Différenciation en Mathématiques au cycle des apprentissages
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RENCONTRES PÉDAGOGIQUES
1995-N° 34
CHACUN, TOUS... DIFFÉREMMENT ! Différenciation en Mathématiques
au cycle des apprentissages
Responsables de la rédaction :
Roland CHARNAY - Jacques DOUAIRE -Jean-Claude GUILLAUME - Dominique VALENTIN
Avec la participation
de Christiane HUBERT et d'Elisabeth NONNON
Recherches/Pratiques
PRÉÉLÉMENTAIRE- ÉLÉMENTAIRE
Dans la collection « RENCONTRES PÉDAGOGIQUES »
Imagiciels (1-1983) Histoire de lire (1-1984) Education au développement (2-1984) Des textes avec ou sans ordinateur (3-1984) Comment font-ils ? (4-1984) Temps mobile (1-1985) (non disponible) Informatique et orthographe (2-1985) Chaud, froid... pas si simple (3-1985) Énergie (4-1985) Écrire au tertiaire (10-1986) Communiquer ça s'apprend (11-1986) (non disponible) En mathématiques... peut mieux faire (12-1986) Histoire et géographie à l'école élémentaire (13-1986) (non disponible) Entreprise et représentations (14-1987) Rien ne sert de courir ? (15-1987) Le Prof mène l'enquête (16-1987) Du satellite à la classe (17-1987) D'une manière ou d'une autre (18-1988) Problèmes d'écriture (19-1988) Pour une pédagogie centrée sur l'élève (20-1988) Un, deux, beaucoup... passionnément ! (21-1988) Evaluer pour former (22-1988) Des manuels pour apprendre (23-1988) Les sorties scolaires : temps perdu ou retrouvé (24-1989) Ils ont voulu un projet d'établissement (25-1989) Histoire et géographie : des didactiques dans tous leurs écarts (26-1989) Eduquer aux droits de l'homme (27-1989) Basket-ball : lancer ou circuler (28-1990) Exploiter l'information au CDl (29-1991) Construction de savoirs mathématiques au collège (30-1991) Faire/voir et savoir (31-1992) Traitement de texte et bureautique (32-1993) Ecrire en classe : projets d'enseignement (33-1993)
SOMMAIRE
Présentation 7
Chapitre 1. De la diversité 9 Roland CHARNAY
1. Une approche didactique de la mise en place des cycles 9 1.1. Conceptions d'apprentissage et pratiques d'enseignement :
vers plus de cohérence 11 1.2. Les savoirs et leur enseignement :
vers une meilleure continuité 13 1.3. Une gestion différenciée des apprentissages 15
2. Plus loin dans la mise en œuvre 22 2.1. Macro-objectif, itinéraire d'enseignement,
itinéraire d'apprentissage 22 2.2. La différenciation à différents moments
d'un itinéraire d'enseignement 24
Bibliographie 28
Chapitre 2. Découverte du pouvoir d'anticipation que donnent les nombres 31
Jacques DOUAIRE, Christiane HUBERT
1. Introduction 31
2. Présentation du macro-objectif 32
3. Les éléments de l'itinéraire 36 3.1. Continuité des deux macro-objectifs : « les nombres outils
pour mémoriser » et « les nombres outils pour anticiper » . . . 36 3.2. Les activités en GS 37
3.2.1. Continuité GS/CP sur cet objectif 37 3.2.2. Présentation de TRESOR et des choix de différenciation 37 3.2.3. Les activités d'accompagnement 41
3.3. Les activités du CP 41 3.3.1. Les premières activités d'approche 41 3.3.2. La BOÎTE NOIRE 42 3.3.3. Le NOMBRE-CIBLE 44
4. Conclusion 50
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Chacun, tous... différemment ! Mathématiques au cycle des apprentissages
Chapitre 3. Maîtrise de la distinction entre valeur et quantité 53 Dominique VALENTIN, Colette CHANIAC, Jean-Claude GUILLAUME, Mireille GUILLERAULT, Anne-Marie CHAPON, Françoise PALETOU, Michelle LEVAIS
1. Introduction 53
2. Présentation du macro-objectif 55
3. Itinéraire d'enseignement, itinéraires d'apprentissage 57
4. Prise d'informations sur l'état des connaissances des élèves . . . . 59 4.1. Prise d'information dans les situations 59 4.2. Entretiens individuels 60
5. Activités 61 5.1. MAISONS À CONSTRUIRE 62 5.2. MONNAIE : 1 F, 2 F, 5 F 68 5.3. LE JEU DU BANQUIER 5 CONTRE 1 78 5.4. MONNAIE : 100 F, 50 F, 10 F, 5 F, 2 F, 1 F 87 5.5. BANQUIER 10 CONTRE 1 92 5.6. CAISSIER 1 99
Chapitre 4. Problèmes de partages 117
Michel RAMUS, Jacques DOUAIRE, Jean-Claude GUILLAUME
1. Introduction 117
2. Partages en GS : LES CAISSES 120
3. Partages au CP : LES ENVELOPPES 128
4. Partages au CEI 136
Points - Contrepoints : Échos et résonances. Stratification des parcours d'apprentissage et pluralité des fonctions de la verbalisation 147 Elisabeth NONNON
1. Les situations-problèmes comme emblématiques des situations d'apprentissage, et l'étayage des procédures des élèves comme emblématique de l'activité d'enseignement 150
2. Le dialogue didactique et l'appropriation de connaissances scolaires : que voudrait dire « transmettre une connaissance ? » . . 158
Informations : Bibliographie sur la « pédagogie différenciée » 177 Christiane HUBERT
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Chercheurs et enseignants associés ayant participé aux recherches présentées :
Jocelyne BARTHONNAT (école des Rochers, Clamart) Jacqueline BOUTTIER (école Roger-Sémat, Saint-Denis) Colette CHANIAC (IUFM de Lyon, Centre de Bourg-en-Bresse) Anne-Marie CHAPON (école des Rochers, Clamart) Anne-Marie CHARLES (école annexe, Beauvais) Roland CHARNAY (IUFM de Lyon, Centre de Bourg-en-Bresse) Marie-Paule CHICHIGNOUD (IUFM de Grenoble) Marie-Claude COURTEIX (IEN, Châtenay-Malabry) Danielle DESTAILLEUR (école maternelle, Beauvais) Jacques DOUAIRE (IUFM de Versailles, Centre d'Antony) Joëlle FOURCADE (école de la Tour-d'Auvergne, Colombes) Florence GRUNWALD (école de la Tour-d'Auvergne, Colombes) Nicole GUEDJ (école Petitot, Puteaux) Jean-Claude GUILLAUME (INRP, Paris) Mireille GUILLERAULT (IUFM de Grenoble) Mireille GUILLOU (école des Rochers, Clamart) Christiane HUBERT (IUFM de Créteil, Centre de Livry-Gargan) Michelle LEVAIS (CPAIEN, Suresnes) Nicole MATULICK (école primaire, Paris 20e) Jean MIDBIER (école Jules-Ferry, Amiens) Robert NEYRET (IUFM de Grenoble) Françoise PALETOU (école Jules-Ferry, Meudon) Thérèse RAISONNIER (institutrice honoraire) Michel RAMUS (IUFM de Paris) Christine RAZET (CPAIEN, Bobigny) Ghislaine ROBERT (IUFM d'Amiens, Centre de Beauvais) Carole SAVARY (école annexe, Beauvais) Francine TALMO (école de la Tour-d'Auvergne, Colombes) Chantai TORNICELLI (Centre IUFM de Grenoble) Dominique VALENTIN (IUFM de Versailles, Centre d'Antony) Josette VAUDAY (IUFM de Paris) Véronique ZILBERMAN (école primaire, Paris 20e)
Responsables de la rédaction : Roland CHARNAY Jacques DOUAIRE
Jean-Claude GUILLAUME
Dominique VALENTIN
PRESENTATION
Les réflexions et les propositions présentées dans ce volume de Rencontres pédagogiques constituent une partie l des contributions d'une équipe de l'unité « Didactique des mathématiques » au projet de recherche : «Approche didactique de l'organisation de l'école en cycles d'apprentissage ».
Deux autres équipes ont contribué à cette recherche : - une équipe de l'unité «Didactique du français » ; - une équipe de l'unité «Didactique de l'histoire géographie et
sciences sociales 2 ».
En ce qui concerne les mathématiques, il s'est agi d'apporter des éléments de réponse à l'interrogation suivante :
En quoi la didactique peut-elle contribuer à une amélioration de l'enseignement des mathématiques à l'école primaire conçu dans la perspective des cycles? Quels outils, quelles méthodes, quels dispositifs propose-t-elle aux enseignants de mettre en œuvre pour aider les élèves en difficulté tout en continuant à gérer les apprentissages de l'ensemble des élèves qui sont confiés à l'école ?
Le point de vue didactique resitué dans la perspective des cycles nécessite de développer une triple problématique :
1. Les autres contributions étant constituées : - d'enregistrements sur bandes vidéo de quelques-unes des activités de classe qui seront évoquées dans la suite de la présente publication ; - d'articles à paraître dans la revue Grand N sur l'utilisation des calculettes au CP et au CEI. 2. Une équipe de professeurs d'IUFM, en liaison avec des inspecteurs de l'Éducation nationale, des maîtres formateurs et des instituteurs a travaillé sur les cycles et l'histoire, la géographie, l'éducation civique. Deux publications sont en préparation. La première est une réflexion générale qui analyse, pour les trois disciplines, les apports et les difficultés de la mise en place des cycles. La seconde décrit et analyse des approches diverses, proposant outils et matériaux pour l'enseignement.
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Chacun, tous... différemment ! Mathématiques au cycle des apprentissages
- celle de la recherche d'une meilleure cohérence entre les enseignants d'un même cycle et d'une même école ;
- celle de la recherche d'une meilleure continuité dans les points de vue adoptés sur les savoirs à enseigner ;
- celle de la gestion d'une appropriation différenciée des connaissances par les élèves dans le contexte social de la classe.
Les deux premiers points ont été traités dans deux recherches conduites par notre équipe sur le cycle 2 (« Apprentissages numériques et résolution de problèmes chez les élèves de 5 à 8 ans » et « Vers une nouvelle approche du calcul numérique») et dont les publications ERMEL (GS, CP et CEI) ont servi de matériau de base pour traiter le troisième point qui fait l'objet de cette publication.
Le premier article développe les réflexions qui précèdent dans plusieurs directions :
- par le rappel des conceptions de l'apprentissage qui sous-tendent la plupart des recherches actuelles en didactique des mathématiques ;
- par une analyse des différentes modalités de différenciation que nous avons pu expérimenter ;
- par la présentation de quelques concepts que notre travail nous a amenés à préciser, tel celui de « macro-objectif», ou à mieux différencier, tels ceux d'itinéraires d'apprentissage et d'itinéraire d'enseignement.
Les deux articles qui suivent développent et illustrent des modalités de différenciation à propos de deux « macro-objectifs » fondamentaux pour les premiers apprentissages mathématiques, à savoir :
- la maîtrise de la distinction entre valeur et quantité (CP et CEI);
- la découverte du pouvoir d'anticipation que donnent les nombres (GS et CP).
L'article suivant montre, à propos de problèmes de recherche (activités de partage), ce qu'il est possible de proposer à différents moments du cycle (GS, CP et CEI) et quelles évolutions dans les procédures utilisées par les élèves on peut obtenir qui tiennent compte de leur diversité.
Les rubriques « Points - Contrepoints » et « Informations » apportent d'autres éléments d'information et de réflexion utiles à quiconque a le souci d'une gestion différenciée de son enseignement.
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Chapitre 1
DE LA DIVERSITÉ Roland CHARNAY
INRR « Unité Didactique des mathématiques » Centre IL)FM de Bourg-en-Bresse
La mise en place des cycles doit rester soumise à une réflexion pédagogique pour ne pas sombrer dans l'obéissance résignée ou morose à des directives qui se limiteront vite aux aspects organîsa-tionnels. Toute modification, qu'elle soit au niveau du système éducatif ou à celui de la classe, ne peut être acceptée, et donc être efficace, que si elle peut être éclairée et justifiée par des analyses argumentees et si les propositions qui sont faites apparaissent « réalistes » ou « réalisables » par les enseignants.
C'est dans cet esprit que nous avons conduit une recherche au niveau du cycle 2 dont nous tentons ici de préciser les grandes orientations avant d'en fournir quelques illustrations dans la suite de cette publication.
1. UNE APPROCHE DIDACTIQUE DE LA MISE EN PLACE DES CYCLES l
En quoi la didactique peut-elle aider à penser et organiser un enseignement des mathématiques à l'école primaire conçu dans la
1. Cette partie du texte reprend l'essentiel d'une intervention faite au XIXe colloque inter-IREM des professeurs de mathématiques chargés de la formation des maîtres en mai 1992 (Actes du colloque publiés par l'IREM de Besançon).
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Chacun, tous... différemment ! Mathématiques au cycle des apprentissages
perspective des cycles ? C'est-à-dire un enseignement qui permette à « l'école d'accroître encore son efficacité 1 ».
Le point de vue didactique invite à situer la réflexion dans le cadre du système didactique qui est fait de la mise en relation de trois éléments : l'enseignement (point de vue du maître), l'apprentissage (point de vue des élèves) et les savoirs (objets de l'enseignement et de l'apprentissage).
La perspective des cycles, caractérisée par la volonté de «mieux prendre en compte le développement de l'enfant» et «ses démarches d'apprentissage» et de «bien assurer la continuité entre les cycles », peut alors être envisagée dans trois directions :
- la recherche d'une meilleure cohérence entre les enseignants d'un même cycle et d'une même école, en ce qui concerne leurs conceptions sur l'apprentissage et les dispositifs d'enseignement qu'ils mettent en œuvre ;
- la recherche d'une meilleure continuité dans les points de vue adoptés sur les savoirs à enseigner, leur découpage en vue de leur enseignement, la programmation des objectifs et des activités sur le long terme ;
- la volonté d'accepter et de gérer une appropriation différenciée des connaissances par les élèves dans le contexte social de la classe, et donc de mieux prendre en compte la diversité des temps et des itinéraires d'apprentissage individuels.
Le schéma ci-après permet d'illustrer les points de vue retenus pour cette approche didactique des cycles.
prise situations d'information d'entrée
pour certains
Si
gestion différenciée de la situation en référence à l'objectif
XXX
bilan de sortie
activités différenciées d'entraînement de consolidation d'approfondissement de construction
XXX
évaluation du niveau de maîtrise
Morceau d'itinéraire d'enseignement « différencié »
1. L. Jospin (ministre d'État, ministre de l'Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports) dans sa préface au document Les Cycles à l'école primaire, CNDP et Hachette.
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De la diversité
ENSEIGNEMENT
Cohérence
conceptions sur l'apprentissage
et sur l'enseignement des mathématiques
contrat didactique
Continuité
point de vue sur les savoirs champs conceptuels
objectifs, programmation
APPRENTISSAGE — Différenciation
temps d'apprentissage itinéraires d'apprentissage repérage des connaissances, des erreurs analyse en terme de conceptions stratégies de différenciation
SAVOIRS
1.1. Conceptions d'apprentissage et pratiques d'enseignement : vers plus de cohérence
Certaines erreurs, certaines difficultés ou certains comportements d'élèves en classe sont interprétables en terme de «contrat didactique». C'est-à-dire que ce sont moins les connaissances mathématiques de l'élève qui sont en cause que la perception qu'il a de ce qu'on attend de lui dans la situation qui lui est proposée. En reprenant les propositions de (Brousseau, 1986) on peut définir le contrat didactique comme « l'ensemble des comportements de l'enseignant qui sont attendus de l'élève et l'ensemble des comportements de l'élève qui sont attendus de l'enseignant. Le contrat est donc ce qui détermine explicitement pour une petite part, mais surtout implicitement, ce que chaque partenaire va avoir à gérer et dont il sera, d'une manière ou d'une autre, comptable devant l'autre».
Lorsqu'il change de classe, l'élève doit s'adapter à un nouveau contrat, tenter de déterminer, pour chaque type d'activité, ce qui est permis, ce qui est interdit, ce qui est attendu.
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Chacun, tous... différemment ! Mathématiques au cycle des apprentissages
Deux exemples
Ici, l'usage de la calculette est interdit, tout calcul doit être consigné par écrit et accompagné d'une phrase (qui le suit ou qui le précède). Là, l'accès à la calculette est libre, et il n'est pas toujours nécessaire de fournir une trace écrite du calcul effectué, notamment s'il a été fait mentalement, etc. Changement de contrat !
Dans telle classe, un problème n'est proposé aux élèves qu'après que les connaissances nécessaires à sa résolution furent étudiées et eurent fait l'objet d'exercices nombreux, alors que dans telle autre classe, l'élève se trouve confronté à des problèmes inédits qui serviront à la construction de nouvelles connaissances. Dans le premier cas, il s'agit d'appliquer des connaissances déjà étudiées et donc de déterminer, parmi celles qui ont été travaillées ensemble récemment, lesquelles sont utilisables ici. Dans le second cas, il s'agit de chercher une solution originale, nouvelle, personnelle peut-être, qui sera confrontée à celles d'autres élèves et appelée à évoluer. Changement de contrat, encore !
Ce sont évidemment les élèves les plus fragiles, les moins sûrs d'eux-mêmes et de leurs- connaissances qui sont d'abord piégés ou déstabilisés par de tels changements.
C'est souvent dans les moments d'évaluation ou lors des corrections que l'élève se construit une représentation de ce qu'on attend de lui dans telle ou telle activité. Ainsi, en reprenant l'exemple de la résolution de problèmes, on peut opposer deux types d'exploitation des productions des élèves, qui, en retour, influeront sur ce que l'élève fera dans une nouvelle activité de même type. Dans cette classe, le maître « fait une correction » : des élèves sont sollicités successivement et, guidés par l'enseignant, produisent au tableau une solution que toute la classe recopie. Dans cette autre classe, le maître propose une « mise en commun » : diverses solutions sont affichées, explicitées par leurs auteurs, discutées collectivement, comparées..., et, le plus souvent, aucune n'est retenue comme « meilleure ». Lors d'une nouvelle activité de résolution de problèmes, l'élève de la première classe aura tendance à vouloir produire une solution qui se rapproche le plus possible de celle qu'il pense attendue par le maître ; celui de la seconde classe sera peut-être davantage tenté de produire la solution qui correspond le mieux à la représentation qu'il se fait de la situation proposée, en mobilisant les connaissances disponibles pour lui.
Les pratiques de l'enseignant contribuent ainsi, jour après jour, à modeler le contrat qui influe lui-même sur les productions et les comportements de l'élève. Ces pratiques sont elles-mêmes influencées par
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De la diversité
les conceptions de l'enseignant sur la discipline (Qu'est-ce que les mathématiques? Qu'est-ce que faire des mathématiques ?), sur son apprentissage (Comment les élèves apprennent-ils des mathématiques ?) et sur son enseignement (Quelles activités faut-il mettre en place pour favoriser l'apprentissage ? Dans quelles conditions ? Faut-il donner des recettes aux élèves ? Les calculatrices empêcheront-elles le calcul ?...).
Fondamentalement, c'est bien à une réflexion sur l'apprentissage que nous invite la mise en place des cycles.
De nombreux travaux existent aujourd'hui qui peuvent alimenter une telle réflexion, et aider les enseignants d'un même cycle ou d'une même école à construire une cohérence argumentée dans leurs pratiques d'enseignement. Limitons-nous à signaler quelques pistes importantes, concernant les mathématiques :
- la place et le rôle de la résolution de problèmes dans les apprentissages mathématiques, à travers l'idée de «situation-problème» (problème dont le traitement doit permettre à l'élève de faire évoluer ses connaissances actuelles ou d'en élaborer de nouvelles) et celle de «problème ouvert» (problème inédit dont l'objectif est d'apprendre à chercher, à construire des méthodes de recherche) ;
- le statut de l'erreur, expression qui recouvre d'une part l'interprétation qui peut être faite des erreurs des élèves, des conceptions et des obstacles qu'elles révèlent à propos de tel ou tel concept, les significations qui peuvent leur être données par rapport au contrat didactique, contrat que leur traitement contribue d'ailleurs à élucider, et d'autre part l'utilisation qui peut en être faite en classe, pour aider aux apprentissages ;
- la place et le rôle des échanges entre élèves dans l'apprentissage des mathématiques (conflits, débats, coopération, aide mutuelle) : l'apprentissage est-il un acte purement individuel ou bien a-t-il aussi un caractère social ?
1.2. Les savoirs et leur enseignement : vers une meilleure continuité
Certaines difficultés d'élèves, pour un concept donné, peuvent être analysées en référence aux stratégies choisies pour leur enseignement. G. Brousseau a, dans ce cas, parlé d'obstacles d'origine didactique. Évoquons deux sources de difficulté.
Les situations choisies pour introduire le concept n'ont pas permis aux élèves de s'en faire une représentation correcte : c'est ainsi que,
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Chacun, tous... différemment ! Mathématiques au cycle des apprentissages
pour certains élèves de CP ou CEI, le chiffre des dizaines représente un nombre de « barres » plutôt qu'un groupement de dix unités (la forme l'emporte sur le sens).
Parfois aussi, pour une notion donnée, il y a, d'une classe à l'autre, une évolution de signification qui ne fait pas l'objet d'un travail explicite : ainsi, au CP, l'élève a toujours rencontré l'addition dans des situations de gain ou d'augmentation (pour lui, si ça augmente il faut faire une addition) et au CEI il se trouve désarçonné lorsqu'on lui demande combien il y avait avant une augmentation !
Rien ne s'apprend en une seule fois et tout ce qui est appris à un moment donné peut influer sur ce qui sera appris plus tard. Voilà qui invite à travailler sur la continuité des apprentissages... en n'oubliant pas que certains apprentissages supposent aussi des ruptures avec des apprentissages antérieurs, mais des ruptures voulues et organisées.
Paradoxalement, pour l'enseignement, penser la continuité pour tel apprentissage, c'est aussi prendre en charge les ruptures et les restructurations conceptuelles qui sont nécessaires.
La définition des compétences attendues pour l'ensemble des trois années d'un cycle prend en compte le fait que la plupart des connaissances se construisent sur une longue période de temps (qui se réduit rarement à une année scolaire). Il convient d'en tenir compte dans le découpage des savoirs en vue de leur enseignement, de même qu'il faut retenir le fait que les concepts ne fonctionnent pas de manière isolée. G. Vergnaud invite ainsi, pour la description des contenus de connaissance, des problèmes qui leur donnent sens et des procédures qu'il faut mobiliser pour les résoudre, à «ne pas considérer un ensemble trop limité de problèmes, ni une période trop brève du développement des enfants ou de la scolarité ».
Le travail des enseignants pour opérer un découpage des savoirs, établir sur un cycle une programmation de leur apprentissage (programmation qui n'est pas a priori calquée sur un découpage en années scolaires) et élaborer les situations qui permettront cet apprentissage ne peut ainsi ignorer une triple réflexion :
- réflexion sur une organisation des concepts, sur les problèmes qui, à un moment donné, leur donneront sens, sur les procédures qui permettront de les utiliser, sur les désignations verbales ou symboliques qui serviront à les évoquer (avec des niveaux de formulation qui peuvent évoluer) et sur les propriétés qu'il est possible ou nécessaire de dégager ;
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De la diversité
- réflexion sur les difficultés souvent rencontrées par les élèves, les erreurs les plus significatives, les conceptions qu'elles révèlent ;
- réflexion sur une chronologie possible pour leur enseignement, compte tenu des analyses précédentes.
Pour aider à une telle réflexion, G. Vergnaud a opportunément introduit l'idée de «champ conceptuel» qu'il définit comme «un ensemble de situations, dont la maîtrise requiert une variété de concepts, de procédures et de représentations symboliques en étroite interaction ». Chacun connaît, par exemple, ses analyses concernant le champ conceptuel des « structures additives » qui recouvre le paysage complexe des situations qui peuvent se résoudre par l'addition ou la soustraction et dont certaines, pour être résolues, nécessitent le recours aux nombres négatifs. Il précise que «l'acquisition des structures additives s'étend sur une période du développement de l'enfant et de l'adolescent supérieure à dix années... » Il y faut donc plusieurs cycles !
Cette notion de «champ conceptuel» apparaît ainsi particulièrement féconde pour un travail dans le cadre d'un cycle, puisqu'elle permet d'envisager les apprentissages dans une perspective large en ce qui concerne les concepts étudiés et qu'elle prend en compte le long terme pour leur construction par l'élève. On est ainsi au cœur d'une continuité double : celle qui relie des concepts entre eux, celle qui s'intéresse à leur appropriation dans la durée.
Les travaux que nous avons pu conduire concernant l'apprentissage des nombres et du calcul au cycle 2 ont largement utilisé une telle perspective l.
1.3. Une gestion différenciée des apprentissages
C'est un lieu commun que d'affirmer que tous les élèves n'apprennent pas les mêmes choses en même temps, ni au même rythme.
Quelques réflexions théoriques permettent d'étayer cette affirmation souvent formulée, mais dont il faut bien noter que toutes les conséquences n'en sont pas tirées au niveau de l'enseignement des mathématiques, encore largement conçu comme un processus linéaire et collectif.
1. Voir les ouvrages de la collection ERMEL pour la grande section, le CP et le CEI (Éditions Hatier).
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Chacun, tous... différemment ! Mathématiques au cycle des apprentissages
La question du temps est une question importante dans l'enseignement, d'ailleurs souvent mise en avant par les enseignants : « Si on fait ça, on n'aura pas le temps de faire le programme. » La notion même de cycle est d'ailleurs étroitement liée à celle de temps.
En réalité, cette question comporte différentes dimensions et il peut être utile à l'analyse de distinguer trois types de temps qui fonctionnent simultanément à l'école :
- le temps de la scolarité, rythmé par le passage d'une classe à l'autre, d'un cycle à l'autre, d'un degré à un autre, marqué par des décisions (redoublement ou non, maintien dans le cycle), plus tard par des examens ou par des décisions d'orientation, avec ses phénomènes de ruptures souvent analysés (changement de maître, de lieux, d'exigences, de contrat didactique, parfois fondamental, par exemple en géométrie au collège, avec le changement de statut de la figure géométrique, ...) ;
- le temps de l'enseignement, celui que l'enseignant a à charge de gérer, sous le regard du législateur, des programmes notamment, mais aussi en fonction des choix curriculaires qui restent de son ressort. Pour faire court, disons que le temps de l'enseignement, c'est le temps du maître ;
- le temps de l'apprentissage, celui qui rythme la relation de chaque élève particulier avec un domaine de connaissances, avec une notion, marqué, lui aussi, de ruptures, sauts, retours en arrière, réorganisations conceptuelles qui marquent les apprentissages individuels.
Le système d'enseignement a tendance à vouloir identifier (ou réduire) le temps de l'apprentissage au temps de l'enseignement, à vouloir ainsi nier la contradiction entre le rythme de l'enseignement imposé globalement par les textes officiels (les programmes) et localement par le maître (progression, temps imparti pour une activité donnée) et les rythmes réels des apprentissages individuels qui ne sont ni identiques d'un élève à un autre, ni réguliers pour un même élève (moments d'apparente stagnation ou même régression qui accompagnent parfois les phases de réorganisation des connaissances lors d'un nouvel apprentissage). En quelque sorte, le temps d'apprentissage de chaque élève se trouve placé sous les contraintes du temps de l'enseignement, lui-même contraint par le temps de la scolarité.
L'une des hypothèses sous-jacentes à la mise en place des cycles est qu'il est possible « d'introduire plus de souplesse dans les apprentissages des élèves et dans l'organisation du travail des enseignants » (brochure du ministère de l'Education nationale, Les Cycles à l'école primaire). Peut-on proposer de schématiser cette volonté de la manière suivante ?
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De la diversité
temps temps * • d'enseignement -*» • d'apprentissage
gestion différenciée
des apprentissages
Si le temps d'apprentissage n'est pas le même pour tous les élèves, l'itinéraire d'apprentissage n'est pas non plus identique d'un élève à l'autre. L'analyse des productions d'élèves (notamment erronées) en terme de conceptions est là pour en témoigner. Sans approfondir ce thème, il suffit sans doute de souligner ici la diversité des conceptions qui peuvent s'exprimer sur un sujet donné, la variété des erreurs qu'elles peuvent provoquer, la résistance que certaines d'entre elles peuvent offrir à la construction de connaissances correctes et donc la nécessité de les prendre en compte de manière spécifique pour élaborer des situations qui permettent le franchissement de l'obstacle qu'elles constituent.
La question se pose alors à l'enseignant : comment organiser un enseignement, malgré tout "nécessairement collectif, qui prenne en compte et en charge ces différences dans les rythmes d'apprentissage et dans les façons de concevoir, de maîtriser et de mobiliser les mêmes notions ?
La gestion de cette inévitable hétérogénéité doit reposer sur un repérage et une analyse des conceptions, des compétences et des difficultés de chacun et sur l'identification de ses possibilités d'apprentissage et de ses besoins particuliers. L'observation et l'évaluation sont donc des moments importants dans ce domaine... à condition de disposer de referents solides pour l'interprétation des productions des élèves (et des procédures qu'ils ont utilisées)... et de quelques pistes pour la mise en place de stratégies de différenciation. Les diverses modalités de prise d'information avant, pendant et après les séquences d'enseignement seront largement évoquées à travers les exemples traités dans cet ouvrage.
Comment mettre en œuvre et gérer des dispositifs de différenciation ?
Insistons d'abord sur un point important: cette mise en œuvre n'implique pas forcément, et en tout cas pas à tout moment, des modi-
temps scolaire - <
projet de cycle
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Chacun, tous... différemment ! Mathématiques au cycle des apprentissages
fications dans l'organisation de la classe. De notre point de vue, l'existence du groupe-classe est indispensable, pour des raisons à la fois d'ordre psycho-affectif (identification d'une communauté à laquelle on appartient), d'ordre didactique (rôle des interactions sociales dans l'apprentissage) et d'ordre pratique (travail de l'enseignant). C'est donc dans ce cadre que seront situées les stratégies de différenciation proposées ici. Quatre pistes de différenciation sont évoquées ici.
La différenciation « par les procédures »
Il s'agit, pour l'enseignant, d'accepter (et de valoriser) le fait que, dans certaines activités (par exemple la résolution d'un problème), chacun réponde avec sa propre solution, ses propres procédures, sans forcément établir de hiérarchie entre celles qui sont apparues dans la classe.
Ainsi, au CEI, dans un problème de partage équitable (où l'on cherche la valeur de la part de chacun) : certains répondent en ayant recours à un dessin, d'autres réalisent une première répartition qui est ensuite ajustée, d'autres encore font des hypothèses sur la valeur de chaque part et utilisent l'addition répétée, d'autres peuvent tenter des essais en utilisant la multiplication, etc. L'inventaire, la confrontation des procédures, les « ponts » que les élèves et l'enseignant pourront établir entre certaines d'entre elles lors d'une mise en commun seront une occasion de progrès pour certains ; il n'y a plus alors la bonne solution (celle que le maître attendait !), mais des solutions qui sont reconnues et prises en compte.
L'idée de mise en commun, d'échange, de débat, s'oppose alors à celle de correction. L'opposition, en fait, porte sur ce qu'on pense être les ressorts de l'apprentissage : dans le premier cas, on table sur les interactions entre pairs, sur la confrontation des solutions pour provoquer un apprentissage ; dans le second cas, on espère qu'en exposant et en expliquant la « bonne solution », on permettra son appropriation par les élèves. Elle porte également sur la tolérance qu'on peut avoir vis-à-vis de telle ou telle forme de solution, sur le fait de considérer ou non que tous les élèves doivent avoir accès aux mêmes solutions au même moment ou encore sur le caractère relatif de telle erreur. La mise en commun peut aussi être l'occasion d'analyser certaines erreurs, de distinguer, par exemple, avec les élèves, celles qui sont le signe d'une mauvaise interprétation de la situation, celles qui révèlent une mauvaise gestion d'une solution par ailleurs viable, ou encore les erreurs d'exécution (d'un calcul, par exemple).
Ce travail conduit en utilisant les diverses productions, en les confrontant, en les analysant, ne manquera pas d'avoir un effet en
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De la diversité
retour sur la perception par les élèves du contrat, de ce qu'ils ont le droit d'utiliser et de produire : s'agit-il de répondre au problème posé, à partir de la représentation que je m'en fais et en utilisant les moyens et les connaissances que je pense utiles ici et qui sont disponibles pour moi, ou bien s'agit-il de trouver (de deviner, pour certains) la solution attendue par l'enseignant? En poussant un peu loin la caricature, répondre, chacun à sa façon, au problème posé... ou bien répondre, tous de la même façon, au maître qui a posé le problème !
Ce type de différenciation, apparemment le plus simple, est en réalité le plus difficile à mettre en œuvre, car il touche directement au cœur des conceptions concernant l'apprentissage et l'enseignement.
La différenciation par les ressources disponibles et les contraintes imposées
Ce type de différenciation vise à adapter la situation, qui est comme précédemment la même pour tous les élèves, aux capacités et aux besoins d'apprentissage actuels des élèves, en choisissant soigneusement les valeurs données à certaines variables de la situation.
Ainsi, dans une classe de grande section, les élèves sont confrontés à l'activité suivante : chacun possède un trésor (de quelques perles), lance un dé, et doit déterminer quelle sera la Valeur de son trésor lorsqu'il y aura ajouté le nombre de perles indiqué par le dé. La taille du trésor initial, le nombre de points indiqué par le dé sont évidemment des variables importantes à prendre en compte : selon leur valeur, l'enfant pourra par exemple plus ou moins facilement représenter les quantités sur ces doigts, dessiner les objets, réaliser un surcomptage mental... Les variables «nombre initial de perles» et «valeurs du dé» permettent ainsi à l'enseignant une double action : adapter la quantité aux compétences de chacun par rapport à sa maîtrise des nombres, obliger certains élèves (ceux qui en sont capables) à abandonner une procédure pour une autre plus élaborée (surcomptage, par exemple). D'autre part, pour certains élèves, le dé peut porter des nombres figurés (par des points) alors que, pour d'autres, il portera des écritures chiffrées. L'enseignant peut également décider que, pour certains élèves, le dé restera visible après avoir été lancé, ce qui peut les aider à utiliser le surcomptage.
On peut envisager de «jouer» avec une autre contrainte, qui est celle du temps disponible pour l'activité proposée. Chacun sait bien que, pour une même tâche, certains ont besoin de plus de temps. Comme on l'a déjà signalé, une réflexion sur le temps se révèle centrale dans l'idée de cycle. On peut, à cet égard, se proposer d'agir soit
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au niveau du « temps court » (celui de la différenciation dans le cadre d'une activité déterminée) soit à celui du «temps long» (celui qui invite à distinguer le rythme de l'enseignement collectif et le rythme de l'apprentissage individuel).
Dans une autre activité pour le CP, au cours de laquelle les élèves ont à résoudre des problèmes liés à des échanges entre des objets (selon une règle d'équivalence donnée), on peut demander à certains élèves de déterminer le résultat d'un échange uniquement par écrit, alors que d'autres sont autorisés à aller chercher les objets à certains moments de l'activité ou que d'autres encore ne peuvent travailler qu'au niveau de l'échange effectif. (Voir, à ce sujet, la partie « Maîtrise de la distinction entre valeur et quantité ».) Dans d'autres cas, le maître peut prendre à sa charge une partie de la tâche (noter les résultats de l'échange, par exemple), rendant ainsi les élèves plus disponibles pour le respect des règles d'échange.
Ce type de travail (même activité pour tous, mais avec différenciation au niveau des ressources et des contraintes) peut être proposé individuellement ou en groupes homogènes formés sur la base des compétences des élèves vis-à-vis du problème considéré ; les échanges dans le groupe peuvent alors être plus fructueux que dans un groupe totalement hétérogène.
L'intérêt de ce type de gestion différenciée réside dans le fait que, tout en permettant une adaptation du problème posé aux compétences des élèves, il autorise malgré tout des confrontations de solutions puisque le contexte et le type de questions posées restent les mêmes pour tous.
La différenciation par les rôles
Dans certaines activités, les élèves jouent des rôles différents : par exemple, l'un est caissier et les autres sont des joueurs. La tâche dévolue à chacun exige des compétences différentes en même temps qu'elle en permet le développement. On peut donc répartir les rôles en tenant compte des compétences et des besoins d'apprentissage de chacun. Ainsi, dans la situation CAISSIER (tirée du travail sur «Valeur et quantité »), on peut s'interroger sur le choix de l'élève qui, dans un groupe, jouera le rôle du caissier. Si on choisit d'assigner au caissier la tâche de construire la somme demandée par le joueur (par exemple 35 F), le caissier devra être capable de recourir aux pièces de 10 F pour réaliser la somme demandée. La désignation, pour le rôle du caissier, d'élèves qui ont encore tendance à privilégier les pièces de 1 F peut s'avérer intéressante : la lourdeur de la tâche qui leur incombe et l'in-
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teraction avec les joueurs peuvent le conduire à utiliser progressivement davantage les pièces de 10 F. Dans un second temps, les rôles peuvent être inversés pour montrer aux élèves récalcitrants l'avantage que représente le recours aux pièces de 10 F, ce que font spontanément les élèves les plus habiles.
Comme on le voit, cela exige des maîtres la capacité de repérer avec précision à la fois les effets attendus de la situation proposée et l'état des compétences et des possibilités d'apprentissage de chacun.
La différenciation par la tâche
On propose, dans ce cas, de mettre en place des ateliers « de soutien», «de besoin» ou «de choix», «d'entraînement» ou «d'approfondissement» dans lesquels des activités personnalisées et adaptées sont proposées en fonction des besoins évalués de chacun. Les élèves ne travaillent alors pas tous sur la même activité, ni même forcément dans la même discipline.
À certains sont proposées, par exemple, des activités d'approfondissement ou d'entraînement qui peuvent être réalisées en autonomie, ce qui permet au maître de se rendre plus disponible pour d'autres élèves qui ont davantage besoin de sa présence. Ainsi, au cours du travail sur la maîtrise de la distinction entre valeur et quantité (cf. chapitre 3), le maître constate que quelques élèves ne maîtrisent pas l'équivalence (du point de vue de la valeur) entre une pièce de 5 F et un ensemble de deux pièces de 2 F et une pièce de 1 F. Il décide alors de conduire un travail spécifique avec ces quelques élèves. Cette forme de tutorat peut d'ailleurs, dans certains cas, être exercée par d'autres élèves.
Si ce type d'activité différenciée (par la tâche) a son intérêt à certains moments, il ne doit ni être systématisé (dérive vers les groupes de niveaux, qui privent les élèves les moins habiles du dialogue avec d'autres et de la perspective d'apprentissage qui leur est offerte dans cet échange), ni constituer la seule forme de prise en compte des divers états de connaissance des élèves de la classe.
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2. PLUS LOIN DANS LA MISE EN ŒUVRE
Les travaux que nous avons conduits sur les apprentissages numériques de la grande section au CEI pendant plusieurs années se sont constamment appuyés sur une triple réflexion : sur les conditions de l'apprentissage des mathématiques pour déjeunes élèves, réflexion sur la double continuité dans laquelle doivent s'inscrire ces apprentissages (celle qui relie les connaissances entre elles, celle qui s'intéresse à leur appropriation sur le long terme), sur la prise en compte des élèves «tels qu'ils sont» (du point de vue notamment de leur état de savoir). On retrouve dans ces préoccupations les idées de cohérence dans les choix en matière de conceptions sur l'apprentissage, de continuité sur la manière d'envisager l'appropriation de domaines de connaissances et de gestion différenciée des apprentissages.
Il nous est cependant apparu que, sur la base des dispositifs d'enseignement proposés, la réflexion devait être approfondie en ce qui concerne cette gestion différenciée des apprentissages, avec une double préoccupation concernant d'une part les connaissances enseignées, et d'autre part les élèves.
Du côté des connaissances enseignées, nous pensons qu'il serait dangereux de considérer des éléments trop étroits, le risque étant alors d'aller vers un émiettement des savoirs et, par conséquent, de limiter les aides différenciées aux seuls aspects techniques. Or, c'est le plus souvent au niveau du sens qu'il convient d'intervenir. Le travail s'organisera donc autour de l'idée de macro-objectif, qui caractérise un objectif important, recouvrant un aspect essentiel d'une notion et dont l'appropriation par les élèves ne peut se faire que sur une durée assez longue, à travers la confrontation avec plusieurs situations.
Du côté des élèves, notre volonté est de travailler avec le groupe classe et, ainsi, de conserver le profit des apports mutuels dans l'apprentissage. Dans cet esprit, nos propositions ont donc pour but de préserver une certaine homogénéité, en particulier de maintenir la possibilité pour les élèves de travailler sur les mêmes situations. En quelque sorte, il s'agit de gérer la diversité pour maintenir, dans la classe, la possibilité d'une «histoire cognitive» commune, et cela aux différentes étapes des apprentissages relatifs à un macro-objectif donné.
2.1. Macro-objectif, itinéraire d'enseignement, itinéraire d'apprentissage
L'itinéraire d'apprentissage permet de rendre compte de l'apprentissage particulier d'un élève par rapport à un macro-objectif déterminé, à travers la succession des situations qui lui ont été proposées par l'enseignant.
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La notion d'itinéraire d'apprentissage se définit donc en rapport avec un macro-objectif déterminé, par exemple :
- comprendre qu'en utilisant les nombres, il est possible d'anticiper le résultat d'une action sur une quantité (accroissement, diminution, partage,...) ;
- comprendre la distinction entre valeur et quantité, etc.
La question à laquelle est confronté l'enseignant est celle de la gestion, dans la classe (avec tous ses élèves), de la diversité des itinéraires d'apprentissage individuels, pour un macro-objectif donné. En effet, le moment où tel élève acquiert tel élément du savoir et la manière dont il l'a acquis sont souvent difficiles à repérer pour l'enseignant; il lui est, par contre, plus facile d'identifier certaines réussites ou certaines difficultés et, à partir de l'analyse qu'il en fait, de «moduler» son enseignement pour agir sur l'itinéraire d'apprentissage de l'élève.
Dans l'approche que nous avons choisie et dont nous donnons quelques illustrations dans cet ouvrage, le maître cherche à répondre à cette question en choisissant une suite de situations clés articulées les unes aux autres et dont la maîtrise par l'élève doit permettre la réalisation de l'apprentissage associé au macro-objectif choisi. Cette suite de situations proposées aux élèves constitue ce que nous appelons l'itinéraire d'enseignement correspondant au macro-objectif choisi.
L'itinéraire d'enseignement, pour un macro-objectif donné, est donc défini, a priori, pour tous les élèves. Pour le rendre compatible avec la diversité des itinéraires d'apprentissage, le maître devra procéder à des adaptations, introduire des régulations en fonction de l'information qu'il recueillera en analysant les productions de ses élèves pour chaque situation proposée.
Pour cela, il va chercher à mettre en place des dispositifs de différenciation, soit à l'intérieur de chaque situation, soit dans l'itinéraire lui-même (c'est-à-dire avant ou après une situation déterminée).
Ce qui, pour une situation particulière figurant dans un itinéraire d'enseignement, peut être schématisé de la manière suivante :
S, > - S 2 • S 3 » - S4 » • S 5 * • ...
Itinéraire d'enseignement
Deux remarques doivent ici être formulées.
Si des moments de prise d'information sont prévus de manière spécifique, la préoccupation de prendre en compte, d'analyser et d'interpréter les productions des élèves doit être permanente. En ce sens, l'ac-
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tivité d'évaluation (au sens formatif du terme) est présente tout au long du processus d'enseignement: entretiens individuels, analyse de travaux d'élèves, suivi des échanges dans un groupe, analyse de « feuilles de jeu » préparées par l'enseignant et remplies au fur et à mesure par les élèves, constituent autant d'occasions de s'informer sur « l'état de savoir » des élèves.
De la même manière, le souci de gérer la diversité des connaissances et des compétences des élèves doit être constant. Pour cela, des actions spécifiques peuvent être mises en place aussi bien avant d'aborder une nouvelle situation que pendant l'étude de cette situation ou encore qu'après en avoir évalué les effets.
2.2. La différenciation à différents moments d'un itinéraire d'enseignement
Nous nous proposons, dans ce paragraphe, de préciser quelques pistes de travail pour des actions différenciées à différents moments d'un itinéraire d'enseignement.
1) Avant d'aborder avec les élèves une nouvelle situation d'enseignement, trois types d'actions peuvent être envisagés.
L'analyse a priori de la situation qui sera proposée permet de mettre en évidence les compétences préalables que l'élève doit nécessairement maîtriser pour pouvoir tirer bénéfice de la situation qui lui sera proposée. Un travail particulier sur ces compétences, avec quelques élèves, peut s'avérer nécessaire. Ainsi, dans les activités de partage proposées au CP, est-il nécessaire que les élèves soient capables de dénombrer des quantités d'objets (jusqu'à trente environ), de comparer de petits nombres et de déterminer les écarts entre ces nombres. Si ces compétences s'avèrent trop difficiles à remettre en place pour certains, il demeure encore possible de choisir, pour la situation qui sera proposée à ces élèves, un contexte numérique approprié à leurs compétences réelles (cf. paragraphe suivant).
Certains élèves ont plus de difficultés que d'autres à « rentrer dans une situation » nouvelle pour eux. Ils ont, par exemple, du mal à s'approprier en même temps le matériel mis à leur disposition, les diverses contraintes de la tâche proposée et la question à laquelle il faut répondre. Parfois peu sûrs d'eux-mêmes ou incertains sur les connaissances à utiliser, ils donnent l'impression (face à une nouvelle situation) d'être paniques, de faire n'importe quoi. Pour ces élèves, une phase de familiarisation avec le nouvel environnement de travail qui va servir
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de cadre aux problèmes à résoudre peut constituer une aide utile : jeu avec le matériel qui sera utilisé, résolution de problèmes simples à propos de ce matériel... Il ne s'agit pas de proposer à ces élèves, avant les autres, les problèmes autour desquels s'organisera l'apprentissage visé, mais de les aider à pouvoir comprendre les problèmes qui seront posés. La familiarisation avec de nouvelles pièces en préalable à la situation MONNAIE dans l'itinéraire «Valeur-quantité» constitue un exemple d'un tel type de travail. Le matériel peut d'ailleurs ensuite être présenté à toute la classe par les quelques élèves qui en ont déjà pris connaissance au cours de cette phase de familiarisation.
Pour aménager au mieux la situation qui sera proposée aux élèves et pouvoir anticiper certaines décisions, il peut être utile de connaître les stratégies et les procédures que les élèves sont susceptibles de mettre en œuvre dans les premiers problèmes qui leur seront posés à propos de la situation envisagée. Pour cela, il peut être opportun de proposer, quelque temps avant d'aborder cette situation, un problème identique, dans un contexte voisin. Les réponses n'en seront pas exploitées immédiatement avec les élèves, mais leur analyse permettra à l'enseignant de mieux ajuster son action didactique, et notamment d'identifier les difficultés principales que certains élèves risquent de rencontrer.
2) Si on considère que c'est en résolvant les problèmes qui lui sont proposés dans le cadre d'une situation déterminée, en explicitant les stratégies et les procédures qu'il met en œuvre et en les confrontant à celles utilisées par d'autres que l'élève élabore ses propres connaissances, alors c'est bien au cours du travail sur cette situation d'enseignement que doit d'abord se trouver réalisée la volonté de prendre en compte et de gérer la diversité des « états de savoir » qui peuvent s'y exprimer. Précisons quelques actions possibles dans ce sens.
Les premières difficultés peuvent apparaître dans la toute première phase, celle au cours de laquelle les élèves doivent s'approprier le problème posé, faire la part de ce que l'on sait et de ce que l'on cherche. Au paragraphe précédent a déjà été évoquée la possibilité de familiariser, au préalable, certains élèves avec l'environnement (matériel, actions,...) qui sert de cadre au problème. Mais cette première familiarisation avec la situation a des limites. Pour comprendre le problème posé, il faut aussi pouvoir imaginer ce qui constitue une réponse possible, acceptable. Pour aider certains élèves à mieux se représenter ce que l'on cherche, il est, dans certains cas, possible de leur soumettre une réponse élaborée par l'enseignant en leur demandant de porter un avis sur son adéquation au problème posé, ce qui oblige à inventorier les conditions auxquelles doit satisfaire cette réponse. Ainsi, dans la
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Chacun, tous... différemment ! Mathématiques au cycle des apprentissages
situation où il s'agit pour les élèves de répartir n objets dans p enveloppes en mettant trois, quatre ou cinq objets par enveloppe, on peut soumettre aux élèves des réponses au problème (13 objets, 3 enveloppes), telles que (4, 4, 5) (5, 4, 5) (5, 5, 3) ou (7, 6). Il importe de noter que ce premier travail ne doit pas impliquer d'indication sur les stratégies à utiliser pour résoudre le problème (ce qui est au cœur de l'apprentissage souhaité).
C'est dans les phases de travail sur la situation elle-même, telle qu'elle a été conçue pour permettre les apprentissages visés, que les pistes de différenciation envisagées au paragraphe 1.3. prennent toute leur importance.
La différenciation « par les procédures » autorise chaque élève à mettre en œuvre la solution qui correspond le mieux à la fois à l'interprétation qu'il fait du problème posé et des connaissances qui sont disponibles pour lui, à ce moment-là. L'objectif demeure toutefois de faire évoluer certaines des procédures utilisées, voire de favoriser leur abandon au profit d'autres plus efficaces. C'est pourquoi s'il faut, au départ, encourager à l'utilisation de solutions personnelles, il faut également mettre en place les conditions favorables au progrès cognitif des élèves. Les confrontations, débats entre élèves, l'incitation à essayer les procédures utilisées par un camarade, l'entraînement au maniement de certaines d'entre elles sont, pour cela, des moyens à disposition de l'enseignant, mais des moyens pédagogiques dont il ne faut pas sous-estimer la difficulté d'utilisation. En particulier, il n'est pas facile pour un élève d'abandonner provisoirement son propre point de vue pour accepter d'examiner, et donc de comprendre, une autre solution que celle qu'il a élaborée. Des travaux en petits groupes, avec l'aide du maître, où il s'agit de débattre autour d'une solution, peuvent alors être plus profitables qu'une mise en commun générale au cours de laquelle s'expriment de nombreuses solutions.
La différenciation « par les ressources disponibles et les contraintes imposées » est plus facile à envisager. Il s'agit, d'une certaine manière, de se placer dans la «zone de proche développement» de chaque élève, en choisissant, pour certaines variables de la situation, des valeurs qui en même temps le placent face à un véritable problème tout en demeurant dans un champ où l'activité cognitive de l'élève peut encore s'exercer. Ainsi, dans la situation de partage inéquitable évoquée précédemment (n objets dans p enveloppes), et en fonction des possibilités de dénombrement et de calcul des élèves ainsi que de leur capacité à gérer simultanément plusieurs contraintes, a-t-on choisi de proposer différents problèmes tels que (« = 23, p = 6) (n = 18, p = 4) (n = 13, p = 4) ou encore de mettre à disposition de certains le nombre
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exact d'enveloppes (ce qui annule l'une des contraintes qu'ils ont à charge de contrôler pour résoudre le problème).
Dans le cadre d'un travail de groupe, supposant des rôles différents pour les élèves du groupe, il est possible de centrer l'attention des élèves sur tel ou tel aspect de la situation, sans avoir à gérer, à ce moment-là, l'ensemble du problème. Par exemple, dans le «jeu du banquier » où les élèves doivent, au cours d'un jeu, échanger successivement 10 jetons rouges contre 1 bleu, puis 10 bleus contre 1 jaune, les élèves les moins performants se voient confier, dans un premier temps, le rôle du banquier (celui qui réalise et contrôle les échanges). Ce rôle, valorisant pour eux, est l'occasion de mettre, avec eux, l'accent sur un aspect important de cette situation (il faut 10 pour pouvoir échanger) et de les sensibiliser à l'équivalence 1 pour 10 sous-jacente à l'activité. Dans des phases ultérieures, ils seront, eux aussi, les joueurs. On peut espérer qu'à ce moment-là ils seront plus disponibles pour contrôler à la fois les points obtenus dans le jeu et les échanges qu'ils doivent solliciter.
3) Dans les conceptions les plus courantes de la différenciation, on envisage des réajustements après une phase d'apprentissage. Nous avons voulu souligner, dans nos travaux, l'intérêt et la possibilité de prendre en compte la diversité des élèves à toutes les étapes du processus d'enseignement. Cependant, des interventions restent souvent nécessaires après l'étude d'une situation. Tous les élèves n'ont pas alors les mêmes besoins de revenir sur tel aspect essentiel. C'est donc à ce moment-là que se justifie, éventuellement, la décision de proposer aux élèves des tâches de nature différente. Pendant que certains élèves travaillent en autonomie sur des exercices d'entraînement, des problèmes de recherche ou même sur des activités relevant d'autres disciplines, le maître se rend disponible pour accompagner quelques élèves, en reprenant avec eux les activités les plus fondamentales rencontrées dans la situation. Par l'incitation à agir, par les verbalisations qu'il sollicite ou qu'il propose, par les actions qu'il amorce ou par les contrôles qu'il exerce sur celles de l'élève, le maître peut alors devenir le tuteur vigilant qu'il ne peut pas toujours être lorsqu'il travaille avec toute la classe.
« Mettre l'enfant au cœur du système éducatif, c'est d'abord le prendre tel qu'il est, avec ses acquis et ses faiblesses », est-il écrit dans la préface de la brochure Les Cycles à l'école primaire. C'est bien, d'abord, cette volonté d'aider tous les élèves à aller le plus loin possible dans leurs apprentissages et dans leur développement personnel qui oriente notre action.
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Chacun, tous... différemment ! Mathématiques au cycle des apprentissages
Nous n'avons fait ici qu'esquisser les grandes lignes de ce que pourrait être une approche didactique de la différenciation, en resituant ces propositions dans le cadre d'une réflexion plus large sur l'apprentissage des mathématiques au cycle 2.
Il faudra encore de nombreux travaux de recherche, impliquant directement des enseignants et leurs élèves, pour valider ces diverses propositions et les compléter. C'est ce à quoi nous avons voulu commencer à travailler et dont nous rendons compte dans les pages qui suivent.
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Chapitre 2
DÉCOUVERTE DU POUVOIR D'ANTICIPATION QUE DONNENT LES NOMBRES1
Jacques DOUAIRE Christiane HUBERT
1. INTRODUCTION
En GS et au début de CP, nous voulons amener les élèves à prendre conscience du pouvoir que donnent les nombres d'abord comme mémoire de la quantité 2, puis comme outils pour anticiper 3 le résultat d'une action non encore réalisée. Ce pouvoir d'anticipation que donnent les nombres doit être découvert par les élèves, en se confrontant à des problèmes dans lesquels les notions mathématiques prennent du sens, bien avant que les méthodes expertes (les techniques opératoires) n'aient été introduites. Ce macro-objectif («La découverte du pouvoir d'anticipation que donnent les nombres») se développe donc sur une période assez longue, du troisième trimestre de GS au second de CP, et certains élèves, qui n'ont pas eu la possibilité de résoudre de réelles tâches d'anticipation en GS ou au CP, peuvent avoir besoin de le faire en début de CEI 4.
1. La rédaction de ce chapitre s'appuie plus particulièrement sur les expérimentations conduites dans les classes de Danielle Moniez (école François-Coppée à Villemomble, 93), Florence Bruneval, Joëlle Fourcade, Dominique Suini, Francine Taimo (école Tour-d'Auvergne à Colombes, 92), Françoise Philippini, Françoise Pinson (école Félix-Pyat à Puteaux, 92), Catherine Conan, Nicole Guedj, Marie-Christine Neuzaret (école Petitot à Puteaux). 2. ERMEL GS, p. 86, ERMEL CP, p. 53. 3. ERMEL GS, p. 138, ERMEL CP, p. 113. 4. Cf. «BOÎTES JAUNES», ERMEL CEI.
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Chacun, tous... différemment ! Mathématiques au cycle des apprentissages
Pour mener à bien ce travail, le maître doit prendre en compte les compétences numériques des élèves (telles que la connaissance de la suite des nombres, la capacité à dénombrer, à mémoriser la quantité d'objets d'une collection,...). Ces compétences sont très diverses pour une même classe ; ceci se trouve parfois accentué au CP du fait que certains enfants n'ont pas eu de réelles pratiques numériques en GS.
Pour cet ensemble de raisons, il nous est apparu important de faire porter notre effort sur une mise en œuvre différenciée des activités de ce thème, tout en assurant la continuité des apprentissages entre la GS et le CP. Nous voulons mettre l'accent sur les questions suivantes :
- comment gérer cet apprentissage sur une durée assez longue en tenant compte des compétences et des difficultés de chacun ?
- comment adapter les situations importantes ? Quelle information prendre pour cela sur les compétences des élèves ?
- quand, comment et pour qui reprendre une activité ? Quelles activités d'entraînement et pour quels élèves ?
- comment utiliser les interactions entre élèves, et quels types d'interactions ?
Dans l'itinéraire que nous présentons, des pistes de différenciation sont particulièrement détaillées pour les trois situations d'apprentissage les plus importantes (le TRESOR en GS, la BOÎTE-NOIRE et le NOMBRE-CIBLE au CP). Le NOMBRE-CIBLE est présenté avec des éléments de chronique de son déroulement dans une classe pour mieux comprendre les choix possibles et leur gestion sur toute la durée de l'activité décrite. Nous renverrons pour des informations complémentaires, dès que cela sera nécessaire, aux ouvrages ERMEL (GS et CP).
2. PRÉSENTATION DU MACRO-OBJECTIF
Dès son plus jeune âge, l'enfant est capable d'anticiper, c'est-à-dire au sens large d'imaginer ou de vivre par avance un événement. Par la répétition régulière de nombreux rituels quotidiens, par le vécu de l'attente et la nécessité de différer certaines actions, il est très vite en mesure d'anticiper sur l'avènement de certaines situations, même si cette anticipation est d'abord essentiellement motrice. Plus tard, avec l'appui des structures linguistiques, il découvre les sens corrélatifs du « pas encore » et du « bientôt », s'il s'agit du moins d'un futur proche.
Au sens large, il faut donc reconnaître que l'anticipation de situations concrètes est possible dès la fin de la première année de la vie et se développe pendant toute l'enfance.
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Découverte du pouvoir d'anticipation que donnent les nombres
Il est donc nécessaire que nous expliquions les relations entre « nombre » et « anticipation » dans l'expression « les nombres outils pour anticiper».
Anticiper avec les nombres : un exemple
Prenons d'abord l'exemple d'un enfant qui est chargé d'aller acheter une baguette, qui coûte 3 F, avec en poche une pièce de 5 F. Il a anticipé s'il sait que la boulangère doit lui rendre 2 F, s'il le sait avant même qu'elle ne lui ait remis la monnaie. Ses connaissances numériques lui permettent de savoir avant de voir et donc lui donnent aussi la possibilité de vérifier la conformité du réel à ses attentes, de le contrôler. Non seulement il ne se contente plus de constater, mais plus encore, c'est le résultat mental auquel il est parvenu qui peut désormais servir de norme de référence au constat qu'il fait (« c'est bon, elle m'a bien rendu 2 F»).
Cet objectif, découvrir le pouvoir d'anticipation que donnent les nombres, est donc essentiel en ce qu'il marque le passage dans le domaine mathématique d'une activité organiquement liée à la perception, même si elle ne s'y réduit pas (je compte ce que je vois, ce qui est là, ce que je touche) à une représentation mentale où prédomine un traitement autonome des informations numériques. À travers l'accès à la maîtrise de cet objectif, se joue une modification des rapports entre le perçu et le conçu. L'enfant accède ainsi à une prédominance de l'opération mentale elle-même, évolution dont on ne saurait sous-estimer ni l'intérêt ni les difficultés.
Différents aspects de l'anticipation avec les nombres
Quelles sont les propriétés des nombres, maîtrisées par les enfants qui vont rendre possible cette forme particulière d'anticipation ? D'une part, les nombres se révèlent utiles dans de nombreuses situations mettant en jeu des quantités ou des repérages : l'enfant peut ainsi mémoriser des quantités, comparer des collections, repérer une place ou un rang dans une série; en ce sens, les nombres permettent bien d'agir sur le réel, de le maîtriser partiellement. De plus, les nombres sont un support symbolique organisé, d'abord oral puis écrit, dont l'enfant découvre et mémorise l'ordre. Enfin, à plus long terme, l'enfant découvre qu'il peut, grâce aux nombres et à leurs relations, produire d'autres nombres.
Ainsi la particularité de l'anticipation numérique nous semble consister en ce que les nombres sont à la fois le support, l'outil, et l'objet même de l'anticipation. J'anticipe sur les nombres, j'anticipe grâce aux nombres, j'anticipe des nombres.
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À l'inverse, l'anticipation du joueur de tennis, par exemple, repose bien sur une analyse extrêmement fine et rapide du coup de l'adversaire mais elle ne se fait pas grâce aux objets réels existants. La balle de tennis en elle-même ne me confère aucun pouvoir particulier d'anticipation. Comme le joueur de tennis, l'enfant qui fait des mathématiques a besoin d'anticiper, mais ce sont les usages, les propriétés et les relations des nombres entre eux, objet même de son travail, qui lui permettent l'anticipation appropriée.
Quelles procédures numériques pour anticiper ?
Il est important de repérer les procédures numériques dont doivent disposer les enfants pour être en mesure d'anticiper avec les nombres.
Pour pouvoir anticiper, il faut disposer au minimum de l'usage d'un support symbolique : collection figurée (doigts, constellations,...) permettant de représenter des éléments de la situation ou de s'appuyer sur la suite des nombres, verbale ou écrite. Il faut aussi disposer d'une procédure pour recompter le tout, surcompter, calculer,... L'appui sur les collections figurées et le recomptage semblent bien exister avant la prise de conscience de la possibilité de l'anticipation. Il est indéniable que beaucoup d'enfants de GS ont des connaissances relatives aux nombres non dénuées d'efficacité, sans avoir pour autant une conscience du pouvoir d'anticipation que donnent les nombres.
Pour résoudre un problème d'anticipation, c'est-à-dire trouver le résultat d'une action ou d'une situation qui n'est pas encore réalisée, pas encore effective, ou qui ne le sera jamais, l'enfant peut mettre en œuvre plusieurs types de procédures : celles que nous évoquions précédemment et qui relèvent du comptage (le recours aux nombres s'appuie sur une figuration, effective ou mentale de la situation, grâce au support symbolique), mais aussi celles relevant du calcul, c'est-à-dire mobiliser des résultats numériques mémorisés et/ou utiliser des connaissances portant sur les nombres et leurs transformations possibles. Ainsi, en cours d'année, et notamment grâce au travail sur ce thème, les enfants accélèrent et « mentalisent » leurs procédures de comptage (et de surcomptage) et assimilent peu à peu des procédures calculatoires. On les voit souvent circuler des unes aux autres : « Six et six, douze, douze et trois... treize, quatorze, quinze. »
Anticipation et résolution de problème
Tant qu'elle n'est pas devenue complètement immédiate et automatisée, comme elle le sera plus tard par le recours aux opérations classiques, cette anticipation d'informations numériques met les
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Découverte du pouvoir d'anticipation que donnent les nombres
enfants en situation de résolution de problème. Ne disposant pas de solution immédiate, l'enfant doit chercher un chemin lui permettant de relier les données au but à atteindre. Cela implique qu'il construise une représentation du but et qu'il élabore des procédures de résolution. Dans le NOMBRE-CIBLE, où il faut choisir successivement trois nombres dont la somme doit être un nombre donné à l'avance, le projet à élaborer pour parvenir au but comporte en principe une suite ordonnée de plusieurs opérations :
1) trouver (par comptage, surcomptage, calcul) la somme de deux nombres ;
2) chercher le complément, l'écart de cette somme à un troisième nombre, qui est le nombre-cible.
Ici, il y a non seulement anticipation d'informations numériques, mais aussi élaboration de plusieurs opérations mentales ordonnées dans le temps, qu'il faut également anticiper.
Dire que découvrir le pouvoir d'anticipation que donnent les nombres constitue un macro-objectif, c'est d'abord reconnaître qu'il s'agit là d'un apprentissage long et difficile, qui ne peut être réalisé en une fois, à travers une situation unique ; cela suppose un itinéraire, un cheminement sur plusieurs mois, voire sur plusieurs années, qui ne sera pas parcouru par tous au même rythme ni de la même façon. Il s'agit en effet d'une prise de conscience essentielle, voire fondatrice, dans l'apprentissage mathématique. C'est à nos yeux, en fonction du développement cognitif des enfants, un objectif tout à fait caractéristique du cycle des apprentissages fondamentaux.
En résumé, les objectifs, pour les élèves, de ce dispositif sont les suivants :
- prendre conscience que les nombres permettent de prévoir le résultat d'une action sans la réaliser;
- développer et améliorer des procédures mentales associées à cette prise de conscience ;
- employer divers supports symboliques, recourir aux écritures additives ou, plus précisément, comprendre le lien entre la réunion de plusieurs collections et les écritures qui codent cette réunion ;
- passer progressivement de procédures de type comptage à des procédures de type calcul, et percevoir l'intérêt de disposer de résultats mémorisés.
Les deux derniers objectifs relèvent du CP où ils font l'objet d'un travail tout au long de l'année.
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3. LES ÉLÉMENTS DE L'ITINÉRAIRE
3.1. Continuité des deux macro-objectifs : « les nombres outils pour mémoriser » et « les nombres outils pour anticiper »
Dès le début de la GS (pour les élèves qui suivent cette progression) ou du CP, de nombreuses activités d'apprentissage permettent aux élèves de prendre conscience que les nombres sont des outils efficaces pour résoudre des problèmes variés : constitution d'une collection équipotente à une collection donnée lorsque les deux collections sont éloignées, comparaison de collections, partages (en GS), repérages ou même déplacements sur une piste.
La maîtrise de procédures numériques (connaissance de la comptine, du dénombrement, utilisation du nombre comme mémoire de la quantité,...) ainsi que l'emploi de supports symboliques (écriture des nombres, bande numérique,...) sont développés, notamment à cette occasion.
Cet apprentissage se poursuit lors du travail sur le thème : « Les nombres pour anticiper et calculer», au moyen de nouveaux problèmes, et aussi lors d'activités d'entraînement (cf. ERMEL CP, thèmes : « Les nombres pour mémoriser » et « Connaître les nombres » : situations quotidiennes, sollicitations de certains élèves par le maître,...), visant par exemple la stabilisation de la comptine numérique ou la maîtrise de procédures de comptage.
Nous pensons qu'il est utile de proposer à tous les élèves les activités de l'itinéraire : «La découverte du pouvoir d'anticipation que donnent les nombres », même si certains élèves ont encore des difficultés à mémoriser la suite des nombres, à employer leur écriture chiffrée, à utiliser une information numérique pour reconstituer une collection... Les activités proposées dans cet itinéraire pourraient être pour eux l'occasion de développer ces compétences.
Prises d'informations par le maître sur les compétences des élèves
Les compétences numériques diverses de chaque élève sont à prendre en compte pour le choix des valeurs proposées dans les situations présentées ci-dessous. La plupart du temps, le maître peut déterminer quels sont les nombres adaptés pour chacun sans faire d'évaluation initiale supplémentaire, excepté pour les enfants dont les compétences numériques sont faibles ou très instables ou qui ne s'expriment pas.
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Découverte du pouvoir d'anticipation que donnent les nombres
3.2. Les activités en GS
3.2.1. Continuité GS/CP sur cet objectif
Les activités du chapitre : « Des nombres pour anticiper » (ERMEL GS) permettent aux élèves, dès la GS, de résoudre des problèmes additifs, au moyen de procédures personnelles diverses, pour qu'ils puissent prendre conscience du pouvoir d'anticipation que donnent les nombres.
Mais cela n'évite pas de proposer pour tous, au début de CP, des activités sur ce thème, car :
- tous les élèves n'ont pas rencontré ce type de situations en GS ;
- parmi ceux qui ont abordé ces situations, beaucoup ne peuvent anticiper efficacement sur les nombres dès la GS ;
- enfin, certains élèves ont besoin de réinvestir et d'améliorer leurs compétences et de les adapter à un domaine numérique plus grand.
3.2.2. Présentation de TRÉSOR et des choix de différenciation
Comme nous l'avons déjà signalé, nous ne cherchons pas ici à décrire de façon détaillée chacune des étapes de cette activité, mais à suggérer quelques pistes de différenciation.
Présentation de la situation '
Chaque enfant va être amené à se constituer une collection individuelle, son trésor (étape 1). Confronté à la disparition provisoire de ce trésor, il aura à se souvenir de la quantité qu'il possédait (étape 2). Ce trésor pourra ensuite s'accroître (étape 3), puis diminuer (étape 4).
Objectifs de la situation
On veut amener les élèves à fréquenter des situations additives et plus particulièrement à :
- considérer les nombres comme mémoire des quantités (fin de l'étape 1 et étape 2) ;
- découvrir le pouvoir d'anticipation que donnent les nombres (étapes 3 et 4).
1. Cf. ERMEL GS, p. 138.
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Le but de l'étape 3 et surtout de l'étape 4 est de confronter les élèves de GS à un nouveau problème : cette situation est une des premières où les enfants vont devoir anticiper sur les nombres. Il serait illusoire de croire que l'on installe avec cette activité des procédures stables (relativement à un problème qui est à peine identifié), ce qui sera l'objet du travail au CP. Certains enfants réussiront en GS grâce aux aides décrites, mais il n'est pas impossible que face à une tâche similaire quelque temps après ils confondent, par exemple, le complément et le tout.
Les groupes sont hétérogènes, les élèves du même groupe disposant de procédures numériques variées (reconnaissance des constellations, dénombrement, surcomptage, utilisation de résultats mémorisés,...), en veillant à ce que les domaines numériques soient voisins.
Le travail de groupe doit permettre une validation collective de l'exactitude du comptage et du nombre de pierres données à chacun.
Quelques pistes de différenciation
Étape 1
Dans la première étape, une collection d'objets (billes, perles, « pierres précieuses »...) est répartie entre les élèves. Chacun se constitue son « trésor » en lançant trois fois de suite deux dés.
À la fin, les enfants mettent à l'abri leur trésor dans un coffre et chaque enfant établit un reçu correspondant à son nombre de pierres. Ce reçu est vérifié en petit groupe.
Les choix de différenciation à cette étape portent sur: - la valeur des nombres : pour les enfants qui ont une «petite » comptine numérique, on ne joue qu'avec un seul dé. Cela peut nécessiter de constituer un groupe homogène avec au moins un enfant capable de réguler l'activité (lecture du dé, jeu à tour de rôle, distribution des pierres,...). Les informations sur les compétences numériques et sur les difficultés des enfants sont bien connues du maître à ce moment-là de l'année ; - des aides : pour écrire ce nombre sur le reçu, certains enfants peuvent avoir besoin d'étiquettes-nombres, de la bande numérique (à laquelle beaucoup recourent spontanément) et parfois de l'aide du maître pour se servir ici de celle-ci.
Remarque
D'autres questions peuvent surgir spontanément (par exemple : « Qui en a le plus ? » « Quel est le plus grand trésor possible ? »). Ce sont des occasions supplémentaires de comparer des nombres et de
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formuler les relations ainsi trouvées en utilisant « moins que », « plus que», ...)•
Étape 2
Le maître cache les trésors du groupe : un «farceur» (dont l'identité est vite supposée), les a mélangés et laisse un message disant qu'il n'en a ni pris ni rajouté. Une fois la boîte contenant les objets retrouvée, chaque enfant, souhaitant alors récupérer son trésor, devra le reconstituer à partir de la quantité d'objets qu'il a mémorisée ou du recours à l'information écrite. Chacun annonce combien il se souvient avoir de pierres. Les reçus serviront à se souvenir et aussi à vérifier.
Des aides éventuelles • à la mémorisation du trésor par : - le questionnement du maître, le recours au reçu ; - les remarques des autres élèves: lorsqu'un enfant annonce un nombre de pierres inexact, ses erreurs sont, la plupart du temps, signalées par d'autres élèves. Beaucoup d'enfants se souviennent de la valeur d'autres trésors que le leur ; • à la reconstitution de la collection : certains enfants se souviennent du nombre d'objets de leur trésor mais sont incapables de « s'arrêter» à ce nombre, ou n'ont pas une comptine stable et oublient des noms de nombres : les autres élèves, ou le maître, doivent les aider, en proposant par exemple la bande numérique ou des étiquettes-nombres. ..
Étape 3
Le trésor de chaque enfant évolue : chaque enfant lance un dé particulier (comportant les seuls nombres de un à trois) et doit prévoir à chaque fois combien il aura d'objets dans son trésor après avoir mis ceux qu'il vient de gagner.
Les choix de différenciation à cette étape portent sur : - le recours à la collection pour déterminer le nouveau trésor de chacun. Pour certains enfants, il n'y a pas encore d'anticipation possible du résultat, ils ont besoin pour trouver la valeur du trésor d'avoir la totalité des pierres sous les yeux ; - des aides pour le comptage, en utilisant la piste numérique, pour le surcomptage avec les doigts sans chercher à entraîner les élèves à des techniques de surcomptage.
Étape 4
Le farceur est revenu, il a enlevé quelques pierres à chacun. Toutes les pierres volées sont dans une grande boîte (pour permettre la vérification : en fin d'activité, chacun doit avoir retrouvé son trésor et il ne doit rien rester). Chaque enfant demande le nombre de pierres qui lui
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manquent pour reconstituer son trésor. Les enfants vérifient la réponse donnée par celui qui joue.
La recherche de la valeur du complément se fait en petit groupe avec le maître. Le maître doit en aider certains.
Dans cette étape, beaucoup d'enfants ne sont pas capables de réussir seuls. On peut penser que les enfants qui n'anticipent pas le résultat à l'étape 3 rencontreront des difficultés à l'étape 4. Les choix de différenciation à cette étape portent sur : • la limitation des prélèvements du farceur en : - ne prélevant que de un à trois objets pour les enfants qui ont des difficultés ; - évitant de changer de dizaine pour les élèves qui maîtrisent mal la suite des nombres ; • la reformulation de la situation pour les enfants qui : - cherchent au hasard ; - cherchent par approximation ; - confondent ce qui manque et le tout (« il m'en faut 19 ») ; - pensent qu'il faut ajouter; - font des hypothèses comme pour une devinette (par exemple : « Je parie que tu m'en as pris 5 »). Cette reformulation insiste sur « Combien il en manque ?» « Combien on m'en a pris ? » On peut aussi ôter rapidement les pierres sous les yeux des enfants (sans qu'ils puissent compter) pour qu'ils comprennent que ce n'est pas « magique ».
D'autres aides individuelles peuvent être apportées par le maître : - pour lire les nombres écrits sur les boîtes ou enveloppes individuelles ; - par l'incitation à l'utilisation de la bande numérique (certains enfants la demandent d'eux-mêmes, d'autres n'ont besoin de l'utiliser que si leur trésor atteint un grand nombre), en demandant : « Tu as besoin de quelque chose pour t'aider à trouver ? » Pour certains enfants, il est nécessaire : - d'indiquer sur la bande numérique le nombre qu'ils doivent atteindre avec un crayon ; - ou ce qu'il y avait avant que le farceur n'en enlève et ce qui reste après, en plaçant des repères sur la bande numérique; - et même, de placer des jetons sur la bande numérique à partir de 1 pour déterminer ce qui manque pour ceux qui n'arrivent pas à compter ce qui leur faut.
Cette dernière activité (l'étape 4) n'est proposée qu'une fois, sans chercher à insister auprès des élèves en difficulté.
Remarque Le relevé des compétences et des difficultés de chaque élève,
effectué ainsi sur cette situation en fin de GS, constitue un ensemble de renseignements utiles pour le maître au CP.
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3.2.3. Les activités d'accompagnement
Les activités proposées en accompagnement sont des activités d'entraînement : utilisation de la comptine orale, résolution de petits problèmes additifs, GRELI-GRELO, jeux avec des dés ou des cartes (cf. ERMEL GS, pages 160 à 163). Beaucoup d'entre elles seront reprises au CP dès le début de l'année (cf. ci-dessous).
Il ne s'agit en aucun cas de faire du « forcing » ou un entraînement systématique à des techniques de résolution de problèmes additifs en GS ! Mais il s'agit de proposer dans des contextes différents de celui de TRÉSOR, et avec des situations moins « lourdes » à gérer pour le maître, des activités permettant de poursuivre le travail commencé.
3.3. Les activités du CP
3.3.1. Les premières activités d'approche
Elles sont décrites de façon détaillée dans ERMEL CP (p. 134 et suivantes). Nous nous contenterons de les présenter ici succinctement et d'indiquer quelques choix de différenciation possibles.
GRELI-GRELO
Un enfant met un certain nombre de cailloux dans une main du maître (moins de 6 cailloux) ; il les compte à haute voix. Un autre enfant fait de même, dans l'autre main. Le maître ferme les mains et demande combien il a «de sous dans son sabot». Après recueil des propositions, la validation se fait par comptage des objets.
Différentes variantes successives sont envisageables. On peut, par exemple, indiquer le nombre d'objets total et celui qu'il y a dans une main et demander: «Combien dans l'autre main ?», ce qui amène à chercher le complément.
Jeux de dés
Avec des dés usuels ou avec des petits nombres, les chiffres pouvant être écrits : les élèves jouent par deux avec deux dés (ou un dé lancé deux fois, ce qui nécessite de mémoriser le premier nombre). Celui qui fait le plus a gagné.
Déplacement sur des pistes
Sur une piste de nombres (1 à 30 environ), les élèves déplacent un pion en fonction de lancers de dés. Le dé peut être un dé usuel ou un
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dé avec uniquement les nombres 1, 2, 3, et deux couleurs, face verte on avance, face rouge on recule.
Au début de l'année, ce code est trop difficile pour certains élèves. Il doit être adapté (« en avant », « en arrière »).
Remarques
Ces activités, ainsi que des petits problèmes additifs oraux, se poursuivent de façon régulière, après l'activité la BOÎTE NOIRE présentée au paragraphe suivant.
Les différenciations pour ces activités se font assez « souplement », par l'adaptation de la taille des nombres aux besoins et possibilités des élèves, par la sollicitation particulière des élèves ayant le plus de mal à se représenter le tout comme l'ensemble des parties ou à trouver les résultats même avec des petits nombres. Il n'y a pas vraiment de structuration particulière de la mise en œuvre. Ce sont des activités rapides, légères, se régulant naturellement (qui peuvent impliquer quand même une présence du maître avec certains groupes). Ce sont souvent des activités répétitives, presque « rituelles ».
3.3.2. La BOÎTE NOIRE
Dans une boîte opaque, un élève place d'abord x objets, puis un autre élève place y objets, sans les mettre un par un. Il est important que le contenu de la boîte ne soit pas visible. On ne regarde à l'intérieur que pour valider les réponses. Pour une description détaillée de la situation, voir ERMEL CP (page 134).
Étape 1
On demande aux élèves de trouver combien il y a d'objets en tout dans la boîte.
Certains élèves sont complètement déroutés par cette situation : ils pensent que « c'est magique », ou qu'il faut donner un nombre au hasard. Il est indispensable de leur faire refaire chacun des gestes (mettre dans la boîte,...), en restant à côté d'eux, pour qu'ils comprennent bien la situation.
Étape 2
On enlève y objets au lieu de les ajouter.
Pour les élèves venant de classes de GS n'ayant pas travaillé ces thèmes, cette situation est une des premières occasions où l'on cherche ce qui reste d'une collection après avoir enlevé des objets ; associer le fait d'enlever à des procédures numériques peut être difficile pour eux.
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Découverte du pouvoir d'anticipation que donnent les nombres
Cette étape est importante : certains élèves ont tendance à surcompter comme ils le faisaient à l'étape 1. En travaillant sur des petits nombres, ils peuvent réaliser qu'il reste moins d'objets après. Cela permet de les mettre en garde contre cet automatisme et d'aborder le décomptage sur des quantités discrètes, ce qui demande aussi pour certains de travailler la comptine « à l'envers »...
Les étapes 1 et 2 peuvent être reprises pour les élèves en difficulté.
Etape 3
Après avoir mis x objets dans la boîte, on cherche combien il faut mettre d'objets dans la boîte si on veut en avoir z en tout.
// est important de faire expliciter les différentes procédures, pour prendre conscience des méthodes et les communiquer. Ces étapes sont reprises quotidiennement, avec des incitations de la part du maître pour effectuer les calculs en s'aidant de moins en moins de la bande numérique.
À propos des aides
Dans les activités: GRELI-GRELO, jeux de dés, de pistes, BOÎTE NOIRE, des éléments de différenciation portent sur : - l'adaptation des valeurs numériques ; - les ressources proposées (bandes numériques, recours aux objets dans un premier temps, à des objets de substitution, au dessin...) ; - une reprise de ces activités pour certains élèves avec des nombres adaptés, afin qu'ils puissent réinvestir ce qui a été fait dans des phases collectives ; - la présence du maître auprès d'enfants ou de groupes, pour leur faire reformuler les éléments de la situation et ce que l'on cherche, pour recentrer leur action. Une aide peut être apportée pour permettre aux élèves de compter, décompter (portant sur la connaissance de la comptine, l'emploi de la bande numérique, le fait d'ajouter un,...). Toutefois, Une s'agit pas d'entraîner les élèves à des techniques de surcomptage (autres que «je mets le nombre dans ma tête... »), en particulier à une utilisation standardisée des doigts. En effet, chaque élève a souvent déjà ébauché sa propre technique et le fait d'en privilégier une contrecarre souvent ces méthodes personnelles et les rend inefficaces. La proposition d'aide, en rigidifiant la procédure, se transforme alors en obstacle. De plus, nous souhaitons mettre progressivement en évidence l'intérêt de disposer de résultats mémorisés.
Il nous paraît nécessaire d'alterner des activités où l'on apporte une aide avec des activités où l'outil d'aide n'est pas disponible, non seulement pour que l'on sache où l'enfant en est, mais aussi pour lui « dire » qu'il peut s'en passer.
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À propos des prises d'informations
Ces activités d'approche sont l'occasion d'une prise d'information initiale avant le nombre-cible pour déterminer : - les groupes homogènes (relativement au domaine numérique, au type de procédure) ; - la taille des nombres ; - les aides disponibles et les moyens de contrôle des résultats (jetons, cartes avec point, bande numérique). Cette prise d'information se fait tout au long de ces activités essentiellement orales. Mais on peut prévoir aussi des évaluations écrites : des parties simulées par exemple.
Le recours à des évaluations écrites soulève de nouvelles difficultés. D'une part, il faut que les élèves comprennent comment la feuille présentée simule l'activité. Dans certains cas, il est nécessaire que les élèves soient familiarisés avec cette présentation une première fois. D'autre part, le travail écrit individuel ne permet pas les interventions de relance de l'adulte auprès des plus faibles : encouragements, recentrages sur la tâche, segmentation de l'activité... Enfin, le peu de maîtrise de l'écrit à cette époque de l'année amène un taux d'échec beaucoup plus grand que lors des activités.
3.3.3. Le NOMBRE-CIBLE
Présentation
Il s'agit d'atteindre en trois coups, et pas moins, c'est-à-dire en faisant la somme de trois nombres, un nombre que l'on appelle le nombre-cible. On choisit à tour de rôle une carte parmi un lot de cartes portant des nombres. Le gagnant, individu ou groupe, est celui qui a atteint le nombre-cible.
Alors que, dans l'étape 1 de la situation la BOÎTE NOIRE, il fallait calculer une somme, et dans l'étape 3 déterminer un écart entre deux nombres, dans la situation actuelle il faut à la fois calculer la somme des deux premières cartes choisies et déterminer l'écart entre cette somme et le nombre-cible. En outre, le nombre-cible n'est pas le cardinal d'une collection d'objets qui sert de référence ou d'ancrage même si elle n'est pas visible. Comme son nom l'indique, tout se joue ici directement au niveau des nombres.
Objectif
Toute cette activité, dans ses différents moments, vise à faire prendre conscience aux enfants qu'il est nécessaire et possible d'anti-
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Découverte du pouvoir d'anticipation que donnent les nombres
ciper, en recourant à des procédures de comptage (de surcomptage...) ou mieux de calcul. Elle est un temps fort du macro-objectif « découverte du pouvoir d'anticipation que donnent les nombres ».
Étape 1
Elle consiste à découvrir et à s'approprier le jeu dont les règles sont assez lourdes. Les équipes ont été constituées par le maître sur la base suivante: elles sont hétérogènes par rapport à la prise de conscience de la nécessité d'anticiper. À la suite de l'étape 3 de la BOITE NOIRE, nous savons quels sont les enfants qui sont déjà capables de trouver le complément d'un nombre à un autre nombre, donc d'anticiper un résultat numérique, et ceux qui n'ont pas encore bien compris la nature de la tâche qui leur était proposée (soit que les nombres se «volatilisent» quand les collections d'objets correspondants ne sont plus présentes, soit que les procédures minimales pour anticiper ne soient pas encore construites). Dans chaque petit groupe hétérogène, il y a au moins un enfant capable d'anticipation ; sa présence permet de donner sens à la situation pour ceux qui n'y parviendraient pas seuls, et de dynamiser le travail. Dans ce contexte de découverte, le groupe hétérogène paraît adapté.
Malgré cela, des enfants tentent souvent de composer le nombre-cible en 2 nombres, et non en 3. Cette difficulté est cependant vite surmontée par le rappel de la règle quand le délégué du groupe vient demander sa deuxième carte et se révèle alors, à son grand dam, perdant.
Dans cette mise en œuvre par groupes hétérogènes, aucun groupe ne choisit les cartes au hasard, mais cela n'exclut pas certains problèmes :
- deux groupes sur six, à plusieurs reprises, n'aboutissent pas. Le surcomptage, même avec l'aide de la bande numérique, est trop hésitant, il y a trop peu de résultats mémorisés qui permettraient d'alléger la charge de travail. Le surcomptage de 3 et de 2, par exemple, est extrêmement laborieux ; même 6 et 1 sont tellement longs à recompter ensemble que le but est perdu de vue et que le groupe renonce ;
- d'autres groupes n'atteignent pas le nombre-cible, le plus souvent à cause d'erreurs de surcomptage à un près (6 et 3, 8 parce que 6, 7, 8) ;
- les autres groupes trouvent le nombre-cible qu'il s'agisse de 8, 10, 12.
Lors de la mise en commun, le maître fait expliquer par chaque groupe la procédure utilisée :
- le comptage de jetons (complété par un comptage sur les doigts) ;
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- le comptage sur les doigts ; - le surcomptage (avec ou sans l'aide d'un repérage sur la bande
numérique) ; - une procédure mixte de surcomptage et de résultats mémorisés.
De plus, la mise en commun est l'occasion, lors du passage des enfants au tableau, d'aborder les écritures additives, qui n'apparaissent pas spontanément dans les productions des groupes. Un enfant dit: « 1 et 5 et 4 , ça fait 10 » mais écrit : 1 5 4 = 10. Sur la protestation véhémente d'un autre («ça fait 154») le maître écrit 1 + 5 + 4 = 10.
Enfin, la mise en commun est aussi l'occasion de remarquer que le nombre-cible peut être atteint de différentes manières : 4 + 4+2, 1 + 5 + 4, 6 + 2 + 2, mais sans chercher l'exhaustivité.
À l'issue de cette première séance, des prises de décision sont nécessaires.
1. Il apparaît utile de refaire une séance identique pour assurer et consolider la compréhension de l'ensemble des règles du jeu, et rendre ainsi plus d'enfants autonomes ; la répétition d'un dispositif, même en phase de découverte, pouvant être nécessaire. Cette reprise peut être destinée à tous, avec les mêmes groupes.
2. Les choix de différenciation portent à ce moment sur des aides au comptage : faut-il systématiser certaines aides pour les enfants manifestement gênés par leurs faibles capacité de comptage ? Ce travail peut se faire oralement, avec les incitations et les questionnements du maître. Il est possible aussi, et tout à fait approprié, de recourir ici à la calculette : c'est souvent en tapant plusieurs fois de suite sur les touches + et 1 que les élèves se rendent compte qu'ils affichent la suite croissante des nombres et prennent soudain conscience de l'identité +1 = nombre suivant. Cette compétence avait déjà été abordée, lors de l'activité la BOÎTE NOIRE, mais il est encore indispensable de la retravailler pour certains élèves. En revanche, nous excluons le fait de réguler, de systématiser le surcomptage avec les doigts, qui risque facilement de se transformer en obstacle pour les enfants (surtout lorsque le nombre-cible est supérieur à 10) car nous n'avons que 10 doigts, et surtout que deux mains. Enfin, tant qu'elle est un appui, la mise à disposition de la bande numérique se justifie.
Étape 2
Nous proposons un jeu individuel au sein de groupes homogènes. Un des membres du groupe est le « banquier » qui donne la carte choisie par chacun. Les groupes sont déterminés, en partie en fonction du domaine numérique maîtrisé pour ajuster le nombre-cible aux possibilités de chacun, mais surtout en fonction des procédures utilisées
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(besoin ou non de constellations, comptage plus ou moins laborieux, surcomptage, début de calcul).
Ce temps fort de différenciation est indispensable pour éviter les risques de « soufflage » ou les attitudes trop substitutives de certains enfants par rapport à d'autres.
Mais les enfants ont du mal à jouer individuellement dans cette classe où les habitudes de travailler en groupe, de s'entraider, sont très fortes.
Sur six groupes, deux sont composés d'enfants en difficulté. Dans l'un des deux groupes, un enfant se révèle beaucoup plus rapide et efficace que les autres. Il prend même en situation très vite conscience de ses erreurs de comptage qui sont nombreuses («j'ai dépassé de 1 »). Ses difficultés, en fait, ne sont pas du même ordre que celles de ses camarades qui, dans une situation d'émulation, se retrouvent donc un peu «hors jeu». Peut-on conclure, dans ce cas, que ce groupe n'était pas suffisamment homogène ?
Mais l'autre groupe ne l'est-il pas trop?... ou plutôt n'est-il pas, unanimement, trop éloigné de la solution? Dans ce second groupe d'enfants en difficulté, il apparaît que la situation même n'est pas vraiment comprise. Personne, spontanément ne démarre, ne tente quoi que ce soit. Ces enfants semblent encore noyés sous toutes les sortes de nombres qu'ils ont à gérer ; la confusion règne entre le nombre-cible, le nombre de cartes à prendre, les nombres lus sur la bande numérique. Il faut d'abord faire avec eux, en verbalisant tout. Dans leurs essais ultérieurs, ils parviennent au mieux à faire le nombre-cible en deux cartes et non pas trois.
Le travail en groupe homogène est indispensable, ne serait-ce que parce qu'il lève les illusions que pourrait créer le travail en groupe hétérogène. Il permet aussi de cerner de plus près les difficultés, ou les acquis des enfants.
Le constat est alors le suivant : six enfants ont vraiment besoin d'aide. Une décision est donc possible : pendant que les autres enfants jouent au nombre-cible de manière autonome, avec un banquier par groupe et sans jetons disponibles (ils n'en ont manifestement plus besoin), le maître essaye d'aider individuellement ces six enfants-là, qu'il regroupe autour de lui.
Les choix de différenciation portent à ce moment sur les aides possibles pour les enfants encore en difficulté dans cette situation. Les aides sont d'abord matérielles : - chacun dispose de sa bande numérique ; - les jetons sont disponibles également.
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Chacun, tous... différemment ! Mathématiques au cycle des apprentissages
Mais les aides résident surtout dans les interventions verbales individualisées de l'adulte : - un enfant est sollicité pour reformuler la règle du jeu ; - le maître, en questionnant, essaye de réactiver chez un enfant la mémoire du nombre-cible, qui même s'il est écrit sous ses yeux est parfois « oublié » ; - le plus souvent, le maître étaye la résolution de la tâche, en permettant à l'enfant de prendre conscience des étapes de la résolution, en faisant dire ce qui a déjà été fait ; il aide à distinguer la somme des deux cartes déjà demandées et le reste à prendre, ce qui fait parfois difficulté.
Mais peut-on aider six enfants en même temps ? Même dans cette structure de proximité, il apparaît qu'un enfant ne se met pas au travail, ne sollicitant aucune aide de l'adulte et s'excluant lui-même de la situation. Il ne réagit à aucune stimulation, il donne l'impression qu'il est impossible de l'aider. La distance cognitive par rapport au problème posé dans le NOMBRE-CIBLE est à l'évidence trop grande pour lui. Plus fondamentalement, il s'agit là d'un enfant dont la fréquentation scolaire est assez sporadique, et qui, quelle que soit la discipline enseignée, n'a pas compris que les exigences scolaires ne se limitent pas à des exigences comportementales (être gentil, souriant, ne pas faire de bêtises...), mais concernent essentiellement la mise en œuvre de son activité intellectuelle. Ce n'est pas à proprement parler un refus de travailler, car les apparences formelles peuvent être respectées (il manipule les jetons, les dispose sur la bande,...), mais d'une immense difficulté à construire des significations relatives aux apprentissages, quels qu'ils soient. Le problème est le même quand il s'agit de la lecture, et les décisions concernant cet enfant dépassent le cadre de ce dispositif.
La mise en commun permet de contrôler le travail effectué dans les groupes autonomes, et de faire à nouveau formuler les procédures utilisées. De plus en plus, nous voyons les enfants recourir à des procédures mixtes, combinant des résultats mémorisés (en particulier les doubles et les petits nombres) et du surcomptage. C'est encore l'occasion de partir de formulations d'enfants (« ...plus ...plus ..., ça fait... »), d'utiliser les écritures additives et de stimuler ou de renforcer la mémorisation de certains résultats.
Les activités rituelles ou quotidiennes, les petits problèmes oraux (abordés dans le paragraphe 3.3.1.) sont poursuivis et sont destinés en particulier aux enfants repérés comme étant en difficulté lors de la dernière étape décrite du nombre-cible. Dans le cas où le maître n'a pu faire cette observation, il peut utiliser l'évaluation écrite prévue dans ERMEL CP (« Parties simulées », p. 149).
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Découverte du pouvoir d'anticipation que donnent les nombres
Quelques semaines plus tard, l'activité : LES SACS DE BILLES (cf. ERMEL CP, p. 155) est proposée aux élèves. Il s'agit du même problème que dans le nombre-cible, mais dans un autre contexte : prendre 3 sacs pour obtenir un nombre x de billes (13, 15, 19). Elle est identique pour tous. Ce n'est qu'à la fin de l'exercice que certains enfants manifesteront qu'ils ont reconnu le même type de problème que dans le nombre-cible.
Plus d'un tiers des enfants réussissent ces trois exercices (13, 15, 19) seuls et sans aide d'aucune sorte.
Six enfants réussissent tout, mais en utilisant la bande numérique.
Soit, ensemble, les 2/3 de la classe. Trois enfants font une ou deux erreurs, que nous pouvons
imputer à des difficultés de surcomptage ou de calcul (ils entourent trois sacs dont le total ne fait pas le nombre demandé, à un près).
Trois enfants, qui ont par ailleurs des difficultés en lecture, ont encore du mal à savoir que faire dans cette situation. Pour deux d'entre eux, plusieurs reformulations individuellement ciblées du maître sont nécessaires pour qu'ils entament le travail ; avec leur bande numérique, ils parviennent ensuite aux résultats.
Un seul enfant reste donc totalement étranger à la situation : il n'énonce ni le bon nombre de sacs, ni le total (il s'agit de l'enfant évoqué plus haut).
Au cours de la situation le NOMBRE-CIBLE, nous avons vu tous les enfants, sauf un, s'approprier le problème et comprendre comment on pouvait atteindre le but. Nous avons vu également une bonne dizaine d'enfants, qui utilisaient au début les constellations ou le comptage des jetons, se passer peu à peu de supports ou de représentations figurées et devenir capables de travailler directement sur les nombres. Nous voyons, à travers ces transformations de procédures, un pas important dans l'accès à l'univers des nombres. Le NOMBRE-CIBLE, qui par sa complexité représente un saut cognitif sensible pour de jeunes élèves, constitue sans doute un jalon aussi dans les représentations qu'ils peuvent se faire de l'activité mathématique.
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Chacun, tous... différemment ! Mathématiques au cycle des apprentissages
4. CONCLUSION Les évaluations que nous avons faites quelques semaines après la
situation le NOMBRE-CIBLE, ainsi que les bilans ultérieurs au cours du troisième trimestre, nous ont montré que tous les élèves pouvaient anticiper, (excepté quelques-uns qui ont des difficultés qui ne sont pas seulement d'ordre mathématique).
Par la suite, d'autres activités sont prévues l qui contribuent chacune à développer ou consolider certaines des compétences sollicitées dans le NOMBRE-CIBLE (utilisation du surcomptage ou recours à des résultats mémorisés, prise en charge des tâches de la résolution de problèmes, reconnaissance de situations additives,...) ou favorisent le passage du comptage au calcul 2.
Des réinvestissements peuvent se produire: ainsi, lors du travail sur la situation « LES MAISONS 3 » des élèves cherchent d'eux-mêmes à prévoir la valeur qu'ils vont obtenir pour leur collection ou ce qu'ils pourront échanger.
Il n'a pas été nécessaire de mettre en place, dans les mois suivants, des activités nouvelles spécifiquement destinées à certains élèves qui reprendraient en charge l'ensemble des compétences en jeu dans le NOMBRE-CIBLE.
Le souci de prendre en compte les possibilités de chacun, d'analyser les difficultés, d'adapter le dispositif, deviennent pour les maîtres des « gestes » de leur pratique professionnelle, « intériorisés » au-delà des indications écrites du dispositif.
1. ERMEL CP, chapitres « Connaître les nombres » et « Les nombres pour anticiper et calculer ». 2. ERMEL CP, chapitre «Les nombres pour anticiper et calculer», module «Vers le calcul». 3. ERMEL CP, chapitre « Connaître les nombres ».
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Découverte du pouvoir d'anticipation que donnent les nombres
Classe
GS 3e
trimestre
Enchaînement de situations
gestion différenciée des apprentissages
TRÉSOR Étapes 1 et 2
Etapes 3 et 4
Différenciations internes : - valeurs des nombres - aides problèmes proposés à tous Possibilité de non-anticipation pour certains
transmission d'informations du maître de la GS à celui du CP
CP
septembre
octobre
octobre
ACTIVITÉS D'APPROCHE
Différenciation : — valeurs des nombres; — ressources; — sollicitation plus grande de certains élèves.
BOITE NOIRE Étape 1
Étape 2
Étape 3
Soutien et reprise pour certains
Aides au comptage et au surcomptage
Prise d'information pour le nombre-cible
novembre NOMBRE-CIBLE
Étape 1 Appropriation de la situation
Étape 2
Groupes hétérogènes Prise d'information pour la constitution des groupes de l'étape 2
Groupes homogènes Aides différenciées : — outils (bande numérique...); — présence du maître auprès de certains élèves.
Évaluation terminale
bilan de sortie
décembre
janvier
Activités d'entraînement, de consolidation pour certains
Évaluation différée
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Chapitre 3
MAÎTRISE DE LA DISTINCTION ENTRE VALEUR ET QUANTITÉ
Dominique VALENTIN 1, Colette CHANIAC, Jean-Claude GUILLAUME, Mireille GUILLERAULT,
Anne-Marie CHAPON, Françoise PALETOU, Michelle LEVAIS
1. INTRODUCTION
L'ensemble des activités que nous proposons dans ce chapitre s'inscrit dans la progression qui vise à la connaissance des diverses désignations des nombres, progression qui se développe sur toute la durée du cycle 2 (et qui n'est en général pas achevée à la fin de ce cycle) et que nous allons d'abord très brièvement résumer.
Nous avons conçu cet apprentissage des désignations des nombres 2 en trois phases qui ne correspondent pas aux trois années du cycle 2 mais qui, au contraire, s'inscrivent toutes (et principalement les deux dernières) sur la durée du cycle et se chevauchent dans le temps.
La première phase vise les désignations orales des nombres dont les enfants ont besoin pour résoudre certains problèmes de ges-
1. La rédaction de ce chapitre s'appuie plus particulièrement sur les expérimentations menées dans les classes de Anne-Marie Chapon à l'école des Rochers de Clamait et de Françoise Paletou à l'école Jules-Ferry de Meudon (92) ; la plupart des séquences ont été filmées par Michelle Levais du CAV de Suresnes dans l'une ou l'autre de ces classes et ont donné lieu à un film ayant pour titre « Chacun, tous... différemment ». Qu'elles soient ici remerciées de l'énorme travail de conception, d'observation, et de critique constructive qu'elles ont mené toutes les trois. 2. Cf. ERMEL CP et ERMEL CEI.
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Chacun, tous... différemment ! Mathématiques au cycle des apprentissages
tion de quantités discrètes, ces désignations sont alors conçues comme des entités globales et non comme une composition de mots-nombres obéissant à des règles bien structurées. Durant cette première phase, « vingt-trois » est un mot désignant le cardinal d'une collection au même titre que le mot « sept» : aucun travail n'est fait sur la signification linguistique de ce mot. Les écritures chiffrées sont introduites au fur et à mesure des besoins et une bande numérique joue le rôle de dictionnaire permettant à chaque enfant de coder et de décoder ces écritures grâce à ses connaissances de la suite numérique. On voit que dans cette première phase principalement orale et globale, les écritures chiffrées sont cependant présentes et organisées de manière à être utilisables sans travail spécifique de construction.
La deuxième phase, qui n'est pas totalement disjointe de la précédente mais qui se déroule plutôt en alternance avec elle, vise l'observation des régularités de la suite écrite des nombres. Cette observation des régularités n'est possible que sur la suite écrite puisque notre suite orale est émaillée de nombreuses exceptions. Il s'agit d'engager un premier travail de type algorithmique de manière à favoriser les prises de conscience des règles d'écriture et leur utilisation. Si certains enfants sont capables de telles observations dès la grande section (où de nombreux algorithmes « concrets » leur sont proposés à l'aide de perles ou de gommettes), l'étude systématique des régularités des écritures chiffrées n'est possible et souhaitable, pour la majorité des enfants, qu'un peu plus tard, au début du cours préparatoire.
Enfin, la troisième phase, celle dans laquelle se situent les activités que nous présentons ici, aborde les notions de groupement et d'échange sous-jacentes aux règles de notre numération de position en base dix. Il s'agit alors de dépasser la simple acceptation des règles de construction des écritures chiffrées pour les relier au fait que chaque chiffre désigne le nombre de groupements de l'unité repérée par la position occupée par ce chiffre : par exemple, le 2 de 325 indique que si les éléments de la collection avaient été effectivement groupés par paquets de dix, puis ces mêmes paquets de nouveau par tas de dix, etc., la collection ainsi organisée contiendrait deux paquets de dix, le 3 désignant les trois « tas de dix paquets de dix ». Cette troisième phase s'avère très délicate et les maîtres savent bien qu'il reste toujours un certain nombre d'élèves pour lesquels la compréhension et l'utilisation des idées de groupement, d'échange, de position ainsi que la capacité à tirer toute l'information possible d'une écriture chiffrée ne se font pas de façon satisfaisante. Il faut souvent attendre la fin du CEI, voire celle du CE2, pour que ces notions soient enfin maîtrisées. C'est pour tenter d'aider les maîtres qui ont parfois l'impression d'avoir épuisé
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Maîtrise de la distinction entre valeur et quantité
l'arsenal des recettes pédagogiques dont ils disposent sans parvenir à aider certains élèves que nous avons repris l'étude de l'un des passages les plus délicats de cet apprentissage, celui qui concerne la distinction entre valeur et quantité.
2. PRÉSENTATION DU MACRO-OBJECTIF
En début d'apprentissage, certains enfants ne savent pas toujours bien faire la distinction entre valeur et quantité. Ils n'acceptent pas l'idée que la valeur d'une collection ne dépend pas nécessairement (ou seulement) du nombre d'éléments de cette collection. Par exemple, dans un jeu d'échange où, conventionnellement, les jetons rouges valent 5 jetons jaunes et les jetons verts 5 jetons rouges, des difficultés peuvent apparaître: certains enfants peuvent ne pas admettre qu' «avoir un seul jeton vert» c'est mieux qu'«avoir 4 jetons jaunes ». De la même façon, dans les activités utilisant la monnaie, certains enfants ne « voient » pas que 2 pièces de 10 F ont plus de valeur qu'une pièce de 10 F et 6 pièces de 1 F.
Le travail proposé au CP à partir du mois de janvier et qui se poursuit jusqu'en début de CEI doit permettre la prise en considération de l'équivalence : 1 unité d'un certain ordre équivaut à n unités de l'ordre inférieur, cette équivalence fonctionnant dans les deux sens, ce qui doit préparer la compréhension et l'utilisation de l'équivalence entre une dizaine et dix unités, puis entre une centaine et dix dizaines, etc.
Pour que cette équivalence ne reste pas formelle, pour qu'elle prenne du sens, il faut s'assurer que les éléments de l'échange jouent bien le même rôle, donnent le même pouvoir, à un certain point de vue au moins, avant et après l'échange: nous acceptons d'échanger dix pièces de 1 F contre une seule pièce de 10 F parce que nous sommes convaincus que cette seule pièce nous donne le même pouvoir d'achat que les dix pièces de 1 F qui ont, quant à elles, l'inconvénient d'encombrer notre porte-monnaie. On ne peut pas dire que dix pièces de 1 F «c'est pareil» qu'une pièce de 10 F à tous points de vue, mais nous connaissons la nature de l'équivalence qui nous permet de dire que « c'est pareil du point de vue des achats possibles, du point de vue de la valeur». Nous devons donc d'abord fournir aux enfants des occasions variées de faire fonctionner des échanges rigoureux de manière à leur permettre à la fois de reconnaître l'équivalence et de se construire une confiance stable en la réversibilité de ces échanges : je viens d'échanger 1 jeton rouge contre 5 jetons jaunes mais je peux très
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Chacun, tous... différemment ! Mathématiques au cycle des apprentissages
bien échanger à nouveau ces 5 jetons jaunes contre 1 jeton rouge si cela me convient mieux. Nous devons également accompagner les actions réelles d'une verbalisation fondamentale, multiforme, même si elle s'avère totalement insuffisante à elle seule : il faut que l'enfant puisse aussi bien entendre que dire lui-même des formulations telles que : « Ah oui, il a plus de pièces mais il n'est pas plus riche ! » ou : « Il n'y a pas le même nombre de pièces mais c'est la même somme d'argent. »
Ces prises de conscience ne se font ni en une seule fois ni au même moment pour tous les enfants, ce qui nous amène, comme nous le verrons au paragraphe suivant, à proposer un itinéraire d'enseignement allant du mois de janvier du cours préparatoire à la fin du premier trimestre du CEI, itinéraire destiné à permettre à chaque enfant de s'approprier ou de stabiliser ces connaissances au bon moment pour lui ou grâce à la bonne situation, celle qui a du sens pour lui.
Toute règle d'échange qui ne se réduit pas à un simple troc dépendant de l'humeur respective des protagonistes (donne-moi ton stylo et je te donne un Carambar), doit être fixée une fois pour toutes conven-tionnellement entre les protagonistes, et définie sous la forme : « x objets d'une sorte peuvent être échangés contre y objets d'une autre sorte » et réciproquement. Pour des raisons de facilité, les règles que nous proposons dans cet itinéraire sont toutes de la forme : « 1 contre n », le nombre n caractérisant à lui seul l'échange.
Avant 1970, le seul type d'échange pratiqué pour ces apprentissages était celui dans lequel n - 10, directement lié à l'équivalence : 1 dizaine =10 unités.
À partir de 1970, un important travail s'est fait sur des valeurs de n différentes de 10 (3, 4 ou 5 le plus souvent), aboutissant à des codages des nombres en d'autres bases que la base dix. Si ces différents codages d'un même nombre ont pu dérouter bien des élèves (ainsi que leurs parents et leurs instituteurs !), il est certain que l'idée d'échange ne peut pas être liée au seul échange « 10 contre 1 ». Nous utilisons donc des valeurs différentes de n pour faire pratiquer des échanges mais nous n'aboutissons à un codage chiffré résultant de ces échanges que dans le cas où n = 10. De plus, une règle d'échange basée sur un nombre petit est, d'une part, plus facile à mettre en œuvre (il y a moins de risques d'erreurs de comptage), d'autre part elle permet sur un nombre d'objets limité de pratiquer des échanges à plusieurs niveaux. C'est pourquoi nous proposons, dans les premières activités, de travailler avec les valeurs 2 et 5, puis avec 10. Dans ce cadre, la règle d'échange « 10 contre 1 » apparaît comme une règle comme une autre, les enfants ne faisant pas nécessairement, à ce
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Maîtrise de la distinction entre valeur et quantité
moment-là, le lien entre ces échanges et l'écriture des nombres dans le système décimal.
Comme on l'aura compris, dans ce travail, il n'est pas envisagé de traduire par une écriture le résultat d'échanges dès les premières situations. En faisant coder trop tôt le résultat d'échanges, on risque de faire manipuler des écritures n'ayant aucun sens pour les enfants. Occasionnellement, et seulement dans les échanges 10 contre 1, certains enfants pourront, sur les nombres familiers, remarquer, voire comprendre, que pour obtenir la valeur 37, on va demander 3 éléments équivalents à dix et 7 éléments unité.
3. ITINERAIRE D'ENSEIGNEMENT, ITINÉRAIRES D'APPRENTISSAGE
Pour permettre la réalisation de l'apprentissage associé au macroobjectif présenté ci-dessus, nous proposons l'itinéraire d'enseignement l suivant :
CP (janvier) Début de CE1
Maisons à
construire
Monnaie : 1,2,5F
Banquier : échanges 5 contre 1
Monnaie : 100, 50, 10, 5, 2,
1F
Banquier : échanges
10 contre 1
Caissier
Fourmillions
Voir aussi le tableau page suivante.
Carrelages
Comme nous l'avons dit plus haut, ceci s'inscrit dans l'ensemble de la progression portant sur la connaissance des désignations des nombres, c'est-à-dire que les activités de groupement, telles que FOURMILLIONS (organisation d'une grande collection de manière à pouvoir la quantifier) et CARRELAGES 2 (mise en relation des groupements par dix des éléments d'une collection et de l'écriture chiffrée du cardinal de celle-ci), mettant en évidence
1. Pour plus de précisions sur les idées d'itinéraires d'enseignement et d'apprentissage, on se reportera à la partie théorique de cet ouvrage. 2. Ces activités sont décrites dans «Apprentissages numériques et résolution de problèmes au CP», ERMEL, Ed. Hatier, 1991, pages 319 et 325.
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Chacun, tous... différemment ! Mathématiques au cycle des apprentissages
Planning de l'itinéraire : « Distinction entre valeur et quantité »
Classe
CP Janvier
Février
Mars
Avril
Juin
Octobre
Situation
Maisons à construire
Monnaie 1 F, 2 F, 5 F
Banquier 5 contre 1
Monnaie 50 F, 100 F
Banquier
10 contre 1 Caissier
Phases
Phase 1 : appropriation Phase 2 : jeux d'équipe Phase 3 : différenciation par la tâche Phase 4 : synthèse
Phase 1 : comparaisons « qui a le plus ? » Phase 2 : jeu de la marchande
différenciation par le rôle Phase 3 : différenciation par la tâche
Phase 1 : appropriation du jeu Phase 2 : différenciation par les aides et
par ta tâche Phase 3 : reprise du jeu Phase 4 : validation
Étape 0 : différenciation préalable Étape 1 : combien d'argent ? Étape 2 : différentes façons de réaliser
une même somme Étape 3 : mise en commun Étape 4 : évaluation
Phase 1 : jeu différenciation par le rôle
Phase 2 : différenciation par les aides Phase 1 : appropriation
différenciation par le rôle
Phase 2 : comparaison d'écritures Phase 3 : différenciation par la tâche
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Maîtrise de la distinction entre valeur et quantité
I le rôle des paquets de dix restent indispensables mais ne visent pas ce macro-objectif. FOURMILLIONS se placerait après BANQUIER 5 CONTRE 1, CARRELAGES après BANQUIER 10 CONTRE 1.
À l'idée d'un «itinéraire d'enseignement» pour une classe donnée, et conduit par le maître de cette classe, est associée l'idée «d'itinéraires d'apprentissage» différents pour chaque enfant. Le maître ne peut évidemment pas contrôler totalement le déroulement de ces itinéraires individuels. Le moment précis où tel enfant acquiert tel ou tel nouveau savoir ou savoir-faire lui échappe le plus souvent, mais il peut repérer certaines acquisitions ou certaines difficultés, et doit tenter de remédier à celles-ci au coup par coup, avant qu'un blocage plus sérieux ne paralyse l'itinéraire d'apprentissage du ou des enfants en question. Nous verrons que tout spécialement sur le sujet précis que nous abordons ici, les conceptions, les prises de conscience sont très différentes d'un enfant à l'autre, ce qui nous astreint à construire, à certains moments de l'itinéraire d'enseignement qui reste le même pour tous les enfants d'une même classe, des activités différenciées 1. Cette organisation des apprentissages dans la durée devrait permettre aux maîtres d'éviter deux écueils opposés : d'une part assigner à chaque situation la totalité du macro-objectif (ce qui amène à « épuiser» la situation ou le maître ou les élèves !) et, d'autre part, parcourir l'ensemble de l'itinéraire (au pas de course...) avec l'espoir que « ça viendra bien un jour », sans définir avec assez de précision les difficultés que rencontre tel ou tel enfant.
4. PRISE D'INFORMATION SUR L'ÉTAT DES CONNAISSANCES DES ÉLÈVES
4.1. Prise d'information dans les situations
Tout au long de l'itinéraire d'enseignement proposé, le maître a besoin de repérer les acquisitions des élèves et les difficultés qu'ils rencontrent. Il doit pouvoir répondre à des questions telles que :
- quels sont les enfants capables de respecter une règle d'échange imposée ?
- quels sont ceux qui ont pris conscience qu'un échange modifie la collection sans en changer sa valeur ?
1. Les propositions de différenciation seront écrites en italique dans le texte.
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Chacun, tous... différemment ! Mathématiques au cycle des apprentissages
- lesquels font bien la distinction entre valeur et quantité ? - lesquels sont capables de faire le lien entre les écritures chiffrées
et la constitution d'une collection à partir d'un matériel de numération (monnaie ou autres) ?
Pour permettre aux maîtres d'effectuer rapidement ces repérages, nous avons construit, en cours d'expérimentation, plusieurs activités dites « d'évaluation papier-crayon ». Tous nos essais en ce sens se sont avérés infructueux. En effet, de nombreux enfants qui se montrent tout à fait capables de respecter une règle d'échange dans la situation d'action (par exemple, dans la situation MAISONS À CONSTRUIRE que nous allons voir plus loin), se trouvent totalement démunis lorsqu'il s'agit de répondre à des questions écrites (même si elles leur sont lues) au sujet de ces échanges. Il leur est évidemment encore plus difficile de représenter ces échanges qu'ils savent pourtant réaliser.
Ces constats (qui peuvent paraître pessimistes..., mais qui se veulent réalistes) nous amènent à suggérer aux maîtres de prendre des informations dans les situations elles-mêmes. Nous savons qu'il n'est pas facile de le faire quand une trentaine d'enfants sont organisés en équipe et travaillent avec du matériel. C'est pourquoi, grâce à l'ingéniosité des maîtres qui ont expérimenté les situations proposées, nous avons essayé, au maximum, d'élaborer des « feuilles de jeu » ou des « feuilles-mémoire ' » utilisées par les enfants en cours d'activité. Le maître peut ainsi, à la suite de l'activité et hors de la présence bouillonnante des enfants, effectuer les bilans dont il a besoin.
4.2. Entretiens individuels
Puisque les évaluations de type collectif ne sont guère possibles en ce qui concerne le sujet qui nous préoccupe, nous avons également utilisé des évaluations individuelles, rapides, pour certains enfants seulement dont les compétences ne semblaient pas faciles à repérer dans les situations ou sur leurs feuilles de jeu.
Voici, par exemple, un protocole portant sur la monnaie.
I Objectif spécifique : repérer la connaissance que peut avoir
chaque enfant des pièces de monnaie usuelles, réelles, et sa capacité à distinguer valeur et quantité.
Le maître apporte quelques vraies pièces de 1 F et de 5 F. 1. Au risque d'alourdir un peu la rédaction de ce chapitre, nous avons inséré plusieurs modèles de ces feuilles, dont la disposition a été travaillée avec beaucoup d'attention tout au long de cet itinéraire.
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Maîtrise de la distinction entre valeur et quantité
Entretien :
a) « Est-ce que tu connais ces pièces ? » (Noter la réponse.)
Si l'enfant répond « oui » continuer l'entretien en b).
Sinon, le maître lui présente les pièces, les lui fait toucher et lui dit : « Tu vois celle-ci vaut 1 F et celle-là vaut 5 F. »
b) Le maître place devant l'enfant trois pièces de 1 F et devant lui deux pièces de 5 F et dit : « À ton avis, quel est celui de nous deux qui est le plus riche ? » L'expression « qui est le plus riche ? » a été choisie pour éviter, dans ce premier temps, les ambiguïtés qu'apportent les termes tels que « argent », « sous », etc.
Il note la réponse sans faire de commentaire (car cette même épreuve, si elle n'est pas réussie, peut être proposée plusieurs fois).
c) Le maître place maintenant devant l'enfant deux tas de pièces : - trois pièces de 1 F et deux pièces de 5 F, dans le désordre; - six pièces de 1 F et une pièce de 5 F, en désordre.
Il pose alors les deux questions suivantes : - qui a le plus de pièces ? - qui a le plus d'argent?
On retrouvera ce même protocole en début de CEI, avant l'activité CAISSIER pour évaluer l'évolution des connaissances des enfants suivis en CP ou pour commencer à travailler avec de nouveaux élèves. À ce moment, il sera préférable de remplacer la pièce de 5 F par une pièce de 10 F.
5. ACTIVITÉS
L'ensemble de l'itinéraire a été expérimenté dans une dizaine de classes de plusieurs académies. Nous ne pouvons rendre compte dans ces pages du déroulement dans chacune d'elles. Nous avons donc choisi de « suivre », dans ces pages, une seule classe, celle de Françoise Paletou. Les commentaires concernant les enfants ou les mises en œuvre effectives dans cette classe figurent en petits caractères (avec bordure à gauche) et peuvent être sautés par le lecteur pressé !
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Chacun, tous... différemment ! Mathématiques au cycle des apprentissages
5.1. MAISONS À CONSTRUIRE
L'activité consiste à construire des maisons à partir de toits, d'étages et de rez-de-chaussée. Les différentes pièces peuvent être échangées, en tenant compte des règles d'échanges définies de manière à obtenir le matériel nécessaire pour obtenir le plus possible de maisons complètes.
Objectif minimal Développer l'usage des règles d'échanges fixes. Etre capable de
conduire les échanges jusqu'à leur terme (deuxième phase).
Matériel
• une piste de 20 à 30 cases. Sur chaque case est représenté : - un toit ; - ou un étage avec fenêtre ; - ou un rez-de-chaussée avec porte ;
• des cartes représentant ces mêmes éléments en nombre suffisant pour les échanges : - une dizaine de toits ; - une trentaine d'étages ; - une trentaine de rez-de-chaussée ;
• un dé.
I Pour modifier la répartition relative des figures sur la piste sans avoir à les redessiner, il suffit de construire la piste avec des cases vides sur lesquelles seront fixées (avec une pâte-gomme) des cartes amovibles représentant les différents éléments.
But du jeu : construire le plus possible de maisons complètes (un toit, un seul étage et un rez-de-chaussée).
Règle du jeu : à tour de rôle, chaque joueur lance le dé et se déplace sur la piste du nombre de cases indiqué par le dé.
Il reçoit la carte correspondant à la case sur laquelle il se trouve.
Chaque joueur commence à construire les maisons complètes possibles. Toute maison construite ne peut plus être démolie.
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Maîtrise de la distinction entre valeur et quantité
On arrête le jeu lorsqu'un joueur arrive à la dernière case. Si un joueur dépasse la dernière case, il revient en arrière (ce qui permet de gagner de nouvelles cartes).
Fin de partie : pour pouvoir constituer le plus de maisons entières, les joueurs peuvent maintenant échanger, auprès du marchandées cartes en respectant les valeurs :
- 2 étages contre 1 rez-de-chaussée (dans les deux sens) ; - 5 étages contre un toit (dans les deux sens).
Dans cette première situation, l'échange se fait comme un troc et non en fonction d'une valeur absolue * (on ne dit pas : « Un toit vaut 5, un étage vaut 1 » mais : « J'échange un toit contre 5 étages ») qui nécessiterait une unité commune. L'objectif n'est donc pas encore de travailler sur la valeur intrinsèque d'une pièce, mais d'accepter une règle conventionnelle d'échange et de la faire fonctionner dans les deux sens.
Il ne s'agit pas non plus d'amener tous les élèves à représenter les échanges. Par contre, il est intéressant, pour permettre un autocontrôle (mais aussi un contrôle par le maître) des échanges, d'amener les enfants à coder ou décoder des états (et non les transformations) : « Voici ce que j'avais avant l'échange, voilà ce que j'ai obtenu après. »
Phase 1 : appropriation collective de la règle
Dans ce jeu, les enfants doivent accepter trois types de règles : - les règles de déplacement sur la piste (comme dans un jeu de
l'oie) et en particulier la manière de terminer une partie ; - les règles d'échange des cartes gagnées ; - les règles de construction de chaque maison : il faut un rez-de-
chaussée un étage et un toit.
Une première partie est jouée devant la classe pour bien préciser les consignes et faire accepter les différentes règles : deux enfants lancent le dé à tour de rôle, avancent leur pion et gagnent des cartes qui sont affichées dans deux colonnes du tableau.
Les échanges se font en fin de partie, le maître demandant la participation du reste de la classe.
Cette phase est très importante pour que chaque enfant puisse jouer (règles de déplacement sur la piste et manière de gagner des cartes) et
1. Contrairement à ce qui est indiqué dans ERMEL CP, page 306.
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Chacun, tous... différemment ! Mathématiques au cycle des apprentissages
construire ses maisons (règles d'échange). Mais elle n'est pas faite pour que tous les enfants soient capables de réaliser tous les échanges (sinon les jeux d'équipes n'auraient plus d'intérêt).
Phase 2 : jeux en équipes
Les enfants sont organisés en groupes de trois : deux sont les joueurs, le troisième est le marchand. C'est lui qui donne les pièces gagnées en cours de partie et c'est également auprès de lui que se font les échanges en fin de partie.
Pendant cette première phase de jeu, les enfants ne sont pas invités à représenter leurs gains. C'est seulement à la fin de la partie, avant d'effectuer les échanges, que chaque enfant est invité à dessiner sur une feuille de jeu toutes les cartes gagnées au cours de la partie. La feuille est partagée en deux colonnes : à gauche l'enfant dessine (ou représente de façon symbolique) les cartes qu'il a gagnées, à droite il dessine celles qu'il a obtenues après les échanges.
Mise en commun
Il s'agit de mettre en évidence quelques cas d'échanges qui ont posé problème dans les groupes ou d'échanges fictifs préparés par le maître.
C'est un moment qui permet au maître d'observer la façon dont les enfants décrivent leurs échanges, de faire préciser les termes utilisés, de mettre en correspondance les actions et les verbalisations de celles-ci. Le maître peut prévoir de soumettre à la classe quelques « cas de figure » intéressants du point de vue des échanges.
Exemple : une petite fille a gagné les pièces suivantes (ces pièces sont exposées au tableau - avec des aimants ou tout autre système d'accrochage - et non dessinées de manière à pouvoir être manipulées, échangées).
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64
Maîtrise de la distinction entre valeur et quantité
Il semble que l'on ne puisse construire que deux maisons
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Mais deux rez-de-chaussée et un étage peuvent être échangés contre un troisième toit, non pas parce que 2 + 2 + 1 = 5, mais parce qu'il est possible d'échanger chacun des rez-de-chaussée contre deux étages, ce qui permet d'obtenir les cinq étages qui sont à leur tour échangés contre un toit, comme le prévoit la règle. On obtient alors une troisième maison.
Bilan en vue de la différenciation
L'objectif principal de ce bilan est, pour le maître, de repérer les enfants qui ne sont pas encore capables de réaliser des échanges en observant la règle. Il faut donc, dans ce bilan, être très vigilant à ce seul objectif et proposer une activité qui permette de bien observer cette capacité et non l'aptitude de l'élève au codage ou décodage de ces échanges, ce qui est une tout autre histoire!
Comme nous l'avons indiqué plus haut, ce bilan peut se faire à partir de l'observation des parties précédentes ou des feuilles de jeu élaborées par les enfants et il n'est pas nécessaire de construire un protocole spécifique.
Phase 3 : différenciation par la tâche
Cette phase vise à permettre aux enfants qui ne seraient toujours pas capables d'effectuer les échanges de les réaliser et de les verbaliser avec l'aide du maître. La classe est organisée en trois groupes.
1. Les élèves qui ne peuvent réaliser seuls les échanges : le maître propose un travail exclusivement centré sur les échanges. Il s'assure de la compréhension des deux règles d'échange et la fait pratiquer à chaque enfant dans les deux sens, tout en verbalisant les actions : - « prends un toit ; que peux-tu obtenir en échange du toit ? »
65
Chacun, tous... différemment ! Mathématiques au cycle des apprentissages
- « combien d'étages te faut-il pour obtenir un toit ? - « avec quatre étages, qu'est-ce que je peux demander ? - « avec 1 toit et 1 étage, combien je peux acheter de rez-de-
chaussée ? » - « avec 2 étages et 2 rez-de-chaussée, peux-tu acheter ce qu'il
faut pour faire une maison ? »
Il demande aux enfants de verbaliser leurs actions et les invite à contrôler mutuellement leurs échanges. Enfin, il peut commencer à faire représenter ou à représenter lui-même l'état initial et l'état final du jeu : « Voilà ce qu'Emilie a gagné ; pour se souvenir, nous allons dessiner ce qu'a Emilie ; maintenant, elle fait tous les échanges possibles et voilà ce qu'elle a après les échanges. ». On dessine a nouveau l'état des avoirs d'Emilie.
2. Aux élèves capables d'autonomie et capables de travailler à partir d'un texte écrit, on propose la résolution de problèmes individuels à partir d'énoncés écrits ou de représentation de certaines étapes du jeu. Les élèves sont avertis qu'ils peuvent aller chercher le matériel de jeu s'ils le souhaitent pour répondre aux questions qui leur sont posées. Voici quelques exemples.
a) Le maître a représenté l'état du jeu de deux joueurs avant les échanges et demande d'effectuer tous les échanges possibles et d'indiquer quel est le joueur qui a réussi à construire le plus de maisons complètes.
b) Je veux construire une maison mais je n'ai que des étages. Combien faut-il échanger d'étages pour pouvoir construire une seule maison ? Deux maisons complètes ?
c) Combien faut-il avoir de rez-de-chaussée pour construire deux maisons ?
d) On donne une représentation d'un ensemble de maisons en construction; exemple :
- 2 maisons achevées ; - 2 maisons dont il manque les toits ; - 2 maisons dont il manque les toits et les étages.
« Pour commencer vous ne pouvez obtenir que des étages. Après vous pourrez échanger les étages pour obtenir des toits.
« Combien d'étages faut-il pour finir toutes les maisons ? »
66
Maîtrise de la distinction entre valeur et quantité
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Chacun, tous... différemment ! Mathématiques au cycle des apprentissages
La représentation des échanges par écrit est une tâche difficile pour les enfants : elle n'est certainement pas accessible à tous (même à ceux qui ont bien compris les règles d'échange) dès cette première situation et ils auront l'occasion de le faire dans les situations suivantes. Il faudra donc prévoir, pour la plupart d'entre eux, le moyen de réaliser effectivement les échanges nécessaires à partir d'une représentation d'un état du jeu. L'enfant doit alors se procurer les pièces dessinées, réaliser effectivement les échanges et dessiner le nouvel état du jeu obtenu après ces échanges : il ne code pas les échanges mais seulement les états.
3. Aux élèves qui ne seraient pas capables de travailler seuls sur des polycopiés (mauvais lecteurs,...), ou qui ont eu du mal à gérer l'ensemble des tâches, on propose de rejouer comme dans la phase 2.
Phase 4 : synthèse
L'activité sur les « maisons à construire » se termine par un moment collectif pendant lequel le maître fait le point sur ce que les élèves ont appris en jouant à ce jeu : respect des diverses règles, fonctionnement des échanges. Le maître peut également indiquer à ce moment-là que le « jeu des maisons à construire » reste disponible dans la classe pour ceux qui veulent y rejouer.
5.2. MONNAIE : 1 F, 2 F, 5 F
La monnaie, objet social dont les enfants ont une expérience plus ou moins importante quand ils rentrent à la « grande école », a toujours été utilisée également comme outil pédagogique dans les apprentissages de la numération. Elle est donc à la fois un objet de la vie courante que les enfants vont apprendre à connaître et à propos duquel ils doivent pouvoir résoudre quelques problèmes (par exemple rendre la monnaie lors d'un achat effectué avec une coupure supérieure au prix), et un matériel didactique commode, bien qu'assez difficile d'emploi. Dans ce chapitre, nous utilisons la monnaie principalement dans ce deuxième sens.
Phase 0 : activité de sensibilisation et de découverte de la monnaie
Après l'évaluation portant sur ce matériel, il serait souhaitable, pour les enfants qui ont montré leur ignorance de ce matériel, de manipuler de vraies pièces pour un achat réel de moins de 10 F (par exemple ticket d'autobus pour une sortie ou achat d'un goûter...) de
68
Maîtrise de la distinction entre valeur et quantité
manière à donner du sens à ce matériel et à envisager les différentes formes que peut prendre une même somme d'argent
Phase 1 : « Qui a le plus? Qui a le moins ? »
Objectifs : - Savoir que la valeur d'un ensemble de pièces ne dépend pas
uniquement de leur nombre. - Savoir calculer différentes valeurs et les comparer.
Étape 1 : familiarisation avec le nouveau matériel
Chaque élève reçoit une enveloppe contenant un ensemble de pièces qui peuvent être fictives.
Exemples de valeurs utilisables :
8 F
9 F
10 F
12 F
5 2 5 5 5 2 2 5 5 5 2 5 5 5 2
2 2 1 2 2 2 2 5 2 2 2 5 5 2 2
1 2 1 2 1 2 2
2 1 2 2 1 2 2
2
2
2
2
1 1
1 2
1 2
1
1 2
• Les élèves sont par groupes de quatre : on demande de déterminer dans chaque groupe, «qui a le plus d'argent, c'est-à-dire qui est le plus riche ? qui en a le moins ? ou si certains ont pareil, c'est-à-dire la même somme d'argent». La consigne est longue, mais nous devons tenter de donner du sens au mot « argent » qui est mal employé par la plupart des enfants.
• Deux élèves du groupe ont la même somme réalisée différemment pour que tous « voient » la différence entre nombre de pièces et
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Chacun, tous... différemment ! Mathématiques au cycle des apprentissages
valeur, sans pour autant laisser s'installer l'idée que le plus riche est celui qui a le moins de pièces ou l'inverse.
Exemple d'enveloppes pour un groupe :
A 5 2 1 1 1 B 5 5 5 C 2 2 2 1 1 1 1 D 5 2 2 1
Les élèves ont feuilles, stylos et calculettes pour effectuer leurs calculs.
Mise en commun
Il s'agit de mettre en évidence le fait que la même somme d'argent peut être obtenue de diverses façons. Le maître invite les enfants qui avaient 9 F, par exemple, à venir montrer leurs pièces. Il représente chacune de ces sommes et veille à ce que les formulations des enfants soient précises et correctes : «Pour faire 9 F, j 'ai trois pièces : une de 5 F et deux pièces de 2F... ».
Étape 2
Le constat fait dans les groupes (et de nouveau souligné lors de la mise en commun) qu'une même somme peut être obtenue de plusieurs manières, permet d'introduire une nouvelle consigne, en groupe :
« Cherchez plusieurs façons de faire 13 F (ou 14 F ou 15 F). Toujours en n'utilisant que des pièces de 1 F, 2 F et 5 F. Le groupe qui aura trouvé le plus de réponses aura gagné. » Laisser dessiner ou utiliser le matériel.
• Une mise en commun rapide suivra la phase de recherche, pour examiner les solutions produites, lister celles qui conviennent (mais sans rechercher l'exhaustivité), éliminer celles qui ne conviennent pas, en disant pourquoi (le calcul oral peut suffire). Par exemple, pour «faire 13 » :
5 2 2 2 2 2 5 + 2 + 2 + 2 + 2 + 2= 13 ne convient pas. (Erreur de calcul ; ça fait 15 pas 13.)
5 5 3 5 + 5 + 3= 13 ne convient pas. (Les pièces de 3 F n'existent pas !)
Il est important que les types d'erreur soient bien identifiés : un calcul peut être juste mais contenir des pièces qui ne sont pas dispo-
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Maîtrise de la distinction entre valeur et quantité
nibles, par exemple. Il ne s'agit pas à proprement parler d'une «erreur», au sens où l'entendent habituellement les enfants, mais du non-respect d'une contrainte du problème proposé.
De manière à permettre au maître de repérer la capacité de chaque enfant à voir une même somme d'argent sous différentes formes, le travail est repris individuellement (avec le matériel ou le dessin). La somme proposée à chacun peut être différente selon l'aisance de l'élève dans le calcul et la calculette est toujours disponible, selon le contrat établi dans la classe.
Phase 2 : le jeu de LA MARCHANDE
Objectif :
- Prévoir la nécessité d'un échange de pièces de manière à obtenir les pièces utiles ; réaliser des échanges corrects.
- Savoir comparer des valeurs exprimées de différentes façons.
Dans les situations d'achat, il faut presque toujours donner plusieurs pièces pour payer un seul objet ou donner plus que la valeur de l'objet si l'on n'a pas l'appoint.
Variables de la situation :
- la façon dont on peut payer un objet : avec seulement des pièces de 1 F ou pas ;
- le fait de pouvoir ou non payer chaque objet successivement ; - le fait de pouvoir payer sans faire de monnaie ou non.
Étape 1 : achat d'un objet
Les élèves sont invités à acheter un seul objet d'une valeur inférieure à 10 F, à choisir parmi cinq ou six objets ; ils ne disposent que de pièces de 5 F et doivent cependant donner l'appoint au vendeur qui ne peut rendre la monnaie. Le maître servira de banquier et les enfants pourront, avant tout achat, venir échanger les pièces de 5 F contre des pièces de 2 F ou de 1 F, s'ils le désirent, à condition de lui demander exactement les pièces « qui font aussi 5 F ».
Cette organisation permet au maître de contrôler tous les échanges de monnaie, de repérer les différentes difficultés rencontrées par les enfants et d'aider ceux qui ne parviendraient pas à les effectuer correctement seuls. Il exige de chaque enfant une verbalisation correcte :
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Chacun, tous... différemment ! Mathématiques au cycle des apprentissages
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Maîtrise de la distinction entre valeur et quantité
« Je voudrais échanger une pièce de 5 F contre une pièce de 2 F et trois pièces de 1 F », par exemple, et non «je veux une pièce de 2 F et trois pièces de 1 F».
Différenciation par le rôle dans le jeu : le repérage fait à la fin de la première phase permet de choisir des « marchands » qui soient capables de contrôler que l'argent donné correspond bien au prix de l'objet choisi par l'acheteur. Ils vendent « les objets » dont les dessins sont donnés page précédente.
• Les autres enfants sont les acheteurs et disposent d'une bande où sont dessinées des pièces de 5 F qu'ils vont découper. Cet ensemble de pièces de 5 F constitue leur avoir 1. Ils collent sur une feuille-mémoire le dessin symbolisant l'objet acheté et écrivent la façon dont ils ont réalisé cet achat sous la forme de leur choix : « J'ai donné deux pièces de 2 F» ou un simple dessin des pièces. Ils collent également en bas de leur feuille les pièces qui leur restent après ce premier achat 2.
• Les marchands ont en plus des objets qu'ils vont vendre, un « livre de comptes » dont chaque page correspond à un objet représenté sur la partie gauche de la feuille et où il devra coller les pièces données par chaque acheteur. Ces « livres de comptes » permettront de mettre en évidence, lors de la mise en commun, les différentes manières d'acheter un même objet. Ils permettent également au maître de contrôler le bon déroulement des achats.
Exemple :
Oo /
4 Francs
Eric
Joseph
© © © © © © ©
1. Le fait de ne donner aux enfants que des pièces de 5 F et de ne « vendre » que des objets dont le prix est différent de 5 F contraint chaque enfant à échanger au moins une de ses pièces et permet ensuite de travailler les différents échanges possibles à partir de cette seule pièce de 5 F. 2. Il peut être commode de photocopier les pièces sur du papier de couleur de manière à ce que les enfants ne confondent pas les pièces utilisées et celles qui restent. Dans ce cas, on peut également changer la couleur de ces pièces entre l'étape 1 et l'étape 2.
73
Chacun, tous... différemment ! Mathématiques au cycle des apprentissages
Mise en commun
Une fois encore, il s'agit d'amener les enfants à constater qu'un même objet a pu être acheté à l'aide de différentes pièces. Pour cela, le maître a reproduit sur de grandes affiches les « livres de comptes » des marchands. Il colle à gauche une reproduction de l'objet étudié et demande aux différents marchands qui ont vendu cet objet d'indiquer les pièces fournies par l'acheteur. Si « toutes les façons possibles » n'ont pas été trouvées, il propose aux enfants d'en chercher de nouvelles. L'important réside dans la reprise des formulations qui mettent en évidence le nombre de pièces et la somme d'argent : « Pour faire 8 F, Eric a donné une pièce de 5 F, une pièce de 2 F et une pièce de 1 F : il a donné trois pièces et cela fait 8 F ; Nicolas a donné quatre pièces de 2 F : il a donné plus de pièces mais c'est la même somme d'argent, etc. » Ces formulations sont demandées aux enfants mais toujours reprises clairement par le maître.
Étape 2 : achat d'un autre objet
Après avoir repris tout le matériel précédent (et surtout toutes les pièces qui n'auraient pas été collées), le maître propose aux enfants d'acheter un autre objet à l'aide d'une nouvelle somme d'argent. L'organisation est la même qu'à la première étape avec d'autres vendeurs.
Au terme de cette deuxième étape, tous les enfants ont été confrontés au problème de l'achat d'un objet avec plusieurs sortes de pièces et/ou l'obligation de faire des échanges.
Évaluations en vue de la différenciation par la tâche
1) Capacité à construire une somme d'argent avec des pièces
Chaque élève dispose de la feuille suivante.
@ @
Je paie 8 F.
@ @ © Calculs
@ @ @ ©
Consigne
« Vous découpez la bande du haut. Ensuite vous devez faire 8 F et coller les pièces correspondantes à gauche de votre feuille. Vous pou-
74
Maîtrise de la distinction entre valeur et quantité
vez faire des calculs sur la partie droite. » (On peut supprimer la colonne intitulée «calculs» si les élèves ne sont pas habitués à ce genre de disposition.)
2) Compréhension des échanges Une série de questions est donnée oralement par le maître ; les
enfants répondent par écrit, c'est le maître qui impose le rythme de travail en lisant chaque question au fur et à mesure.
Phase 3 : différenciation
La phase 2 ainsi que le bilan précédent permet au maître de repérer deux types de difficultés directement liées au macro-objectif visé :
- la non-compréhension de la règle d'échange d'une pièce de 5 F contre des pièces dont le montant « fait 5 F»;
- la conviction que « avoir plus de pièces c'est avoir plus d'argent ».
Mais certains enfants sont également en difficulté dans les tâches précédentes pour d'autres motifs :
- compétences calculators trop faibles, trop lentes,...; - possibilité de communication insuffisante, vocabulaire imprécis,
difficulté de compréhension des consignes,... - manque de confiance en soi,...
Le traitement de ces difficultés ne peut être identique et l'exemple d'organisation que nous proposons ici, qui ne se veut en aucun cas un modèle, doit être adapté à chaque cas.
La classe est partagée en deux groupes : - les enfants dont le maître a pu repérer des difficultés travaillent
avec lui (voir ci-dessous) ; - aux autres le maître propose une tâche individuelle. Par
exemple, il a recopié les différentes façons de payer les objets dans la phase précédente, à partir des livres de comptes des marchands. Il demande aux enfants de chercher, pour chaque objet, la façon « qui demande le moins de pièces », ce qui amène à nouveau les enfants à mettre en relation le nombre de pièces et la valeur de la somme.
• Groupe de travail avec le maître : c'est d'abord, pour certains enfants, le travail sur les échanges qui demande à être à nouveau clarifié avec l'aide du maître. Celui-ci leur propose donc successivement plusieurs tâches:
- il donne à chaque enfant une pièce de 2 F et demande que chacun échange sa pièce de 2 F contre d'autres pièces « qui font pareil, qui font aussi 2 F ».
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Chacun, tous... différemment ! Mathématiques au cycle des apprentissages
TLvaluation de la compréhension des échanges avec (es pièces de monnaie
© ©
J'échange une pièce ( 2 M . Dessine ce que le caissier me rend
Je donne ( i n au caissier. Dessine ce qu'il me donne en échange
Trouve une autre manière d'échanger (sf) contre d'autres pièces .
J'achète un taille-crayon à 4 F. Dessine les pièces que je peux donner au marchand
•Ll Tu achètes un livre à 8 F. Dessine les pièces que tu vas donner au marchand :
Tu achètes 2 cahiers à 6 F. Comment vas-tu payer le marchand ?
Dessine les pièces :
76
Maîtrise de la distinction entre valeur et quantité
Voilà tes pièces : © © © © © © @
écris ce que fu échanges
pour avoir le moins de pièces possible.
8
©@ © © Fais les échanges pour avoir le plus de pièces possible.
9
1
a
*. imp nnmmp à 7 F "u veux acheter :
pt —fc un Taillp-fTiwnn à A F
vec le moins de pièces possible .
Cherche sur la feuille ce que fu peux faire .
10 Tu voudrais acheter 3 feutres à 5 F avec des pièces de (5FJ
Voilà tes pièces dans ton porte-monnaie :
@©@©©©@©
Cherche ce que tu peux faire.
11
Chacun, tous... différemment ! Mathématiques au cycle des apprentissages
ISur six enfants pris ainsi dans un petit groupe avec la maî
tresse, nous en voyons encore deux qui échangent leur pièce de 2 F contre une seule pièce de 1 F. C'est la mise à plat du résultat des échanges effectués par les autres enfants et la verbalisation de ces échanges qui permet à ces deux enfants de comprendre leur erreur (compréhension dont on verra les effets à l'exercice suivant).
- même travail avec une pièce de 5 F;
- le maître demande ensuite d'échanger deux pièces de 5 F de deux façons différentes. Chaque enfant est invité à exprimer clairement la façon dont il a réalisé ses échanges sous le contrôle des autres ; le maître reformule systématiquement pour tous ;
- tirage au sort d'une carte portant des nombres de 12 à 20. Chaque enfant vient constituer une collection de pièces dont la valeur correspond au nombre indiqué sur sa carte. Il peut faire ensuite des échanges avec le maître et acheter les objets déjà utilisés dans la phase 2;
- résolution de petits problèmes oraux: j'ai quatre pièces dans mon porte-monnaie. Qu'est-ce que je peux avoir comme argent ?
5.3. LE JEU DU BANQUIER 5 CONTRE 1
Il s'agit d'une situation dans laquelle les enfants sont amenés à pratiquer des échanges réguliers à partir de jetons gagnés et à comparer l'état de leurs collections après les échanges.
Objectifs - Savoir utiliser des règles d'échanges réitérées. - Savoir comparer les gains après échange et prendre
conscience que le gagnant n'est pas nécessairement celui qui a le plus de jetons.
Matériel
Des dés et des objets de trois formes différentes1, par exemple des jetons ronds, carrés et triangles.
1. Les formes doivent être très différentes pour qu'il n'y ait pas de confusion possible dans les représentations dessinées : par exemple, des jetons ronds, carrés et triangulaires, trouvés dans le matériel scolaire ou fabriqués en bristol. Dans notre progression, nous avions prévu des rectangles qui ont parfois été confondus à l'écrit avec des carrés. C'est la situation avec des rectangles qui est décrite dans ce document parce que c'est celle qui a été expérimentée.
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Maîtrise de la distinction entre valeur et quantité
Règle du jeu
En début de jeu, le maître définit une règle d'échange entre les différents objets. Il dessine la règle au tableau devant les élèves, par exemple :
Règle d'échange :
OOOOO «
D D D D D *
* Chaque joueur, à tour de rôle, lance le dé et gagne autant de jetons ronds que de points marqués sur le dé.
* Dès qu'un joueur possède 5 jetons ronds, il doit les échanger contre un carré ; de même, il devra échanger 5 carrés contre un rectangle.
Phase 1
Étape 1 : appropriation (jeu collectif)
La classe est divisée en deux équipes ; le maître est le banquier, c'est lui qui donne les objets (ou jetons) gagnés. À tour de rôle, un enfant de chaque équipe lance le dé et demande les jetons au banquier. Les autres enfants doivent contrôler la demande et intervenir éventuellement pour les échanges à faire.
Dans cette étape, il s'agit essentiellement de bien faire comprendre que l'on gagne des jetons ronds (dans le cas du matériel cité comme exemple) que l'on échange ensuite contre des jetons carrés. Certains enfants pourront ainsi remarquer que si le dé indique 5, on peut demander directement 1 jeton carré équivalent à 5 jetons ronds, mais ceci ne sera pas généralisé dans cette première étape. On joue ainsi quelques tours pour s'assurer que la règle est comprise.
Etape 2 : jeu en équipes et comparaison des gains
Les enfants sont répartis en groupes hétérogènes de cinq : deux équipes de deux joueurs et un «banquier» qui dispose d'une boîte contenant les jetons.
* •
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Chacun, tous... différemment ! Mathématiques au cycle des apprentissages
Chaque joueur lance le dé et demande au banquier les jetons gagnés (les deux joueurs d'une équipe mettent leurs gains dans une seule boîte). Les échanges éventuels se font à chaque tour.
Ce sont les joueurs qui demandent au banquier les jetons, de manière à leur permettre de pratiquer le jeu selon leurs compétences ; certains anticipent les échanges : ainsi, une équipe ayant déjà 3 jetons ronds et ayant fait 4 avec le dé peut, d'emblée, demander un jeton carré en donnant un jeton rond ; d'autres ont besoin d'avoir tous les jetons devant eux pour pratiquer l'échange : ainsi, une équipe ayant fait 6 demandera 6 jetons ronds et, ensuite, échangera 5 de ces jetons contre 1 carré.
Le maître laisse les enfants jouer un temps suffisant pour permettre aux groupes de s'organiser et de pratiquer quelques échanges. Il relance ensuite une nouvelle partie.
Pour avoir une première information sur la compréhension des règles d'échanges, il peut être intéressant de demander aux enfants une trace écrite des points du dé, ainsi que le dessin des jetons obtenus à la fin de la partie.
Après quelques tours, le maître arrête le jeu et demande : « Quelle équipe a gagné dans chaque groupe ? » La recherche se fait d'abord au sein des groupes.
Mise en commun : comparaison des gains
Des groupes viennent ensuite exposer leur résultat : ils indiquent l'équipe qui a gagné dans le groupe et la raison. On amène ainsi les enfants à formuler des règles de comparaison et à remarquer qu'une équipe peut gagner alors que son nombre de jetons est inférieur à celui de l'autre, c'est la « valeur» des jetons qu'il faut considérer.
Prises d'information en vue de la différenciation
1) Faire les échanges :
On peut proposer du matériel aux enfants mis en échec par les difficultés de représentation.
2) Comparaison de gains :
Chaque élève reçoit la représentation des gains de deux joueurs à la fin d'une partie fictive ; il s'agit de comparer ces gains. La consigne est donnée oralement.
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Maîtrise de la distinction entre valeur et quantité
Í Evaluation de la compréhension du jeu du banquier
Règle d'échange :
O O O O O „ • D
D D D D D < *• I
Un enfant a gagné des jetons, aide-le à faire les échanges.
OOOOOOOOO
ooooooooo ooooooooo
Dessine ce qu'il a, après les échanges
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Chacun, tous... différemment ! Mathématiques au cycle des apprentissages
Qui a gagné ? )
Règle d'échange :
o o o r\ o ri
n n n n n Û
D
DDD O
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Maîtrise de la distinction entre valeur et quantité
On peut ajouter, éventuellement : - comparer 3 gains (qui a gagné ? qui a perdu ?) ; - comparer 2 gains dont les échanges sont incomplets.
Phase 2 : différenciation par les aides Le travail précédent permet au maître de répartir les enfants en
deux groupes homogènes :
Groupe A : les enfants qui ont réussi rejouent au jeu du banquier en équipe de 4, avec les jetons. Il n'y a plus de banquier. Les joueurs à leur tour lancent le dé, écrivent les points du dé (dessin des points ou écriture chiffrée) dans les carrés dessinés sur leur feuille de route (cf. les feuilles de jeu de quelques enfants reproduites pages 85 et 86) et prennent les jetons qu'ils ont gagnés à la banque placée au milieu de la table. Chacun est son propre banquier et fait ses échanges.
Groupe B : les enfants en difficulté jouent également, mais avec le maître qui, d'une part, prend en charge une partie des tâches de gestion et, en plus, incite chaque enfant à verbaliser les actions enjeu : ce qu'il gagne, pourquoi et comment il échange.
Les enfants lancent le dé et font les échanges. Le maître est secrétaire, il note les points obtenus par chacun sur une bande analogue à celle utilisée par les enfants du groupe A, une bande par enfant ; il est aussi banquier.
À l'issue de la partie, chaque joueur reçoit la bande de points que le maître a remplie pour lui pendant le jeu et la colle sur une feuille identique à celle utilisée par les enfants de l'autre groupe.
Le même travail est alors demandé à tous les enfants : « Le jeu est terminé, vous allez dessiner les jetons qui sont sur votre table dans la case de droite ; puis vous les rendez à la banque. »
Le maître demande ensuite de chercher combien chacun a gagné de jetons ronds.
Les enfants qui ont travaillé avec le maître sont ainsi replacés, au cours de l'activité, devant le même problème à résoudre que les autres. Tous sont invités à laisser une trace pour que l'on comprenne comment ils ont fait.
Aucune autre indication n'est donnée, le problème peut être résolu à partir des points du dé ou des représentations des jetons obtenus après l'échange. Le but de cette activité n'est ni le calcul additif, ni le décodage dans une base autre que dix; il s'agit de pratiquer des échanges et de permettre, par l'équivalence des résultats trouvés, de valider la comparaison des gains qui pourrait encore ne pas être évidente pour certains enfants.
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Chacun, tous... différemment ! Mathématiques au cycle des apprentissages
Mise en commun Le maître fait observer quelques productions. Il met en évidence
les différentes procédures permettant de résoudre le problème et peut ainsi établir des ponts entre elles, favorisant la compréhension de la valeur des jetons : un enfant qui pressent qu'avoir un rectangle, c'est avoir beaucoup plus qu'un rond « peut voir, par le dessin des échanges, pourquoi un autre enfant annonçait d'emblée qu'avec 25 points, on peut avoir un rectangle ».
Voici par exemple les feuilles de quatre enfants (voir pages suivantes)
Camille a été capable de représenter les échanges des jetons ronds obtenus à partir des points du dé. Elle peut donc valider son travail en comparant la collection représentée directement après échange (partie droite de la feuille) à celle qu'elle vient de reconstituer par le dessin (centre de la feuille). Une écriture additive traduit le calcul de la valeur de la collection finale : l + l + l + 5 + 5 + 5 = 18.
Charles ne représente pas les échanges : il compte les jetons ronds obtenus à partir des points du dé et calcule la valeur de la collection finale. La comparaison se fait bien sur les nombres et valide les échanges effectués : « C'est pareil avant et après. »
Sébastien se contente de compter les points du dé puis de réduire l'écriture additive correspondante par un arbre de calcul; il ne compare pas le nombre de jetons ronds à la valeur de la collection finale, et ne peut donc pas constater l'erreur commise lors des échanges (26 jetons ronds obtenus à partir des points du dé et une collection après échange de valeur 24).
Quant à Luis-Carlos, non seulement il n'y a pas comparaison des valeurs mais on peut se demander comment il comptabilise les points du dé !
Phase 3 : reprise du jeu en groupes hétérogènes Les enfants jouent par équipes de quatre avec le matériel. Il n'y a
pas de banquier. Chaque joueur marque ses points sur une bande de dés. En fin de partie, il dessine les jetons qu'il a obtenus après l'échange en bas de la feuille et les range dans une boîte.
Phase 4 : validation
Les enfants échangent ensuite leurs bandes de dés (remplies au fur et à mesure du jeu) avec un autre joueur qui devra, avec ou sans maté-
84
Maîtrise de la distinction entre valeur et quantité
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Chacun, tous... différemment ! Mathématiques au cycle des apprentissages
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SefcASTlEtf 2 5 MRS 1393
86
Maîtrise de la distinction entre valeur et quantité
riel, trouver le contenu de la boîte correspondante, c'est-à-dire du résultat des échanges. Le contenu des boîtes permet de valider les travaux des enfants.
5.4. MONNAIE : 100 F, 50 F, 10 F, 5 F, 2 F, 1 F
Objectif: Réinvestir dans un domaine numérique plus étendu les connais
sances acquises, c'est-à-dire : - savoir que la valeur d'un ensemble de pièces ne dépend pas
du nombre de ces pièces ; - savoir calculer différentes valeurs et les comparer.
Plusieurs jours avant les activités prévues, on installera ou réinstallera des activités rituelles de calcul mental pour renforcer les connaissances des élèves concernant la comptine de 10 en 10 et de 5 en 5 (jeux de furet, jeux de doigts et de mains : « Combien de mains pour 35 doigts, 50 doigts,...», «Combien d'enfants pour avoir 40 doigts ? » etc.).
D'autre part, dans la progression que nous proposons, cette activité se situe après l'activité FOURMILLIONS, dans laquelle les élèves ont été invités à organiser en paquets de dix réitérés une très grande collection. Ceci devrait avoir permis à tous les élèves de se construire une certaine représentation des groupements par dix et par cent.
Situation : « Qui a le plus? Qui a le moins? »
La situation est organisée pour donner un rôle spécial aux enfants en difficulté ou ayant besoin de prendre de l'assurance. Juste avant l'activité, pendant que les autres font un tout autre travail, LABY-NOMBRE ' par exemple, ces enfants sont invités par la maîtresse à découvrir la pièce de 10 F, puis le billet ou la pièce de 20 F et enfin le billet de 50 F. L'étape 0 ne concerne que ces enfants.
1. Cf. ERMEL CP, p. 181.
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Chacun, tous... différemment ! Mathématiques au cycle des apprentissages
Étape 0 : différenciation préalable
Elle est prévue pour les enfants déjà repérés en difficulté dans MONNAIE 1 F, 2 F, 5 F ou ayant besoin de prendre de l'assurance.
Elle consiste en une familiarisation avec le nouveau matériel: pièce de 10 F, pièce ou billet de 20 F, billet de 50 F.
Matériel à prévoir: - trois boîtes contenant en assez grand nombre des pièces de
1 F, 2 F et 5 F; - une autre boîte sera nécessaire (2e temps) pour les pièces de
10 F
a) Chaque enfant reçoit 1 pièce de 10 F.
« Vous allez échanger la pièce de 10 F: pour cela vous allez prendre dans ces boîtes les pièces pour avoir exactement la même somme d'argent. »
Le maître fait observer les pièces prises par les enfants : - uniquement des pièces de 1 F; - deux pièces de 5 F; - plusieurs sortes de pièces.
On peut également procéder de même avec 2 pièces de 10 F.
b) Même démarche pour le billet (ou la pièce) de 20 F.
c) Même démarche pour le billet de 50 F.
Étape 1 : groupes hétérogènes
Ceux-ci intègrent les enfants de l'étape 0 à raison de un par groupe.
Chaque élève reçoit une enveloppe contenant un ensemble de pièces.
• Les élèves sont par groupes de quatre : on demande de déterminer dans chaque groupe, qui a « le plus d'argent », qui en « a le moins » ou si certains ont « pareil, la même somme d'argent ».
• Deux élèves du groupe ont la même somme réalisée de deux façons très différentes pour que tous «voient» la différence entre nombre de pièces et valeur. Pour la même raison, la somme la plus forte ne correspondra ni au plus grand nombre de pièces et billets, ni au plus petit nombre de pièces et billets.
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Maîtrise de la distinction entre valeur et quantité
On fera en sorte que chaque enfant ayant participé à l'étape 0 reçoive, dans son groupe, l'enveloppe qui contient les billets de 50 F ou de 20 F sans avoir pour autant plus d'argent que les autres. Cet enfant pourra ainsi participer à la discussion, peut-être pourra-t-il convaincre les autres qui ne connaissent pas nécessairement les équivalences en petites pièces de ces nouvelles pièces.
• Les élèves ont feuilles et stylos pour effectuer leurs éventuels calculs.
Voici un exemple de répartition des enveloppes pour six groupes de quatre enfants (on note * la composition de l'enveloppe destinée à l'enfant initié à l'étape 0).
Pièces Valeur
*50
10
10
10
1
10
5
10
1
5
5
10
5
5
5
5
5
5
5
5
5
5
2
5
2
2
2 2
52
45
43
52
*20
10
10
10
20
10
5
10
10
10
5
10
10
5
5
10
5
5
5
5
5
5
2
5
2 2 2
50
60
45
50
*20
10
10
10
10
10
5
10
1
5
5
10
5
5
5
5
5
5
5
5
5
5
2
5
5
2
2
5
2
2
2 2
31
45
45
52
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Chacun, tous... différemment ! Mathématiques au cycle des apprentissages
Pièces Valeur
*50
10
10
10
20
10
50
10
5
50
10
5
50
10
5
5
10
5
5
10
5
2
2
2
2
2
2
2
2
2
2
70
45
60
70
*50
10
10
10
1
10
5
10
1
10
5
10
10
5
5
5
5
5
5
5
5
5
2
5
2
2
2 2 2
52
55
45
52
Mise en commun
Chaque groupe doit présenter à la classe la composition de ses enveloppes, puis justifier ses conclusions en répondant aux trois questions :
- quel enfant a le plus ? - lequel a le moins ? - lesquels ont la même somme ?
La mise en commun devrait conduire à la conclusion qu'on ne peut pas savoir en comptant le nombre de pièces.
Étape 2
Elle doit suivre immédiatement l'étape 1 : les groupes éclatent mais chacun conserve son enveloppe.
Chaque groupe de deux élèves ayant des sommes d'argent différentes dans la première étape reçoit deux grandes feuilles (pour l'affichage) sur lesquelles est représenté un tableau. Les élèves qui avaient la même somme d'argent se retrouvent ensemble dans des équipes de deux. Ils doivent se mettre d'accord puisqu'ils n'auront à remplir qu'une seule feuille.
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Maîtrise de la distinction entre valeur et quantité
On demande à chacun (ou à chaque groupe de deux) de dessiner, dans le tableau où est inscrite la somme correspondant à son enveloppe, le contenu de celle-ci. Par exemple :
54 francs
50 F 2 F 2 F
10 F 10 F 10 F 10 F 10 F 2F 2 F
3 pièces ou billets
7 pièces ou billets
pièces ou billets
pièces ou billets
* Dans la colonne de droite, ils devront indiquer le nombre de « pièces ou billets ' » ; voilà une expression qui doit prendre du sens au cours des discussions par deux, puis lors de la mise en commun.
On demande ensuite au groupe de chercher d'autres manières de réaliser la somme indiquée et de compléter le tableau.
Les élèves qui le désirent peuvent manipuler pièces et billets. Les autres peuvent essayer de trouver une solution par le calcul.
Étape 3 : mise en commun
Elle doit permettre de présenter à la classe les solutions de chaque groupe. On pourra susciter les remarques sur :
- les moyens de vérification rapide basés sur les regroupements des pièces de 10 F et des pièces de 5 F ;
- le fait qu'il existe beaucoup de solutions avec un nombre de pièces très variable ;
- les moyens qu'il y a de «produire» une nouvelle solution à partir d'une configuration précédemment trouvée par « échanges » ou « groupements » sans avoir à vraiment calculer.
Exemple : on a déjà 45 F avec 4 pièces de 10 F et une pièce de 5 F. On peut avoir une nouvelle configuration en échangeant une pièce de 10 F contre 2 pièces de 5 F, en faisant la monnaie de 5 F, etc.
1. Le fait qu'il puisse y avoir à la fois des pièces et des billets, ce qui n'était pas le cas dans les premières activités utilisant uniquement des pièces de 1 F, 2 F et 5 F) peut perturber certains enfants qui veulent les distinguer les unes des autres : j'ai deux pièces et un billet. Il faudra parfois l'intervention du maître pour leur faire accepter l'expression inhabituelle « pièces ou billets ».
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Chacun, tous... différemment ! Mathématiques au cycle des apprentissages
Il ne s'agit en aucun cas de chercher l'exhaustivité des solutions trouvées, ce qui lasserait inutilement les élèves.
Étape 4 : Évaluation individuelle
Avec la possibilité d'utiliser la calculette.
1) Chaque enfant reçoit un tableau analogue au tableau précédent, portant un nombre N < 50 (nombre différent pour chaque enfant), lequel représente une somme d'argent. Ils sont avertis qu'ils peuvent aller chercher les pièces s'ils ne peuvent s'en passer : ils indiqueront alors sur leur feuille le mot « matériel », comme d'habitude.
L'enfant pourra remplir son tableau comme il le souhaite, en collant des pièces (s'il a été obligé d'y recourir), en dessinant, en utilisant une écriture additive, etc. Aucune contrainte n'est imposée, tous les « messages » sont acceptés, à condition d'utiliser les valeurs correspondant aux pièces existantes et d'indiquer à droite le nombre de pièces ou de billets.
2) Même exercice pour les plus rapides, mais cette fois N > 50.
Étape 5 : faire 100 F
Chaque enfant dessine ou écrit ce qu'il faut pour avoir 100 F. Pour chaque proposition correcte, le maître donne une photocopie d'un billet de 100 F. Seules les propositions nouvelles d'un élève sont récompensées, d'où la nécessité pour un enfant de noter toutes ses propositions sur une même feuille. L'évaluation de la fortune de chacun peut engager un calcul de 100 en 100 (on a le pied au CEI !).
5.5. BANQUIER 10 CONTRE 1
Il s'agit, comme dans le jeu du BANQUIER 5 CONTRE 1, de pratiquer des échanges réguliers mais on joue avec deux dés, la règle est « 10 contre 1 » et on utilise un matériel différent pour éviter les interférences ; par exemple : des jetons de couleurs différentes (on échange 10 jetons rouges contre 1 bleu, 10 bleus contre 1 jaune).
Phase 1 : le jeu
Étape 1 : jeu en groupes hétérogènes
Le jeu étant semblable au jeu BANQUIER 5 CONTRE 1, la phase d'appropriation n'est plus nécessaire et les enfants jouent d'emblée en
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Maîtrise de la distinction entre valeur et quantité
groupes hétérogènes. Dans chaque groupe, il y a un banquier et des joueurs. Chaque joueur lance, à son tour, les deux dés et demande au banquier les jetons gagnés. Il marque sur une feuille de jeu les points obtenus à chaque lancer puis dessine, en fin de partie, les jetons obtenus après échange.
Feuille de jeu Banquier 10 contre 1
écris tes points :
Dessine les jetons que tu as sur ta table en fin de jeu :
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Chacun, tous... différemment ! Mathématiques au cycle des apprentissages
Les enfants jouent plusieurs parties en changeant de rôle. Pour la première partie, le rôle du banquier est confié aux enfants les moins performants.
Les feuilles de jeu sont vérifiées par les joueurs : ils doivent additionner (avec ou sans calculette) les points gagnés à chaque coup et comparer ce total à la valeur des jetons obtenus après échange.
Étape 2 : mise en commun
À l'issue du jeu, le maître propose l'examen de quelques feuilles de jeu. Il est amené à poser des questions telles que : « En jouant, Aurélien a obtenu 12 avec les dés ; quels jetons demande-t-il ? », ce qui lui permet de repérer des enfants qui demandent 12 jetons rouges et d'autres 1 bleu et 2 rouges et de mettre ainsi en évidence l'équivalence entre les deux collections : «Parce que 12, c'est 10 et 2 et que 10 jetons rouges valent un jeton bleu. »
Il s'agit également, dans cette mise en commun, de montrer l'équivalence entre le nombre de points des dés, la valeur de la collection de jetons rouges correspondants et celle de la collection de jetons obtenus après échange, sans passer nécessairement ou trop rapidement à: la relation entre écriture chiffrée et nombre de jetons de chaque couleur, même si certains enfants sont déjà capables de percevoir les divers liens.
Prise d'informations
Une feuille de jeu fictive ou d'autres exercices, en rapport avec le jeu, sont proposés en recherche individuelle. Le matériel est disponible pour les enfants qui souhaitent l'utiliser, de même que la calculette.
Sur les vingt-deux élèves qui ont participé à cette évaluation dans la classe de Françoise, quatorze sont capables de représenter les échanges (questions 1 et 2), quinze sont capables de calculer les points gagnés avant échange à partir de la collection finale (question 3) et treize trouvent le nombre de jetons qui manquent pour obtenir un autre jeton bleu. Mais surtout, vingt et un ne se laissent plus impressionner par le nombre de jetons gagnés par le garçon et répondent que c'est la fille qui a gagné, dix-neuf" sont capables de justifier leur réponse ! On peut dire que, ce jour-là, ils ont bien fait la différence entre valeur et quantité... Cette évaluation permet au maître de repérer les quelques enfants qui sont encore fragiles : Aurélie qui n'a pas su répondre aux questions 1, 2 et 5, Florent qui a toujours besoin du matériel, Cyril, Sébastien
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Maîtrise de la distinction entre valeur et quantité
Evaluat ion : jeu du banquier ( 10 contre 1 )
Règle d'échanges : 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 @ 0 0 B @ H [ B ] @ 0 @
•4-
•4- - f c -
0
& VoiCà tes jetons rouges:
DDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDGD
Combien en as-tu ?
Tu les échanges à la banque ; dessine ce que tu as, après avoir échangé :
\ ) Voiià. unefem
1+2 =
4+3 =
5+5 =
2+2 =
6+6 =
Total des points
?
'£[& de. jeu : Cherche ce que le joueur a gagné : i (en jetons)
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Chacun, tous... différemment ! Mathématiques au cycle des apprentissages
(?) V ^ Un joueur a gagné: i S a S E E B E S a H B
* Combien de points a-t-il gagnés avec les dés ?
* Dessine les jetons qui lui manquent pour gagner un autre jeton bleu
® Un joueur a oubCié de dessiner ses jetons enfin de jeu lisait qu'iCagagné, avec íes dés, 53 points.
Dessine ses jetons, après les échanges :
\5J Deux enfants jouent au banquier.
Voilà ce qu'ils ont gagné en fin de jeu, après avoir échangé
B B B E E K U E H S
m tu ni m ËI ®
Qui a gagné ?
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Maîtrise de la distinction entre valeur et quantité
et Zorha qui sont capables de réussir une question et de se tromper à une autre équivalente... Ces enfants-là ont encore besoin d'aide et travailleront avec la maîtresse dans la phase de différenciation.
Phase 2
Étape 1 : différenciation par les aides
* Les enfants qui ont réussi les exercices précédents jouent par groupes, sans banquier. Chaque joueur, à son tour, tire une carte, note sur une feuille de jeu la valeur de la carte tirée et demande les jetons correspondants. La partie se joue en six tours. A la fin de la partie, les joueurs calculent la somme des points gagnés et représentent leur avoir de fin de partie, ce qui permet à nouveau une vérification du bon déroulement du jeu.
* Les enfants n'ayant pas réussi les échanges jouent également au jeu avec les cartes-nombres (de 10 à 20). Pour faciliter la compréhension des échanges successifs et éviter, par ailleurs, les erreurs de dénombrement, le maître propose à chaque joueur une feuille analogue à une abaque, c'est-à-dire comportant trois colonnes de dix cases, les cases de chaque colonne étant d'une couleur analogue à celle des jetons, c'est-à-dire, de droite à gauche : rouges, bleues, jaunes. En cours de partie, l'enfant place ses jetons rouges, un par case, dans la colonne qui leur est réservée ; lorsque cette colonne est remplie, il doit échanger ces dix jetons rouges contre un bleu qu'il place dans une des cases de la colonne bleue.
Étape 2 : mise en commun
Un moment collectif peut permettre de souligner, à partir d'une feuille de jeu, les équivalences entre collections différentes de jetons (« 20 jetons rouges c'est comme 2 jetons bleus »), ainsi que la relation entre écritures chiffrées et nombres de jetons de différentes couleurs.
Remarque Dans cette deuxième version du JEU DU BANQUIER, les en
fants jouent d'abord avec des dés (comme dans le BANQUIER 5 CONTRE 1) puis avec des cartes-nombres (comme dans le jeu du «Caissier» du début de CEI : il nous a semblé intéressant de faire jouer ainsi à cette activité un rôle charnière dans l'itinéraire.
On pourra utiliser une évaluation en fin de CP ou en début de CEI du type suivant :
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Chacun, tous... différemment ! Mathématiques au cycle des apprentissages
iEvaCuation fin deCT.
Delphine a 28 francs. Dessine ses pièces.
Voici les pièces que Nicolas a dans son porte-monnaie :
© © © © 0 ® © © Combien d'argent a Nicolas ?
Jérémy a 7 pièces : © © @ © © © ©
Julie a 9 pièces : © © © © © © © © ©
Qui a le plus d'argent ?
Pourquoi ?
Marie a : f © © @ © ©
© © © © © ©
Combien a-t-elle de pièces de I F ?
Combien a-t-elle de pièces de 10 F ?
Combien a-t-elle d'argent ?
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Maîtrise de la distinction entre valeur et quantité
Avant de proposer les exercices, dire aux élèves : « Dans tous ces exercices, on ne dispose que de pièces de 1 F et de 10 F » et dessiner au tableau deux pièces de 1 F et 10 F.
Il s'agit dans le premier exercice de repérer si l'élève utilise spontanément les pièces de 10 F pour réaliser une somme donnée ; cet exercice sera donc présenté seul sur une feuille pour que les énoncés des autres exercices n'influencent pas la réponse.
5.6. CAISSIER 1
Objectifs - Par les échanges réitérés 10 contre 1, cette situation est le pro
longement de l'activité BANQUIER 10 CONTRE 1. Elle permet de travailler encore, par la manipulation des pièces, la distinction valeur/quantité.
- Par la mise en évidence de la relation entre les nombres de pièces et billets de chaque sorte et la somme d'argent correspondante, elle vise également à donner du sens à l'écriture chiffrée d'un nombre. C'est l'objectif déjà visé dans l'activité CARRELAGES, mais dans celle-ci les assemblages de 10 carreaux représentent réellement 10 carreaux alors que la pièce de 10 F correspond symboliquement (et par l'usage) à 10 pièces de 1 F sans que l'on puisse y voir ces dix pièces de 1 F.
Dans cette situation, les enfants vont manipuler des pièces et des billets « polycopiés et découpés » de 1 F, 10 F et 100 F qu'ils obtiennent à partir de cartes-nombres. Il s'agira, en fin de jeu, de définir qui a le plus d'argent.
Matériel pour un groupe de 4 - 3 boîtes pour que le caissier dispose son argent ; - dans l'une, une cinquantaine de pièces de 1 F ; - dans une autre, une trentaine de pièces de 10 F ; - dans la dernière, 3 ou 4 billets de 100 F (présents dès le début
de l'activité, même s'ils ne sont pas utilisés dans les phases 1 et 2) ; - des boîtes individuelles, porte-monnaie de chaque joueur (sinon
tout se mélange !) ; - un couvercle de boîte où le caissier met ce qu'il doit donner à
chacun et qui sert également pour effectuer les échanges ;
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Chacun, tous... différemment ! Mathématiques au cycle des apprentissages
- des cartons numérotés : nombres entre 11 et 25 pour les étapes 1 et 2, entre 35 et 50 pour étape 3 et les suivantes ;
- comme toujours, la calculette est disponible.
Phase 0 : évaluation préalable (entretiens individuels)
Il s'agit de repérer les élèves qui, pour évaluer la somme, ne tiennent pas compte de la valeur des pièces. Le maître utilisera ce protocole pour les enfants « nouveaux » dans la progression, c'est-à-dire qui entreraient dans ce CEI en venant d'un autre CP (il pourra utiliser alors l'ensemble du protocole) et pour ceux dont les connaissances semblaient encore fragiles en fin de CP (seules les parties b et c seront utilisées, voire aménagées en fonction des réponses des enfants).
Objectif spécifique : repérer la connaissance que peut avoir chaque enfant des pièces de monnaies usuelles, réelles et sa capacité à distinguer valeur et quantité.
Le maître apporte quelques vraies pièces de 1 F et de 10 F.
Entretien
a) « Est-ce que tu connais ces pièces? » (noter la réponse).
Si l'enfant répond « oui » continuer l'entretien en b).
Sinon, le maître lui présente les pièces, les lui fait toucher et lui dit : « Tu vois celle-ci vaut 1 F et celle-là vaut 10 F. »
b) Le maître place devant l'enfant trois pièces de 1 F et devant lui deux pièces de 10 F et dit : « À ton avis, quel est celui de nous deux qui est le plus riche? » L'expression « qui est le plus riche ?» a été choisie pour éviter, dans ce premier temps, les ambiguïtés qu'apportent les termes tels que « argent », « sous », etc.
Il note la réponse sans faire de commentaire (car cette même épreuve, si elle n'est pas réussie, peut être proposée plusieurs fois).
c) Le maître place maintenant devant l'enfant deux tas de pièces : - trois pièces de 1 F et deux pièces de 10 F, dans le désordre ; - six pièces de 1 F et une pièce de 10 F, en désordre.
Il pose alors les deux questions suivantes : - qui a le plus de pièces ? - qui a le plus d'argent ?
100
Maîtrise de la distinction entre valeur et quantité
Phase 1 : Commande d'une somme d'argent ; appropriation
Objectif
- Savoir composer une somme d'argent en utilisant des pièces de 1 F et 10 F.
- Prendre conscience de la facilité qu'apporte le groupement par dix des pièces de 1 F pour rechercher la valeur d'une collection de pièces.
Le maître explique aux enfants le but du jeu : après avoir tiré des cartes-nombres et obtenu les pièces correspondantes, on va chercher qui a gagné le plus d'argent.
Étape 1 : groupes hétérogènes, différenciation par le rôle joué
Dans chaque groupe, il y a deux ou trois joueurs et un caissier ; les caissiers sont, en priorité, les enfants qui confondent valeur et quantité.
Chaque joueur, à tour de rôle, tire un carton numéroté (nombres de 11 à 25) et demande au caissier la somme indiquée, sans préciser sous quelle forme : ainsi, un enfant qui a tiré le carton 16 va seulement demander «16» et le caissier pourra lui donner 16 pièces de 1 F ou une pièce de 10 F et 6 pièces de 1 F. Les caissiers sont ainsi amenés à construire les sommes demandées comme ils le veulent mais les joueurs peuvent contester leur avoir soit parce qu'il y a erreur, soit parce qu'ils préfèrent recevoir d'autres pièces.
Cette interaction entre enfants de compétences différentes doit permettre à certains caissiers de modifier leur représentation des sommes demandées. Elle peut également les amener à mieux observer l'écriture du nombre si le joueur lui montre bien le carton tiré. Mais, à ce stade, le nombre 25 peut très bien provoquer encore une reconstruction du type 10 + 10 + 5 et la demande de deux pièces de 10 F, sans que ce nombre 2 ait été « lu » dans l'écriture de 25.
- Les joueurs jouent trois tours et gardent les cartons tirés, témoins de ce qu'ils ont gagné.
- À chaque tirage, les joueurs remplissent leur feuille de jeu en indiquant à la fois le carton tiré et les pièces obtenues.
- Les tirages terminés, les joueurs « font leurs comptes » et peuvent échanger des pièces avec le caissier s'ils le désirent; chacun note sur sa feuille (voir ci-dessous) la somme gagnée. Chaque joueur peut obtenir ce résultat comme il le veut, soit à partir des pièces dont
101
Chacun, tous... différemment ! Mathématiques au cycle des apprentissages
/'/ dispose (avec ou sans échange), soit en calculant la somme des trois nombres tirés. Cette modalité fait de l'échange non obligatoire un moyen de faciliter le calcul de la somme des pièces.
- Les joueurs déterminent alors quel est celui qui a obtenu le plus d'argent.
Le caissier Feuille de jeu
Cartes tirées Pièces reçues
Je cherche ce que j 'ai gagné en trois coups
J'ai gagné Francs
( Phase 1 )
102
Maîtrise de la distinction entre valeur et quantité
Mise en commun
La mise en commun s'appuie sur les feuilles de jeu des élèves.
L'enseignant choisit quelques feuilles spécifiques :
1) Erreur sur le contenu du porte-monnaie ;
2) Nombre de pièces de 1 F supérieur ou égal à 10.
La mise en commun doit mettre en évidence la façon de trouver la somme contenue dans le porte-monnaie, à partir des cartes tirées ou à partir du nombre de pièces de chaque sorte, sans privilégier la procédure qui consiste à reporter les nombres de pièces comme chiffres du nombre cherché.
Étape 2 : reprise de la situation avec changement de rôles
Les groupes sont les mêmes mais les caissiers deviennent joueurs.
Phase 2 : comparaison d'écritures
Objectif
Mettre en relation l'écriture chiffrée et le nombre de pièces de 10F et de IF.
Étape 1 : différenciation par le rôle
La classe est organisée en équipes de deux joueurs, A et B, et la compétition se fait, en fin de jeu, entre toutes les équipes.
Dans cette première étape, les enfants qui ont rencontré des difficultés dans la première phase sont les joueurs B.
L'activité est la même que dans la phase 1, mais il n'y a plus de caissier et le travail se fait en trois temps.
Les feuilles de jeu sont plus directives.
Le joueur A remplit la partie A et le joueur B la partie B.
1) Tirage des cartes et prise des pièces
Le joueur A tire une carte, reporte sa valeur sur la case correspondante de la partie A de la feuille et, comme dans la phase 1, demande la somme indiquée à B. Le joueur B prend les pièces correspondant à
103
Chacun, tous... différemment ! Mathématiques au cycle des apprentissages
Lt caissier (Feuille de jeu du joueur A j
Cartes tirées
Combien d'argent as-tu ?
Quelles pièces (ou billets) y a-t-il dans le porte-monnaie ?
(Phase 2 )
104
Le caissier T Feuille de jeu du joueur B J
Pièces
Quelles pièces (ou billets) as-tu ?
Pièces de (TF)
Pièces de @
Billets de TOO F
Combien d'argent as-tu ?
(Phase Z)
Maîtrise de la distinction entre valeur et quantité
cette somme et, après accord avec son partenaire, dessine les pièces ainsi obtenues sur la partie B.
Les joueurs procèdent ainsi pour les trois cartes, puis ils découpent la feuille en deux, chacun continuant à travailler sur sa partie.
2) Calculs
Tâche du joueur A : A doit calculer la somme que l'équipe a gagnée à partir des informations portées sur sa feuille. Il ne dispose clone que des trois nombres tirés (la calculette est disponible comme à l'habitude). Puis il doit prévoir les pièces que le joueur B aura obtenues après les échanges auquel A n'a pas participé.
Par exemple, si la somme des trois nombres est 87, il doit prévoir que B aura 8 pièces de 10 F et 7 pièces de 1 F.
Tâche du joueur B : à l'inverse, B ne dispose plus que des pièces et il doit obtenir la somme d'argent obtenue par l'équipe. Il est averti qu'il peut effectuer tous les échanges qu'il veut, avant d'inscrire le nombre de pièces de chaque sorte et de rendre les pièces. C'est à partir de ces nombres de pièces qu'il est invité à calculer la somme gagnée.
Dans l'exemple envisagé pour A, le joueur B devrait avoir, après les échanges, 7 pièces de 1 F et 8 pièces de 10 F. C'est à partir de ces nombres qu'il doit aboutir au calcul de la somme gagnée : 87 F.
Ses calculs effectués, le joueur B rend les pièces et ne dispose plus que de ce qu'il a inscrit sur sa demi-feuille.
3) Comparaison
Les deux joueurs, qui ne disposent plus d'aucun matériel, comparent alors les résultats qu'ils ont obtenus séparément:
- comparaison des nombres de pièces de chaque sorte ; - comparaison de la somme d'argent.
En cas de différence, si les deux élèves ne peuvent découvrir seuls leurs erreurs, ils peuvent recourir au matériel et vérifier ensemble les calculs effectués par chacun d'entre eux.
Ce moment de validation nous semble très important puisqu'il doit amener les élèves à expliciter leurs procédures et à les améliorer. Par exemple, si le joueur B n'a pas effectué tous les échanges possibles avant de rendre les pièces, le joueur A peut lui proposer de les mener à terme, ce qui facilite ensuite le calcul de la somme. De même, si l'un des deux joueurs ne peut passer directement de l'écriture chiffrée au nombre de pièces (ou réciproquement), on peut espérer qu'ils y parviendront à deux.
105
Chacun, tous... différemment ! Mathématiques au cycle des apprentissages
Nous avons choisi d'attribuer les deux sortes detaches (travail sur les écritures/travail sur les pièces) à chacun des élèves et non pas aux deux ensembles pour permettre une validation interne des calculs, c'est-à-dire sans l'intervention du maître.
Mise en commun
Elle porte, cette fois-ci, sur les procédures de calcul de chacun des deux joueurs.
Le maître invite quelques joueurs A à exposer leur procédure de passage de la somme gagnée au nombre de pièces de chaque sorte :
«J'ai trouvé avec les trois nombres, 87, alors j 'ai compté sur mes doigts de dix en dix et j 'ai trouvé qu'il fallait 8 pièces de 10 » ou bien «j'ai vu que dans 87 il y a 8 comme chiffre des dizaines, alors il y a 8 pièces de 10 », etc.
Cette dernière procédure est alors instituée comme la façon la plus rapide de trouver le nombre de pièces.
Le même travail est repris avec les joueurs B.
On n'oublie pas de chercher qui a gagné...
Étape 2 : changement de rôle
La même activité est reprise en permutant les joueurs A et B.
Étape 3 : échanges à deux niveaux (billet de 100 F)
Bien que certains enfants ne soient toujours pas vraiment capables de mettre en relation écritures et nombres de pièces, il nous a semblé préférable de ne pas les écarter de l'activité qui permet d'atteindre le billet de 100 F. En effet, il paraît difficile de les priver du plaisir d'obtenir ce billet encore un peu « magique » pour eux. D'autre part, le fait d'avoir à gérer des nombres plus grands (et des nombres de pièces importants) peut amener certains d'entre eux à de nouveaux constats.
L'activité se déroule de façon identique à celle de la phase 2, mais les valeurs des cartons sont entre 35 et 50 afin d'atteindre 100 avec trois tirages.
- Le billet de 100 F est présenté : il est équivalent à 100 pièces de 1 F, mais aussi à 10 pièces de 10 F (« pour gagner un billet de 100 F, il faut 10 pièces de 10 F »).
- Les joueurs ont une fiche de jeu analogue à celle décrite à la phase 2 (ajouter sur les feuilles de jeu : «... billets de 100 F»),
106
Maîtrise de la distinction entre valeur et quantité
- L'activité est reprise au moins une deuxième fois avec permutation des rôles.
- La mise en commun qui suit chaque partie s'appuie sur les feuilles de jeu et doit mettre en évidence :
• d'une part, les deux niveaux d'échanges : 10 pièces de 1 F contre 1 pièce de 10 F, 10 pièces de 10 F contre un 1 billet de 100 F ;
• d'autre part, le fait que les nombres de pièces de 1, de pièces de 10 et de billets de 100 se retrouvent dans l'écriture du nombre fournie par le calcul à partir des trois cartes tirées.
Phase 3 : différenciation par la tâche
Le maître établit un bilan des capacités des élèves à partir des feuilles de jeu et répartit les élèves en deux groupes homogènes en ce qui concerne la capacité (ou l'incapacité) à demander d'emblée des pièces de 10 ou à effectuer spontanément les échanges.
Groupe des enfants en difficulté sur le point précédent
Le maître travaille avec le groupe.
a) Si certains enfants ont eu des difficultés à gérer les sommes d'argent, le maître peut proposer une nouvelle phase de jeu, sous sa coupe, avec de nouvelles contraintes et de nouvelles feuilles de jeu :
- Le caissier paresseux: le rôle du caissier est tenu par le maître qui refuse de donner plus de 9 pièces d'une même sorte. Le maître centre l'attention des enfants sur les informations que donne l'écriture des nombres portés sur la carte : « Quand on veut 48, on voit qu'il faut 4 pièces de 10 dans l'écriture de 48. »
- Une seule commande: cette fois-ci, chaque joueur tire ses trois cartes d'un seul coup, écrit les trois nombres obtenus sur une nouvelle feuille de jeu, calcule (à la calculette s'il le désire) la somme gagnée et commande alors seulement les pièces correspondant à la somme totale gagnée.
- Enfin le maître peut encore demander à chaque joueur d'utiliser ces pièces correspondant à la somme globale pour fabriquer chacun des trois nombres portés sur les cartes : il faut alors le plus souvent «casser» les billets de 100F et les pièces de 10F.
b) Si les difficultés repérées portent davantage sur la compréhension de la richesse d'information qu'apportent les écritures chiffrées, le maître peut proposer un autre type d'activité : il fait travailler, dans un petit groupe de cinq ou six enfants, un seul enfant à la fois, sous le contrôle des autres qui sont invités à donner leur avis, à corriger une
107
Chacun, tous... différemment ! Mathématiques au cycle des apprentissages
erreur, etc. Il remet à cet enfant un certain nombre de pièces et billets et lui demande de faire tous les échanges pour avoir le moins de pièces possible; il fait écrire à tous les enfants du groupe ces nombres de pièces dans l'ordre: 3 pièces de 10F, 1 billet de 100F, 6 pièces de 1F et lui reprend toutes les pièces. Le maître prépare alors, devant tous les enfants, des cartes-nombres portant des nombres utilisant les chiffres 3, 1 et 6 qui ont servi à l'enfant pour écrire les différents nombres de pièces ou de billets: 136, 163, 316, 361, 613, 631. Il demande alors aux enfants de chercher la carte-nombre qui indique la somme d'argent qu'ils ont écrite sous forme de nombres de pièces.
Lorsque cette même activité a été proposée, discutée, analysée plusieurs fois, le maître propose la situation inverse: il montre une carte-nombre et invite chaque enfant à prévoir les pièces et billets correspondants, puis à remplir sa feuille:... pièces de 10 F, ... billets de 100 F, pièces de 1 F (ou dans un autre ordre, sauf celui qui correspond à l'ordre de lecture des nombres).
Cette activité est encore difficile pour certains enfants qui ne font toujours pas de façon sûre le lien entre les chiffres d'un nombre et leur valeur.
Groupe en travail individuel autonome
Des exercices écrits leur sont proposés.
Evaluation terminale CAISSIER
Elle porte sur les deux objectifs de la situation CAISSIER :
1) savoir échanger 10 pièces de 1 F contre une pièce de 10 F (niveau 1), 10 pièces de 10 F contre 1 billet de 100 F (niveau 2) ;
2) savoir lire le nombre d'unités, le nombre de centaines, le nombre de dizaines dans l'écriture d'un nombre (ou, à défaut, savoir le retrouver rapidement).
Alors que cette évaluation terminale (papier-crayon) est bien réussie par les deux tiers des élèves de la classe de Françoise (au moins en ce qui concerne la distinction valeur-quantité et la capacité de passer de l'écriture chiffrée d'une somme d'argent à la constitution de cette somme à l'aide de pièces imposées), Florent et Sylvie, que nous avons suivis sur toute l'année, sont encore en grande difficulté et l'on pourrait vraiment se décourager ! Cependant, l'observation de ces enfants pendant les phases de jeu nous les ont montrés en progression constante : en possession du matériel et dans une situation dont ils ont bien compris le sens et les enjeux, ils sont capables, comme leurs camarades, de passer de l'écriture chiffrée d'un nombre à la collection de pièces correspondante et réciproque-
108
Maîtrise de la distinction entre valeur et quantité
ment. Il est clair que les énoncés écrits, même s'ils leur sont lus, n'ont toujours pas acquis assez de sens pour leur permettre de répondre aux questions qui leur sont posées.
D'autre part, peu d'enfants sont encore capables en ce début de CEI de calculer une somme d'argent à partir des nombres de pièces de chaque sorte si les échanges ne sont pas terminés (par exemple 12 pièces de 10 F et 5 pièces de 1 F), s'ils ne disposent pas du matériel. Le travail qui sera fait sur la multiplication et en particulier la maîtrise de la « règle des zéros » devrait leur faciliter la tâche dans ce domaine.
Évaluation différée (un mois environ après l'activité CAISSIER)
Enfin, de manière à vérifier les acquis des élèves en dehors du contexte de la monnaie, on pourra également envisager une évaluation différée portant sur une autre sorte de groupements par dix.
Problème : les tickets de bus
Le problème est donné sur une feuille suffisamment grande pour que l'élève puisse l'utiliser, si nécessaire, pour sa recherche ; les deux questions seront bien séparées, voire sur des feuilles différentes.
Les enfants d'une école prennent le bus. Le directeur a besoin de 85 tickets. Les tickets sont vendus par carnets de 10. Combien de carnets le directeur doit-il acheter?
Pour une autre école, il faut 130 tickets. Combien le directeur doit-il acheter de carnets ?
109
Chacun, tous... différemment ! Mathématiques au cycle des apprentissages
Le caissier
d> Feuille de jeu
Cartes tirées Dans mon porte-monnaie, il y a
pièces de IF
pièces de 1 OF
billets de 100F
Combien as-tu gagné ?
Voilà mes cartes Dans mon porte-monnaie, il y a :
pièces de IF
pièces de 10F
billets de 100F
Combien d'argent as-tu gagné ?
110
Maîtrise de la distinction entre valeur et quantité
a Le caissier f Travail individuel autonome_)
Fiche 1
On a 257 F ; on ajoute deux pièces de 10 F
Ecris le résultat
J'ai 92 F ; j'ajoute trois pièces de 10 F
Ecris le résultat
X J Voici la somme d'argent que possède chaque enfant en pièces de 10 F et billets de 100 F :
Stéphanie :143F Maxime : 154 F Elodie :
Ludovic : 135 F Aurélien : 28 F Camille
Damien : 40 F Mélanie : 35 F Lionel :
[Qui peut sortir de son porte-monnaie 4 pièces de 10 F ?
V
[Qui peut sortir de son porte-monnaie 1 billet de 100 F ?
V.
[Qui peut sortir de son porte-monnaie 5 pièces de 1 F ?
V
pièces de 1 F,
34 F
: 127 F
44 F
*\
)
\
)
\
J
111
Chacun, tous... différemment ! Mathématiques au cycle des apprentissages
Le caissier (Travail individuel autonomej Fiche 2
Marc joue au jeu du caissier en tirant deuT^cartes seulement
O 1) La première fois, il tire la carte
Quelles pièces doit-il demander au caissier ?
Pièces de 1F : Pièces de 10 F
2) Voici la deuxième carte qu'il tire :
Quelles pièces doit-il demander au caissier ?
Pièces de 1F : Pièces de 10 F
3) Marc échange toutes les pièces qu'il peut échanger.
Quelles pièces Marc a-t-il maintenant ?
Pièces de 1F : Pièces de 10 F :
Combien Marc a-t-il gagné ?
112
Maîtrise de la distinction entre valeur et quantité
Jeu du caissier
cMçliiP *t Evaluation terminale
Marc a 5 pièces de 10F et 13 pièces de 1 F.
Elodie a 12 pièces de 10F et 5 pièces de 1 F.
Qui a CepCus d'argent: Marc ou 'Eiodie ? M fa
Comment (e sais-tu ? ¡% AI**s\ A^
Julien a 9 pièces de 10F et 15 pièces del F.
Il échange .
Peut-il avoir un billet de 100? ? ftvÀ i
Combien a°argent a-t-iC ? M\
Que demandes-tu au caissier lorsque tu tires :
0 J\ptjjJ> JmAir
90
125
? 0> J^itoO> é* Af
Mélanie n'a que des pièces de 10F. Elle compte son argent. Elle a 70F.
Combien a-t-eite de pièces ? ¿sé'ç^*
113
Chacun, tous... différemment ! Mathématiques au cycle des apprentissages
Jeu ixi caissier
C^L'J Evaluation terminale
Marc a 5 pièces de 10F et 13 pièces de 1 F.
Elodie a 12 pièces de 10F et 5 pièces de IF.
Qui a Ce plus £ argent : Marc ou *ECodie ? Ajsi)\^
Comment (e sais-tu ? fâ%+ ® & @ ^ ZQ & & ®
Julien a 9 pièces de 10F et 15 pièces del F.
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Cometen d'argent a-t-U ï 4çrfr
Que demandes-tu au caissier lorsque tu tires
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114
Maîtrise de la distinction entre valeur et quantité
Jm du caissier
Evaluation terminale
Marc a 5 pièces de 10F et 13 pièces de 1 F. -&* Elodie a 12 pièces de 10F et 5 pièces de IF.
Qui a Ce pCus d'argent: Marc ou 'ECodie ? ^ . ( V ^ F.*S,F Comment (e sais-tu ? AZA^ÙJ^ A*.¿f /i i ' y ^
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Chapitre 4
PROBLÈMES DE PARTAGES Michel RAMUS
Jacques DOUAIRE Jean-Claude GUILLAUME
1. INTRODUCTION
La cohérence des propositions d'enseignement au cycle 2 ne concerne pas seulement des acquisitions notionnelles telles celles développées dans les autres articles de cette publication. L'importance accordée à la résolution de problème et à son apprentissage est un choix essentiel développé dans les ouvrages de la collection ERMEL (grande section, 1990, CP, 1991 et CEI, 1993). Ce choix nécessite la mise en place de situations spécifiques pour que les élèves apprennent à chercher en étant confrontés à des problèmes qu'ils n'ont pas appris à résoudre.
Le choix des situations de partage
Pour la GS et le CP, les situations choisies sont très voisines, il s'agit de partages inéquitables. Pour le CEI, nous avons choisi une situation de partage équitable.
Ces situations présentent des caractéristiques communes.
1) Ce sont de véritables situations de recherche : - d'une part, ce n'est pas la compréhension de la situation ou de
l'énoncé qui pose problème, c'est la nécessité de mettre en œuvre une procédure originale ;
- d'autre part, on ne cherche pas à mettre en place une procédure particulière parmi toutes celles qui mènent au but.
117
Chacun, tous... différemment ! Mathématiques au cycle des apprentissages
2) La recherche et la validation des solutions nécessitent la prise en compte de plusieurs contraintes :
Absence de reste, nombre de parts, conditions sur la valeur des parts.
3) Le contrôle et la régulation de l'action jouent un rôle décisif dans la recherche :
Contrôle et ajustement de l'action pour construire directement une solution, contrôle et réajustement de l'action pour procéder par essais successifs.
Nos objectifs et nos exigences
Ils sont différents selon les niveaux :
-respecter les contraintes, mettre en œuvre une procédure originale, être capable de contrôler et de corriger une solution en prenant en compte les différentes variables numériques, de formuler les critères de réussite et les causes d'échec sont des objectifs communs aux trois niveaux ;
- en grande section, les objets restent toujours à disposition des élèves même si à un moment donné on les invite à s'en passer. Au cours préparatoire, les objets sont d'abord présents, puis seulement évoqués. Au cours élémentaire, le matériel n'est utilisé qu'avec les élèves en réelle difficulté ;
- ne plus opérer sur les objets, ne plus dessiner tous les objets à partager, opérer sur des nombres pour résoudre le problème sont des objectifs pour le cours préparatoire et le cours élémentaire.
Au-delà de ces objectifs spécifiques, nous pensons que ces situations peuvent contribuer à l'acquisition de représentations, de comportements et d'attitudes relatifs à la résolution de problèmes qu'il nous paraît important de développer dès le cycle 2 :
- dans un problème numérique, le résultat n'est pas toujours le résultat d'une opération connue, plus généralement, la résolution d'un problème ne se réduit pas à la reconnaissance d'un modèle et à l'application d'une procédure experte. Il peut y avoir plusieurs solutions. La ou les solutions peuvent s'obtenir de différentes façons, elles peuvent s'obtenir en plusieurs fois en essayant différentes possibilités, les essais ne sont pas des erreurs mais un moyen de parvenir au but ;
- la tâche de résolution ne se limite pas à la production et à la formulation d'une réponse à soumettre à l'approbation du maître.
118
Problèmes de partages
À partir d'un moment, l'enfant doit tirer parti de l'information contenue dans la situation pour contrôler et valider lui-même sa solution.
Prendre en compte les différences Tous les enfants ne tirent pas les mêmes profits d'une même situa
tion, tous n'y entrent pas de la même façon, tous ne peuvent pas s'approprier les mêmes procédures au même moment.
Nous pensons pouvoir traiter ce problème de deux façons : - d'une part, en proposant d'autres situations de partages et
d'autres situations relatives à l'apprentissage à la résolution de problèmes présentées dans ERMEL ;
- d'autre part, en distinguant différentes phases dans chaque situation et en gérant ces différentes phases avec un souci constant de prise en compte des différences.
Phase d'approche et d'appropriation de la situation
Il s'agit de s'assurer de l'appropriation du problème avant de passer à la phase de résolution.
L'appropriation peut se faire par exemple : - en résolvant soit collectivement, soit en petit groupe hétérogène
ou individuellement le problème dans un cas où la manipulation, le dessin, le recours au nombre peuvent fournir rapidement la solution ;
- en examinant et en contrôlant des résultats sans expliciter les procédures de résolution. Cela permet d'expliciter et de reformuler les contraintes et les consignes sans induire une méthode de recherche.
La différenciation peut prendre différentes formes : - présentation préliminaire de la situation à certains enfants, avant
la présentation à toute la classe ; - sollicitation de tous les enfants jugés les plus faibles durant les
activités d'approche ; - travail en petit groupe avec le maître pour les enfants en diffi
culté dans les activités précédentes.
Phase de résolution
Tous les enfants sont confrontés au même problème individuellement ou en petits groupes homogènes.
119
Chacun, tous... différemment ! Mathématiques au cycle des apprentissages
La différenciation se fait: - par l'adaptation des variables numériques aux possibilités des
enfants ; - par des relances ou des aides auprès de certains enfants ; - en montrant et en analysant au cours d'une mise en commun
les différentes procédures utilisées.
Phase de reprise
Avant de quitter la situation, il nous paraît essentiel de reprendre le même problème en modifiant certaines variables. Certes, le problème n'est plus nouveau, mais cette reprise a différentes fonctions :
- éviter que les enfants en difficulté durant la phase de résolution puissent sortir de la tâche sur un sentiment d'échec ;
- donner à ceux qui ont réussi l'occasion de mettre à l'épreuve, de faire évoluer leurs procédures ou d'essayer une procédure utilisée par d'autres élèves ;
- évaluer l'efficacité du dispositif en observant l'évolution des enfants.
La différenciation peut se faire : - par la nature de la tâche demandée (résolution ou seulement contrôle) ; - par les aides disponibles, les outils autorisés ; - par des exigences sur la nature des procédures de résolution ; - parles variables numériques et par la quantité d'exercices.
Le thème des partages diffère des autres thèmes abordés par cette possibilité de sortie très différenciée qui tient à la nature des objectifs visés. Entraîner les élèves, envisager d'autres activités de soutien ou de remédiation n'aurait pas de sens dans le cadre de cet apprentissage à la résolution de problèmes.
2. PARTAGES EN GS : LES CAISSES
Description de la situation
Il s'agit d'une situation de partages inéquitables dans laquelle les élèves doivent répartir n objets (les caisses) en p sous-ensembles (les camions).
120
Problèmes de partages
Chaque camion doit transporter « pas moins de a caisses mais pas plus de b caisses ». C'est ce critère de répartition qui permet de valider ou non une répartition donnée.
Objectifs :
Apprendre à respecter les différentes contraintes d'une situation. Ici l'enfant doit :
- répartir toutes les caisses ; - ne pas laisser de camions vides ; - respecter le critère de répartition.
Malgré son apparente complexité, cette situation ne nécessite pas la mise en œuvre de réelles anticipations numériques. Les méthodes auxquelles les élèves vont recourir sont personnelles, essentiellement empiriques. Les enfants peuvent procéder progressivement avec des ajustements au coup par coup, sans réelle planification.
Compétences numériques requises
Savoir dénombrer une petite collection d'objets sans se tromper.
Connaître et savoir utiliser des expressions telles que « pas moins que », « pas plus que ».
Mobiliser le comptage et la comparaison pour contrôler et vérifier une solution donnée.
Remarques
• Dans nos classes, les compétences requises (dénombrements, comparaisons) ont été travaillées préalablement dans la situation BOÎTE VERMEL GS (cf. page 68), c'est-à-dire avant le mois de mars.
• La consigne « pas moins que » « pas plus que » peut évoluer vers une consigne plus explicite («on ne peut mettre que 3, 4 ou 5 objets... ») soit du fait d'une reformulation faite spontanément par les enfants, soit à l'initiative du maître s'il observe des difficultés d'intégration de la consigne dans sa forme initiale.
Variables
Trois sortes de variables sont utilisées : - le nombre total d'objets ;
121
Chacun, tous... différemment ! Mathématiques au cycle des apprentissages
- le nombre de parts ; - les nombres minimal et maximal tolérés.
Procédures attendues
Les procédures que l'on peut attendre sont les suivantes : - placer des caisses sans respecter la consigne ; - placer un nombre maximal d'objets (5) dans les premiers
camions, les camions suivants restent vides (solution à rejeter) ou reçoivent les objets restants, ce qui peut conduire à des résultats acceptables ou non selon les cas.
Exemples
4 camions, «pas plus de 5, pas moins de 3», 19 objets
\5\ \J\ \J\ [U |j] -» résultat correct
4 camions, «pas plus de 5, pas moins de 3 », 17 objets
[5] |T| S B 1 2 1 - • résultat incorrect
- Distribution des objets un à un ou deux par deux ou trois par trois, avec un ajustement final.
- Placement du nombre minimal, médian ou maximal d'objets dans les premiers camions et réajustements pour remplir les derniers camions.
- Placement du nombre minimal d'objets (3 dans chacun des camions) et gestion du reste (par distribution par exemple).
Déroulement
Cette activité comporte trois phases bien distinctes : - une phase d'appropriation d'abord collective (qui peut ensuite
se poursuivre en un travail par petit groupe) ; - une phase de recherche, où les élèves ont la possibilité de
modifier leur chargement au fur et à mesure, par groupes relativement homogènes avec la présence du maître ;
- une phase de reprise, dans les mêmes conditions que la précédente, mais où les élèves n'ont plus la possibilité de modifier leurs chargements au fur et à mesure.
122
Problèmes de partages
Phase 1 : phase d'appropriation collective
Matériel à prévoir : - 3 tapis, 3 grandes feuilles, pour matérialiser les camions ; - 13 caisses (cubes,...).
Consigne
« Il y a des caisses à mettre dans les camions. Toutes les caisses doivent être chargées. Il doit y avoir des caisses dans tous les camions. Mais s'il y a plus de 5 caisses ou s'il y a moins de 3 caisses, le contrôleur l'empêchera de partir. »
Le maître désigne trois chauffeurs qui doivent chacun remplir un camion et un contrôleur qui ouvrira la barrière si les camions sont bien chargés.
Il demande à chaque chauffeur de vérifier si son camion est bien chargé et d'expliquer pourquoi. Le maître laisse la responsabilité au contrôleur de décider de la validité des choix des chauffeurs.
Collectivement, on vérifie ensuite si les contraintes données dans la consigne sont respectées. Le rôle du maître est de créer un débat entre les enfants « acteurs » et la classe, notamment si les chauffeurs ont fait une erreur et que le contrôleur ne l'a pas relevée.
Le choix de 13 caisses, qui permet d'aboutir quelle que soit la procédure, doit empêcher que les discussions portent sur les procédures et permettre qu'un débat s'engage sur la consigne et notamment de faire comprendre à tous que les chargements acceptables sont ceux de 3, 4 et 5 caisses.
Exemple
Si les deux premiers enfants prennent le maximum de caisses, c'est-à-dire 5, il en reste 3 pour le troisième qui n'a donc pas à gérer de problèmes de réajustement. Le centre du débat concerne le respect de la consigne et non les procédures.
Dans ce problème, il n'y a que 2 solutions (4, 4, 5 et 5, 5, 3).
Le rôle du contrôleur est de donner son opinion sur les chargements proposés par les chauffeurs.
Le débat collectif porte sur la validité de l'opinion du contrôleur et assure, si elle n'a pas déjà eu lieu, la reformulation et la compréhension complète de la consigne.
123
Chacun, tous... différemment ! Mathématiques au cycle des apprentissages
• La situation sera reprise autant de fois que nécessaire pour que tous les enfants repérés en difficulté soient confrontés au problème (tant comme « chargeur » que comme « contrôleur »).
• Dans les situations successives on gardera les 3 camions mais on fera varier le nombre de caisses.
Exemples caisses solutions 12 5 ,4 ,3 ou 4 ,4 ,4 10 4, 3, 3 14 5, 5, 4 13 5,5, 3 ou 5 ,4 ,4
À la fin de cette première phase, la consigne est en général à peu près comprise, avec encore des hésitations sur les nombres limites et beaucoup de difficultés parfois pour reformuler les consignes avec les deux termes.
Phase 2 : phase de recherche par petits groupes
Dans chaque groupe il peut y avoir deux chargeurs et un contrôleur. Au cours de l'activité, chaque enfant sera amené à être tour à tour chargeur puis contrôleur.
Dans cette phase, les chargeurs peuvent encore modifier les chargements, reprendre des caisses déjà posées dans un camion (ces ajustements sont fréquents en fin de répartition).
Pour que les enfants « chargeurs » puissent se rendre compte de la validité de leur solution, il est nécessaire que les contrôleurs ne contrôlent pas au fur et à mesure. C'est seulement une fois que le chargement est terminé que le contrôleur met l'étiquette (avec le nombre de caisses) et laisse partir les camions.
Données numériques - le nombre de camions est fixé à 7 ; - le nombre de caisses est situé entre 21 et 39, ce qui donne une
variété de solutions possibles ;
- les chargements minimal et maximal autorisés : 2-4, 3-5, 4-6,...
Exemples • Choix de 7 camions, 27 caisses, chargement 3-5 : 7 est un nombre impair, on espère qu'il favorisera un échange entre
les deux chargeurs, ce qui amènera à parler des méthodes de chargement.
124
Problèmes de partages
Avec 27 caisses et 7 camions, il est possible d'avoir 4 répartitions différentes :
5, 5, 4, 4, 3, 3, 3 5, 4, 4, 4, 4 , 3, 3 4, 4, 4, 4, 4, 4, 3
• Choix de deux chargeurs et d'un contrôleur
La présence de 2 chargeurs ainsi que le choix de 27 objets (situé entre 21 [3 x 5] et 35 [7 x 5]) ne favorise aucune méthode particulière : les enfants peuvent procéder de manière très empirique pour remplir chacun quelques camions. Un réajustement peut s'avérer nécessaire vers la fin. Ce qui est visé ici, c'est la compréhension par tous les enfants de la consigne initiale.
• Rôle du contrôleur
La vérification du contrôleur a pour but de faire évoluer les procédures incorrectes vers une des procédures correctes sans en favoriser aucune (cf. plus haut).
Éléments de différenciation
Les choix que le maître peut faire portent sur : - l'adaptation des valeurs numériques aux possibilités des enfants ; - la constitution des groupes ; - les aides spécifiques à apporter à certains enfants.
a) L'adaptation des valeurs numériques
A cette époque de l'année, le maître connaît bien les compétences numériques de chacun (étendue et stabilité de la comptine numérique, capacités de dénombrement, possibilités de surcomptage, connaissances de résultats mémorisés). Il n'y a donc pas lieu de faire une évaluation préalable pour déterminer les valeurs à proposer.
On peut choisir par exemple des nombres comme : 21, 2, 4 pour les plus faibles ; 28, 3, 5, et 38, 4, 6 pour les plus forts.
On sera sensible au fait que les difficultés ne tiennent pas seulement à la taille des nombres pour le total des caisses, ou le nombre de camions, mais qu'intervient également le nombre de caisses autorisés par camion. Toutes les stratégies sont toujours possibles, mais dans certaines configurations, des stratégies comme « remplir avec le plus petit nombre et en mettre plus dans les derniers camions » ou « remplir avec le plus grand... » doivent être adaptées ou remises en cause.
125
Chacun, tous... différemment ! Mathématiques au cycle des apprentissages
b) La constitution des groupes
Dans cette activité, il est intéressant de regrouper des élèves dont les compétences sont différentes, mais sans que l'écart entre celles-ci soit trop grand. Pour que les échanges soient fructueux, il faut que : - les enfants en difficulté puissent s'approprier les méthodes proposées par des enfants plus performants. Dans des groupes très hétérogènes l'efficacité des méthodes utilisées par les enfants les plus à l'aise et la rapidité à laquelle elles sont menées font que les plus faibles décrochent très vite ; - les plus performants ne s'ennuient pas quand les autres prennent beaucoup de temps, font des erreurs, obligeant le maître à réexpliquer les contraintes qui pour eux sont évidentes.
Le risque est pour ces enfants de se désintéresser de l'activité ou de sortir de leur rôle de contrôleur pour faire à la place des autres ou leur dire ce qu'il faut faire.
c) La répartition des rôles à l'intérieur d'un groupe
Il est aussi utile d'envisager une répartition des tâches de contrôle: pour certains élèves, même le rôle de contrôleur, c'est-à-dire la prise en compte de la double contrainte («pas moins que... » et «pas plus que »...) est difficile. La présence de deux contrôleurs, avec des tâches différentes, dans certains groupes est nécessaire (un qui contrôle pour «pas plus que» et l'autre pour «pas moins que»). Pour certains enfants, il faut aller jusqu'à demander ou rappeler « plus que 5, c'est quel nombre ? » D'autres élèves pourront au contraire assumer la vérification de cette double contrainte et certains diront même : « 5 c'est bon car on a déjà contrôlé un camion avec 5. »
d) Les aides spécifiques du maître Elles peuvent porter sur deux points. 1. La prise en compte des consignes: ce qui peut demander une reformulation par les enfants ou par le maître.
L'expression «pas moins que» pose des difficultés à certains élèves. Déjà le terme «moins» est mal maîtrisé (ils n'ont pas recours à ce terme pour formuler une comparaison mais utilisent plutôt « /'/ y en a plus »).
Cette difficulté ayant déjà été repérée dans la situation LES BOÎTES (cf. ERMEL GSJ le maître a pu entre-temps solliciter certains enfants à l'occasion d'activités rituelles ou de jeux (en leur demandant «est-ce qu'il y a assez de... »...« est-ce qu'il y a moins de...que de... »). Mais en général cela reste insuffisant pour qu'il y ait une maîtrise de l'emploi de «pas moins que».
126
Problèmes de partages
Aussi, pour certains enfants, le maître devra leur demander, en plaçant devant eux quelques jetons qui ne servent pas dans le jeu : « Donne-moi un tas de moins de 4 jetons » (ou « avec ces jetons, fais-moi un tas plus petit que 4 »), l'enfant montre 1 ou 2 ou 3 et le maître le relance pour qu'il trouve les autres solutions.
2. La prise en compte des autres contraintes de la situation demande aussi des interventions du maître: il lui faut souvent rappeler qu'il ne doit plus rester de caisses, et que tous les camions doivent être chargés.
Ces reformulations sont nécessaires pour que, petit à petit, tous les enfants s'approprient les contraintes. Elles sont systématiquement sollicitées quand les caisses sont contrôlées et, s'il y a lieu, pendant le chargement si les mêmes erreurs se répètent. La présence du maître auprès de ces élèves les plus en difficulté est donc indispensable.
Il n'est pas forcément intéressant que les enfants performants fassent de nombreuses «parties» à la phase 2: ils pourraient s'installer dans des procédures « locales » dépourvues d'anticipation (ex : distribuer un par un).
Il vaut mieux leur proposer, plus rapidement qu'aux autres, de passer à la phase 3.
Phase 3 : Reprise
On fait varier les contraintes dues au nombre total de caisses et à l'intervalle autorisé pour le nombre de caisses par camion.
Il n'y a plus qu'un chargeur pour favoriser l'apparition de méthodes au niveau individuel : à deux chargeurs la maîtrise de l'ensemble des contraintes est plus aisée et un enfant moins sûr de lui peut se laisser guider, ce qui n'est plus possible ici.
Phase 4 : phase de reprise avec un nouveau matériel
Matériel - des feuilles représentant les 7 camions ; - des gommettes séparées symbolisant les caisses.
Données numériques Pour les enfants en difficulté : - 27 caisses « pas moins de 3, pas plus de 5 ».
Pour les autres : - 29 caisses «pas moins de 5, pas plus de 7».
127
Chacun, tous... différemment ! Mathématiques au cycle des apprentissages
Déroulement
Dans cette phase, on ne peut plus enlever des caisses une fois qu'elles sont placées dans un camion (on n'a plus le droit de déplacer des objets déjà placés). Certaines des méthodes employées à la phase 2 ne sont donc plus possibles.
Pour que les élèves en prennent conscience et puissent faire évoluer leur méthode, il est souvent nécessaire de prendre des nombres plus petits qu'à la phase 2.
Pour le maître, les possibilités nouvelles de différenciation portent sur:
1. le fait de choisir de ne pas proposer cette phase à certains élèves car elle est trop difficile pour eux. On peut leur proposer de placer les caisses sur une plate-forme devant chaque camion pour qu'ils puissent contrôler leur choix, mais cela ramène cette situation à la phase précédente. Il semble donc préférable de travailler avec eux en groupe, une nouvelle fois sur la phase 2 ;
2. dans cette phase, si un enfant n'a pas respecté une des consignes et qu'il s'en rend compte, on peut lui reproposer le même problème, mais en recommençant depuis le début.
3. PARTAGES AU CP : LES ENVELOPPES
Il s'agit d'une situation de partage inéquitable voisine de celle étudiée en grande section.
Les enfants doivent répartir n objets dans p enveloppes, chaque enveloppe pouvant contenir de 3 à 5 objets.
Dans un premier temps, les objets et les enveloppes sont présents, dans un deuxième temps, les enfants ne disposent que d'un papier et d'un crayon pour faire la répartition.
Objectifs
Respecter les trois contraintes inhérentes à la situation : le nombre d'objets, le nombre d'enveloppes, le nombre d'objets par enveloppe.
Mobiliser des procédures et des compétences numériques acquises dans d'autres contextes pour chercher et pour vérifier une solution.
128
Problèmes de partages
Compétences numériques requises
- dénombrer des objets ; - calculer des sommes de plus de deux nombres ; - calculer des écarts ; - décomposer des nombres en sommes de deux ou trois nombres.
Le calcul intervient naturellement davantage si l'on ne dessine pas les objets.
Procédures observables dans la phase de résolution sans matériel
Les procédures se différencient essentiellement par la place et le rôle du dessin et par la façon de gérer les contraintes. Certains enfants construisent progressivement leur répartition en gérant simultanément les trois contraintes, d'autres dessinent d'abord les objets ou les enveloppes et n'ont plus que deux contraintes à gérer.
Voici quelques exemples :
1. Les enfants dessinent d'abord tous les objets, puis ils font des groupements en respectant ou non les contraintes sur le nombre d'enveloppes et sur leur contenu (voir le document a ci-dessous).
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2. Les enfants dessinent d'abord toutes les enveloppes, puis ils les garnissent sans totaliser au fur et à mesure, ils cherchent ensuite le nombre total d'objets et ils modifient leur répartition en tenant compte de l'écart entre ce nombre et le nombre d'objets à répartir. Certains dessinent les objets sur les enveloppes, d'autres écrivent des nombres. Sur le document b, les enfants ont modifié la répartition (5, 5, 5, 5, 3, 3) en prélevant des objets dans deux enveloppes.
129
Chacun, tous... différemment ! Mathématiques au cycle des apprentissages
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3. Les enfants dessinent d'abord toutes les enveloppes, puis ils les garnissent en totalisant au fur et à mesure le nombre d'objets répartis et en évaluant l'écart entre ce nombre et le nombre d'objets à répartir. Selon l'écart trouvé, ils terminent ou ils font un nouvel essai. Certains enfants ne dessinent pas les objets.
Sur le document c, arrivés à 20, les enfants ont décomposé 6 en 3 + 3.
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4. Il n'y a pas de dessin préalable des objets ou des enveloppes, les enfants construisent progressivement la répartition en contrôlant le nombre d'objets par enveloppe et en totalisant progressivement le nombre d'enveloppes utilisées et le nombre d'objets répartis.
Sur le document d, les enfants ont dessiné les enveloppes au fur et à mesure.
130
Problèmes de partages
I Sur le document e, pour 31 objets et 7 enveloppes, ils ont d'abord trouvé (5, 5, 5, 5, 11), puis ils ont rectifié en décomposant 11 en 5 + 3 + 3.
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131
Chacun, tous... différemment ! Mathématiques au cycle des apprentissages
Variables - la taille des nombres n et p ; - le nombre de solutions. Ce nombre varie avec les nombres n
et p: 1 solution avec n = 13 et p = 4, 2 solutions avec n = 18 et p = 4, 3 solutions avec n = 31 et p = 7, 4 solutions avec n = 24 et p = 6, - la présence ou non du matériel ; - la présence ou non d'outils comme la calculette ; - la possibilité de dessiner ou non les objets à répartir.
Exemple de mise en œuvre
Phase d'appropriation
lre étape : entrée dans la situation
Afin de faciliter l'entrée dans la situation, on propose aux enfants une répartition déjà effectuée.
Chaque groupe dispose d'enveloppes, par exemple 6 enveloppes contenant respectivement 3, 4, 4, 5, 3, 3 objets (les nombres sont écrits sur les enveloppes), et doit trouver le nombre total d'objets.
Certains groupes peuvent calculer ce nombre et n'ouvrir les enveloppes que pour vérifier leur réponse, les autres cherchent la réponse en comptant les objets.
Les enfants recréent ensuite la répartition initiale en remettant le nombre convenable d'objets dans chaque enveloppe.
2e étape : résolution du problème avec du matériel
La classe est organisée en groupes homogènes du point de vue des compétences numériques. Chaque groupe est doté d'un secrétaire et reçoit des objets et des enveloppes.
Le maître évoque la situation précédente, en indiquant que ce sont les enfants qui vont faire la répartition en respectant certaines règles. Il donne la consigne suivante :
132
Problèmes de partages
« Il va falloir mettre les objets dans les enveloppes. Dans chaque enveloppe on peut mettre 3, 4, ou 5 objets, pas moins de 3 et pas plus de 5. Il ne doit pas y avoir d'enveloppes vides et il ne doit pas rester d'objets. »
«Lorsque vous aurez terminé, le secrétaire inscrira sur chaque enveloppe le nombre d'objets qu'elle contient. »
La différenciation peut se faire - par les variables numériques : 4 enveloppes, 16 objets, 4 enveloppes, 19 objets, 5 enveloppes, 19 objets, 7 enveloppes, 27 objets, - par la présence du maître auprès des groupes dans lesquels certains enfants accaparent une partie du matériel.
La recherche est suivie d'une mise en commun axée sur le respect des contraintes. Lorsqu'un groupe a présenté son travail, on contrôle le contenu des enveloppes et on cherche collectivement le nombre d'enveloppes utilisées et le nombre d'objets répartis.
Phase de résolution du problème sans matériel
lre étape : résolution
Dans cette étape, les objets ne sont plus présents. Les groupes sont les mêmes que lors de la phase précédente, ils reçoivent une feuille sur laquelle ils doivent inscrire le nombre d'objets et le nombre d'enveloppes dont ils disposent. Les conditions à respecter sont rappelées en évoquant l'activité précédente, la recherche se fait sur la feuille, le maître précise que l'on doit voir comment les objets sont répartis, mais il ne donne pas d'autre indication.
Afin de faciliter l'observation des procédures et de permettre la présence du maître auprès de certains groupes, l'activité peut être menée successivement avec chaque moitié de la classe.
Exemple
Première moitié Groupe 1: 23 objets, 6 enveloppes (document b). Groupe 2 :18 objets, 4 enveloppes (document a). Groupe 3 : 13 objets, 4 enveloppes.
133
Chacun, tous... différemment ! Mathématiques au cycle des apprentissages
Les groupes 1 et 2 réussissent sans aide. Les enfants du groupe 3 dessinent 13 ronds fígurant les objets et restent bloqués. Le maître leur remet alors quatre enveloppes, cela débloque la situation mais la répartition trouvée (5, 4, 3, 3) est erronée.
La recherche est suivie d'une mise en commun au cours de laquelle les travaux sont présentés et contrôlés. L'erreur du groupe 3 est corrigée en remplaçant le 5 par un 3
Deuxième moitié
Groupe 4 : 26 objets, 6 enveloppes (document c). Groupe 5 :18 objets, 4 enveloppes (document é). Groupe 6: 23 objets, 6 enveloppes (document d).
Les 3 groupes réussissent sans aide. Lorsqu'ils terminent, ils reçoivent une nouvelle consigne :
- chercher d'autres répartitions possibles de 26 objets dans 6 enveloppes (groupe 4) ;
- répartir 31 objets dans 7 enveloppes (groupe 5 et groupe 6).
Il n'y a pas de mise en commun avec ces groupes. Leurs travaux seront examinés avec toute la classe.
Dans cet exemple la différenciation s'est faite : - par les variables numériques; - par tes aides: présence du maître auprès de certains groupes, recours aux enveloppes pour le groupe 3; - par les activités: mise en commun avec les premiers groupes, recherche d'autres solutions pour le groupe 4, résolution d'un nouveau problème pour les groupes 5 et 6.
2e étape : mise en commun
La mise en commun vise un double objectif:
1) contrôler, valider les solutions en explicitant les différentes contraintes et en vérifiant qu'elles sont toutes respectées ;
2) expliciter et comparer les procédures de résolution et les procédures de contrôle du nombre total d'objets.
Elle permet également d'aborder deux nouveaux problèmes : - partir d'une répartition erronée pour la corriger ; - partir d'une répartition juste pour chercher d'autres solutions.
Elle peut être suivie d'un travail individuel d'évaluation comportant 2 volets.
134
Problèmes de partages
1. Résolution d'un nouveau problème :
Répartir 24 objets dans 6 enveloppes.
2. Évaluation de répartitions, suivie selon les cas d'une correction ou de la recherche d'autres solutions.
L'exercice peut avoir la forme suivante :
Un enfant avait à répartir 15 objets dans 4 enveloppes, voici sa réponse :
4 + 4 + 4 + 4
Est-elle correcte ? oui non
Propose une autre façon.
On propose des réponses correctes comme 3 + 3 + 4 + 5 + 5 pour 20 objets et 5 enveloppes et d'autres types d'erreurs comme 3 + 5 + 3 + 3 + 3 pour 17 objets et 4 enveloppes (non-respect du nombre d'enveloppes) ou 3 + 5 + 6 + 4 + 3 pour 21 objets et 5 enveloppes (trop d'objets dans une enveloppe).
Phase de reprise
Afin d'assurer une sortie honorable de la situation à tous les enfants, on reprend des exercices du même type en tenant compte des résultats obtenus au cours de la phase précédente.
La différenciation se fait: - par la nature de la tâche : résolution complète ou avec appui sur une solution déjà trouvée, modification de répartitions erronées, validation de solutions selon les possibilités des enfants; - par les exigences : ne plus dessiner les objets par exemple ; - par les variables numériques ; - par la quantité d'exercices ; - par les aides : certains enfants travaillent avec le maître, les autres travaillent seuls.
Quelques remarques à l'issue de ce travail
1) Sur les procédures
ÍContrairement à notre attente et malgré les difficultés des en
fants en calcul, on note peu de dessins dans les travaux présentés. Par contre, dans une autre classe où la phase d'approche avait
été jugée superflue et où il n'avait pas été demandé d'écrire les 135
Chacun, tous... différemment ! Mathématiques au cycle des apprentissages
nombres sur les enveloppes durant la phase avec matériel, tous les groupes ont dessiné les enveloppes et les objets durant la phase sans matériel
2) Sur les retombées de ce travail dans le domaine du calcul
La majorité des enfants totalise les objets en surcomptant. Les mises en commun ont permis d'expliciter et de mettre à l'épreuve quelques procédures de calcul employées par certains enfants :
- appui sur les doubles et sur certains résultats mémorisés ou affichés ;
- regroupements de certains nombres dans des sommes de plus de deux nombres.
Pour 3 + 5 + 3 + 3 + 5, on observe par exemple : 3 + 5 = 8, 3 + 5 = 8, 8 + 8= 16 (résultats mémorisés) ; 16 + 3 = 19 (résultat obtenu par surcomptage).
4. PARTAGES AU CEI
Les élèves vont devoir trouver le résultat de partages équitables en 3 ou 4 parts sans avoir recours à un matériel. Ils devront formuler leur réponse et trouver un moyen de la vérifier.
Trouver la solution, formuler la réponse, la vérifier sont des tâches différentes. L'élève peut résoudre le problème par une distribution et vérifier sa réponse par un calcul (voir le document 1 ci-dessous).
Au-delà de l'intérêt qu'elle présente du point de vue de l'attitude face au problème, l'exigence de vérification de la réponse peut provoquer des prises de conscience favorisant l'évolution des procédures de résolution.
Objectifs
- prendre en compte les différentes contraintes de la situation ; - mobiliser des connaissances et des compétences numériques
acquises dans d'autres contextes pour résoudre le problème en opérant sur des nombres ;
- contrôler et valider soi-même sa réponse.
136
Problèmes de partages
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Compétences numériques requises
Pour pouvoir mettre en œuvre des procédures numériques, l'élève doit savoir :
- décomposer des nombres ; - additionner des nombres ; - calculer des écarts.
Bien que la calculette soit disponible pendant les activités, il nous paraît préférable d'attendre février-mars pour aborder cette situation.
Procédures de résolution observables
Certains élèves procèdent par distribution.
1. En dessinant d'abord des ronds figurant les parts, puis en les remplissant en comptant de un en un (document 2) ou de n en n (documents 3, 4, 5).
137
Chacun, tous... différemment ! Mathématiques au cycle des apprentissages
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138
Problèmes de partages
Sur le doccument 3, l'élève compte de 3 en 3 jusqu'à 18, réalise qu'il est trop proche de 21 pour continuer ainsi et termine en distribuant les objets un par un.
Sur le document 4, l'élève compte de 30 en 30 jusqu'à 90, puis surcompte de 10 en 10 jusqu'à 120, évalue l'écart entre 120 et 135 et termine en surcomptant de 5 en 5.
2. En distribuant les objets un par un ou n par n sur un nombre de lignes ou de colonnes égal au nombre de parts. Avec 21 objets et 3 parts cela donne :
sur 3 lignes sur 3 colonnes
IIIIIII 3 3 3
IIIIIII 3 3 3
IIIIIII 1 1 1
3. En dessinant d'abord tous les objets à partager puis en les barrant au fur et à mesure de la distribution (document 6).
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D'autres élèves procèdent par décomposition du nombre à partager.
11. Pour 36 objets et 3 parts, ils décomposent 36 en 3 dizaines
et 6 unités, puis partagent 3 et 6, ou ils décomposent 36 en 30 + 6, puis partagent 30 et 6 (document 1).
2. Pour 72 objets et 3 parts, ils décomposent 72 en 60 + 12, puis partagent 60 et 12.
139
Chacun, tous... différemment ! Mathématiques au cycle des apprentissages
Certains élèves procèdent par le calcul.
1 1. En employant des résultats connus (document 7) ou le calcul m mental (documents 8 et 9).
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7 7
140
Problèmes de partages
2. En employant la touche « divisé » de la calculette ou en faisant des essais avec la touche « multiplié ».
3. En procédant par essais successifs avec ou sans évaluation préalable (documents 10, 11, 12).
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Variables numériques
La taille du nombre d'objets à partager : en augmentant cette taille, on met en échec les procédures avec dessin de tous les objets ou appel à des résultats mémorisés.
141
Chacun, tous... différemment ! Mathématiques au cycle des apprentissages
Le nombre de parts : en le modifiant on évite l'installation d'automatismes.
La relation entre le nombre d'objets et le nombre de parts : les procédures du type « partage séparé des dizaines et des unités » sont mises en échec lorsque les nombres de dizaines et d'unités du nombre d'objets à partager ne sont pas des multiples du nombre de parts.
Exemple de mise en œuvre en février-mars
Phase d'appropriation
lre étape
Afin de préciser les contraintes et d'éviter la confusion fréquente entre trois parts et parts de trois, on propose le problème avec des nombres permettant le recours au calcul mental.
L'énoncé suivant est distribué: «Je veux partager 21 jetons en 3 paquets.
« Il doit y avoir autant de jetons dans chaque paquet.
« Combien y aura-t-il de jetons dans chaque paquet ? »
Il est lu à haute voix, puis la réponse est cherchée individuellement. La recherche est suivie d'une mise en commun durant laquelle on examine et on vérifie les résultats sans expliciter comment ils ont été obtenus. En cas de dessin par exemple, on ne montre pas les étapes de sa réalisation. Le but est uniquement de préciser et de s'approprier les contraintes du problème :
- il doit y avoir autant de jetons dans chaque paquet ;
- il faut utiliser tous les jetons ;
- il faut faire trois paquets, pas des paquets de trois.
Le même problème est ensuite proposé avec 18 jetons et 3 paquets. La recherche est individuelle et il n'y a pas de mise en commun.
Voici un exemple de différenciation à l'issue de ce travail.
Deux problèmes de partage en quatre sont distribués à tous les enfants : - 24 jetons, puis 36 jetons pour ceux qui ont réussi le problème des 18 jetons. Ces enfants travaillent seuls, ils réussissent tous;
142
Problèmes de partages
- 12 jetons, puis 28 jetons pour les sept élèves en échec avec les 18 jetons. Ces élèves travaillent en présence de la maîtresse, ils disposent chacun des jetons et de 4 pots pour chercher la réponse qu'ils doivent formuler comme les autres enfants sur le polycopié. Cinq enfants restent en échec malgré la possibilité de manipuler les objets.
À ces élèves qui ne peuvent toujours pas résoudre le problème, on peut montrer un partage déjà effectué et leur demander de trouver et de formuler le nombre de parts, la valeur des parts, le nombre total d'objets.
2e étape
Chaque enfant reçoit un polycopié comportant un ou deux énoncés du type suivant :
Le maître a partagé 24 jetons entre quatre enfants. Combien chaque enfant a-t-il eu de jetons?
Entoure la bonne réponse : 4 6 8 10
Écris pourquoi tu penses que c'est la bonne réponse.
Le nombre d'enfants varie d'un exercice à l'autre mais il est toujours égal à trois ou à quatre.
La nature de la tâche est différente. Elle fournit une nouvelle occasion de s'approprier le problème. La présence des nombres et la demande de vérification peuvent inciter au calcul et avoir une incidence sur les procédures de résolution.
Dans la classe ci-dessus, les cinq enfants en échec ont travaillé avec la maîtresse. Ils disposaient chacun de jetons et de pots, mais ils devaient prendre eux-mêmes le nombre de pots et le nombre d'objets correspondant à l'énoncé étudié. Les autres enfants travaillaient seuls et sans matériel.
Phase de résolution du problème
Un premier problème est proposé, l'exigence de vérification de la réponse est introduite dans l'énoncé :
« Je veux partager 36 jetons en 3 paquets.
« Il doit y avoir autant de jetons dans chaque paquet.
« Combien y aura-t-il de jetons dans chaque paquet?
«Écris ta réponse à l'aide d'une phrase.
143
Chacun, tous... différemment ! Mathématiques au cycle des apprentissages
« Écris pourquoi tu penses que c'est bon. »
La mise en commun est axée sur les procédures. Les enfants expliquent comment ils ont trouvé leur réponse et comment ils l'ont vérifiée.
L'efficacité et l'économie du calcul comme moyen de vérification sont mises en évidence.
Une nouvelle recherche individuelle est ensuite proposée. La différenciation se fait en jouant sur les variables numériques, la quantité d'exercices, les aides.
Certains doivent partager 24 en 3, d'autres 63 en 3. Certains reçoivent un deuxième exercice, 63 en 3 ou 72 en 3. La manipulation n'est pas possible, mais le maître peut intervenir auprès de certains en évoquant une activité précédente.
La mise en commun est centrée sur la comparaison des procédures numériques de résolution : distributions, calcul mental, essais avec la calculette ou sur le papier.
À ceux qui ne parviennent toujours pas à résoudre le problème, on assure une sortie honorable en se limitant à la vérification de réponses ou à la recherche de la bonne réponse parmi plusieurs.
Phase de reprise
En fin d'année, on organise une nouvelle séance afin d'observer l'incidence éventuelle des autres apprentissages sur le comportement des enfants.
On commence collectivement par le contrôle d'un résultat : un enfant doit partager 64 objets en 4 parts, il pense qu'il peut mettre 17 objets par part, est-ce juste?
Puis un même polycopié comportant 3 énoncés est proposé à tous. La calculette est toujours disponible, mais le dessin n'est plus autorisé. Les problèmes sont de difficulté croissante, par exemple : partage de 33 en 3, de 52 en 4, de 135 en 3.
Quelques remarques à l'issue de ce travail
1) Sur l'exigence de vérification de la réponse
La vérification de la réponse est une tâche totalement différente de la tâche de résolution. Il est très fréquent que les procédures utilisées dans les deux tâches soient différentes.
144
Problèmes de partages
Par exemple, les enfants qui dessinent pour établir leur réponse peuvent calculer pour vérifier celle-ci. Nous avons vu un enfant chercher en divisant 36 par 3 avec sa calculette, et vérifier en multipliant 12 par 3.
Cette exigence de validation écrite du résultat trouvé devrait être introduite dans toutes les situations qui s'y prêtent.
2) Sur les mises en commun et l'évolution des procédures
Il suffit parfois d'une mise en commun pour déclencher une évolution. Dans une classe, nous avons vu beaucoup d'enfants s'approprier les procédures par essais comme sur les documents 11 et 12, moins d'enfants s'approprier les procédures par distribution comme sur les documents 4 et 5, peu d'enfants s'approprier les procédures par décomposition.
Par contre, les enfants qui procèdent par distribution ou par décomposition évoluent peu vers les essais, sans doute parce que leurs procédures sont efficaces.
3) Sur les retombées de ce travail dans le domaine du calcul et du sens de la multiplication
De nombreux enfants remplacent l'écriture additive par une écriture multiplicative et emploient la touche multiplié de la calculette pour vérifier leur réponse. Certains cherchent la réponse dans les répertoires multiplicatifs affichés sur les murs ou en faisant des essais multiplicatifs sur la calculette.
Dans une classe, durant la reprise en fin d'année, des élèves qui connaissaient la technique opératoire de la multiplication par un nombre de un chiffre et qui procédaient auparavant par essais additifs sont passés aux essais multiplicatifs en posant des multiplications. En examinant les essais additifs, le maître a montré que l'on peut compter multiplicativement une addition de nombres égaux en s'appuyant sur les répertoires multiplicatifs.
145
POINTS - CONTREPOINTS
Échos et résonances : stratification des parcours d'apprentissage
et pluralité des fonctions de la verbalisation Elisabeth NONNON
IUFM de Lille
Il est difficile de rendre compte, de façon satisfaisante pour l'esprit, de cet ensemble composite de comportements hétérogènes que sont les apprentissages scolaires.
D'une part, il paraît frustrant d'en rester au bricolage, qui est un principe obligé de la pratique didactique, faite d'emprunts et d'improvisations réglées : la tentation est forte de rêver d'une théorie unifiante, qui puisse offrir des principes généraux d'intelligibilité intégrant des comportements et des situations disparates dans un système d'ensemble.
Cette aspiration a contribué à faire auprès des pédagogues la force d'impact de la théorie piagétienne : en postulant de façon puissante des mécanismes généraux (le conflit cognitif, les déséquilibres et les rééquilibrations majorantes...) et des structures cognitives d'ensemble *, elle permet de rendre compte de la logique du développement intellectuel, au-delà des aléas et des évolutions parfois illisibles des comportements des élèves. Même s'il s'agissait d'une recherche
1. Même si les recherches piagétiennes elles-mêmes ont renoncé à se situer sur un plan d'explication générale en termes de structures, de stades, pour s'intéresser aux phénomènes d'actualisation des connaissances et aux processus de résolution différenciés dans des tâches et des contextes particuliers : voir par exemple l'article d'Inhelder : « Du sujet épistémique au sujet psychologique», dans Bulletin de psychologie, n° 390 (1989): «Psychologie cognitive: questions vives ».
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Chacun, tous... différemment ! Mathématiques au cycle des apprentissages
d'épistémologie générale, et non d'un modèle des apprentissages concrets en milieu scolaire, on a souvent utilisé ses références comme arguments de « théories prescriptives » : par exemple, pour valoriser le rôle du tâtonnement et de l'activité du sujet dans le développement des concepts, en dévalorisant ce qui relèverait d'une transmission verbale de connaissances ; pour valoriser la recherche en groupes sur documents et dévaloriser l'explication ou le récit magistraux dans un cours d'histoire.
Cette tentation sous-tend aussi, comme le souligne Develay, les « théories prescriptives » qui formalisent plus ou moins des pratiques d'action locales, et s'érigent facilement en système global normatif (la pédagogie par objectifs, l'éducabilité cognitive et la «pédagogie de la médiation », etc.) V Ces approches tentent de modéliser ce que sont les conditions réelles d'un apprentissage donné, mais elles généralisent souvent au-delà de l'exemple typifié d'apprentissage auquel elles se réfèrent, en extrapolant à toute démarche d'apprentissage, ce qui vaut, en fait, pour une classe de situations ou de contenus, ou pour certains moments d'un parcours de connaissance ou d'un cursus scolaire. Cette typification, ce coup de force théorique, peuvent d'ailleurs se justifier pour des raisons pragmatiques, eu égard aux représentations et aux pratiques dominantes.
Ainsi, la modélisation parfois exclusive des situations d'apprentissage comme situations-problème, inspirée de Meirieu, ou la référence insistante aux théories du conflit sociocognitif pour légitimer le travail en groupes hétérogènes, peuvent-elles se justifier dans un contexte éducatif où peu de place est laissé aux démarches d'exploration ou aux interactions entre pairs : une telle présentation donc peut être pragma-tiquement et argumentativement utile. Mais en termes de connaissance des phénomènes réels dans le contexte de la classe, tout le travail d'analyse précise reste à faire ; cette référence ne peut fonctionner comme un slogan qui exclurait toutes les autres pratiques. Elle se heurterait aux résistances effectives de l'expérience, et au fait qu'elle ne peut rendre compte que de certains moments ou certains aspects des apprentissages.
Ainsi, la tentation subsiste d'une « bonne théorie », à la fois nouvelle et englobante, qui permette de dire ce qu'est apprendre : il n'est pas facile de faire son deuil d'une prise en charge globale. Mais ce désir d'unité théorique, qui se double d'un souci de cohérence prescriptive, se heurte souvent au sentiment que les événements de l'ap-
1. (1992), De l'apprentissage à l'enseignement, ESF, p. 111.
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prentissage, dans le contexte réel de l'enseignement, relèvent d'une logique bien différente, régie par la multiplicité, l'hétérogénéité et le bricolage — celui de l'enseignant, et celui des élèves.
L'expérience d'enseignement — d'une notion, d'une démarche donnée — est vécue comme l'expérience d'une activité hétérogène, qui opère toujours sur plusieurs plans à la fois, selon des fonctionnements et des referents parfois disparates, variables selon les moments. C'est aussi une expérience qui s'exerce dans une durée non linéaire : elle met toujours en œuvre plusieurs séries temporelles simultanément, par une suite d'anticipations et de réévaluations rétrospectives (ce qui a été acquis à un moment prendra un autre sens, en fonction de ce qui le suit, et du cheminement de la compréhension de l'élève), et par un ensemble de paris réciproques sur l'avenir. Selon un contrat implicite, les élèves accordent — plus ou moins — la confiance qu'ils sauront ou comprendront, de ce qui est en train de se faire, davantage par la suite qu'ils ne comprennent actuellement ; l'enseignant postule que la convergence partielle entre lui et ses élèves qui s'amorce dans l'acte pédagogique à un moment donné va continuer à « travailler », que les élèves s'approprieront progressivement, par strates et réévaluations successives, la notion qui est en chantier.
Ce va-et-vient temporel est particulièrement évident en ce qui concerne 1'exemplification : à quel moment, selon quel processus, un élève comprend-il qu'une situation, un texte, un savoir qui lui sont fournis ne sont en fait que des exemples d'une notion ou d'une connaissance plus générale qui les englobe ? La question peut se poser bien sûr à l'échelle d'une séance, d'une séquence, mais aussi de cycles beaucoup plus longs, en partie imprévisibles, au cours desquels une connaissance acquise à un moment se révèle être une partie ou un exemple d'une notion beaucoup plus large. L'enseignant sait d'autre part qu'au même moment tous les élèves ne se saisissent pas d'un exemple au même niveau: beaucoup le reçoivent et le mémorisent sans comprendre son statut d'exemple, d'autres pressentent des analogies entre situations apparentées, alors que certains sont déjà en train de construire cette relation, et que d'autres ont déjà acquis le principe qui rend équivalentes les différentes situations proposées... Il lui faut cependant garder un langage commun, où puissent se déployer simultanément tous ces cheminements, selon des convergences partielles l.
1. Sur cette complexité de la compréhension des exemples dans l'interaction didactique, Nonnon E. (1992), « Prenons un exemple», in Halte J.-F. et alii, L'Interaction, actualités de la recherche et enjeux didactiques, CRELEF PU Nancy-Metz.
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La théorisation de cette activité ne peut donc reposer sur l'illusion d'une totale maîtrise et de la pureté d'une méthode, mais plutôt sur la prise de conscience des principes qui fondent ce bricolage et en permettent la dynamique.
Le dialogue didactique et les échanges verbaux dans la classe sont le lieu où se nouent (plus ou moins bien) ces plans et ces rythmes différents de l'apprentissage. Insistant sur l'hétérogénéité des connaissances et des conduites culturelles auxquelles l'enfant se trouve confronté depuis sa naissance, et par rapport auxquelles il se trouve dans des degrés d'appropriation très variables, Vygotski insiste sur le rôle des dialogues et de la verbalisation, comme médiateurs essentiels où se déploie et se résout cette hétérogénéité l.
Ils ne sont pas seulement le détour pour assurer les conditions de motivation et de convivialité nécessaires au travail scolaire, ou le véhicule de la transmission des connaissances et des consignes, et en retour, des informations sur l'état des acquis des élèves. Ils font partie intégrante, constitutive, de cette activité conjointe qu'est l'apprentissage d'une notion, d'une démarche, d'un savoir-faire. Mais la multiplicité des fonctions de la verbalisation et des échanges verbaux dans la classe, la stratification des fonctions du dialogue didactique sont corollaires de la multiplicité des savoirs et des modes d'apprentissage en jeu dans la moindre séquence.
C'est donc à la fois ce rôle central et cette diversité des fonctions de la verbalisation que je voudrais reprendre ici, pour essayer d'approcher la compétence particulière qu'est l'activité d'enseignement, faite à la fois d'algorithmes, de rituels et d'improvisations réglées, dans une stratification temporelle complexe.
1. LES SITUATIONS-PROBLÈMES COMME EMBLÉMATIQUES DES SITUATIONS D'APPRENTISSAGE, ET L'ÉTAYAGE DES PROCÉDURES DES ÉLÈVES COMME EMBLÉMATIQUE DE L'ACTIVITÉ D'ENSEIGNEMENT
Les analyses du dialogue scolaire privilégient souvent un mode d'enseignement. Les analyses classiques comme celles que présente Postic2 se réfèrent, implicitement, à des situations transmissives
1. Vygotski L. (1934/1986 édition française), Pensée et langage, Éditions sociales. 2. Postic M. (1981), Observation et formation des enseignants, PUF.
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(enseignement des mathématiques au lycée, par exemple), soit pour déterminer des « styles d'enseignement », soit pour analyser les grandes fonctions de l'intervention enseignante, en liaison, dans certains cas, avec les opérations mentales ou les types de savoirs sur lesquels on travaille. Une grille comme celle de Wright et Proctor, par exemple, centre l'analyse de l'activité de l'enseignant sur le niveau d'élaboration des concepts et des raisonnements qu'appellent ses interventions 1, et a donc l'intérêt de focaliser l'attention sur l'activité intellectuelle opérée sur le contenu d'enseignement lui-même. Mais si elle permet de rendre compte de l'activité de l'enseignant, elle ne permet pas vraiment de rendre compte de celle des élèves, ni de la façon dont l'enseignant se met en phase avec cette activité, pour l'exploiter, la réorienter, ou ajuster son propre discours.
À l'inverse, les analyses comme celle de Bruner sur la médiation de l'adulte dans l'étayage des tentatives du petit enfant lors des séquences rituelles d'activités quotidiennes 2 mettent l'accent sur la construction de démarches, de procédures et de fonctions intellectuelles et culturelles, plus que sur l'élaboration des savoirs ou les contenus de connaissances, même si elles donnent des voies pour les appréhender.
Transposer les analyses de Bruner dans des situations collectives où s'élabore une connaissance scolaire est cependant très éclairant, à condition de tenir compte des différences entre une situation duelle (où l'adulte peut réellement faire des hypothèses fines sur les tâtonnements de l'enfant, les prolonger, les réorienter), et une situation d'enseignement en plus grand groupe: cette activité d'ajustement aux tentatives des élèves y met forcément en jeu une planification préalable plus importante, et le pari sur le sens de ce que font les uns et les autres y est forcément plus sommaire, plus typifïé.
Cette analyse est éclairante, en particulier dans toutes les activités où c'est un savoir-faire ou une démarche des élèves qui sont au centre d'une séance d'apprentissage : la compréhension d'un texte en français, la mise au point de la règle d'un jeu ou d'une stratégie en EPS, la résolution de problèmes en commun en mathématiques. Il faut alors croiser une analyse des grandes fonctions de l'étayage telles que les propose Bruner, et une analyse précise des procédures et des opérations visées dans un modèle didactique de l'activité en question . Un
1. Faits, principes, relations, situés à différents niveaux d'emboîtements, à restituer ou à élaborer. Grille présentée par Postic. 2. Bruner J. (1983), Savoir faire, savoir dire, PUF. 3. C'est ce que j'ai tenté de faire pour la compréhension de textes avec des mauvais lecteurs, essayant de montrer comment le questionnement de l'enseignant pouvait viser, selon les moments, plutôt telle ou telle des procédures à mettre en œuvre, selon les divers modèles de la compréhension. Recherches, n° 17 : « Le mal de lire ».
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enseignant pourrait alors mieux cerner non seulement les types d'opérations mentales ou de régulations qu'il cherche à susciter par ses questions ou par ses reprises de ce que dit un élève, mais aussi la façon dont les élèves utilisent ou reprennent à leur compte les stratégies indiquées par l'enseignant.
Le modèle de la résolution de problèmes : interactions verbales et modes de résolution en commun
Les activités de résolution de problèmes en commun sont particulièrement exemplaires de ce point de vue. D'une part, les écrits de Meirieu ont amené, dans toutes les disciplines, à considérer comme emblématique la situation- problème construite autour d'un obstacle, un seuil à franchir par les élèves. Dans une telle optique, il n'y a de réel apprentissage que s'il y a construction active par les élèves, dans une tâche suffisamment contraignante pour rendre impossibles le recours aux algorithmes précodés et les stratégies de contournement, et suffisamment ouverte pour que plusieurs démarches de résolution soient possibles. Le rôle de l'enseignant est donc d'abord dans la construction rigoureuse de la tâche, et, ensuite, dans la façon dont il soutient les démarches de recherche des élèves, et aide les processus et les tâtonnements à devenir procédures conscientes et transférables.
D'autre part, les démarches de résolution de problèmes en commun, qu'il s'agisse d'adultes ou d'enfants, sont un domaine bien étudié en psychologie cognitive, ou en didactique dans certaines disciplines. Pour les approches récentes, qui, à la suite de Inhelder, cherchent à observer « le déroulement des procédures plus que les opérations sous-jacentes », « les processus d'invention ou de découverte dans des problèmes particuliers, permettant à l'enfant de bricoler des solutions nouvelles à partir de son répertoire antérieurement constitué l », la résolution de problèmes est également emblématique. À travers elle, se révèle bien la diversité des conduites et des démarches qui entrent dans une activité intellectuelle 2.
1. Inhelder B. (1989) : article cité. 2. Entre autres, colloque de Caen (1986), « Les problèmes de l'élève à l'école élémentaire», repris in Revue Française de Pédagogie, n°82 (1988) ; Richard J.-F. et alii (1990), Traite' de psychologie cognitive, t. II, Dunod. Richard J.-F. (1990), Les Activités mentales: comprendre, raisonner, trouver des solutions, Armand Colin.
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Variété des conduites cognitives dans une tâche intellectuelle
Cette diversité se retrouve à chacune des phases de l'activité : — exploration de la situation et inventaire de ses éléments, opé
rations qui correspondent à ce que Richard appelle « l'installation dans le problème » (ou, dans bien des cas, la création d'un espace de problèmes, quand c'est l'interaction elle-même qui suscite la probléma-tisation) : sélection d'informations pertinentes, construction progressive d'une représentation du problème, de la question posée et du but à atteindre ; comparaison avec des situations ou des modèles déjà connus, actualisation d'algorithmes ou de savoirs en rapport avec la situation, etc. ;
— avancement par élaboration d'enchaînements, de séquences orientées moyens-buts, en mobilisant et transférant des algorithmes, des modèles d'enchaînements déjà expérimentés ; recatégorisation des données, reformulation des buts ; contrôle et régulation par comparaison, rétroaction, anticipation des conséquences ;
— évaluation, retour sur la procédure, vérification, preuve, communication de la démarche suivie.
À chacune de ces phases de l'activité de résolution, les fonctions et les formes de la verbalisation ne seront pas les mêmes. Il faut distinguer, en particulier, les fonctions d'accompagnement des tâtonnements dans la phase d'exploration où s'élaborent les concepts ou les solutions, des fonctions d'explicitation ou de formalisation de connaissances ou de démarches déjà acquises. Entre ces deux extrêmes, une fonction très importante est celle des régulations à moyen terme, en cours de recherche, quand on cherche à dégager des règles d'action ou des bilans intermédiaires des acquis, en prenant distance par rapport à l'action entreprise, par des mouvements d'évaluation, de mise en rapport avec d'autres situations et de généralisation l.
À cette diversité des conduites impliquées dans les tâches s'ajoute la mobilité des registres de fonctionnement et des niveaux de traitement mis en œuvre selon les moments et les contenus. Comme le montre, entre autres, Reuchlin, différents types de processus interagissent selon des modalités diverses (complémentarité, substitution, antagonisme) : « processus de formalisation » (qui contribuent à des raisonnements structurés et explicites), « processus de réalisation »,
1. Brassard M., Lamblin G. (1980), «Quelques aspects d'une conduite d'explication», Langages, n° 59. Pour une revue de question sur ces points, Nonnon E. (1991), « Le rôle des échanges verbaux et de la verbalisation dans les démarches d'apprentissage, ou retour critique sur quelques notions en usage (conflit sociocognitif, prise de conscience) », Innovations, n° 23/24 : « Parler, discuter ».
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souvent plus économiques (qui utilisent des schémas et des référentiels acquis antérieurement, en relation implicite), et «processus intermédiaires » (c'est-à-dire « une gamme d'opérations qui comprend des amorces ou tentatives de formalisation, souvent partielles, et qui n'aboutissent pas 1 »). On voit bien à quel point il est restrictif d'évaluer toutes les conduites mises en œuvre par les enfants en prenant comme seul modèle de référence celui des raisonnements explicites et structurés, ce qui amènerait à méconnaître des «stratégies prometteuses» ou efficaces, mais qui relèvent d'autres modes de fonctionnement, moins formels.
Les interactions entre pairs dans une tâche de résolution
Les travaux sur les échanges verbaux lors de la résolution de problèmes permettent de mieux cerner les diverses fonctions de la verbalisation dans les régulations de la recherche et dans l'établissement des stratégies, et donc de mieux voir comment l'intervention d'un enseignant peut venir guider les tentatives et les dialogues des élèves. Il s'agit donc d'analyser les modalités spécifiques de cette coopération entre participants, en mettant en relation plusieurs éléments d'analyse 2 : fonction des interventions (questions d'identification ou questions de contrôle, de type demande de justification) ; objets sur lesquels portent les interventions (indices isolés, liaison entre plusieurs indices, principe ou règle) ; modalités de l'intervention (constat, question, critique argumentée ou non, critique indirecte par proposition d'autre chose,...) ; niveaux de travail cognitif mis en œuvre (processus de « réalisation » précodés, raisonnement explicite, processus intermédiaires).
Comme le souligne Gilly 3, les fonctions de l'interaction sociale sont donc très diverses ; il serait restrictif d'en rendre compte en se centrant uniquement sur l'émergence et le dépassement de conflits cognitifs entre participants, comme le faisaient les premières recherches sur le conflit sociocognitif. Ces fonctions peuvent, selon lui, être regroupées autour de trois niveaux principaux : construction de l'espace de problème et analyse de la situation, avancement des procédures de résolution (anticipation, mise en relation des éléments),
1. Cornetti F. (1983), « Dynamique sociocognitive, processus de réalisation et formalisation dans un groupe », in Moscato et alii, La Pensée naturelle, PU Rouen. 2. Comme le font Cornetti et ses collaborateurs en étudiant les interactions d'étudiants travaillant ensemble sur des problèmes de physique. 3. Gilly M. (1990), « Mécanismes psychosociaux des constructions cognitives», in Netchine G., Développement et fonctionnement cognitif chez l'enfant, PUF.
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contrôle et feed-back (par comparaison, en particulier), et selon plusieurs modalités différentes (déstabilisation, aide à la régulation, entre autres). Par exemple, l'intervention d'un partenaire conduit fréquemment l'enfant à préciser sa représentation du problème, du but à atteindre ou de la démarche induite par la consigne, ou à modifier une représentation erronée qu'il s'en était faite. Mais c'est aussi en cours de résolution que les perturbations réciproques obligent à ces changements de représentation (sensibles, en particulier, dans des glissements de vocabulaire). Ces perturbations ne s'opèrent pas seulement par le conflit, mais par toutes sortes de formes de collaboration et d'accompagnement : questions, inventaires où chacun, alternativement, série en les nommant ou reformule les éléments fournis, le but à garder en tête, les résultats constatés des tentatives ; commentaires sur l'action confirmant ou critiquant les essais successifs (approbations, demandes d'explication), prévision d'un résultat, etc. Même l'imitation réciproque ou les simples interventions acquiesçantes et reformulantes de l'autre peuvent avoir une fonction régulatrice d'accompagnement, qui aide à contrôler le déroulement de la procédure et à s'en construire une représentation globale. La fécondité de ces dialogues peut donc se lire à un double niveau : celui de la coopération, qui permet, à travers le langage, la confrontation des centrations et le retour sur ses propres actes, et d'autre part, celui du travail de verbalisation lui-même.
Le rôle de la verbalisation
Reformuler plusieurs fois le problème ou la question peut aider à intérioriser la situation, à s'en construire un modèle mental. Décrire ou inventorier les éléments de la situation peut aider à discriminer et à structurer les données, en opérant, comme le dit Caron, « un filtrage des informations, en les sélectionnant et en les regroupant selon des unités fonctionnelles, organisations elles-mêmes mobiles et variables ». Par sa souplesse (flexibilité sémantique des mots utilisés, capacité de nuancer et transformer les catégories et les relations utilisées), par sa capacité d'articuler plusieurs perspectives sur les mêmes objets et de jouer sur les modalités des énoncés (« peut-être », « des fois », « toujours »), le langage se prête bien à ces mouvements et ces transformations '. Vygotski avait montré que cette fonction regulative du langage, comme moyen de contrôler ses propres processus intellectuels, pouvait s'opérer même sans présence d'un interlocuteur. La
1. Caron J. (1983), Les Régulations du discours, PUF. Caron J., Caron-Pargue J, (1989), « Processus psycholinguistiques et analyse des verbalisations dans une tâche cognitive », Archives de psychologie, n° 57.
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verbalisation solitaire de l'enfant, lors de la résolution d'une tâche, était pour lui une étape de l'appropriation des régulations intersubjectives vécues d'abord dans le dialogue, avant d'être intériorisées dans le « langage intérieur », puis dans ce dialogue avec soi-même qu'est la pensée. Caron montre également, en analysant des protocoles de résolution de problèmes, que « les marques linguistiques que l'on étudie généralement comme investies d'une fonction pragmatique réglant l'interaction communicative» se retrouvent dans les verbalisations solitaires face à un problème : elles peuvent être considérées comme « une succession de traces des opérations par lesquelles le sujet construit, transforme, remanie sa représentation », autant que « comme des indices fournis à l'interlocuteur ». Il étudie ainsi, entre autres, les différenciations lexicales entre expressions qui réfèrent aux mêmes éléments de la situation ou aux mêmes actions, et qui, selon lui, « traduisent des différenciations fonctionnelles au sein de la représentation » selon les moments. Il analyse aussi la fonction, peu reconnue, des marques de prise en charge et des énoncés non déclaratifs (questions, exclamations), qui correspondent à « un décrochage du sujet énonciateur par rapport à sa propre représentation », soit lors d'opérations d'évaluation du processus en cours, soit lors du démarrage d'une nouvelle procédure l.
Qu'il s'agisse de verbalisations solitaires en présence d'un adulte ou de discussions entre enfants, les protocoles montrent clairement que les processus mis en œuvre sont très variés, multiples, et ne sont jamais exclusifs l'un de l'autre : Gilly souligne que « la dynamique des échanges met en œuvre une pluralité des modes d'organisations interactives ». Si on prend en compte cette diversité, on comprend que les fonctions bénéfiques de l'interaction n'aient rien d'automatique : elles dépendent des types d'activités cognitives qui sont sollicitées dans la tâche à résoudre : « Ce qui veut dire que, pour obtenir des progrès individuels par interaction de résolution, il faut se demander, pour chaque type de progrès recherché, quelle est la meilleure manière de construire la situation-problème, de telle sorte qu'elle favorise conjointement la mise en œuvre de fonctionnements cognitifs modifiables par l'interaction, et le fonctionnement sociocognitif le plus susceptible de remplir cet office. » 2
1. Carón J. (1993), «Représentation et communication: l'intégration de la dimension pragmatique», Bulletin de psychologie, n° 412 : « Cognition, éducation, langage». 2. Gilly M. (1988), « Interactions entre pairs et constructions cognitives: modèles explicatifs», in Perret-Clermont A.-N. et alii, Interagir et connaître, Delval.
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Le rôle de l'enseignant comme étayage de l'activité cognitive de l'élève
On voit donc bien comment peut se définir le rôle de l'enseignant, quand il soutient l'activité des élèves et les verbalisations qui accompagnent ces activités. Il est dans la construction de la situation et des contraintes qui orientent l'interaction sur des points problématiques ciblés, pour lesquels le tâtonnement est utile ; il est aussi dans la capacité à exploiter et intégrer les propositions des élèves dans un tissu de relations, d'anticipations et de rétroactions qui souligne leur sens ou leur donne sens. De ce point de vue, les grandes lignes de l'analyse de Bruner restent éclairantes.
Bruner montre bien, en particulier, comment les interlocuteurs négocient, par des ajustements réciproques, le sens de l'action en cours. La verbalisation (celle de l'adulte ou celle qu'il cherche à susciter chez les enfants), en début de tâche comme tout au cours du déroulement, situe ce qui va être fait à l'intérieur d'un système orienté de moyens et de buts, par rapport à d'autres situations déjà partagées, et par rapport à d'autres phases de la même séquence. Par une évaluation constante, en action, des constantes et des variantes, du lien entre intentions et résultats de l'action, entre prévision et conséquences, par comparaison de la démarche adoptée et des alternatives possibles, le dialogue inscrit les actions ou les énoncés fragmentaires ou tâtonnants dans la cohérence d'une séquence d'actes intentionnelle, que l'on apprend à contrôler en la nommant et en la commentant. Ainsi, c'est souvent rétrospectivement que l'enfant s'approprie la visée implicite de sa propre action ou de son énoncé, à travers la question d'autrui qui lui demande de les justifier, ou à travers le commentaire d'autrui qui développe ou explicite ce qu'il a fait ou dit. L'intention, le principe sous-tendant une action ou un exemple apparaissent alors comme un fait d'interprétation qui se négocie interactivement, non comme un préalable. En ce sens, par ces possibilités de glissement et de traduction à un autre niveau de ce qui se dit, le dialogue ne constitue pas seulement un outil de communication de représentations déjà construites, il est le lieu où s'élaborent des significations « en mouvement », pour reprendre une expression chère à Vygotski.
Selon Bruner, en lui permettant d'appuyer son activité et sa verbalisation sur les siennes, l'adulte est donc médiateur entre l'enfant et ses propres actes ou ses propres paroles, et lui permet de s'en approprier le sens, par une suite de réévaluations successives. Il lui permet aussi progressivement de mettre en œuvre certaines conduites langagières qui correspondent à des fonctions cognitives importantes du langage : nommer en négociant avec autrui les referents et les significations,
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anticiper et examiner des alternatives, comparer, revenir sur l'action en cours par des boucles rétrospectives permettant de situer chaque moment dans un parcours d'ensemble et de capitaliser les acquis.
Cette médiation de l'enseignant repose, évidemment, sur sa capacité d'interprétation de ce qui est en germe dans des comportements d'élèves parfois illisibles ou esquissés, ce qui suppose une écoute fine de ce qu'ils disent, un postulat de cohérence potentielle l, une solide connaissance des opérations sous-jacentes à la tâche et aux dialogues. Pour qu'il ne soit pas seul à assumer ces régulations et ces fonctions discursives, il est important, en particulier, qu'il puisse repérer si certains enfants amorcent spontanément certaines de ces conduites (rappeler le but, synthétiser deux énoncés de camarades, récapituler les acquis, etc.), pour pouvoir encourager et répercuter aux autres ces amorces, ou si c'est sur sa demande qu'ils arrivent à mettre en œuvre telle ou telle conduite. Cette attention peut l'aider à éviter aussi bien une prise en charge exclusive des articulations et des régulations du discours (les enfants ne fournissant que des bribes de réponses ou d'exemples insérés dans la progression de l'enseignant) qu'une valorisation aveugle des interactions spontanées entre élèves, sans tenir compte du travail cognitif exact qui y est mis en œuvre et des limites qu'ils y rencontrent.
2. LE DIALOGUE DIDACTIQUE ET L'APPROPRIATION DE CONNAISSANCES SCOLAIRES : QUE VOUDRAIT DIRE « TRANSMETTRE UNE CONNAISSANCE » ?
La tentation procédurale est grande actuellement, en particulier dans les approches pédagogiques en terme de « remédiation cognitive ». Le fait de modéliser les situations d'apprentissage comme situations de résolution de problèmes, et l'apprentissage comme appropriation active de stratégies face à des données complexes, est certes réellement heuristique : cela permet de montrer clairement cette composante essentielle de la compétence de l'enseignant, souvent mise en œuvre intuitivement, qu'est le travail didactique centré sur l'activité des élèves, qui s'élabore à partir d'elle.
1. Nonnon E. (1993), « Postulat de cohérence et exigence didactique : un travail autour des mouvements discursifs», Le français aujourd'hui, n° 101.
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Cependant, il serait réducteur, et aussi normatif, de se focaliser seulement sur cette dimension de l'apprentissage, en entretenant à son propos une prescription culpabilisante pour les enseignants, et en occultant ou en dévalorisant toutes les autres dimensions. Cela aboutirait à mettre hors du champ de l'analyse les situations, très fréquentes en classe, qui ne relèvent pas de la découverte, mais de la transmission ou de l'exercice, et à réduire la multiplicité des plans sur lesquels s'opère un apprentissage scolaire.
D'autre part, il ne faut pas, en se centrant sur les procédures, minimiser la dimension essentielle qu'est la maîtrise de connaissances spécifiques, qui ne découlent pas continûment des démarches ordinaires de la pensée. La représentation de la construction des connaissances qui apparaît implicitement dans certaines vulgarisations pédagogiques centrées sur l'appropriation procédurale est parfois simpliste : on fait appel d'une part, au modèle du conflit/déstabilisation des représentations préalables (le conflit sociocognitif susciterait la construction de concepts), et d'autre part, au modèle d'une démarche inductive linéaire, où la construction du concept découlerait du classement d'exemples convergents (intégrant éventuellement des contre-exemples), par une sorte de marche irrésistible du particulier au général. Or, l'appropriation de corps de connaissances transmis dans l'institution scolaire met évidemment en jeu des processus beaucoup plus complexes, où intervient la spécificité des contenus et des traditions disciplinaires.
C'est pourquoi il est nécessaire de voir en quoi l'analyse précédemment évoquée de l'interaction didactique peut aussi être heuristique si on l'élargit à d'autres dimensions de l'activité enseignante que l'activité de résolution de problèmes.
La pluralité des modes d'apprentissage et l'acculturation scolaire
Sur le plan didactique, le modèle de fonctionnement ne peut être unique : tout enseignant sait bien qu'il se situe, vis-à-vis de l'activité et du niveau de savoir de ses élèves, dans des rapports très différents suivant les moments, et suivant les contenus. Comme le souligne Astolfi, une séquence didactique peut être construite autour de plusieurs pôles alternatifs (une situation à exploiter, une connaissance à acquérir, une méthode à maîtriser, un obstacle à franchir, une production à réussir), qui constitueront, selon les moments, des principes organisateurs dominants, et qui conditionneront le rôle des exemples, les fonctions de la verbalisation, la place laissée aux initiatives des élèves et le mode d'intervention de l'enseignant. Les théorisations ou
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les descriptions doivent donc éviter « l'inconvénient d'enfermer dans des modalités d'action uniques, aussi bien conceptualisées soient-elles, alors qu'il serait utile de disposer d'alternatives avec variantes multiples, toutes également crédibles et justifiables en fonction d'une hiérarchisation différente, effectuée à chaque moment, de divers objectifs et paramètres pédagogiques ». Il faudrait alors élaborer un « modèle composite d'apprentissage », dont le point de vue ne serait pas classificatoire, mais « décisionnel » l.
Vygotski donne des éléments qui peuvent éclairer certains aspects de cette hétérogénéité, et aider à comprendre la logique générale d'un tel « modèle composite d'apprentissage », même si l'importance qu'il accorde aux corps de connaissances historiquement constituées renvoie également à la nécessité d'une approche disciplinaire précise pour sa mise en œuvre.
Le premier point est que la dimension sociale et culturelle du développement de l'enfant est indissociable d'une dimension fondamentale de transmission d'un héritage intellectuel, historiquement constitué, et qui, par là-même, est en décalage avec l'expérience immédiate et le vécu spontané. Les adultes et le monde scolaire sont les médiateurs entre l'enfant et toute une tradition de pensée, constituée de savoirs transmis, de modes de raisonnement et de techniques intellectuelles, de systèmes de représentation. Si une partie de cet héritage est constituée d'« outils » ou de procédures que l'enfant est amené à mettre en œuvre dans l'activité partagée, une autre dimension est celle des connaissances déclaratives, c'est-à-dire d'un ensemble d'affirmations génériques résumant un long parcours d'élaboration du savoir: pour une partie de ces connaissances, en quelque sorte, on demande à l'enfant, provisoirement, d'adhérer. Cette dimension d'adhésion inévitable est corollaire de la dimension d'acculturation qu'a selon lui tout apprentissage : pour devenir membre de la culture commune de sa société, l'enfant doit simultanément intégrer des valeurs, des pratiques sociales et des attitudes 2, et un ensemble d'affirmations qui font exister les choses de telle ou telle façon.
1. Astolfï J.-P. (1992), L'École pour apprendre, ESF, p. 171. 2. Voir la notion â'« affiliation », qu'utilisent entre autres les ethnométhodologues. Par exemple, Coulon A. (1993), Ethnométhodologie et éducation, PUF. Voir aussi la notion de « curriculum caché » chez Perrenoud : il entend par là tous les apprentissages indirects que l'enfant fait à propos des apprentissages scolaires, à travers sa participation à la société scolaire et l'exercice de son métier d'élève : apprendre à attendre, à être évalué, construire un rapport au temps et au savoir acceptables, répartir ses investissements, intégrer certains schemes logiques. Perrenoud P. (1984), La Fabrication de l'excellence scolaire, Droz.
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On retrouve ici l'importance de la verbalisation et des dialogues à propos des situations partagées. Le sens des situations, comme le sens des notions, se négocient en action, dans les affirmations réitérées qui posent une valeur ou une équivalence entre elles : équivalence entre plusieurs situations qui peuvent être nommées ou commentées en utilisant le même terme ; équivalence provisoire entre la signification d'un terme et un ensemble de situations qui servent de réfèrent pour construire cette signification ; équivalence partielle entre plusieurs formulations qui peuvent trouver sens par rapport aux mêmes situations. Selon Vergnaud, la signification d'un concept englobe les situations auxquelles il s'applique et qui lui donnent sens, parce qu'elles servent à le construire l. Il ne suffit certes pas qu'une situation soit nommée ou définie en utilisant une notion pour que l'enfant accède d'emblée à la valeur de cette notion ; il ne suffit pas, pour qu'une classe de situations puisse se construire, de formuler des énoncés qui les rapprochent. Mais ces actes de parole qui tissent constamment des relations entre des contextes, des formulations ou des définitions, sont le matériau même à partir duquel l'enfant exerce son activité d'investigation. Bruner a bien montré, pour le petit enfant, ces négociations pour l'interprétation des énoncés formulés à propos d'une situation partagée, investigation à la fois sur le sens des signes verbaux et le sens à attribuer aux situations.
Comment pourrait-on éviter qu'à certains moments, la médiation culturelle soit une transmission et une demande d'adhésion provisoire ? Par rapport à un état de connaissance et de développement donné de l'enfant, coupés de leur genèse historique, certains savoirs sont forcément fournis sous forme d'affirmation, avec une part d'arbitraire. Comment un enfant pourrait-il adhérer spontanément à l'assertion que la Terre tourne autour du Soleil ou que les poissons respirent ? Ce lien entre la connaissance et la croyance, dans bien des cas, renvoie à la stratification des degrés possibles d'adhésion et de prise en charge des affirmations de vérité chez un même locuteur, dont parlent des logiciens comme Putnam : pour une partie des représentations d'états de choses, on assume une sorte de partage des tâches dans la construction des savoirs, on s'en remet à autrui, et on fonctionne sur une assumption de vérité, qu'accompagne une compréhension partielle — d'où la complexité des rapports et des passages entre « la réalité » et la fiction et la gradation des façons possibles d'assumer les affirmations. Pour pouvoir accepter ces connaissances transmises, les élèves élaborent donc différents types de compromis entre elles et
1. Vergnaud G. (1985), « Concepts et schemes dans une théorie opératoire de la signification», Psychologie française, n° 30, 3/4.
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leurs représentations spontanées ', qui sont elles-mêmes tissées de discours transmis par différentes sources. Le problème est de mieux voir comment cette adhésion provisoire peut devenir progressivement une connaissance intégrée et assumée par l'individu. Tout en revendiquant l'importance du rôle de transmission de l'entourage et la dimension d'enseignement de savoirs scolaires, Vygotski souligne qu'on n'apprend pas directement les concepts à un enfant : « Mais les voies selon lesquelles s'étendent et se transfèrent les significations lui sont données par l'entourage dans le processus de la communication verbale. » Ce problème se pose à deux niveaux : sur le moment même, et à court terme, dans le processus de négociation des assertions au cours du dialogue pédagogique ; à plus long terme, en rapport avec le devenir de la notion apprise dans le cheminement ultérieur de l'élève.
Négociation des assertions et ajustement des interprétations dans le dialogue didactique
Une partie des apprentissages scolaires relève donc d'une transmission, au sens où il s'agit d'un héritage que l'enfant ne peut reconstruire seul à partir de son expérience, et qui est partiellement en rupture avec les mouvements spontanés de sa pensée. Pour certains apprentissages, cette transmission passe par des récits, des assertions ou des démonstrations ; pour d'autres, la transmission peut s'opérer par l'aménagement de situations ciblées et la confrontation à des documents ou des matériaux adaptés, et par étayage des recherches des élèves. Le plus souvent, en fait, il s'agit de situations mixtes où les commentaires et les apports d'informations génériques s'ancrent dans le tâtonnement des enfants à propos d'une situation particulière. Il s'agit dans chaque cas, de façon inséparable, d'ancrer des énoncés et des notions génériques dans la référence commune de situations partagées, et d'autre part, de construire des catégories, des concepts, des relations à portée générale à partir de matériaux et de contextes particuliers entre lesquels on fait des ponts 2. Dans tous les cas se pose le problème d'ajustement entre les significations construites par l'enfant et celles que vise l'enseignant, et celui des possibilités ultérieures de
1. Comme l'ont bien montré, en particulier, les didacticiens des sciences. 2. De ce point de vue, le fonctionnement à l'école est beaucoup plus complexe et nuancé que ne le laisserait penser l'opposition souvent trop simpliste entre méthode inductive et méthode deductive. J.-F. Richard montre bien d'ailleurs en quoi les deux démarches sont concrètement apparentées : Richard J.-F. (1990), « Les conditions de l'acquisition d'une connaissance nouvelle », in Les Activités mentales : comprendre, raisonner, trouver des solutions, A. Colin.
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mobilisation et de complexifïcation des notions par rapport à d'autres contextes que celui de l'apprentissage.
Le problème d'ajustement des interprétations se pose au quotidien dans le dialogue entre l'enseignant et les élèves. Il s'agit souvent pour l'élève d'intégrer des assertions justes mais qui ne sont pas évidentes pour lui, et donc une part importante de l'activité pédagogique repose sur le travail de la négociation du sens que les interlocuteurs attribuent à ces assertions pour pouvoir les assumer. La poursuite de l'interaction suppose, en principe, que les interlocuteurs soit acceptent en l'assumant la proposition assertée, soit engagent une négociation au cas où ils sont en désaccord ou ne se sentent pas en mesure de l'assumer. Mais, dans le contexte scolaire, comme le montre Trognon, il n'est pas facile de voir dans quelle mesure une proposition est réellement assumée par les élèves, même dans le cas où ils ont été capables de construire une proposition déduite de l'assertion en question : « La conversation progresse au risque du malentendu par des actes de foi successifs, dont le contenu théorique est ce que nous avons appelé la satisfaction par défaut (qui ne dit mot consent)... Un élève qui déduit une proposition à partir d'une proposition énoncée par le maître n'assume pas nécessairement cette dernière. » l De ce fait, la conversation scolaire peut se dérouler, sans qu'on en ait réellement conscience, sur des plans de pertinence distants selon les interlocuteurs, en mettant en jeu des ressorts très différents de ceux auxquels l'enseignant se réfère.
Astolfi2 évoque ainsi les stratégies et les indices utilisés par les élèves pour donner les bonnes réponses aux questions, modes de réponse qui s'effectuent souvent de façon externe à la tâche conceptuelle, par intériorisation d'un fonctionnement « coutumier» (y compris le recours à la « stratégie du sourcil » consistant à exploiter les indices pragmatiques tirés du comportement de l'enseignant3). De même, comme le montre B. Lahire, lorsque les élèves fournissent successivement à l'oral des exemples ou des applications d'un principe étudié, leur participation peut donner une illusion de compréhension : ils peuvent alors procéder par analogie par rapport à la première réponse acceptée, en « imitant par intuition pratique » et en faisant varier quelques éléments, sans mettre pour cela en œuvre le rapport
1. Trognon A., «La négociation du sens dans l'interaction», in Halte J.-F. et alii (1993), Interactions: l'interaction, actualités de la recherche et enjeux didactiques, CRELEF, coll. « Didactique des textes», p. 107. 2. Astolfi J.-P. (1992), L'École pour apprendre, ESF, p. 23. 3. L'expression de «fonctionnement coutumier» est reprise à N. Balacheff (1988), Le Contrat et la Coutume, deux registres des interactions didactiques. Actes du colloque franco-allemand de didactique des mathématiques, La Pensée sauvage.
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réflexif au langage que l'enseignant vise par sa consigne \ Ainsi, selon Brossard, « de nombreux enfants ont construit des savoir-faire qui leur permettent de se repérer provisoirement dans l'espace de la leçon». Ce « savoir provisoire, de type essentiellement contextuel », leur permet de réussir les exercices à l'aide de stratégies empiriques, mais « ces savoir-faire sont aisément déstabilisés si on modifie la nature des indices sur lesquels ces enfants prennent appui ». Ces élèves « ne sont pas capables de distinguer clairement entre l'objectif et sa contextua-lisation ; ils ne partagent avec le maître qu 'une définition minimale de la situation et n 'ont pas encore reconstruit pour eux-mêmes les activités mises en jeu par le savoir transmis » 2.
En effet, comprendre réellement la leçon suppose que l'élève soit capable de s'en représenter la logique interne et la finalité. En particulier, il faut qu'il se repère dans l'organisation des différentes séquences qui jalonnent la présentation et l'appropriation de la notion (rappel et mobilisation de connaissances acquises, constitution d'un corpus d'exemples, émergence du principe, application et variantes, apport d'un nouvel élément, synthèse, etc.), et qui correspondent aux différents buts et sous-buts que poursuit l'enseignant. Le problème de compréhension des élèves en échec n'est pas d'abord au niveau du traitement des énoncés pris un par un, mais dans leur difficulté à saisir les seuils et les niveaux différents de pertinence entre ces moments, ainsi que les relations existant entre eux 3. Cela suppose une compétence sociale et communicationnelle, au sens où les élèves doivent maîtriser un certain nombre d'indices discursifs signalant ces différences de niveaux et ces changements de contextes4. Cela suppose aussi, sur le plan cognitif, que les élèves parviennent progressivement à reconstruire l'ensemble notionnel qui constitue l'objectif de la leçon,
1. « L'enseignant commet la même erreur que celle commise fréquemment par les savants : il pense que le principe de production de l'ensemble des réponses est le principe que lui-même met en œuvre dans sa pratique d'enseignant, ou le principe que le premier élève interrogé (et qui répond correctement) met en oeuvre pour produire sa phrase [...]» ; au contraire, « à l'écrit, chaque élève se trouve dans la position du premier élève qui donne la réponse et doit donc, pour réussir, mettre en œuvre le raisonnement adéquat ». Lahire B. (1993), Culture écrite et inégalités scolaires, P.U. de Lyon, p. 161. 2. Brossard M. (1994), École et adaptation, coll. « Stablon », p. 47. 3. Brossard M. (1985), «Qu'est-ce que comprendre une leçon?» Bulletin de psychologie, n° 371. (1993), «Un cadre théorique pour aborder l'étude des élèves en situation scolaire», Enfance, sept/oct. 4. Les ethnométhodologues parlent de « marqueurs de délimitation de situations », Gumperz et les chercheurs en ethnographie de la communication, de « signaux de contextualisation », permettant de construire « les cadres à l'intérieur desquels les enfants sont en mesure d'interpréter les propos de l'instituteur». Cf. Coulon A. (1993), Ethnométhodologie et éducation, PUF. Gumperz J. (1989), Engager la conversation: introduction à la sociologie interactionnelle, Minuit, p. 122 : chap. V : « La sociologie interactionnelle dans l'étude de la scolarisation».
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en s'affranchissant de la trame discursive rituelle et des éléments contextuels mis en œuvre par le maître. Selon Brossard, beaucoup d'élèves sont incapables de dire, à la fin d'une séance, s'ils ont appris quelque chose de « nouveau » ; cette capacité de discerner la connaissance nouvelle en jeu dans la leçon se révèle liée à celle d'anticiper, en cours de leçon, la suite du déroulement '.
Il y a donc deux dimensions essentielles pour que soit possible une véritable appropriation de la notion nouvelle dont la leçon fait l'objet : que l'élève puisse adopter une « attitude anticipatrice, liée à la conscience plus ou moins claire que le discours du maître est tendu vers l'introduction de connaissances nouvelles » ; qu'il arrive à distinguer, progressivement, ces notions des contextes où elles ont commencé à se construire. Les deux aspects mettent en jeu la dimension du sens et la dimension de la durée, dont Vygotski montre bien qu'elles sont fondamentales pour l'appropriation des connaissances.
La durée comme dimension essentielle des apprentissages : répétitions, ruptures, déplacements, changements de sens
La question est donc celle des conditions qui permettent une véritable appropriation, au sens d'entrée dans un cheminement long où une notion prenne progressivement consistance, par rapport à de multiples situations, et où des réorganisations ultérieures ne soient pas bloquées par des associations trop rapides à certains contextes 2. Il faut donc que les élèves puissent sentir à la fois la continuité et la rupture : rupture au sens où il leur faut se rendre compte qu'au delà de la routine des exercices et des exemples scolaires, ils sont en train d'accéder à une connaissance nouvelle (ce qui est loin d'être évident pour beaucoup d'entre eux, comme le souligne Brossard). Continuité, « parce que les enfants ne pourront s'approprier ces connaissances nouvelles que sur la base des questions qu 'ils pourront poser quant à la pertinence des connaissances nouvelles qu'on leur propose » 3.
1. Brossard M. (1985). 2. Bateson, en particulier, insiste sur la signalisation, l'emboîtement et la transformation des contextes dans le processus d'apprentissage, à travers les séquences d'échanges entre individus, qu'il s'agisse des premiers niveaux de l'apprentissage, où la réponse est spécifique à une classe de contextes déterminée, jusqu'à des niveaux élaborés, qui consistent à transformer les éléments de ce contexte (soit en ponctuant autrement la séquence de l'expérience, au niveau II, soit en modifiant le système de possibilités dans lesquelles situer le choix des réponses, au niveau III). Bateson G. (1977), « Les catégories de l'apprentissage et de la communication », in Vers une écologie de l'esprit, t. I, Le Seuil. 3. Brossard M. (1994), p. 54.
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Vygotski théorise cette tension des apprentissages en montrant les interférences et les décalages entre plusieurs modes de connaissance qui interviennent simultanément chez l'enfant : celui des « concepts quotidiens spontanés, qui se forment dans le processus de son activité pratique et de sa communication immédiate avec l'entourage », et celui des « concepts scientifiques, qui se développent par l'assimilation d'un système de connaissances apporté à l'enfant par l'enseignant », sous forme générique et systématique l. Les concepts scientifiques bien souvent devancent l'évolution des concepts spontanés, tout en s'appuyant « sur un tissu conceptuel déjà largement élaboré » dans la réflexion quotidienne, mais il arrive souvent aussi qu'ils entrent en conflit avec eux. C'est pourquoi « au moment où l'enfant assimile ainsi, dans l'interaction avec l'adulte, une opération ou un concept, le développement de cette opération ou de ce concept ne fait que commencer ». Les notions étudiées sur le mode générique vont peu à peu acquérir un contenu concret, se différencier, se réorganiser, se détacher de l'association stéréotypée à un contexte d'apprentissage ou à une formulation, en rencontrant et en intégrant le travail d'élaboration, de différenciations et de généralisations successives que l'enfant opère en même temps à partir des concepts de son expérience vécue.
Cette approche met ainsi l'accent sur deux dimensions : celle des significations différentes que peut prendre successivement une même notion et des négociations qui permettent d'attribuer une pertinence aux objets de travail communs et de faire évoluer cette pertinence ; celle de la durée, à travers la multiplicité des situations convergentes et divergentes, qui seules permettent réellement cette élaboration et ces transformations.
La dichotomie qu'opère Vygotski entre concepts spontanés et concepts scientifiques est bien sûr trop rigide et peut être remise en cause : elle rend mal compte de la stratification des niveaux de compréhension et de formulation, aussi bien dans les savoirs appris à l'école que dans les représentations construites en dehors des apprentissages scolaires, qui sont elles-mêmes tissées de discours hétérogènes plus ou moins intégrés. Reprenant à Vygotski son idée d'intégration des connaissances dans des systèmes complexes, Vergnaud développe la notion de « champ conceptuel », qui aide à complexifier cette dichotomie, tout en gardant l'idée fondamentale d'une stratification des interprétations et d'une dynamique dans la construction progressive et la mise en relation des notions.
1. Vygotski (1986), p. 209.
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S'approprier progressivement la pertinence d'un apprentissage en cours, c'est apprendre à mieux situer les notions en question dans un « champ conceptuel », comme le dit Vergnaud, c'est-à-dire dans un ensemble organisé de relations sémantiques entre des concepts, des formulations, des situations de référence, des problèmes à résoudre l. Vygotski insiste sur cette idée d'intégration des connaissances dans des systèmes relativement vastes : les concepts ne se développent jamais seuls, par rapport à un seul type de situation, mais s'articulent à d'autres dans une gamme de situations qui mettent toujours en jeu plusieurs concepts en même temps : « L'étude du développement d'un concept suppose donc une diversité de situations de référence, une diversité de signifiés, et une diversité de signifiants. » 2 C'est pourquoi l'apprentissage n'est pas un mouvement linéaire simple du concret à l'abstrait, du particulier au général, comme on le présente souvent dans une approche inductive mécanique. Il passe par de constants mouvements de mise en contexte et de décontextualisation, de généralisation et de particularisation. Comme le montre Wallon, même l'expérience quotidienne est tissée d'énoncés génériques qu'il faut ancrer progressivement dans des contextes multiples qui leur donnent sens ; les savoirs construits par le tâtonnement doivent être progressivement mis à l'épreuve dans des contextes différents, par une suite de généralisations et de transferts. D'où la complexité des mouvements de particularisation et de généralisation et du fonctionnement des exemples dans le discours didactique, qui est beaucoup plus riche que les seuls usages d'illustration d'un principe général ou de simple support d'induction 3.
Ces va-et-vient constants entre la référence aux situations particulières et les formulations génériques ne passent pas toujours par une opposition tranchée entre formulations particulières ou concrètes et les termes généraux ou abstraits. Comme l'a souligné Vygotski, l'emploi par un élève d'un terme abstrait ne préjuge pas qu'il ait construit toutes les caractéristiques du concept que ce terme recouvre pour l'enseignant : il peut référer par là à une situation ou un objet concret, déterminé ou typique, qui lui correspond. L'extension de la représentation sémantique du terme est de ce fait partielle, ou au contraire le sens du terme est indûment généralisé, la référence est plus désignative que
1. Vergnaud G. (1987), « Les fonctions de l'action et de la symbolisation dans la formation des connaissances chez l'enfant», in Piaget J., Mounoud P., Bronckart J.-P., Psychologie, Encyclopédie de la Pléiade. 2. Cf. Vergnaud G. (1989), « La formation des concepts scientifiques chez Vygotski», Enfance, n° 1/2 : « Vygotski ». 3. Richard J.-F. (1990), « Les conditions de l'acquisition d'une connaissance nouvelle », in Les Activités mentales : comprendre, raisonner, trouver des solutions, A. Colin, p. 176. Sur le problème de l'exemple dans les interactions didactiques, Nonnon E. (1993).
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réellement construite notionnellement par ses relations ; mais une intercompréhension partielle est cependant possible, qui permet à l'enseignant de continuer, et de faire « travailler » le terme, en le mettant à l'épreuve de situations et d'énoncés plus diversifiés. Cette intercompréhension partielle permet également à l'enseignant de reprendre ce que l'élève a énoncé sur le mode de la référence déictique, en pointant tel ou tel élément d'une situation jugée partagée, et de le lui renvoyer transposé dans un mode de fonctionnement textuel et relationnel.
Inversement, le fait qu'un élève recoure à l'évocation de telle ou telle situation concrète lors du dialogue portant sur une notion ne signifie pas forcément qu'il en reste au particulier et qu'il n'est pas engagé dans un travail d'abstraction. Le raisonnement heuristique peut procéder de proche en proche, par analogie entre situations et par construction de catégories empiriques à partir de confrontations d'exemples « typiques », On est assez proche alors de ce que Vygotski appelle les concepts en « complexes », « généralisations imagées » qui sont en quelque sorte des équivalents situationnels et typifies des concepts, mais permettent également le travail commun avec des interlocuteurs dont le mode de raisonnement est différentl.
De même, ce qu'on peut viser pour les élèves est qu'ils accèdent à un «fonctionnement métaphorique » des règles dégagées, selon l'expression de Coulon. On peut comme lui, entendre par là : accéder à la capacité de jouer avec la règle, au lieu d'y adhérer selon un « usage métonymique, qui interdit l'accès au symbolique et à la multiplicité ». Ce rapport métaphorique à la règle est la condition pour interpréter et pour accéder à la multiplicité des contingences qu'ouvre son application. Cela veut dire que l'on est capable de travailler ce qu'il appelle « la praticalité de la règle » : la praticalité de la règle, « ce sont ses potentialités de mise en application, ce sont les éléments invisibles de sa mise en œuvre concrète, ce sont ses propriétés qui n 'apparaissent qu'au cours du travail qui consiste à suivre la règle ». Cette notion de praticalité est liée à la notion d'affiliation, précédemment évoquée: « Il faut partager le langage commun du groupe pour être capable de suivre une règle parce qu'on l'a transformée en problème pratique, qu 'on sait résoudre concrètement grâce aux interactions qu 'on a avec les autres. » 2 La maîtrise métaphorique d'une règle apprise, comme d'une notion, suppose donc qu'on puisse circuler entre de multiples usages et admettre du «jeu » dans sa définition et dans son rapport aux situations où elle s'ancre. Il ne s'agit pas de «posséder» la règle ou
1. (1985), p. 191. 2. Coulon A. (1993), p. 221.
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la notion sous sa forme générique, qui serait le terme ultime d'un cheminement, mais de l'intégrer comme un problème pratique qui se pose dans de multiples situations : ce peut être une autre façon de concevoir la généralisation. Mais ce mode de généralisation peut procéder également de proche en proche, par des jeux d'analogie et de renvoi métaphorique entre situations ou entre referents l.
Les formulations particulières et la référence à des situations concrètes peuvent donc avoir de multiples fonctions et correspondre à des degrés très variés dans les processus de généralisation et de parti-cularisation. On retrouve ici les grands types d'opérations logico-dis-cursives que Grize décrit pour rendre compte de la construction des objets de discours dans la logique quotidienne des communications verbales 2 :
- multiplication de références permettant de donner un ancrage et un contenu sémantique à la notion, d'élargir son extension, en inventoriant des contextes d'emploi, des points de vue, des connexions avec d'autres concepts ou d'autres champs de référence — introduction d'exemples qui constituent des perturbations dans la construction initiale, qui obligent à dissocier la notion ou la réorganiser à un autre niveau, pour pouvoir résoudrela contradiction. C'est souvent sous forme situationnelle, par rapport à un contre-exemple réel ou imaginé, que sont amenés les réfutations ou les changements d'angle d'attaque d'un problème, qui obligent à complexifier ou à recomposer un acquis, à chercher des causes, à distinguer les constantes et les variables... L'évocation d'un exemple « typique » par les élèves peut ainsi avoir une fonction d'objection, ou d'ouverture sur un aspect non encore abordé du problème, fonctionner implicitement comme une question, une ouverture thématique ou comme une hypothèse « en situation » 3 ;
- construction de catégories ou de règles plus générales permettant d'intégrer plusieurs situations ou referents apparemment distants, et réciproquement ancrage de ces catégories et de ces règles dans des situations diversifiées, ce qui ouvre les possibilités de jeu dans la définition et de déplacement des catégories, etc.
1. Vergnaud dit que certaines situations connues peuvent servir de signifiant pour aborder des situations ou des notions nouvelles. Sur la fonction de l'analogie dans l'appréhension de nouvelles connaissances, Gineste M.-D. (1984), « Les analogies, modèles pour l'appréhension de nouvelles connaissances», L'Année psychologique, n" 84. 2. Borel M.-J., Grize J.-B. (1984), Sémiologie du raisonnement, P. Lang. Grize J.-B. (1990), Logique et langage, Orphys. 3. Sur le fonctionnement hypothétique des exemples typiques, réels ou imaginés, proposés par les élèves, voir Nonnon E. (1993).
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Pouvoir dégager explicitement l'invariant qui permet de rapprocher les contextes, les variables que différentes situations parentes permettent d'envisager, expliciter en quoi tel exemple hypothétique oblige à adopter un autre point de vue et à transformer la notion provisoirement élaborée, est un long travail de confrontations et de rapprochements entre situations, de formulation, de reformulation et de confrontation entre formulations. Il passe par de multiples dénivellations et seuils dans le discours, qui marquent le passage d'un plan de généralité à un autre, d'un usage strictement référentiel d'une situation à un usage métaphorique ou hypothétique, du constat à la question, au commentaire, à la conclusion. Ces fonctionnements discursifs sont à mieux connaître et c'est un véritable chantier pour le linguiste, comme pour l'enseignant. Ces dénivellations sont souvent prises en charge par l'enseignant, à travers des reformulations successives de son propre discours ou de ce que disent les élèves ; mais certaines sont mises en œuvre, plus ou moins explicitement, par les élèves eux-mêmes, et il est important de s'appuyer sur elles.
Dans une telle approche, le problème du temps de l'apprentissage est fondamental. Dans la mesure où les connaissances proposées ne sont pas des unités successives à maîtriser en termes de tout ou rien, mais des champs complexes dont les relations se construisent par une suite de rectifications, de transformations et de réorganisations, la plupart des apprentissages scolaires se déroulent sur une longue période de temps. Il est donc raisonnable, comme le rappelle Perrenoud, de ne pas trop se centrer sur la recherche de la situation didactique ' permettant à elle seule de faire franchir un seuil, par l'aménagement de l'obstacle ou des conditions du conflit sociocognitif, mais plutôt de penser, sur un long terme, un ensemble empirique de reprises, de déplacements, de reformulations de niveaux différents, des mêmes activités dans des contextes différents, pour permettre à chacun de déployer cette histoire forcément longue, non linéaire de l'appropriation et des réappropriations d'une notion. Peut-être est-ce alors la fréquence de ces interactions, leur variété qui feraient peu à peu évoluer les compétences, plus que la qualité intrinsèque de chacune prise séparément. Parlant du travail de verbalisation et d'échanges, il défend, face à une approche rationaliste, une approche plus « statistique » de l'interaction, qui « oblige à renoncer au perfectionnisme caractérisant souvent l'école, donc aussi au fantasme de vouloir tout prévoir, tout contrôler, tout corriger: il s'agit alors de concevoir des situations
1. Perrenoud P., in Wirthner M., Martin D., Perrenoud P. (1991), Parole étouffée, parole libérée, fondements et limites d'une pédagogie de l'oral, Delachaux et Niestlé.
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peut-être moins riches, mais beaucoup plus nombreuses l ». C'est peut-être cela qui constitue l'appropriation d'une culture et l'entrée dans un champ disciplinaire : la mémoire d'une multitude d'interactions et de leurs effets, permettant d'établir des attentes, des rapports entre réalités parentes et distantes, des formes de contrôle et des objets d'intérêt cognitif communs, constituant la culture de groupes au sein de contextes institutionnels stables 2.
La coutume, les disciplines et le métier d'élève : la dimension épistémologique du travail scolaire quotidien
On voit donc comment le fonctionnement coutumier évoqué précédemment est ambivalent.
À la fois il peut masquer les véritables enjeux et contraintes de l'apprentissage, en lui substituant des rituels et des tractations externes à l'activité cognitive que suppose cet apprentissage. Il peut aplatir les différentes notions ou contenus en jeu en gommant aux yeux des élèves, comme le montre Brossard, la nouveauté et la spécificité des contenus, la nécessité de s'aventurer dans-l'anticipation, dans le jeu et
- l e déplacement des acquis, et de les intégrer comme principes et « règles praticables », selon l'expression de Coulon. Cet aplatissement dans la coutume se manifeste ainsi dans l'incapacité de beaucoup d'élèves de situer, même intuitivement, le champ et les enjeux d'une discipline scolaire, comme le montrent les collégiens proposant des listes, des rites et des emplois du temps pour rendre compte du travail qu'ils font à l'école. Chariot et Bautier analysant des entretiens d'écoliers ou de collégiens interrogés sur cette question montrent qu'il y a un lien, dans les discours des élèves, entre la capacité de se dire en activité dans le travail scolaire (je travaille tel et tel point, je cherche comment) et la capacité d'identification des contenus de savoirs propres aux disciplines scolaires. Au contraire, d'autres élèves n'ont qu'une entrée globalisante dans les disciplines et les savoirs (bien travailler, aller à l'école) et souvent fortement médiatisée par le rapport personnel (positif ou négatif) avec l'enseignant : « L'appréhension du sens d'une discipline, de son fonctionnement, l'identification des objets de savoir et l'activité des élèves semblent donc aller de pair et
1. Perrenoud P. (1988), «De l'école active à l'école interactive», in CRESAS: On n'apprend pas tout seul. Interactions sociales et construction des savoirs, ESF. 2. Analysant les différents niveaux d'intervention de l'activité sociale dans l'apprentissage culturel, Hinde insiste sur la nécessité de ne pas réduire le social à l'interaction et de prendre en compte le long terme. Hinde R., Perret-Clermont A.-N., Stevenson J. (1988), Relations interpersonnelles et développement des savoirs, Del val.
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avoir fortement à voir avec la réussite des élèves . » Par ailleurs, il est certain que les coutumes, parce qu'elles sont implicites et mettent en jeu des savoirs invisibles très complexes, sont des lieux d'exclusion et constituent des médiateurs fins de l'échec et de la marginalisation de certains enfants, incapables, comme le montrent Gumperz et l'ethnographie de la communication, de cadrer les activités en cours de la même façon que l'enseignant et les autres élèves.
Et, en même temps, cette dimension coutumière est non seulement inévitable, mais constitutive d'une bonne partie des apprentissages. L'élève n'est pas seulement un «apprenant» au sens d'un individu engagé dans une pure aventure cognitive, mais « un élève », c'est-à-dire un membre d'une société scolaire qui à travers cette intégration à un groupe, à travers l'acculturation à la culture de l'école et de sa filière scolaire, s'approprie des outils d'« intégration logique », comme disent Bourdieu et Perrenoud, et des objets d'attention et de valeur communs, qui constitueront la base du terrain de rencontre et d'entente intellectuelles possibles défini par son groupe social. Aussi bien les procédures attendues que les objets disciplinaires se constituent dans cet ensemble d'interactions.
Concernant les opérations intellectuelles, A.-N. Perret-Clermont, par exemple, a pris distance par rapport au modèle expérimental et structural des premières recherches sur le conflit sociocognitif, et a mis de plus en plus l'accent sur l'importance, dans l'apprentissage, des processus sociaux d'interprétation des situations et des comportements, de négociation sur leur valeur et sur les relations qu'entretiennent le logique et le symbolique 2. Ce qui pose le problème de la nature même de ces progrès : dans la marche à l'abstraction, plutôt que des structures qui seraient apprises ou construites par le sujet, « ne s'agit-il pas d'algorithmes de réponses qui s'autonomisent éventuellement peu à peu », mais qui supposent, en tout état de cause, « la modélisation d'une forme de relation sociale » construite progressivement, « à partir d'un ensemble de conduites relationnelles particulières, dans un répertoire de situations apparentées 3 ? ». Il n'est pas dévalo-
1. Chariot B., Bautier E., Rochex. J.-Y. (1992), École et savoir dans les banlieues et ailleurs, A. Colin, p. 204. 2. Par exemple, analysant des protocoles de passation de tests, elle montre que les situations répétées auxquelles l'enfant est amené à faire face ne servent pas seulement de révélateur de son évolution, elles ont une valeur d'apprentissage social dans le temps: il apprend à identifier, à situer l'opération logique et le statut de discours attendu, et les ajuste dans l'interaction. Perret-Clermont A.-N. (1990), «Contexte social du questionnement et modalités d'explication», Cahiers d'acquisition et de pathologie du langage, n° 7/8 : « Le jeune enfant et l'explication ». 3. « Peut-on dire qu'il s'est créé là une dynamique développementale au niveau des structures profondes de la pensée de l'enfant ? Ou bien s'agit-il, plus simplement, de la mise en place de
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lisant de concevoir les instruments cognitifs « comme des artefacts culturels construits dans l'interaction, par des groupes sociaux, en réponse à des enjeux et au sein de relations sociales particulières », plutôt que comme structures générales ou comme opérations internes au sujet, mais se pose évidemment la question du transfert et de l'au-tonomisation possible de ces instruments, à partir du répertoire initial.
Concernant les connaissances, les interactions contribuent à définir le statut et la valeur d'un certain nombre d'objets, de démarches et de valeurs propres aux disciplines. Que ces disciplines et ces connaissances aient une part d'arbitraire, qu'elles se transmettent en partie par des rites, paraît difficilement evitable, inséparable de leur fonction : comme le montre Chervel, l'évolution des connaissances et du rapport aux connaissances, amenant récemment la constitution de la notion de discipline scolaire, a donné aux savoirs eux-mêmes la fonction de « discipliner » l'esprit, de lui fournir des règles pour aborder différents domaines de pensée '. Ce découpage en champs de savoirs qui ont leur histoire et leur logique interne est, selon Bernstein, d'autant plus structuré que l'enseignement se situe à un statut élevé dans la hiérarchie scolaire, et vise à long terme des apprentissages plus abstraits et créatifs 2. C'est en général au bas de la hiérarchie scolaire que l'on pratique les « codes intégrés », où les différentes matières sont « subordonnées à une idée commune définissant leur interrelations, qui estompe les frontières qui les séparent» 3.
schemes de raisonnement qui peuvent être utiles, notamment lorsqu'ils sont rappelés dans d'autres cas défigure analogues, mais qui ne sont, dans le fond, que les artefacts du marquage de cette situation particulière ? Certes, ces artefacts sont des instruments cognitifs .formulés, ils acquièrent une certaine indépendance. Mais ils sont d'ordre culturel, parce que construits dans l'intersubjectivité des locuteurs, et non pas produits par une créativité endogène à l'individu. » Perret-Clermont A.-N. (1988), Interagir et connaître, Del Val, p. 272. 1. Chervel A. (1988), « L'histoire des disciplines scolaires», Histoire de l'éducation, n° 38. 2. Ce qu'il appelle des « codes-série », caractéristiques de l'enseignement secondaire et des « bonnes classes ». « Le concept clé de la forme européenne du code-série, c'est la discipline : les élèves apprennent à travailler selon un système de découpage déterminé, en particulier ils apprennent quelles sont les questions que l'on peut poser aux différents moments des cours... En un sens, le savoir scolaire est un savoir non familier, affranchi des circonstances particulières et locales par le truchement des langages explicites des diverses sciences... Le système de découpage des codes-série inculque très tôt à l'enfant des coupures conceptuelles qui découragent l'établissement de relations avec les réalités quotidiennes, ou, du moins, qui filtrent très sévèrement les connexions de ce genre. » C'est par la suite, « à mesure qu'on s'élève dans la carrière scolaire, que la rigidité du système de découpage s'atténue progressivement : seule la minorité qui a fait la preuve d'une socialisation réussie peut accéder à ce système assoupli ». Bernstein B. (1975), « Sur les formes de classification et le découpage du savoir dans les systèmes d'enseignement», in Langage et classes sociales, Éditions de Minuit, p. 281.
3. (1975), p. 272. « Lorsqu'on assouplit ce système de découpage, pour accueillir dans l'enseignement des réalités quotidiennes, c'est souvent — et cette démarche réussit parfois — dans un but qui n 'est pas simplement de transmission de savoir scolaire, mais de régulation de formes particulières de déviance : cela s'observe d'ordinaire avec ¡es enfants les moins « capables », que nous avons renoncé à éduquer. »
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Le premier problème qui se pose est celui du sens que peuvent avoir pour les élèves ces apprentissages non familiers. Une dimension importante en est la possibilité pour l'élève de percevoir, même intuitivement, ce qui fait, au-delà des rites, la cohérence et la tension des différents objets de travail que l'on appelle, dans le monde scolaire, une discipline. Selon Develay, une discipline scolaire est constituée par « une matrice qui la constitue en tant qu'unité épistémologique », lui donne sa cohérence et son «principe d'intelligibilité », en « intégrant quatre éléments constitutifs : des objets qui lui sont spécifiques, des tâches qu'elle permet d'effectuer, des savoirs déclaratifs dont elle vise l'appropriation, des savoirs procéduraux dont elle réclame la maîtrise ]». Or, cette notion de discipline paraît souvent faussement évidente à l'enseignant, qui perçoit mal à quel point découpages et matrices disciplinaires sont historiquement construits et évolutifs. Il voit parfois mal combien les questions et les enjeux qui unifient sa discipline ont besoin d'être rendus sensibles et explicités aux yeux des élèves, même avec des enfants très jeunes, et d'autant plus qu'il s'agit d'élèves culturellement distants de l'école 2. « Les disciplines apparaissent alors aux élèves comme constituées de contenus sans liens forts, les uns avec les autres. L'idée même de discipline ne les renvoie que rarement à une logique qui architecturerait l'ensemble des savoirs scolaires 3. » Vygotski insistait beaucoup sur cette dimension du travail intellectuel en commun qu'est la mise en mouvement des « mobiles de la pensée », et en particulier des enjeux, des valeurs et des questions. Qu'il s'agisse d'un cours ou d'une activité de recherche proposée aux élèves, le problème est, de ce point de vue, le même : rendre sensibles les enjeux, articuler les connaissances à des questions en évolution, éclairer comment procède la recherche de connaissance « en mouvement », poser des jalons pour des réorganisations ultérieures.
En particulier, comme le montre Develay, « c'est la nature du questionnement sur le donné qui inscrit ce dernier dans la logique d'une approche disciplinaire, plutôt que dans une autre », c'est pourquoi « une discipline d'enseignement, pour qu'elle apparaisse dans sa spécificité, devrait être enseignée comme réponse à des questions 4 ». D'où l'importance de négocier le plus explicitement possible ces questions, les tâches propres à la discipline qui les font surgir et évoluer, et le lien des connaissances à ces questions. Mais également, rendre le plus clair possible, aux yeux des élèves, le « contrat disciplinaire »
1. Develay M. (1992), De l'apprentissage à l'enseignement, ESF, p. 34. 2. Comme le montrent les entretiens précédemment cités de B. Chariot et E. Bautier (1992). 3. Develay (1992), p. 16. 4. (1992), p. 34
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suppose que l'enseignant soit capable de ne pas les laisser se perdre dans un kaléidoscope de situations circonstancielles et de savoirs de détail, et de les aider à identifier, à des niveaux différents selon leur cheminement, quelles sont les notions qui englobent les faits et situations successives, et le lien de ces notions aux problèmes qu'on se pose. Cela suppose évidemment aussi que, au-delà des programmes et des listes de capacités, chaque enseignant soit lui-même au clair sur ce que les didacticiens des sciences appellent les « concepts intégrateurs » centraux pour la définition de sa discipline, à une étape d'enseignement donnée. La notion de « champ conceptuel », précédemment évoquée, évoque aussi l'idée qu'il s'agit plus d'un tissu complexe de relations entre des concepts qui se donnent sens l'un à l'autre que d'une succession linéaire de savoirs délimités et successifs que l'on pourrait oublier au fur et à mesure.
Cette dimension des choix épistémologiques se manifeste à chaque instant dans le tissu le plus quotidien et apparemment le plus rituel des échanges scolaires : comment un enseignant rend-il sensibles les questions auxquelles répondent, provisoirement, les connaissances en construction, comment les déplace-t-il ? Selon quelles modalités et quelles formes de verbalisation signifie-t-il la hiérarchisation des données travaillées et leur intégration à des notions plus englobantes? Comment signale-t-il la dimension de nouveauté, dont parlait Brassard, et en même temps le rapport à des notions ou des situations déjà abordées ? Comment montre-t-il que la reprise des mêmes questions ou des mêmes notions à des moments différents n'est pas une répétition périodique du même, mais correspond à un déplacement des questions et des registres de formulation, à une façon de donner un nouveau sens aux éléments connus ? Ces questions se posent, quelles que soient les modalités d'enseignement adoptées. L'enseignement transmissif peut être efficace quand il a trouvé des stratégies pour les affronter et y répondre au moins partiellement, et par ailleurs une pédagogie axée sur l'activité et l'autonomie des élèves doit également mettre en place des changements de niveaux de formulation, des sauts notionnels que le tâtonnement seul ne permet pas, des formalisations décontextualisées dans un langage arbitraire.
Les activités discursives de l'enseignant et des élèves, par lesquelles se réalise cette dynamique significative, sont donc très complexes et subtiles ; dans tous les cas, elles nécessitent un ajustement et une créativité de part et d'autre, elles sont risquées et susceptibles de malentendus. Les compétences en jeu sont multiples, et en particulier, on ne peut y séparer la dimension épistémologique, au sens d'une épis-témologie scolaire (la définition des savoirs travaillés, leur statut et leurs enjeux), et la dimension sociale et culturelle, au sens des codes,
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des significations et des rôles qui se négocient dans l'interaction. Sur les deux plans, aussi bien sur le plan de la définition epistemologique des niveaux de formulation que sur celui du cadrage des situations scolaires et des tâches scolaires, cette compétence inclut un rapport au temps, à une durée longue qui est à la fois répétitive et joue sur la création de nouveauté et de transformations. Une maîtrise didactique disciplinaire technique et précise est certes nécessaire pour définir de façon rigoureuse les questions fondatrices, les concepts intégrateurs et les niveaux de formulation, ainsi que les éléments des situations qui permettent de les appréhender. Mais il est surtout indispensable qu'elle garde une juste distance epistemologique, qui lui permette de sentir l'arbitraire et l'aspect créatif de sa discipline, à quel point elle ne va pas de soi et doit faire l'enjeu d'une négociation, d'une mobilisation pour que les enfants s'engagent dans ce voyage. À ce point, la compétence disciplinaire peut converger avec la prise en compte attentive des interprétations et des processus culturels d'affiliation et d'exclusion en jeu dans le quotidien des échanges. Elle peut aussi renoncer à l'illusion d'une rationalité et d'une maîtrise totales, pour consentir à la durée, l'hétérogénéité, au bricolage, et même pour tenter d'en rendre compte.-
Dans l'enseignement collectif, la multiplicité des histoires d'apprentissage d'une notion selon les individus redouble la pluralité des logiques d'apprentissage chez chacun. La nécessité subsiste que chacun s'acculture à une histoire commune, un réfèrent commun d'objets de connaissances ; mais il est inévitable que cette acculturation s'opère selon un cheminement spiralaire où ces objets communs d'attention ne signifient pas forcément la même chose pour tous au même moment. Il est fondamental que ce cheminement hétérogène puisse se faire, non dans l'éclatement des parcours individuels, mais par la multiplicité des situations parentes, convergentes mais décalées, reprises et reformulées à plusieurs niveaux, pour permettre à chacun ces mouvements de contextualisation et de decontextualisation, au niveau de construction de la notion où chacun en est arrivé.
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INFORMATIONS
Bibliographie sur la « pédagogie différenciée »
Christiane HUBERT
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pédagogie différenciée, école et apprentissage
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Psychologie et pédagogie différenciée
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achevé d'imprimer sur les presses de l'imprimerie btalec S.A.
54000 nancy, en mars 1995
d.l. n° 41586 - 1er trim. 1995
COMITÉ DE RÉDACTION
— J.-F. BOTREL, Directeur de l'INRP.
— B. CHAPELAIN, Chercheur, département « Technologies nouvelles et éducation », INRP.
— J. COLOMB, Directeur du département « Didactiques des disciplines », INRP.
— F. CULLIER, Professeur, IUFM de Rouen, Centre d'Evreux.
— N. LANTIER, Chercheur, département « Politiques, pratiques et acteurs de l'éducation », INRP.
— J.-C. LEBRETON, Service des Publications, INRP.
— G. PERROT, Professeur, IUFM de Versailles, Centre de Saint-Germain-en-Laye.
— P. SAVOIE, Chercheur, département <> Mémoire de l'éducation », INRP.
— B. VECK, Chercheur, département « Didactiques des disciplines », INRP.
CHACUN, TOUS... DIFFÉREMMENT Différenciation en Mathématiques au cycle des apprentissages
La Boîte noire, le Nombre-cible, Maisons à construire, Monnaie, le Jeu du banquier, Partages... : autant d'activités proposées pour les premiers apprentissages mathématiques, en grande section, au CP et au CE1.
Des modalités de différenciation sont proposées pour deux objectifs fondamentaux, la maîtrise de la distinction entre valeur et quantité, la découverte du pouvoir d'anticipation que donnent les nombres.
Les problèmes de partages, visant à ce que les élèves apprennent à chercher, fournissent également l'occasion de mettre en œuvre des situations différenciées.
Cet ouvrage issu d'une recherche à laquelle ont participé des instituteurs, des maîtres formateurs et des enseignants d'IUFM, contribue à apporter des éléments de réponse à une double interrogation : - En quoi la didactique peut-elle contribuer à une amélioration de l'enseignement des mathématiques à l'école primaire conçu dans la perspective des cycles ? - Quels outils, quelles méthodes, quels dispositifs propose-t-elle aux enseignants de mettre en œuvre pour aider les élèves en difficulté tout en continuant à gérer les apprentissages de l'ensemble des élèves qui sont confiés à l'école ?
Également disponibles :
Construction de savoirs mathématiques au collège Coll. Rencontres pédagogiques, n° 30. 1991 -103 p. Réf. : CP 030 ISBN 2-7342-0297-2 65 F Comment font-ils ? L'écolier et le problème des mathématiques Coll. Rencontres Pédagogiques, n° 4, 1984 -128 p. Réf. : CP 005 ISBN 2-7342-0052-X 61 F En mathématiques... peut mieux faire Coll. Rencontres Pédagogiques, n° 12, 1986 -128 p. Réf. : CP 012 ISBN 2-7342-0126-7 61 F Un, deux... beaucoup, passionnément ! Les enfants et les nombres Coll. Rencontres Pédagogiques, n° 21. 1988 - 2e éd., 1989 -128 p. Réf. : CP 021 ISBN 2-7342-0193-3 61 F
Institut National de Recherche Pédagogique 29, rue d'Ulm, 75230 PARIS CEDEX 05 - Tél. (1) 46 34 90 00
ISBN : 2-7342-0457-9
Réf. : 009 CP 034
95 F t.t.c. 9