De l’intérêt du profilage cytochromique en psychiatrie : à propos de trois situations...

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Communications De l’inte ´ re ˆt du profilage cytochromique en psychiatrie : a ` propos de trois situations cliniques Standing of cytochrome-P450 profiling in psychiatry: About three clinical situations Pierrette Estingoy a, *, Mourad Mersni b , Asma Ben Houidi c a Poˆle intersectoriel de soins et de re ´habilitation, centre hospitalier Saint-Jean-de-Dieu, 290, route de Vienne, 69008 Lyon, France b Service de me ´decine et de psychiatrie pe ´nitentiaire (SMPP), centre hospitalier universitaire Vaudois (CHUV), Lausanne, Suisse c Tunisie Annales Me ´ dico-Psychologiques 172 (2014) 558–562 INFO ARTICLE Historique de l’article : Disponible sur Internet le 6 septembre 2014 Mots cle ´s : Cytochrome P-450 PGP Ge ´ notypage Iatroge ´ nie Pharmacoge ´ne ´ tique Psychopharmacologie Keywords: Cytochrome P-450 PGP Genotyping Iatrogeny Pharmacogenetics Psychopharmacology RE ´ SUME ´ La re ´ ponse positive a ` un me ´ dicament, et particulie ` rement aux psychotropes, de ´ pend de son action biochimique, mais aussi de la re ´ action ou de la modulation de l’organisme receveur face a ` cette mole ´ cule et a ` ses proprie ´ te ´ s. En effet, le me ´ tabolisme des me ´ dicaments est tre ` s fluctuant d’un individu a ` l’autre. Il re ´ sulte notamment des variantes ge ´ ne ´ tiques du cytochrome-P450, lesquelles peuvent se traduire par des profils me ´ taboliseurs anormalement rapides ou lents selon les mole ´ cules utilise ´ es. Or cette variabilite ´ individuelle concerne jusqu’a ` un patient sur cinq et, dans la pratique quotidienne du psychiatre, cela peut se traduire en termes d’efficacite ´, de tole ´ rance, ou pire, de sympto ˆmes d’origine iatroge ` ne. Apre `s avoir fait une courte synthe ` se sur les connaissances actuelles autour de la question, l’auteur propose de l’illustrer par trois situations de pratique courante de psychiatrie avec des patients porteurs de troubles thymiques atypiques avec des sympto ˆ mes e ´ voquant les signes ne ´ gatifs d’une psychose. Il apparaı ˆt alors que l’analyse de l’histoire clinico-pharmacologique permet de poser l’hypothe ` se d’effets secondaires dans le cas d’une variation me ´ tabolique individuelle et d’adapter un traitement efficace et bien tole ´ re ´. Ces trois situations illustrent l’inte ´ re ˆt du ge ´ notypage individuel pour le cytochrome-P450 dans la pratique quotidienne de la psychiatrie, ou du moins, combien la prise en compte de telles variations possibles est de ´ terminante pour justifier de nouvelles strate ´ gies psychopharmacologiques. ß 2014 Publie ´ par Elsevier Masson SAS. ABSTRACT A successful drug treatment, and particularly psychotropic medication, depends on its biochemical action. Moreover, it varies according to reaction or modulation of the target organism with this molecule and its properties. Indeed, drug metabolism is very fluctuating from one individual to another. It follows in particular genetic variants of cytochrome-P450, which may result in abnormally fast or slow metabolizers profiles depending on the molecules used. However, this individual variability relates near one for five patients, and in the daily practice of a psychiatrist, it can be translated in terms of efficacy, safety, or worse like iatrogenic symptoms. After a short summary of current knowledge on the issue, the authors propose to illustrate three situations. It is current practice for three patients with mood disorders and atypical symptoms like negative symptoms of psychosis. It appears that the analysis of clinico- pharmacological history allows the hypothesis of side effects in the case of an individual with metabolic changes before to find an effective and well-tolerated treatment. These three situations illustrate the interest of the individual genotyping for cytochrome-P450 in daily practice of psychiatry, or, at least, how the inclusion of such possible variations is critical to justify psychopharmacological new strategies. ß 2014 Published by Elsevier Masson SAS. * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (P. Estingoy). Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2014.07.001 0003-4487/$ – see front matterß 2014 Publie ´ par Elsevier Masson SAS.

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Annales Medico-Psychologiques 172 (2014) 558–562

Disponible en ligne sur

ScienceDirectwww.sciencedirect.com

Communications

De l’interet du profilage cytochromique

en psychiatrie : a propos de trois situations cliniques

Standing of cytochrome-P450 profiling in psychiatry: About three clinical situations

Pierrette Estingoy a,*, Mourad Mersni b, Asma Ben Houidi c

a Pole intersectoriel de soins et de rehabilitation, centre hospitalier Saint-Jean-de-Dieu, 290, route de Vienne, 69008 Lyon, Franceb Service de medecine et de psychiatrie penitentiaire (SMPP), centre hospitalier universitaire Vaudois (CHUV), Lausanne, Suissec Tunisie

I N F O A R T I C L E

Historique de l’article :

Disponible sur Internet le 6 septembre 2014

Mots cles :

Cytochrome P-450 PGP

Genotypage

Iatrogenie

Pharmacogenetique

Psychopharmacologie

Keywords:

Cytochrome P-450 PGP

Genotyping

Iatrogeny

Pharmacogenetics

Psychopharmacology

R E S U M E

La reponse positive a un medicament, et particulierement aux psychotropes, depend de son action

biochimique, mais aussi de la reaction ou de la modulation de l’organisme receveur face a cette molecule

et a ses proprietes. En effet, le metabolisme des medicaments est tres fluctuant d’un individu a l’autre. Il

resulte notamment des variantes genetiques du cytochrome-P450, lesquelles peuvent se traduire par des

profils metaboliseurs anormalement rapides ou lents selon les molecules utilisees. Or cette variabilite

individuelle concerne jusqu’a un patient sur cinq et, dans la pratique quotidienne du psychiatre, cela

peut se traduire en termes d’efficacite, de tolerance, ou pire, de symptomes d’origine iatrogene. Apres

avoir fait une courte synthese sur les connaissances actuelles autour de la question, l’auteur propose de

l’illustrer par trois situations de pratique courante de psychiatrie avec des patients porteurs de troubles

thymiques atypiques avec des symptomes evoquant les signes negatifs d’une psychose. Il apparaıt alors

que l’analyse de l’histoire clinico-pharmacologique permet de poser l’hypothese d’effets secondaires

dans le cas d’une variation metabolique individuelle et d’adapter un traitement efficace et bien tolere.

Ces trois situations illustrent l’interet du genotypage individuel pour le cytochrome-P450 dans la

pratique quotidienne de la psychiatrie, ou du moins, combien la prise en compte de telles variations

possibles est determinante pour justifier de nouvelles strategies psychopharmacologiques.

� 2014 Publie par Elsevier Masson SAS.

A B S T R A C T

A successful drug treatment, and particularly psychotropic medication, depends on its biochemical

action. Moreover, it varies according to reaction or modulation of the target organism with this molecule

and its properties. Indeed, drug metabolism is very fluctuating from one individual to another. It follows

in particular genetic variants of cytochrome-P450, which may result in abnormally fast or slow

metabolizers profiles depending on the molecules used. However, this individual variability relates near

one for five patients, and in the daily practice of a psychiatrist, it can be translated in terms of efficacy,

safety, or worse like iatrogenic symptoms. After a short summary of current knowledge on the issue, the

authors propose to illustrate three situations. It is current practice for three patients with mood disorders

and atypical symptoms like negative symptoms of psychosis. It appears that the analysis of clinico-

pharmacological history allows the hypothesis of side effects in the case of an individual with metabolic

changes before to find an effective and well-tolerated treatment. These three situations illustrate the

interest of the individual genotyping for cytochrome-P450 in daily practice of psychiatry, or, at least,

how the inclusion of such possible variations is critical to justify psychopharmacological new strategies.

� 2014 Published by Elsevier Masson SAS.

* Auteur correspondant.

Adresse e-mail : [email protected] (P. Estingoy).

http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2014.07.001

0003-4487/$ – see front matter� 2014 Publie par Elsevier Masson SAS.

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Tableau 1Exemple du CYP2D6*4.

Les familles = 1er chiffre (CYP 2)

Les sous-familles = lettre (CYP2 D)

Les iso-enzymes = 2e chiffre (CYP2D 6)

Les variantes alleliques = * 3e chiffre (CYP2D6 *4)

P. Estingoy et al. / Annales Medico-Psychologiques 172 (2014) 558–562 559

En hommage a Patrick Briant,Psychiatre et praticien hospitalier lyonnais,

Correspondant national de la Societe Medico Psychologique,Qui a consacre sa carriere a defendre l’approche rationnelle de la

psychopharmacologie.

1. Introduction

La reponse a un traitement medicamenteux depend autant deson activite biologique cible, ou pharmacodynamique, qu’aux voiesimpliquees dans son absorption, sa distribution et son excretion,ou pharmacocinetique. Celle-ci resulte des reactions particulieresde chaque organisme face a une molecule donnee et peut etreeclairee par la pharmacogenetique. En effet, cette nouvelleapproche explique pourquoi le metabolisme des medicaments,tres different d’un individu a l’autre, meriterait d’etre davantageinvestigue en psychiatrie [5].

Pour de nombreux psychotropes, l’efficacite et la tolerancedependent des variantes genetiques du cytochrome-P450. Chez lespersonnes au profil dit « metaboliseur lent », les doses habituellesde neuroleptiques ou d’antipsychotiques atypiques peuvent alorsgenerer des effets secondaires neuromusculaires ou psychiques,parfois similaires aux symptomes de la maladie, ce qui incite aaugmenter les doses ou a additionner des traitements avec unesituation qui empire de facon inexpliquee. Il devient alors difficilede faire la difference entre un patient presentant des symptomesnegatifs d’un trouble du spectre schizophrenique et un patientayant presente des troubles de l’humeur atypiques en surdosagemedicamenteux en raison d’un metabolisme lent [4].

Si l’on tient compte de la variabilite naturelle de ce metabo-lisme, l’une des strategies psychopharmacologiques deja large-ment usitee a l’aveugle consiste alors a proposer une fenetretherapeutique avec reintroduction douce d’une medication plusadequate. Un recours au dosage serique des medicaments estegalement d’usage courant, mais celui-ci ne reflete qu’imparfaite-ment la realite metabolique intracellulaire et la biodisponibilitedes molecules actives.

Apres avoir fait un rappel simplifie sur la reponse metaboliqueindividuelle aux medicaments et sur le role particulier descytochromes P450 sur la plupart des psychotropes, nous defen-drons l’importance de mener une strategie personnalisee enpsychopharmacologique, notamment dans le cas d’une hypothesede trouble metabolique d’origine genetique, a la lumiere de troissituations cliniques de psychiatrie courante.

2. Rappels theoriques

2.1. Metabolisme des medicaments et reponse individuelle

Apres absorption par l’organisme, le metabolisme des medica-ments se decline classiquement selon deux etapes simplifiees parla formule suivante commune aux biotransformations desxenobiotiques : RH => R–OH => R–OX.

Dans la premiere phase se deroulent les reactions defonctionnalisation : oxydation, reduction, hydrolyse. Dans ladeuxieme phase se produisent les reactions de conjugaison avecun compose endogene : glucuroconjugaison, glutathion, acetyl-conjugaison, sulfconjugaison, methylconjugaison ou conjugaisonaux acides amines. De tres nombreuses molecules enzymatiquesconcourent a ces mecanismes. Les cytochromes P450, principauxcatalyseurs des reactions d’oxydation de la phase 1, contribuent amoduler l’impact therapeutique des psychotropes en raison d’unegrande variete d’expression interindividuelle.

Ensuite, les mecanismes d’efflux, notamment sous la depen-dance de la P-Glycoproteine (PGP), interviennent afin d’expulser

hors de la cellule de nombreuses molecules. Ce transporteurtransmembranaire est present sur les enterocytes, les celluleshepatiques, les cellules renales, sur la barriere hemato-encepha-lique. Code par le gene ABCB1/MDR1 pour lequel il a ete decrit unecinquantaine de polymorphismes [14], il influence aussi labiodisponibilite intracellulaire des medicaments. Ainsi, uneexpression maximale de la PGP (trop d’expulsion) pourrait semanifester par une resistance therapeutique tandis qu’uneexpression minimale de la PGP (retention) serait responsabled’une intolerance avec effets secondaires majores.

Enfin, la complexite de ces phenomenes vient aussi du faitqu’un medicament peut etre administre, soit sous forme directe-ment active ou soit sous forme inactive (pro-medicament) avantd’etre metabolise et elimine (metabolite) sous forme inactive,active ou meme toxique.

2.2. L’influence des CYP sur l’action des psychotropes

Les cytochromes P450 (CYP) sont des hemoproteines micro-somiales decouvertes en 1963 par deux Japonais, Omurat et Sato[9]. Leur denomination fait reference a leur propriete pigmentaireet a leur spectre d’absorption de la lumiere situe a une longueurd’onde de 450 nanometres. Localise pour l’essentiel dans lereticulum endoplasmique lisse des hepatocytes et des enterocytesde l’intestin grele, ce groupe d’iso-enzymes catalyse l’oxydation oula reduction de substances lipophiles endogenes ou exogenes.Transformees en molecules hydrophiles, celles-ci peuvent alorsetre eliminees par voie renale.

L’implication physiologique des CYP concerne de tres nom-breux domaines, le metabolisme des acides gras, du cholesterol, dela vitamine D, des hormones steroıdes, la detoxication du tabac,des polluants ou des pesticides, mais aussi la mise en jeu de lacarcinogenese. En pharmacologie, ils interviennent particuliere-ment dans le metabolisme de tres nombreux psychotropes,lesquels peuvent a leur tour interferer comme substancesinductrices ou inhibitrices des CYP et jouer un role importantdans les interactions medicamenteuses.

Le groupe des CYP est divise sur la base des homologies dansleurs sequences d’acides amines, en familles (40 % d’homologied’acides amines) et en sous-familles (55 % d’homologie d’acidesamines). Leur codification suit une regle assez simple avec unchiffre pour les familles, suivi d’une lettre pour les sous-familles,d’un deuxieme chiffre pour les iso-enzymes puis, le cas echeant,d’un asterisque et d’un chiffre pour les variantes alleliques(Tableau 1).

Pour donner une idee de l’incroyable variete de cette« superfamille » enzymatique, rappelons qu’actuellement plus de30 iso-enzymes et plus de 350 alleles differents du CYP ont eteidentifies. Ces variantes, sous controle monogenique, ont un modede transmission autosomique recessif et avec une certainevariabilite de repartition inter-ethnique.

Concernant la psychopharmacologie, le polymorphisme gene-tique des CYP a ete bien decrit pour les reactions d’oxydationcatalysees par les CYP2D6, 1A2, 3A4, 2C9 ou 2C19 [8]. A lui seul, leCYP2D6 participerait au metabolisme de 25 % des medicamentscouramment prescrits en psychiatrie, dont la liste est facilementaccessible en ligne [12]. Son gene codant, situe sur le bras long duchromosome 22, compte de tres nombreuses mutations avec 80alleles deja connus. Ces differents genotypes se manifestent selon

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Tableau 2Effets du polymorphisme genetique du CYP2D6 selon les 4 phenotypes de metaboliseurs.

Type de metaboliseurs Ultra rapide Bon Intermediaire Lent

Taux en population

(chez Caucasiens)

1–10 % 65–80 % 10–15 % 5–10 %

Genotypes associes

(exemples simples)

X alleles efficaces

(copies multiples)

2 alleles efficaces

(homozygote)

1 allele efficace

1 allele inefficace

(heterozygote)

2 alleles inefficaces

(homozygote)

Activite enzymatique Augmentee Normale Diminuee Absente

Effet pharmacologique

(molecule active/metabolite inactif)

Inefficacite

(& taux sanguin)

Efficacite et tolerance Effets indesirables possibles Intolerance

(% taux sanguin)

P. Estingoy et al. / Annales Medico-Psychologiques 172 (2014) 558–562560

un modele de quatre grands phenotypes de metaboliseurs [12] :ultrarapides (UM : ultra rapid metabolizer), bons (EM : extensive

metabolizer), intermediaires (IM : intermediate metabolizer) et lents(PM : poor metabolizer).

Pour clarifier les situations les plus courantes en psychiatrie, nousavons represente dans le Tableau 2 les effets pharmacologiquespossibles pour un medicament dont la molecule serait active [11].

Cela ne tient pas compte des cas de figure ou le metabolite seraitlui-meme actif ou alors la molecule initiale inactive. Cela ne tientsurtout pas compte des associations medicamenteuses, tresfrequentes en psychiatrie, avec risque de competition entre deuxmolecules utilisant la meme voie metabolique ou d’interferencepar une substance qui inhibe ou induit l’activite de l’iso-enzymeCYP impliquee [7]. Ces facteurs amplifient alors les consequencesde ce polymorphisme sur la qualite de la reponse therapeutique.

3. Trois illustrations cliniques

Parce que la psychiatrie touche aux dimensions les pluscomplexes de l’etre humain, elle se trouve aux premieres logess’il s’agit de faire beneficier aux patients des avancees scientifiquesd’une medecine personnalisee. Mais, parce que la psychiatrie estcomplexe et touche aux dimensions les moins objectivables de lamedecine, le risque d’interpretation erronee sur les resultats de nosactions therapeutiques peut devenir grand et prendre le visage del’iatrogenie quelles que soient ses formes [2,6,15].

Dans la pratique quotidienne, sur le plan de la psychopharma-cologie, les prescriptions en psychiatrie se limitent souvent ainstaurer des medicaments et a attendre la reaction du corps avantde proposer d’autres medicaments. Or, nous l’avons vu, il existe desindividus a risque pour lesquels la pharmacogenetique permettraitde mieux controler a la fois efficacite et tolerance medicamenteuse.

Les trois situations suivantes illustrent l’importance d’uneidentification des profils metaboliques phenotypage/genotypagedans la trajectoire clinique de patients ordinaires suivis enpsychiatrie adulte.

Par souci de clarte et aussi de neutralite, nous ne mentionne-rons aucun nom pharmaceutique, ce qui incitera le lecteur aconsulter la liste des medicaments concernes sur le site de l’AgenceNationale de Securite du Medicament [13] ou les tableaux dejapublies par d’autres auteurs [3,12]. Nous preciserons la classemedicamenteuse et nous utiliserons un code pour qualifier unedependance metabolisme aux cytochromes P450 (%CYP), ainsiqu’une eventuelle induction (+/CYP) ou inhibition (�/CYP). Dememe, pour mieux evaluer et comparer les situations, nousdonnerons l’Index Unitaire de Prise Medicamenteuse (IUPM) parmolecule, autrement dit le rapport (entre 0 et 1) entre la doseprescrite et la dose maximale possible selon les normes francaisesde l’autorisation de mise sur le marche [1].

3.1. Un cas, presque simple. . .

Une femme de 62 ans, suivie depuis une dizaine d’annees pourdes troubles de l’humeur bipolaires de type I, est adressee en

hospitalisation pour un episode maniaque avec un delire a themede grandeur dans le cadre d’une mauvaise observance therapeu-tique. Le psychiatre traitant signale :

� u

ne intolerance a de multiples traitements precedemmentessayes avec des associations entre sels de lithium, thymo-regulateurs antiepileptiques, antidepresseurs serotoninergiqueset antipsychotiques atypiques ; � u ne hemochromatose et une insuffisance thyroıdienne traitees ; � u ne dependance aux benzodiazepines (%CYP3A4) utilisees par la

patiente pour se soulager, sans toutefois eviter les rechutes ;

� d es plaintes insistantes de la patiente interpretees comme les

signes de manifestations anxieuses somatoformes, dans le cadrede traits de personnalite histrionique.

Lors de l’hospitalisation, est mis en place un antipsychotiqueatypique (%CYP2D6) a faible dose (IUPM = 0,16) associe a desbenzodiazepines a doses maximales (IUPM = 1) pour sevrageprogressif. La patiente rentre a domicile en trois semaines apresdisparition des symptomes d’exaltation et d’excitation psychomo-trice et critique complete des idees delirantes. Deux mois plus tard,elle est adressee pour un virage melancolique et presente unralentissement psychomoteur, des angoisses et des tremblements.Un antidepresseur (%/CYP2D6) est introduit a doses normales(IUPM = 0,3) tandis que les effets s’amplifient. Sont evoques unemaladie de parkinson, un debut de maladie degenerative typeAlzheimer, une psychose d’evolution deficitaire et toujoursl’histrionisme.

Une fenetre therapeutique est instauree avec demande degenotypage CYP, puis, dans l’attente des resultats, un thymor-egulateur antiepileptique (non CYP) est propose en monotherapie(IUPM = 0,25).

Le resultat des tests confirme une mutation CYP2D6*4 homozygote conferant une activite metabolique tres reduitepour l’ensemble des substrats du cytochrome-P450 2D6. Lediagnostic final confirme un trouble bipolaire type I, metaboliseurlent pour les substrats du CYP2D6 (probable profil genetiqueparticulier du systeme HLA non investigue).

L’amelioration de la patiente se fera lentement sur deux mois etelle regagnera son domicile ou elle restera stabilisee pour uneduree controlee de quatre ans.

3.2. Un cas, plus complique. . .

Un homme de 32 ans est adresse pour une prise en charge enhopital de jour pour une pathologie psychotique complexe etresistante. Le dossier evoque des antecedents familiaux particu-liers avec un pere dit « depressif », decede vers la cinquantaine al’hopital psychiatrique d’une pneumopathie d’inhalation. Cetaccident serait survenu dans un contexte de degradation de l’etatgeneral, evoquant un trouble neurologique, pour lequel lesinvestigations etaient restees negatives.

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Au plan de son histoire clinique personnelle, il est decritsuccessivement :

� u

n premier episode depressif majeur a l’age de dix-huit ans traiteavec une psychotherapie de soutien et un antidepresseurserotoninergique (�/%CYP2D6) a doses normales (IUPM = 0,3),maintenu pendant un an apres remission rapide ; � u n deuxieme episode depressif majeur, d’intensite plus grave,

survient deux ans plus tard. Le meme traitement est proposeavec passage a une dose superieure en quelques semaines enraison d’une reponse partielle (IUPM = 0,6) ;

� u n premier virage maniaque apres trois mois, necessitant une

hospitalisation pour lequel est instauree une association avec unneuroleptique classique (%CYP2D6) et un antipsychotiqueatypique (%CYP2D6) a fortes doses cumulees (IUPM = 1), unthymoregulateur antiepileptique (IUPM = 1), des sedatifs anti-histaminiques (�/CYP2D6) et des benzodiazepines ;

� l es annees suivantes, sont marquees par des hospitalisations, de

plus en plus frequentes et de plus en plus longues. L’aggravationsemble progressive, avec de multiples propositions therapeu-tiques combinees avec plusieurs molecules substrats et/ouinhibitrices du CYP 2D6. Une mauvaise tolerance au lithium estsignalee. Plusieurs hypotheses diagnostiques sont aussi evoqueesentre troubles du spectre de la schizophrenie, troubles mixtes de lapersonnalite et histrionisme, maladie neurologique inconnue ;

� l e tableau final est celui d’une psychose de type deficitaire

(hebephrenie) avec un syndrome neurologique associe. Lepatient presente un fort ralentissement psychomoteur, unepauvrete du contact et du langage, des angoisses resistantes etdes tremblements, des mouvements anormaux.

L’hypothese de variante metabolique familiale defectueuseavec intolerance aux psychotropes est posee avec simplificationtherapeutique et demande de genotypage. Les resultats obtenus enquelques semaines confirment une mutation CYP 2D6 *4 hetero-zygote conferant une activite metabolique reduite pour l’ensembledes substrats du cytochrome-P450 2D6, aggravee par l’adjonctiond’un medicament inhibiteur qui lui confere alors un statut demetaboliseur lent.

Le diagnostic final est un trouble bipolaire de type III chez unmetaboliseur intermediaire avec iatrogenie par interactions med-icamenteuses. Le traitement final comportera un thymoregulateurantiepileptique non conventionnel a dose minimale (IUPM = 0,3) etun antipsychotique atypique a faible dose (IUPM = 0,2).

Les symptomes neurologiques et anxieux du patient serontprogressivement amendes en quelques mois. Il entreprendra desgroupes therapeutiques, une psychotherapie individuelle et unprogramme de rehabilitation. De plus, il ne sera pas hospitalisependant une duree controlee de trois ans.

3.3. Un cas a resolution complexe

Un homme de 28 ans, non-fumeur, est adresse en hopital dejour pour la prise en charge d’une schizophrenie residuelle avecsymptomes negatifs resistants depuis plus de deux ans. Sonhistoire clinique revele :

� u

n episode depressif atypique traite par un antidepresseur(�/%CYP2D6) a dosage minimal efficace ; � s uivi d’un episode submaniaque avec delire, traite par une

association d’un antipsychotique atypique (%CYP2D6/%CYP2C9)a dose recommandee (IUPM = 0,3), d’un neuroleptique conven-tionnel (%CYP2D6/%CYP2C9) a doses faible (IUPM = 0,25) etd’une benzodiazepine (%CYP2C9) a fortes doses (IUPM = 0,75) ;

� s uivi d’un tableau d’intolerance medicamenteuse avec ralentis-

sement psychomoteur, apragmatisme et prise de poids majeure.

Le traitement est change pour un autre antipsychotique atypique(%CYP2D6) a doses moyennes (IUPM = 0,5) associe a unantihistaminique (�/CYP2D6) et benzodiazepine (%CYP2C9) ;

� s uivi d’un syndrome extrapyramidal avec akathisie, rigidite

axiale, tremblements, angoisses et repli.

Devant l’hypothese d’une variante genetique metabolique, unnouveau changement de traitement est propose pour un anti-psychotique atypique (%CYP2D6) a doses faibles (IUPM = 0,25)associe a une autre benzodiazepine en sevrage progressif avecdemande de genotypage.

Les resultats montrent une problematique complexe avec :

� u

ne mutation CYP 2C9 *4 heterozygote conferant une activitemetabolique reduite pour l’ensemble des substrats du cyto-chrome-P450 2D6, aggravee par l’interaction de medicamentsinhibiteurs ; � u ne mutation CYP 2C9 *2/*3 heterozygote conferant un statut de

metaboliseur lent pour le cytochrome-P450 2C9 ;

� u ne mutation CYP 1A2 *1F heterozygote qui augmente l’expres-

sion de certains inducteurs metaboliques comme le tabac, maisici le sujet n’est pas fumeur ;

� u ne mutation de la proteine d’efflux P-Glycoproteine sur une

variante minimale (PGP*Min) associee a un passage intracellu-laire maximal et donc une biodisponibilite maximale desmedicaments substrats en l’absence d’inhibiteur (dont le SNC).

Le diagnostic final est un trouble psychiatrique induit surprobable trouble de l’humeur avec polymorphisme genetiquecomplexe exigeant la grande prudence pharmacologique.

Apres une nouvelle baisse du traitement antipsychotiqueatypique (IUPM = 0,12), l’etat clinique du sujet suivra une lenteamelioration avec nouvel elan vital mais persistance d’un fondd’angoisse permanent necessitant toujours une prise en chargegroupale et individuelle.

4. Conclusion

« Les docteurs sont des hommes qui prescrivent des medica-ments dont ils connaissent peu de chose, pour soigner desmaladies qu’ils connaissent encore moins, a des etres humainsdont ils ne connaissent rien. »

Voltaire

Pour de nombreux patients, les doses habituelles de traitementgenererent des effets secondaires ou une symptomatologie induitede type neuromusculaire ou psychique qui peut etre confondueavec les symptomes de la maladie. Ces situations sont alors al’origine d’hospitalisations prolongees et de perte de chances entermes de rehabilitation.

L’utilisation des psychotropes exige donc une approche ration-nelle et prudente basee sur une enquete croisee entre prescription etreponse therapeutique. Si la fluctuation interindividuelle de cettereponse est aujourd’hui difficile a prevoir sans test pharmacogene-tique, une enquete clinique simple, a l’appui de dosages medica-menteux, permet d’envisager l’hypothese d’une variantemetabolique.

Ainsi, face a une mauvaise tolerance ou a des symptomesresiduels de type ralentissement, emoussement des affects,anhedonie, apragmatisme ou anxiete, il faut toujours envisagerla iatrogenie et le risque de surdosage en raison d’une variantegenetique. Le prescripteur pourra alors baisser les doses detraitement pour trouver la posologie minimale efficace, avec unresultat observable des les premieres semaines. A l’inverse, une

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inefficacite pourrait etre aussi la consequence d’une variantecinetique ultrarapide justifiant la prescription de tres hautes dosesmedicamenteuses.

Pour une confirmation, il est toujours possible de faire un testgenetique avec profilage cytochromique/PGP aupres d’un labo-ratoire specialise en pharmacologie, avec un cout tres inferieur a unejournee d’hospitalisation, exigeant le consentement ecrit et eclairedu patient, avec l’avantage de renforcer une alliance therapeutique.

En somme, la psychiatrie se trouve aux premieres loges desquestionnements autour de la personnalite biologique et d’unepratique psycho-pharmacogenetique individualisee comme entemoignent les travaux recents des jeunes medecins [10]. De plus,les situations de pratiques courantes que nous venons d’evoquerrevelent combien cette problematique est cruciale en matiere desante publique au regard des couts humains et financiers qui endecoulent.

A l’avenir, nous esperons donc que des techniques simples etaccessibles permettront d’orienter le choix et l’ajustement desdoses medicamenteuses pour chaque patient en fonction de sonprofil genetique et de sa personnalite metabolique.

Declaration d’interets

Les auteurs declarent ne pas avoir de conflits d’interets enrelation avec cet article.

References

[1] Ardiet G, Joly P, Lachaux B. Pour un essai de mesure des polytherapiesneuroleptiques. Ann Med Psychol 2001;159:312–4.

DOI de l’article original :http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2014.07.001

0003-4487/$ – see front matter

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Discussion

Pr J.-M. Vanelle.– Merci pour vos donnees pharmacogenetiquesexposees avec fougue et conviction. « Quelle place garde dans votreexperience le dosage plasmatique des psychotropes, probablementmoins couteux ? ».

Reponse du Rapporteur.– Merci de votre ecoute. La pratique desdosages medicamenteux est egalement determinante dans lademarche psychopharmacologique et personnellement je l’utilisede facon courante, presque systematiquement en l’absence de

reponse attendue. Il est notamment interessant pour les cas deresistances therapeutiques pour justifier l’augmentation des dosesprescrites, mais il ne decrit pas parfaitement la realite intracellulaireet la biodisponibilite. Il se revele ainsi nettement moins eclairantdans le cadre d’une prediction de reponse pour une personneintolerante ou dans la recherche d’une medication reellementpersonnalisee, notamment dans les cas de polypathologies avectraitements somatiques associes qui complexifient notre demarche.