la Banque publique d’investissement, les mesures d’aides aux filières

comprises dans le pacte de compétitivité, le nouveau crédit d’impôt dont les partenaires sociaux devront contrôler

qu’il est bien ciblé sur l’emploi et l’investissement, ou la séparation annoncée des activités bancaires pour recentrer

les banques sur le financement de l’économie réelle, portés par le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, vont dans

le bon sens, sans oublier la nécessaire réorientation du budget européen vers la politique industrielle.

Quatrième leçon : la nationalisation temporaire fait partie des mesures nouvelles témoignant du

retour de l’Etat.

Sa mise en œuvre doit répondre à une doctrine précise : l’entreprise concernée devra appartenir à un secteur

stratégique, correspondre, par exemple, à des produits vitaux ou des produits intermédiaires qui irriguent de

nombreux secteurs de production ; le portage financier devra être clairement transitoire, en association avec un

partenaire industriel. Cette idée a été théorisée il y a quelques années par Dominique Strauss-Kahn qu’on ne peut

accuser de «gauchisme». Elle a d’ores et déjà servi à Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif,

dans le dossier Mittal où elle a été un levier utile de la négociation. Elle mérite donc d’être intégrée dans la boîte à

outils de cette nouvelle politique industrielle.

Les couches populaires et moyennes de ce pays sont réalistes et ne demandent pas que «l’Etat puisse tout». Elles

demandent simplement que «l’Etat puisse quelque chose».

La République française, si elle veut garder la maîtrise de son histoire et redonner au peuple français le sentiment

qu’elle sait où elle va, doit s’appuyer sur un Etat stratège.

(1) Voir l’ouvrage de Paul Vacca «la Société du hold-up, le nouveau récit du capitalisme» , éditions Mille et une1.

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nuits, novembre 2012.

(2) Voir l’ouvrage de Jean-Louis Levet «GDF-Suez, Arcelor, EADS, Pechiney… : les dossiers noirs de la droite »,

éditions Jean-Claude Gawsewitch, mars 2007.

2.

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