De la barbarie en général et de lintégrisme en particulier Rachid Mimouni Pdf

59
DU MÊME AUTEUR CHEZ POCKET LE FLEUVE DÉTOURNÉ UNE PEINE À VIVRERACHID MIMOUNI DE LA BARBARIE en général ET DE L'INTÉGRISME en particulier LE PRÉ AUX CLERCS La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (alinéa 1er de l'article 40).Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal. © Belfond-Le Pré aux Clercs 1992 ISBN : 2-266-05467-8 LES INCRÉDULES Au nom de Dieu : Celui qui fait miséricorde, le Miséricordieux. Dis : « ô vous, les incrédules ! Je n'adore pas ce que vous adorez; vous n'adorez pas ce que j'adore. Moi, je n'adore pas ce que vous adorez; vous, vous n'adorez pas ce que j'adore. A vous votre religion; à moi, ma Religion. » (SOURATE CIX) UN PAYS DE PARADOXES Orient et Occident Le 26 décembre 1991, à 23 heures, Larbi Bel kheir, ministre algérien de l'Intérieur, entre dans la salle de presse où piaffent d'impatience plu-sieurs centaines de journalistes venus du monde entier couvrir les premières élections législatives pluralistes de l'histoire de l'Algérie indépendante. Cette consultation avait une importance capitale. En premier lieu, elle devait décider d'un choix de deux projets de société radicalement différents. Les intégristes, en cas de victoire, se promettaient de provoquer une rupture radicale afin d'instaurer la république islamique de leurs rêves. Par ailleurs ce scrutin était suivi avec une extrême attention par tous les autres pays musul-mans car il avait valeur de test. L'Algérie avait choisi de légaliser un parti islamiste, espérant le banaliser puis le marginaliser, alors que tous les autres dirigeants arabes avaient opté pour la manière forte face à la résurgence des mouve-ments religieux.

Transcript of De la barbarie en général et de lintégrisme en particulier Rachid Mimouni Pdf

  • DU MME AUTEUR CHEZ POCKET

    LE FLEUVE DTOURN UNE PEINE VIVRERACHID MIMOUNI

    DE LA BARBARIE en gnral ET DE L'INTGRISME en particulier

    LE PR AUX CLERCS

    La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinas 2 et 3 de l'article 41, d'une part, que les copies ou reproductions strictement rserves l'usage priv du copiste et non destines une utilisation collective et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, toute reprsentation ou reproduction intgrale ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite (alina 1er de l'article 40).Cette reprsentation ou reproduction, par quelque procd que ce soit, constituerait donc une contrefaon sanctionne par les articles 425 et suivants du Code pnal.

    Belfond-Le Pr aux Clercs 1992

    ISBN : 2-266-05467-8

    LES INCRDULES

    Au nom de Dieu : Celui qui fait misricorde, le Misricordieux.

    Dis :

    vous, les incrdules ! Je n'adore pas ce que vous adorez; vous n'adorez pas ce que j'adore.

    Moi, je n'adore pas ce que vous adorez; vous, vous n'adorez pas ce que j'adore.

    A vous votre religion; moi, ma Religion.

    (SOURATE CIX)

    UN PAYS DE PARADOXES Orient et Occident

    Le 26 dcembre 1991, 23 heures, Larbi Bel kheir, ministre algrien de l'Intrieur, entre dans la salle de presse o piaffent d'impatience plu-sieurs centaines de journalistes venus du monde entier couvrir les premires lections lgislatives pluralistes de l'histoire de l'Algrie indpendante. Cette consultation avait une importance capitale.

    En premier lieu, elle devait dcider d'un choix de deux projets de socit radicalement diffrents. Les intgristes, en cas de victoire, se promettaient de provoquer une rupture radicale afin d'instaurer la rpublique islamique de leurs rves.

    Par ailleurs ce scrutin tait suivi avec une extrme attention par tous les autres pays musul-mans car il avait valeur de test. L'Algrie avait choisi de lgaliser un parti islamiste, esprant le banaliser puis le marginaliser, alors que tous les autres dirigeants arabes avaient opt pour la manire forte face la rsurgence des mouve-ments religieux.

  • Ds que le silence se fit dans la salle, le ministre annona laconiquement que les premires infor-mations reues prfiguraient un ballottage gnra-lis au premier tour. Il s'clipsa en promettant de revenir plus tard.

    A son retour, il a le visage dfait. Il tente de lire le texte qu'il tient d'une main tremblante, mais bafouille tellement que les journalistes prsents n'estiment pas ncessaire d'couter les rsultats qu'il va annoncer. Ses traits tirs confirment le raz de mare intgriste qu'il s'vertue minimiser.

    Aprs vingt-six ans d'un rgime de parti unique et d'une politique socialisante, le premier suffrage dmocratique de l'Algrie propulsait un mouve-ment qui se proposait d'tablir une nouvelle forme de dictature.

    Ds le premier tour, le Front islamique du salut (FIS) raflait 188 mandats. Il devenait certain que, trois semaines plus tard, il disposerait de plus de la moiti des 430 siges soumis au verdict des lecteurs.

    Beaucoup de citoyens, comme le gouvernement, avaient pari sur un score lectoral islamiste vo-luant entre le quart et le tiers des votants.

    Ce fut le choc.

    Les intgristes pavoisaient. Leurs adversaires taient consterns.

    Qu'est-ce que ce parti qui se rclame de l'islam et de la charia, le droit canon musulman? Pour-quoi le plus moderne des pays arabes s'est-il retrouv dans cette situation? Quelles sont les causes de cette drive ? Comment est-il parvenu sduire tant d'individus, tant d'hommes et surtout tant de femmes?

    I Qu'est-ce que le FIS?

    ARCHASME

    Le monde sera ce qu'il tait

    La fulgurante ascension du Front islamique du salut (FIS) en Algrie est surprenante plus d'un titre. Son discours contradictoire, ses ides courtes, son absence de programme auraient d le vouer un chec retentissant.

    Mais les instruments classiques d'analyse se rvlent incapables d'expliquer son succs.

    On a tendance assimiler le FIS un parti au sens moderne du terme, avec des structures locales, rgionales puis nationales toutes lues par les militants, et dont les reprsentants se ru-nissent rgulirement en congrs afin d'adopter une ligne d'action et dsigner leurs dirigeants.

    Tel n'est pas le cas du mouvement intgriste. Il est une rsurgence du pass, et toutes ses caract-ristiques soulignent son archasme.

    Il tient d'abord d'une nbuleuse. Le seul organe du FIS est un conseil consultatif compos de cheikhs coopts. Cette instance est plus que myst-rieuse, puisqu'on en ignore le nombre de siges, le nom de certains de ses membres, et ses modalits de fonctionnement. Il n'a ni statut ni rglement intrieur connus. Ses runions se droulent tou-jours huis clos, dans des lieux souvent tenus

  • secrets, sans priodicit ni ordre du jour dfinis. Ses dcisions peuvent tre suivies ou ignores selon qu'elles servent ou contrarient certains de ses leaders. Sa composition peut changer au gr des circonstances d'autant plus aisment qu'il n'existe aucune procdure de nomination, encore moins d'lection. Ainsi, chacun des leaders, pour lgali-ser ses positions, peut se targuer de l'aval d'un conseil dont il aura slectionn les membres assembls l'insu des autres.

    En fait, il s'agit d'un organe occulte, chtonien, comme les affectionnent les organisations secrtes, de l'Ordre des Assassins (Hachichin) celui des Templiers ou du Ku Klux Klan. Cela se passe ainsi en Iran, o le vritable dtenteur du pouvoir n'est pas le prsident Rafsandjani, mais l'imam Khamenei, chef d'un trs tnbreux conseil.

    Le FIS ne s'est jamais runi en congrs. Il n'a ni prsident, ni secrtaire gnral, ni commissaire, ni premier imam, quelle que soit l'appellation usite pour dsigner le numro un. Abassi Madani s'est autoproclam porte-parole du FIS, non sans soule-ver de nombreuses protestations. Ce furent les mdias nationaux et trangers qui, inquiets de continuer se mouvoir ttons dans l'obscurit dlibre du mouvement intgriste, claireront

  • Ainsi, la vulgate intgriste ne propose qu'un seul credo conomique : la libert de commerce, leve au rang de panace.

    On constate chez les intgristes une formidable capacit d'adaptation aux circonstances sans qu'ils parviennent pourtant intgrer dans leur approche les bouleversements conomiques et sociaux qui se sont produits depuis la fin du Moyen Age.

    La matrise des grandes voies commerciales qui assura la prosprit de l'Empire arabo-musulman commena tre battue en brche, ds le XIII sicle, par les navigateurs portugais, hollandais, anglais, espagnols et les comptoirs qu'ils fon-drent un peu partout sur les ctes. Cela ne contribua pas peu au dclin de cette civilisation.

    Il y eut surtout, partir de la fin du XVIIIe, la rvolution industrielle qui devait modifier radicalement les rapports conomiques. L'invention de lu machine, et les gains de productivit qu'elle Impliquait, devait ruiner les bases de l'ancien sys-tme d'change, puisqu'on allait progressivement passer d'un monde de raret chronique celui d'une abondance de plus en plus manifeste. Fabri-qus moindre cot et en quantits normes, les produits industriels europens se mirent concur-rencer ceux de l'artisanat. Le lin et le coton anglais turent la soie chinoise. C'tait dsormais la capa-cit de production qui assurait les fondements de la richesse des nations, selon l'expression de Keynes, le commerce ne devenant plus qu'un corollaire destin assurer l'coulement des pro-duits finis ou l'approvisionnement en matires premires, d'autant que les progrs du transport maritime brisrent les monopoles des voies commerciales. Ds le XIXe sicle, toutes les routes commerciales taient devenues libres tandis que s'tablissaient et se consolidaient des tats-nations aux frontires dlimites, qui, pour protger leur conomie, rigeaient des barrires douanires et imposaient sur leur territoire l'usage d'une mon-naie spcifique.

    L'idologie intgriste continue ignorer ces changements.

    Les volutions ultrieures rendent encore plus archaque leur conception. Les conomies des pays occidentaux, Japon compris, ont atteint des niveaux de productivit tels qu'aucun pays du tiers monde ne peut esprer les concurrencer, except quelques dragons asiatiques et hors les produits primaires qu'ils ne sont plus intresss fabri-quer. Il ne faut pas non plus ngliger l'effet de sduction qu'exercent ces pays sur le reste du monde, qui rejaillit sur leurs produits. A qualit gale, on acceptera de payer beaucoup plus cher un appareil affichant un sigle occidental prestigieux.

    Si l'on doit parler de l'Algrie, il faut moins craindre de caricaturer que de rester en dessous de la ralit. Les pitres produits que les Algriens peuvent acqurir excitent leurs frustrations, alors que leurs fantasmes sont quotidiennement entrete-nus par les publicits des chanes franaises de tlvision, dont ils raffolent. On a vu quelques cas rarissimes d'appareils de qualit honorable, issus d'un simple assemblage de pices importes. Mais ces clones de Philips, Sony et autres, les Algriens continuaient prfrer les originaux, quittes dbourser le double de la somme.

    Il est clair que l'instauration de la libert de commerce, qui se serait traduite par l'ouverture des frontires nationales aux produits trangers, aurait sonn le glas d'une conomie dj mori-bonde. L' conomie de bazar qui consiste financer par le ptrole toutes les autres importa-tions ne peut s'appliquer qu'aux pays du Golfe o le nombre de barils chaque jour exports dpasse souvent celui des citoyens.

  • La stratgie d'accession au pouvoir de ces nou-veaux prdicateurs est calque sur les exemples du pass. L aussi, les changements survenus sont ignors. Ds leur libration, les ex-colonies btirent des tats-nations l'image des pays qui les dominrent, avec une arme et des forces de scurit dtenant le monopole des armes. Cette situation rend impossible le processus classique de conqute du pouvoir par un prdicateur qui aura su se rallier un nombre suffisant de tribus pour les lancer l'assaut du monarque.

    Le scnario iranien est peu susceptible de se reproduire. Les rgimes menacs par l'intgrisme en ont tir la leon et pris leurs prcautions. Leurs forces de scurit se sont prpares et quipes pour contenir les meutes en minimisant les pertes. L'exemple algrien vient de l'illustrer.

    L'idologie intgriste, dans ses manifestations concrtes, relve du mme archasme. Ses pros-lytes se crispent sur la ncessit d'un retour la puret originelle de l'islam. En ce sens, ils prnent un mode de vie semblable celui qui existait en Arabie au vu" sicle. Ils s'acharnent imiter le Prophte jusque dans leur tenue vestimentaire. Ils portent la barbe comme lui, s'habillent de la mme faon, et certains dorment comme il le faisait, cou-ch sur le flanc, mme le sol. Ils enduisent leurs paupires de khl, car ce produit de beaut est aussi un antiseptique fort usit dans une rgion o svit le trachome. Ceux dont la barbe grisonne se teignent l'aide d'un pigment venu d'Arabie, tout en rejetant les teintures modernes. Toute volution au niveau des murs ou des pratiques devient sus-pecte d'hrsie.

    Les exemples sont nombreux.

    Le calendrier arabe est lunaire. Le principal inconvnient de ce dernier est qu'il ne correspond pas au rythme des saisons, c'est--dire celui de la rotation de la Terre autour du Soleil. L'anne lunaire compte environ trois cent cinquante-cinq jours. Chaque mois recule ainsi de dix jours par rvolution terrestre, glissant reculons de l't vers le printemps, puis l'hiver et l'automne. Mais nos intgristes continuent refuser le calendrier solaire.

    Leur attitude devient franchement ridicule propos du Ramadan, ce mois de jene que doivent observer les musulmans chaque jour, de l'aube au crpuscule.

    La science astronomique permet depuis long-temps de calculer trs prcisment la date d'appa-rition de la nouvelle lune et par consquent le dbut du mois sacr qui vit descendre les premiers versets du Coran. Il y a plus d'un avantage pou-voir fixer l'avance la premire et la dernire journe d'abstinence, car les horaires de travail changent, comme nombre d'autres habitudes et le mode de consommation. De plus, la fin du Rama-dan dbouche sur l'Ad, journe frie. Les admi-nistrations et les entreprises ont besoin de prve-nir leur personnel du jour de cong et de prendre les dispositions qui s'imposent.

    Mais nos dogmatiques conservateurs s'obstinent refuser les calculs de la science qui rgit le mou-vement des plantes. Ils persistent vouloir constater de visu l'apparition du croissant et rejettent mme l'usage du tlescope. Ils tiennent lever leur regard vers le ciel, mme s'il est couvert de nuages, et la communaut musulmane tout entire attend l'oracle jusque fort tard dans la nuit.

    Le mme suspense se droule la fin du mois. Compte-t-il vingt-neuf ou trente jours? Lendemain fri ou non ? Le directeur doit-il ou non faire pr-parer les matires premires pour la journe

  • suivante? Les conducteurs de camions seront-ils l pour livrer les produits finis ? Faut-il ou non pr-voir des trains et des avions supplmentaires? Pourra-t-on demain aller payer sa note d'lectricit? L'agence bancaire sera-t-elle ouverte? Le boulanger doit-il prparer ses gteaux?

    Le trs nationaliste Boumediene avait russi imposer durant quelques annes le calcul astrono-mique. Mais il lui fallut reculer sous la pression des bigots obscurantistes qui avanaient qu'en son omnipotence Dieu avait le droit et le pouvoir de bouleverser le cycle de l'univers par dcision souveraine.

    Les complications ne manquaient pas, car les scrutateurs de la vote cleste ne percevaient notre unique satellite qu' travers le filtre de leurs convictions. Cela donnait ainsi lieu une superbe cacophonie, o certains, pour manifester leur opposition au pouvoir, mettaient leur point d'hon-neur refuser de voir la corne que d'autres avaient perue.

    Le mois de Ramadan cristallise ainsi nombre d'archasmes.

    Le texte dict qu'il est interdit de boire et de manger de l'aube au crpuscule.

    Qu'est-ce que l'aube, et qu'est-ce que le crpus-cule si on rcuse le trait de Copernic?

    Lorsque vous ne saurez plus distinguer un fil noir d'un fil blanc, telle est la rponse. Mon ancien professeur d'arabe avait beau jeu en nous faisant remarquer que tout dpendait de l'paisseur des fils et de la distance qui les sparait de l'observa-teur.

    De l'interdiction de s'alimenter ou de se dsalt-rer, on en est ainsi arriv celle de fumer. Pour-tant, la cigarette tait inconnue l'poque du Pro-phte. Le malade ne peut avaler ses mdicaments avant le coucher du soleil. Les femmes n'ont plus l

  • Et pourtant, la suite du verset prcise :

    Dieu veut la facilit pour vous,

    il ne veut pas, pour vous, la contrainte.

    La rgle divine prcise que celui qui entreprend un voyage peut s'abstenir de jener. Mais qu'est-ce qu'un voyage? Les docteurs de la foi estimrent que cela correspondait une journe dos de cha-meau, ce qui reprsente cinquante kilomtres. Nos actuels proslytes nous affirment donc qu'au-del de cette distance les croyants ne sont pas tenus d'observer le jene. Les plus frustes de nos paysans rigolent en leur faisant observer qu'aujourd'hui, on peut franchir cette distance en une heure de train ou de voiture.

    On en arrive se demander dans quel monde vivent les intgristes. C'est une schizophrnie qui structure leur rapport au rel.

    Il est certain que, si le Prophte avait vcu jusqu' aujourd'hui, il aurait considrablement modifi ses lois. Il serait mme le premier renier ceux qui se rclament de lui, dnoncer le retour de la barbarie.

    Les prophtes de toutes les religions aiment s'exprimer par paraboles. Et le Coran prcise : Dieu ne rpugne pas proposer en parabole un moucheron ou quelque chose de plus relev. Lorsque l'un d'eux dit qu'il faut couper la main du voleur, la langue du menteur, crever l'il du faux tmoin, faut-il appliquer la lettre cette rgle? Ne convient-il pas plutt de comprendre que chaque crime ou dlit doit recevoir un chti-ment proportionnel la gravit de l'acte?

    Dcapiter d'un coup d'pe un homme sur la place publique est non seulement barbare, mais malsain. S'il faut absolument condamner des tres humains la peine capitale - ce que l'on peut contester -, pourquoi procder de la faon la plus violente, et pourquoi vouloir cultiver chez les gens leur instinct sanguinaire?

    FEMME ET SEXE EN ISLAM

    Dieu est un homme

    Si le programme des intgristes reste des plus flous, leur projet de socit affiche clairement qu'il se btira contre les femmes. On peut s'interroger sur l'origine de cette hargne particulire.

    La misogynie des trois grandes religions mono-thistes est manifeste car elles ont puis dans le mme fonds mythologique. Cela peut tre d au fait que leurs prophtes eurent des problmes avec le sexe. Mose fut sans doute un enfant illgitime abandonn sur les eaux du Nil. Il n'y a pas lieu d'piloguer sur la miraculeuse grossesse de Marie. Nous aborderons plus loin le cas de Mohammed.

    Il reste que, chez les islamistes, la femme est l'objet d'une fixation obsessionnelle, comme le juif pour Hitler.

    Elle est la source de tous les tourments. L'inad-missible est qu'elle ait un corps, objet des dsirs et fantasmes masculins. Sa beaut devient une cir-constance aggravante. Tout apprt ou parure prend la forme d'une incitation intolrable. Chaque mle voudrait les possder toutes, et les garder toutes

  • lui. Il se proccupera donc de la surveiller et de multiplier les rgles et les interdits afin de contr-ler sa sexualit.

    L'imaginaire masculin fourmille d'anecdotes destines dmontrer que la femme est lascive par essence et qu'elle ne refuse jamais de se donner et de tromper son mari.

    Cette image de la femme nous vient d'un loin-tain pass. Mais cette ralit a t totalement occulte. A l'poque prislamique, les peuplades qui occupaient le centre de la presqu'le arabique vivaient sans lois et sans contraintes, uniquement soucieuses de jouir de tous les plaisirs de la vie. Ftichistes, ses habitants changeaient plus souvent de dieu que de qamis. Avec la chasse, leur sport favori consistait razzier des caravanes de mar-chands qui transitaient proximit et se parta-ger un butin qu'ils dilapidaient au cours d'agapes monstrueuses arroses d'alcool de datte. Ils s'adon-naient surtout une fornication dbride, avec leurs pouses, leurs esclaves, les filles de leurs esclaves, les veuves recueillies, et entretenaient parfois des relations incestueuses. Ils avaient le droit de violer toute femme rencontre. Cette brve description, sans doute rductrice, n'en est pas moins exacte.

    D'ailleurs, il faut bien constater que les actuels descendants de ces sybarites n'ont rien fait pour corriger cette dplorable image. Alors que la majo-rit de la population de la pninsule est soumise un rigorisme peu amne, les mirs et autres privi-lgis s'envolent souvent vers les pays qui ont dcid de crer le paradis sur terre. Ils y retrou-vent, sans avoir attendre de monter au ciel, les fleuves, non de miel, dont ils n'ont que faire, mais de whisky, et ces ravissantes houris promises aux croyants. Leur personnel domestique, venu d'Asie, est rduit l'esclavage. Ils vont dans les pays de la misre acheter des fillettes pour les placer dans leur harem. Ils affectionnent Le Caire o ils peuvent sodomiser de jeunes garons. Ils venaient en Algrie, mme l'poque de l'ombrageux Boumediene, pour s'adonner la chasse aux gazelles, pourtant interdite. Leurs tout-terrain japonais et leurs armes sophistiques ne laissaient aucune chance au gracile animal.

    Tous les textes d'poque, et d'abord le Coran, attestent de ces murs licencieuses.

    1. L'inceste

    Ils n'taient pas gratuits les versets du Livre qui prcisent : Vous sont interdites : vos mres, vos filles, vos surs, vos tantes paternelles, vos tantes maternelles, les filles de vos frres, les filles de vos surs , et ainsi de suite. L'numration est longue. Si le Pro-phte crut ncessaire de prohiber ce type de rela-tions, c'est qu'elles se pratiquaient.

    2. Les viols

    L'abus des femmes par la force tait si frquent que mme les pouses du Prophte n'chappaient pas aux agressions dans les rues. Le passage du Coran qui vint prciser qu'elles devaient tre considres comme les mres des croyants, et par consquent eux interdites, resta sans effet. Il fal-lut leur imposer le port du voile afin qu'elles soient reconnues et prserves des attentats la pudeur. Si les femmes aristocrates bnficirent aussi du jelbab de protection, celles de condition infrieure et les esclaves demeurrent des proies autorises. Le Messager ne pouvait se permettre de changer brutalement les habitudes d'une population dont il n'ignorait par la versatilit. Elle risquait de lui retirer un soutien qui lui tait indispensable pour affronter ses ennemis, car la sexualit tait au centre des proccupations des bdouins de la presqu'le.

  • Certains habitants de Mdine osrent mme demander au Prophte s'ils avaient le droit de sodomiser leurs femmes contre leur gr. Ils eurent pour rponse un verset sibyllin qui vitait de les heurter :

    Vos femmes sont pour vous un champ de labour, allez votre champ comme vous le voudrez... 11 est ais de dduire dans quel sens les Mdinois interprtrent les paroles divines.

    Mais, par la suite, cette phrase donna lieu de nombreuses controverses. Les exgtes qui, aprs la mort du Messager, tentrent de trancher le dbat en vinrent des descriptions si minutieuses tins positions permises de l'amour qu'on croyait lue un trait de Kma-Stra. Le plus clbre d'entre eux, Tabari, parvint, aprs un trs long dveloppement, cette conclusion : L'homme a le droit de prendre sa femme par-devant ou derrire, l'essentiel tant qu'il la pntre par le vagin, puisque le terme de " champ labourer " implique une ide de fcondit, impossible autrement.

    Le texte rvl tenta de rglementer et de moraliser quelque peu ces murs paillardes, non sans soulever de nombreuses et vives protestations. Cer-tains dcrets furent rvolutionnaires pour l'poque et le lieu, comme celui qui dictait : 0 vous qui croyez,

    Il ne vous est pas permis de recevoir des femmes en hritage.

    C'tait la coutume dans cette rgion, on hritait des chamelles et des femmes des dfunts. Cette loi faillit provoquer une rvolte chez les mles, mais le Prophte tint bon. Et, si par la suite d'autres ver-sets vinrent prciser jusque dans les dtails les droits de la femme - et leurs limites -, c'tait juste-ment pour viter les interprtations restrictives. Si le Coran n'accorde la fille que la moiti de la part du garon, il faut relever qu'auparavant, elle n'tait que part de la succession.

    On doit constater que les rglements qu'dicta le Prophte, surtout lors de la premire priode de sa prdication, taient du sceau de l'quit et du pro-grs. Ses fidles se recrutaient alors parmi les ds-hrits et les marginaux. Aprs son installation Mdine et la conversion progressive l'islam de ses habitants, Mohammed devint ipso facto le chef d'une communaut. Il eut trancher les conflits qui naissaient en son sein et surtout tenir compte des rapports de forces parmi les chefs de tribus et de clans rallis et dont il craignait le manque de fidlit et la turbulence.

    Vers la fin de sa vie, il se montra plus rceptif aux sollicitations contradictoires de ses femmes et de ses proches. Lorsque la trs belle Oum Selma fit remarquer son mari que Dieu ne parlait jamais que des hommes, on eut droit, peu de temps aprs, une suite de versets :

    Les hommes soumis et les femmes soumises/ Les hommes croyants et les femmes croyantes... Si la hirarchie tait respecte, les femmes en tout cas taient cites.

    Omar, l'un des confidents du Prophte, tirait dans l'autre sens. Il tait partisan de contraindre les femmes, y compris par la violence. Il obtint le dcret suivant :

    Les hommes ont autorit sur les femmes.

    Admonestez celles dont vous craignez l'infidlit, relguez-les dans leur chambre et frappez-les.

    Mohammed, tout prophte qu'il ft, n'chappa pas aux critiques des belliqueux bdouins, d'autant que certains de ses comportements ne furent pas irrprochables.

  • Il fit preuve, sur le tard, d'un apptit sexuel remarquable. Il faut nanmoins observer qu'il fut un poux modle, d'une fidlit totale, jusqu' la mort de sa premire femme, pourtant de quinze ans son ane et qui convolait avec lui en troisimes noces. Il reste admis qu'elle fut une matresse femme. Hritire de la fortune d'un de ses prcdents maris, elle fut sans doute aussi atti-re par le charme du jeune homme. L'honntet proverbiale dont jouissait l'orphelin l'incita lui confier la gestion de ses biens. Quels furent leurs rapports avant que ne survnt la rvlation ? Il est certain en tout cas qu'elle joua un rle majeur en rassurant le tremblant mari qui venait de recevoir la visite de l'archange Gabriel et qui ne parvenait pas croire qu'il avait t choisi pour rvler le message divin.

    Aprs la mort de Khadidja, il eut de nombreuses femmes et quelques problmes conjugaux. Sur Acha, la plus jeune pouse et la prfre du Pro-phte, se rpandit un soupon d'adultre. Un jour, abandonne par son escorte, elle fut ramene au bivouac par un beau cavalier.

    Une autre aventure de Mohammed continue fonder le droit musulman actuel.

    On se demande pourquoi l'adoption des enfants dits naturels est interdite en Islam. En vertu d'un verset du Coran qui dclare : Vos enfants adoptifs ne sont pas vos fils.

    Comment ne pas faire la relation avec l'vne-ment qui venait de se produire peu de temps aupa-ravant? Le Prophte, sduit par la femme de son fils adoptif Zad, contraignit moralement ce der-nier se sparer d'elle afin qu'il pt l'pouser. Cet vnement engendra de cruels commentaires chez les habitants de Mdine et provoqua une grave crise morale chez l'Envoy. D'o le dcret divin justifiant Mohammed et le lavant de l'accusation d'inceste.

    A l'exception heureuse de la Tunisie, l'adoption est illgale en terre d'Islam. Pourtant, dans chacun de ces pays, des dizaines de milliers de couples, st-riles ou non, souhaitent adopter un enfant. Des centaines de milliers de nourrissons sont confis des hospices. Mais les mres frustres ne pourront pas ouvrir leurs bras ces tres fragiles qui se seraient panouis dans l'affection d'un milieu familial.

    J'ai eu visiter en Algrie un certain nombre de ces tablissements qui recueillent les enfants aban-donns. Les filles-mres qui viennent y accoucher sont bien entendu considres comme des putains, et le petit personnel ne se prive pas d'abuser d'elles, peu d'heures avant, et peu de jours aprs la naissance du bb. Les conditions de vie des nou-veau-ns sont telles que la mortalit atteint 50 %, et que parmi les survivants 50 % deviennent dbiles mentaux. Par crainte d'avoir subir les assauts des puritains, ces centres n'osent afficher la moindre plaque. Des immeubles gris et ano-nymes couvent ces objets de honte.

    J'ai lu les lettres de menaces que reoit chaque jour le prsident d'une association en faveur de l'enfance abandonne. Leur contenu est d'une telle abjection que j'en suis venu contester l'apparte-nance au genre humain des auteurs de ces mis-sives.

    Le couple qui accueille un enfant n'a pas le droit de lui donner son nom parce qu'un autre verset sti-pule :

    Appelez ces enfants adoptifs du nom de leur pre;

  • - ce sera plus juste auprs de Dieu -mais, si vous ne connaissez pas leur pre, ils sont vos frres en religion, ils sont vos clients.

    D'un verset qui s'achve en queue de poisson, les conservateurs musulmans n'ont retenu que l'inter-prtation restrictive. Comment l'inscrire sur le registre d'tat civil, s'il est de pre inconnu?

    Les bureaucrates qui grent les hospices o ces malheureux voient le jour eurent l'ide gniale de reprendre une pratique de l'administration coloniale franaise datant de la fin du XIXe sicle.

    En 1896, lors du premier recensement de la population algrienne, les administrateurs chargs de l'opration se heurtrent une difficult impr-vue. Le nom patronymique n'existe pas dans la tra-dition musulmane. Un individu est identifi par son prnom, auquel on accole, pour le distinguer, ceux de ses ascendants ou descendants, son lieu natal ou un sobriquet. Ainsi le monarque kowe-tien, devenu clbre par la guerre du Golfe, tait dsign alternativement par les mdias occiden-taux comme l'mir Sabeh et Jaber, alors que son nom est Cheikh Jaber El Ahmed El Sabeh.

    Les fonctionnaires franais embarrasss durent donc affubler ceux qui dfilaient devant eux de noms fantaisistes. A court d'inventions, ils optrent pour une superbe lapalissade : Sans Nom Patronymique, SNP en abrg, furent ainsi dnom-ms les nouveaux ressortissants franais. Nombre d'enfants abandonns coprent donc des mmes

    Initiales. S'ils ont la chance de rejoindre un foyer, ils continueront traner ces trois lettres infa-mantes qui ne peuvent que les dsigner l'attention de leurs camarades de classe ou de rue. Nous le savons, cet ge est sans piti .

    Il est vident que les hommes utilisrent le sacr pour lgitimer leurs privilges. En terre d'Islam, cela se fit de manire scandaleuse. On superposa les coutumes prexistantes, les dispositions cora-niques et les interprtations restrictives pour limi-ter le droit des femmes au plus petit espace commun. Ainsi en Kabylie, la pratique qui dniait aux femmes toute part d'hritage continue tre applique jusqu' aujourd'hui, en dpit des for-melles prescriptions du texte rvl.

    La lgislation coranique, qui rglementa, non sans contestations, la vie des habitants de Mdine au VII e sicle, se rvla trs tt insuffisante. Il y eut d'abord, ds la mort du Prophte, la fulgurante extension de l'Empire musulman, qui, en un peu plus d'un sicle, propagea le message divin, vers l'est jusqu'au Kazakhstan, et vers l'ouest jusqu' Poitiers la franaise, en transitant par le dtroit de Gibraltar, nom justement driv de Djebel Tarik, ce conqurant qui fut le premier fouler le sol europen et dont la tmrit lgua une expression la langue franaise. Aprs avoir franchi le dtroit, il mit le feu ses navires, en faisant remarquer ses troupes qu'il ne leur restait plus qu' affronter l'ennemi ou les flots de la mer. C'est ce qui s'appelle brler ses vaisseaux .

    Il y eut ensuite le trs rapide dcentrement du pouvoir, qui, abandonnant La Mecque et Mdine, s'installa Damas puis Bagdad, o vivaient des populations dont les murs et coutumes n'avaient rien de commun avec celles de l'Arabie. Ces chan-gements soulignrent les lacunes des prescriptions divines. Il fallut alors recourir aux hadiths, c'est-- dire aux faits et dires du Prophte afin de rgle-menter les cas sur lesquels le texte rvl restait muet. Il tait admis que l'Envoy reprsentait le parangon du droit, et que ses actes et propos constituaient les plus incontestables sources d'inspiration.

  • Mais, disparu le messager de Dieu, fourmillrent les anecdotes rapportes. Celui qui avait maille partir avec la justice, le criminel, le voleur, le menteur, le satyre, invoquait pour sa dfense telle phrase ou tel acte de Mohammed.

    Dans son livre, Le Harem politique, Fatima Mernissi dmonte magistralement, aprs une patiente recherche documentaire, l'un des plus fameux hadiths qui dit : Ne connatra jamais la prosprit le peuple qui confie ses affaires une femme. Elle s'en va donc enquter sur la vie de l'auteur de l'affirmation prte au Prophte, et dmontrer que le personnage ne songeait qu' prserver des intrts personnels, en assurant avoir entendu de tels propos.

    Si, durant l'ge d'or de la civilisation arabo- islamique, les rgles furent appliques avec une tolrance remarquable, ds les premiers signes du dclin, les docteurs de la foi revinrent vers des positions plus conservatrices.

    Ainsi toutes les lgislations actuelles des pays musulmans reprennent les prescriptions les plus conservatrices. C'est que leurs dirigeants, monarques hritiers d'un pouvoir dynastique ou militaires auteurs d'un putsch, souffrent d'un manque de lgitimit et veillent viter d'tre dbords d'un ct ou de l'autre.

    L'un des plus beaux exemples est celui de l'Algrie.

    En 1962, le nouvel tat indpendant se trouve devant un vide juridique total. Les dirigeants prennent alors la sage dcision de reconduire les lois franaises, dans la mesure o leur contenu ne portait pas atteinte la souverainet nationale. Ainsi, jusqu'en 1984 l'Algrie fut rgie par une lgislation laque et galitaire, sans aucune discri-mination de sexe. Ce fut le seul pays musulman o l'on pouvait se marier civilement. Mais les contra-dictions entre droit franais et droit musulman placrent les juges dans une situation impossible, puisque, selon un article du Code civil, ils devaient trancher les conflits sur la base de la Loi et du droit musulman.

    La ncessit de promulguer un Code de la famille, dfinissant les droits des membres d'un couple et les dvolutions successorales, se faisait urgente. La premire mouture concocte en 1966 tait si scandaleuse que Boumediene refusa d'en tenir compte. En 1972, une seconde version connut la mme fin de non-recevoir. En 1984, Chadli, dont l'inconsquence est devenue notoire, et qui, comme nous le verrons, avait des gages fournir aux intgristes, accepta de signer une loi encore plus rtrograde.

    Ce triste texte a non seulement entrin les dis-positions islamiques les plus restrictives concer-nant la femme, mais les a compltes de plusieurs mesures rvoltantes.

    Ainsi une femme divorce, mme si elle a la garde des enfants, ne peut prtendre son main-tien dans le logis conjugal. Cette disposition peut paratre bnigne, mais en Algrie la crise du loge-ment est telle qu'il est impossible d'obtenir un appartement avant dix ans d'attente. Pour une femme, souvent dmunie, sans mtier et encombre d'enfants, cela relve du miracle. Sa seule ressource sera de retourner chez ses parents.

    Tacitement blme de n'avoir pas su garder son mari, elle sera accueillie comme une pestifre. Dsormais dpourvue de statut et d'avenir, elle deviendra la bonne de ceux qui vivent encore sous le mme toit. Il n'est pas exclu qu'un frre cadet porte la main sur elle au prtexte d'une chemise mal

  • repasse. Il lui faudra parfois, durant la nuit, consentir, en faisant mine de continuer dormir, se laisser prendre par celui qui l'a battue. Cer-taines s'enfuient et se retrouvent la proie des proxntes. D'autres, pour viter d'prouver l'opprobre familial, en arrivent accepter une situation d'esclave et se soumettre aux plus folles lubies du satyre avec lequel il leur faut continuer de vivre.

    Le mari, qui dispose du logis, est libre de convo-ler en secondes noces.

    Il est certain en tout cas que le Prophte n'avait pas prvu ce cas et que l'on doit considrer cette lamentable innovation comme un abus de droit des mles qui eurent rdiger le texte.

    La barbarie, c'est vouloir rduire les femmes une condition infra-humaine.

    La question sexuelle reste l'un des fondements du projet islamique. Contraints au ralisme, les intgristes accepteraient d'accommoder nombre de leurs principes : l'impt, le taux d'intrt des crdits, les droits de douane et autres formes de restrictions commerciales, peut-tre mme l'inter-diction de la consommation d'alcool, mais cer-tainement pas le sort promis la femme.

    Le 26 mai 1991 dbute en Algrie une grve gnrale illimite, dont le caractre insurrection-nel est clairement proclam par Abassi Madani, le leader des intgristes algriens, par le sacro-saint, officiel et unique canal de la chane de tlvision. Cette action a t dcide pour protester contre le nouveau dcoupage lectoral adopt par l'Assem-ble et considr comme truqu.

    Cela n'tait pas faux. Les dputs FLN s'taient concoct des circonscriptions leur exacte mesure.

    Pour faire meilleur poids dans la balance et gal-vaniser leurs troupes, les intgristes rclament aussi la dmission du Prsident, figure emblma-tique d'un pouvoir par eux honni, et dnonc comme illgitime.

    Ds le premier jour la grve s'annonce comme un chec retentissant. Les proslytes de la rpu-blique islamique venaient de commettre une grave erreur. Les Algriens, quelles que soient leurs ides, affrontent tant de difficults quotidiennes qu'ils n'ont gure envie de les voir s'aggraver. Le vendredi et les jours fris, dans les grandes villes, tous les magasins sont ferms. Il faut s'aligner avant 7 heures du matin devant les boulangeries pour esprer bnficier de quelques baguettes de pain. Les rares bouchers ouverts vous refilent une viande plus que douteuse. En suivant le mot d'ordre, les citadins auraient rendu invivable leur propre quotidien.

    Les initiateurs de la grve se rendent vite compte de leur bvue. Ils dcident alors de lancer leurs troupes dans les rues, dans l'intention de pro-voquer des meutes. Plusieurs affrontements avec les forces de l'ordre ont lieu Alger. A l'issue d'une ngociation secrte avec le gouvernement, ils acceptent de retirer leur mot d'ordre de grve illimite contre la permission d'occuper plusieurs places publiques. Incroyable compromission des dirigeants qui concdent des meutiers le droit de bafouer l'ordre public I !

    Les brigades anti-meutes qui encerclent ces lieux semblent plutt protger les manifestants. On voyait mme certains barbus aider la police dtourner la circulation. Mais, au fil des jours, des nervis fanatiss prennent du cur au ventre et se montrent de plus en plus agressifs face des poli-ciers qui ne disposent que de fusils lance-grenades. L'efficacit de ces armes est drisoire dans une ville btie flanc de montagne, o fourmillent les escaliers. Il suffit de gravir ou descendre

  • quelques marches pour chapper aux fumes dltres. Les agents assistaient donc, au bout de quelques minutes, au nouveau flux de ceux dont ils ten-taient de contenir les assauts.

    Je peux en tmoigner, pour avoir respir la fume de plusieurs grenades qui ne m'taient pas adresses. Elles n'taient pas non plus destines faire pleurer les mnagres qui revenaient de leurs courses, ni faire suffoquer les godelureaux qui attendaient leurs amoureuses. Ceux qui voulaient en dcoudre avaient pris leurs prcautions. Ils s'taient quips de mouchoirs et de bouteilles de vinaigre cens attnuer l'irritation des poumons.

    La place du ler-mai fut un des lieux concds. C'est un des rares quartiers plats d'Alger. Les gre-nades lacrymognes incommodaient plus les habi-tants des immeubles voisins que les protestataires. Plusieurs enfants et vieilles femmes prouvrent des troubles respiratoires. Afin d'viter de se mettre dos la population, les intgristes organi-srent un service d'urgence pour les secourir, puis estimrent que, pour plus d'efficacit, il leur fallait prendre le contrle de l'hpital Mustapha, situ quelques dizaines de mtres de l.

    Les mdecins qui se prsentrent le lendemain furent tonns d'avoir exhiber leurs cartes. Mais les cerbres posts l'entre se montrrent intraitables.

    L'un de mes amis, gyncologue, n'aimait pas se raser. Il put donc rejoindre son bureau sans diffi-cult. Mais, dans le cagibi qu'on lui avait allou, il vit, occupant sa vieille chaise, le planton charg de filtrer les entres.

    Il n'en fit pas un drame. En Algrie, un galitarisme de vieil hritage est cens adoucir les diffrences sociales.

    Si par miracle le taxi que vous avez hl s'arrte, ne vous avisez pas de vous installer l'arrire de la voiture. Ce serait une insulte. Si une secrtaire s'absente sans prvenir durant plusieurs semaines, le directeur devra l'accueillir avec joie. Ne refusez pas la cigarette demande au garon qui vient de vous servir votre caf.

    En consquence, dans un hpital, un mdecin est d'abord au service des agents, puis des femmes de salle, puis des infirmiers, puis, ventuellement, des malades...

    En constatant que sa place tait prise, le gynco-logue s'abstint de toute remarque et se mit lire les instructions que le mdecin de garde lui avait laisses.

    En entrant dans le pavillon des parturientes, il fut tonn d'tre suivi par le factotum. Il lui fit gentiment remarquer que seuls les mdecins et les infirmiers avaient droit d'accs dans un lieu o les femmes donnaient jour de beaux enfants.

    L'homme, qui s'tait dot d'un brassard vert, lui rvla qu'il venait d'tre promu chef de pavillon. Il ajouta qu'il n'ignorait pas que des femmes non maries y accouchaient, mles aux autres parturientes, afin que nul ne souponnt leur mfait. Il allait donc, lui, exiger que chaque femme exhibt son certificat de mariage. Les mdecins surent faire patienter ce gardien de la morale en lui faisant valoir qu'une femme prise de douleurs ne son-geait pas en premier lieu emporter ce document.

  • Je sais que le mdecin et ses patientes furent soulags en dcouvrant au matin les chars qui encerclaient l'hpital.

    Le hidjab est une invention gniale car il illustre la conception qu'ont les intgristes de la relation de couple. Ses larges plis, qui occultent les formes de la femme, dcouragent toute entreprise de sduction. Il procure surtout une formidable sr-nit aux disgracieuses, grosses ou difformes, puisque l'ample tunique cle les dfauts de l'une et les attraits de sa rivale. Le voile est destin inhi-ber le dsir masculin. Leur corps occult, les femmes se retrouvent interchangeables, rduites leur organe gnital. On parvient ainsi refrner l'mergence de tout sentiment amoureux et rabaisser l'acte sexuel au niveau d'un besoin tri-vial. On fait l'amour comme on va aux toilettes.

    On comprend que nos jeunes gens acceptent de laisser leurs parents dcider du choix de leur future compagne. De toute faon, garons et filles vivant spars, ils ne peuvent se rencontrer et s'prendre.

    En vrit, chaque jouvenceau a t amoureux d'une de ses cousines, seules filles qu'il lui tait permis d'approcher mais qui lui restaient inter-dites. 0 ces fantasmes d'adolescents! Elle et lui se marieront sur injonction familiale, l'un et l'autre indiffrents leur partenaire. Us procreront par simple effet biologique. Ils continueront rver de folles treintes, et peut-tre parfois les prouveront furtivement au coin le plus sombre d'un couloir, au cours d'une crmonie de circoncision ou de mariage qui leur aura fourni l'occasion de se revoir.

  • CULTURE

    L'art ou la foi

    Comme tous les mouvements populistes, l'intgrisme est ennemi des intellectuels et de la culture. Son discours fait appel la passion plutt qu' la raison, l'instinct plutt qu' l'intelligence.

    Les intgristes professent qu'il faut refuser l'art au profit de la foi. Toute activit intellectuelle doit se consacrer l'approfondissement de la connaissance du message divin. Toute forme de cration est taxe d'hrtique parce qu'elle est perue comme faisant une coupable concurrence Dieu. Le projet islamique se propose donc explicitement d'touffer toutes les formes d'expression artistique : littrature, thtre, musique, et bien entendu peinture. Mme les chants religieux, pourtant vous la gloire du Prophte et de l'islam, provoquent des rticences parce qu'ils s'accompagnent de quelques monotones accords de luth. Ne trouvent grce leurs yeux que quelques formes artistiques dgrades, comme la calligraphie, la condition qu'elle reprenne des versets saints, ou l'arabesque, pour dcorer les murs et les plafonds des mosques. Dans les maisons dieu, les couleurs mmes sont refuses, A l'exception du vert, bien entendu. Le drapeau national algrien est contest parce qu'il s'orne d'un croissant et d'une toile rouges. Il fut quelquefois brl.

    En ce domaine comme en d'autres, les Algriens ont eu un avant-got du projet islamiste aprs les lections municipales de juin 1990 o le FIS remporta 65 % des mairies. Les crdits des centres culturels furent transfrs au profit d'associations religieuses, et certaines de celles-ci hritrent mme des locaux dsaffects pour un dinar symbolique. D'autres lieux d'expression furent ferms sous prtexte de travaux de rnovation. Pour les tablissements ne dpendant pas de la mairie, on fit tablir par la Commission d'hygine et de scurit des procs-verbaux signalant les multiples vices et dfauts de la construction, en vue de dcrter leur cessation d'activit. Last but not least, un dile imposa manu militari la fermeture de la cinmathque de la ville, qui relevait pourtant d'un organisme central. Lorsque les intellectuels rameuts s'en furent protester, ils se heurtrent une masse compacte de barbus arms de manches de pioches et de barres de fer. A Alger mme, les soires de gala ne pouvaient plus se tenir que sous la protection des forces anti-meutes et donnaient souvent lieu des chauffoures qui opposaient les policiers aux agresseurs des mlomanes. A Oran, le festival de la chanson Ra fut sournoisement torpill.

    Le sport lui-mme, y compris le football, pourtant immensment populaire, ne trouve pas grce aux yeux des intgristes. Contrlant les APW (Conseils rgionaux) ils annulrent plusieurs pro-jets de construction de stades. Face aux protestations, ils affirmrent qu'ils souhaitaient affecter ces fonds la construction de logements afin d'accueillir les millions de familles qui croupis-saient dans les bidonvilles. Redoutable argument, car ceux qui vibraient sur les gradins venaient majoritairement de ces lieux insalubres. Comment expliquer ces mal-lotis qu'en tout tat de cause les entreprises de btiment, publiques ou prives, ne parvenaient mme pas raliser les pro-grammes sur lesquels elles s'taient engages par contrat?

    Si, aprs quelques msaventures, les islamistes se virent contraints de respecter le tabou sportif, ils n'admirent pas pour autant de voir des filles s'exposer dans des stades. Hassiba Boulmerka, unique championne du monde algrienne, fut blme d'avoir montr ses cuisses des centaines de millions de tlspectateurs lors des derniers jeux de Tokyo.

  • Je garde en mmoire des images ubuesques. Une sur musulmane institutrice, emmitoufle dans son hidjab, en train de donner ses lves le cours d'exercice physique, obligatoire. Rfugie dans un coin de la cour, elle ordonne aux enfants de courir, sauter, s'accroupir, lever ou baisser les bras sans qu'elle esquisse elle-mme le moindre geste de dmonstration. Son immobilit exprimait le refus d'assumer son corps.

    Les sciences humaines restent globalement suspectes leurs yeux. A l'universit, elles se sont transformes en cours de propagande islamique. Les tudiants qui se consacrent ces disciplines , n'entendront jamais parler de Darwin, de Freud, d'Auguste Comte, encore moins de Marx, moins qu'il ne s'agisse de pourfendre leurs thories. Ibn Khaldoun lui-mme, pre de la sociologie, n'y est gure en odeur de saintet.

    La biologie, la mdecine et surtout la chirurgie suscitent des rticences, parce que susceptibles d'ouvrir la porte aux dmons du matrialisme.

    Qu'ils soient mules de Marx ou de Keynes, les professeurs d'conomie se voient opposer la tho-rie islamique, sans jamais tre parvenus obtenir de leurs contradicteurs l'nonc des principes fon-damentaux de cette nouvelle branche scientifique. En fait, leur vulgate conomique se rduit deux points de dtail :

    1. Le taux d'intrt des prts est illicite

    2. En dehors de la Zakat, tout autre impt est prohib.

    Dans le monde o nous vivons, il ne parat gure utile de souligner l'inanit de tels prceptes.

    L'Algrie surendette peut-elle se permettre de dfier le Fonds montaire international en refu-sant d'assurer le service de la dette ? Pourrait-elle supporter le boycott des banques internationales, elle qui importe les deux tiers de ses produits ali-mentaires ? Qui accepterait de lui fournir les cr-dits dont elle a un urgent besoin?

    On ne manquera pas de rtorquer que les trs puritains rgimes du Golfe se sont fort bien accommods du systme financier international et qu'ils savent mme l'utiliser leur profit. Cela est vrai. Ce n'est pas sur ce dtail que se jouera le sort d'un tat islamique.

    Tout en se vouant Dieu, les intgristes ne perdent pas pour autant le sens de leurs intrts. Lorsque le Trsor algrien mit des bons convertibles en devises, porteurs ou non d'intrts, les islamistes qui les achetrent choisirent tous la pre-mire formule.

    La Zakat islamique consiste imposer uniform-ment, hauteur de 10 % de leurs revenus, les mnages. Les entreprises, personnes morales, en seraient exemptes. Il est bien clair que ce seul pr-lvement ne saurait subvenir aux dpenses d'un

    tat moderne qui doit assurer le salaire de ses agents, le fonctionnement du secteur ducatif et celui de la sant publique, ainsi que les investisse-ments d'infrastructure, routes, voies ferres, ports,etc.

    En ce domaine aussi, les islamistes adopteront leurs principes.

    Mais la question tait de savoir ce que pouvait signifier le terme d' conomie islamique.

  • Ainsi, nombre de leurs ides ne rsistent pas un examen srieux. Leur mise en avant participe davantage d'une attitude de refus du systme exis-tant qu'elle ne constitue une crdible solution alternative.

    Restent les sciences exactes, supposes neutres, vers lesquelles s'orientent de prfrence leurs affids. L'informatique est trs prise. Lorsqu'ils voient sur l'cran de l'ordinateur s'inscrire nos lettres arabes, ils sont convaincus que la langue du Coran est entre dans la modernit, ignorant que ce n'est que l'effet d'un logiciel conu aux tats- Unis avec la collaboration d'migrs libanais.

    Si prestigieuse qu'elle soit, la science reste sou-mise au primat religieux. Dans les universits algriennes, lorsque retentit l'appel du muezzin, plusieurs gradins d'amphis se vident. Les tudiants qui tiennent accomplir leur prire perdront vingt minutes de cours, moins que le professeur ne soit de leur bord, auquel cas il n'hsitera pas les rejoindre, privant les prsents du mme temps d'enseignement. Dans certaines facults, les isla-mistes sont assurs de leur russite aux examens, quelles que soient les notes obtenues. Tout ensei-gnant qui s'aviserait de les recaler se verrait aussi-tt tax de mcrant, car il aurait fait prvaloir les calculs de rsistance des matriaux sur l'omni-potence divine qui peut faire tenir un immeuble dont les piliers ont t sous-dimensionns ou provoquer l'croulement d'un pont construit selon les normes requises.

    La religion a ainsi fini par investir tous les lieux de l'espace social, du culturel au scientifique.

    En ce cas, la barbarie n'est jamais loin. Ni l'inquisition et les bchers. Les hommes de culture auraient t les premires victimes de ces souffles ravageurs.

    ISLAMO-DOLLARS

    Une manne cleste

    C'est la matrise d'une trs singulire route commerciale qui permet de faire fructifier les fonds secrets du mouvement intgriste algrien.

    Trabendo est une expression tire du nouveau pataoute que parlent les Algriens, constitu d'un curieux amalgame d'expressions arabes, fran-aises, berbres et de suaves nologismes.

    En Algrie le trabendo rgne partout. Inutile de chercher des cigarettes dans les kiosques de tabac. En revanche, juste en face, et au double de leur prix officiel, toutes les marques sont dispo-nibles sur les tals en carton des petits garons qui ne trouvent pas rentable d'aller l'cole.

    Des hommes et des femmes passent leurs jour-nes devant les portes des supermarchs d'tat, esprant la mise en vente de quelque produit absent du march. Les tlviseurs achets sont revendus par leurs acqureurs la sortie du maga-sin. Les rfrigrateurs sont aussi trs recherchs.

    Ils sont, fabriqus, mais en quantit nettement insuffisante, l'usine de Tizi Ouzou. Le directeur de cette entreprise est un homme trs avis. Comme la rglementation ne lui permet pas d'apaiser la grogne de ses ouvriers en leur accordant une augmentation de salaire, il a eu l'ide de leur vendre priodiquement un certain quota de produits

  • lectromnagers. Les heureux proltaires s'en vont l'entre de l'usine les proposer des clients qui n'ont pas la patience de s'inscrire sur une liste et d'attendre deux ans avant d'tre servis. C'est ainsi que le parking s'est transform en souk. Ce prvenant directeur a mme t jusqu' mettre la disposition de ses employs des chariots pour leur faciliter le transport des appareils destins tre proposs l'encan.

    Mais il existe une seconde catgorie de trabendo , beaucoup plus rentable. Il s'agit d'aller l'tranger s'approvisionner en marchandises introuvables sur le march local. Ces touristes trs spciaux choisissent les destinations les plus proches, afin de rduire le prix du billet d'avion. Ils se dirigeront sur Barcelone, Marseille ou Rome. Ils rapportent de tout dans leurs normes valises : des habits, des lames de rasoir, des bas, des pneus, et divers gadgets. On retrouve ces produits dans nos rues en moyenne quinze fois leur prix d'acquisition. Le calcul du profit ralis est simple, le dinar algrien se ngociant sur le march parallle des changes pour un septime de franc.

    Premire consquence : les vols sur ces destina-tions sont complets longueur d'anne, et il est impratif de rserver sa place deux mois l'avance.

    Deuxime consquence : les classes premire ou affaires sont les plus demandes. Rassurez-vous, s'ils ont la bosse du commerce, nos trafiquants n'ont pas encore acquis le got du luxe. C'est tout simplement parce que en premire ils ont droit trente kilos de bagages au lieu de vingt. Comme ils reviennent toujours plus chargs que des baudets, ils ont fait leurs calculs. La diffrence de prix entre les deux compartiments est largement inf-rieure la somme payer pour dix kilos d'excdent de bagages.

    Troisime consquence : s'il vous arrive d'aller en Algrie pour peu de jours et que vous ne soyez muni que d'une toute petite valise, ne vous tonnez pas d'tre abord devant le comptoir d'enregistrement, parfois par une jolie femme. Ne vous faites pas d'illusion sur votre charme. Les Algriennes sont rputes farouches et mritent l'pithte. Elles ne sont en fait attires que par la possibilit de vous faire prendre en charge un ou deux lourds colis, afin de diminuer le montant du supplment acquitter.

    Quatrime consquence : il vous sera difficile d'approcher du comptoir d'enregistrement, car une nue de colis en interdisent l'accs. Les trabendistes se dplacent par groupes de quatre cinq. Vous les remarquerez occups transfrer d'un sac vers l'autre divers paquets. C'est qu'il leur faut estimer au plus juste le poids de leurs bagages afin d'viter de trop payer d'excdent. Les valises sont bannies, car elles leur feraient perdre les pr-cieuses centaines de grammes de leur poids. Ils se dlestent de tout superflu, botes chaussures, sachets, abandonns mme le sol.

    Cinquime consquence : une fois embarqu, ne vous tonnez pas de ne trouver aucun espace libre dans les coffres qui menacent votre crne. Le seul bagage main auquel ils ont droit pse ses cin-quante kilos.

    Ces changes ne se droulent pas sens unique. On exporte aussi des produits. Les Algriens qui voyagent l'tranger ne peuvent pas disposer de devises. Alors ils s'arrangent pour avoir de quoi rgler leurs nombreux achats de leur sjour. Ils s'envolent lourdement pourvus de produits faciles ngocier l'extrieur. Il y eut d'abord les ciga-rettes amricaines fabriques sous licence. L, le calcul devient plus compliqu. Acquises deux fois leur prix officiel en dinars, elles taient revendues la moiti de leur prix l'tranger.

  • Mais ce ngoce n'est plus rentable depuis les dernires augmentations de prix. On s'est par la suite rabattu sur le caf.

    Les diteurs franais qui participrent la foire du livre d'Alger se montrrent effars et ravis au spectacle de la folle rue des visiteurs vers leurs stands. Il fallut des gendarmes munis de matraques pour viter que la manifestation ne tournt l'meute. Les gens achetaient sans compter et choisissaient toujours les ouvrages les plus chers. Les dictionnaires et les encyclopdies disparaissaient dans les premires heures. Ces di-teurs furent impressionns par l'incroyable rage de lire des Algriens. Ils ignoraient que leurs beaux ouvrages ne tardaient pas repartir pour la France o ils se ngociaient, contre des francs lourds, chez les bouquinistes qui bordent la Seine.

    Dbarquant Alger, nos singuliers voyageurs n'ont cure des douaniers qui ouvrent leurs bagages. Ils protestent par principe, puis s'acquittent sans sourciller des droits exigs, toujours faramineux. Ils ont mme parfois l'outrecuidance de prciser au fonctionnaire des Finances qui les taxe que son geste alimente l'inflation, puisqu'ils vont tre obli-gs d'augmenter leurs prix de revente afin de rcuprer la dme perue. On ne rechigne pas uti-liser pour cette contrebande de vieilles dames dont les supplications et les pleurnicheries sont plus mme d'mouvoir les agents du Trsor.

    C'est ce systme d'changes qui permet aux dentistes de se procurer les produits indispensables l'exercice de leur mtier, aux mles adultes, hors les intgristes, de se raser tous les matins en dpit d'une pnurie de lames qui dure depuis plus de quinze ans, aux malades de se procurer le mdica-ment prescrit, aux automobilistes d'acqurir la pice ncessaire la rparation de leur voiture.

    Le Ramadan est certes un mois de jene, mais surtout de bombance nocturne. Les dners se transforment en interminables agapes. On y consomme force sucreries orientales, base d'amandes et de cacahutes. Mais ces indispensables composants sont malheureusement introuvables. Nos nouveaux caravaniers se proposent de les fournir. La jeune fille de vingt ans, attentive elle comme toujours cet ge, a besoin de lingerie fine, et y mettra le prix, quitte y laisser la totalit de sa bourse d'tu-diante ou de son salaire, car le sous-vtement de fabrication nationale est d'une grossiret rebu-ter la plus fruste des paysannes. Les mres des futures maries dpensent une fortune dans ces nombreux accessoires dont doit se doter une fian-ce, sous peine de dshonneur.

    Le Front islamique du salut s'est tt avis de contrler une partie de ce trafic. Les aides de l'Arabie Saoudite et des autres pays du Golfe, de la Libye, de l'Iran, verses en bons dollars par le biais de diverses banques islamiques, ligues et associations religieuses, atterrissent dans des banques installes en Europe, principalement en France, en Italie, en Espagne et en Belgique. Les trabendistes, recruts parmi les chmeurs des grandes villes, se voient avancer le montant du billet d'avion et surtout le pcule en devises ncessaire l'obtention du visa. Comment ne seraient- ils pas tents? Parvenus dans les villes euro-pennes, ils sont hbergs et pris en charge par un correspondant qui leur alloue un montant suppl-mentaire. Ils vont faire leurs courses et, aprs deux ou trois jours, rejoignent l'aroport d'embarquement. On leur ajoute parfois des produits pralablement acquis, commandes de commerants algriens qui rpugnent se dplacer et qui se ver-ront livrs domicile. Ces derniers sont, bien entendu, les allis objectifs du FIS. Comment ne pourraient-ils pas soutenir ceux qui proposent la libert de commerce et la fin de la

  • rglementation des prix, eux qui ont eu subir durant trois dcen-nies les contrles souponneux des agents de l'administration des Finances?

    La marchandise liquide, commanditaires et agents font les comptes et se partagent les bnfices, tous frais et avances dduits. Ceux-ci, la pompe ramorce, sont rinvestis dans d'autres activits tout aussi lucratives, mais orientes vers les proslytes et sympathisants : cassettes audio et vido de prches clbres, autocollants et badges reproduisant des versets coraniques, postera d'imams, livres d'initiation la prire, au pleri-nage, ditions du Coran, des hadiths, des commentaires.

    Ce faisant, il choit ainsi entre les mains des intgristes un fabuleux pactole. Il faut bien admettre qu'ils l'ont utilis trs judicieusement, ce qui ne pouvait que souligner l'incurie du pouvoir tabli.

    Ils surent porter secours aux sinistrs, victimes de sismes ou d'inondations, aux sans-logis qui virent le plafond et les murs de leur maison vtust s'effondrer sur eux, aux chmeurs qui, la veille de l'Ad el-Kebir, ne pouvaient offrir leurs enfants le mouton gorger en commmoration du sacrifice d'Abraham, aux hospitaliss abandonns par leurs parents.

    On peut se demander pourquoi l'Arabie Saoudite finance ces mouvements qui sont susceptibles de se retourner contre elle, comme dans le cas iranien ou durant la guerre du Golfe.

    L'explication rside dans la nature du rgime saoudien.

    L'Empire musulman connut, ds la mort du Prophte en 632, une fulgurante extension. Mais son centre de rayonnement va trs tt se dplacer vers Damas, Bagdad, puis Cordoue en Espagne et enfin vers la Turquie. La pninsule qui fut le berceau de l'Envoy se retrouvera rapidement marginalise. Seuls ses deux Lieux saints rappelleront le pays qui servit de berceau la prophtie.

    Le rve d'Abdelaziz Ibn Saoud, le lopard, tait de redonner l'Arabie le rle hgmonique dont elle n'aurait jamais d se dpartir. En 1921, l'mir du Nejd partit la conqute des Lieux saints, alors contrls par la dynastie hachmite, sous la hou-lette anglaise. Il russit chasser les aeux de l'actuel roi Hussein de Jordanie. Aprs avoir sou-mis les tribus de la rgion, il fonda en 1932 le royaume qui porte son nom, et y appliqua les conceptions ultra-puritaines d'un autre prdica-teur, Mohammed Ibn Abd El Wahab. Le Coran tient lieu de constitution dans cette monarchie islamique, et le droit canon y est strictement appli-qu. C'est sur la place publique que le sabre du bourreau dcapite les criminels. Il n'y a ni Parle-ment ni lections, et les postes importants du gouvernement sont tous dtenus par des frres ou des proches parents du roi.

    Les successeurs d'Abdelaziz, combl de trente- six fils, eurent d'autant plus cur de poursuivre l'ambition paternelle qu'on assistait au Proche-Orient l'mergence concomitante de l'idologie panarabe. Laque et progressiste, elle sduisait nombre de pays arabes qui venaient d'accder l'indpendance. Nasser, aprs la nationalisation du canal de Suez en 1956, devint le porte-drapeau de cette aspiration une renaissance arabe dans modernit. Cette dernire fut conforte par le mouvement des non-aligns qui se runit Bandoung.

  • Le prestige croissant du Ras, la puissance de son arme, ne pouvaient qu'inquiter un pays qui pr-tendait au leadership arabe et islamique. Nasser envoya son arme au Ymen dans le dessein vident d'intimider le voisin du nord.

    L'apparition de ce dangereux rival rendait plus urgente la ncessit de contrer les mouvements modernistes et lacisants qui largissaient leur influence. Les dirigeants saoudiens, se proclamant champions de l'islam, se mirent faire feu de tout bois. En 1962, sera cre la Ligue islamique mon-diale, et sept ans plus tard l'Organisation de la Confrence islamique. L'argent du ptrole, qui commence affluer, va irriguer le rseau de cette internationale islamiste.

    La dfaite de l'gypte face Isral en 1967 marque le dbut du dclin du mouvement pana-rabe. La plus forte arme arabe est brise mat-riellement et moralement. Le prestige du Ras est ruin. Son pays croule sous le poids d'une dette et d'une dmographie insupportables. Nasser dispa-rut et le ple Sadate qui lui succda ne possdait aucune des qualits qui auraient pu faire de lui le guide charismatique.

    L'opulente Arabie ramassa un tendard que nul autre pays musulman ne pouvait plus brandir. Afin de se rallier les faveurs des dirigeants encore rticents, elle s'offrit le luxe de financer la guerre Isralo-arabe d'octobre 1973. Son leadership sur le inonde arabo-musulman devint incontestable. Ainsi se trouva ralis le rve du fondateur du royaume.

    Mais ce proslytisme international peut se retourner contre ses initiateurs. Bien que chiite, Khomeyni bnficia de l'agissante sympathie des Saoudiens qui jugeaient le rgime du shah trop agnostique. On sait que le virulent guide de la rvo-lution islamique d'Iran ne devait pas tarder contester le droit des descendants d'Abdelaziz garder les Lieux saints de l'islam. On a vu les dirigeants du FIS algrien abandonner, trahir leurs financiers lors de la guerre du Golfe pour ne pas se couper d'une base dont le cur vibrait pour Saddam Hussein. Il est certain que, parvenus au pouvoir, les intgristes d'Alger n'auraient pas man-qu de cultiver les diffrences qui les distinguent de l'obdience wahabite en faveur dans la pnin-sule, ne serait-ce que pour conforter leur lgitimit face des tuteurs financiers qui restent fort mal perus dans un Maghreb malkite.

    Cette politique ne pouvait que lui susciter des rivaux. Mme si la source des islamo-dollars s'est tarie dsormais, il reste que beaucoup de mal a t fait. Les organisations islamistes se sont consoli-des et peuvent se passer du financement saou-dien. On assiste mme un effet boomerang : la contestation est en train de se dvelopper dans le royaume wahabite lui-mme, o les radicaux dnoncent la prsence des troupes amricaines sur le sol sacr qui donna jour au Prophte. Les isla-mistes locaux affectionnent ce verset du Coran : Lorsque les rois s'emparent d'une cit, ils y sment la corruption et avilissent les plus fiers de ses fils.

    II Les partenaires de l'intgrisme

    POUVOIR ET INTGRISME

    De la mgalomanie l'inconscience

    Pourquoi le pays arabe le plus occidentalis a-t-il failli basculer dans l'archasme? Quel a t le rle des tenants du pouvoir algrien dans la monte du mouvement intgriste?

  • Il est certain que Ben Bella n'a eu le temps de faire ni du bien ni du mal. Renvers en moins de trois ans de pouvoir par son bras droit, son projet social a avort.

    L'austre Boumediene, auteur du coup d'tat, stratge mrite, avait, ds 1958, trac son plan. Promu chef de l'tat-major de l'Arme de libra-tion nationale (ALN) algrienne, il comprit trs tt, et bien avant de Gaulle, que l'indpendance de l'Algrie tait inluctable. Il labora donc, avec ses disciples du PC du Ghardimaou, un plan d'acces-sion au pouvoir qui lui donna plusieurs longueurs d'avance sur ses rivaux. Pendant que l'arme fran-aise ratissait les maquis algriens, les rduisant leur plus simple expression, Boumediene ne son-geait qu' consolider 1' arme des frontires , place sous ses ordres, plutt que d'aider en mat-riel et en hommes des combattants rduits l'tat de troglodytes par le gigantesque dploiement de moyens militaires. Il alla mme jusqu' bloquer l'introduction en Algrie de certains explosifs chinois capables de dmanteler la fameuse ligne Morice, un barrage lectrifi destin isoler le pays de ses voisins.

    Face au loup, dont l'abondante moustache cachait mal les crocs, Ben Bella ne fut qu'une vic-time expiatoire. Le moment venu, il fut renvers sans coup frir.

    Boumediene s'installa au pouvoir avec la tran-quille assurance de celui qui constate que les faits se plient au cours qu'il leur avait trac.

    L'homme affectionnait les ides fortes et simples. Ptri de culture marxiste, il estimait que les musulmans ne souhaitaient pas aller au para-dis le ventre creux. Il rvait de faire entrer l'Algrie dans le concert des nations dveloppes. Il considrait l'industrialisation comme la voie royale qui devait y mener. levant l'investisse- J ment productif au rang de panace, il allait y consacrer 45 % du revenu national, et condamner les consommateurs l'austrit.

    Il dcida par consquent de sacrifier tous les autres secteurs. Durant son rgne, on ne construi-1 sit pas un seul mtre de voie ferre. Le rseau exis-tant, hrit de l'poque coloniale, de plus malmen par les plastiquages de l'OAS en 1962, se rvlait vtust et triqu, rendant totalement alatoire la circulation des trains. L'augmentation du nombre de vhicules multipliait les embouteillages sur les routes exigus qui conduisaient aux grandes villes. La seule quantit d'essence gaspille cette occa-sion aurait financ la ralisation de nouvelles voies. En vertu de la mme logique, ngligeant les effets de la folle croissance dmographique, on refusa de btir des logements, laissant s'tendre les bidonvilles aux abords des agglomrations. Dans les hpitaux, l'insuffisance des lits amenait les malades s'tendre mme le sol. Il n'y eut qu'une seule exception. mule de Lnine, qui considrait que le socialisme, c'est les Soviets plus l'lectricit , Boumediene accepta de consa-crer les sommes ncessaires l'extension du rseau lectrique.

    Et ainsi se dgradaient de jour en jour les condi-tions de vie des citoyens. Boumediene ne tint jamais compte, ni sans doute ne prit conscience de cette situation. L'austre autodidacte prfrait l'objectivit des chiffres au constat de la ralit. Ses ministres, qui l'avaient bien compris, l'abreu-vrent de statistiques, et si Belad Abdesslam, responsable de l'industrie, devint le plus influent d'entre eux, c'est qu'il sut lui en fournir foison.

    On vit une quipe dirigeante qui s'auto-alimentait de rapports de plus en plus dments, chaque ministre se fondant sur les chiffres dj gonfls de ses collgues pour hisser les siens une barre suprieure. Et, les uns et les autres finissant par y croire, ils se laissaient emporter sur des nuages roses, de plus en plus loin du sol et de ceux qui y vivaient. Devenu

  • lyrique, Boumediene pro-mettait qu'en 1980 il n'y aurait plus un seul ch-meur et, dfinitivement rassur sur notre avenir, dcidait de consacrer ses efforts la politique trangre afin de promouvoir le nouvel ordre conomique international auquel il aspirait.

    L'agriculture fut totalement nglige. Sur les terres en friche ne fleurissaient plus que des usines. Abandonnant leur charrue, les paysans se retrouvrent dans des ateliers. Us ne pouvaient plus voir le ciel. Ceux qui se levaient et se cou-chaient en mme temps que le soleil durent se plier la rectitude des horaires. Il leur fallut apprivoiser non plus un animal, mais une machine trpidante. Faisant un saut de plusieurs sicles, ils quittaient la nature pour entrer dans un univers cauchemardesque, agressif et bruyant. Le rve impossible de retour vers leur milieu d'origine se sublimera dans un surcrot de pit. Des salles de prire furent construites dans des units de pro-duction. Avec l'accomplissement de son devoir religieux, l'ancien paysan recouvrait, pour quel-ques instants, le calme et l'harmonie intrieurs perdus. Il ne manquera pas de considrer cette srnit momentane comme un effet de la foi.

    Les omnipotents services de scurit du colonel feront rgner partout l'ordre de la pense offi-cielle, y compris dans les mosques o les imams fonctionnariss taient tenus de vanter, lors du prche hebdomadaire, les mrites du plan quadri-ennal ou de la rvolution agraire. Cela en devenait ubuesque. Outrs, les fidles se mirent dserter ces temples qui ne servaient plus que de relais au discours politique, pour se rfugier dans des mos-ques en construction et par consquent non encore contrles. L, ils retrouvaient des prdica-teurs bnvoles qui leur parlaient de Dieu mais aussi de leurs proccupations quotidiennes. Ce furent les fonts baptismaux du mouvement int-griste. Ce discours alternatif se radicalisait mesure que s'exacerbaient les contradictions. Sa force fut sous-estime par un Boumediene acquis aux ides du matrialisme historique. Il estimait que la classe proltarienne, favorise par l'indus-trialisation acclre du pays, finirait par balayer ce regain religieux qui ne s'inscrivait pas dans le sens de l'histoire. En cela, il se rvlait lui aussi intgriste, appliquant sans la moindre adaptation une idologie dont il tait l'adepte. Il ne comprit pas que c'tait justement dans le milieu ouvrier, au sein des bidonvilles qui cernaient les grands centres urbains, que prenait corps un mouvement contestataire qui rcusait la politique officielle.

    Boumediene eut une mort bien douce puisqu'il n'assista pas la dconfiture du systme qu'il avait forg.

    Son successeur n'eut pas cette chance.

    Tiraille entre deux dauphins qui s'affrontaient avec frocit pour le fauteuil laiss libre par le dfunt, l'arme dcida d'opter pour un outsider qui consacrait sa sincure de chef de la deuxime rgion militaire la plonge sous-marine et aux jeux de cartes. Boumediene aurait t mortifi, dans sa tombe toute neuve, s'il avait pu savoir qu'on venait de lui donner comme hritier le colo-nel pour lequel il avait le moins d'estime.

    Chadli se retrouva au pouvoir sans jamais l'avoir rv. Si l'opinion populaire ne le crditait pas d'une intelligence hors du commun, son bon sens et son pragmatisme taient apprcis tant ils tranchaient avec la mgalomanie de son prdces-seur. Il n'eut jamais conscience qu'il venait de s'asseoir sur une bombe retardement.

  • Le nouveau matre du pays n'avait rien oubli des avanies qu'il avait d subir de la part de l'entourage du dirigeant dcd. Cet antisocialiste viscral commena par dmanteler les entreprises publiques, tout en lanant ses hommes l'assaut des citadelles dtenues par les fidles du prsident disparu. Il appela en renfort les islamistes, ravis de faire la chasse aux mcrants et qui ne man-qurent pas d'occuper nombre de siges parmi ceux qu'ils venaient de librer.

    C'est ces mmes intgristes que Chadli fera encore appel pour contrer le mouvement de la revendication berbriste qui explosera en Kabylie en avril 1980. Ceux qui rclamaient la reconnais-sance de leur langue et de leur culture amazigh se voient taxer d'agents du Parti franais . En rcompense de la sale besogne effectue, les zlotes de l'Islam obtiendront de nouveaux gages, notam-ment en matire d'arabisation de l'enseignement et de libralisation de la construction de mosques, auparavant svrement contrle. Mais ils acquirent surtout le sentiment qu'ils constituent dsormais une force avec laquelle le pouvoir devra compter et mme composer.

    En 1980, un an aprs l'intronisation de Chadli, le prix du baril de ptrole algrien se mit caraco-ler au-del de quarante dollars, tandis que la valeur du billet vert atteignait les dix francs fran-ais. Cette double manne plongea l'homme la tte chenue dans l'euphorie. Pour se dmarquer de la politique antrieure, il eut cur de satisfaire les besoins effrns de consommation d'une popula-tion longtemps sevre. Pour une vie meilleure, tel fut le slogan qu'inventrent ses spcialistes de la i-oiiiimuiicution. On se mit importer les produits tire-larigot, dans une formidable anarchie. Alors que les biens les plus indispensables continuaient manquer, les rayons des supermarchs d'tat crou-laient sous les gadgets superflus. Les entrepts se rvlant insuffisants, nombre d'appareils taient stocks l'air libre.

    Cette aisance financire donna lieu une cure effrne. La corruption apparaissait en plein jour, et devint mme une vritable institution. Aucun contrat ne pouvait se conclure sans pot-de-vin. On vit mme certains membres du gouvernement rclamer leur part du gteau.

    Il faut parler de Riadh el-Feth. 0 ce rve d'un Occident inaccessible ! Chadli dcida de raliser ce mirage au cur d'Alger. Une entreprise canadienne vint construire une plaza en tout point semblable celles qui pullulent Montral. Le centre devint le lieu de rendez-vous de la jeunesse dore. Vtus de jeans et de blousons de cuir, freluquets et midinettes s'y rencontraient, pour prendre un th et vibrer aux rythmes des clips amricains trans-mis par un foisonnement de tlviseurs. L, les amoureux pouvaient se prendre la main, et mme s'embrasser sans craindre d'acerbes remarques. Les parents taient rassurs car ils savaient qu'un service d'ordre priv et draconien protgeait leurs enfants.

    L'un des plus misrables quartiers d'Alger ctoie ce morceau d'Amrique du Nord. Prcipitamment construits en parpaings durant la guerre des annes 50, ces immeubles exigus, dpourvus de balcons, aux fentres ridicules, surpeupls, tranchent avec l'univers voisin.

    Il y a d'ailleurs une grille qui spare les deux mondes.

    Les paums ne peuvent accder ce lieu privil-gi. Les consommations y sont trop chres. Ils ne peuvent qu'admirer au passage celles qui s'y rendent en taxi ou rver d'y surgir la Rambo, munis d'une mitrailleuse. Les exclus n'ont aucun espoir de voir une fille s'attacher

  • eux. Et ils va-cuent la force de leur dsir dans les toilettes. Parce qu'ils savent que chaque nuit ils devront s'allonger auprs de leur sur. Ils abordent ou repoussent le corps interdit, mais dans les deux cas ne par-viennent qu' se har et maudire l'objet de leurs tourments.

    Les haut-parleurs des mosques proches rpondent aux airs de Madonna ou de Michael Jackson. Ils fustigent ce temple de perdition qu'ils dnomment Houbel, en rfrence un dieu ant- islamique, pour dnoncer les adorateurs des nouvelles idoles.

    Le 26 dcembre 1991, ce quartier d'Alger a vot massivement pour le FIS.

    L'pais matelas de devises touffa pour un temps l'effervescence sociale.

    Mais ds 1986, avec la brusque contraction du pactole ptrolier, commencrent se lever les vents de la tourmente. Une agriculture moribonde, une industrie dglingue, une dmographie galo-pante amplifirent les effets de la rcession conomique.

    Chadli prit soudain conscience de la poudrire sur laquelle il s'tait assis. Dpass, il entra dans une re de palinodies, adoptant simultanment un remde et son antidote, ce qui ne pouvait qu'aggra-ver la situation. Les citoyens acquirent le senti-ment de l'incapacit du pouvoir influer sur le cours des vnements.

    Le coup de semonce des meutes d'octobre 1988 provoqua une crise de conscience chez le troisime prsident algrien. Le pays entrait dans une re de turbulences, et son dirigeant n'avait rien d'un oiseau des temptes. Voyant sa lgitimit conteste, afin de satisfaire au dsir de changement des citoyens, il promulgua une constitution qui instau-rait le multipartisme, non sans avoir pris la prcaution pralable de se faire rlire de faon anti-cipe. Les liberts que mnageait la nouvelle Loi fondamentale furent pain bnit pour le mouve-ment intgriste qui s'engouffra allgrement dans la brche dmocratique. Ses tnors commencrent par rclamer la dissolution d'une assemble lue sous le rgime de parti unique, soutenus en cela par la multitude des nouveaux partis crs. Tous rvaient d'en dcoudre avec un FLN discrdit. Mais Chadli n'osa ni franchir le Rubicon ni dissoudre l'organe dcri accus d'tre l'origine de tous les maux du pays. Il cda devant les pressions multiformes des lus du palais Zirout qui enten-daient jouir le plus longtemps possible de leurs nombreux privilges.

    L'homme qui excellait dans le maniement du fusil harpon, par son imprvoyance, se retrouva dans une situation inextricable. La nouvelle Loi fondamentale dotait d'un rel pouvoir une Assem-ble qui ne tenait lieu auparavant que de chambre d'enregistrement. Les dputs eurent cur d'exercer les prrogatives que leur confrait le nouveau texte. Plusieurs projets de lois furent ainsi dnaturs ou rejets. Tandis que les successifs gou-vernements taient paralyss, montait la grogne contre une Assemble rcuse par la population et les partis politiques, et qui de plus avait l'outrecui-dance de contrer l'action de l'excutif.

    Aprs avoir emport la majorit des commmes lors des lections municipales de juin 1991, les intgristes eurent la conviction qu'ils se trouvaient aux portes du pouvoir. Face un prsident qui se rvlait des plus timors, ils accrurent leurs pressions. En fait, Chadli, qui souffrait d'une grave crise de lgitimit, avait fini par confrer celle-ci aux vainqueurs du premier suffrage pluraliste de l'Algrie. Il reculait chaque fois devant les exi-gences renouveles de ses anciens allis qui finirent par acqurir un sentiment de totale impunit.

  • Les Algriens vont alors vivre une priode de laxisme o chaque fait accompli du mouvement intgriste, bafouant l'autorit de l'tat et dfiant ses lois, repoussait les limites du tolrable.

    Tous les vendredis, les dizaines de milliers de haut-parleurs des minarets diffusaient des discours d'imams qui incitaient l'meute et appelaient au meurtre. Les exactions de leurs affids fanatiss se multiplirent. Lorsque certains de leurs hommes prirent d'assaut, haches en main, le tribunal de Blida, le chef du gouvernement de l'poque, Mouloud Hamrouche, interrog la tlvision, n'osa pas les accuser en dpit des preuves formelles dont il disposait. Dans une autre ville, ils incendirent la maison d'une femme divorce qui avait commis le crime de recevoir chez elle un homme. Son fils, en bas ge, prit carbonis. L'existence d'une filire qui envoyait des hommes s'entraner auprs des maquisards afghans tait de notorit publique. Son sige se trouvait dans la mosque Kaboul, Belcourt, en plein cur d'Alger. Lors de la guerre du Golfe, on vit se pavaner le second du FIS, Ali Benhadj, affubl d'une tenue militaire. Il exigea d'tre reu par l'tat-major de l'arme. Chadli contraignit des vtrans de la guerre de libration recevoir le glabre Savonarole et le journal tlvis couvrit l'entrevue. Offusqus par le profil bas et la soumission du chef suprme de l'arme, les anciens maquisards ruminaient leur rancur. Auparavant, le secrtaire gnral du ministre de la Dfense nationale - en fait rel ministre, puisque le Prsident dtenait auto-matiquement le portefeuille selon une prcaution instaure par le trs prudent Boumediene, dten-teur du mme poste sous Ben Bella et qui ne sou-haitait pas tre victime d'un complot semblable celui qu'il avait foment -, le gnral Chelouffi, fut cart pour avoir, dans l'hpital militaire qui relevait de lui, impos aux infirmires qui por-taient le hidjab de s'en dfaire au profit de la blouse rglementaire au moment de pntrer dans le bloc opratoire. Ce fut une priode propice aux dpassements de toutes sortes. Les auteurs de dlits arrts, s'ils se rvlaient islamistes, voyaient leurs partisans faire irruption dans les commissariats pour exiger, et parfois obtenir leur libration immdiate, ou envahir le tribunal pour intimider et menacer le magistrat qui avait juger de l'affaire.

    Les multiples exactions impunies commen-aient instaurer un climat de terreur.

    Aprs le raz de mare intgriste des lections du 26 dcembre 1991, Mohamed Boudiaf fut appel la rescousse, comme de Gaulle aprs le 13 mai 1958.

    La majest sied aux sauveurs. Un zeste de mpris l'encontre des prdcesseurs est de mise. Une condescendance mtine de quelques mesures rpressives est ncessaire pour amadouer une presse frondeuse. L'auteur de l'appel du 18 Juin et le fondateur du FLN se rejoignent en de nombreux points. Ils eurent tous deux leur traverse du dsert.

    De Gaulle parvint rgler la crise algrienne.

    Boudiaf russira-t-il temprer la fivre isla-miste de l'Algrie?

    LES INTELLECTUELS ET L'INTGRISME

    L'Arlsienne

    Que firent les hommes de culture, de pense pour lutter contre ce retour de la barbarie?

  • Triste histoire que celle des intellectuels algriens! Chaque fois qu'ils avaient rendez-vous, ils ont rat le coche de l'histoire.

    Ils prirent la mauvaise voie, dans les annes 1930, lors de la renaissance du mouvement national.

    Il faut remarquer que, dans tous les pays anciennement coloniss, la revendication indpendantiste fut dirige soit par les chefs de l'aristocratie traditionnelle lorsque les occupants trangers lui ont permis de survivre, soit par une lite forme dans la langue et les universits de la mtropole.

    L'Algrie constitue un cas d'exception.

    Les fils des grandes tentes ne purent guider la rsistance l'occupation franaise parce que l'administration coloniale avait dmantel les structures tribales, ruin leurs fondements cono-miques et exil ou dispers leurs chefs. Il est incomprhensible que les intellectuels n'en aient pas profit pour se saisir du flambeau de la reven-dication anticoloniale. Regroups dans l'Union des amis du Manifeste algrien (UDMA) de Ferhat Abbas, ils se contentrent de rclamer un statut d'galit des droits entre Algriens et Franais.

    En ce sens, ils ne pouvaient rpondre aux attentes des masses. Ce sera un mouvement popu-liste, constitu de plbiens, cr et dirig par Mes- sali Hadj qui cristallisera les aspirations indpen-dantistes. Le Parti populaire algrien (PPA), dissous puis reconstitu sous le nom de Mouve-ment pour le triomphe des liberts dmocratiques (MTLD), natra paradoxalement en France, au sein des ouvriers migrs. Son succs de plus en plus manifeste attirera vers lui un certain nombre de clercs qui investiront peu peu le comit central du parti. Ils ne tardrent pas soulever une grave crise en s'opposant au leader charismatique la barbe de patriarche biblique.

    Les intellectuels algriens ne surent pas non plus se dterminer lorsque surgit la question fonda-mentale : fallait-il passer la lutte arme pour arracher l'indpendance nationale?

    Les cadres du MTLD ne cesseront pas de ter-giverser tandis que s'exacerbait l'irritation des membres de l'Organisation spciale, la branche occulte et activiste du parti, charge des coups de main et des sales besognes. Elle regroupait en son sein les militants les plus radicaux qui ne rvaient que d'en dcoudre avec l'oppresseur. Traqus par la police, contraints la clandestinit, ils rageaient de voir les notables du MTLD, confortablement installs dans leur bureau, repousser de jour en jour la dcision fatidique.

    Six membres seulement de l'Organisation sp-ciale du MTLD se runirent le 23 octobre 1954 pour crer ce qui allait devenir le prestigieux sigle : FLN. Hommes de l'ombre, forcment inconnus, mpriss par les chefs du mouvement auquel ils appartenaient, ils tentrent de rallier les intellectuels du comit central. Ces derniers conduisirent les aventuriers avec rpugnance.

    Ce furent donc quelques marginaux qui, en 1954, le jour de la Toussaint, osrent annoncer au monde entier qu'ils dclenchaient une lutte arme pour revendiquer l'indpendance nationale. Le ridicule arsenal dont ils disposaient comptait quel-ques fusils de chasse et d'antiques pistolets. Le nombre de leurs recrues tait infrieur cent.

  • Leur succs dpassa pourtant leurs plus folles esprances. Les laisss-pour-compte furent rigs au rang de thaumaturges.

    Les intellectuels ne commencrent rejoindre le FLN qu' partir de 1956. Ils furent traits comme des rallis. Il en fut ainsi de Ferhat Abbas. S'il assuma pour un temps la prsidence du Gouverne-ment provisoire algrien, il tait de notorit publique qu'il ne disposait d'aucun pouvoir. Les crateurs du FLN, promus colonels, tenaient soli-dement en main les leviers essentiels.

    Les plbiens qui eurent la tmrit de tenter l'aventure indpendantiste gardaient des intellec-tuels une image de phraseurs vellitaires, toujours prts tourner casaque, plus proccups de leur confort personnel et de leur renomme que du devenir national.

    Ceux qui, en 1962, prennent le pouvoir Alger, partagent cette opinion. Fascins par Fidel Castro et Nkrumah, ils feront lourdement sentir aux intellectuels algriens leur dmission historique. Aucun d'entre eux ne pourra exercer de responsa-bilit significative. Si Ferhat Abbas est nomm prsident de l'Assemble nationale, il sera dmis aprs quelques mois de perchoir, ds qu'il expri-mera sa premire divergence.

    Boumediene, qui renverse son prdcesseur, se montre encore plus mprisant envers les intellectuels.

    L'anecdote suivante est trs significative de son attitude.

    Nous sommes en juin 1965. Dans quelques jours doit se tenir Alger la deuxime confrence afro- asiatique. L'vnement devait hisser Ben Bella au niveau des plus grandes stars mondiales du tiers-mondisme, aux cts de Nasser, Castro, Nkrumah et Tito.

    Deux intellectuels avaient t chargs de rdiger le discours inaugural. Ils se mirent table. Mais ils avanaient peu, face l'chance qui se rapprochait, car les conseillers du chef de l'tat ne cessaient de les harceler pour leur demander d'ajouter ou de retrancher tel ou tel paragraphe. Le 18 juin, vers 10 heures du soir, ils purent enfin rentrer chez eux avec la satisfaction du travail accompli. Dans la voiture qui les ramenait, les deux scribes prouvrent un trange sentiment, mais s'abstinrent d'en faire part.

    Le chauffeur dposa l'un, puis l'autre. Le dernier rejoindre son appartement eut peine le temps de franchir le seuil de la porte, que la sonnerie du tlphone retentit.

    Il reconnut la voix du compagnon qu'il venait de quitter. Son collgue tenta de lui faire part des apprhensions qu'il avait hsit exprimer dans le vhicule. Mais sa communication fut trouble par les coups qui faisaient vibrer la porte. Il dut raccrocher pour aller ouvrir.

    Il se retrouva face deux hommes qui prten-daient tre des missaires du Prsident. Leur comportement n'en laissait rien paratre et notre scribe ne se rappelait pas les avoir une seule fois aperus dans l'entourage de Ben Bella. Il apprit qu'il lui fallait retourner au ministre des Affaires trangres afin d'apporter d'ultimes modifications au texte qui venait d'tre achev. La voiture qui les embarqua n'omit pas de rcuprer son compagnon.

    De retour leur bureau, ils furent heureux d'apprendre que ce qu'ils avaient rdig tait fort apprci, mais qu'il convenait d'oprer quelques anodines rectifications. Sans y rien comprendre, les deux rdacteurs durent ainsi ajouter un para-graphe expliquant aux chefs

  • d'tat d'Afrique et d'Asie, attendus Alger, que les vnements qui s'taient drouls dans le pays relevaient d'un redressement destin conforter l'Algrie dan