DOSSIER Développement d’un indicateur du … · aux modifications du climat. En effet, un climat...

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4 #6 Développement d’un indicateur du changement climatique sur la biodiversité : exemple des pollens O n estime que 15 à 25 % de la population présente une allergie aux pollens (encore appelée pollinose); soit près d’un quart des Français est touché. Les principaux symptômes sont essentiellement conjonctivites, rhinites, toux, respiration sifflante et même asthme. Secondairement, les pollens peuvent provoquer des signes cutanés (urticaires) et une grande fatigue. Seules les espèces végétales à reproduction anémophile produisent des pollens à caractère allergisant. Ils sont, en effet, du fait de leur dispersion dans l’air, extrêmement abondants. L’ampleur du problème ainsi posé pour la santé publique a justifié, comme dans la plupart des pays, la création d’un réseau de mesure du contenu pollinique de l’air. Ainsi, le Réseau National de Surveillance Aérobiologique (RNSA) a été créé en 1996. Pour ce faire, le RNSA a mis en place en zone urbaine un réseau de capteurs de pollens dont l’implantation est déterminée par les cartes climatiques, phénologiques et de densité de population, pour être représentatif de ce que respire la population. Les données polliniques (résultats en concentrations de pollens par jour) sont associées à des observations phénologiques et à des bulletins cliniques. Ceci permet de connaître les risques d’exposition aux pollens et la symptomatologie associée. L’utilisation des prévisions météorologiques permet au RNSA d’émettre des bulletins prévisionnels sur le risque allergique pour la semaine à venir. Ainsi, le dénombrement et l’identification des grains de pollen sur plusieurs années permet d’estimer et, par la suite, de prévoir les dates de pollinisation de diverses familles de végétaux et ainsi de mettre en place une action préventive au bénéfice des allergiques, mais aussi de déceler d’éventuelles modifications de la flore atmosphérique et d’en avertir les allergologues. Le changement climatique est un phénomène prouvé scientifiquement et dont les conséquences sont par ailleurs visibles sur la végétation, mais aussi sur la pollinisation. Les changements qui affectent la pollinisation sont nombreux mais sont remplis d’incertitudes, mais un point évident concerne le fait que la prévalence des allergies n’a cessé d’augmenter ces dernières années. De même, la sévérité des symptômes allergiques semble liée aux modifications du climat. En effet, un climat plus chaud semble entraîner une augmentation du nombre de grains de pollen dans l’air, une plus grande précocité des dates de floraison et de pollinisation, une modification de la durée de la saison pollinique, un déplacement vers le nord ou en altitude de l’aire d’extension de certaines espèces... Le CO 2 atmosphérique qui ne cesse d’augmenter lui aussi est susceptible de renforcer certaines de ces modifications. Enfin, d’après les simulations, la tendance du changement climatique et ses effets sur les pollens vont se poursuivre et même s’amplifier dans le futur. DOSSIER MICHEL THIBAUDON, SAMUEL MONNIER Réseau National de Surveillance Aérobiologique 1 Etude de l’apparition d’événements périodiques, annuels le plus souvent, dans le monde vivant, déterminée par les variations saisonnières du climat (exemples: floraison, pollinisation). 2 Observatoire National des Effets du Réchauffement Climatique. 3 Ensemble d’êtres vivants partageant certaines caractéristiques, à partir desquelles est établie leur classification.

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Développement d’un indicateur du changement climatique sur la biodiversité : exemple des pollens

O n estime que 15 à 25 % de la population présente une allergie aux pollens (encore appelée pollinose); soit près d’un quart des Français est touché.

Les principaux symptômes sont essentiellement conjonctivites, rhinites, toux, respiration sifflante et même asthme. Secondairement, les pollens peuvent provoquer des signes cutanés (urticaires) et une grande fatigue.Seules les espèces végétales à reproduction anémophile produisent des pollens à caractère allergisant. Ils sont, en effet, du fait de leur dispersion dans l’air, extrêmement abondants. L’ampleur du problème ainsi posé pour la santé publique a justifié, comme dans la plupart des pays, la création d’un réseau de mesure du contenu pollinique de l’air. Ainsi, le Réseau National de Surveillance Aérobiologique (RNSA) a été créé en 1996. Pour ce faire, le RNSA a mis en place en zone urbaine un réseau de capteurs de pollens dont l’implantation est déterminée par les cartes climatiques, phénologiques et de densité de population, pour être représentatif de ce que respire la population.Les données polliniques (résultats en concentrations de pollens par jour) sont associées à des observations phénologiques et à des bulletins cliniques. Ceci permet de connaître les risques d’exposition aux pollens et la symptomatologie associée. L’utilisation des prévisions météorologiques permet au RNSA d’émettre des bulletins prévisionnels sur le risque allergique pour la semaine à venir. Ainsi, le dénombrement et l’identification des grains de pollen sur plusieurs années permet d’estimer et, par la suite, de prévoir les dates de pollinisation de diverses familles de végétaux et ainsi de mettre en place une action préventive au bénéfice des allergiques, mais aussi de déceler d’éventuelles modifications de la flore atmosphérique et d’en avertir les allergologues.

Le changement climatique est un phénomène prouvé scientifiquement et dont les conséquences sont par ailleurs visibles sur la végétation, mais aussi sur la pollinisation. Les changements qui affectent la pollinisation sont nombreux mais sont remplis d’incertitudes, mais un point évident concerne le fait que la prévalence des allergies n’a cessé d’augmenter ces dernières années. De même, la sévérité des symptômes allergiques semble liée aux modifications du climat. En effet, un climat plus chaud semble entraîner une augmentation du nombre de grains de pollen dans l’air, une plus grande précocité des dates de floraison et de pollinisation, une modification de la durée de la saison pollinique, un déplacement vers le nord ou en altitude de l’aire d’extension de certaines espèces... Le CO2 atmosphérique qui ne cesse d’augmenter lui aussi est susceptible de renforcer certaines de ces modifications. Enfin, d’après les simulations, la tendance du changement climatique et ses effets sur les pollens vont se poursuivre et même s’amplifier dans le futur.

DOSSIER

MICHEL THIBAUDON, SAMUEL MONNIERRéseau National de Surveillance Aérobiologique

1 Etude de l’apparition d’événements périodiques,

annuels le plus souvent, dans le monde vivant, déterminée par les variations saisonnières

du climat (exemples: floraison, pollinisation).

2 Observatoire National des Effets du Réchauffement Climatique.

3 Ensemble d’êtres vivants partageant certaines

caractéristiques, à partir desquelles est établie leur

classification.

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Développement d’un indicateur du changement climatique sur la biodiversité : exemple des pollens

La phénologie : un outil au service du climat

Les observations phénologiques1 sont utilisées pour évaluer l’influence du changement climatique sur la végétation et la biodiversité. Ces observations, si elles sont réalisées sur des espèces végétales à caractère allergisant, permettent d’évaluer l’influence du changement climatique sur la santé humaine. Le travail qui a été réalisé par le RNSA, à la demande de l’ONERC2 avait pour objectif de rechercher des indicateurs du changement climatique ayant une incidence sur la santé.

Tout d’abord, le choix du taxon3 s’est porté sur le bouleau, arbre à potentiel allergisant très élevé (5/5) et est très représenté sur une grande partie du territoire français. Pollinisant en mars-avril, il libère de grandes quantités de pollens dans l’air qui sont un vrai problème pour les personnes allergiques.

15 25

DE LA POPULATIONPRÉSENTE UNE ALLERGIEAUX POLLENS

%

%

à

Photos 1 et 2 : Les chatons (fleurs) mâles du bouleau sont situés en bout de rameau de manière à disperser au mieux leurs pollens. Ils se développent sur l’arbre dès le début de l’été et arrivent à maturité concomitamment au débourrement, en mars de l’année suivante. Ils sont alors pendants et peuvent mesurer jusqu’à 10 cm de long.(Source : RNSA)

CHATONS DE BOULEAU EN AOÛT

CHATONS DE BOULEAU EN AVRIL

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Le début de la saison pollinique du bouleau correspond à la date à laquelle une concentration journalière moyenne de 30 grains/m3/jour est atteinte pour la première fois. Cette limite est considérée dans de nombreux pays comme le seuil de déclenchement des symptômes allergiques chez la plupart des personnes concernées.

Impacts de l’évolution des conditions météorologiques sur la végétation

Le climat a toujours varié de façon naturelle au cours du temps avec des successions de périodes glaciaires et interglaciaires. Mais depuis la révolution industrielle, les activités de l’homme ont accéléré le changement climatique avec le dégagement massif de composants gazeux comme le CO2, mais aussi le méthane (CH4) et le protoxyde d’azote (N2O), qui absorbent le rayonnement infrarouge émis par la surface terrestre et entraînent ainsi une intensification de l’effet de serre. L’élévation moyenne de la température à la surface du globe est de 0,74°C entre 1906 et 2005. Depuis 1988 en France, les températures moyennes sont supérieures à la normale (1971-2000) quasiment chaque année.

Figure 1 : Graphique de l’évolution des températures en France sur 111 ans

(source : Météo France)

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Alfred Angot, un météorologue du XIXème siècle a été le premier à réaliser des observations phénologiques animales et végétales, et notamment sur le chêne pédonculé (Quercus pedunculata) et le bouleau pubescent (Betula pubescens). Le stade phénologique observé est la feuillaison.

Le RNSA disposant d’une base de données de pollinisation sur le bouleau et le chêne, une comparaison des données de feuillaison de 1880 à 1890 avec les données de pollinisation de 1991 à 2002 a été réalisée et montre un avancement des paramètres de 10 à 20 jours selon les zones géographiques.

Figure 2 : Cartes de Alfred Angot sur le bouleau et le chêne réactualisées par le RNSA. Elles montrent les dates du début de la feuillaison et de la pollinisation du chêne et du bouleau (en nombre de jours depuis le 1er janvier) en France de 1880 à 2009 (source : RNSA)

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Cependant à partir de 2003, la précocité de la pollinisation du bouleau et du chêne a stagné. Cela s’explique par des automnes et des débuts d’hiver plus doux et des fins d’hiver plus froides à partir de 2003, qui ont entraîné une dormance plus longue et donc une saison pollinique retardée. En effet, pour lever leur dormance4 les arbres ont besoin d’avoir satisfait leur besoin en froid (chilling) et en chaud (forcing). Ainsi, une période de chilling (accumulation de froid) et une période de forcing (accumulation de chaud) sont nécessaires pour la maturation des bourgeons et des chatons des arbres comme le bouleau.

On constate alors que de 1991 à 2002, les fin d’hiver et début de printemps étaient doux, le forcing a été réduit car l’accumulation de chaleur s’est faite plus rapidement, ce qui a induit une précocité de la feuillaison et de la pollinisation.

De 2004 à 2013, les hivers ont également été assez doux ce qui a allongé la période de chilling (plus de temps pour accumuler du froid). Toutefois, le forcing

a été retardé par une fin d’hiver plus froide, ce qui a favorisé un retard de la feuillaison et de la pollinisation par rapport à la période 1991-2002.

Figure 3 : Evolution du nombre de jours nécessaires à la maturation des bourgeons et des chatons de bouleau au fin des années, explication du chilling et du forcing (source : RNSA)

4 État d’inactivité biologique, se traduisant par l’arrêt momentané du développement. Par exemple, chez les végétaux, la levée de dormance pour les graines, est souvent l’effet du froid, ou pour les bourgeons, l’effet de l’allongement des jours au printemps.

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Un indicateur du changement climatique

Six villes françaises avec des données climatiques et de végétation différentes, et possédant des données polliniques fiables ont été choisies : il s’agit de Lyon, Montluçon, Strasbourg, Paris, Toulouse et Amiens.

Afin de limiter les variabilités interannuelles liées aux conditions météorologiques, une moyenne mobile sur 5 ans (l’année en cours et les 4 années précédentes) de ces six villes a été réalisée, pour avoir la quantité de pollens de bouleau et la température pour chaque année (données de juillet à juin selon la phénologie du bouleau).

Le réchauffement climatique et la hausse des températures conduit à une modification des dates de floraison et de pollinisation surtout pour les espèces qui pollinisent à la fin de l’hiver et au début du printemps comme le cyprès, le frêne ou encore le bouleau. Cette pollinisation précoce est liée à la température. Par exemple de décembre 1987 à février 1988, les températures moyennes ont été supérieures aux normales saisonnières sur une grande région nord de la France ; la pollinisation a été avancée de 4 à 6 semaines par rapport à la normale pour la plupart des espèces d’arbres qui pollinisent au début de l’année.

L’année phénologique du bouleau va de juillet à juin de l’année suivante. En effet, les quantités de pollens de bouleau qui sont libérées en mars-avril dépendent des températures et du temps qu’il a fait auparavant, soit à partir du mois de juillet de l’année précédente.

On constate qu’une augmentation de la température entraîne une précocité de la date de démarrage de la pollinisation du bouleau à Paris (voir figure 4). De plus, ce phénomène a également entraîné une hausse de la quantité de pollens de bouleau émis et donc une augmentation des allergies.

L’apparition de la première feuille du marronnier de Genève est une des plus longues séries phénologiques de Suisse. Depuis le début du XXème siècle, est constaté la précocité de l’apparition de la première feuille.

Graphique de l’apparition de la première feuille du marronnier de Genève de 1800 à nos jours (source : Météo Suisse)

Figure 4 : Graphique des relations entre la température (moyenne de juillet de l’année N à juin de l’année N+1)

et les dates de démarrage de la pollinisation du bouleau à Paris en 1880-1890 et 1991-2002 (source : RNSA)

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Ainsi, la quantité annuelle de pollens de bouleau présente une tendance vers une augmentation depuis 1993 (plus de 20 % en 20 ans). Une tendance à la hausse et une relation significative est observable pour la quantité de pollens de bouleau et la température.

Le réchauffement climatique entraînerait donc une hausse de la quantité de pollens dans l’air et de ce fait, une augmentation des allergies.

Figure 5 : Moyenne mobile sur 5 ans de la quantité de pollens de bouleau et des températures annuelles pour les 6 villes françaises retenues, de 1993 à 2013 (source : RNSA).

Une des conséquences du réchauffement climatique est de provoquer la migration des pollens du Sud vers le Nord (ambroisie, olivier, graminées, cyprès, chêne...). Une hausse de 1°C de la température moyenne annuelle équivaut théoriquement à un déplacement des espèces de 200 km vers le Nord ou à une remontée d’environ 150 m en altitude, mais la végétation présente une grande inertie.Les prévisions signalent un réchauffement de 3,5°C d’ici 2100. L’aire de Quercus (chêne vert) pourrait alors dès 2050 dépasser une ligne Bordeaux-Saint-Etienne et franchir la Loire avant 2100.

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Le changement climatique a aussi une influence sur la durée de la saison pollinique en l’augmentant, même si ce dernier paramètre est moins visible que le précédent. De plus, un déplacement vers le Nord ou en altitude de l’aire d’extension de certaines espèces est observable en lien avec le changement climatique. D’après les simulations, la tendance du changement climatique et ses effets sur les pollens vont se poursuivre et même s’amplifier dans le futur.

Au-delà de l’indicateur, il est important de noter que la pollution urbaine aggrave la toxicité des pollens et que la hausse de concentration des gaz à effet de serre (CO2, N2O) affecte les pollens en augmentant leur production.

Figure 6 : Simulation de l’aire climatique potentielle du chêne vert en 2000, 2050 et 2100 (source : INRA)

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Perspectives

D’autres recherches sont à faire pour vérifier la vraie nature de la relation entre le changement climatique et les pollens. Il serait bon aussi de développer des recherches sur le lien entre les pollens et les allergies sachant que de plus en plus de personnes sont allergiques aux pollens de nos jours. Des efforts sont également à entreprendre comme le renforcement de la surveillance aérobiologique, la prévision aéropollinique, la lutte contre les plantes allergisantes (campagnes d’arrachage de l’ambroisie par exemple), le contrôle des plantations d’ornement, la planification urbaine, les préconisations architecturales visant à réduire l’entrée des pollens dans les locaux, la facilitation de l’accès aux soins de santé et aux médicaments, l’éducation, notamment sur l’éviction allergénique, la diffusion d’informations sur le risque sanitaire et tout spécialement sur les « nouveaux » risques. Enfin, des études complémentaires doivent être réalisées en testant d’autres paramètres et/ou d’autres taxons comme les graminées par exemple dont les totaux annuels semblent augmenter sur les relevées polliniques.

Les conséquences du changement climatique sont :

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Une hausse des concentrations de pollens------------------------------------------------------------------------------

Une modification des dates de la floraison et de la pollinisation

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Une augmentation de la durée de la saison pollinique------------------------------------------------------------------------------

Une augmentation du contenu allergénique des grains de pollen

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Une stimulation de la croissance végétale par le CO2 qui entraîne une augmentation du nombre

de grains de pollen dans l’air------------------------------------------------------------------------------

Un impact sur la santé aggravé (symptômes allergisants plus forts et plus fréquents)

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Un nombre de personnes allergiques en augmentation------------------------------------------------------------------------------

Un déplacement vers le Nord ou en altitude de l’aire d’extension de certaines espèces

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Les conséquences du changement climatique sont :