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Libéralisme, Capitalisme, Antilibéralisme, Anticapitalisme Sommaire Capitalisme, Libéralisme : (...) Antilibéralisme ou anticapitali Anticapitalisme et antilibéral sommaire détaillé Capitalisme, Libéralisme : quelles différences entre ces 2 notions ? Antilibéralisme ou anticapitalisme ? Comment ne pas prendre des vessies roses pour des lanternes rouges Retour sur le libéralisme classique L’offensive néo-libérale L’offensive néo-libérale a en effet accompagné et justifié Nécessité et insuffisance de l’antilibéralisme L’orientation réformiste dominante Anticapitalisme et antilibéralisme - 1 - Capitalisme et libéralisme 1.1 - Qu’est-ce que le capitalisme ? 1.2 - Le capitalisme aurait-il changé de nature ? 1.3 - La notion de 2 classes sociales antagoniques serait- elle obsolète ? 1.4 - On peut donc maintenant définir l’anticapitalisme. 1.5 - Alors quel anticapitalisme aujourd’hui ? - 2 - Le libéralisme 2.1 - Qu’est-ce que le libéralisme ? 2.2 - Évolution et variantes du libéralisme. 2.3 - Les piliers du libéralisme. 2.4 - L’idéologie libérale en action. 2.5 Définir l’anti libéralisme. - 3 - La question de l’Etat. - 4 - Quelques exemples d’utilisation des termes anti- libéralisme et anti-capitalisme. Capitalisme, Libéralisme : quelles différences entre ces 2 notions ? avec Jean-Marie Harribey, Professeur d’économie à l’université de Bordeaux et membre du conseil scientifique d’ATTAC.

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Libéralisme, Capitalisme, Antilibéralisme, Anticapitalisme  

Sommaire

Capitalisme, Libéralisme   :   (...) Antilibéralisme ou anticapitali Anticapitalisme et antilibéral

sommaire détaillé

Capitalisme, Libéralisme   : quelles différences entre ces 2 notions   ?

Antilibéralisme ou anticapitalisme   ? Comment ne pas prendre des vessies roses pour des lanternes rouges Retour sur le libéralisme classique L’offensive néo-libérale L’offensive néo-libérale a en effet accompagné et justifié Nécessité et insuffisance de l’antilibéralisme L’orientation réformiste dominante

Anticapitalisme et antilibéralisme - 1 - Capitalisme et libéralisme 1.1 - Qu’est-ce que le capitalisme   ? 1.2 - Le capitalisme aurait-il changé de nature   ? 1.3 - La notion de 2 classes sociales antagoniques serait-elle obsolète   ? 1.4 - On peut donc maintenant définir l’anticapitalisme. 1.5 - Alors quel anticapitalisme aujourd’hui   ? - 2 - Le libéralisme 2.1 - Qu’est-ce que le libéralisme   ? 2.2 - Évolution et variantes du libéralisme. 2.3 - Les piliers du libéralisme. 2.4 - L’idéologie libérale en action. 2.5 Définir l’anti libéralisme. - 3 - La question de l’Etat. - 4 - Quelques exemples d’utilisation des termes anti-libéralisme et anti-capitalisme.

 Capitalisme, Libéralisme : quelles différences entre ces 2 notions ?

avec Jean-Marie Harribey, Professeur d’économie à l’université de Bordeaux et membre du conseil scientifique d’ATTAC.

Pascale Fourier : Alors aujourd’hui on va s’attaquer à des "gros mots"... Moi je n’ai jamais très compris la différence entre libéralisme et capitalisme ? Ces derniers temps, on entend parler de mouvements qui s’opposeraient au libéralisme, mais qu’est-ce que c’est la différence entre libéralisme et capitalisme ?

Jean-Marie Harribey : Effectivement, ces deux termes au cours des dernières années ont souvent été pris l’un pour l’autre, et cette assimilation, pour ne pas dire cette confusion, est le fait à la fois des tenants du système comme de ses adversaires, ce qui rend cette confusion d’autant plus surprenante. Pour le dire simplement, capitalisme et libéralisme ont quelque

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chose à voir, mais cependant renvoient à des niveaux différents. A quels niveaux renvient ces deux termes ? – Le libéralisme, c’est plusieurs choses. C’est d’abord une philosophie politique qui est née, pour aller vite, à la suite du siècle des Lumières, une philosophie politique qui assure la primauté de l’individu et déclare tous les individus libres et égaux. Mais ce n’est pas qu’une philosophie politique ; c’est aussi une doctrine économique , une doctrine économique que l’on peut décliner sous deux aspects : c’est d’abord une présentation du capitalisme et c’est un discours normatif sur le capitalisme (lors ça nécessitera que nous définissions ensuite le capitalsime). Alors je reprends chacun de ces ponts : "une présentation du capitalisme"... Ce système économique qu’est le capitalisme est fondé sur une déclaration de principe : "la propriété privée est un droit naturel" et "la recherche de l’intérêt individuel mène à l’intérêt collectif" - "la somme des intérêts individuels recherchés par chacun d’entre nous doit nous mener spontanément à l’intérêt collectif". Et de ce fait on peut considérer que la société, au sein de la philosophie libérale, naît de la multiplication des contrats marchands que nouent les individus. Voilà pour résumer très vite ce qu’est la présentation, par le libéralisme, du capitalisme dans sa version doctrine économique. Mais c’est aussi un discours normatif sur le capitalisme que l’on peut résumer ainsi : "rien ne doit entraver le marché, rien ne doit entraver son fonctionnement et donc l’Etat doit être réduit à sa plus simple expression, c’est-à-dire doit se limiter à garantir que les règles du jeu sont respectées par tous et sanctionner éventuellement les agents qui contreviendraient à ces règles". Voilà un ptit peu ce que c’est que le libéralisme : une philosophie politique et en même temps une doctrine économique. Mais implicitement, j’ai fait référence à la deuxième notion : le capitalisme.

– Le capitalisme, lui, ce n’est pas n’est pas une philosophie politique, ce n’est pas non plus une doctrine économique, c’est un système, c’est-à-dire une organisation de la société qui trouve sa légitimation dans le libéralisme à la fois dans sa version philosophie politique et dans la doctrine économique. Système économique, organisation de la société donc, qui est fondé sur le fait que les uns sont propriétaires des outils de production tandis que les autres, dépossédés de ces outils, sont obligés de vendre leur force de travail, les premiers salariant les seconds et donc vivants sur le fruit du travail effectué par les salariés. Et donc ce système économique ne peut connaître une extension qu’en généralisant l’emploi de la force de travail salarié, c’est-à-dire en prélevant une partie de la richesse produite par ceux-ci.

Pascale Fourier : C’est né quand, cette philosophie libérale, parce que vous avez parlé du XVIII ème siècle,... je pense que c’est plus tardif l’éléboration de ce que vous disiez sur la recherche de l’intérêt individuel qui amène à l’intérêt collectif...

Jean-Marie Harribey : Alors la philosophie politique, qui est le premier volet du libéralisme, est née, comme je vous le disais, à peu près à partir du siècle des Lumières et la doctrine économique est née un peu plus tardivement, pratiquement simultanément à l’avènement du capitalisme. Les premiers économistes, que l’on peut appeler "libéraux", ont écrit, pensé au moment où la révolution industrielle et le capitalisme sont apparus. En Europe, le premier pays à avoir connu cet événement-là fut l’Angleterre qui a été le premier pays européen à avoir connu la révolution industrielle et dans lequel est né le capitalisme et c’est le premier pays aussi qui a vu une pensée économique constituée émerger avec notamment Adam Smith à la fin du XVIIIème siècle.

Pascale Fourier : Mais quand vous dites "l’avènement du capitalisme au XIX ème siècle", ça veut dire qu’il n’y avait pas de capitalisme avant ?

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Jean-Marie Harribey : C’était une forme de pré-capitalisme disons, mais qui était essentiellement axée sur l’échange des marchandises, c’est pour cela que l’on parle de "capitalisme marchand". Pour aller vite, depuis la fin du Moyen-Age jusqu’au XVIIIème siècle, une bourgeoisie commerçante s’est peu à peu enrichie, non pas en faisant produire des marchandises pour les vendre ensuite, mais en faisant du négoce à travers le monde (dès lors qu’ont été ouvertes la route de l’Amérique, la route des Indes, etc… ) pendant deux ou trois siècles, et ce n’est qu’au bout de cette période-là qu’il y a eu une première mutation, c’est-à-dire que les capitaux, au lieu de s’investir exclusivement dans la transaction de marchandises exotiques, se sont investis dans la production, ce qui a donné naissance à l’industrie.

Pascale Fourier : Qu’est-ce que remettent en cause les gens qui s’opposent au libéralisme ?

Jean-Marie Harribey : Alors nous abordons le deuxième partie de votre question initiale après avoir défini la différence qu’il y a entre capitalisme et libéralisme, le premier étant le système, et le second légitimant, dans le domaine des idées, ce système. Devant les dégâts provoqués par la libéralisation accélérée que le capitalisme a connu au cours des deux ou trois dernières décennies, un certain nombre de mouvements sociaux, de syndicats, s’opposent à cette évolution que l’on appelle indifféremment "mondialisation", "mondialisation libérale", "mondialisation financière". Pour que les choses ne soient pas trop obscures, disons que ce qu’on appelle la "mondialisations" est le résultat d’une évolution qui s’est produite au cours des trente dernières années qui a vu une liberté totale de circuler pour les capitaux leur être accordée. Les capitaux circulaient déjà auparavant, mais un certain nombre d’obstacles avaient été mis en place et maintenus dans l’après seconde guerre mondiale, et progressivement, à partir des années 70-80, ces obstacles sont tombés un à un. Et aujourd’hui une liberté totale de circuler pour les capitaux existe, et ceux-ci ne s’en privent pas pour aller participer à la production de la richesse dans le monde et s’en approprier la plus grande part. Ce que l’on appelle "mondialisation", c’est donc cette ouverture généralisée des frontières à la circulation des capitaux et par voie de conséquence à la circulation des marchandises.

Pascale Fourier : Est-ce que le libéralisme mène forcément à la mondialisation ?

Jean-Marie Harribey : Je disais tout à l’heure que le libéralisme était un discours normatif sur le système, sur le capitalisme, parce que le libéralisme s’exprime par des politiques qui sont menées par des Etats ou par des groupements d’Etats à tel ou tel moment. Au cours de la décennie 70-80, un certain nombre de décisions ont été prises pour abaisser toutes les barrières à la circulation des capitaux, pour passer des changes fixes aux changes flottants, pour rendre ses prérogatives aux marchés en privatisant un petit peu partout dans le monde des entreprises publiques, et maintenant un certain nombre de services publics. Donc il y a eu une régression de l’intervention régulationniste des Etats au cours de cette période, et au contraire a été donnés aux forces du marché des champs d’actions nouveaux ou en tout cas plus étendus puisqu’aujourd’hui des secteurs traditionnellement reconnus comme étant d’utilité publique et donc maîtrisés par la collectivité sont menacés de privatisation ou de privatisation rampante comme dans l’énergie, la santé, l’éducation, les retraites, qui sont dans le collimateur des libéraux aujourd’hui pour justement donner au système économique capitaliste toujours de nouveaux champs d’activités où ils puissent rentabiliser les capitaux.

Pascale Fourier : Cela supposait une extension dans l’espace aussi ?

Jean-Marie Harribey : C’est justement un des problèmes, car l’extension dans l’espace, elle a des limites ! Il n’y a plus aucune contrée de la planète dans laquelle le capitalisme n’a pas

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pénétré. Alors certes, il a pénétré à des degrés divers, il y a encore de vastes régions dans le monde où les paysans vivent sur leur petite parcelle de terre et n’ont pas encore beaucoup de rapport avec le marché mondial, mais ça vient. Quand on voit la pression exercée par les multinationales pour imposer des OGM, on comprend pourquoi ils ont l’ambition d’assujettir définitivement tous les paysans de la planète à la fourniture des semences puisque vous savez que les semences OGM sont stériles et obligent les paysans du monde entier à venir se réapprovisionner chaque année. Il n’y a donc plus aujourd’hui un seul espace géographique qui soit encore préservé de la pénétration du capitalisme. En revanche il y a encore des espaces sectoriels qui sont plus ou moins préservés de cette pénétration, et ces derniers espaces sectoriels qui étaient préservés jusqu’à présent sont ceux que j’ai cité, le système des retraites, celui de la santé, et assez largement le système éducatif. Et ce sont ces trois domaines-là qui sont au centre du bras de fer qui se déroule actuellement au sein de l’OMC au sujet du fameux Accord général sur le commerce des services (AGCS) qui vise à libéraliser tous les secteurs que je viens d’évoquer. Et puis il faudrait mentionner également le fait que l’ensemble des connaissances du savoir humain, et notamment toutes les découvertes scientifiques qui sont faites aujourd’hui sur le génome humain et sur l’ensemble des espèces vivantes, sont aujourd’hui menacées de privatisation dans la mesure où, si les multinationales ont la possibilité de déposer des brevets sur ces découvertes, alors cela voudra dire qu’à l’avenir, tous ceux qui utiliseraient pour leur activité économique ce progrès des connaissances devraient payer des royalties à ceux qui détiennent les brevets. On se rappelle l’année dernière la tentative de procès des firmes multinationales pharmaceutiques contre l’Afrique du Sud et le Brésil parce que ces derniers avaient eu le projet de distribuer à bas prix des médicaments génériques contre le Sida à leurs malades. Devant le tollé que cette menace de procès avait soulevé, les multinationales avaient fini par reculer et enlever leur plainte contre ces deux pays. Mais la menace reste quand même présente car si le rapport de forces s’inversait en leur faveur il ne faut pas douter qu’elles reviendraient à la charge pour mettre des restrictions considérables à l’utilisation des découvertes scientifiques par tous les peuples de la terre.

Pascale Fourier : Je n’arrive pas tellement à mettre les choses en perspective... Il y a certains dirigeants occidentaux que je soupçonne peu d’altruisme... Or on les entend à longueur de journaux et d’ondes si on peut dire glapir pour une meilleure intégration des pays du Tiers-Monde notamment à la mondialisation. Est-ce qu’en fait la mondialisation n’est pas née au tournant des années 70 lorsque les marchés occidentaux ont été quasiment saturés de biens de production ?

Jean-Marie Harribey : Il y a effectivement un lien entre cette marche forcée quasiment, cette accélération de l’Histoire, cette volonté d’abolir très rapidement toutes les barrières à la circulation des capitaux et des marchandises, et le fait qu’au tournant des années 70 et 80, le système économique capitaliste connaissait une grave crise structurelle (car touchant à l’organisation même du système économique). Cette marche forcée peut donc s’interpréter comme une réponse à cette crise structurelle. Au tournant des années 70, tous les pays développés ont connu dans un premier temps une baisse des taux de profit, une baisse des taux de rentabilité du capital, et donc une moindre incitation à investir, et donc un ralentissement très net de la croissance économique (même un arrêt pendant quelques années pour certains pays), et la réponse trouvée par les classes dirigeantes dans le monde et par les gouvernements qui en sont le plus souvent les porte-paroles fut la fuite en avant, c’est-à-dire profiter de cette crise-là pour d’abord imposer un recul au salariat, - et c’est ce qui s’est produit : la montée du chômage a favorisé un affaiblissement des positions salariales dans le monde entier, aussi bien dans les pays pauvres que dans les pays riches. Le système

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économique a ainsi rebondi sur ce renversement de rapport de forces, mais ce renversement, qui lui a été profitable puisque aujourd’hui il se trouve avoir rétabli considérablement ses taux de rentabilité, en tout cas jusqu’à la dernière période, mais avec un effet pervers pour lui-même parce que, plus vous laminez les positions salariales, plus au bout d’un certain temps vous rencontrez la difficulté de l’écoulement des marchandises. Et la crise que nous connaissons de nouveau aujourd’hui, après une euphorie et des espoirs faramineux qui avaient été placés dans la soi-disant « nouvelle économie », cette crise-là est en grande partie une crise de surproduction, c’est-à-dire que la plupart des marchés traditionnels aujourd’hui sont encombrés parce que les marchandises n’arrivent pas à s’écouler aussi facilement que les entreprises le souhaiteraient, et le fait de ne pas pouvoir suffisament écouler cette marchandises a des retombées ensuite sur les marchés financiers : l’éclatement de la bulle financières qui s’est produit depuis un peu plus d’un an est consécutif à cette difficulté de rentabilité pour le capital - la bulle ne peut pas éternellement enfler, il arrive un moment où elle a tellement enflé que les perspectives de rentabilité espérées ne se concrétisent pas ; et à ce moment-là, elle éclate- et c’est à cette situation-là que nous assistons aujourd’hui.

Pascale Fourier : Y a-t-il quelque chose à faire contre ça, contre ce qui apparaît comme une pieuvre avec ses bras tentaculaires ?

Jean-Marie Harribey : Bien sûr, sinon nous n’en parlerions même pas ! D’abord il y a des urgences auquelles il faut répondre. L’urgence, c’est de mettre un terme à l’appauvrissement général de la plupart des pays pauvres. Les mesures d’urgences les concernant sont assez simples, c’est-à-dire qu’il faut fournir une véritable aide à un véritable développement qualitatif ; il faut mettre en place un certain nombre de taxes internationales qui seraient affectées à cette aide publique internationale : taxe globale sur les transactions de change, type taxe Tobin, mais aussi taxe sur les profits des multinationales qui pourraient servir à assurer la satisfaction des besoins essentiels qui sont aujourd’hui niés. Ça, c’est l’urgence, et en prenant ces mesures d’urgence, on est amené à réintroduire une forme de régulation qui a été laminée au cours des deux dernières décennies. Cette réintroduction d’une régulation démocratique internationale suffit-elle ? Elle est abolument nécessaire, mais, à mon sens, elle ne suffit pas parce que...., et c’est ça qui oppose d’une part les tenants d’un retour à une régulation pour refaire partir (j’allais dire "conforter") le système sur des bases plus saines, moins spéculatives, moins dévastatrices, à ceux qui, d’autre part, pensent que de toutes façons le système économique fondé sur la recherche du profit est incompatible avec une véritable émergence de la solidarité à l’échelle du monde, est incompatible avec la préservation de la planète pour nos enfants et nos petits-enfants à venir, et donc il s’agit de savoir si on se sert de cette nouvelle régulation que l’on voudrait introduire pour pallier les méfaits les plus criants de ce système, ou bien si on s’en sert comme tremplin pour construire d’autres rapports sociaux. Car comme le disait déjà Keynes dans les années 30, l’humanité sait à peu près résoudre, si elle le veut bien, ses problèmes d’intendance, mais elle a une très grande difficulté, cette humanité, c’est la tâche qui consiste à construire d’autres relations entre les êtres humains, c’est-à-dire d’autres rapports sociaux comme disait Marx et là je crois que ces deux grands économistes se révèlent tout à fait : l’un qui voulait inventer de nouvelles relations humaines et l’autre qui pensait qu’on pouvait les construire en bâtissant d’autres rapports sociaux que ceux légués par le capitalisme. Donc une régulation est nécessaire, non pas pour conforter ce système, mais au contraire pour s’en servir de levier, de tremplin de façon à ce que des processus démocratiques véritables voient le jour : il y a des exemples dans le monde qui montrent qu’on peut construire une véritable démocratie dont la ville de Porto Alegre est un exemple célèbre mais ce n’est pas un cas isolé, il y a d’autres expériences dans le monde qui sont menées. Je crois qu’il faut se servir de ces exemples-là pour montrer qu’il

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n’y a pas d’échéance fatale, que le capitalisme n’est pas la fin de l’Histoire humaine et que celle-ci peut connaître de nouveaux et meilleurs rebondissements si, justement, on ne se contente pas de réaménager un système économique dont la logique est profondément dévastatrice à la fois socialement et écologiquement, mais si progressivement on met en place un certain nombre de mécanismes et de mesures susceptibles d’inverser cette logique-là.

Alors quelles mesures ? Des mesures, pour être tout à fait simple et concret, qui peuvent être prises dans un laps de temps relativement raisonnable : je crois que chaque fois qu’on renforce les droits sociaux dans les entreprises, dans la cité, alors on enfonce un coin dans les mécanismes du capitalisme ; chaque fois qu’on réduit le temps de travail, on réintroduit une réappropriation des gains de productivité ; chaque fois qu’on renforce le pouvoir des salariés, on fait en sorte que la spéculation à la Bourse soit moins forte,… et donc l’inversion de la logique du système ne viendra pas nécessairement comme on l’a cru autrefois d’un renversement violent, voire militaire ou paramilitaire,- on ne prendra pas l’Elysée de force-, mais je crois que si les mouvements sociaux et syndicaux aujourd’hui sont capables d’unir leurs efforts sur des terrains autrefois complètement séparés (le travail et le hors-travail) autour d’idées assez simples : réintroduire ou introduire des droits démocratiques partout, affecter prioritairement les gains de productivité à ceux qui les produisent et non pas à ceux qui s’enrichissent parce qu’ils possèdent le capital, je crois que là on tient une des pistes qui peuvent nous permettre de retrouver l’espoir et sortir de cette vision catastrophique dans laquelle vous craigniez au départ de nous enfermer.

Pascale Fourier :Je ne peux à nouveau que vous conseiller le livre de Jean-Marie Harribey , "La démence sénile du capital", aux éditions du Pasdant, un livre exceptionnel.... Ca se présente sous forme de micro-chapitres ; ça peut se lire dans l’ordre, dans le désordre, on peut revenir dessus, on peut méditer un peu plus longuement...Remarquable !

Jean-Marie Harribey : Du désordre peut renaître quelque chose de positif...

 Antilibéralisme ou anticapitalisme ? Comment ne pas prendre des vessies roses pour des lanternes rouges.

Par Alain Bihr

Au cours de ces dernières années, on a vu émerger et rapidement se renforcer, en France comme dans d’autres pays capitalistes développés, un ensemble de mouvements sociaux, politiques et culturels, dont le commun dénominateur a été la critique, en actes et en paroles, des politiques néo-libérales suivies par les gouvernements, de gauche comme de droite, depuis maintenant près de vingt ans. Parmi ces mouvements, par ailleurs très divers par leurs terrains d’interventions et leurs formes d’action, on peut compter, en allant des plus informels ou plus organisés :

les mobilisations de chômeurs, dans le cadre de "marches contre le chômage" ou d’actions "coup de poing" lors des fêtes de fin d’année (notamment en 1997 et 1998) ;

le développement d’organisations tels que AC !, le DAL, Droits devant, etc., luttant pour l’obtention ou le respect de droits sociaux (droits à l’emploi, au logement, à la protection sociale, etc.) ;

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les mouvements de grève de novembre-décembre 1995 contre les projets et tentatives de réforme de l’assurance-maladie et de certains régimes spéciaux d’assurance-vieillesse, mouvements largement contrôlés par les quelques grandes organisations syndicales (CGT, FSU et "Groupe des 10" notamment) ;

des mouvements et organisations avançant des revendications quant à la nécessaire régulation et quant au contrôle démocratique de la mondialisation économique : naissance d’ATTAC (autour du projet de taxe Tobin et plus largement de taxation des transactions financières), mobilisation contre l’AMI (projet de libéralisation de l’investissement dans le cadre de l’OMC), mobilisations périodiques à l’occasion de la réunion des dirigeants des principaux Etats et des organismes du capital financier transnational (FMI, Banque mondiale), dans le cadre du G7 (ou du G8), de l’OCDE, du sommet de Davos, etc., dont certaines (notamment celle de Seattle fin novembre 1999 et celle de Millau fin juillet 2000) ont connu un beau succès.

Cette liste, non exhaustive (on pourrait y ajouter les mobilisations contre Mac Donald’s, pour l’abolition de la dette du Tiers Monde, pour la promotion d’un commerce équitable, etc.), donne une idée de l’étendue et de l’extrême diversité de ces mouvements. En fait, un ensemble de mouvements qui ne forment pas encore, de loin, un mouvement d’ensemble, unifié autour de quelques finalités et objectifs communs, encore moins autour de quelques organisations phares. Et pourtant, ce qui permet de leur trouver un air de famille, c’est incontestablement l’antilibéralisme qui leur fournit au moins un point de convergence. Que faut-il penser de cet ensemble de mouvements ? Quel espoir peut-on fonder sur eux ? Quelles sont inversement leurs limites et les critiques qu’on peut leur adresser ? Telles sont les principales questions que cet article se propose d’aborder.

Retour sur le libéralisme classique

Pour répondre à ces questions, il est nécessaire de procéder à un petit détour théorique et historique, en rappelant le contenu et la signification de libéralisme en tant que mouvement politique et idéologique. La pensée libérale émerge en Europe occidentale au cours des XVIIe et surtout XVIIIe siècles, dans le contexte de la transition du féodalisme au capitalisme. Elle est élaborée et diffusée par des intellectuels, des groupes, des mouvements liés, de près ou de loin, à la bourgeoisie, qui est alors la classe qui, dans toute l’Europe occidentale, est en train de supplanter l’ancienne aristocratie féodale comme classe dominante, sur le plan économique d’abord, sur le plan politique ensuite. Elle constitue l’idéologie dont cette classe se sert tout à la fois pour lutter contre l’ancien ordre féodal et pour justifier les nouveaux rapports économiques, juridiques, politiques qu’elle est entrain d’introduire et de développer.

Une fois parvenue au pouvoir, établie comme classe dominante, la bourgeoisie se servira du libéralisme pendant tout le XIXe siècle comme idéologie justifiant les rapports sur lesquels se fonde sa domination, en particulier contre les idéologies socialistes portées par le mouvement ouvrier naissant. Le libéralisme est donc typiquement une pensée bourgeoise, elle exprime la vision du monde propre à cette classe sociale dans sa phase de conquête du pouvoir et la première phase (historique) de son exercice. En tant que tel, il s’articule autour de trois idées-forces et valeurs-phares.

* La première est, comme la dénomination même du libéralisme l’indique, la liberté, essentiellement en fait la liberté individuelle. Liberté dont le libéralisme décline les différentes formes : liberté économique (assimilée au libre développement des échanges

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marchands) ; liberté politique (assimilée à la constitution de ce qu’on appelle d’habitude un Etat de droit) ; liberté de conscience enfin (liberté en matière de choix moraux, religieux, philosophiques, etc.).

* La deuxième idée et valeur clé du libéralisme est l’individu, mais compris d’une manière individualiste, comme un être existant en lui-même et par lui-même, indépendamment de et antérieurement à tout rapport social, à toute vie en société, et dont les intérêts particuliers ne sauraient être fondamentalement différents de l’intérêt général du corps social qui n’en est que l’addition. Cette conception individualiste de l’individualité s’articule d’ailleurs étroitement sur et avec l’exaltation de la liberté individuelle. En effet, tel que le conçoit l’individualisme, l’individu est l’homme libéré de tous les liens et de toutes les contraintes, hormis celles qui naissent de l’obligation de respecter la liberté de ses semblables, des autres individus parmi lesquels il vit.

* D’où la troisième idée et valeur clé du libéralisme : l’égalité juridique, l’égalité de droit entre tous les individus, l’égalité des individus face au droit et à la loi, égalité qui doit précisément lui garantir les conditions d’exercice de sa liberté. En effet, tout privilège (tout avantage garanti par le droit ou la loi) est tenu comme directement contraire à la liberté individuelle et doit être aboli à ce titre. Mais le libéralisme se désintéresse évidemment de l’égalité réelle des individus, celle de leurs conditions matérielles et sociales d’existence.

Liberté, individualité (individualisme), égalité, telle est la devise de la pensée libérale. Elle l’était déjà lors de sa formulation, au cours du XVIIIe siècle. Elle l’est encore de nos jours.

Cette pensée, hégémonique tout au long du XIXe siècle au sein des principaux pays capitalistes développés d’Europe occidentale et d’Amérique du nord, va entrer en crise à partir de la fin de ce même siècle, dans un contexte marqué successivement par la transformation du capitalisme concurrentiel en capitalisme monopolistique ; par la montée des rivalités entre nations impérialistes ; par le déclenchement de la Première Guerre mondiale et l’effondrement de la culture humaniste classique qui s’ensuivit ; par la faillite des politiques économiques libérales dans les années 1930, incapables de juguler la crise structurelle dans laquelle s’est enfoncé alors le capitalisme monopolistique ; enfin par sa faillite aussi bien idéologique que politique face aux fascismes comme face au stalinisme.

Dans le contexte de l’après-guerre, le libéralisme semble avoir définitivement vécu. Le cadre institutionnel dans lequel le capitalisme occidental se sort de sa crise structurelle et engage la période des "trente glorieuses" années de croissance fordiste tourne délibérément le dos à certains principes libéraux. Il procède en effet de la conviction que le libre marché n’est pas auto-régulateur ; que la somme des initiatives individuelles (celles des entrepreneurs capitalistes) ne saurait assurer par elle-même les conditions d’une croissance économique continue et encore moins l’intérêt général du corps social, qu’elle demande à ces fins à être encadrée par tout un dispositif de conventions collectives, de réglementations juridico-administratives, de régulations étatiques ; et que l’égalité juridique formelle se doit de se prolonger et de s’approfondir par des dispositifs garantissant sinon une parfaite égalité réelle, du moins un ensemble de droits sociaux universels limitant et réduisant la dérive spontanément inégalitaire à laquelle conduisent les marchés. Ces principes sont alors clairement énoncés par une pensée qui s’inspire pour partie de la tradition social-démocrate (et, à travers elle, d’un marxisme abâtardi en économisme) ; et pour partie aussi des travaux de John Maynard Keynes. Dans ce cadre, le libéralisme ne se survit plus que sur le plan politique dans l’Etat de droit qui trouve une nouvelle légitimité dans l’édification de l’Etat-

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providence et dans le "socialisme réellement existant" qui lui sert de repoussoir ; ainsi que sur le plan éthique, dans le développement de l’individualisme consumériste, au delà même de la sphère de la consommation marchande, qui tend alors à se subordonner l’ensemble de la vie quotidienne dans le cadre de la soi-disant "société de consommation".

L’offensive néo-libérale

La crise dans laquelle est entrée le modèle fordiste de développement du capitalisme au cours des années 1970 va fournir au libéralisme l’occasion d’effectuer un inattendu retour au premier plan de la scène politique et idéologique. C’est en effet sous sa bannière que, à partir de la fin de cette même décennie, va se mener l’offensive de la classe dominante destinée à "faire payer" la crise aux travailleurs ; offensive relayée, sur le plan politique, à la suite de Thatcher au Royaume Uni et Reagan aux Etats-Unis, par la quasi totalité des gouvernements occidentaux et, sur le plan idéologique, par la grande masse des média et, sous diverses formes, par la plus grande partie des intellectuels (journalistes, universitaires, essayistes, etc.). En lui prêtant son langage, ses thèmes et ses thèses, ses concepts, le libéralisme aura apporté sa contribution à la cohérence et, par conséquent, au succès de cette offensive. Celle-ci se sera fixé essentiellement trois objectifs, dont l’inspiration libérale est à chaque fois manifeste.

* En premier lieu, le démantèlement du rapport salarial fordiste, dont la réglementation est accusée de fausser la concurrence sur le marché du travail dont résulterait à la fois le chômage et la dégradation de la valorisation du capital (la chute du taux de profit)

Sont ici particulièrement visés :

la réglementation légale ou conventionnelle des conditions d’embauche, d’emploi et de licenciement de la main-d’oeuvre salariée, qui doit être laissée à la totale initiative capitaliste ;

l’existence de seuils minimaux (salaire minimal) légaux ou conventionnels, les salaires devant pouvoir fluctuer à la baisse jusqu’à retrouver le point d’équilibre entre offre et demande de travail, censé faire disparaître le chômage ;

l’indexation des salaires sur les prix et sur la productivité, pivot de la régulation fordiste et élément majeur des politiques keynésiennes, les salaires ne devant progresser au mieux qu’au rythme de la croissance économique générale ;

le principe de la négociation collective et centralisée des conditions d’usage et d’emploi de la force de travail, auquel les libéraux proposent de substituer une individualisation la plus poussée possible du rapport salarial ;

enfin, l’existence de systèmes publics de protection sociale, auxquels les libéraux proposent de substituer des systèmes volontaires d’assurance privée.

A travers la déréglementation systématique du rapport salarial, l’objectif, non avoué parce que non avouable, est d’obtenir une baisse du coût salarial global et, surtout, de placer collectivement les travailleurs dans une situation où le rapport de forces ne peut que leur être défavorable, condition de leur exploitation accrue.

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* La seconde cible de l’offensive néo-libérale aura été "l’Etat interventionniste". Entendons la gestion de l’économie capitaliste par l’Etat, dont la période fordiste a fourni une première forme historique. A la régulation de l’économie par l’Etat qui, selon les libéraux, ne peut qu’aggraver les déséquilibres de tous ordres, ils proposent de substituer sa régulation par le marché qui seule assurerait "l’allocation optimale des ressources".

Ce sont ainsi tous les aspects de la gestion étatique qui se sont trouvés remis en cause. Notamment :

l’Etat entrepreneur (le capital d’Etat), par le démantèlement des secteurs publics, dont les éléments non rentables doivent être purement et simplement liquidés et les éléments rentables vendus (bradés) au capital privé ;

l’Etat-providence, par le démantèlement, brutal ou rampant, des mécanismes institutionnels de protection sociale ; par l’abandon des politiques sociales sectorielles ; l’ensemble devant être remis entre les mains du capital privé ou de la "société civile" (entendons les réseaux d’entraide associatifs ou mutualistes), quant ce n’est pas tout simplement à la famille (la "famille-providence", en fait les femmes, étant censée prendre le relais de l’Etat-providence défaillant) ;

l’Etat régulateur par la déréglementation de tous les marchés, en particulier du marché du travail, comme nous l’avons vu plus haut ; mais aussi du marché du capital (des marchés monétaires et financiers, dans le cadre de l’accélération de la transnationalisation de l’économie qui aura marqué les deux dernières décennies ;

enfin, l’Etat est récusé dans son rôle de régénérateur des capitaux : c’est l’abandon de toute politique industrielle sectorielle et de ses moyens (subvention, prêts bonifiés, tarifs publics avantageux, etc.).

* Se superposant en partie aux deux précédentes, il est cependant possible de discerner une troisième cible de l’offensive néo-libérale, les "débiteurs". Car le néo-libéralisme, ce n’est pas seulement une agression du capital contre le travail, mais c’est aussi la revanche des créanciers sur les débiteurs. C’est en ce sens qu’il exprime fondamentalement les intérêts du capital financier, y compris contre ceux du capital industriel, un capital financier à la pointe du mouvement de dérèglement, dérégulation et mondialisation.

Il s’agit ici de mettre fin à la dérive propre à cette "économie de surendettement" sur laquelle avait fini par déboucher le fordisme et la première phase de gestion de sa crise. La cible apparente est donc l’inflation, qu’il s’agit de réduire autant que possible. La cible réelle, quant à elle, est triple.

Sont ici simultanément visés :

Les "canards boîteux" : entendons tous les capitaux qui ne sont plus rentables, qui ont survécu grâce aux facilités de crédit propres aux politiques keynésiennes, et qu’il s’agit maintenant d’éliminer par un vaste mouvement de destruction et de restructuration du capital en fonction. Bref, il s’agit d’apurer les comptes entre capitalistes eux-mêmes, en mettant fin aux engagements inefficients de capital, essentiellement à travers la hausse des taux d’intérêts réels qui auront atteint des records historiques au cours des années 1980 et jusqu’au milieu de la présente

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décennie. En faisant, une fois de plus, payer les conséquences des "pots cassés" aux travailleurs ; car ce sont eux qui se trouvent en définitive jeter sur le pavé lorsqu’on ferme des entreprises jugés non rentables.

L’Etat encore, dont il s’agit de réduire le "train de vie", en procédant à des coupes claires dans les dépenses publiques, mais aussi du coup en faisant baisser les fameux prélèvements obligatoires, du moins ceux qui portent sur le capital et ses revenus (profits et intérêts), quitte à alourdir ceux assis sur le travail.

Enfin, les pays du ci-devant Tiers Monde, plus particulièrement ceux que les banques occidentales elles-mêmes avaient incité à s’endetter au cours des années 1970 pour s’industrialiser (Mexique, Brésil, dragons asiatiques, etc.). D’où les politiques dites d’"ajustement structurel" imposées par le FMI et la Banque Mondiale, à partir du début des années 1980 à ceux de ces pays demandant le rééchelonnement de leurs dettes. Politiques impliquant la suppression des subventions publiques aux produits de première nécessité ; des couples claires dans les budgets des Etats, conduisant au démantèlement des systèmes sanitaires et scolaires ; la libéralisation du commerce extérieur, ruinant les producteurs locaux ; avec les conséquences dramatiques qui s’en sont suivies pour les populations de ces pays et qui sont aujourd’hui connues de tous.

Ce bref tableau de l’offensive néo-libérale ne serait pas complet si l’on ne soulignait pas expressément deux autres de ses aspects, trop brièvement mentionnés précédemment, sans lesquels le retour en force de l’idéologique libérale ne saurait s’expliquer.

L’offensive néo-libérale a en effet accompagné et justifié :

d’une part, la mondialisation des rapports capitalistes de production, la mondialisation des échanges de marchandises et plus encore de capitaux, impliquant le décloisement des marchés nationaux et le démantèlement des régulation et réglementations nationales de ces marchés opérées jusqu’alors par les Etats ;

d’autre part, la montée en puissance et l’autonomisation relative du capital financier transnationalisé (la "géofinance"), à la faveur de l’éclatement du système monétaire international instauré à la fin de la Seconde Guerre mondiale (accords de Bretton Woods), faisant du dollar l’étalon monétaire international ; de la désintermédiation financière : du recours grandissant des entreprises, notamment multinationales, aux marchés financiers et non plus aux banques pour se financer ; de la montée des taux d’intérêt réels due notamment au creusement des déficits publics ; etc. Mais aussi, il faut le souligner, à la faveur de la déréglementation et dérégulation précédente.

Nécessité et insuffisance de l’antilibéralisme

Le rappel auquel il vient d’être procédé des différents axes de l’offensive libérale suffit pour évoquer la part prise par le néo-libéralisme dans la catastrophe sociale (mais aussi écologique, politique et symbolique) sur laquelle a débouché un quart de siècle de crise du capitalisme(1). Certes, tous les objectifs de cette offensive n’ont pas été atteints ou ne l’ont été que partiellement. Il n’empêche que la montée du chômage de masse, le développement des formes de travail précaire, la stagnation voire la baisse des salaires réels de certaines catégories de travailleurs, les dégradations des différentes formes de couverture des risques sociaux, la plongée de pans entiers des populations du Tiers Monde dans la misère la plus

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noire mais aussi la réapparition de poches de misère et l’aggravation de la pauvreté jusque dans les pays capitalistes développés, faisant contraste avec le rétablissement des profits des entreprises, l’envolée des revenus patrimoniaux, notamment financiers, la subordination grandissante de la gestion des entreprises aux impératifs et aux intérêts du capital financier, de même que l’affaiblissement global du pouvoir régulateur des Etats en matière économique et sociale, tout cela procède bien, plus ou moins directement, des principes et des recommandations édictés par les idéologues et les politiques néo-libéraux.

Par conséquent, dans la mesure où l’offensive capitaliste contre les travailleurs, au sein des Etats capitalistes développés comme au sein du Tiers Monde, s’est menée sous le couvert de la bannière libéral et a emprunté au libéralisme ses objectifs, ses mots d’ordre, ses slogans, l’antilibéralisme a été et reste une nécessité. S’opposer au libéralisme en le dénoncant pour ce qu’il est, c’est-à-direfondamentalement une politique de classe, favorable aux intérêts de la classe dominante en général et de sa fraction financière en particulier, en critiquant ses principes théoriques et en le combattant dans ses conséquences pratiques, est et reste un élément important de toute défense intransigeante des acquis antérieurs des travailleurs, tels qu’ils ont été fixés et figés dans les compromis institutionnels que le libéralisme entend démanteler.

Pour m’en tenir à un exemple, on ne répétera jamais assez, démonstration à l’appui, combien le projet de démantèlement des systèmes publics d’assurance-vieillesse fondés sur la répartition (donc l’institution d’une solidarité inter-professionnelle et inter-générationnelle) au profit de système privés de capitalisation (fondés sur le rendement de placements immobiliers et financiers) est une escroquerie du point de vue des travailleurs, dont les pensions de retraite sont ainsi revues à la baisse et deviennent fondamentalement aléatoires ; tandis qu’il correspond pleinement aux aspirations du capital financier de mettre la main sur les milliers de milliards de francs qui chaque année se trouvent collectés par les caisses d’assurance-vieillesse au sein des pays capitalistes développés.

Mais pareille critique du néo-libéralisme, pour nécessaire qu’elle soit, reste insuffisante. Pour deux raisons essentiellement.

La première vient d’être implicitement évoquée. Limitée à elle-même, la critique du néo-libéralisme procède d’une position défensive, d’une position de repli sur les compromis institutionnalisés de la période fordiste que l’offensive néo-libérale se propose précisément de démanteler, pour remettre en cause les acquis des travailleurs qu’ils ont permis d’imposer et d’arracher à la classe dominante. Or la simple défense de ces compromis et de ces acquis est insuffisante.

D’une part, parce qu’il ne s’agit pas d’en faire un horizon indépassable auquel devrait s’en tenir une fois pour toute la lutte de classe des travailleurs : résultat d’un rapport de forces historiquement déterminé, ces compromis et ces acquis en ont aussi enregistré les limites.

D’autre part et surtout, parce que la défense nécessaire de ces compromis et de ces acquis doit aujourd’hui s’effectuer dans un nouveau contexte (celui de la transnationalisation) qui oblige de toute façon à aller au-delà d’eux, à envisager un horizon plus large, et à avancer en conséquence des propositions offensives. Par exemple, impossible de défendre aujourd’hui les différents systèmes publics nationaux de protection sociale sans réglementer la circulation des capitaux et, notamment, celle des capitaux flottants opérant sur les marchés monétaires et financiers à des fins essentiellement spéculatives. Une partie de la mouvance antilibérale l’a

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d’ailleurs très bien compris qui, par l’intermédiaire du mouvement ATTAC, s’est fait le partisan d’une taxation des transactions financières du type de la taxe Tobin. Autrement dit, dans la guerre (lutte) des classes comme dans la guerre tout court, la meilleure défense reste l’attaque.

A cette première raison de l’insuffisance d’une position simplement antilibérale s’en adjoint une seconde, plus essentielle, qui tient à son ambiguïté foncière.

En effet, dans la mesure où le capitalisme avance aujourd’hui sous la bannière et le masque du libéralisme, l’antilibéralisme peut aisément passer et se faire passer pour anticapitalisme. Et ce d’autant plus que, pour des raisons qu’il serait trop long d’examiner ici, le pôle anticapitaliste s’est singulièrement affaibli au cours de ces mêmes dernières décennies qui ont vu se développer l’offensive libérale et sa réaction antilibérale. Or, ni dans ses principes ni dans ses conséquences pratiques, l’antilibéralisme n’est identifiable à l’anticapitalisme.

Ce dernier terme définit en principe une position qui vise un dépassement révolutionnaire du capitalisme, impliquant tout à la fois l’abolition de l’appropriation privative des moyens de production au profit de leur socialisation, de même que l’abolition de toute régulation marchande de l’activité économique et sociale supplantée par une planification démocratique de la production, enfin l’abolition de la division entre travail manuel et travail intellectuel dans le cadre de l’autogestion des unités de production. Laissons ici de côté la question de savoir si pareil projet est plus et autre chose qu’une simple utopie, la visée d’une société idéale (le communisme) dont rien n’assure qu’elle parviendra un jour à réunir les conditions tant subjectives qu’objectives de sa réalisation. En tant que projet, il définit bien un au-delà du capitalisme.

L’antilibéralisme, au contraire, vise plus modestement une politique générale, en l’occurrence un mode de gestion du capitalisme en crise, engagé dans une phase de rupture avec un mode de développement antérieur qui s’est épuisé (le fordisme) et à la recherche d’un nouveau mode de développement. Et ce qu’il a à proposer, pour autant qu’il avance des propositions positives, c’est une autre politique, un autre mode de gestion du capitalisme, par exemple plus respectueux des intérêts des travailleurs ou des contraintes écologiques. Telle est du moins sa signification et sa portée immédiates. Certes, rien n’empêche l’antilibéralisme de se radicaliser, de ne pas s’en tenir à la simple contestation d’une politique exprimant, dans un contexte historique donné, les intérêts de la classe capitaliste en général, pour s’en prendre plus largement et plus profondément aux rapports sociaux sur lesquels cette classe fonde sa domination, et projeter leur renversement révolutionnaire.

Autrement dit, l’antilibéralisme peut se faire anticapitalisme, il peut évoluer vers des positions anticapitalistes. Mais, il n’y a nulle nécessité à une pareille évolution : même sans elle, l’antilibéralisme n’en reste pas moins ce qu’il est, il ne dément ni ses principes ni ses positions.

Autrement dit, non seulement il peut exister un antilibéralisme qui ne soit pas anti-capitaliste ; mais encore, je vais avoir l’occasion de le souligner, c’est même là son orientation dominante.

Dans le contexte politique actuel, où le libéralisme est devenu la langue et la pensée courantes de la classe dominante tandis que le projet révolutionnaire a perdu et sa langue et ses porte-parole, l’antilibéralisme peut donc facilement se parer des vertus de l’anti-capitalisme ; alors même que ni dans son principe général ni dans ses propositions politiques les plus courantes il

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n’est tenu de manifester ni ne manifeste de fait d’orientation capitaliste. C’est sur ce dernier point que j’insisterai pour finir.

L’orientation réformiste dominante

Cette dernière apparaît clairement lorsqu’on analyse les positions et propositions d’un mouvement comme ATTAC, qui constitue sans doute le fer de lance de la mouvance antilibérale actuellement en France (et plus largement en Europe).

Rappelons qu’ATTAC est né du projet formulé par Ignacio Ramonet, directeur du Monde Diplomatique, dans son éditorial de janvier 1998, de créer un mouvement dont l’objectif serait de promouvoir une taxation des mouvements de capitaux à finalité spéculative, tels que le sont ceux qui se déplacent quotidiennement sur les marchés des changes, à hauteur de quelques 1 500 milliards de dollars. Taxation dont l’idée avait été avancée il y a un plus de vingt ans maintenant par l’économiste américain James Tobin. Lancée en juin 1998, l’association a connu au cours des deux dernières années un développement remarquable, puisqu’elle compte désormais près de 20 000 membres et 170 comités locaux et qu’elle a su s’imposer comme un interlocuteur inévitable sur la scène politique. Au demeurant, son champ d’action s’est considérablement élargi depuis sa naissance : tout en continuant à lutter pour promouvoir une taxation des mouvements de capitaux spéculatifs, ATTAC se mobilise désormais tout aussi bien contre les projets de fonds de pension (remaquillés en projets d’épargne salariale), contre les paradis fiscaux, contre la marchandisation de l’enseignement, pour un contrôle démocratique (citoyen) des négociations à l’intérieur de l’OMC, etc. Bref, l’association embrasse potentiellement tout l’horizon de l’antilibéralisme et lui sert de fédérateur.

Son orientation réformiste se lit clairement dans ce qui est son slogan principal, qui a donné son titre à l’ouvrage qui condense ses principes positions et propositions : Contre la dictature des marchés(2). Pour ATTAC, comme plus généralement pour la mouvance antilibérale, il s’agit bien de s’en prendre à la dictature des marchés (et notamment des marchés financiers, comme nous allons le voir plus loin) mais non pas au marché lui-même. Ce qui est récusé, c’est l’idée et le projet de faire des rapports marchands la médiation dominante voire unique de l’organisation sociale : de faire prendre une forme marchande à la majeure partie des rapports sociaux et des activités sociales, de faire entrer dans l’échange marchand tout ce qui peut y entrer, en pliant le reste aux exigences du marché ou le marginalisant. Mais, à aucun moment, il n’est question de récuser le rapport marchand lui-même, la division marchande du travail social, l’éclatement de ce dernier en une myriade d’unités de production séparées les unes des autres, opérant sans coordination entre elles si ce n’est sous la forme de l’échange marchand de leur produits, ni par conséquent l’aliénation (la perte de contrôle, de maîtrise) par la société sur sa propre dynamique économique, sur le développement de ses propres forces productives, qui résulte précisément et inévitablement de l’institution et du développement de la médiation marchande. Ce qui n’est donc pas non plus récusé, ce sont les rapports capitalistes de production qui soutiennent aujourd’hui l’ensemble des rapports marchands, et dont ceux-ci ne sont que la face la plus visible, la plus spectaculaire, mais non pas la plus essentielle.

D’ailleurs, la rhétorique antilibérale n’use jamais du concept (marxiste) de rapports capitalistes de production, il n’est question pour elle que de "marché", désignation euphémisée et en même temps unilatérale de ces rapports. En quoi elle contribue à renforcer l’hégémonie de la "pensée unique" et de sa novlangue auquel elle prétend s’opposer. Parmi

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les marchés, ce sont essentiellement les marchés financiers auxquels ATTAC s’en prend. Elle se propose d’"entraver la spéculation internationale, de taxer les revenus du capital, de sanctionner les paradis fiscaux, d’empêcher la généralisation des fonds de pension"(3). Justifiée par la montée en puissance et l’hégémonie conquise par le capital financier transnationalisé à laquelle on a assisté au cours des deux dernières décennies, cette focalisation sur le seul capital financier n’en indique pas moins elle aussi les limites de cet antilibéralisme. Comme s’est fréquemment le cas dans la tradition réformiste, on s’en prend au capital financier, supposé purement parasitaire, mais non pas au capital en général, comme rapport social de production, dont la finance n’est qu’une excroissance nécessaire, inévitable, y compris dans ses pires délires spéculatifs. Et, pour remettre "les marchés" à leur place, pour tailler des croupières au capital financier, nos antilibéraux comptent essentiellement s’appuyer sur les Etats : il s’agit de "reconquérir les espaces perdus par la démocratie au profit de la sphère financière et de s’opposer à tout nouvel abandon de souveraineté des Etats au prétexte du "droit" des investisseurs et des marchands"(4) ; de "placer la décision démocratique aux postes de commandes de l’économie"(5). Opposer la légitimité citoyenne de l’Etat de droit à l’illégitimité de la propriété privée, de l’appropriation privative de la richesse sociale, tel est le fin mot de la pensée politique d’ATTAC. Mais ce qui est soigneusement omis et sans doute même ignoré dans cette perspective, ce sont les rapports de classe qui se masquent et s’expriment à la fois dans le cadre des différents Etats ; c’est quelle division de la société en classe recouvre et conforte la communauté politique des citoyens auxquels il est ainsi fait appel pour se lancer à l’assaut de la "dictature des marchés".

Méconnaissance des rapports de production travestis sous leur apparence de rapports marchands ; critique du capital réduite au seul capital financier ; sublimation de la division de la société en classe et des luttes de classes dans et par l’Etat démocratique : ce sont là déjà autant de traits qui signent une pensée et un projet réformistes. Ceux-ci se confirment d’ailleurs lorsqu’on imagine ce qui se produirait si les différents projets d’ATTAC devaient se réaliser. A quoi aboutirait-on ? Tout simplement à doter le capitalisme actuel "de nouveaux instruments de régulation et de contrôle, aux plans national, européen et international"(6). Par exemple à réguler la finance mondiale, en jetant "du sable dans les rouages de la spéculation"(7), en lui évitant ainsi de verser par trop souvent dans la création de bulles spéculatives dont l’éclatement inévitable est toujours préjudiciable au capitalisme dans son ensemble. Ou encore à placer l’OMC sur le contrôle des citoyens par l’intermédiaire de leurs représentants démocratiquement élus, en en faisant l’organe de régulation d’un commerce mondialisé dont la légitimité ne serait plus dès lors contesté ni contestable.

On pourrait évidemment ironiser, une fois de plus, sur les illusions réformistes ; démontrer, une fois de plus, qu’il est illusoire d’accepter les prémisses tout en voulant se soustraire à leurs conséquences : d’accepter le marché (le capitalisme) sans la dictature du marché, d’accepter le capital sans le capital financier et le déchaînement spéculatif qu’il implique, d’accepter l’Etat démocratique sans la dépossession du pouvoir effectif des citoyens qu’il réalise, etc. Mais le réformisme n’est illusoire que pour celui qui est dupe de ses belles paroles : pour celui qui prend ses baudruches roses pour des étoiles rouges, qui croit qu’antilibéralisme signifie anticapitalisme. Par contre, il ne l’est nullement si l’on veut entendre par là qu’il serait irréalisable, qu’il n’existerait pour lui aucun espace politique dans lequel il puisse réalise ses projets de réforme. Aujourd’hui et demain tout comme hier, non seulement un réformisme est possible mais encore il est nécessaire.

Il est possible parce qu’il dispose d’une base sociale, actuelle et plus encore potentielle. J’ai eu l’occasion de montrer ailleurs que les projets réformistes de rationalisation (au double sens

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technique et moral) et de démocratisation du capitalisme, en prenant appui sur une régulation étatique de ce dernier, trouve dans la classe de l’encadrement (qui regroupe ce que l’on nomme habituellement, de manière vague, "les couches moyennes salariées") leur masse de manœuvre en même temps que leur sujet politique(8). Si cette classe, en particulier sa fraction publique, a longtemps constitué la base de la social-démocratie, par l’intermédiaire de laquelle elle s’est assuré une position hégémonique à l’intérieur du mouvement ouvrier, elle ne peut plus aujourd’hui se reconnaître dans les héritiers de la social-démocratie classique, qui ont abandonné toute velléité réformiste pour se transformer en chantres et maître d’œuvres d’un néo-libéralisme à peine mâtinée de préoccupations "sociales". C’est le cas en particulier par celles de ses couches qui sont déjà directement affectées, risquent de l’être ou craignent simplement de l’être par les conséquences d’un ultra-libéralisme qui remet en cause, dans le secteur privé comme dans le secteur public, leurs positions privilégiées au sein du salariat. Et ce sont elles que l’on retrouve massivement mobilisées dans un mouvement comme ATTAC, comme plus largement dans la mouvance antilibérale.

A quoi s’ajoute que, en tant qu’expression des intérêts du capital financier, le néo-libéralisme suscite de plus en plus l’opposition d’autres classes et fractions de classes, offrant ainsi à l’encadrement la perspective de réaliser, sous couvert de l’antilibéralisme, un vaste système d’alliances de classe (un bloc) capable de redevenir hégémonique, en occupant sur le plan politique une position similaire à celle occupé naguère par la social-démocratie. Parmi ces autres classes dont le ralliement à la bannière de ce nouveau réformisme peut s’envisager et est plus ou moins déjà engagé, il faut compter :

tout d’abord, une partie du prolétariat, celle qui continue à se reconnaître dans certaines des organisations syndicales qui ne se sont pas transformées en courroies de transmission du libéralisme ;

ensuite, une partie de la petite bourgeoisie mais aussi du petit et moyen capital, en particulier dans les secteurs les plus directement exposés aux conséquences du néo-libéralisme, notamment dans son oeuvre de démantèlement des protections étatiques dont bénéficiaient certains secteurs ; ainsi peut-on expliquer les positions prises et défendues par la Confédération syndicale, dont le leader José Bové est devenu une sorte d’emblème de la résistance antilibérale au nouveau ordre mondial ;

enfin, potentiellement, une partie du grand capital industriel et commercial lui-même, qui subit aussi bien la "dictature des marchés" financiers que les conséquences de la déréglementation néo-libérale. Voire tous les éléments de classe dominante, de plus en plus nombreux, qui ont pris conscience que, si le néo-libéralisme a été une parfaite arme de guerre pour démanteler les compromis antérieurs et établir les conditions d’un nouveau régime d’exploitation et de domination du travail, la stabilisation de ce régime passe par l’institution de nouvelles régulations, au plan national comme au plan international. Précisément ce que nos néo-réformistes (leur) proposent.

Evidemment, les jeux ne sont (heureusement) pas encore faits. Et on est encore très loin de la constitution d’un tel bloc. Mais sa perspective n’a rien d’irréaliste : un certain antilibéralisme peut parfaitement servir de lieu et de moyen de convergence entre membres de classes sociales dont les intérêts sont par ailleurs totalement divergents. La taxe Tobin, par exemple, peut aisément faire l’unanimité entre un enseignant, un agriculteur, un ouvrier et un industriel.

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La réalisation d’une pareille perspective dépendra en partie de l’attitude des militants qui continuent à défendre une perspective révolutionnaire. A eux d’intervenir dans les différents mouvements composant la mouvance antilibérale pour y dénoncer l’orientation réformiste dominante, tenter de les infléchir le plus possible vers des positions plus radicales, et surtout éviter que les organisations syndicales des travailleurs ne deviennent les artisans, cyniques ou naïfs, d’une néo-social-démocratie.

Alain BIHR

[Texte notamment publié dans ’À Contre Courant’ http://www.acontrecourant]

Notes : (1) J’en ai dressé un tableau dans "La catastrophe néo-libérale", A Contre-Courant, n°55 et 56, juillet et août 1994. (2) Editions Mille et une nuits, 1999. (3) Charte de l’association ATTAC, Paris, 3 juin 1998. (4) Id. (5) "Construire ATTAC, agir ATTAC", document ATTAC, novembre 1998. (6) Charte de l’association ATTAC, op. cit. (7) Id. (8) Cf. Entre bourgeoisie et prolétariat : l’encadrement capitaliste, Editions L’Harmattan, 1989, notamment chapitre VI.

 Anticapitalisme et antilibéralisme

par Hervé lundi 24 septembre 2007

Avertissement : ce texte est long. Il ne traite pas de l’événementiel, d’élections, de stratégies du moment. Il s’inscrit dans un travail long, au-delà de l’urgence et traite des fondement même des idéologies et de l’action des protagonistes de ce site, et plus généralement des acteurs politiques qui se considèrent comme anti-capitalistes ou (et) anti-libéraux. Si, seule l’action immédiate vous intéresse, alors ne lisez surtout pas cette contribution. Si vous êtes exténué(e) par une longue journée de labeur et que vos méninges sont plombées, alors passez ce texte.

L’objet de cette contribution est de cerner le sens et de distinguer les notions de libéralisme et de capitalisme et donc de différentier anti-libéralisme et anti-capitalisme.

Cette clarification est importante car : ces termes sont actuellement l’objet de confusion de sens aboutissant à des définitions contradictoires ou à des affirmations imprécise, floues, prêtant à de multiples interprétations, comme j’ai pu le constater en consultant de nombreux articles relatifs à ce sujet. ces mots sont l’objet de brouillage délibéré de sens, notamment par l’extrême droite elle permet de poser clairement le problème de l’identité politique de l’anti-libéralisme et de l’anti-capitalisme ; du positionnement politique d’un groupe dominé par rapport au groupe dominant. Elle permet d’établir des bases claires pour définir des "fondamentaux", des "repères" pour cette mouvance composite appelée ensemble des collectifs anti-libéraux.

Examinons, à l’aide d’un exemple du moment la nécessité de creuser profond le sens des mots : Jennar a écrit (15/06/07) "Un projet politique fondateur s’appuie sur des valeurs fondamentales qu’on partage ou qu’on rejette, mais qui ne peuvent souffrir de compromis. Pour nous, ces valeurs s’inscrivent dans une vision du monde que résume parfaitement la triple exigence de liberté, d’égalité et de fraternité. Ces valeurs impliquent un refus de l’exploitation des humains par d’autres humains. Ces valeurs intègrent totalement le rapport de l’être humain avec son environnement. Mais énoncer des valeurs est sans effet si, en même

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temps, on ne formule pas les réponses aux questions que pose aujourd’hui le respect de ces valeurs..."

Ce n’est pas si simple : avant même d’affirmer qu’une "valeur" ne puisse souffrir de compromis, encore faut-il donner un sens précis, identifiable philosophiquement et économiquement à cette "valeur". Ainsi des chrétiens, des marxistes, des libéraux héritiers de Voltaire ou Diderot peuvent souscrire tous à ces valeurs de liberté, égalité, fraternité. Mais gros problème : ceux-ci n’accordent pas le même sens à ces mots, (même si, sur certains aspects, ils peuvent se retrouver) et surtout, leur conception de l’individu au sein de la société diffère.

De même pour l’idée d’exploitation : par exemple, la notion d’exploitation développée par Marx nécessite un appareillage conceptuel important et ne recouvre pas le sens intuitif qu’un chrétien peut accorder à ce mot, par exemple.

Prétendre vouloir rassembler des gens sur un même corpus de mots-valeurs qui n’ont pas la même signification pour chacun, c’est construire un château de sable qui sera emporté par la première marée, c’est se fixer des bornes en sucre qui fonderont à la première pluie ! Mais il est en effet légitime de se poser la question du respect des valeurs que l’on se fixe. Et alors une question centrale à se poser est la suivante : pourquoi certaines "valeurs" ou principes affirmés ne sont pas respectés et assiste-t-on à un renversement (quasi hégélien) de ces principes au niveau des réalités sociales et politiques ? Cette contribution n’est donc pas un exercice de scolastique, de casuistique : elle cherche à donner des outils pour une clarification conceptuelle de l’anti-libéralisme que semble partager différents courants de la mouvance dite antilibérale : altermondialiste, libertaire, communiste (avec ses multiples partis et factions), situationniste, biopolitique, décroissante, écologiste ou autre.

Il n’est pas possible de penser ensemble, de construire un projet en commun si l’on n’accorde pas le même sens à des principes philosophiques ou économiques considérés comme fondamentaux ou très importants.

D’ailleurs, pour terminer cette introduction, l’une des entreprises de la bourgeoisie dominante et de ses agents d’exécution médiatique pour combattre les antilibéraux est justement le brouillage, la récupération de certains mots en inversant leur sens (exemple : la pensée unique, réactionnaire) et ce pour une double raison : empêcher les gens de penser ensemble, de freiner les débats, de créer des divisions par confusion récupérer des fractions de l’électorat par brouillage des repères sémantiques et identitaires dans les discours politiques.

Il ne s’agit pas ici d’exposer en détails la nature du capitalisme et du libéralisme mais de rappeler les principes fondamentaux et de faire quelques observations sur deux idées qui me paraissent fausses : le capitalisme aurait changé de nature ; la notion de classes serait dépassée.

J’adopterai la méthode de JM Harribey qui me semble la plus claire pour distinguer capitalisme et libéralisme.

1 - Capitalisme et libéralisme.

- 1.1 - Qu’est-ce que le capitalisme ?

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Le capitalisme est un système économique fondé sur la propriété privée des moyens de production et d’échange et non seulement du capital, comme on peut lire dans certains manuels d’économie de lycée. La propriété privée des moyens d’information et de communication dans la société contemporaine revêt une importance particulière. Mais en rester là, comme le fait, par exemple Michel Onfray dans l’une de ces émissions - conférences de l’été 2007 (l’anti marxisme anarchiste) - c’est oublier une autre donnée essentielle : les propriétaires des moyens de production achètent la force de travail (et non le travail) des salariés en exploitant celle-ci, c’est à dire en la faisant travailler plus que le temps nécessaire à sa reproduction. L’achat de la force de travail se réalise par le versement d’un salaire et par un surtravail non payé qui est à l’origine du profit et de ses différentes formes de réalisation financières : intérêt, rente...

Ainsi, un artisan indépendant, qui travaille à son compte, seul, propriétaire de ses moyens de production n’exploite pas la force de travail d’autrui, ce qui n’est pas le cas si un artisan emploie plusieurs salariés.

Nombreux économistes définissent le capitalisme comme le système de l’économie (sociale ou non) de marché. Il s’agit là d’une réduction qui tend à identifier marché et capitalisme, alors que le capitalisme constitue une forme particulière possible d’économie de marché par transformation de l’argent en capital et transformation de la force de travail libre de s’échanger à sa juste valeur en force salariale exploitée.

Pour plus de détails, voir l’ouvrage Théorie générale de J.Bidet PUF §233 et 821.

- 1.2 - Le capitalisme aurait-il changé de nature ?

Ce capitalisme historiquement d’abord marchand, devient aussi industriel et financier. Le fait que le capitalisme dit "managérial" cède la place, dans les années 80, au capitalisme "actionnarial" s’accompagnant d’une financiarisation de l’économie et d’une dispersion de la propriété notamment sur les fonds de pension, s’accompagnant de la complexification des marchés financiers, ne change rien sur le fond : en témoigne l’avidité de privatisation des moyens de production à tout crin de ces 25 dernières années pour enrichir toujours plus la même classe de propriétaires. Ce soit-disant capitalisme sans visage s’accompagne d’une concentration accrue du patrimoine total (10% des ménages possèdent au moins la moitié du patrimoine de la France) : les yatchs, voitures et hôtels de luxe sont toujours plus nombreux pour enrichir concrètement ces gens au visage souriant, détendu et bronzé par un soleil souvent présent...

Que l’on distingue 2 capitalismes (rhénan et anglo-saxon) comme le fait Michel Aubert dans son célèbre ouvrage Capitalisme contre capitalisme ou même 5 comme Bruno Amable Les cinq capitalismes : Diversité des systèmes économiques et sociaux dans la mondialisation , en tenant compte ainsi des différents modes de gestion du capital, de rapports à l’État, des traditions culturelles des pays, est certes très intéressant, mais le capitalisme reste le capitalisme où s’affrontent, que l’on le reconnaisse ou pas, deux groupes sociaux appelés, au grand regret des intellectuels aux oreilles sensibles, classes.

Par ailleurs, certains économistes considèrent que l’avènement du capitalisme dit informationel (lié à l’utilisation massif de l’informatique et des réseaux de communication), ou encore du capitalisme dit cognitif (importance croissante de l’économie de la connaissance) constitueraient des ruptures qualitatives dans la nature du capitalisme. Ceci est

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illusoire : cela fait bien longtemps que le capitalisme produit des biens immatériels marchands, que le travail des scientifiques - chercheurs, techniciens et ingénieurs - fait partie intégrante des processus de production capitaliste. JM Harribey, dans son texte éclairant : Appropriation de l’intelligence par le capitalisme ou sortie de crise avortée du capitalisme contemporain montre bien comment le capitalisme reste fidèle à lui-même malgré les avancées récentes de la technologie de l’information notamment. Les modes de calcul habituels de l’économie marxiste contemporaine s’appliquent sans problème.

- 1.3 - La notion de 2 classes sociales antagoniques serait-elle obsolète ?

Bien sûr , la référence ci-dessus, à deux classes antagoniques, est un peu schématique et suffit à satisfaire bon nombre de militants d’extrême gauche.

Néanmoins, la réalité est un peu plus complexe : le groupe dominant est constitué, selon J.Bidet, de 2 pôles indissociables mais distincts : l’un qui s’occupe du savoir, de l’organisation, de la compétence, l’autre qui s’occupe du marché, de la propriété (mais ces 2 pôles peuvent coexister chez le même acteur). Marx, à la fin du tome 3 du Capital distingue 3 sous-groupes capitalistes : les propriétaires des moyens de production, vivant de profits d’entreprise, les propriétaires du capital vivant de dividendes, les propriétaires fonciers vivant de rentes foncières. Il est intéressant de constater que son manuscrit, sur cette question de classes, reste inachevé.

Du point de vue idéologique ce groupe dominant n’est pas non plus complètement homogène (importance accordée à l’État, à la nation, etc) comme en témoigne l’Histoire des droites en France de René Rémond.

Par ailleurs, ce que peu de marxistes contemporains ont analysé, est le fait historique suivant : la structure capitaliste n’est pas monolithique, uniforme : elle est asynchrone. En effet, coexistent à une époque donnée plusieurs types de modes de production, c’est à dire de propriétaires et de travailleurs, certaines formes anciennes coexistant avec des formes nouvelles. C’est Robert Fossaert qui a formalisé le mieux, dans son colossal ouvrage La société (6 tomes épuisés mais en ligne grâce à l’université du Québec) cette complexité.

Il n’est pas nécessaire de suivre Fossaert dans sa description de ses 15 modes de production et 17 types de formation économique du néolithique à nos jours sur la planète pour constater encore aujourd’hui ce fait : coexistent des modes de production artisanal, coopératif, étatique et capitaliste monopoliste, sachant, évidemment, que le dernier cité domine les autres. Coexistent dans la même société des travailleurs dont les moyens de travail ou même les rapports au propriétaire existaient il y a un siècle et d’autres dont les rapports au propriétaire et dont les outils de travail sont récents. Cette hétérogénéité structurelle n’est pas sans conséquences idéologiques et politiques. Il suffit de penser, par exemple, à la vassalisation des petits entreprises par les grosses firmes multinationales. Il existe une sorte d’inertie des formes économiques dans le développement des sociétés. Ce développement n’est pas linéaire. Il en est de même des représentations idéologiques. Nous verrons plus loin que les représentations idéologiques fondamentale des néo-libéraux n’ont pas évolué depuis 3 siècles.

Le groupe dominé est divisé économiquement en 3 sous-groupes : salariés du privé, salariés du public, travailleurs indépendants. Idéologiquement, ce groupe est divisé, grosso-modo en 4 sous-groupes (je ne reviens pas la-dessus voir mon article sur ce site : Un nouveau type d’organisation politique pour pouvoir changer le monde.

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Certains sociologues ont voulu introduire la notion de strates, de stratification mais cette approche s’est révélée peu opérationnelle conceptuellement compte tenu du caractère finalement arbitraire des critères de stratification. Une autre approche, constatant que l’esprit classiste (conscience de classe chez les marxistes) disparaissait et que les luttes sociales ne se faisaient plus essentiellement dans la production mais dans "la société civile", sur des thèmes sociétaux, conduisant parfois à la formation de communautés, à la formation d’une société mosaïque ou moléculaire, consiste à remplacer le concept de classe par celui de multitude (Toni Négri). Sans nier l’intérêt sociologique de cette approche, elle tend à effacer un fait essentiel : au-delà des problèmes sociétaux spécifiques, au-delà de la diversité des statuts professionnels, cette "multitude" appartient au groupe dominé par la bourgeoisie et partage une communauté de destin : celui d’être exploitée, même si cette exploitation prend des formes diverses.

Le capitalisme, encore aujourd’hui donc, n’est pas compréhensible en profondeur, sans admettre et reconnaître cette réalité : il implique schématiquement deux classes sociales qui, avec des modalités et intensités variables, entrent en conflit, et ce, malgré les techniques sophistiquées d’aliénation mises en œuvre au sein des entreprises, bien décrites par le psychiatre C. Dejours, ou par manipulation de l’imaginaire au sein de la société au moyen des médias.

Les études sociologiques contemporaines ont néanmoins un intérêt majeur : corriger cette vision simpliste de bande dessinée d’un affrontement classe contre classe à la manière de deux cavaliers bardés de lance, armure et bouclier se télescopant en un choc frontal. La très fameuse "lutte de classes" peut en effet prendre des formes plus variées et complexes qu’il y a un siècle et même 50 ans, ce qui n’est pas sans décontenancer les partis et syndicats de gauche traditionnels.

Pour une étude contemporaine approfondie du système capitaliste, on peut se référer au livre de Jacques Bidet :Explication et reconstruction du capital (PUF) et celui de Gérard Duménil Economie marxiste du capitalisme (La Découverte col. Repères) et, dans cette même collection, l’ouvrage de Dominique Pihon Le nouveau capitalisme.

- 1.4 - On peut donc maintenant définir l’anticapitalisme.

Etre anticapitaliste, c’est donc refuser, remettre en cause ce système économique essentiellement fondé sur la propriété privée des moyens de production et l’exploitation de la force de travail manuelle et intellectuelle. Cette remise en cause est non seulement fondée sur l’idée ou le constat que le fonctionnement du capitalisme se nourrit de l’exploitation, de guerres, de précarité, de calamités sociales, de gaspillages, de dégâts et de pillage de l’environnement mais que la finalité du capital n’est pas dans ce système la satisfaction des besoins humains mais le profit, adoptant ainsi l’analyse de Marx à l’occasion de l’étude de la surproduction :

"La fin du capital étant la production de profit et non la satisfaction des besoins, le capital n’atteignant ce but que par des méthodes qui adaptent la masse de sa production à l’échelle de production et non inversement, il doit nécessairement y avoir sans cesse discordance entre les dimensions restreintes consommation sur la base capitaliste et une production qui sans ces franchit cette barrière qui lui est immanente." (Le Capital, Tome3, p250 Ed. sociales)

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Certes, chaque marchandise possède une "valeur d’usage" satisfaisant certains besoins, mais celle-ci ne constitue pas la finalité du système. C’est la "valeur d’échange" qui est primordiale. Il ne s’agit donc pas seulement de remettre en question les conséquences désastreuses de son fonctionnement mais de s’attaquer aux causes, donc aux fondements du système lui-même. Cela implique donc que les moyens de production et le Capital, les sols générateurs de production ou de rentes foncières, deviennent propriété publique collective et que la force de travail ne soit plus objet d’exploitation.

Cela implique alors les séries de questions suivantes :

1 - Quelle doit être la forme de cette propriété publique : étatique ? régionale ? communale ? mutualiste ? Toutes ces formes, distribuées selon les secteurs ? 2 - Quelle est l’ampleur de cette appropriation collective ? Tous les moyens de production ? Les plus importants pour le contrôle de l’économie : dans ce cas, lesquels ? Cette question ne se réduit d’ailleurs pas aux moyens de production mais concerne aussi à celui des ressources naturelles, pas forcément moyens de production : faut-il socialiser toutes les rivières, lacs, étangs, côtes, forêts, et tous les sols ? 3 - Cette socialisation doit se faire massivement et brutalement ou graduellement ? 4 - Selon quelle procédure politique doit s’effectuer cette socialisation ? C’est le fameux problème de la "transition", mais transition vers quoi ?

L’Histoire a déjà, en partie, répondu à ces questions. Il est clair que les voies suivies par les pays dits "communistes" de l’époque contemporaine ne sont pas à suivre et les libéraux voudraient faire croire que toutes les réponses à ces questions ont été données et ont échoué, et, en conséquence, que la question de la propriété des moyens de production est un faux problème. Ce qui paraît être maintenant établi, c’est que cette transition doit être de nature démocratique et s’appuyer sur une large majorité du peuple suffisamment informé et convaincu de la validité des mesures économiques et politiques à prendre pour un tel changement de société.

Indiquons au passage que le mouvement anarchiste est divisé sur cette question de la propriété collective. "Sur cette question des modèles d’organisation économique, le mouvement anarchiste s’est trouvé divisé. Schématiquement, trois modèles sont possibles :

*

1. propriété privée des moyens de production et des biens de consommation ; *

2. propriété collective des moyens de production et propriété privée des biens de consommation ; *

3. propriété collective des moyens de production et des biens de consommation. Chacun de ces modèles a trouvé des adeptes dans le mouvement anarchiste, donnant naissance aux courants de l’individualisme, du collectivisme et du communisme anarchiste..." Pour plus de détails sur ces courants, on peut se reporter à : la revue Réfraction n° 7.

L’expérience a montré et montre que non seulement le mode de propriété publique est important à considérer, en ne perdant pas de vue que notamment, l’étatisme pouvait conduire au totalitarisme, mais que le mode d’organisation du travail et du contrôle des moyens de production étaient fondamentaux.

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Herbert Marcuse écrivait en 1968, dans son ouvrage Le marxisme soviétique (Idées Galllimard) "Nous avons soulignés qu’aussi longtemps que le contrôle des moyens de production n’était pas aux mains des producteurs immédiats, c’est à dire qu’aussi longtemps qu’il n’y a pas de contrôle et d’initiative d’en bas, la nationalisation n’est que l’instrument d’une domination plus efficace..." (p122, Bertrand de Jouvenel, dans son livre Le Pouvoir, analyse cela comme, en effet, une simple métamorphose du Pouvoir, qui devient au cours des siècles, à la fois toujours plus concentré et toujours plus étendu.

L’anticapitalisme n’implique aucunement l’adoption d’un modèle de société du type soviétique, chinois, cubain... Une appropriation collective des moyens de production est pensable, sans vouloir adopter ces modèles ou plutôt contre-modèles. Ces systèmes sont nées d’une vision simpliste des systèmes de domination, d’une vision verticale et autoritaire du Politique : Selon cette vision, seul Le Parti Révolutionnaire d’Avant-Garde est porteur des intérêts des opprimés, le seul capable d’organiser les Luttes et de mener à la Victoire et plus tard, seul l’État prolétarien ou censé représenté le peuple, émanation du Parti, définira d’en haut ce qui est bon ou pas bon pour le Peuple, seul l’État et ses commissaires conduira l’économie pour le bien de tous, moyennant une planification totale de l’économie remplaçant ainsi l’économie de marché de type capitaliste. On sait à quels systèmes a conduit cette manière de voir qui se sont d’ailleurs établis, ne l’oublions pas tout de même, dans des contextes de guerre et d’isolement économique...

On sera toujours étonné de l’extraordinaire puissance et finesse d’analyse de Marx sur les phénomènes économiques et en même temps de son simplisme inouï pour analyser les rapports de pouvoir et de domination psychologiques, sociologiques et politiques. Certes, les sciences humaines commençaient alors tout juste à naître, mais il n’en reste pas moins vrai que pour lui, les représentations mentales des hommes n’étaient pas au cœur du matériel mais ne faisaient que planer dans le ciel de la superstructure idéologique. Même si son ouvrage L’idéologie allemande et sa Théorie du fétichisme de la marchandise restent des contributions importantes à l’étude des idéologies, l’approche marxiste classique reste trop économiste et productiviste : "la libération de forces productives" est d’ailleurs considérée, à coup sûr, comme un progrès humain. Les tenants de la Décroissance sont en désaccord avec cette idée mécanique : l’Histoire leur donne raison.

Donc l’anticapitalisme ne se réduit pas seulement à une remise en cause du système de production - ce qui serait une vision productiviste de la société - mais est aussi une remise en cause des formes de domination politiques, idéologiques et culturelles liées à ce système et notamment une remise en cause du libéralisme (abordé plus loin). L’étude des formes et des mécanismes de domination devrait donc être fondamentale pour qui se dit anti capitaliste.

- 1.5 - Alors quel anticapitalisme aujourd’hui ?

Notre pays a une chance extraordinaire : elle hérite d’une diversité de courants politiques qui ont certes chacun leur limite, leurs points aveugles, mais qui apportent leurs éclairages pertinents sur des aspects de la vie économique, politique, sociale et culturelle. Le mouvement libertaire ou anarchiste a été assez loin dans l’étude des systèmes de domination, il nous met en garde contre une toute puissance de l’État, la toute puissance des organisations verticales ; il développe avec juste raison des modes d’organisation en réseau horizontaux. Défauts possibles : trop d’importance à l"égo, aux passions ; individualisme ; inorganisation ; spontanéisme pouvant être fatal. Pour illustrer combien la pensée libertaire est active on peut se reporter à libertaire.free.

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Le mouvement marxiste est le seul qui apporte un éclairage structuré, très élaboré du fonctionnement économique du capitalisme et notamment de l’exploitation de la force de travail. La pensée marxiste ne s’arrête pas avec Marx ou Lénine, ou Trotski. Un nombre non négligeable d’universitaires marxistes et marxiens publient des ouvrages qui enrichissent, actualisent, critiquent les insuffisances de la pensée de Marx : Bidet, Duménil, Sève, Godelier, Fossaert, et l’illustre oublié : Henri Lefèvre, en sont des exemples français récents..... Mais ceux-ci, malgré leur travail de réflexion, souvent colossal, sont non seulement ignorés des médias (ce qui est bon signe) mais négligés et probablement non lus par des universitaires plus connus et très intéressants tels que : Généreux, Onfray... Cela éviteraient à ces derniers d’avoir une vision très dépassée de la pensée marxiste qui semble s’arrêter pour eux au 19ème siècle (ce qui ne retire rien à la qualité de leurs analyses dans les domaines qu’ils connaissent bien). Mais c’est aussi le cas de nombreux militants de partis (PCF, LCR...) qui ignorent aussi les publications de ces auteurs. On peut se référer au site : Actuel Marx pour se rendre compte que la pensée marxiste est loin d’être morte, moribonde ou figée.

Ceci peut paraître évidemment incroyable pour de nombreux journalistes qui confondent le marxisme avec le stalinisme ou le maoïsme du fait que ces systèmes totalitaires ont utilisé certaines idées marxistes (collectivisation notamment).Mais ces derniers ne réduisent pas, avec raison, les principes contenus dans la constitution américaine avec le génocide des amérindiens, l’oppression raciste des noirs qui ont marqué l’histoire des États Unis, les principes de la constitution de 1946 de la France et les exactions du colonialisme... Pour ce qui est du mouvement trotskiste, il a toujours averti le mouvement ouvrier puis plus largement salarié de deux difficultés ou dangers : le bureaucratisme étatique et le fait que l’instauration du socialisme dans un seul pays était difficile sinon impossible, d’où son importance accordée aux solidarités internationales.

Défaut possible de la mouvance marxiste : économisme, surestimation de la raison, dérives autoritaires, scientisme, analyse simpliste des mécanismes de domination, clanisme sectaire conduisant à une fragmentation suicidaire ou à un autisme dû à l’emprisonnement de la pensée critique par le mur des "certitudes". La non reconnaissance par le PCF des crimes staliniens révélés par le rapport Kroutchev de 1956, à cette époque, constitue sans doute un record mondial dans le genre : cet hermétisme a sonné le commencement du déclin historique du PCF.

Le mouvement situationniste a le mérite d’intégrer les arts, et plus largement, l’imaginaire dans le champ politique. La société du spectacle est analysée et critiquée (Guy Debord. Le situationnisme développe une conception de la vie démocratique fondée sur des groupes autogérés, des conseils. L’individu doit être penser en situation et non abstraitement.

Le mouvement altermondialiste : il pense les rapports économiques et sociaux au niveau planétaire et intègre, dans ses analyses, d’une manière systémique, différentes approches : financière, écologiques, sociales... Il permet un certain décloisonnement culturel et idéologique en faisant travailler ensemble des gens issus d’organisations diverses. Il contribue à la formation économique et politique des citoyens. Il ne réduit pas l’exploitation au monde de la production mais étend le champ de celle-ci à la société toute entière. Défaut possible : pas de projet politique cohérent et unitaire ; surestimation de l’impact de son action sur les détenteurs de pouvoir ; découragement trop rapide des militants perfectionistes face à quelques difficultés internes. Le site d’Attac France et les sites locaux sont aussi de véritables mines d’informations.

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Le mouvement écologiste : il a fait prendre conscience des contraintes environnementales, des interactions complexes Homme-Nature. Défaut majeur : la fragmentation du mouvement possible : technicisation des problèmes au détriment du politique. Un annuaire de sites écologistes répertorie les sites de cette mouvance trop fragmentée.

Le mouvement pour la décroissance : il critique légitimement nos modes de consommation et de vie (gaspillages...). Il fait le lien entre choix de production et consommation ; critique de la publicité et du conditionnement des consommateurs ; conscience aigue du caractère fini des ressources utilisables... Défaut possible : pas d’analyse suffisante des responsabilités économiques et politiques par isolement des problèmes sur un plan technique ou sociologique. Décroissance info est donc riche d’enseignements.

Mouvance républicaine de gauche : elle souligne l’importance des rapports juridiques et institutionnels. Elle développe la réflexion sur la démocratie, la république, la nation, la laïcité ; rappelle l’importance du programme du CNR trop méconnu. Défaut possible : analyses économiques trop superficielles. On peut se reporter au site de MARS

Courant de pensée de la biopolitique et de l’héritage de Michel Foucault : il apporte une réflexion originale sur la nature du libéralisme et sur les mécanismes complexes de domination, la diversité des pouvoirs. Défaut possible : peut perdre de vue l’importance déterminante des pouvoirs politiques centraux et de la puissance économique par une trop grande subjectivation des rapports sociaux. Des textes de Foucault sont accessibles en ligne .

Mais d’autres courants de pensée alternative existent, comme par exemple : Le courant de l’économie distributive ; voir la Grande Relève fondé par Jacques Duboin en 1930 qui propose une alternative, une double distribution : celles des tâches et des richesses produites qui doit résulter du débat politique, démocratiquement mené, par l’intermédiaire de ce qu’il appelle le contrat civique . Cette double distribution pourra se faire en partant du principe que tout individu a le droit de recevoir, de sa naissance à sa mort, des revenus suffisants pour vivre décemment, pourvu qu’il s’acquitte, pendant une partie de son temps, d’un devoir de participation. l’ensemble étant géré par l’intermédiaire d’une monnaie de consommation, gagée sur les richesses offertes.

Le socialisme méthodologique de J. Généreux, conciliant "l’être pour soi" et "l’être avec les autres", l’individu étant par nature d’essence social, un produit de la société est aussi un apport intéressant. Parmi tous les livres cités dans cette contribution, je place son ouvrage : La dissociété au premier rang par la profondeur de sa critique du libéralisme. Son blog consacré à cet ouvrage me semble bienvenu.

Et on pourrait citer bien d’autres choses, plus expérimentales comme l’apport des SEL, les SCOP,les démocraties locales, les médias libres...

Il nous paraît tout à fait possible de retenir de ces courants de pensée ce qui est positif et de rejeter ce qui a été condamné par l’expérience de l’Histoire. Une synthèse est possible, mais certainement pas dans l’urgence utilitariste d’une bataille électorale ou dans l’optique de vouloir, à terme, torpiller telle ou telle organisation. Une telle démarche nécessite de se débarasser de tout esprit de clan.

Il ne faut évidemment pas compter sur les directions des organisations constituées pour faire une telle synthèse car chaque organisation considère qu’elle détient à elle seule toutes les

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solutions des problèmes ou que les masses en mouvement trouveront la Bonne Voie, spontanément (révélation...) ou grâce à la Lumière de l’Avant-garde. En outre, leurs préoccupations majeures sont l’élargissement de leurs partis, leur impact électoral, leur capacité à "mobiliser les masses dans l’action" (activisme fondé sur des phrases courtes), de battre machin aux prochaines élections, et certainement pas de réfléchir en profondeur sur les fondements des philosophies politiques qui ont structuré notre société et leur propre mental. Ils comprendraient alors d’où vient leur impuissance à transformer le monde et les causes profondes de leurs divisions, l’échec des expériences dites socialistes ou communistes.

Ceci ne signifie pas que des militants de partis de gauche ne puissent participer à une telle élaboration, mais ceux-ci ne peuvent prétendre à de prérogatives particulières telle, par exemple, la représentation de leur propre parti. Cette synthèse possible, qui n’a rien à voir avec une synthèse électoraliste de "motions de congrès" avec "vote des militants" (type congrès du Mans), ne peut être que le résultat d’un travail intellectuel collectif de longue haleine, réunissant des universitaires et chercheurs de différentes disciplines, de militants d’associations, syndicats divers, des rapports d’étude parlementaires sérieux dont l’objectif n’est pas de défendre les intérêts de la classe capitaliste.

Rien à voir non plus avec un catalogue-mosaïque de "mesures d’urgence" (qui récoltera 1 à 5¨% des voix...). Bourdieu avait parfaitement compris cette nécessité du travail intellectuel interdisciplinaire. D’ailleurs, comme l’indique l’économiste Robert Boyer "Pour analyser l’interaction entre les forces du capitalisme et les institutions politiques, une théorie ne peut être seulement économique, mais doit être pluridisciplinaire." (Alternative économique hors série : 500 ans de capitalisme, 1997).

Gramsci a expliqué, depuis maintenant longtemps, que la classe exploitée n’arrivera jamais seule à se libérer : il est nécessaire que se constitue un mouvement intellectuel organique décryptant les mécanismes de domination, d’asservissement, et ce, sans tomber pour autant dans "l’avant-gardisme", maladie infantile des partis communistes contemporains. Cela demanderait organisation, coordination, financement pour pouvoir permettre ce travail interdisciplinaire, comme l’indiquait Bourdieu. Il est bien évident que l’organisation collective liée à ce site, une association comme Attac, qui innovent par la mise en place d’une organisation à la fois verticale et horizontale, ouvrent le chemin pour un tel travail.

Bref, un anticapitalisme moderne reste à construire et non pas, comme ne l’avait pas prévu Marx, sur les bases d’une société féodale (Russie des années 1910, Chine des années 1930), mais à partir d’une société capitaliste très développée en phase de paupérisation généralisée : nous n’y sommes pas encore, mais le mouvement est maintenant amorcé : précarisation croissante, chômage massif, dévalorisation du travail intellectuel et hautement qualifié (plus d’ascenseur social), aggravation de la pauvreté des pays dits sous-développés... et cette conjecture là, Marx l’a économiquement prévue. Toute tentative de reconstruire un nouveau parti ou mouvement anticapitaliste à partir d’une fraction d’un parti , ou au contraire, à partir de l’élargissement d’un parti existant est voué à l’échec. (On a vu récemment que, même d’accord sur une plate-forme de 125 propositions, l’unité a été impossible !)

Une nouvelle gauche anticapitaliste ne pourra se construire sans une réflexion critique sur les fondements de ses différents courants, sans une reconstruction intégrant les apports pertinents des intellectuels des différentes mouvances précédentes, sans la mise en action de ce que j’ai appelé l’intelligence collective populaire. Ce genre de travail ne se fait pas dans l’urgence d’une productivité électoraliste.

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Un nouveau projet de société ne se construit pas avec des sièges à l’assemblée nationale ou avec les sièges d’un conseil municipal. Actuellement aucune force de gauche ne propose une nouvelle société alternative, assise sur une nouvelle philosophie politique en accord avec les données scientifiques contemporaines, proposant de nouvelles formes d’organisations sociales et politiques non aliénantes pour le Peuple, et notamment pour les salariés et proposant aussi de nouvelles raisons de vivre autres que la sécurité matérielle et de consommer plus.

Il me semble que la gauche communiste devrait sortir de sa logique gestionnaire élective. Le PCF a géré, pendant plus de 30 ans, la couronne rouge, par exemple, et ce, dans la défense des intérêts des couches populaires (construction de crèches, ensembles sportifs, institutions culturelles d’accès gratuit...). Il a épuisé ses forces dans l’action gestionnaire, dans ses joutes politiques à l’assemblée, au sénat, dans les conseils locaux mais il a oublié une chose : mobiliser ses forces pour penser plus et valoriser, intégrer dans sa vision politique, le travail de ses intellectuels ou plus largement des intellectuels progressistes. La nouvelle gauche alternative devra tenir compte de cette expérience qui a atteint ses limites. On ne construit pas un projet de société en bâtissant des piscines, sous peine de se noyer ou de se faire noyer.

2 - Le libéralisme

- 2.1 - Qu’est-ce que le libéralisme ?

Le libéralisme est la représentation idéologique du système capitaliste. Le libéralisme n’est donc pas une structure économique. Il se décline habituellement en deux corpus : un volet philosophique et un volet économique qui peut prendre une forme normative : par exemple le libre marché doit réguler tous les échanges économiques. Il n’est pas question ici de raconter son histoire. Il suffit de se reporter à wikipédia pour cela et, par exemple, à Histoire intellectuelle du libéralisme de Pierre Manent, Pluriel Hachette littératures.

- 2.2 - Évolution et variantes du libéralisme.

Nous allons rappeler ce que sont les piliers idéologiques du libéralisme dans ce qui suit. Néanmoins, le libéralisme n’est pas uniforme. Comme l’indique justement l’Encyclopédia universalis : "(...) Ainsi, le libéralisme n’étant pas unique ou uniforme, chacune de ses versions trouve son fondement originel dans un événement historique ou chez un penseur qui n’appartient qu’à elle. Là réside sans doute l’ultime singularité de ce que l’on nomme libéralisme : dans son incapacité, en tant que schéma d’intelligibilité aussi bien que comme image de la société « bonne » à se donner un élément fondateur unique, que celui-ci soit un événement historique ou la pensée d’un philosophe prophète."

En fait, la variété des écoles économiques libérales ou les nuances de ses conceptions philosophiques sont liées dialectiquement au développement du Capital au cours des siècles ou de la dernière période. On a coutume de penser la naissance du libéralisme en rapport avec la révolution industrielle capitaliste du 18ème siècle. Le capitalisme n’est pas née avec la révolution industrielle, il existait, sous sa forme foncière, usurière, marchande ou commerciale bien avant. "L’accumulation du capital argent, capital usurier, marchand et commercial, s’est réalisée en Europe occidentale du 10ème siècle au 18ème siècle entre les mains d’une classe bourgeoise qui s’émancipait progressivement de la tutelle des classes féodales et de l’État qui finît même par se soumettre l’État et par en faire un instrument pour accélérer l’accumulation du capital à son profit. Sa constitution en tant que classe, avec une conscience nette de ses intérêts, a été réalisée dans les communes libres du moyen Age, où la

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bourgeoisie a fait son apprentissage de 1a lutte politique. La constitution des États centralisés modernes à partir du 15ème siècle ne résulte pas d’un écrasement mais d’une élévation nouvelle de la bourgeoisie urbaine. Qui brise le carcan étroit de la politique communale pour faire face en tant que tiers-état aux anciennes classes dominantes à l’échelle de la nation..." (E.Mendel). Un des mérites du Traité d’économie marxiste d’Ernest Mendel (Ed.10/18) cité ci-dessus, est de décrire assez précisément, en à peine 50 pages, le développement du capital (Tome 1, chap.4) dans différents pays du monde depuis ses origines.

Les idées de liberté individuelle, de remise en cause du pouvoir de l’État par la bourgeoisie, qui sont devenus des pierres angulaires de la pensée libérale, résultent historiquement de son désir d’émancipation de la tutelle féodale royale, dont elle était créancière et de la tutelle religieuse de l’Église. Il ne faut donc pas diaboliser et avoir une vision manichéenne du libéralisme. Il a constitué un progrès indéniable à un moment de notre Histoire. La liberté de commerce, la possibilité de conquérir de nouveaux espaces au delà des mers a nécessité une liberté d’action et d’initiative peu compatible avec un pouvoir centralisé et le dogmatisme de l’Eglise.

Sans tomber dans le piège d’une causalité économique trop mécanique, les idées développées par les libéraux sont tout à fait liées aux contraintes des structures économiques et aux rapports de forces qui apparaissent entre les différentes couches sociales à chaque époque et notamment entre la bourgeoisie et les salariés pour ces deux derniers siècles. Il est donc normal que le libéralisme puisse présenter des variantes dans ses conceptions que certains qualifieront d’empirisme ou de pragmatisme.

Ainsi, ce qu’on a appelé l’ordo-libéralisme ou l’idéologie de "l’économie sociale de marché" après la 2ème guerre mondiale est liée au contexte de l’époque : compromis fordo-keynésien permettant une répartition relativement équitable entre le capital et les salaires, réindustrialisation et nécessité pour le Capital d’avoir des travailleurs qui puissent acheter les produits, et ce, avant la révolution froide ultra-libérale des années 1970-80.

Le néo libéralisme contemporain développera des thèmes idéologiques en rapport avec un capitalisme à dominance financière, où l’actionnaire est roi, où les travailleurs sont des abstractions chiffrées sur des écrans d’ordinateurs (société du risque, court-termisme, flexibilisme...).

Il résulte de cela que les sources de la pensée libérale sont multiples, irriguent toute la philosophie contemporaine depuis Montaigne et Descartes qui élaborèrent une conception atomistique du moi puis la philosophie des Lumière française, anglaise (Locke, Hobbes...) qui constituèrent les fondements de la constitution américaine et de la révolution française de 1789.

La culture politique qui façonne l’esprit des acteurs politiques de droite comme de gauche depuis 3 siècles est de nature libérale, même si un penseur comme Rousseau n’a pas été sans influence. Nous allons voir plus loin en quoi les anti-libéraux français, ont, pour la plupart, une conception culturelle libérale du monde social, même si l’influence (le plus souvent superficielle) de Marx a existé, ce qui va expliquer leur division, au-delà des "explications" mille fois rabâchées de différences idéologiques ou de stratégie (type : alliance ou non avec les "réformistes"...).

- 2.3 - Les piliers du libéralisme.

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Examinons maintenant les principes du libéralisme et montrons, à chaque fois leur caractère formel.

-* A- Abordons d’abord le libéralisme philosophique.

Les droits naturels fondamentaux pour le libéralisme sont : le droit à la vie ; le droit de propriété ; le droit à la liberté.

"Personnalité, Liberté, Propriété [...] sont antérieures et supérieures à toute législation humaine." (Bastiat) Pour un non libéral, les 2èmes et 3èmes principes n’ont rien de naturels : ce sont des acquis sociaux liés à des formes d’organisation sociales particulière comme le montrent l’ethnologie, la sociologie et l’Histoire de l’Humanité.

Droit à le vie ? Le capitalisme impérialiste utilise la guerre comme moyen pour perpétuer sa domination ; consacre des sommes phénoménales à l’industrie d’armement et laisse mourir de faim ou de maladies des millions d’êtres humains ; le productivisme détruit la bio-diversité.

Droit à la liberté ? Fernand Braudel rappelle : "La notion de liberté, encore « abstraite », théorique, qui s’était élaborée de la Renaissance et de la Réforme à la Révolution, a acquis une puissance nouvelle en se formulant dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Elle est devenue doctrine avec le libéralisme"... Il ajoute à la page suivante : "Toutefois, le libéralisme, durant toute la première moitié du 19ème siècle, sert de paravent à l’avènement politique d’une bourgeoisie et d’une aristocratie d’affaires, d’une classe possédante". (Grammaire des civilisations, p.363-364).

Sans nier l’apport positif de penseurs libéraux pour défendre les libertés individuelles, il est aussi avéré que les politiques libérales soutiennent les dictatures qui arrangent leurs affaires, limitent la liberté d’expression en contrôlant les médias et les attributions de salles pour les réunions publiques des opposants au pouvoir de l’argent. De quel temps d’expression disposent les syndicats de notre pays pour développer leurs arguments à la radio et télévision ? En revanche, concernant la liberté d’exploiter la force de travail : le libéralisme a su développer une multitude de théories économiques mais nullement une théorie de l’exploitation, et pour cause !

Droit de propriété ? Les capitalistes considèrent ce droit comme aussi important que le droit à la vie. Ces derniers peuvent utiliser tous les moyens imaginables pour défendre ce droit, y compris la force policière et l’armée - de pays étrangers compris - contre les habitants de leur propre pays. C’est la légitimation même du système économique capitaliste : la propriété privée des moyens de production et d’échange. De facto, la propriété patrimoniale sous toutes ses formes est hyper-concentrée dans tous les pays capitalistes. Ainsi en France, 10% des ménages les plus riches sont propriétaires de plus de la moitié du patrimoine total de la France. Mais la liberté d’entreprendre, pour fonder une entreprise (donc être propriétaire de ses moyens de production) est plus formelle que réelle : 91% de la population active est salariée dans la France des années 2000. Et créer une entreprise n’est pas si aisée que cela dans notre société libérale. Il faut savoir que 50 % des jeunes entreprises disparaissent avant d’avoir atteint l’âge de cinq ans même si "ce taux de défaillance tombe à moins de 10 % quand le dirigeant est accompagné par une structure ad hoc" (source : CCIP).

La morale libérale ne tolère pas l’inégalité devant la loi disent les libéraux. Pourtant, dans les régimes libéraux, on protège l’immunité parlementaire, le fait qu’il soit nécessaire de payer

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cher pour avoir un bon avocat, la grande difficulté qu’ont les juges à enquêter sur des personnes ayant une fonction économique ou politique importante, montrent le caractère théorique de ce principe libéral.

La conception libérale de l’individu : atomisme et utilitarisme. Mais le cœur du fondement de la pensée libérale et dont sont encore tributaires certains "antilibéraux" n’est pas là. Il réside dans sa conception archaïque, métaphysique de l’individu. L’individu est en fait une construction historique de nature idéologique, voire mythique. Comme le dit M. Benassayag dans son livre , Le mythe de l’individu "l’individu est l’atome et le pivot d’un système social et économique... l’ atome fondateur du rapport capitaliste de production." (Ed. La Découverte/ Poche).

Cette conception libérale de l’individu a plusieurs caractéristiques :

*

elle suppose que l’individu préexiste à la société, est dissocié de celle-ci, doué de potentialités intrinsèques (d’où la croyance aux dons innés...) ; est une entité isolée, atomistique, qui certes peut inter-agir avec d’autres atomes, mais existe avec un intérieur (le monde intérieur) et un extérieur qui ne détermine pas sa nature propre. *

L’individu recherche exclusivement, ou presque, son intérêt propre : il est fondamentalement égoïste ; *

dans cette recherche, c’est le prédateur qui gagne, le faible est éliminé : c’est une vision totalement réductionniste de la théorie de la sélection des espèces de Darwin (reprise par les libéraux dès la fin du 19ème siècle). L’homme est alors un loup pour l’homme. Ce règne de la compétition donne naissance à la notion économique de concurrence. *

L’individu agit rationnellement (rôle philosophique de la Raison cartésienne) et est un calculateur. *

L’individu établit des contrats de différentes natures avec les autres pour éviter des agressions permanentes : c’est le règne de la peur qui soutend les rapports sociaux *

l’État n’a donc d’utilité que pour empêcher des agressions et guerres permanentes entre individus et groupes : d’où son rôle exclusivement régalien pour les libéraux. *

Pour reprendre la terminologie de J.Bidet, la contractualité inter-individuelle, base même du marché, devient dominante au détriment de la contractualité centrale (contrat entre individus et État), base de la solidarité collective, via, par exemple, les cotisations sociales ou l’impôt.

Les associations n’ont qu’une raison d’exister pour les libéraux : défendre les intérêts des individus. Le vivre ensemble n’a d’utilité que s’il défend l’intérêt individuel.

Tout cela nécessiterait développement, mais cela a été magistralement fait par Jacques Généreux, dans son excellent ouvrage : La dissociété (même si je considère qu’il connaît mal la conception marxiste contemporaine de l’individu, car à l’évidence cet auteur, pourtant érudi, ne connaît pas la 6ème thèse de Marx sur Feuerbach et les conséquences qu’en ont tiré Lucien Sève et Adam Schaff.

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Comme l’explique bien Généreux, le libéralisme repose sur une conception non scientifique de la nature humaine : elle ignore toutes les découvertes faites par l’anthropologie , la sociologie, l’ethnologie depuis 150 ans et tronque d’une manière malhonnête la seule découverte qu’elle prend en considération : la théorie darwinienne de l’évolution. Darwin, et plus tard, d’autres, a montré que la lutte de l’espèce humaine pour sa survie, compte tenu des énormes variations d’environnements, est fondée essentiellement sur la coopération et la solidarité et non sur des luttes intestines entre chefs où le plus fort élimine le plus faible. Pour un exposé apocalyptique du "néodarwinisme social et comportemental" anglo-saxon, voir la contribution Bush-Darwin par Goran Tufegdzic.

Ce qui fait donc la force du libéralisme, c’est sa capacité à dissimuler ses fondements qui n’ont aucune validité scientifique.

Des pans entiers de notre droit libéral et institutionnel reposent sur des fondements qui ne tiennent aucunement compte de l’apport des sciences humaines de ces 150 dernières années. L’idéologie qui structure les neurones de nos techniciens libéraux haut de gamme de la finance ultra informatisée date de 3 siècles...

Le libéralisme a donc une vision utilitariste et instrumentale du monde. Le tecnicisme en est une variante. Charles Taylor, dans son ouvrage Les sources du moi (p 617 et suivantes) explique qu’"à maintes reprises, d’une foule de façons différentes, on (Charles Taylor) a affirmé qu’une société instrumentale dans laquelle, par exemple, un point de vue utilitariste est inscrit dans les institutions qui traduisent un mode d’existence commercial, capitaliste, et finalement bureaucratique, tend à vider l’existence de sa richesse, de sa profondeur ou de son sens. l’accusation expérientielle prend diverses formes : il ne reste plus de place pour l’héroïsme, les vertus aristocratiques ou les objectifs supérieurs de la vie, ce pour quoi il vaudrait la peine de mourir" Tocqueville s’exprimait parfois en ce sens, et son influence a éveillé les mêmes appréhensions chez Mill.

On a également affirmé qu’il ne reste rien de ce qui confère à la vie le sentiment profond et fort d’un but ; il y a une perte de passion. C’est ainsi que Kierkegaard considérait « l’époque actuelle » ; et « les derniers hommes » de Nietzsche constituent le cas extrême de cette décadence puisqu’ils n’aspirent plus qu’à « un misérable confort ». "

Le mot est lâché : confort. L’objectif ultime du libéralisme est la société d’abondance matérielle nécessitant ainsi de produire toujours plus pour consommer plus. Mais ce type de société s’accompagne d’une perte de sens génératrice du retour en force des sectes et de l’intégrisme religieux. C’est la magie du marché régie par la concurrence libre et parfaite qui permettrait d’atteindre cet idéal du consommateur roi et repu. J.Généreux indique que les économistes Knigth en 1921, puis Arrow et Debreu, dans les années 1950, ont montré quelles devaient être les conditions requises pour que cette concurrence libre se réalise (La dissociété, p322). Le problème est que ces conditions ne se réalisent jamais complètement... !

Curieusement, l’objectif d’un marxisme rudimentaire est le même : société d’abondance où l’homme pourrait satisfaire tous ses besoins matériels nécessitant ainsi un développement "sans freins" des "forces productives" : même productivisme et consummérisme avec un tout autre moyen : une économie planifiée et régulée par un état en extinction...

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Revenons à la conception libérale de l’individu. Pourquoi une telle conception ? J. Généreux, dans son ouvrage, oublie de le rappeler. Cette vision guerrière et prédatrice de l’individu correspond tout simplement à la réalité de comportement des premiers capitalistes.

Revenons aux réalités historiques connues, rappelées par Mendel, dans l’ouvrage pré-cité : "L’apparition d’une classe autochtone de marchands au sein d’une économie foncièrement naturelle suppose une accumulation primitive de capital argent". Celle-ci provient de deux sources principales : la piraterie et le brigandage d’une part ; l’appropriation d’une partie du surproduit agricole ou même du produit nécessaire du paysan d’autre part". (Le capital marchand, p 125) Il rappelle aussi que : "De même que l’accumu1ation primitive du capital marchand, l’accumulation primitive du capital commercial s’est effectuée avant tout par voie de brigandage et de piraterie. Scott constate que vers 1550 une forte pénurie de capitaux régna en Angleterre. En quelques années. les entreprises de piraterie contre la flotte espagnole toutes organisées sous forme de sociétés par actions, modifièrent la situation. La première entreprise de piraterie de Drake. qui date des années 1577-1580, fût lancée avec un capital de 5000 livres auquel participa la reine Elisabeth. Elle rapporta environ 600 000 livres de profit dont la moitié pour la reine. Béard estime que les pirates ont introduit quelque 12 millions de livres en Angleterre durant le règne d’Elisabeth. On connaît l’épouvantable barbarie des conquistadores espagnoles aux Amériques. En l’espace de cinquante ans, ils exterminèrent 15 millions d’Indiens s’il faut en croire Bartholoméo de Ias Casas, et 12 millions selon des critiques plus « conservateurs »", ( p133).

On comprend donc aisément quel est l’origine de cette conception libérale prédatrice de l’individu et du chacun pour soi qui est présenté 4 siècles plus tard, par nos néo-brigands, pardon, néo-libéraux comme une conception moderne... Mais les pirates des temps modernes ne s’emparent pas des bateaux chargés de leur or et de leurs trésors mais s’emparent du trésor public des sociétés nationales, en toute discrétion et... légalité : le peuple l’a voulu. En est-on si sûr ?

La solidarité. Pour le libéral, la solidarité, la sollicitude vis à vis de ses semblables, sont des vertus individuelles qui s’exercent directement ou au moyen de libres associations, "les sociétés de secours mutuels". "Pourquoi venir en aide directement à son prochain, lorsqu’on a déjà payé l’État pour le faire ? En pratique, l’État tue la compassion selon les libéraux. Mais cette fausse solidarité permet de faire mousser les hommes au pouvoir selon cette conception." Voilà le type d’argument utilisé par le libéralisme. Il en résulte que l’impôt n’est pas conçu par les libéraux comme bon moyen de solidarité.

Or l’Histoire a montré les limites d’une telle conception individualiste de la solidarité héritière, finalement, de la charité chrétienne. Concernant les associations de charité publique, c’est leur l’insuffisance qui a conduit à la création des cotisations sociales et à utiliser la fiscalité pour la solidarité (maladie, chômage, services publics accessibles à tous), compte tenu de l’importance des budgets à dégager. De même, les caisses de retraite financées par les cotisations sociales ont succédé aux sociétés de secours mutuels issues des confréries, des corporations et du compagnonnage nées à la veille de la Révolution Française, puis aux associations nées plus d’un siècle plus tard avec la loi de 1898, sur la mutualité. Enfin, le recours aux fonds de pensions, avec ses faillites ruineuses et répétées au USA notamment ont montré aussi leurs limites.

Ce refus de concevoir la solidarité par le moyen d’un organe public central tient au fait suivant : le libéralisme organise, à l’image même du marché, la société au travers le prisme de

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la contractualité interindividuelle et non au travers celui de la contractualité centrale. Sous-jacente à l’opposition entre la solidarité inter-individuelle et la solidarité par l’impôt se profile deux affirmations de la liberté. La contractualité interindividuelle marchande, qui figure la liberté des « Modernes » (celle de Benjamin Constant), celle de la contractualité centrale organisationnelle, à laquelle on rapporte la liberté des « Anciens » (Rousseau).

Ainsi, sur cet exemple, on constate le lien entre une pratique économique du libéralisme : le moins-disant fiscal et l’idéologie individualiste sous-jacente.

La séparation des pouvoirs : La séparation des pouvoirs est un principe dégagé par John Locke dans son « second traité du Gouvernement Civil » (1690) .Elle est formalisé par Montesquieu dans son ouvrage "L’esprit des lois" (1748). Ces idées sont reprises dans la constitution française et américaine, notamment. L’article XVI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, citée par le préambule de la Constitution d’octobre 1958 dispose que : « Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution. » La Constitution américaine instituée en 1787 organise un régime présidentiel structuré selon une séparation stricte des trois pouvoirs qui est tempérée par l’existence de moyens de contrôle et d’actions réciproques conçus selon la doctrine des "checks and balances" (procédures de contrôles et de contrepoids).

Dans la réalité des faits, certains gouvernement de droite n’ont pas respecté ce principe. Par exemple, le texte de la constitution française de 1958 ne prévoit pas de séparation stricte des pouvoirs : le Gouvernement dispose de l’initiative législative ; l’Assemblée nationale peut renverser le Gouvernement ; le chef de l’État dispose du pouvoir de dissoudre cette chambre. Citons un extrait de texte de la Ligue des Droits de l’HommeLe PouvoirLe libéralisme. 1903) de Toulon "Concernant le pouvoir judiciaire, celui-ci est sous la tutelle de l’exécutif et du garde des sceaux : la nomination des procureurs généraux en Conseil des ministres ainsi que la présidence du Conseil supérieur de la magistrature (organe censé garantir l’indépendance de la justice) par le Président de la République restent problématiques et transforment l’autorité judiciaire en chasse gardée présidentielle. La loi du 9 mars 2004 (Perben II) allait instituer le Garde des Seaux comme chef hiérarchique des parquets, fait totalement inusité dans toutes les démocraties parlementaires. Le nouvel article 30 du Code de procédure pénale lui donne la plénitude des pouvoirs pour toute instruction générale et individuelle ... « Le ministre de la justice conduit la politique d’action publique déterminée par le gouvernement. Il veille à la cohérence de son application sur le territoire de la République. A cette fin, il adresse aux magistrats du ministère public des instructions générales d’action publique. Il peut dénoncer au procureur général les infractions à la loi pénale dont il a connaissance et lui enjoindre, par instructions écrites et versées au dossier de la procédure, d’engager ou de faire engager des poursuites ou de saisir la juridiction compétente de telles réquisitions écrites que le ministre juge opportune. » (Article 30 du Code de procédure pénale) .La politique pénale n’est plus que gouvernementale et non impulsée par la loi. Opposants politiques, syndicalistes, militants des droits de l’homme n’auront plus qu’à bien se tenir ... La répression pénale servira aussi à calmer leurs ardeurs revendicatives et le pouvoir en place ne va pas s’en priver comme en témoignent quelques faits récents " Mais, en réalité, cette subordination remonte loin. Bertrand De Jouvenel, dans son célèbre ouvrage (Ed. Livre de poche Pluriel p374) cite Faguet : "La subordination de la magistrature au gouvernement est l’une des conquêtes de la Révolution. En même temps qu’elle proclamait les Droits de l’Homme, elle en supprimait le dépositaire et elle en paralysait le défenseur." (Emile Faguet.

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-* B - Abordons maintenant le libéralisme économique.

B1 Quelques piliers Nous n’entrerons pas dans le détail ici des différentes écoles : il suffit encore de se reporter à wikipédia.

La description des principes de l’école néoclassique que nous détaillerons pas ici repose sur les idées suivantes :

· les agents sont rationnels, leurs préférences peuvent être identifiées et quantifiées, · les agents cherchent à maximiser leur utilité, tandis que les entreprises cherchent à maximiser leur profit, · les agents agissent chacun indépendamment, à partir de l’information dont ils disposent.

On constate que cette conception est étroitement liée aux présupposés philosophiques décrits ci-dessus : une conception utilitariste et atomistique de l’individu.

Liberté de la concurrence : en fait concentrations industrielles et financières aboutissant à la constitution de monopoles impose ses prix et ses standards de fabrication, concentration dans la presse mettant en cause le pluralisme (la "concurrence" des idées), hypermarchés détruisant le petit commerce,...

Saine compétition : en réalité subventions des états quand certaines entreprises sont non compétitives sur le marché mondial mettant ainsi en péril les capacités d’exportation des pays pauvres, compétition faussée par un libre-échange aveugle qui favorise le moins disant social, environnemental et fiscal, opacité de la circulation des flux financiers, utilisation des paradis fiscaux,...

Rôle de la raison, du calcul, de la prévision...D’un côté organisation optimisée et informatisée : rationalisation des processus, des coûts, etc mais de l’autre asservissement aux cours aléatoires de la bourse, à la subjectivité des comportements moutonniers et irrationnels sur les marchés financiers... : le rationnel délibérément détruit par l’aléatoire d’une économie de casino et de rentier. Patrick Artus, dans son ouvrage Le capitalisme est entrain de s’auto-détruire décrit bien cette situation où le court-termisme règne en maître aveugle.

B.2 Quand les médias découvrent un capitalisme qui serait anti-libéral....

Certains journalistes semblent découvrir aujourd’hui que les "principes de base" du libéralisme ne sont pas respectés par le "néocapitalisme" ! Par exemple, le magazine Marianne, qui se veut championne toutes catégories, de l’anti-sarkozisme et de l’anti-prédation économique titre dans son numéro du 24 au 30 mars 2007 : "comment le néocapitalisme antilibéral remet en cause tous les acquis de la civilisation humaniste (p16). Il existerait un néocapitalisme antilibéral ! Or Fernand Braudel, dans son ouvrage Grammaire des civilisations, écrivait déjà, en 1963 (1er tirage chez Belin ; titre original : le monde actuel, Histoire et civilisations) "Or, à partir d’un certain stade du développement capitaliste, toutes ces règles anciennes, enseignées, répétées à satiété, ont été démenties par les faits : les monopoles, les crypto-oligopoles, les oligopoles sont devenus au XX ème siècle la règle dominante pour de vastes secteurs, les plus progressifs d’ailleurs ; ils faussent la sacro-sainte concurrence ; l’Etat intervient (que l’on songe au New Deal et hors des Etats-Unis à tant de plans quinquennaux) ; enfin, les crises longues ont montré leur visage à partir de 1929 ; le chômage et l’inflation ont eu aussi la partie belle et s’annoncent, après tout, comme des

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phénomènes regrettables, assuré- ment, mais normaux de la vie économique et sociale " (p519Ed. Arthaud Flammarion). Et le colonialisme est-il le fait d’un capitalisme humaniste ? Mais ce genre d’interrogation "nouvelle" n’est pas propre à Marianne. Par exemple, à France Culture l’ouvrage Le libéralisme contre le capitalisme de Valérie Charolles (Fayard - 2006) est à l’ordre du jour.

Questions autour du capitalisme mondial

- 2.4 - L’idéologie libérale en action.

-* A - Un mode d’action complexe. Mais le mode d’action de l’idéologie libérale a ses particularités. Maurizio Lazzarato dans son article Biopolitique/Bioéconomie (9 pages), nous rappelle la démarche originale de Michel Foucault pour l’analyse du libéralisme. Voici un extrait :

"Le libéralisme comme gouvernement des dispositifs de pouvoir hétérogènes Foucault explique les modalités de fonctionnement de la rationalité gouvernementale de façon tout aussi originale. Elle ne fonctionne pas selon l’opposition de la régulation publique (État) et de la liberté de l’individu qui entreprend, mais selon une logique stratégique. Les dispositifs juridiques, économiques et sociaux ne sont pas contradictoires, mais hétérogènes. Hétérogénéité, pour Foucault, signifie tensions, frictions, incompatibilités mutuelles, ajustements réussis ou manqués entre ces différents dispositifs. Tantôt le gouvernement joue un dispositif contre l’autre, tantôt il s’appuie sur l’un, tantôt sur l’autre. Nous sommes confrontés à une espèce de pragmatisme qui a toujours comme mesure de ses stratégies le marché et la concurrence. La logique du libéralisme ne vise pas le dépassement, dans une totalité réconciliée, de différentes conceptions de la loi, de la liberté, du droit, du processus que les dispositifs juridiques, économiques et sociaux impliquent. La logique du libéralisme s’oppose, selon Foucault, à la logique dialectique. Cette dernière fait valoir des termes contradictoires dans un élément homogène qui promet leur résolution dans une réconciliation. La logique stratégique a pour fonction d’établir les connexions possibles entre des termes disparates, et qui restent disparates. Foucault décrit une politique de la multiplicité qui s’oppose aussi bien au primat de la politique revendiqué par Arendt et Schmitt, qu’au primat de l’économie de Marx. Au principe totalisant de l’économie ou du politique, Foucault substitue la prolifération de dispositifs qui constituent autant d’unités de consistance, de degrés d’unité chaque fois contingents. Aux sujets majoritaires (sujets de droits, classe ouvrière, etc.), il substitue les sujets « minoritaires », qui opèrent et constituent le réel par l’agencement et l’addition de bouts, de morceaux, de parties chaque fois singuliers. La « vérité » de ces parties ne se trouve dans le « tout » ni politique, ni économique. À travers le marché et la société se déploie l’art de gouverner, avec une capacité toujours plus fine d’intervention, d’intelligibilité, d’organisation de l’ensemble des rapport juridiques, économiques et sociaux, du point de vue de la logique de l’entreprise." (article publié initialement dans la revue Multitudes, n°22, automne 2005.)

C’est cette prolifération de dispositifs tant économiques, que juridiques, idéologiques, culturels,...qui, à la fois disloque et maille la société selon une stratégie d’asservissement, est difficile à combattre par les organisations traditionnels dont dispose le groupe des dominés.

-* B- Les moyens de l’action idéologique. De l’usage des médias... Nous n’insisterons pas sur cet aspect : les grands moyens d’information (radio, presse, TV), l’édition, les sociétés de productions audio-visuelles sont de plus en plus concentrés et sous le contrôle de groupes

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industriels et financiers puissants. Non seulement l’information de nature explicitement politique est encadrée étroitement par divers procédés (contraintes économiques imposées, formatage et sélection des étudiants journalistes dans les écoles de journalisme puis auto-censure "naturelle",...) et les moyens de diffusion dans les librairies, par exemple, sont filtrants ( il est très difficile de trouver des livres critiques, autres que des pamphlets superficiels à la mode, dans les étalages) mais aussi les productions ludiques, de distraction (dessins animés, jeux télévisés, jouets,...) sont imprégnés par un modèle culturel libéral. Le sociologue Jean Baudriard a bien analysé cette structuration libéral au niveau symbolique et de l’imaginaire. Usage de la contrainte économique : l’endettement, le chômage, la précarité engendrent une vulnérabilité psychologique rendant les gens plus dociles mais aussi permettant une plus grande soumission à la pression de conformité exigée par le système TNA (there is no alternative) décrit par Chomsky. Il en réulte que le coût psychologique de l’opposition au système et à l’idéologie libérale est de plus en plus élevé, d’autant que les solidarités collectives sont affaiblies. Utilisation des think tanks, d’instituts divers, de l’OCDE, pour élaborer les thématiques libérales du moment. Le MEDEF et l’UNICE, au niveau européen jouent un rôle essentiel.

-* C- Les thématiques du libéralisme véhiculées par les médias. Un certain nombre de thèmes sont diffusés en boucle à large échelle sur une durée importante : ils sont le plus souvent de caractère normatif : il faut alléger les "charges" sociales pour les entreprises, il faut réduire les effectifs des fonctionnaires, il faut "assouplir" le code du travail pour "libérer les énergies", il faut reculer l’âge de la retraite car on ne pourra plus les payer et l’on vit plus vieux.... Il est assez facile de répertorier ces dogmes libéraux qui servent à programmer les cerveaux : ils constituent un bio-logiciel de domination des esprits. Mais faire ce travail comporte un désagrément pour la personne qui se donne cette peine : lors de dialogues avec d’autres personnes, elle ressentira un sentiment de malaise si son interlocuteur restitue ce logiciel dont elle pourra alors prévoir le déroulement : elle aura l’impression d’avoir en face de soi un robot programmé et non un être vivant doué de conscience et de réflexion personnelle. L’aspect encore tragique de cette affaire, c’est que le robot humain défend les idées qui l’envoie à la casse. La mise ne forme de ce logiciel utilise textes, sons , images véhiculant de nombreuses ressources émotionnelles (et notamment la peur, le sentiment de culpabilité). Ce logiciel est l’un des moyen utilisés par la bourgeoisie pour permettre l’existence d’une servitude volontaire chez les dominés, mais ce n’est pas le seul. Il appartient aux forces antilibérales de démonter ce logiciel mais aussi de mettre en évidence les techniques de manipulation émotionnelle utilisées, car l’argumentation fondée sur les faits ou la logique ne suffit pas à le désengrammer du système neuronal.

- 2.5 Définir l’anti libéralisme.

Etre antilibéral, c’est s’opposer au libéralisme défini ci-dessus, c’est à dire à une conception atomistique de l’individu considéré comme foncièrement égoïste et prédateur, à une conception de l’action humaine fondée sur l’intérêt, l’utilitarisme qui vise à tout instrumentaliser, c’est s’opposer à une conception purement individualiste de la liberté qui néglige la liberté collective, c’est affirmer une conception sociale de la nature humaine qui tienne compte des apports des sciences humaines contemporaines, l’anthropologie notamment , c’est affirmer une conception de la solidarité fondée sur la coopération, le lien social désintéressé. Pour un antilibéral, l’individu est une construction sociale et historique. Cette conception non libérale de l’individu n’est pas une nouveauté. Lucien Sève, dans son livre Qu’est-ce que la personne humaine ? (Ed. La dispute) rappelle : "Lorsque ; dans sa 6e thèse sur Feuerbach, Marx fait en peu de mots la critique radicale du concept naturalisant de

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l’essence humaine chez Feuerbach en lui opposant que cette essence " n’est pas une abstraction inhérente à l’individu pris à part. Dans sa réalité, c’est l’ensemble des rapports sociaux », il ne pose pas simplement l’objectivité déterminante de ces rapports sociaux compris comme des choses, ainsi que le fera plus tard un Durkheim ; il pose du même mouvement que cet ensemble objectif n’est rien d’autre que l’humanitas subjective même des hommes objectivée - outillages, langages, rapports familiaux, économiques et politiques, etc., et aussi, justement, ordre de la personne -par l’appropriation biographique de quoi chaque individu s’hominise en son tréfonds. Il n’y a donc pas l’être humain d’un côté et la chose sociale de l’autre : des deux côtés nous avons l’humanité, sous sa forme individuelle et sous sa forme collective, ce qui change tout" (p56-57) Une telle affirmation, qui était révolutionnaire dans les années 1850 est maintenant une banalité à la lumière des sciences humaines et neurosciences contemporaines. Mais c’est loin d’être encore une évidence pour de nombreux penseurs libéraux qui, comme plus de la moitié de la population française, pense que c’est le soleil qui tourne autour de la terre et non l’inverse ! Etre antilibéral, c’est aussi refuser les dogmes économiques du libéralisme décrits ci-dessus qui conduisent à penser que l’entreprise et le consommateur sont l’alpha et l’oméga de nos société subordonnée alors au marché. Il ne s’agit pas seulement de dénoncer les formes actuelles du libre-échangisme aveugle, de la "dictature des marchés", la financiarisation de l’économie, le productivisme et de pointer du doigt son cortège de désastres, mais aussi de dénoncer le caractère non naturel, non scientifique des théories libérales et de démonter les logiciels d’asservissement idéologique qui fonctionnent jour et nuit dans la médiasphère. Cela implique aussi une déconstruction des mécanismes de domination. Bref, être anti-libéral, ce n’est pas seulement dénoncer les fantastiques profits des patrons du CAC 40 alors que des dizaines de milliers de personnes sont sans abris. (on pourrait considérer que cela réulterait d’un "mauvais fonctionnement" du capitalisme), c’est comprendre et faire les raisons structurelles et fonctionnelles de cette situation. En résumé, l’anti-libéralisme s’oppose aux à l’idéologie légitimant le capitalisme. Cela implique donc l’anti-capitalisme comme défini ci-dessus (et évidemment pas la défense d’une société productiviste).

3- La question de l’Etat.

Il est courant d’entendre dire que celui qui défend l’Etat, ou prend des mesures juridiques étatiques impliquant quelques contraintes aux entreprises, que celui qui défendrait une certaine intervention de l’Etat dans l’économie, qui limiterait le libre-échange, serait antilibéral. L’anti-libéralisme serait synonyme d’étatisme. Une telle conception est archi-fausse. D’abord, les libéraux considèrent comme nécessaire l’existence d’un Etat, au moins régalien et pour fixer quelques règles du jeu (voir code des sociétés, code du droit commercial,...). D’autre part, selon les périodes historiques, l’Etat est utilisé par la bourgeoisie de différentes manières. En période de crise politique, notamment en économie de guerre, l’Etat joue un rôle central dans l’économie. La politique économique keynésienne d’après guerre accordait à l’Etat un rôle important dans l’économie, ce qui n’empêchait pas ces pays de rester capitalistes et d’être dirigés par une droite défendant le libéralisme économique. Même en cette période de néolibéralisme où l’Etat est attaqué de toutes parts (assèchement programmé des recettes de l’Etat pour créer les déficits publics, création d’organismes régionaux et supranationaux,...), celui-ci continue de verser des subventions aux capitalistes, de prendre des mesures protectionnistes aux USA, de financer les groupes d’armement,... Il n’existe pas forcément de contradiction entre dirigisme politique et libéralisme, contrairement à ce que les libéraux font croire. Napoléons, Hitler, Franco, Pinochet,....étaient-ils anticapitalistes ? Evidemment non. Alors comment auraient-ils pu être anti-libéraux ? D’autre part, être anti libéral ne signifie aucunement vouloir donner toute la

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puissance à l’Etat et étouffer toute liberté individuelle. Il s’agit simplement de donner à l’Etat un rôle social, de carrefour des solidarités, et un rôle actif dans l’économie, mais il ne serait être le seul acteur économique, politique. En réalité, faire croire qu’il existerait un antilibéralisme de droite a pour rôle de faire perdre à ce mot sa valeur critique par rapport au capitalisme et de créer la confusion chez les électeurs.

Il est très intéressant de voir comment De Gaulle, homme à qui on ne peut reprocher de ne pas avoir eu le sens de l’Etat, celui qui a dit que "la politique ne se fait pas à la corbeille" (de la bourse) se situait par rapport au libéralisme. Voici un texte de lui, très peu connu... "...Cependant, depuis longtemps, je suis convaincu qu’il manque à la société mécanique moderne un ressort humain qui assure son équilibre. Le système social qui relègue le travailleur- fût-il convenablement rémunéré au rang d’instrument et d’engrenage est, suivant moi, en contradiction avec la nature de notre espèce, voire avec l’esprit d’une saine productivité. Sans contester ce que le capitalisme réalise, au profit, non seulement de quelques-uns, mais aussi de la collectivité, le fait est qu’il porte en lui-même les motifs d’une insatisfaction massive et perpétuelle. Il est vrai que des palliatifs atténuent les excès du régime fondé sur le « laissez faire, laissez passer », mais ils ne guérissent pas son infirmité morale. D’autre part, le communisme, s’il empêche en principe l’exploitation des hommes par d’autres hommes, comporte une tyrannie odieuse imposée à la personne et plonge la vie dans l’atmosphère lugubre du totalitarisme, sans obtenir, à beaucoup près, quant au niveau d’existence, aux conditions du travail, à la diffusion des produits, à l’ensemble du progrès technique, des résultats égaux à ceux qui s’obtiennent dans la liberté. Condamnant l’un et l’autre de ces régimes opposés, je crois donc que tout commande à notre civilisation d’en construire un nouveau, qui règle les rapports humains de telle sorte que chacun participe directement aux résultats de l’entreprise à laquelle il apporte son effort et revête la dignité d’être, pour sa part, responsable de la marche de l’oeuvre collective dont dépend son propre destin. N’est-ce pas là la transposition sur le plan économique, compte tenu des données qui lui sont propres, de ce que sont dans l’ordre politique les droits et les devoirs du citoyen ? C’est dans ce sens que j’ai, naguère, créé les comités d’entreprise. C’est dans ce sens que, par la suite, étant écarté des affaires, je me suis fait le champion de 1’« association »..." (Charles De Gaulle. Mémoires p 998 Ed. Gallimard) Ce texte qui n’est pas dépourvu de hauteur de vue contient une certaine critique du libéralisme et de la toute puissance du marché mais cela suffit-il à dire que De Gaulle était un anti-libéral ? : non, car il n’a jamais remis en cause le pouvoir du monde des affaires. Il pensait que l’Etat avait un rôle à jouer dans l’économie et la reconstruction industrielle de la France. Bernard Denni et P.Lecomte, dans leur cours de sociologie du politique de l’IEP de Grenoble rappellent que : "...Ces données montrent de façon éloquente que la Cinquième République a rapproché les hauts fonctionnaires du coeur du pouvoir politique, favorisant ainsi une forte interpénétration entre celui-ci et le pouvoir administratif, pour aboutir à leur fusion, réalisée aux dépens des professionnels de la politique, puisqu’une proportion significative de non-parlementaires ( de 39% à 18,5 % ) accède désormais aux fonctions gouvernementales après un passage dans les cabinets ministériels. Cette évolution est étroitement liée à la volonté réformatrice de l’État qu caractérise la période gaulliste. Les hauts fonctionnaires sont alors chargés -éventuellement contre les hommes politiques -de mettre en oeuvre leur conception de la rationalité économique pour promouvoir la modernisation de la France. Ministres ou membres des cabinets, ils contrôlent et orientent la marche de l’économie en participant à différents organismes de planification dans lesquels ils rencontrent les grands industriels et financiers. L’État entrepreneur favorise donc délibérément l’institutionnalisation des relations entre la haute administration, le pouvoir politique et le monde des affaires, ce qui entraîne une intensification des flux d’échanges entre ces trois pôles de pouvoir."(L’interpénétration des

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catégories dirigeantesT2 ; p122 Ed. PUG) Ce capitalisme régulé par l’Etat de type fordo-keynésien, et dénoncé, à l’époque comme capitalisme monopoliste d’Etat par les communistes, n’a pas affaibli l’influence du monde de la finance sur l’Etat ou le Politique : au contraire, et nous en constatons l’héritage maintenant où l’interpénétration des pouvoirs est totale avec le libre-échangisme généralisé en plus, sans oublier une osmose encore accrue avec le pouvoir médiatique . Ainsi, un certain dirigisme économique par l’Etat ne signifie aucunement un affaiblissement du pouvoir des capitalistes et de l’idéologie libérale. N’oublions pas que les privatisations, depuis les années 80, ont été techniquement préparées par des hauts fonctionnaires imprégnés d’idéologie libérale : il existe de (trop) nombreux hauts fonctionnaires ultra-libéraux ! Cette idée, répandue par les médias, selon laquelle tout ce qui émane des cabinets ministériels serait de nature antilibérale, relève de la manipulation politique.

4- Quelques exemples d’utilisation des termes anti-libéralisme et anti-capitalisme.

a) Voici ce que dit, à ce sujet, le Dictionnaire de l’extrême gauche de S. Cosseron (Ed. Larousse) "Antilibéralisme et anticapitalisme Ce sont là deux marqueurs politiques majeurs à l’extrême gauche, qui ne sont pas pour autant totalement superposables. Si l’antilibéralisme condamne les politiques économiques et sociales des États fondées sur la déréglementation des statuts des salariés, les délocalisations et la libéralisation des transactions financières, l’anticapitalisme se présente comme une critique radicale du système économique dans son essence même. A l’extrême gauche, cette différence sémantique sépare les altermondialistes de type ATTAC de l’ultragauche ou des marxistes révolutionnaires comme Lutte ouvrière. Dans certains discours, l’emploi des deux termes est à géométrie variable. Ainsi, dans la bouche d’Olivier Besancenot, cela dépend de la stratégie politique adoptée par la LCR : quand elle est unitaire (par rapport aux autres organisations de gauche et d’extrême gauche), celui-ci emploie le mot antilibéral ; quand elle est indépendante (en son nom propre), celui d’anticapitaliste. Dans les faits, antilibéraux et anticapitalistes dénoncent les mêmes ressorts des politiques libérales : la flexibilité, la précarisation, la marchandisation de secteurs de la société jusque-là épargnés par la concurrence, l’abandon par l’État de fonctions de régulation et de répartition. La différence la plus sensible réside dans les modalités d’action et de revendication". (p80-81) Cette définition reste floue : elle ne fait référence qu’à une forme particulière du libéralisme : ce que l’on nomme habituellement néo ou ultra libéralisme, en développement depuis les années 1973. Que signifie "essence même du capitalisme" ? D’autre part, Attac comprend en son sein des anticapitalistes, et quiconque a consulté le site de Harribey, président d’Attac, http://harribey.u-bordeaux4.fr , rubrique Travaux, a compris que nous sommes loin d’une critique de surface ou seulement conséquentielle du capitalisme.

b) Cette idée, que l’anti libéralisme serait un anticapitalisme mou ou une sorte de référence au capitalisme keynésien est assez répandue. Ainsi, par exemple, sur le site Bellacio, on peut lire : "L’antilibéralisme n’est pas anticapitaliste et représente l’espoir stupide d’une certaine catégorie de réformistes de revenir à un temps révolu, celui des trente glorieuses, lorsque le Capital avait du céder en partie sous le rapport de forces issu de la Résistance. Les forces sociales qui portent cette notion d’antilibéralisme sont les couches moyennes (fonctionnaires principalement et éducation nationale proparte) et non les ouvriers, les employés et les chômeurs (ceux qui ont principalement voté non au TCE). Ce "parti de la gauche antilibérale" ne peut être qu’une impasse..." http://bellaciao.org/fr/article.php3 ?id_article=48426 Là encore, on confond les plans :

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système économique (capitalisme) et plan idéologique (libéralisme) et croit que l’anti-libéralisme se réduit à la critique des formes actuelles du capitalisme. En réalité, l’antilibéralisme s’attaque aux fondements idéologiques et culturels du libéralisme philosophique et économique. En revanche, l’article de Alain Bhir, sur ce même site et le même thème est très intéressant et je souscris à la quasi totalité de son texte. http://bellaciao.org/fr/article.php3 ?id_article=48820 Néanmoins, A.Bihr se laisse piéger par une définition faible de l’anti-libéralisme, curieusement à la mode.. Après avoir rappelé, avec justesse, l’ensemble des mouvements sociaux récents, il s’interroge sur leur hétérogénéité : " Et pourtant, ce qui permet de leur trouver un air de famille, c’est incontestablement l’antilibéralisme qui leur fournit au moins un point de convergence. Et il précise plus loin : " L’antilibéralisme, au contraire (par rapport à l’anti capitalisme), vise plus modestement une politique générale, en l’occurrence un mode de gestion du capitalisme en crise, engagé dans une phase de rupture avec un mode de développement antérieur qui s’est épuisé (le fordisme) et à la recherche d’un nouveau mode de développement " Il serait, en effet, totalement illusoire de penser que tous les mouvements sociaux récents seraient anti-capitalistes, même si leur action peut affaiblir quelques positions des capitalistes, mais là encore, il y a confusion des plans : l’anti-libéralisme ne peut se réduire à une critique d’un mode de fonctionnement ou de gestion du capitalisme, ce qui relèverait d’une conception purement économiste. L’utilisation du mot anti libéralisme dans un sens faible ou qui serait synonyme de réformisme me paraît confus et empêche d’utiliser ce mot pour son sens fort et originel : la critique radicale des thèmes idéologiques libéraux, la critique de la légitimation du capitalisme jusqu’en ses fondements. L’anti-libéralisme ne se contente pas d’une dénonciation des méfaits constatés et même d’une explication descriptive des mécanismes économiques en jeu. Il s’attaque aux présuposés axiomatiques, dogmatiques de la pensée libérale. Il ne réduit pas sa critique à un moment du développement du capitalisme. Malheureusement nombreux sont ceux qui se prétendent anti-capitalistes qui ne font pas cette critique radicale, et c’est l’une des raisons, non prise en compte, de la division des mouvements communistes ou alternatifs non communistes. La notion de "la défense des intérêts de..." l’individu au niveau de clan, de classe, par intégration des intérêts individuels est une démarche libérale : arrivé au pouvoir, les "révolutionnaires" qui sont censés défendre "les intérêts de la classe ouvrière", du peuple, etc finissent par constituer une nomenclaturat défendant "ses propres intérêts". La bourgeoisie capitaliste ou les nomenclaturats dites socialistes ou communistes ont le même mental : l’intérêtisme. La projection (pour utiliser un terme de la psychanalyse) de l’intérêt individuel sur un groupe, avec identification narcissique au chef du groupe conduit au culte de la personnalité, avec, bien sûr, différentes intensités. Manque donc, dans cette démarche la notion de solidarité, non pour défendre seulement ses intérêts "tous ensemble", mais la solidarité "gratuite", qui ne sera pas forcément payante pour soi. Mais la transcendance de soi ne signifie pas abolition de soi, sacrifice de soi comme cela a pu se produire dans les théocraties, les sociétés totalitaires. Certes, le sacrifice de soi peut être nécessaire dans certaines circonstances historiques exceptionnelles, mais le nombre de résistants à un système totalitaire ne dépasse pas 8% de la population au maximum. Les "saints" restent peu nombreux. L’anti-libéralisme ne serait donc se contenter d’une conception des luttes sociales fondées uniquement sur la défense des intérêts purement individuels.

c) Voici encore un exemple de confusion des termes, ici assez impressionnante. Dans son article :: "Anticapitaliste, antilibéral, de quoi parle-t-on ’" sur le site Espace Marx

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Aquitaine, Michel Peyret, cite Michel Onfray : http://espacesmarxbordeaux.apinc.org/article.php3 ?id_article=190 " Cette extrême-gauche plurielle confond capitalisme et libéralisme. Or le capitalisme est un mode de production des richesses par la propriété privée et le libéralisme une modalité de leur répartition par le marché libre. On peut donc être, ce qui est mon cas, antilibéral et défenseur du capitalisme. " Toujours même confusion et réductionnisme économique. Production, répartition opèrent sur le plan économique ; le libéralisme opère sur le plan idéologique des représentations. En outre, on voit mal comment le marché libre (qui n’est que pure fiction libérale) pourrait, à lui seul, sans intervention politique, juridique, en tout moyen autre que par un processus purement économique, pourrait maîtriser la répartition des richesses. Par exemple, comme le soutient le sociologue américain Charles Wright Mills, dans son ouvrage L’élite du pouvoir, c’est grâce aux institutions que la réputation, l’argent, la richesse sont acquis distribués et conservés. Enfin, comment peut-on être contre le libéralisme, dont la fonction essentielle est de défendre la capitalisme et être en même temps pour le capitalisme ? La confusion est ici totale.

d) La France anti-libérale ? Selon les médias libéraux, les français seraient en grande majorité anti-libéraux ! Pire, selon eux, pour nombreux français, le mot "libéral" serait devenu une insulte. Ainsi, Le Figaro ,dans son numéro du 10/03/06, Ezra Suleiman se lamente :"...La France est-elle particulière ? En France, par contraste, la diabolisation est instinctive. Ce qui aimante les mobilisations contre le contrat premier embauche, c’est cet antilibéralisme spontané de larges franges de la société, inculqué dès le plus jeune âge. Et le beau mot de « libéral » est presque devenu une insulte !", et dans le Le Figaro du 14/09/06 Philippe Raynaud , dans son article La Révolution : une exception française ? fait écho : "...Les problématiques de l’altermondialisme sont très présentes dans le débat social où l’extrême gauche bénéficie de l’antilibéralisme ambiant en France. Nous sommes, sans doute, un des rares pays où le mot « libéral » est une insulte.". Et les Echos relaient l’idée en faisant publicité pour le livre : Psychanalyse de l’antilibéralisme les français ont-ils raison d’avoir peur ? sous la direction de Christian Stoffaës Editions Saint-Simon "le libéralisme a été refoulé en France, parce qu’il a perdu. Il doit repartir au combat, cette fois en se coordonnant." Les Echos 09/11/06 http://www.lesechos.fr/info/analyses/4495205.htm Et l’offensive libérale en 2007 a été, en effet, assez bien coordonnée : les français auraient-ils viré du rouge au bleu en deux ans ? Etait-ce le sondage réalisé en 2005 par LH2 qui a provoqué un tel émoi en 2006 ? "Le sondage réalisé par LH2 pour Libération (1) est absolument catégorique : selon le panel interrogé, l’opinion publique rejette le capitalisme à près des deux tiers des voix. Le libéralisme économique ne se porte pas mieux. Le socialisme semble lui (de peu) majoritaire dans le pays (51 % d’opinions positives). Un résultat surprenant, tant la libre entreprise semblait faire consensus. Selon François Miquet-Marty, directeur de LH2 Opinion, ce palmarès « révèle certes la difficulté, déjà connue, de la société française à accepter l’idée de libéralisme économique, mais il désigne surtout l’ampleur du malaise suscité par la notion de capitalisme, alors que ce dernier n’a jamais été mieux établi ». Alors, Marx pas mort ? A entendre certaines réponses, on pourrait le penser. Ainsi, 41 % des interrogés décrivent le capitalisme comme « l’exploitation de l’homme par l’homme », et 45 % comme « l’accumulation des richesses » par un petit nombre de personnes.... . Mais les Français sont en pleine contradiction : ils sont contre le système mais, lorsque l’on ouvre le capital de GDF ou de EDF, les salariés de ces entreprises se ruent sur les actions. » http://www.liberation.fr/page.php ?Article=335983 (Libé 04/11/05) La dernière phrase

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du journaliste ne manque pas de pertinence : il est bien évident que si les français étaient réellement anti-libéraux ou anti capitalistes, ils ne voteraient pas massivement pour un candidat ultra libéral ou social libéral ! Quelle valeur attribuer à ce genre de sondage ? Pas grand chose, car , même en définissant le capitalisme par l’exploitation de l’homme par l’homme, ce qui n’est déjà pas si mal, cette définition reste largement insuffisante et le mot libéralisme reste trop flou pour une large part de la population qui ne perçoit le libéralisme qu’au niveau des conséquences immédiates. Ces discours, sur l’anti-libéralisme des français est mystificateur : il pourrait faire croire que l’idéologie libérale est absente ou ténue dans les médias : ce seraient l’extrême gauche omniprésente qui aurait gagner la bataille des idées : cela justifie un renforcement de la propagande libérale ; elle conforte les militants anticapitalistes de gauche dans leurs illusions qui les aide à vivre. Il est clair, en réalité, que le nombre de français qui sont anticapitalistes et antilibéraux au sens originel rappelé dans ma contribution, est de l’ordre de 8 à 15 % du corps électoral. L’essorage sémantique exercé sur ces mots par le libéralisme dominant provoque la confusion et masque la réalité idéologique existant dans la tête des gens qu’il est nécessaire de connaître pour pouvoir transformer le monde. L’objectif à atteindre pour la bourgeoisie est que, de l’extrême gauche au PS, les militants puissent dire : "Antilibéralisme" ? Mais c’est un mot fourre-tout ! Il ne veut plus rien, dire !" . Et cela a été la réponse d’un militant de LO qui vendait son journal, lorsque je lui ai posé la question : la cible et l’objectif étaient atteints, et, évidemment, le pauvre gamin ne s’en est pas rendu compte. Non, le mot antilibéralisme a un sens précis, un sens fort, un sens radical et ne constitue pas une variante du réformisme et ne peut s’opposer au mot anti-capitalisme. Cette confusion arrangeant énormément de monde, de l’extrême gauche à l’extrême droite, elle a encore de beaux jours devant elle.

Voir en ligne: l’OBSERVATOIRE de l’UNITE de la GAUCHE ANTILIBERALE.  

Publié le vendredi 20 juin 2008Mis à jour le samedi 21 juin 2008

par Alter34Article au format PDF

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