De l'efficacité du suivi socio-judiciaire

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De l’efficacité du suivi socio-judiciaire Le docteur Olivier Halleguen est spécialisé dans la psychiatrie de l’adulte et exerce comme praticien hospitalier et chef de service au centre hospitalier d’Erstein, dans le Bas-Rhin. Il est également expert près la Cour d’appel de Colmar. Les mesures de suivi socio-judiciaire (SSJ) ont connu depuis leur instauration un succès croissant. Derrière cet apparent succès dont il semblerait malséant de ne pas se réjouir, qu’en est-il réellement ? Le SSJ comporte, comme son nom ne l’indique que très partiellement, la nécessité pour des justiciables d’entamer une démarche de soins dans le but de diminuer leur risque de récidive. Il part du principe, vérifiable dans un certain nombre de cas, selon lequel les comportements délictuels seraient sous-tendus par des mécanismes psychologiques ou psychiatriques accessibles à un traitement médical, autrement dit que certains délinquants seraient des malades curables. L’aspect séduisant de cette hypothèse explique très largement le succès de la mesure. En effet quel esprit sensé, voire humaniste, refuserait un traitement à un malade ? La réalité est, hélas, moins nette et surtout moins irénique. La première question qui mérite d’être posée est celle de savoir dans quelle mesure les délinquants sont aussi des malades mentaux et surtout si leurs actes sont en lien avec lesdites maladies mentales. La question de l’expertise médicale est ici fondamentale. L’expert auxiliaire de justice est sollicité justement pour trancher entre le normal et le pathologique. Mais pour être exploitable, une expertise doit être le reflet fidèle de la situation clinique, exprimée clairement et simplement avec qui plus est une cohérence interne entre la nécessité des soins et l’existence ou non d’une affection mentale. A y regarder de plus près, c’est loin d’être toujours le cas, les expertises manquent de clarté et ne se prononcent pas toujours de manière intelligible sur le soin. Ajoutons que les experts n’ont pas forcément de formation en psychocriminologie, ce qui les rend tout aussi incompétents que quiconque pour décider de mesures qui ressortent pourtant de ce champ. Viennent ensuite les magistrats. Ils sont chargés in fine de décréter la mesure et sont le plus souvent guidés dans leurs décisions par deux choses : 1/L’expertise médicale quand il y en a une, et nous venons de voir quelles réserves nous pouvions émettre au sujet de ces dernières. 2/ En l’absence d’expertise, le principe de bon sens selon lequel il faut mettre de son côté toutes les solutions empêchant la récidive. Le SSJ est justement une mesure répondant à cette orientation. Par conséquent, si l’intitulé de l’infraction entre dans le cadre législatif, il semble logique de l’instaurer. Or, dans un certain nombre de cas, ce suivi est non seulement inutile mais parfois délétère. C’est en particulier le cas des sujets présentant une personnalité psychopathique.

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De l’efficacité du suivi socio-judiciaire Le docteur Olivier Halleguen est spécialisé dans la psychiatrie de l’adulte et exerce comme praticien hospitalier et chef de service au centre hospitalier d’Erstein, dans le Bas-Rhin. Il est également expert près la Cour d’appel de Colmar.

Les mesures de suivi socio-judiciaire (SSJ) ont connu depuis leur instauration un succès croissant. Derrière cet apparent succès dont il semblerait malséant de ne pas se réjouir, qu’en est-il réellement ?

Le SSJ comporte, comme son nom ne l’indique que très partiellement, la nécessité pour des justiciables d’entamer une démarche de soins dans le but de diminuer leur risque de récidive. Il part du principe, vérifiable dans un certain nombre de cas, selon lequel les comportements délictuels seraient sous-tendus par des mécanismes psychologiques ou psychiatriques accessibles à un traitement médical, autrement dit que certains délinquants seraient des malades curables.

L’aspect séduisant de cette hypothèse explique très largement le succès de la mesure. En effet quel esprit sensé, voire humaniste, refuserait un traitement à un malade ? La réalité est, hélas, moins nette et surtout moins irénique. La première question qui mérite d’être posée est celle de savoir dans quelle mesure les délinquants sont aussi des malades mentaux et surtout si leurs actes sont en lien avec lesdites maladies mentales.

La question de l’expertise médicale est ici fondamentale. L’expert auxiliaire de justice est sollicité justement pour trancher entre le normal et le pathologique. Mais pour être exploitable, une expertise doit être le reflet fidèle de la situation clinique, exprimée clairement et simplement avec qui plus est une cohérence interne entre la nécessité des soins et l’existence ou non d’une affection mentale. A y regarder de plus près, c’est loin d’être toujours le cas, les expertises manquent de clarté et ne se prononcent pas toujours de manière intelligible sur le soin. Ajoutons que les experts n’ont pas forcément de formation en psychocriminologie, ce qui les rend tout aussi incompétents que quiconque pour décider de mesures qui ressortent pourtant de ce champ.

Viennent ensuite les magistrats. Ils sont chargés in fine de décréter la mesure et sont le plus souvent guidés dans leurs décisions par deux choses :

1/L’expertise médicale quand il y en a une, et nous venons de voir quelles réserves nous pouvions émettre au sujet de ces dernières. 2/ En l’absence d’expertise, le principe de bon sens selon lequel il faut mettre de son côté toutes les solutions empêchant la récidive. Le SSJ est justement une mesure répondant à cette orientation. Par conséquent, si l’intitulé de l’infraction entre dans le cadre législatif, il semble logique de l’instaurer. Or, dans un certain nombre de cas, ce suivi est non seulement inutile mais parfois délétère. C’est en particulier le cas des sujets présentant une personnalité psychopathique.

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Il apparaît, dans les suivis instaurés, qu’une grande partie des justiciables ne sont pas malades au sens psychiatrique du terme, mais qu’ils se soumettent formellement aux soins sous la forme de rendez-vous honorés, à l’issue desquels ils sollicitent une attestation de présence.

Or, les suivis sont le plus souvent cause d’un malentendu avec un psychiatre ou un psychologue qui « parle » avec un sujet qui ne peut ou ne veut changer ses comportements. Comportements qui sont le plus souvent inhérents à une personnalité sur laquelle les thérapeutiques ne peuvent que proposer des aménagements… chez des sujets fortement motivés.

Les thérapies spécifiques, ayant pour objet les traitements de certains comportements (en particulier dans le cas de la délinquance sexuelle), sont quasiment confidentielles dans le corps soignant et nécessitent pour être efficaces une forte motivation chez les sujets. Ajoutons que les soignants ne sont pas forcément très motivés pour ce type de prise en charge qui est identifié comme étant à haut risque.

En résumé, le suivi socio-judiciaire est une mesure séduisante sur sa forme, mais qui pêche sur le fond sur les points suivants :

- Les indications du SSJ ne sont pas toujours bonnes. - Les soins spécifiques sont le plus souvent inexistants, incomplets ou inadaptés, - L’absence de motivation des sujets au-delà du respect purement formel de la mesure. La conséquence de tout ce qui a été dit plus haut en est nettement prévisible : une

efficacité limitée du dispositif. Il serait intéressant, pour évaluer la question de l’efficacité du SSJ, d’établir un

programme de recherche comparant le taux de récidive de sujets ayant bénéficié de ce type de mesure avec une population similaire n’en ayant pas profité.

Le SSJ est pourtant une mesure moderne et adaptée aux nécessités d’une justice à la fois humaniste et efficace en termes de lutte contre la récidive. Il nécessite néanmoins, pour être pleinement efficace, les mesures suivantes :

La mise en place de réseaux santé/justice avec un cadre légal et réglementaire permettant aux différents acteurs de travailler ensemble dans des équipes multidisciplinaires constituées. Ce type d’organisation permettrait une meilleure connaissance des champs réciproques entre les personnels des différentes organisations, mais aussi des transmissions d’informations qui sont vitales dans un tel travail. Notre expérience personnelle dans le cadre d’un embryon de réseaux santé/justice nous a en effet très rapidement confrontés aux limites réglementaires de la transmission de certaines informations, malgré la bonne volonté de tous les acteurs concernés.

A travers de tels réseaux, on aurait le recrutement ou la contractualisation de personnels spécialisés dans certaines prises en charge, comme c’est le cas des thérapies cognitivo-comportementales (TCC) pour les auteurs d’agressions sexuelles. En effet, ces thérapies, qui sont le plus souvent confidentielles dans notre pays, ne sont le plus souvent pas priorisées dans des plans de formation d’établissements de santé.

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A la base d’un tel travail, il y a bien entendu l’évaluation des besoins en fonction du profil des justiciables. À ce titre, l’expertise psychiatrique couplée à une évaluation criminologique moderne faisant appel aux instruments récents est irremplaçable. Diverses propositions ont été faites dans ce sens, mais de telles évaluations restent toujours rares alors qu’elles constituent un préambule indispensable à toute prise en charge socio-judiciaire. Nous proposons par conséquent une meilleure formation dans ce domaine des experts ou tout au moins une identification plus aisée des experts formés à ces outils, permettant aux magistrats de faire appel à ces derniers lorsque des évaluations psychocriminologiques sont nécessaires.