Dominique Lestel- Langage Et Communications Animales

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  • 8/10/2019 Dominique Lestel- Langage Et Communications Animales

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    Dominique Lestel

    Langage et communications animales.In: Langages, 36e anne, n146, 2002. pp. 91-100.

    Abstract

    Results on animal communications have exploded these last 20 years. If nobody still thinks that animal may have a kind of

    language as humans have, complexity of animal communications have been shown to be much more complex that what had

    been previously thought: traditions, meta-communication, innovation and abilities to manipulate information through deception,

    especially among primates, as well as great plasticity in referential processes have been observed. Simple syntaxes and dialogic

    situations have also been shown among animal communications, but no species studied to date seem able to naturally refer to

    presentles phenomena. We nevertheless must be cautious. Our intuitions about animal communications are often wrong.

    Examples of not yet solved problems abond. We can refer to what G. Bateson said about inability of animal to express negation,

    suggestion by P. Marier that play behaviour is the great analog with human language in animals, or D. Dennett's about the lack of

    secrecy among vervet monkeys. It seems to be an illusory belief to look for THE great feature of human language, compared with

    animal communications. It is more fruitful to consider that a number of meaningful differences distinguish language and animal

    communications. Such a careful and technical position being adopted here had already been defended by British biologist J.B.S.

    Haldane in the fifties, but it is still the best one.

    Citer ce document / Cite this document :

    Lestel Dominique. Langage et communications animales. In: Langages, 36e anne, n146, 2002. pp. 91-100.

    doi : 10.3406/lgge.2002.2404

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lgge_0458-726X_2002_num_36_146_2404

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_lgge_863http://dx.doi.org/10.3406/lgge.2002.2404http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lgge_0458-726X_2002_num_36_146_2404http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lgge_0458-726X_2002_num_36_146_2404http://dx.doi.org/10.3406/lgge.2002.2404http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_lgge_863
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    Dominique LESTEL

    cole normale

    suprieure

    LANGAGE

    ET

    COMMUNICATIONS

    ANIMALES

    Linguistes

    et thologues

    ont manqu une

    remarquable

    occasion de travaillernsemble

    dans

    les

    annes 50,

    la suite

    d'un

    dbat entre Benveniste,

    von

    Frisch

    et

    aldane sur

    la

    nature

    du

    langage

    des

    abeilles. 50 ans

    plus tard, les

    rsultats ontxplos

    non

    seulement

    sur

    le langage

    des

    abeilles mais

    aussi sur

    les communicationsnimales de faon plus gnrale,

    en milieu naturel

    ou dans des

    situations

    expriment

    ales

    i

    personne

    ne

    pense

    plus

    qu'il

    puisse

    exister

    chez

    l'animal

    un

    langage

    de mme

    nature

    que

    celui

    qu'utilise l'humain, la

    complexit des communications animales s'est

    rvle

    tre beaucoup plus labore

    que

    ce que

    l'on

    pensait

    alors.

    La

    question

    des

    diffrences

    entre

    communications animales

    et

    communications humaines acquiert

    du

    coup une pertinence nouvelle,

    de

    mme que

    celle de

    savoir comment le langage a pu

    merger partir des modes

    de

    communication

    de

    l'animal.

    1. Les abeilles

    ont-elles

    un langage?

    Un

    dbat manqu

    dans

    les

    annes

    50

    En 1952, Emile Benveniste publie

    un

    article sur les

    travaux

    de Karl von

    Frisch dans

    le

    premier numro de la

    revue

    Diogne. Le linguiste franais

    estime

    que

    l'humain

    est

    capable pour la premire

    fois

    de se

    reprsenter le fonctionnement

    d'un

    langage

    animal. Pour lui, les

    abeilles

    produisent et

    comprennent

    de vritables messages

    et

    elles

    manifestent une

    relle aptitude

    symboliser

    en tablissant

    une correspondance

    conventionnelle entre

    leur

    comportement

    et

    la localisation

    d'une

    source de

    nourrit

    ure. ette

    communication symbolique est pourtant loin d'tre un langage

    humain.

    E.

    Benveniste

    attire

    en effet

    l'attention

    sur sept

    diffrences

    qui

    empchent

    d'assimiler

    le

    langage

    des

    abeilles

    et le

    langage humain.

    1)

    Le message

    des

    abeilles passe exclu

    sivement

    par

    la

    danse

    alors

    que

    le

    langage

    humain

    est

    vocal

    par

    essence.

    2)

    La

    commun

    ication

    des

    abeilles s'effectue ncessairement la lumire, alors

    que

    le langage

    humain

    reste

    efficace

    dans l'obscurit. 3) Les abeilles ne connaissent pas le

    dialogue

    qui

    est

    la

    condition du

    langage humain.

    4)

    L'absence de dialogue conduit les

    abeilles

    ne communiquer

    que

    sur une

    donne objective. Benveniste

    souligne en particulier

    qu'aucune

    abeille

    ne peut

    reproduire

    un message qui est convoy par

    un

    autre insecte

    si elle-mme n'a

    pas

    t

    directement

    tmoin

    de

    ce quoi le message se rfre. Aucune

    abeille, autrement

    dit,

    ne

    peut construire

    de

    message partir d'un autre

    message.

    5) Le

    message

    de l'abeille

    se rapporte

    toujours

    la nourriture et les seules variantes concer

    nentes

    donnes de sa localisation

    spatiale. 6) Chez

    l abeille, il

    existe

    un rapport

    nces

    saire

    entre

    la

    rfrence

    objective

    et

    la

    forme

    linguistique

    qui n'existe

    pas

    dans

    le

    langage

    humain. 7) Enfin, le message des abeilles

    ne

    se

    laisse

    pas analyser.

    Il

    n'y a pas

    cette double articulation par laquelle Martinet caractrise le langage

    humain.

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    E.

    Benveniste

    conclut de ces

    carts

    que

    la communication des abeilles n'est pas

    un

    langage

    mais un code de signaux.

    En 1954, dans

    le

    numro

    7

    de la mme revue,

    K. von

    Frisch rpond

    Benveniste

    dans une lettre

    la rdaction.

    Aprs avoir corrig

    quelques donnes factuelles

    du

    linguiste,

    l'thologue

    autrichien

    souligne

    en

    particulier

    que

    le

    contenu

    du

    message

    ne

    se

    rapporte pas toujours

    un

    seul phnomne, la nourriture,

    mais aussi

    au choix d'un

    logement.

    Le langage des

    abeilles,

    estime von Frisch, est plus

    merveilleux

    que ce

    qui

    existe

    chez les

    autres

    animaux.

    2.

    Comparer communications animales et

    langage

    50 ans aprs ce

    dbat

    o

    en

    sommes-nous

    ?

    Reprenons

    et

    compltons les objections

    d'E. Benveniste

    la

    lumire

    des

    travaux

    les plus rcents

    en thologie.

    Qu'il

    n'y

    ait

    pas

    de

    message

    labor

    partir

    d'un

    autre

    message

    chez

    l'animal

    est

    en partie vrai

    seulement. Car

    s'il n'y a

    pas de

    transmission

    de

    message

    chez

    l'animal,

    on trouve

    en

    revanche des traditions sur la faon

    de

    transmettre des messages

    chez

    certains

    animaux. On

    peut

    ainsi

    citer le

    cas du singe vervet,

    dont

    l'usage appropri

    des

    cris

    d'alarme

    et

    les rponses

    que

    ces

    derniers suscitent en retour

    sont

    traditionnels

    (Seyfarth & Cheney, 1997), ou celui des orques et des baleines (Bain,

    1986). Plus

    gn

    ralement

    chez de

    trs nombreux

    animaux

    les dialectes correspondent des caractris

    tiquesocales et acquises des

    modes de

    communication qui

    se

    transmettent

    entre

    gnrations (Grant Se

    Grant, 1996).

    La reflexivit

    est

    la capacit de communiquer

    sur

    la communication

    et

    les

    exemples

    de

    mta-communication

    abondent

    chez

    l'animal,

    sans

    tre

    ncessairement

    phatiques.

    Les

    femelles des

    singes

    cureuils (Saimiri sciureus) qui ont une affiliation

    forte

    entre

    elles changent des

    cris

    qualifis de chuck (Newman & Symmes, 1982). S'agit-il

    rellement

    de commentaires

    sur

    la

    relation

    sociale

    en cours

    comme on l'a

    suggr ?

    G.

    Bateson

    (1955)

    a estim que des

    signaux de

    jeux utiliss par

    certains

    animaux

    entrent dans cette catgorie1

    ainsi

    que le partage des motifs

    de

    chants par des

    oiseaux

    qui sont

    socialement

    proches. Chez ces

    derniers,

    Charles Snowdon

    estime

    qu'il

    ne

    s'agit

    pas vraiment de communication sur la communication mais du

    recours un

    plus haut niveau d'abstraction

    que

    les communications les plus habituelles qui portent

    sur les tats

    motionnels,

    la nourriture ou les prdateurs. La question du

    jeu,

    souleve

    par

    G. Bateson,

    n'est

    pas

    la

    seule

    occurrence

    de

    mta-communication chez

    l'animal.

    On

    l'observe aussi quand un

    animal

    adulte

    corrige un jeune

    qui s'exprime incorrecte

    mentar exemple quand un jeune vervet met un signal d'alarme dans un

    contexte

    qui

    ne le justifie

    pas (Seyfarth

    &

    Cheney, 1980).

    L'ouverture

    permet la langue

    de construire de

    nouvelles expressions travers sa

    structure

    grammaticale et

    d'assigner de

    nouvelles significations des

    lments

    nouveaux

    ou anciens.

    De

    faon plus gnrale,

    les

    capacits d'innovation

    de l'animal

    sont

    beaucoup

    plus importantes que ce qu'on croit

    en

    gnral. Jane Goodall (1968) a

    ainsi dcrit des modes passagres

    de

    manipulation

    de

    vgtaux. De mme T. Nishida

    (1980)

    a

    signal

    Mahale l'apparition d'un comportement qui exprime la

    frustration,

    le

    1. Quand un

    animal joue,

    il

    dit

    aussi son

    partenaire

    ceci est un jeu

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    leaf-clipping

    , le pinage-de-feuilles , qui n'existe pas ailleurs. On

    pourrait

    multi

    plier es exemples, mais c'est

    dans

    le chant des

    oiseaux

    ou des baleines que l'innova

    tionst

    la

    plus constante.

    On

    a observ

    des tromperies

    et

    des ruses

    chez

    de nombreuses espces de

    primates et

    ce

    phnomne

    s'inscrit

    l encontre

    d'une

    trop

    grande

    rigidit

    de

    la

    rfrence

    des

    messages. Un

    certain

    nombre d animaux

    ne

    sont pas

    seulement

    capables de

    donner un

    autre sens

    ce

    qu'ils

    expriment (dans le

    cas du

    jeu) mais

    ils semblent

    aussi tre capables

    de

    manipuler

    le sens de leurs expressions, c'est--dire de rfrer sciemment une

    situa

    tion u

    un

    phnomne qui n'existe pas. La littrature sur la tromperie

    et

    la ruse s'est

    beaucoup dveloppe depuis l'article

    de Byrne et

    Whiten

    (1988) sur l'intelligence machia-

    vlienne des

    primates.

    Celle-ci

    concerne surtout de faux comportements

    et non

    de faux

    messages

    en

    gnral, mais

    ces

    derniers existent nanmoins

    chez

    l'animal. Les

    meilleurs

    exemples portent encore

    sur

    les oiseaux. Merles noirs (Turdus merula)

    et grives

    musi

    ciennes (Turdus

    philomelos)

    lancent

    de faux

    cris

    d'alarme,

    alors que

    les prdateurs signals

    sont

    absents (Thielke &

    Thielke, 1964). C'est

    une

    situation qui arrive

    d'ailleurs plutt

    quand

    la

    comptition

    pour

    la

    nourriture

    oppose

    des

    oiseaux

    d'espces

    diffrentes.

    Un

    tel

    comportement

    est

    galement observ chez les

    msanges

    (Moller, 1988) ou chez des

    espces d'Amazonie (Lanio versicolor

    et Thamnotnanes schistogynus) (Munn, 1986).

    Les communications animales

    sont-elles

    toutes dpourvues

    d'une

    double

    articulation

    ? Des

    syntaxes simples

    ont t

    rapportes

    chez

    les tamarins (Saguinus

    oedipus) (Cleveland & Snowdon,

    1982),

    les

    ouistitis

    nains (Cebus

    pygmaea)

    (Pola &

    Snowdon,

    1975), les

    capucins

    (Cebus

    olivaceus)

    (Robinson, 1984), ou les macaques

    rhsus (Hauser & Fowler, 1991).

    Les msanges tte

    noire

    structurent mme leurs

    chants

    selon

    une authentique (et

    primitive) grammaire

    generative

    -

    et ce sont les seuls

    animaux

    non

    humains qui sont connus pour avoir cette

    particularit

    (Hailman et

    Ficken, 1987

    ;

    Hailman,

    Ficken

    &

    Ficken,

    1987

    ;

    Hailman

    et

    alii,

    1985),

    mme

    si

    elles

    n'ont visiblement pas la capacit de gnrer un nombre infini de combinaisons.

    Chaque

    structure

    spare de

    ces

    chants

    d'oiseaux

    a-t-elle une signification distincte ?

    Dans

    l'tat

    actuel de

    nos

    connaissances,

    aucune donne n'accrdite une telle hypot

    hse, en

    particulier

    chez les msanges

    tte

    noire. C. Snowdon (1999) estime nan

    moins que

    cette objection

    est

    faible partir

    du moment

    o Chomsky peut crire

    que

    Colorless green ideas

    sleeps

    furiously

    illustre le travail

    de

    la grammaire en

    l'absence de toute

    signification

    fonctionnelle. La combinaison

    des

    cris individuels

    en

    phrases qui maintiennent

    la signification

    des lments

    individuels

    se

    rencontre

    cependant chez les

    tamarins et

    chez les capucins. Certains

    cris

    de singes ont ainsi une

    structure

    ABC,

    mais

    il

    reste difficile

    de

    dterminer

    si

    la

    structure

    CBA

    est

    smanti-

    quement

    diffrente

    ou si elle est

    interprte

    de

    la mme faon

    par

    les singes. noter

    cependant que les

    langues

    de

    signes,

    reconnues aujourd'hui comme des langues

    authentiques, ne

    possdent pas

    cette

    double structure.

    Exclure le

    dialogue

    des communications animales est sans doute un peu rapide.

    J.

    B. S.

    Haldane (1953)

    remarquait

    que les

    abeilles prennent des dcisions

    de

    faon

    interactive pour choisir le

    site

    d'une ruche. Par ailleurs, des occurrences

    qui

    se produisent

    au cours d'interactions

    complexes entre

    deux ou trois

    animaux

    ont t dcrites d'une

    faon qui pourrait prendre

    la

    forme

    d'un dialogue. Tous es rituels duo qui ont t dcrits

    en

    thologie peuvent ainsi

    tre

    caractriss comme des dialogues, mme s'ils sont figs, et

    s'ils

    restent

    trs

    rptitifs.

    Les oiseaux

    chanteurs

    peuvent

    aussi

    apprendre

    le

    dialecte

    d'une

    autre population, ou

    le

    chant

    d'une

    espce diffrente

    avec

    laquelle

    ils

    sont

    en

    contact

    (Mundiger, 1970

    ; Nowicki,

    1989

    ;

    Hausberger

    et alii, 1995).

    Des

    phnomnes

    93

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    voisins sont observs

    chez des primates. Quand

    on lve ensemble

    des mres

    de maca

    ques

    rhsus ou

    de

    macaques japonais,

    les

    unes et

    les

    autres apprennent rpondre aux

    cris

    de

    leurs enfants adopts.

    De

    mme,

    les singes

    vervets

    sont

    sensibles aux cris

    d'alarme

    des spros

    superbes

    (Sprea

    superbus)

    (Hauser, 1988),

    mles

    et femelles gibbons mains

    blanches se coordonnent

    de

    faon labore

    au

    cours de leurs chants (Deputte,

    1982),

    et les

    animaux domestiques

    rpondent

    aux

    ordres

    des

    humains.

    Un

    critre

    d unicit

    suppose du

    langage humain

    concerne

    sa

    capacit

    percevoir

    des sons de parole comme parole.

    Les enfants

    discriminent les sons avant de pouvoir

    les exprimer. On a pu montrer par ailleurs que des espces

    non

    humaines montrent

    qu'une

    perception

    des catgories et la capacit percevoir des sons n'est pas une fonc

    tion qui dpend

    de

    la capacit

    les produire

    et

    que de

    nombreuses

    espces non

    humaines catgorisent leurs

    propres

    sons. Les

    macaques

    japonais, par exemple, ont

    sept variantes diffrentes

    de

    la

    vocalisation

    du

    Coo qui sont utilises dans des

    contextes

    diffrents (S.

    Green,

    1975).

    Pour

    revenir aux

    abeilles (Apis

    mellifera)

    voques par

    E. Benveniste,

    leur danse en

    vol

    constitue toujours

    un

    trs

    bon exemple

    non

    humain

    de

    dplacement.

    Comme

    von

    Frisch, l'un des meilleurs spcialistes des

    abeilles,

    James Gould estime toujours que

    leurs danses

    peuvent

    tre

    considres

    comme

    un

    authentique langage.

    Elles

    se

    rfrent

    en

    effet des fleurs qui sont loignes dans l'espace et dans le

    temps

    et

    leur

    structure

    s'appuie sur

    des

    conventions arbitraires (Gould

    &

    Gould,

    1988).

    La

    direction

    du soleil,

    par

    exemple,

    est associe

    un

    en haut

    d'une faon que rien n'impose.

    Pour

    Apis

    mellifera

    carnica,

    une

    distance de 45 mtres

    est

    reprsente

    par un frtillement. Le

    mme comportement

    correspond cependant

    une

    distance de

    20

    mtres

    pour

    A.m.ligustica et une

    distance de

    12

    mtres

    pour A.m. lamarckii. Ces conventions sont

    donc arbitraires,

    mais

    c'est

    un

    arbitraire de l'espce. D'autre part, la

    dimension symbol

    ique

    es

    danses

    ne

    fait

    plus

    de

    doute

    comme

    le montre

    une

    exprience

    ingnieuse.

    Gould (1974, 1975a, 1975b) fait

    en

    effet mentir les abeilles

    recruteuses

    quand elles

    indiquent l'endroit o

    est

    localise la nourriture convoite en manipulant exprimen

    talement

    eur environnement. Les

    abeilles

    recrutes

    se

    rendent

    ainsi

    l'endroit

    qui

    est

    indiqu

    tort

    par

    la

    danse et non

    celui

    o

    se trouve effectivement la

    nourriture.

    la

    mme

    poque, Schricker

    (1974) empoisonne des

    recruteuses

    avec

    du parathion. Il

    les

    conduit

    par

    l-mme

    surestimer la

    distance

    qui spare le nid et la source

    de

    nourri

    turet les recruteuses se rendent

    de

    faon prfrentielle

    l'endroit

    qui

    est

    dsign

    par

    les recrutes,

    et

    non

    l

    o se trouve

    effectivement les ressources nutritives.

    De

    nombreux points

    restent pourtant troublants.

    Les

    danses silencieuses restent

    ineffi

    caces

    et

    les raisons pour lesquelles les danses sont si imprcises quand la nourriture

    est

    proche

    de

    la

    ruche

    restent

    obscures.

    Mme pour

    des

    sources

    plus

    loignes,

    des

    carac

    tristiques importantes comme la hauteur laquelle se

    trouve

    la source

    vise

    ne

    sont

    pas rfrencies.

    La

    danse

    des

    abeilles

    apparat comme un curieux mlange

    la

    fois

    tonnamment prcis et

    bizarrement

    inefficace. Contrairement

    aux

    annes 50,

    les

    abeilles ne sont plus

    considres comme

    aussi

    exceptionnelles

    quand

    on compare

    leurs

    communications celles d'autres espces. Boesch (1991) a dcrit par exemple des

    chimpanzs

    communs (Pan

    troglodytes)

    sauvages

    qui utilisaient2

    un

    curieux

    mode de

    communication

    en

    tambourinnant contre des arbres dans la fort

    et

    Savage-Rumbaugh

    et

    al.

    (1996) ont expliqu longuement les raisons qui les conduisent

    penser que

    des

    2.

    J'emploie l'imparfait

    car

    c'est curieusement

    un

    mode

    de

    communication

    limit

    dans

    le

    temps

    et

    dans l'espace, de surcrot restreint aux grands mles.

    94

  • 8/10/2019 Dominique Lestel- Langage Et Communications Animales

    6/11

    bonobos

    sauvages (Pan paniscus) du Zare donnent des indications sur les chemins

    suivis et les directions adoptes pour

    se

    retrouver le soir.

    3. La situation problmatique

    des

    primates

    Malgr ces

    derniers travaux,

    les

    primates

    posent un

    problme

    dlicat quand on

    cherche comprendre l'mergence

    du langage.

    Gntiquement trs

    proches de

    l'humain, puisqu'ils partagent plus de 98

    de

    nos gnes, ces

    animaux

    possdent quel

    ques-uns des comportements sociaux et techniques les plus

    complexes

    jamais observs

    chez

    un

    animal alors que leurs communications restent

    d'une

    grande primitivit,

    surtout si

    on

    les compare certains chants

    d'oiseaux.

    Peter Marier (1970) s'est mme

    demand s'il n'y aurait pas plus de convergence entre les chants d'oiseaux

    et le

    langage qu'avec n'importe quel autre systme de communication animale.

    Les

    chants

    des

    gibbons, pour ne

    parler

    que

    d'eux, ont des caractristiques

    qui

    suivent

    les

    lois

    de la

    gntique

    quand

    on

    croise

    des

    espces

    diffrentes

    ;

    ils

    sont

    donc

    sous

    contrle

    gnt

    ique. De

    mme, les

    expressions vocales de

    macaques rhsus qui

    sont levs

    isolment

    diffrent

    peu de

    celles

    de

    leurs congnres qui ont t

    levs

    normalement (Seyfarth &

    Cheney, 1997), alors

    que

    des oiseaux

    qui

    ont

    t

    levs dans

    la

    solitude

    ou qui sont

    sourds restent incapables

    de

    chanter

    normalement. Humains

    et

    oiseaux ont une

    production vocale qui

    est

    trs diffrente de celle des primates

    non

    humains.

    Ce problme thorique est

    plutt un

    problme mthodologique. C.

    Snowdon,

    qui

    estime

    que les

    cris

    d'alarme ont t

    indment privilgis,

    adopte

    une autre

    approche.

    Il

    s'intresse aux

    expressions vocales

    travers lesquelles

    les

    ouistitis maintiennent des

    relations

    affiliatives entre compagnons sociaux.

    Il trouve

    ainsi une flexibilit des

    communications

    qui

    rend

    plausible

    l'tablissement

    de

    lignes

    de convergence

    avec

    le

    langage.

    Il

    montre en particulier

    que

    les ouistitis

    nains

    (Cebuella pygmaea) et les tamar

    ins

    Sanguinus

    oedipus) tmoignent

    d'une

    plasticit

    vocale

    remarquable.

    Au moyen

    de

    trilles vocales, les ouistitis nains

    lancent

    des appels

    moduls

    individualiss dont

    la

    frquence possde une

    intonation leve. Ni reflexives ni automatiques, ces squences

    s'organisent

    selon un

    ordre

    rgulier

    de

    prise de

    parole (Snowdon &

    Cleveland,

    1984). Chaque ouistiti visualise ainsi une carte

    sociale de

    son groupe.

    Quand

    deux

    colonies

    se runissent,

    leurs trilles respectives

    se transforment de

    la

    mme

    faon

    que

    des humains

    modifient

    leur langue

    quand

    ils rejoignent un nouveau

    groupe social.

    Le babillage de ces ouistitis nains

    pendant

    les vingt

    premires

    semaines de

    leur vie

    prsente

    de

    surcrot

    une

    structure

    voisine

    de

    celui

    des

    bbs

    humains

    (Elowson et

    alii,

    1998). Prcoce, rythmique et rptitif, il puise dans

    un

    sous-ensemble des sons adultes.

    Sur 21 000

    appels

    tudis, 71 ressemblent des

    appels

    d'adultes, et 19

    sont

    reconnais-

    sabls

    comme des variantes

    d'expressions adultes.

    Chez les bbs humains et

    chez

    les

    petits

    ouistitis ce babillage dpourvu de rfrentiel constitue un acte social. Loin d'tre un

    artefact de laboratoire,

    on

    le trouve aussi chez les ouistitis nains sauvages et chez

    d'autres

    espces du genre Callithrix comme les ouistitis communs (C.jacchus) et les ouistitis argent

    (Cargentata).

    Le ouistiti apprend clairement

    vocaliser

    travers

    ce babillage. Compars

    ce dernier, les chants immatures des oiseaux sont plus loigns

    du

    babillage des

    bbs.

    Chez les

    oiseaux,

    ce sont

    gnralement

    les mles qui

    chantent dans l'hmisphre

    nord

    et

    la priode

    de

    babillage commence

    avec

    la pubert. Ce

    chant

    ne

    reprsente d'ailleurs

    que

    l'une

    des

    nombreuses vocalisations

    de

    l'oiseau.

    Chez

    les

    enfants

    humains,

    au

    contraire,

    le

    babillage

    commence

    bien avant la pubert,

    il

    n'est

    pas propre

    aux mles, et

    il

    inclut un

    large nombre

    de

    phonmes qui seront utiliss plus tard dans la

    parole.

    95

  • 8/10/2019 Dominique Lestel- Langage Et Communications Animales

    7/11

    Enfin,

    l'ontogense

    des

    vocalisations

    enregistres

    pendant

    le partage

    de nourriture

    chez les

    ouistitis

    suggre

    qu'il existe une forme

    d'enseignement de

    la part des

    adultes

    qui faciliterait l'approvisionnement

    prcoce

    des enfants et l'usage appropri des

    appels associs

    de

    la nourriture.

    L'approche

    de

    C.

    Snowdon

    est frappante,

    parce

    qu'elle

    suggre

    que

    les

    communic

    ationses primates les plus proches de celles de l'humain se

    trouvent

    chez des

    petits

    singes queue sud-amricains, des capuccins,

    et non

    chez les grands singes

    anthro

    podes

    africains.

    Cette proximit est

    de

    surcrot

    accentue

    au niveau

    du

    babillage des

    bbs et

    non

    celui

    des

    communications adultes.

    Cette situation est exemplaire des

    difficults que nous rencontrons

    quand nous

    essayons

    de

    tracer un

    tableau

    cohrent

    des communications animales et

    que nous

    tentons

    de les

    comparer avec celles

    de

    l'humain.

    De multiples difficults rendent pourtant un tel projet assez

    problmatique.

    4. Des

    questions

    qui restent en suspens

    Dans les pages qui prcdent, j'ai tent

    de

    montrer

    qu'il est extrmement

    difficile

    de dterminer avec prcision ce qui distingue le langage humain

    des

    communications

    animales en

    toute

    rigueur.

    L'une

    des

    raisons de

    cette

    situation tient la

    difficult

    de

    faire entrer

    cette question dans une

    problmatique

    continuiste ou

    discontinuiste

    simple. Toutes les caractristiques du langage humain se retrouvent un

    degr

    ou

    un

    autre

    dans

    les communications animales ;

    mais

    le langage est le seul systme

    de

    communication avoir toutes ces caractristiques ensemble (Snowdon, 1999). De ce

    point

    de vue, les scnarios qui cherchent reconstituer la phylogense du langage se

    trouvent

    dans une posture dlicate. Tous tiennent en effet

    pour acquis que

    nous

    avons

    une reprsentation satisfaisante

    des

    communications

    animales,

    ce

    qui est

    loin

    d'tre

    le

    cas,

    et

    que

    le

    langage

    prsente

    un

    avantage adaptatif

    dterminant

    que

    nous

    avons

    la

    possibilit de reconstituer,

    ce qui ne va

    pas

    de soi.

    II est

    illusoire de

    chercher LA caractristique

    du

    langage.

    L tude

    minutieuse des

    communications

    animales

    laisse

    plutt

    penser

    que

    le langage

    se distingue par le

    biais

    d'une multitude d'carts signifiants. C'tait d'ailleurs, implicitement, la dmarche

    d'E. Benveniste qui cherchait distinguer le

    langage

    des abeilles et le langage

    humain

    dans le dtail technique

    de

    leurs caractristiques respectives. Reprer ces carts constitue

    un vritable

    travail

    de taupes

    et

    nous

    ne

    cherchons pas ncessairement aux

    meilleurs

    endroits. Prenons

    titre d'exemple

    une diffrence

    entre

    le

    langage

    et

    les

    chants d'oiseau

    qui

    n'est

    jamais discute mais qui

    est pourtant

    massive

    leur dure physique.

    L'oiseau

    chante

    rarement

    des

    squences qui

    excdent

    15

    secondes.

    Encore sont-elles

    rares.

    La

    plupart

    des oiseaux ne dpassent pas 6 secondes, et la moyenne s'tablit autour

    de

    3

    secondes, comme la plupart des perroquets. Seuls

    l'homme

    et la baleine bosses ont des

    squences

    non rptes

    qui ont

    des longueurs

    plus

    longues

    (Harshorne, 1974).

    On

    pourrait

    multiplier les exemples de

    problmes ponctuels

    qui restent encore larg

    ement

    en

    friche ou d'intuitions

    qui

    attendent encore d'tre srieusement discutes. Ainsi,

    la remarque

    de

    G. Bateson qui caractrise

    la

    communication

    animale par son impossibil

    t

    'exprimer

    la ngation est-elle

    malheureusement reste

    lettre

    morte,

    comme celle de

    P.

    Marier

    (1977) selon laquelle c'est

    le

    jeu qui

    est le

    grand analogue au langage humain,

    ou

    celle de

    D.

    Dennett (1987)

    qui s'interroge sur l'absence

    de

    secret chez

    les singes

    vervets.

    Il

    n'existe

    pas d'tude

    sur

    les

    mtaphores chez

    l'animal

    l exception

    d'une

    remarque de

    G. Bateson (1966) qui

    en

    dcrit l'usage par

    un

    loup

    du

    Brookfield Zoo

    Chicago. Le chercheur britannique

    observe

    le chef de bande se diriger

    vers

    son rival qui

    96

  • 8/10/2019 Dominique Lestel- Langage Et Communications Animales

    8/11

    copule

    avec une

    femelle

    laquelle

    il

    n'a normalement

    pas

    accs ; mais au

    lieu

    de

    mettre

    en pices l'impudent,

    il

    lui abaisse quatre

    fois

    la tte avant de repartir.

    G.

    Bateson inter

    prte ce comportement comme une action mtaphorique

    par

    laquelle

    le

    chef de la meute

    exprime

    le

    fait

    qu'il est un

    adulte et un

    an

    et que l'autre n'est

    qu'un

    bb.

    Nos

    intuitions

    propos

    des

    communications

    animales

    sont

    de

    surcrot

    souvent

    fausses. Si le

    langage

    permet

    de dvelopper

    des formes

    propres de

    narrativit,

    il

    n'en

    est pas lui-mme une condition ncessaire. Ds que se dgage une

    possibilit de

    mime

    merge

    une narrativit potentielle. Un animal qui joue raconte dj une histoire

    comme celui qui trompe

    un

    concurrent potentiel. Un bon exemple

    de

    la faiblesse

    de

    nos intuitions sur les communications animales concerne les mammifres marins.

    Les

    dauphins,

    en

    particulier, ont suscit de nombreux

    espoirs

    dans les

    annes 60.

    Maints

    ctologues pensaient

    que

    les dauphins, qui sont

    incontestablement des animaux excep

    tionnellement intelligents,

    doivent possder

    un systme

    de communication d'une

    trs

    grande complexit. Gregory

    Bateson

    tait

    reprsentatif de

    ces

    espoirs. Dans les

    annes

    60, il exprimait

    l'ide que

    si le dauphin

    n'avait

    certainement pas

    un

    langage comme

    celui

    de

    l'homme,

    son

    systme

    de

    communication

    devait

    en revanche

    tre

    trs

    labor.

    Il

    caractrisait la communication animale comme une communication analogique qui

    porte sur les relations

    et

    le langage comme une communication digitale qui porte

    plutt

    sur

    les choses. Dans ce tableau,

    le dauphin

    constitue lui

    seul

    une catgorie

    avec une

    communication digitale

    qui porte sur les relations. Si un

    tel

    langage-

    dauphin existe,

    il

    reste encore

    tre trouv.

    Par contre,

    les

    sifflements

    d'identit des

    dauphins,

    dont

    l'hypothse

    a t

    originellement mise

    par Caldwell &

    Caldwell (1968),

    a rcemment

    fait l'objet

    d'tudes longitudinales qui en ont

    rvl

    la richesse et la

    complexit (B. McCowan &

    D.

    Reiss,

    1995).

    La

    position prudente et technique loigne des

    grandes gnralisations

    que

    j'adopte

    ici

    a

    dj

    t

    dfendue,

    d'une

    certaine

    manire,

    au

    cours

    de

    la

    controverse

    qui

    opposait

    E. Benveniste

    et K. von

    Frisch, mais ni

    par le linguiste

    franais ni par l'thologue autri

    chien.

    Un

    troisime

    personnage apparat

    en

    effet

    en contrejour

    dans ce dbat. Si

    son

    intervention

    est oublie

    aujourd'hui, elle

    n'en reste

    pas moins

    la

    plus

    intressante

    mon sens. Le

    biologiste

    anglais

    J .

    B.

    S. Haldane rpond

    en effet

    lui

    aussi

    Benveniste

    dans un article

    de

    Diogne

    publi

    en 1953. Loin

    de

    se focaliser d'emble sur

    les

    diff

    rences et similitudes entre le langage des

    abeilles

    et le langage

    de

    l'homme,

    J. B. S. Haldane

    adopte

    une approche trs diffrente

    en

    se demandant ce qui distingue

    et ce

    que

    lie

    une

    action et

    une

    communication.

    J. B. S.

    Haldane ne

    nie pas la porte des

    dcouvertes de von Frisch. Au contraire,

    il crit que

    celles-ci sont comparables au

    dchiffrage des

    hiroglyphes

    par

    Champollion. Mais il importe de distinguer

    soigneu

    sement

    ce

    qui

    est

    dcrit

    et

    l'interprtation

    qui

    en

    est

    donne.

    Dans

    une

    ruche,

    les

    abeilles

    excutent

    incontestablement

    des mouvements qui suscitent

    en retour

    des

    rponses chez d'autres

    abeilles

    ; doit-on

    en conclure

    pour

    autant que

    les premires

    communiquent

    une information sur

    la

    source

    de

    nourriture repre ? Pas

    ncessaire

    mentuelques-uns

    de

    ces

    mouvements

    peuvent

    aisment tre

    considrs

    comme des

    faons d'exprimer l'action venir. Haldane

    en conclut

    logiquement

    que la

    distinction

    entre

    communication

    et action

    n'est pas aussi claire qu'elle

    en

    a

    l'air.

    Non seulement

    l'animal peut exprimer des

    mouvements

    d'intention mais il peut de

    surcrot

    y

    rpondre. Plus

    ces

    mouvements

    seront ritualiss

    et plus

    aise

    en

    sera

    la rponse.

    Haldane suggre donc que

    la

    danse

    des

    abeilles est un mouvement d'intention

    extrme

    ment

    itualis

    avant

    une

    sortie

    qui

    amne

    n'importe

    quelle

    autre

    abeille

    effectuer

    une

    sortie

    semblable plutt

    que la communication d'un

    message.

    La danse des abeilles est

    une prdiction

    de

    ses

    mouvements

    futurs

    plutt

    qu'une description

    de ses

    mouvements

    97

  • 8/10/2019 Dominique Lestel- Langage Et Communications Animales

    9/11

    passs.

    Surtout,

    il

    tire

    de

    son interprtation une consquence intressante sur une

    parti

    cularit

    du

    langage humain qui a

    permis

    le passage

    du

    discours vocateur qui vise

    l'avenir au discours descripteur qui parle

    du pass. L'humain

    est celui

    qui

    s'intresse au

    pass. L'homme

    diffre des autres animaux

    par

    ses rapports

    avec le

    temps

    et

    les

    rapports de communication

    entre

    les

    hommes

    doivent

    tre jugs dans cette perspective.

    Haldane

    estime

    que

    les

    danses

    des

    abeilles

    sont

    intressantes

    cause

    de

    leur

    ambigut

    temporelle

    qui en font la

    fois

    des

    prophties

    et des histoires.

    5.

    Conclusion

    Ceux qui abordent la

    question

    de

    l'apparition du langage dans une

    perspective

    volutionniste suivent

    en gnral une

    dmarche

    classique. Ils commencent par isoler

    une caractristique dterminante du

    langage

    qui n'existe dans

    aucune communication

    animale.

    Ils cherchent ensuite

    mettre

    en

    vidence

    les

    avantages

    adaptatifs

    qui

    en

    dcoulent. Ils dterminent enfin les raisons de son mergence et

    de

    son

    adoption

    par le

    groupe humain dans lequel elle est initialement apparue. Une

    telle

    dmarche

    rencontre

    de

    multiples difficults.

    Elle

    suppose

    suffisamment connues les

    communications animales pour

    dterminer

    avec

    un

    minimum

    de

    fiabilit ce

    qui

    leur

    manque

    par rapport

    au langage.

    Elle requiert

    une connaissance minimale des

    usages du langage

    et une reprsentation satisfaisante

    du

    passage

    des qualits structurelles

    du langage

    aux avantages comportementaux que

    procurent

    les

    langues.

    Les chercheurs

    qui

    adoptent cette approche considrent qu'ils

    ont une reprsentation efficiente du

    contexte

    cologique des

    premiers

    hominids

    parlants

    et

    qu'ils peuvent

    dterminer

    avec une

    exactitude

    raisonnable les

    comporte

    mentsui

    sont

    privilgis

    par

    l'usage

    concomitant

    du

    langage.

    Trop

    souvent, les

    auteurs de ces scnarios tiennent pour

    acquis

    qu'un avantage thorique

    du

    langage

    conduit

    ncessairement

    son

    exploitation

    adaptative mthodique

    alors que

    la facult

    de

    le faire

    est aussi

    une comptence

    qu'il

    faut

    expliquer de

    faon

    adaptative.

    Les

    tenants

    de

    cette approche estiment par ailleurs

    qu'ils

    ont une ide

    claire de

    la nature

    des

    preuves empiriques

    qu'ils pourraient apporter pour valider ou rfuter

    ses

    hypo

    thses

    thoriques.

    Enfin, une telle approche nglige habituellement de dterminer les

    inconvnients

    et

    les

    cots d'un

    accs au

    langage

    alors mme

    que

    ces

    informations sont

    indispensables pour

    dterminer

    dans quelle mesure l'usage du langage

    est vraiment

    adaptatif par

    rapport

    aux autres modes de communication

    animale.

    Communications animales

    et

    langage doivent donc

    tre

    replacs

    dans

    une

    conomie

    cognitive et

    sociale

    plus large pour tre

    compars de faon

    fconde et

    pour

    comprendre

    comment

    le

    deuxime

    a

    pu merger

    des

    premires.

    Au

    contraire de

    N.

    Chomsky, je ne vois aucun obstacle majeur

    intrinsque

    qui pourrait empcher le

    succs

    d'une

    telle entreprise ; au contraire des volutionnistes comme S. Pinker, je

    ne

    pense pas que

    nous

    ayons

    actuellement des informations

    suffisantes pour

    l'valuer

    justement.

    Les

    communications animales sont le plus souvent dcrites comme des

    sous-langages.

    Il est alors

    ais,

    en

    partant de cette reprsentation, d'en dduire

    que le

    langage permet

    une communication plus performante

    que celle

    de tout autre espce

    et

    de

    chercher

    les raisons adaptatives qui

    ont

    conduit

    cet

    tat de fait. Une telle vision

    nous

    flatte

    sans doute

    mais ne

    repose

    sur

    rien

    de

    tangible.

    Une

    authentique

    cologie

    compare

    de

    la

    rationalit permettrait de pouvoir l'affirmer

    en toute rigueur, et

    celle-ci

    reste encore

    l'tat

    de projet.

    98

  • 8/10/2019 Dominique Lestel- Langage Et Communications Animales

    10/11

    Les

    animaux

    ne parlent certainement

    pas au sens o

    un

    humain

    peut le faire. Les

    difficults

    se situent

    dans une caractrisation

    juste de

    la

    complexit

    des communicat

    ions

    nimales. Un

    systme de

    communication

    peut tre

    moins

    complexe

    que le

    langage

    et

    tre nanmoins

    trs

    complexe.

    Un

    obstacle majeur

    une apprhension juste des

    zoosmiotiques tient d'ailleurs

    plus notre ethnocentrisme qu' un

    anthropomorphisme

    de

    principe,

    au

    demeurant

    assez

    inconsistant,

    auquel

    nous

    faisons

    en gnral

    allusion.

    Nous apprhendons encore trop les communications animales comme des espces du

    langage tel

    que

    nous

    le

    concevons dans nos

    propres

    cultures

    - en

    insistant

    par

    exemple

    sur le message qui serait convoy

    par

    l'animal. Nous

    ne

    devons pas sous-estimer les

    piges d'une caractrisation

    du

    langage humain lui-mme qui rsulte conjointement

    d'une

    histoire

    phylogntique, d'une

    histoire culturelle et d'une

    histoire

    individuelle.

    Nous

    avons beaucoup

    de mal

    apprhender ce qui

    est en jeu

    dans

    le

    recouvrement

    de ces

    temporalits

    de

    nature diffrente au

    sein

    desquelles

    volue

    le langage. Benve-

    niste estimait que

    l'une

    des diffrences

    majeures qui

    sparent

    les

    communications

    de

    l'animal

    et le

    langage de l'homme

    renvoie la capacit

    de

    ce dernier

    de

    pouvoir parler

    de

    tout.

    Comme

    ironisait

    Haldane,

    comment

    s'assurer

    d'une

    telle

    comptence

    ?

    Il

    est

    sans

    doute plus exact,

    et

    tout aussi impressionnant,

    de

    dire

    que

    le langage

    permet

    de

    parler

    d'infiniment plus de choses que n'importe quelle communication animale, selon

    des

    modalits

    sans

    quivalents chez

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