AVERTISSEMENT · Décor: un salon bourgeois, un canapé, une table, deux chaises, deux portes, à...

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AVERTISSEMENT Ce texte a été téléchargé depuis le site http://www.leproscenium.com Ce texte est protégé par les droits d’auteur. En conséquence avant son exploitation vous devez obtenir l’autorisation de l’auteur soit directement auprès de lui, soit auprès de l’organisme qui gère ses droits (la SACD par exemple pour la France). Pour les textes des auteurs membres de la SACD, la SACD peut faire interdire la représentation le soir même si l'autorisation de jouer n'a pas été obtenue par la troupe. Le réseau national des représentants de la SACD (et leurs homologues à l'étranger) veille au respect des droits des auteurs et vérifie que les autorisations ont été obtenues, même a posteriori. Lors de sa représentation la structure de représentation (théâtre, MJC, festival…) doit s’acquitter des droits d’auteur et la troupe doit produire le justificatif d’autorisation de jouer. Le non respect de ces règles entraine des sanctions (financières entre autres) pour la troupe et pour la structure de représentation. Ceci n’est pas une recommandation, mais une obligation, y compris pour les troupes amateurs. Merci de respecter les droits des auteurs afin que les troupes et le public puissent toujours profiter de nouveaux textes. 1

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AVERTISSEMENT

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Ce texte est protégé par les droits d’auteur. En conséquence avant son exploitation vous devez obtenir l’autorisation de l’auteur soit directement auprès de lui, soit auprès de l’organisme qui gère ses droits (la SACD par

exemple pour la France).

Pour les textes des auteurs membres de la SACD, la SACD peut faire interdire la représentation le soir même si l'autorisation de jouer n'a pas été obtenue par

la troupe. Le réseau national des représentants de la SACD (et leurs homologues à l'étranger) veille au respect des droits des auteurs et vérifie que

les autorisations ont été obtenues, même a posteriori. Lors de sa représentation la structure de représentation (théâtre, MJC, festival…) doit

s’acquitter des droits d’auteur et la troupe doit produire le justificatif d’autorisation de jouer. Le non respect de ces règles entraine des sanctions

(financières entre autres) pour la troupe et pour la structure de représentation.

Ceci n’est pas une recommandation, mais une obligation, y compris pour les troupes amateurs.

Merci de respecter les droits des auteurs afin que les troupes et le public puissent toujours profiter de nouveaux textes.

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Edmond

(de Jacques Brenet)

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Décor: un salon bourgeois, un canapé, une table, deux chaises, deux portes, à cour et jardin..

Côté cour, un homme entre. Il est entre deux âges. Il est vêtu d’un imper qui a fait de l’usage. Il ressemble un peu à Columbo. Il pourrait être commissaire de police. Il examine la pièce, avec beaucoup d’attention.

Bientôt, côté jardin, on entend une femme : « Firmin! ... Firmin ! » Véronique entre dans la pièce, sans trop faire attention à Edmond, qui lui tourne le dos.

Véronique: Firmin, Monsieur n’est pas… Mais… Qui êtes-vous?... Qu’est-ce que vous faites là?

Edmond: Je… J'arrive, Madame.

Véronique: D’où ? De l’agence?

Edmond : De l’agence,… Oui… de l’agence pour l’emploi.

Véronique: Ah!... Vous avez déjà servi ?

Edmond : Oh oui, madame… beaucoup.

Véronique: Où?

Edmond : Un peu partout, madame. Je… jouais les utilités.

Véronique: C’est-à-dire que vous vous rendiez utile.

Edmond : Oui, si l’on veut.

Véronique: Eh bien, faites-le…

Edmond : Quoi?

Véronique: Vous rendre utile !

Edmond : Ah, madame plaisante…

Véronique: Oh non, pas en ce moment!…

Jérôme entre, côté jardin, il est plus jeune. Il est en train de rajuster sa cravate. Il s’approche de Véronique qui ne l’a pas vu, et cherche à l’embrasser.

Véronique: (à Edmond)…Vous n’avez pas vu Monsieur?

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Edmond : Si, madame, il vient d’arriver.

Véronique et Jérôme : (affolés) Où ça ?

(Jérôme essaie de se cacher derrière Véronique, puis derrière Edmond)

Edmond : Mais, ici... madame le voit bien. (Il désigne Jérôme)

Véronique: Ah! Non… non, pas monsieur… mais Monsieur.

Edmond : Ah!... Madame craint que Monsieur n’arrive avant que monsieur ne soit parti… Je comprends…

Véronique : Qu’est-ce que vous comprenez?... (On sonne) Eh bien, allez ouvrir…

Edmond : Bien madame!

>>Il sort.

Véronique : C’est malin! Qu’est-ce qui te prend de revenir si tôt?

Jérôme : J’ai dit à Claudine que je devais aller à Londres. Ça nous laisse toute la matinée

Véronique : Et devant cet homme...

Jérôme : Qui est-ce?

Véronique : Je n’en sais rien, je ne le connais pas... un nouveau domestique, je pense... Firmin, enfin celui que tu connais... et qui, lui, te connaissait... vient de nous quitter.

Jérôme : Il est mort?

Véronique : Mais non, il est parti... parti se faire pendre ailleurs. Bon débarras!

Jérôme : Pourquoi, bon débarras? Moi, je l’aimais bien. Discret, prévenant.

Véronique : Un peu trop, à mon goût.

Jérôme : Ah bon ! Il a eu des mots, des gestes… déplacés, inconvenants ? Ça, je ne le supporterai pas !... Tu le supporterais toi ?

Véronique : Qu’il ait des gestes inconvenants envers toi ?

Jérôme : Oui !... Enfin, non ! Qu’est-ce que tu me fais dire ?

Véronique : Il a toujours été très correct! Mais j’avais l’impression qu’il me surveillait, qu’il nous surveillait.

Jérôme : Tu penses que c’est Armand qui… ? *(Edmond revient, toujours vêtu de son vieil imper...)

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Edmond : C’est une dame qui demande à voir madame... Un peu dans le genre de madame, mais avec un manteau rouge... Elle m’a dit que vous ne l’attendiez pas, et elle a ajouté: “ Tiens, Firmin est parti, c’est vous qui le remplacez?... Eh bien, bonne chance” a-t-elle ajouté. Je n’ai pas eu le temps de...

Véronique : Elle a un manteau rouge?

Edmond : Oui… Elle semble vouloir l’enlever...

Véronique : Mon Dieu!... Jérôme, c’est elle!... Sauve-toi!

(Jérôme se précipite derrière le canapé, pousse un cri, se relève aussitôt, effrayé et a juste le temps de s’y recacher, avant qu’entre Claudine.)

Claudine : Où est-il?... Je l’ai vu entrer ici!

Véronique : De qui parles-tu?

Claudine : Ne me prend pas pour une idiote... je te dis que je viens de le voir.

Véronique : Ah, tu parles du nouveau domestique… Je ne sais pas d’où il sort, mais il arrive au bon moment… Figure-toi que Firmin vient de nous quitter, comme ça, sans prévenir… Je suppose que c’est lui qui est allé chercher son remplaçant… (Devant l’air dubitatif de Claudine)… Oui, il a eu au moins ça de bon… On ne pas avoir tous les défauts… Hein ?

Claudine : C’est fini, ton petit numéro ?

Véronique : Quel numéro ?

Claudine : N’en rajoute pas. Je suis assez énervée comme ça… Jérôme est là, je le sais !

Véronique : Jérôme ? Mais non, pourquoi veux-tu...

Claudine : Tant pis, tu l’auras voulu.

(Elle sort un petit revolver de son sac, et vise Véronique)

Véronique : Non, Claudine. Non, ne fais pas ça… Je t’en prie… (Claudine se met le revolver dans la bouche)… Non ! Claudine ... Pas ici…. (Claudine tourne alors l’arme vers Véronique)

(Entre Edmond, très sérieux)

Edmond : Je vous arrête, madame.

Claudine : De quel droit ?

Edmond : Tentative d’homicide volontaire sur madame.

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Claudine : Homicide volontaire, avec ça ? (Son revolver n’est autre qu’un tube de rouge à lèvres, qu’elle utilise et qu’elle remet dans son sac)… C’était une farce, Firmin…

Edmond : Edmond, madame.

(Tout en riant, Claudine se laisse tomber sur le canapé derrière lequel est caché Jérôme, qui surgit comme un ressort et se recache aussitôt.)

Edmond et Véronique : (qui seuls le voient) Oh !

Claudine : Qu’est-ce qu’il y a ?

Véronique et Edmond : Rien.

Claudine : (Souriante) Figure-toi que j’ai eu l’impression de voir Jérôme entrer chez toi…La même allure, le même costume… Je peux te dire que ça m’a secouée… Alors, j’ai voulu te faire le numéro de la femme trompée qui vient tuer sa rivale…... Qui, comme tu le sais, est toujours, sa meilleure amie… (Elle se tourne vers Edmond) Seulement, Firmin, oh, pardon… Edmond !... ce n’est pas possible.

Edmond : Pourquoi, madame ?

Véronique : Parce que son mari est parti pour Londres, hier.

Edmond : Ah !

Claudine : Voilà!...Mais comment le sais-tu ?

Véronique : Eh bien… tu me l’as dit hier… au téléphone.

Claudine : Moi ? Mais Jérôme ne l’a appris qu’hier soir, tard. Clément, son associé, ne pouvait pas y aller. Sa femme a encore eu un malaise, la pauvre… Alors, c’est Jérôme qui a dû y aller… Il a eu un avion très tôt, ce matin, heureusement… Tu vois bien que je n’ai pas pu te le dire…(Le portable de Jérôme se met à sonner derrière le canapé sur lequel est assise Claudine. Edmond s’y précipite)

Edmond (ressortant de derrière le canapé) : Ah, le voilà… Je ne savais pas où je l’avais perdu. Que madame veuille bien m’excuser.

Claudine : C’est drôle, j’aurais juré que c’était celui de mon mari. Vous avez la même sonnerie.

Edmond : Ce sont des choses qui arrivent, madame.

(Regards entre Edmond et Véronique)

Claudine : Oui, bien sûr… Mais c’est quand même curieux. Je crois voir Jérôme entrer ici. J’entends son portable, du moins la même sonnerie… Tu ne trouves pas ça bizarre, toi ?... Et vous Firm… Et vous, Edmond ?

(Edmond qui allait sortir, s’arrête)

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Edmond : C’est vrai que parfois, il y a des coïncidences… Tenez, moi, par exemple, vous croyez que je suis…

Véronique : C’est bon, Edmond, c’est bon. Nous en reparlerons plus tard… Allez ! (Edmond sort>>) Tu sais, si on les laisse parler, ça n’en finit plus… (Un silence.) … Et à part venir me tuer, tu allais où… ?

Edmond : (Qui réapparaît) On demande madame à l’entrée.

Véronique : Moi ?

Edmond : Non, pas madame, mais madame.

Claudine : Moi ?... Personne ne sait que je suis ici… Qui est-ce ?

Edmond : Un agent de police, madame.

Claudine : Mais, qu’est-ce que j’ai fait ?... Je ne t’ai pas encore tuée (Elle rit)… Ah, peut-être ma voiture…J’y vais.

(Elle sort. Edmond fait un signe à Véronique, pour qu’elle fasse sortir Jérôme, rapidement. Tous les trois quittent la pièce.)>>>

(Après un court instant, Claudine réapparaît)

Claudine : Dites Edmond, vous êtes sûr que… Tiens, où sont-ils passés ?... Il n’y avait personne à l’entrée… Il n’y a plus personne, ici… Bizarre ! (Elle va se rasseoir sur le canapé.) Ce parfum… je le connais…. On dirait celui de Jérôme… Jérôme ! Je suis sûre que tu es là. (Elle se lève, va derrière le canapé. Et pousse un cri) Ahhhh !! (Et reste tétanisée le bras tendu vers le canapé.)

Entrent, chacun de leur côté, Edmond et Véronique.

Edmond : Madame a appelé ?

Claudine : Là, là, là…

Véronique : Quoi lalala ?

Claudine : Là, derrière le canapé.

Véronique : (à Edmond) Jérôme ?

Edmond : Non, madame… Pire ! Un cadavre.

Véronique : (Qui jette un coup d’œil derrière le canapé.) Ciel, mon mari !

Edmond : Ah ! C’est Monsieur !

(Véronique fait oui de la tête, trop abattue pour parler.)

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Claudine : Tu veux dire que le cadavre, là, c’est … c’est Armand ? Armand, ton mari… Armand ? (Elle jette un rapide coup d’œil derrière le canapé) Oui, ce sont bien ses chaussures… Mon Dieu ! Armand !... Pourquoi a-t-il fait ça ? Ou alors quelqu’un l’a tué ? Mais c’est horrible ! Qui a fait ça ?... Vous avez une idée, Edmond ?...

Edmond : Je viens d’arriver, madame.

Claudine : Oui, c’est vrai… Pauvre Armand !... Et toi, dis quelque chose, quoi ! C’est quand même ton mari… Tu n’as rien entendu ?…Il avait des ennemis, quelqu’un qui lui voulait du mal, il n’a pas reçu des lettres de menaces, ces temps derniers…

Edmond : Si je peux faire une remarque à madame, c’est la police qui pose ces questions… d’habitude.

Claudine : Eh bien, elle est là, la police ? Vous l’avez appelée ? Il faut tout vous dire, mon pauvre Edmond… Allez !

Edmond : C’est déjà fait, madame… avant même que madame n’arrive.

Claudine : Bien… Mais comment pouviez-vous savoir ?

Edmond : J’ai été prévenu, il y a une demi- heure environ…

Véronique : Prévenu ?... De quoi ? Et par qui ?

Edmond : Par un certain Firmin.

Véronique : Firmin ?... Et où est-il passé ? Pourquoi n’est-il pas là ? Pourquoi êtes-vous venu à sa place ?

Edmond : Parce que… Bon, il faut que je vous dise que je ne suis pas…

(Arrive une femme, un brassard de police sur le bras, avec appareil de photos, suivie d’une autre femme, visiblement son adjointe.)

Martine : (A Edmond) Tiens, patron, vous êtes déjà là ?

Claudine : Patron ?... Edmond, c’est votre patron ?...

Martine : Edmond ?

Edmond : Je crois que madame me confond avec quelqu’un qui me ressemble.

Martine : Mais…

Edmond : Que madame m’excuse, on peut avoir besoin de moi… ailleurs.

(Edmond sort) >>

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Martine : Ça, alors, pour lui ressembler, il lui ressemble !... Il doit avoir un jumeau… (A Claudine) Bon, vous n’avez touché à rien ?... Vous n’avez pas bougé ? Qui a découvert le corps ?... Depuis combien de temps ? Vous êtes la femme du… enfin, de la victime ? Vous n’avez rien entendu ? Quand l’avez-vous vu pour la dernière fois ? A quelle heure ? Tu notes tout ça, Juliette…

Juliette : Pas si vite, chef.

Martine : Vous ne lui connaissiez pas d’ennemi, quelqu’un qui lui voulait du mal, il n’a pas reçu de lettres de menaces, ces temps derniers. Vous n’avez pas remarqué de changement dans sa vie privée. Ses affaires marchaient bien. Tout vous semblait habituel ? Il a déjeuné normalement, ce matin. Il faudra que vous nous précisiez toutes ses habitudes… remarquez, avec le légiste, on sera vite fixés. Il ne se droguait pas, pas de médicaments illicites, pas de petits vices cachés… Non, évidemment, ce n’est pas à vous qu’il les dirait… C’est normal, puisqu’ils sont cachés… (Elle rit) Les petits vices ! Ah, là dessus, il y aurait à écrire…

Claudine : (A Juliette) Elle est toujours comme ça ? (A Martine) Il faut que je vous dise que je ne suis pas…

Martine : … étonnée de ce qui vient de se passer. Oui, je m’en doutais. C’est toujours comme ça. Il n’avait jamais parlé de suicide ? Quoique venir se suicider sous un canapé !... Enfin, tout est possible. Si vous saviez ce que j’ai pu voir. On n’imagine pas les complications que vont chercher les gens. Ils pourraient faire simple. Non, il faut qu’ils se compliquent la vie. Si j’ose dire… (Elle rit) Il y aurait aussi un livre à écrire là-dessus. Mais on n’a jamais le temps… Oh, excusez-moi, je ne vous ai pas présenté mes condoléances. C’est le côté pénible dans notre métier, ça, les condoléances. Ou bien, venir annoncer la mort du cher mari…

Claudine : Justement, ce n’est pas mon mari.

Martine : Quoi ? Vous ne pouviez pas le dire plus tôt ?

Claudine : Vous ne m’en avez pas laissé le temps

Martine : Et on se rebelle… Que faites-vous ici ? Vous habitez ici ? Si vous n’êtes pas sa femme, pourquoi êtes-vous ici ? Vous êtes peut-être sa maitresse ? Le témoin du crime ?... Mais c’est peut-être vous qui l’avez tué ? Ouvrez votre sac… (Claudine refuse, resserre le sac sur sa poitrine) Allez, votre sac… Juju, tu mets des gants, à cause des empreintes, et tu fouilles madame.

Juliette : Mais… (Elle met des gants)

Martine : Ma petite Juliette, pas de discussion… Pourquoi ne veut-elle pas que l’on fouille son sac ? Hein, pourquoi?... Parce qu’elle y a caché l’arme du crime. C’est simple. Elle n’a pas eu le temps de s’en débarrasser… Alors, hop, dans le sac !...

Juliette : Vous permettez ? (Elle ouvre le sac et découvre le pistolet) Ah !!

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Martine : Tu vois, Juliette, tu vois ce que c’est que l’expérience… (A Claudine) Qu’est-ce qui vous fait rire ?... Vous avez un sacré culot. Je vous prends la main dans le sac. C’est le cas de le dire. (Elle rit) Je découvre l’arme du crime et, par conséquent, Juliette, la coupable. C’est ça le métier, ma petite. Y a que ça, on a beau dire…Et vous, la coupable, vous riez… Vous rirez moins tout à l’heure, dans votre cellule, pendant la garde à vue… (Elle donne à Juliette le revolver enveloppé dans un mouchoir.)

Edmond : (Qui vient d’entrer, sans imper, mais avec une veste de valet.) Je me permets de faire remarquer à madame que ce pistolet ne me semble pas conforme à ce que l’on voit d’habitude… dans les films, par exemple.

Martine : De quoi vous vous mêlez, mon vieux… C’est fou ce que vous lui ressemblez. Même sans imper… Vous n’auriez pas un frère dans la police ?…. Ça, aussi, on pourrait en faire un livre. Les ressemblances !... Ça ne vous embête pas que je vous dise mon vieux…

Edmond : Si. Et si madame me demande mes préférences, je préfèrerais qu’elle m’appelle monsieur. Tout simplement.

Martine : Si vous voulez.

Edmond : Oui, je le souhaite. C’est une formule qui permet de se sortir de situations parfois délicates. Tenez, par exemple, vous croyez que je suis…

Véronique : Oui, oui… merci Edmond… Merci ! (A Martine) Vous savez, si on les laisse parler, ça n’en finit pas.

*(Edmond sort)>>

Martine : Qui êtes-vous, vous ?

Véronique : La femme de… enfin du… (Elle montre le canapé.)

Juliette : Permettez-moi de vous présenter toutes mes sincères condoléances. (En disant ça, elle pose le revolver sur le canapé, pour serrer les mains de Véronique.)

Martine : Pourquoi n’avez-vous rien dit ?

Véronique : Parce que vous ne m’avez jamais posé de questions.

Juliette : C’est vrai, ça.

Martine : Juliette !!

Juliette : Quoi, chef ?

Martine : C’est déjà mieux!... Oui, Juliette, je suis ton chef, ne l’oublies pas, et tu es là pour que je t’apprenne le métier. C’est bien compris, Juliette ?

Juliette : Oui, chef !

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Martine : Alors, comme ça, vous êtes la femme de… *** (Jérôme, entre en coup de vent, affolé, suivi par Edmond)… Monsieur ?

Jérôme : (A Claudine) Ah tu es là ! Quand j’ai vu ta voiture, l’attroupement, la police, j’ai cru qu’il t’était arrivé quelque chose… (Tout le monde regarde vers le canapé.) Qu’est-ce qu’il se passe ? Mon Dieu, on dirait les pieds d’Armand.

Edmond : Monsieur les reconnaît ?

Jérôme : Oh, oui, pensez-donc. Tout à l’heure, ça m’a fait un choc… (Il s’approche de Claudine et la prend dans ses bras.) Ma pauvre chérie, tu n’es pas trop secouée ?

Claudine : Tout à l’heure ? A moi aussi, tout à l’heure, ça m’a fait un choc… Mais tu rentres déjà de Londres ?

Jérôme : De Londres ?... Euh… Oui… Oui, j’ai pu régler l’affaire plus vite que je le pensais.

Claudine : Et tu débarques aussitôt chez Véronique… sans même passer chez

nous…

Jérôme : J’y suis passé. Mais je n’ai pas vu ta voiture, alors j’ai pensé que…

Martine : Pardon, ce monsieur est aussi votre mari.

Claudine : Oui, madame la commissaire,…

Martine : Inspectrice, madame.

Claudine : … et aussi, je pense, l’amant de madame.

Véronique : Voyons, Claudine, tu es folle. Pourquoi dis-tu ça ? Qu’est-ce qui te fais croire ça ?

Claudine : Ne te fatigues pas, Véronique. Je devine tout.

Martine : C’est vrai, c’est le…? Ah, mais ça change tout. (A Juliette) Tu vois, mon petit, une enquête n’est jamais tout à fait finie… (A Jérôme) Alors, comme ça, vous êtes l’amant de madame, et comme par hasard, son mari est tué. Comme c’est étrange, vous ne trouvez pas ? Juliette, tu prends toutes les empreintes… Où est l’arme du crime? Monsieur ?... Allez, vite, nom, prénom, date de naissance, numéro de sécurité sociale, numéro de téléphone, portable y compris. Taille de pantalon, tour de poitrine, pointure… Ça n’a l’air de rien, Juju, mais c’est quelquefois important. Imagine ! Un suspect qui chausse du 36 ne peut pas avoir laissé des empreintes de 48 sur le sol du jardin.

Juliette : On est dans un appartement, chef.

Martine : Ne m’interromps pas tout le temps. C’est une supposition. Tu me suis.

Juliette : Où ça, chef ?

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Martine : Ici, dans ma supposition… Dans le jardin, tu trouves des empreintes 48, tu te dis, c’est un homme qui a fait ça. Hein ? Ça tombe sous le sens. Il n’y a pas de femme qui chausse du 48. Ou alors, c’est très rare et on la retrouve tout de suite. (Elle se déplace pendant qu’elle parle.) Mais quelque fois, tu me suis toujours, (Juliette la suit dans tous ses déplacements) le suspect met ses pieds dans des chaussures d’une pointure plus grande pour détourner les soupçons sur un autre… Alors là, tu te dis, c’est peut-être une femme qui a fait le coup…Oui, oui, j’ai vu ça… Avec toutes ces astuces pour nous envoyer sur une fausse piste, on pourrait en écrire un livre, mais on n’a pas le temps !! (Pendant ce temps-là, Edmond inspecte discrètement les lieux. Claudine, Jérôme et Véronique vont vers le bar, en évitant de passer près du canapé.)… On ne bouge pas, vous autres ! Trop facile, mine de rien, on déplace des éléments et l’enquête piétine… Oui, oui, j’ai déjà vu ça. Avec les éléments qui disparaissent, on pourrait… (Ils lui offrent un verre d’alcool)… Non, merci, vous êtes gentils mais, moi, l’alcool ça ne me réussit pas ! Je me mets à bavarder, à bavarder, à bavarder ! Vous n’avez pas un peu de café ? … Dites, mon vieux… non, moi, je ne m’y ferais jamais, une ressemblance comme ça !... Vous pourriez m’apporter un café. (Edmond ne bouge pas) S’il vous plaît, monsieur !

Edmond : Bien madame. (Il sort) >>>

Martine : Dites-donc, il a l’air susceptible votre larbin… Heureusement que ce n’est pas mon chef, sinon qu’est-ce que je prendrai en rentrant au bureau. Il n’apprécierait pas que je lui dise : mon vieux… (Elle rit) Ça ne doit pas être rigolo tous les jours de vivre avec un rabat-joie comme ça ! Ça fait longtemps qu’il travaille chez vous ?

Véronique : Non, depuis ce matin.

Martine : Depuis ce matin ?… Et votre mari est tué ce matin… Intéressant, ça… Juliette, tu vas aller l’interroger doucement, le domestique, tu mets des gants…

Juliette : Je dois le fouiller…

Martine : Non, c’est une expression, comme ça, qui veut dire tu vas l’interroger comme si tu marchais sur des œufs, tu comprends ?

Juliette : Non.

Véronique : Vous êtes tous comme ça, dans la police ?

Martine : Qu’est-ce que vous insinuez par là ?

Véronique : Oh, rien… Je voulais simplement savoir si vous en aviez encore pour longtemps à me poser des questions ? C’est que j’ai pas mal de démarches à faire, vous savez… La situation est nouvelle… enfin, bouleversante, pour moi.

Edmond : (Qui revient avec le café de Martine) Que madame me permette de me charger de toutes les corvées qui ne nécessitent pas la présence de madame.

Véronique : Vous voulez bien vous en occuper ? Vous êtes un ange, Edmond.

C’est le ciel qui vous envoie.

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Edmond : Oh, non madame, je ne pense pas que ce soit la formule appropriée.

(Martine va dans le fond et inspecte les lieux tout en buvant son café, pendant que Juliette attend, les mains gantées, qu’Edmond ait fini de parler)

Claudine : Edmond, c’est bien mon mari qui était derrière ce fauteuil ?

Edmond : Non madame, c’est monsieur, le mari de madame (Ver).

Claudine : Vous le connaissiez ?

Edmond : Non madame, pas personnellement…. Je ne suis arrivé que depuis ce matin. Mais vous tous, ici, l’avez bien identifié… Donc, c’est bien le mari de madame qui est derrière ce fauteuil.

Claudine : Vous parlez toujours comme ça ?

Edmond : Pas tout le temps, madame. Quand je ne suis pas en service, je parle autrement. Et je peux même avouer à madame, vous ne le direz pas à madame n’est-ce pas, qu’il m’arrive parfois de jurer, de m’emporter et même d’avoir un langage, comment puis-je dire… ?

Claudine : Ordurier ?

Edmond : Oui, c’est le mot, madame, ordurier.

Martine : C’est drôle, on ne voit que ses chaussures. Vous n’avez touché à rien ? Il n’a pas bougé ?

(Pendant ce temps Juliette et Jérôme se regardent et visiblement ils éprouvent une certaine curiosité l’un pour l’autre)

Juliette : Je ne vous ai pas déjà vu quelque part, monsieur ?

Jérôme : Je ne le pense pas, mademoiselle. Je n’aurai pas pu oublier un visage comme le vôtre.

Juliette : Oh, monsieur, vous êtes trop aimable.

Jérôme : Non, je suis sincère. Un sourire comme le vôtre se remarque. Votre voix aussi. Douce, harmonieuse.

Juliette : Oh, monsieur ! Vous allez me faire rougir !

Martine : Juliette ! Pas de familiarité avec les suspects ! Attention au baratin. Je te cause, je t’embrouille. Et hop, on oublie sa mission. Avec toutes ces tentatives d’embobinement, on pourrait écrire…

Juliette : Oui, chef. (A Jérôme) Il me semble, quand même, que je vous ai vu entrer, tout à l’heure, dans une voiture rouge, qui était mal garée.

Jérôme : Non, ça n’est pas possible, je suis à pied…

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Claudine : Tu es venu de l’aéroport, à pied ?

Jérôme : De l’aéroport ?... Quel aéroport ?

Claudine : Celui où arrivent les avions qui viennent de Londres.

Jérôme : De Londres ?... Ah, oui ! Oui… non, j’ai pris… l’Eurostar. Tu sais le tunnel sous la Manche…

Martine : Tiens ! Vous n’avez pas été gêné par la grève ?

Jérôme : La grève ?... Non… vous savez, j’ai dormi pendant tout le voyage. J’ai même rêvé de poissons qui nous regardaient passer ! C’est très curieux…

Claudine : Oui, c’est très curieux !

Martine : Oh, oui, c’est curieux ! Un : Vous venez de Londres par un train juste le jour où il ne roule pas. Deux : Vous êtes l’amant de madame…

Jérôme : Non, mais qu’est-ce que vous racontez là ? Je ne vous permets pas…

Martine : Trois : On découvre le mari de madame, mort…. Juliette, tu interroges monsieur.

Juliette : Bien, chef ! Avec des gants ?

Martine : Oui, Juliette … Ah, je vois, ça vient le métier.

Juliette : Allez, suivez-moi, monsieur… Chef, les œufs, je les mets où ?

(Ils sortent) >>>

*Martine : Bon ! A nous trois, maintenant ! Qui est la femme de qui ? Vous, c’est...

Claudine : Claudine.

Martine : Claudine comment ?

Claudine : Mortemer.

Martine : (Elle écrit) Mor-te-mer… Ah, ah, comme la mer morte ? Mariée ? Des enfants ? Des petits enfants ? Quel âge ?

Claudine : Moi ?

Martine : Oui, bien sûr, pas le pape.

Claudine : Je ne vous le dirai pas… Tenez, voilà ma carte d’identité.

Martine : (Après avoir considéré la carte) Chapeau ! Vous ne les faites pas. Non, sincèrement. Vous êtes même mieux que sur la photo. (A Véronique)Vous ne trouvez pas ? Des gens qui sont mieux que sur leur photo, tiens, on pourrait en écrire des choses…

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Claudine : … Mais on n’a pas le temps…

Martine : Ah bon, vous aussi ?… Et vous êtes mariée avec ce monsieur qui arrive de Londres par un train qui ne circule pas. Monsieur, comment déjà… ?

Claudine : Mortemer, évidemment... Jérôme Mortemer.

Martine : Et vous dites que c’est l’amant de madame. Vous en êtes sûre ? Vous les avez pris en flagrant du lit ? Ah, ah, là, flagrant du lit, c’est bien le mot qu’il faut, hein ! Du lit, délit, hein ? (Il n’y a qu’elle qui rit)

Véronique : Mon amie est très troublée, et…

Martine : Vous, dites-donc, vous ne me paraissez pas très troublée. Vous êtes bien la femme de la victime ? Eh bien, madame, généralement, quand un mari est assassiné, sa femme est en pleurs, effondrée sur un divan, avec ses amis qui lui tiennent les mains. On a les yeux rouges, madame. Qu’on tapote avec le mouchoir que vous a prêté votre amie. On répond aux questions d’une voix absente. Voilà, madame, comment la femme de la victime doit se comporter… Nom, prénom, mariée, enfants, petits enfants, âge, tour de poitrine, pointure? Que faisiez-vous quand on a découvert la victime ? Etiez-vous dans la pièce quand ça c’est produit ? Votre mari était-il au courant de votre liaison avec… (Elle appelle) Juliette ! Comment s’appelle le suspect que tu interroges ?

Juliette : Je ne sais pas encore, chef, on est en train de laver le carrelage…

Martine : Laver le carrelage ? Pourquoi ?

Juliette : A cause des œufs, chef. On aurait peut-être dû prendre des œufs durs.

Martine : Juliette, est-ce que tu te fous de…

Edmond : Madame l’inspecteur Martine Leblond ?

Martine : Oui, c’est moi. Vous voyez bien que je travaille.

Edmond : Je ne permettrais pas de déranger madame, mais le commissaire Victor a bien insisté. Il m’a demandé de me mettre à votre service pour vous aider dans vos recherches.

Martine : Le patron est là ?

Edmond : Oui, madame… (Martine remet instinctivement un peu d’ordre dans son uniforme)… au téléphone.

Martine : Ah, bon !... Il est toujours là ?

Edmond : Non, madame, il vient de raccrocher.

Martine : Et il vous a demandé de m’aider… Comme ça !... C’est curieux. Généralement, il ne fait confiance à personne pour démarrer une enquête. Et là, d’un seul coup, sans vous connaître, il vous charge de…

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Edmond : Dans mon métier, madame, il faut être très observateur et parfois certains détails peuvent échapper, même à l’œil le plus averti.

Martine : Bon… Regardez, mais ne touchez à rien.

Edmond : Bien, madame ! Qu’est-ce qu’on fait de monsieur, enfin du… corps de monsieur.

Véronique : Oh, je vous en prie, ne l’emmenez pas tout de suite ! Je suppose que vous allez demander… une autopsie. N’est-ce pas ? J’aimerais le voir encore un peu. Une dernière fois. S’il vous plaît !

Edmond : Je comprends madame, mais c’est à madame (Mar) de décider.

Martine : Dites donc, vous parlez toujours comme ça ? Même à votre femme ? Ça doit être rigolo vos repas ! Puis-je demander à madame mon épouse de bien vouloir me passer la salière ? Je remercie madame… Eh bien, je ne voudrais pas être madame Edmond… Au fait, Edmond, pardon, monsieur Edmond, vous êtes marié ? Nom, prénom, lieu et date de naissance de votre femme, des enfants, des petits-enfants, tour de taille, pointure…

Juliette : Dites, chef, vous voulez que je vous prête mes gants…

Martine : Pourquoi faire ?

Juliette : Ben, pour interroger le domestique. Tout à l’heure vous m’avez dit…

Martine : Juliette… Mettre des gants est une expression qui signifie qu’il faut y aller avec précaution, qu’il ne faut pas brusquer le témoin, qu’il faut le mettre en confiance…

Juliette : Et pour les empreintes ?... il faut aussi les mettre en confiance, comme si on tenait des œufs avec des gants ?

Martine : Juliette, je vais te montrer comment on mène un interrogatoire. Si monsieur Edmond veut bien me suivre. Dites-donc, c’est contagieux votre façon de parler. (Elles sortent avec Edmond)

Un silence pesant s’installe entre les deux femmes. Elles n’ont pas le temps de dire un mot, qu’entre en coup de vent une femme, plus âgée que les autres. Du genre qui ne supporte pas la contradiction.)

Yvonne : Qu’est-ce qui se passe ici ?

Véronique : Maman !

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Yvonne : Véronique, pourquoi la police ? En plus, elle prétend m’empêcher d’entrer chez toi ! (Elle enlève son chapeau) Tiens, Claudine, je ne t’avais pas vue. Ça va ? Moi, je suis éreintée. (Elle se laisse tomber sur le canapé et se relève aussitôt, en poussant un cri. Elle sort du fond du canapé le revolver de Claudine). Tiens, que fait ce revolver ici ? Ce n’est pas un modèle courant, le barillet ne tourne pas, trop léger. Impossible de bien le tenir en main. C’est à toi, Claudine ? Tu t’es fait avoir quand tu as acheté ce truc là.

Claudine : Ce n’est pas…

Yvonne : Tu ne vas quand même pas m’apprendre à reconnaître les armes à feu. Tu oublies que j’ai été championne de tir, sélectionnée pour les championnats de France… Enfin, presque ! Et je tire encore très bien. Je peux te dire que…

Claudine : Ce n’est pas…

Yvonne : Tu pourrais quand même me laisser parler. Ton arme n’est que de la pacotille. Voilà !... Tu voulais me dire quelque chose ?

Claudine : Ce n’est pas une arme, Yvonne, c’est un tube de rouge à lèvres.

Yvonne : Tu ne pouvais pas le dire tout de suite… Je suis contente de te voir. Figure-toi qu’on raconte…

Véronique : Maman, laisse-la tranquille… Assied-toi… la police est là, parce que… Armand… (Elle se met à pleurer)

Yvonne : C’est bien fait. Je t’ai toujours dit que ça arriverait. Il n’est pas assez prudent. Je m’étonne même qu’on ne l’ait pas découvert plus tôt.

Véronique : Non, il est… (Elle continue à pleurer, avec distinction)

Yvonne : … parti entre deux gendarmes. Ça ne me surprend pas. Que veux-tu, il ne pouvait pas continuer comme ça ! Un escroc…

Véronique : Maman,…

Yvonne : Ne me coupe pas la parole ! … Un escroc, même de haut vol, si je puis dire, se fait ramasser un jour à l’atterrissage. Toujours. Il faut bien une morale.

Véronique : Maman, tu n’as pas le droit de dire ça,… surtout aujourd’hui. Yvonne : Pourquoi, aujourd’hui ?

Véronique : Regarde !

Yvonne : Aaahhh ! Mais c’est Armand. Et il est… mort ! (Elle s’effondre sur le canapé.) Et c’est toi qui l’as tué, Claudine ? Hein, c’est toi ? Avoue-le !

*Martine : (Qui entre en coup de vent) Ah, elle a avoué. Je le savais.

Yvonne : Qui c’est celle-là ? Je ne la connais pas.

Martine : Elle sort d’où, celle-là ?

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Yvonne : Pas très distinguée… Tu pourrais mieux choisir tes relations, Véro.

Martine : Je ne vous…

Yvonne : Aucune élégance. Je n’ai jamais vu ces vêtements, sur aucun catalogue… Vous vous habillez à La Redoute, aux Trois Suisses ? Ou pire.

Martine : Dites-donc…

Yvonne : Langage à revoir. Il faut vous redresser, ma fille !... A votre âge, il en est encore temps… Mais ne tardez pas…

Martine : Silence. Ici, c’est moi qui pose les questions…

Yvonne : On ne m’a jamais coupé la parole, ma petite, et ce n’est pas vous qui allez commencer… Non, mais quelle insolence !… Vous parlerez quand je vous le dirai.

Martine : Vous, la vieille, fermez-la!

Yvonne : La vieille !... (Elle se lève) Tu l’auras voulu. (Elle gifle Martine)

Juliette : Bonjour madame… Oh, vous n’auriez pas dû faire ça. La chef, elle n’aime pas.

Yvonne : Je ne vous demande pas votre avis. Mais la chef, comme vous dites, elle l’a bien mérité. Vous, au moins, vous êtes polie. Pas très élégante, non plus. Vous vous habillez au même endroit ? Vous voulez mon avis ?

Juliette : C'est-à-dire…

Yvonne : Eh bien, ne suivez pas les conseils de la chef, comme vous dites, pour vous habiller. Ne vous laissez pas aller…

Martine : Juliette, tu l’arrêtes. Outrage à…

Yvonne : Outrage à qui? Vous l’entendez, l’autre épouvantail. C’est elle qu’il faut arrêter, pour outrage à personne âgée, outrage à une pauvre femme qui n’a plus la force de se défendre.

Martine : Epouvantail ? Va donc, face de carême…

Edmond : (Qui vient d’entrer) Hum, hum ! Si je peux me permettre, je conseillerais à ces dames de modérer un peu leurs propos. La situation est suffisamment grave.

Yvonne : Tiens, Firmin, vous tombez bien.

Edmond : Edmond, madame… Edmond, pas Firmin.

Yvonne : Ça vous dérange beaucoup si je vous appelle Firmin. J’ai l’habitude de dire Firmin à tous les domestiques de ma fille.

Edmond : Ah, madame est la mère de madame.

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Yvonne : Oh, qu’il est drôle !... Vous ne vous trompez jamais. Entre madame et madame.

Edmond : Non, madame. Mais il faut bien suivre mon regard. Quand je m’adresse à madame, je regarde madame et non madame et encore moins madame.

Yvonne : Non mais qu’il est drôle ! Le Firmin d’avant vous était moins amusant. Tiens, qu’est-il devenu ?... Véronique, où est Firmin, enfin l’autre ?

Véronique : Il nous a quitté ce matin.

Yvonne : Mort ? Je ne savais pas si malade. Pauvre homme. Il s’entendait si bien avec Armand. Tiens, où est-il encore celui-là ?

Véronique: Il nous a quitté ce matin.

Yvonne : Lui aussi ? Tu ne m’avais pas dit qu’il était malade.

Véronique : Non, maman… Armand est… (Elle éclate en sanglots)

Edmond : Si madame le permet, je signale à madame que monsieur est mort.

Yvonne : Mort ? Comment ça, mort ?

Véronique : Maman, tu viens de le voir, là…

Yvonne : Oui, c’est vrai ! Me faire ça à moi, sans me prévenir. Il aurait quand même pu m’envoyer un faire-part… Armand est un garçon en dessous de tout. Escroc, ça on le savait. Mais…

Martine : Juliette, tu notes, le garçon en dessous du canapé, est un escroc.

Véronique : Je ne vous permets pas d’insulter un mort. Mon mari n’est pas un escroc…

Yvonne : La douleur t’aveugle, ma pauvre fille. D’où penses-tu qu’il tirait tout cet argent ?... Oui, madame la chef, mon gendre est un homme d’affaires. Brillant, certes. Mais quand on dit affaires, généralement, elles sont louches, ou sales… Et il avait une vie dissolue. On ne compte plus ses maîtresses…

Véronique : Maman !

Yvonne : Hein, Claudine ? Ce n’est pas toi qui va me contredire.

Claudine : Yvonne !

Martine : Ah bon, madame, maintenant, est la maîtresse de monsieur. (Elle montre le canapé) Et monsieur, (elle montre Jérôme) lui, est l’amant de madame. Madame ne s’en doutait pas ?

Claudine : Je vous l’avais dit.

Martine : Ce n’est pas à madame (Cla) que je m’adresse, mais à madame (Ve).

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Yvonne : A moi ?

Martine : Non, pas à madame (Yvonne), mais à madame (Vero).

Yvonne : Eh bien, ne me regardez pas. Sinon, je crois que c’est à moi que vous parlez… Firmin, mon vieux, (Geste de dénégation d’Edmond) elle est grave, cette maladie, et c’est contagieux.

Edmond : Quelle maladie, madame ?

Yvonne : La vôtre… Enfin, votre façon de parler.

Edmond : Ah ! Madame me considèrerait-elle comme un malade ?

Yvonne : Non, mais si madame la chef se met à parler comme vous, on n’est pas prêt de comprendre ce qui se passe. Qui est-ce qui pourrait m’éclairer ?

Juliette : Moi… J’appuie sur quel bouton, chef ? Celui-là ?

Véronique : Non !!!

…….. (Noir complet) ………

(Les dialogues qui suivent se disent dans le noir)

Edmond : Puis-je demander à madame où sont les plombs ?

Martine : Comment voulez-vous que je le sache. Je ne suis pas d’ici.

Edmond : Ce n’est pas à madame que je le demandais, mais à madame.

Yvonne : Moi ? Je n’en sais rien, mon vieux…. Demandez à madame.

Claudine : Dans le placard, sur la gauche. Près de la chambre.

Véronique : Tiens, comment sais-tu ça ?

Claudine : L’autre soir, quand on a…

Juliette : (elle crie) Non !... Arrêtez… Je suis très chatouilleuse.

On entend plusieurs bruits de gifles.

…………… (La lumière revient)……………..

Juliette est debout en train de remettre de l’ordre dans sa tenue.

Jérôme, entre Juliette et Claudine, se frotte les deux joues. Visiblement il a dû prendre deux gifles .Yvonne se frotte la main tandis que Martine se frotte la joue.

Il y a un homme de plus dans la pièce, non loin du canapé.

Claudine : Oh ! Mon Dieu ! (Elle sort très discrètement, vers jardin))

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Véronique : Mais… qui êtes-vous ?... Qu’est-ce que vous faîtes là ?

Robert : Je… J'arrive, Madame.

Véronique : D’où ?

Robert : De… l’agence pour l’emploi.

Véronique : Comment, vous aussi ?...

Robert : Je ne comprends pas…

Véronique : Et vous avez déjà servi… et vous allez me répondre : Oh, oui, madame, beaucoup...

Robert : Oh, oui, madame beaucoup. Voici mes certificats…

Véronique : Et, bien sûr, vous avez joué les utilités.

Robert : Oh, j’ai tout fait, Madame, si madame veut vérifier…

Véronique : L’agence m’a déjà envoyé quelqu’un. Je suis désolée…

Robert : Oh, pas tant que moi, madame… Si vous saviez combien je comptais sur cette place… Voilà plus de six mois que je cherche un emploi. J’ai six enfants sur les bras, madame, et une femme… enfin, j’avais une femme… elle est partie depuis six mois, dès que Edmond …

Tous : Edmond ?

Edmond : Madame a appelé ?

Véronique : Non.

Robert : Si, madame. Dès qu’Edmond a été sevré. Elle a quand même attendu jusque là… Je ne pouvais pas l’allaiter… Oh, ce n’est pas que je n’avais pas de lait, non, mais le petit Edmond ne tolère pas le lait de vache, ni liquide, ni en poudre… Mais madame sait sans doute ce que c’est…

Véronique : Non.

Yvonne : Moi si… Et c’est très difficile à nourrir… Vous n’avez pas essayé de remplacer le lait par du bouillon de légumes ?

Robert : Non, madame. Vous pensez c’est assez nourrissant ? Parce que je ne voudrais pas que le petit Edmond devienne un adulte chétif.

Yvonne : Chétif ? Regardez ma fille. Ça ne lui a pas mal réussi. Non ?

Martine : C’est fini, vos parlotes ? Je peux continuer mon enquête ? (Elle fait le tour du canapé, et s’arrête le bras tendu) … Le… le cadavre...

Robert : Le cadavre ? Il y a un cadavre ?

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Juliette : Oui, sous le canapé.

Robert : Mon Dieu, il y a un cadavre… sous le canapé ! Et c’est l’habitude chez vous ? Parce que, autant vous le dire tout de suite, je ne supporte pas la vue d’un mort. Il paraît que ça fait tourner le lait et je ne voudrais pas que le petit…

Yvonne : Non, il ne risque rien.

Robert : Ah bon ! Ça me rassure… Alors, puis-je demander à madame ce que je dois faire ?

Yvonne : Vous lui faîtes un bon bouillon de légumes.

Robert : Pas pour le petit, madame, mais pour la place. Madame pense-t-elle me garder ?

Véronique : J’ai déjà quelqu’un et je ne …

Yvonne : Tu ne vas pas laisser ce pauvre homme sans travail. Avec son bébé à élever. Ma fille vous embauche.

Véronique : Mais, maman…

Yvonne : Vous aiderez Firmin.

Véronique : Mais, maman…

Robert : Oh merci, mesdames ! C’est Edmond qui va être content. Il va pouvoir être bien au chaud, dans un bel appartement…

Véronique : Vous n’allez pas venir vous installer, ici, avec toute votre famille ?

Robert : Oh, non, madame. Avec le petit Edmond seulement, madame. Les autres sont assez grands pour se débrouiller tous seuls. Seulement le petit Edmond, madame… si madame le permet bien entendu.

Véronique : Non, je ne permets pas… Je suis désolée pour Edmond, monsieur... Edmond, veuillez raccompagner monsieur.

Robert : Ah, monsieur, s’appelle Edmond, lui aussi… Félicitations, monsieur. C’est un si beau prénom. Depuis mon arrière-grand père, nous le portons tous dans la famille. En deuxième prénom, bien entendu, sinon, on ne s’y retrouverait plus. Mon premier s’appelle Marie-Edmond, c’est une fille. Le second, c’est Charles-Edmond, ensuite, il y a…

Véronique : C’est bon, c’est bon. (A tous) Vous savez, si on les laisse parler, on n’en finit plus… Edmond veuillez reconduire monsieur.

Martine : Stop ! Personne ne bouge… Qui a pris le cadavre ?... Il n’a pas pu partir tout seul. Ce n’est pas possible. Quoique… J’ai déjà vu ça. Et sur les disparitions de cadavre, on pourrait écrire, mais…

Tous : … On n’a pas le temps.

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Robert : Si. Quand les enfants sont à l’école et quand Edmond dort, je peux écrire. Tenez, je suis en train d’écrire un roman. Un roman policier. Enfin, je l’ai juste commencé. Il faudra que je vous le montre, madame le commissaire…

Martine : … inspecteur, monsieur, inspecteur seulement.

Robert : D’ailleurs, vous allez pouvoir m’aider. C’est l’histoire d’une femme inspectrice qui veut devenir commissaire. Il faut qu’elle fasse une très belle enquête pour ça. N’est-ce pas, ce n’est pas madame qui me contredira. Or dans la ville où elle travaille, il ne se passe rien, ou pas grand-chose. Oui, je sais, c’est rare. Mais ça existe, la preuve. Alors, elle décide de…

Martine : Vos papiers !

Robert : Eh bien, ça tombe bien, j’ai justement quelques pages sur moi. Quand je sais que je risque d’attendre, j’ai toujours du papier pour…

Martine : On s’en fout !

Yvonne : Assez ! On n’entend que vous, la chef. Laissez donc le témoin parler.

Martine : Quel témoin ?

Yvonne : Lui… Comment vous appelez-vous, au fait ?

Robert : Robert-Edmond Monderot. Avec r-o-t. Et non pas r-e-a-u. Quelque fois même on ajoute un x. Il ne faut pas confondre. Les Mondereaux, avec un x, ils sont de Javers-les-mouflons. Nous, on est de…

Yvonne : C’est bon, ma fille vous appellera Firmin.

Robert : Ah, non, pas Firmin.

Yvonne : Pourquoi ? J’ai toujours appelé les domestiques de ma fille : Firmin, et ce n’est pas vous, mon petit, qui allait me faire changer d’habitudes.

Robert : Je suis confus de contredire madame. Elle pourra me donner tous les prénoms qu’elle voudra. Mais pas Firmin, je ne peux pas supporter ce prénom.

Yvonne : Pourquoi ?

Robert : Mon frère s’appelle Firmin…

Yvonne : Et alors ?

Robert : Je déteste mon frère…

Martine : Au point de le tuer, hein?

Robert : Pourquoi madame veut-elle que je tue mon frère ?

Martine : Et de faire disparaître le corps, n’est-ce pas ?

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Juliette : Ah, oui, le corps !... (Elle va derrière le canapé) Oh !...Chef ! Il n’y a plus de mort, il y a juste ses chaussures… Avec rien dedans.

Martine : Alors Juliette, quelle conclusion ?

Juliette : Ben… le mort est parti pieds nus.

Martine : Juliette !!

Juliette : Quoi, chef.

Martine : Réfléchis un peu, Juliette. Puisqu’il est mort, il n’a pas pu enlever ses chaussures, tout seul, donc…

Juliette : Donc, on l’a aidé.

Martine : Bravo. Le métier rentre, Juliette. Donc, il y a un complice. Tu me suis ?

Juliette : Où ça, chef ?

Martine : Dans mon raisonnement… Qu’est ce que tu cherches ?

Juliette : Ben, le complice dans votre raisonnement… Dites, chef, j’y pense. S’il est mort, il n’a pas pu partir tout seul… Ou alors, il n’est pas mort et il est parti tout seul, sans complice dans votre raisonnement.

Martine : Pieds nus ?

Juliette : C’est vrai. Il n’a pas dû aller bien loin.

Martine : Alors vas-y !

Juliette : Où ça, chef ?

Martine : Le chercher.

Juliette : Qui ça ?

Martine : Le mort.

Robert : Eh bien, si madame (Ver) ne veut pas de moi, je vais retourner m’occuper d’Edmond. C’est d’ailleurs l’heure de son biberon.

Yvonne : Le biberon ? A six mois ? Il faut commencer à l’habituer à la cuillère, mon petit. Voyez ma fille. A quatre mois, elle avalait sa cuillère de roquefort au moins deux fois par jour. Et vous avez vu la belle plante que c’est.

Véronique : Maman !... Laisse partir monsieur. Son bébé l’attend.*

Martine : Juliette, suis-le. Note tout ce qu’il fait. Ne le perd pas de vue.

(Robert sort, suivi par Juliette ; puis par tous les autres. Véronique s’apprête à sortir.)

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Claudine : (apparaît discrètement à jardin) Il est parti ?

Véronique : Qui ?

Claudine : Eh bien, le monsieur là, avec son bébé.

Véronique : Oui.

Claudine : Ouf ! J’ai eu peur.

Véronique : Peur de quoi ?

Claudine : Qu’il me reconnaisse…. Je suis son ancienne maîtresse.

Véronique : Toi, tu as été sa maîtresse ? Ce n’est pas toi la mère d’Edmond ? Enfin du petit Edmond ?

Claudine : Mais non ! Il a essayé de me faire chanter…

Véronique : Mais tu chantes faux, ma pauvre Claudine ! Très faux ! Tu peux chanter, dans une chorale et encore… à condition que tu fasses semblant.

Claudine : Non, pas chanter… la,la,la… Mais chanter… si, si, si, vous ne payez pas, je raconte tout à votre mari…

Véronique : Et tu n’y tiens pas… Dis donc, tu trompes Jérôme, maintenant? Tu ne me l’avais jamais dit. Avec qui ?

Claudine : Et toi, est-ce que tu m’as dit avec qui tu trompes Armand ?... Armand !! Quand je pense qu’il est mort. (Elle pleure) Ce pauvre Armand ! Il ne nous reste que ses chaussures. Ah ces chaussures ! Je me souviens quand nous les avons achetées.

Véronique : Nous ?

Claudine : Oui, nous. Tu ne t’en souviens pas ? C’était…

(Un homme surgit de derrière le canapé. Il se débat empêtré dans un drap. Ce pourrait être le tissu qui recouvre le dossier du canapé)

XX : Bugum, rrrbugumm (Propos inintelligibles).

Tous : Un fantôme ! Un fantôme ! (Effrayées, elles sortent. Edmond apparaît)

Edmond : Qu’est-ce que vous dites ?

XX : Mes chaussures ? Et qu’est ce que je fais entortillé là-dedans ?

Edmond : Mais qui êtes-vous ?

XX : (Il regarde Edmond.) Et vous, que faites-vous chez moi ?

Edmond : Chez vous ? Alors, Monsieur, c’est vous ? Armand, le mort !

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XX : Lemort ? Pourquoi Lemort ? Je m’appelle Tallot, Monsieur. Armand pour les dames. Et je ne suis pas mort. Oh, que non !

Edmond : Oh que si, monsieur, hélas.

Armand : Alors c’est ça, l’au-delà ? (Il regarde autour de lui) Ça ressemble beaucoup au côté d’où je viens. Mais qu’est-ce que je raconte ? Je suis encore sonné. Ah mon bon ami ! Il y avait longtemps que je n’avais pas pris une pareille cuite. Ivre mort que j’étais.

Edmond : Vous voyez : vous êtes mort.

Armand : Je ne me souviens plus de rien… Ah si, en rentrant, pour ne pas faire de bruit, j’ai voulu m’asseoir pour enlever mes chaussures, et zoup ! le canapé s’est retourné. Et maintenant je me retrouve ficelé dans un drap, comme une momie. Vous ne direz rien à Madame? Je sais que je peux compter sur vous, Firmin. Hein ? J’augmente vos gages.

Edmond : Monsieur peut compter sur moi. (On entend du bruit) Cachez-vous là-dessous et faites le mort.

Armand : Encore. (Il disparaît sous le canapé, pendant qu’entre Véronique. Edmond arrange le drap sur le dossier.)

Véronique : Edmond, pouvez-vous garder un secret ?

Edmond : Oui Madame, je peux.

Véronique : Tout à l’heure, vous avez pu imaginer que monsieur Jérôme et moi, eh bien, nous étions…

Edmond : Parlez moins fort, on pourrait nous entendre.

Véronique : Il n’y a personne… à part ce pauvre Armand… Armand ! (Elle pleure) Pardonnez-moi. Je n’y suis pas encore habituée… Vous croyez que de là où il est, il peut nous entendre.

Edmond : Sûrement, madame, sûrement.

Véronique : Eh bien qu’il sache que je ne l’ai jamais trompé, et que…

Claudine : (Qui vient d’entrer) Tu mens !

Véronique : Parle moins fort, il pourrait nous entendre.

Claudine : Qui ?

Véronique : Armand !

Claudine : Ma pauvre Véro, tu sais bien qu’il est mort. Ce pauvre Armand ! (Elle pleure elle aussi. Armand apparaît derrière le canapé et regarde, tout ému, les deux femmes qui le pleurent, assises sur le canapé.)

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Véronique : Armand, tu m’entends ?

Armand : (qui s’est recaché) Grumph !

Véronique : Mon Dieu ! Armand ! (à Edmond) Qu’est ce qu’il dit ?

Edmond : Il voudrait ses chaussures.

Véronique : Eh bien, donnez-les-lui ! Pieds nus pour l’éternité, ça doit être pénible. Mon pauvre Armand !… Allez, dépêchez-vous !... (Edmond cherche les chaussures) Qu’est ce que je disais ? Ah oui, vous avez pu croire, tous les deux, que Jérôme et moi… eh bien, les apparences sont trompeuses. Nous travaillions.

Claudine : Ben voyons. Vous faites même des heures supplémentaires, au petit matin. Pendant que Jérôme est à Londres. Eh bien, tant pis pour toi ! (Elle fouille dans son sac pour y prendre son revolver.)

Véronique : Non, Claudine, non !

Edmond : Non, madame, non !

Martine : Non, madame, non !... Je vous arrête pour tentative de meurtre sur madame.

Claudine : Avec quoi voulez-vous que je la tue ? Vous m’avez pris mon revolver.

29=Juliette : Le voilà, chef.

Martine : Quoi ? Le revolver ?

Juliette : Non, le papa d’Edmond.

Martine : Edmond, enfin monsieur Edmond, a encore son père ?

Juliette : Non chef, l’autre, le papa du petit Edmond. (Robert arrive derrière Juliette)

30=Robert : Je voulais demander à madame la mère de madame. (Il s’adresse à Véronique, il cherche des yeux Yvonne et aperçoit Claudine) … Ah, Madame ! Si je m’attendais à voir madame, ici !...

Martine : Vous connaissez cette femme ?

Robert : Bien sûr, c’est mon ancienne maîtresse.

…………………………………… à suivre) ………….

Pour obtenir la fin du texte, veuillez contacter directement l’auteur à son adresse courriel :[email protected]

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Jacques Brenet6 bis, rue Ernest Hérouard76310 Ste Adresse

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