David Le Breton Anthripologie Du Corps Et Modernite

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David Le Breton, Anthropologie du corps et modernité Virginie Blum Publication commentée | Rechercher | Texte | Notes | Citation | Rédacteur David Le Breton , Anthropologie du corps et modernité, Presses universitaires de France, coll. « Quadrige Essais Débats », 2008, 330 p., EAN : 9782130562788. Informations Haut de page Texte intégral PDF Signaler ce document 1Les dix chapitres de cet ouvrage nous entraînent dans la trame d'un corps moderne. De prime abord, ce corps a désormais franchi de nouvelles limites, à l'heure où se jouent à Lyon les prolongations de l'exposition « Our body : à corps ouvert ». A l'instar des écorchés de Vésale (pp.68-78), celle- ci nous renvoie une image nouvelle de l'homme anatomisé. Cette dissection sans pareil marque une ouverture lourde de conséquences dans l'ère de la modernité, et appelle certaines considérations quant à la corporéité. D'une part, les différentes fonctions de l'organisme sont conduites à ne plus mourir ; elles sont ainsi soumises à transcender la mort, poursuivant sans relâche « une quête de rationalité » (p.65) tout en éloignant encore un peu plus le corps « de toute référence à la nature et à l'homme qu'il incarnait » (p.75). D'autre part, la mercantilisation de cette entité biologique marque la transformation des normes et valeurs culturelles dans le lien social entre individu et corps. Cette perspective fait à présent apparaître l'importante désacralisation du corps qui s'est jouée au cours de ces derniers siècles. A cette représentation moderne de l'homme anatomisé, dont l'auteur retrace une genèse dans le chapitre 2, il me semble intéressant d'ajouter le récent commentaire d'un journaliste

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David LeBreton, Anthropologie du corps et modernitVirginie BlumPublication commente| Rechercher| Texte| Notes| Citation| Rdacteur

David LeBreton, Anthropologie du corps et modernit, Presses universitaires de France, coll. Quadrige Essais Dbats, 2008, 330p., EAN: 9782130562788.

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Signaler ce document1Les dix chapitres de cet ouvrage nous entranent dans la trame d'un corps moderne. De prime abord, ce corps a dsormais franchi de nouvelles limites, l'heure o se jouent Lyon les prolongations de l'exposition Our body: corps ouvert. A l'instar des corchs de Vsale (pp.68-78), celle-ci nous renvoie une image nouvelle de l'homme anatomis. Cette dissection sans pareil marque une ouverture lourde de consquences dans l're de la modernit, et appelle certaines considrations quant la corporit. D'une part, les diffrentes fonctions de l'organisme sont conduites ne plus mourir; elles sont ainsi soumises transcender la mort, poursuivant sans relche une qute de rationalit (p.65) tout en loignant encore un peu plus le corps de toute rfrence la nature et l'homme qu'il incarnait (p.75). D'autre part, la mercantilisation de cette entit biologique marque la transformation des normes et valeurs culturelles dans le lien social entre individu et corps. Cette perspective fait prsent apparatre l'importante dsacralisation du corps qui s'est joue au cours de ces derniers sicles. A cette reprsentation moderne de l'homme anatomis, dont l'auteur retrace une gense dans le chapitre 2, il me semble intressant d'ajouter le rcent commentaire d'un journaliste s'interrogeant sur l'asymtrie entre les sportifs valides et les sportifs handicaps. Les Jeux Olympiques se terminant, force est de constater que les performances physiques affiches par certains concurrents invalides viennent galer celles de leurs collgues valides. Alors qu'en est-il du corps organico-mcanique? Le chapitre 3 nous fait tout d'abord part du dualisme cartsien qui distingue l'homme de son corps, en faisant de ce dernier une ralit part, et de surcrot dprcie, purement accessoire (p.87). C'est ainsi que le corps est affect d'un indice dprciatif (p.90), le faisant apparatre comme un automate m par une me (p.97). De cette manire, il devient un champ d'exprimentations, un laboratoire laiss la guise de la science afin de combattre l'inexorable dgnrescence du corps humain. Sa prcarit et ses limites tentent d'tre viter et corriger; l'utilisation croissante de prothses, qui sont au fil du temps technologiquement plus pointues, ou encore de la transplantation, qui emmne des organes bout de souffle, viennent remdier aux dfaillances de fonctions essentielles. Certes, ces techniques amliorent les insuffisances de cet enracinement de chair et d'os mais elles laissent devenir l'homme pareil une sorte d'otage de la machine (p.107). Demeure alors en suspens l'angoisse ne de son hybridation avec un corps tranger (p.107). Qui plus est, ces transformations corporelles entretiennent d'une certaine manire le rve de l'immortalit.

2Une fois retraces les origines et de l'homme anatomis et du corps machine, David le Breton assigne les consquences de la modernit la corporit. Il organise ainsi un rquisitoire; d'une part, en illustrant l'optimisation du corps par la mdecine qui s'en est progressivement appropri le contrle (chapitre 4, 9, 10); d'autre part, en dveloppant son discours sur l'esthsie du corps et les exigences physiques qui engagent les individus adapter leur comportement (chapitre 5-8).

1 David Le Breton, Sociologie du corps, 1992, p.47

3Avant d'tudier de plus prs ce que nous confient les pages de cet ouvrage, il convient de prsenter la signification du corps dans une acception plus gnrale. Le corps est ainsi saisi comme une construction sociale et culturelle, une matire de symbole, objet de reprsentations et d'imaginaires1. Nous dpassons ici la simple reprsentation anatomo-physiologique (p.20) de la mdecine, qui se voit riger comme la reprsentation officielle. Nos conduites, nos manires d'tre, la faon dont nous mettons en jeu le corps dans les diffrentes situations sociales, ne prennent sens qu'avec le regard culturel de l'homme (p. 34), et ne peuvent prtendre des aptitudes innes. C'est ainsi que la modernit a labor le corps comme une borne frontire pour distinguer chaque individu (p.35). Cette clture du sujet sur lui-mme (p.36) a ses consquences: la responsabilit de l'individu vis--vis de son propre corps grandit et il doit prsent faire preuve d'une attention soi tout en matrisant ses choix et ses valeurs (p.38).

4Dans un premier temps, il s'agit de prciser que l'intention du corps dans la pense occidentale rpond un triple retranchement: l'homme est coup de lui-mme [...], coup des autres [...], coup de l'univers [...] (p.109). Ce morcellement instigua la mdecine optimiser le fonctionnement du corps. De ce fait, ceci a entran le savoir mdical a dpersonnalis l'tre social face la maladie. Dans la recherche de son efficacit propre la mdecine a construit une reprsentation du corps malade qui carte la singularit de l'homme souffrant (p. 111-112). La dimension relationnelle entre mdecin et patient est ainsi occulte au profit du traitement et de la gestion de la douleur. De plus, dans cette volont de traiter et grer la douleur, la maladie devient une valuation statistique via une srie de facteurs et de risques. Contre cet tat de fait, l'auteur argue l'efficacit symbolique face au caractre relatif du monde physiologique (p.137), admettant que l'action symbolique potentialise les effets physiologiques induits par l'acte mdical (p.138). Parant cette carence de sens que nglige une mdecine plus centre sur les causes organiques, de nouvelles catgories professionnelles, les thrapeutes (psychologues, chiropracteurs, etc.), tendent de s'imposer dans le champ mdical, ainsi que les mdecines populaires (magntiseurs, voyance, etc.) russissant aujourd'hui faire recette dans les villes. De l, ces autres mdecines parviennent satisfaire de nouvelles proccupations socitales, d'ordre beaucoup plus spirituel.

2 Courtine, J-J. (sous la dir.de), Le dsir et les normes in Histoire du corps - 3. Les mutations du (...) 3 Ibid., p.59

4 Ibid., p.63

5Fidle sa qute de rationalit, le pouvoir mdical a fond sa toute-puissance sur les techniques d'imagerie afin d'explorer de manire minutieuse chaque parcelle du corps humain. Ces dernires forment une trilogie; il y a tout d'abord la radiographie rayons X qui offrent le premier exemple d'imagerie du corps reposant sur des mthodes physico-chimiques2, puis les isotopes qui s'obtiennent en bombardant une cible avec des neutrons et constituent la rplique d'atomes prsents dans le corps3 et enfin, l'chographie qui est la premire rencontre de la mre avec un ftus [...] vu comme un autre l'intrieur d'elle-mme4. L'image a alors cr ainsi une nouvelle faon de voir; elle s'est banalise avec l' ide qu'une mdecine absolue se profile derrire la performativit des appareils de visualisation favorisant un savoir extrme sur les processus organiques et un diagnostic sans faille (p.265). Et pourtant, contrario de ce dpouillement du corps humain, David Le Breton insiste sur la capacit du patient broder une trame imaginative partir des techniques mises en jeu pour sa gurison (p.268) et ainsi, de renouer avec la voie du sens par o se construit toute efficacit lorsqu'il s'agit de gurir (p.269).

6Le pouvoir mdical ne s'arrte pas l. Aprs avoir rduit le corps humain [] une marchandise ou une chose comme une autre (p.273), les progrs scientifiques arrivent dsormais l're de la reproductibilit technique (p.273). Comme nous l'avons dj prcis au dbut de ce travail, le prlvement et la transplantation d'organes font du corps une matire mallable l'extrme qui ne peut plus mourir. Il chappe ainsi tout enracinement physique. C'est ainsi que la mdecine participe intensment au dni contemporain de la mort: en repoussant toujours les limites de la vie, elle met provisoirement la mort en chec (p.290). Dans ce projet de matrise absolue, la fonction maternelle des femmes focalise bien entendu les discours mdicaux. La psychanalyse avait considrablement permis de rompre le schma traditionnel en passant d'une sexualit reproductive une sexualit hdoniste. A prsent, la mdecine nous amne une reproduction sans sexualit, en tmoignent la fcondation in vitro, ou encore la mre porteuse. Malgr tout, des ombres au tableau subsistent. En effet, l'enfant devient une marchandise son tour, dissoci de la sexualit, du dsir du couple [...] et du corps de la femme (p.298). Il aboutit une transaction que le spectre de l'eugnisme guette, clair par le fantasme de l'enfant parfait et plus encore, par la possibilit de dcider du sexe de l'enfant. En outre, il serait faux de croire que cette maternit factice puisse servir les femmes en les affranchissant des alas qui lui incombent. Ainsi, l'organisme fminin [est amen] fabriquer des dizaines d'embryons afin de choisir dans l'talage du magasin des enfants (p.306). La hirarchie des sexes, et la domination masculine qui s'y accommode, est parfaitement intacte pour cette configuration sociale. Le corps fminin se rvle tre un lieu propice pour les recherches scientifiques, et devient un utrus occasionnel, la guise de la mdecine, qui lui occulte toutes forces psychologiques enracines au plus intime, sans solliciter l'inconscient, c'est--dire les fondations de l'identit personnelle (p.304). Par consquent, les individus sont rduits un enchevtrement d'informations (p.317), des squences d'ADN, des profils gntiques qui sous-tendent une vritable matrice universelle (p.317) pour la politique des corps. Dans le mme ordre d'ide, que dire galement du clonage? Du reste, la question du rapport au monde du clone n'est pas soulev comme si le fait de natre et de grandir n'tait qu'une affaire de biologie et non une relation de sens (p.318), dixit l'auteur. En aucun cas, ce pastiche se voit doter d'une dimension humaine; son existence est inhrente la science, voire mme la ntre vrai dire.

7Bien que le corps soit un lieu de pouvoir pour le savoir mdical, il est galement un lieu o se cristallisent des normes et des valeurs. Nos comportements corporels rsultent ainsi d'un apprentissage et d'une intriorisation de logiques sociales et culturelles. Dans un second temps, va se dessiner l'univers de sens o se meuvent les tres humains: leurs aptitudes percevoir les sensations dans la vie quotidienne et les canons idaux qui les soumettent diffrents rgimes.

8La ralit devient intelligible au sein d'un ensemble d'habitudes et de routines qui jalonnent le quotidien. Elles sont conventionns par des attitudes corporelles et des gestuelles propres chaque situation sociale, car ces mises en jeu ordonnes du corps jouent un rle essentiel (p.150) dans les interactions. Elles traduisent les fondements d'une socialit. Et cette conomie corporelle de tous les jours ne cesse de construire une esthsie. Celle-ci permet l'individu de prendre chaque instant toute la mesure de son appartenance au monde, travers un style de vision, de toucher, d'entendre, de goter, de sentir (p.159) qui lui est propre. Illustrons autant que faire se peut le vcu moderne de nos cinq sens selon David Le Breton. Tout d'abord, il y a le regard. Il est la fonction sensorielle la plus sollicite dans le milieu urbain. Il fait office de figure hgmonique (p.162) dans un monde o l'image est le premier vecteur de communication. Ensuite, le bruit, ou plutt, l'absence de bruit (le confort acoustique) est une chose rare et prcieuse dans une organisation sociale rvlant un flux sonore continu. Puis, l'odorat se voit gnralement discrdit, disqualifi dans la vie sociale, et malgr sa stigmatisation, il est partie prenante de notre intimit et de notre environnement familier. A l'instar de l'odorat, le toucher est galement dprci par la socit moderne. Pourtant, la disparition des sensations tactiles [signeraient] la perte de l'autonomie personnelle (p.178) et teraient toutes prises au monde quant la ralit de ce qui nous entoure. Enfin, il convient de noter que le rythme journalier est inlassablement marqu par les temps de repas, ce qui nous amne nos papilles gustatives. Notre relation l'alimentation est toujours marque d'affectivit. Le got de manger est une mesure du got de vivre (p.177). L'alimentation est relative un statut social, son capital culturel et conomique.

9Ces expriences sensorielles s'inscrivent dans l'paisseur de la corporit qui se voit sujette des attentes sociales. Les individus sont ainsi contraints un travail sur le corps, soumis un rgime cosmtique, dittique et plastique. Celui-ci doit reflter la notion positive de sant car nos socits vouent un culte au corps jeune sduisant, sain, tout-puissant (p.206), dniant toute asprit qui rappellerait son caractre prissable. De cette manire, il est en mesure d'acqurir son intgrit en tant que membre de la vie sociale; une intgrit qui prend un sens travers le regard des autres. Le jugement social rsulte de l'apprciation visuelle. C'est pour cette raison que le handicap, aussi bien physique que mental, interroge quant la conception de l'humanit que la socit accrdite et aux exigences sociales sollicites.

10Ce systme normatif repose sur une esthtisation de la vie sociale [...], sur une mise en forme raffine du corps, sur une lgance physique affirme (p.193). Dans un premier temps, le dictat de l'apparence conduit les individus rechercher, via des pratiques sportives, un dveloppement et un accroissement de soi. Il nous astreint par ailleurs poursuivre un idal de minceur. Dans un second temps, ce discours pousse lutter contre l'affichage corporel du vieillissement qui rappelle la prcarit et la fragilit de la condition humaine (p.210). Ceci est notamment plus probant pour les femmes que pour les hommes, la femme ne vaut que son corps dans le commerce de la sduction. L'homme est affranchi de ce souci, son vieillissement ne porte pas ombrage son charme (p.235). A ce sujet, il faut nanmoins reconnatre qu'un nivellement des critres esthtiques se fait depuis quelques annes entre le corps fminin et le corps masculin. Il permet ainsi de rendre les frontires des identits genres poreuses et mallables. L'image de la virilit se transforme.

5 Berthelot, J-M., Corps et socit (Problmes mthodologiques poss par une approche sociologique du (...) 6 Ibid., p.127

7 Ibid., p.127

8 Ibid., p.128

11En somme, la modernit a affect le corps d'une lourde tche. D'un ct, elle a gnr une individualisation croissante de la socit. Le corps sert ainsi l'individu affirmer son existence face aux yeux des autres. Cette singularit engage les pratiques individuelles dans des logiques sociales o se distinguent diffrents niveaux d'action, c'est--dire les modalits de la production sociale du corps travers les situations de mises en jeu5, situations o le corps devient un lieu de signification. Selon Jean-Michel Berthelot, nous pouvons en distinguer trois: la ritualisation des corps, c'est--dire l'ensemble des pratiques de marquage qui produisent l'apparence corporelle comme signe6 (on parle des vtements, accessoires, bijoux), les pratiques de perptuation [ savoir] l'entretien quotidien du corps visant [...] la prservation de qualits socialement valorises7 et le processus de production [comprenant] les pratiques finalises de ritualisation et de perptuation [...] et l'ensemble des pratiques de mise en jeu. Il est question ici d'un systme de rapports [o] un corps est ici produit [...] en fonction de ncessits8. Par consquent, avant d'tre une production biologique, le corps humain devient intelligible via des normes et des valeurs sociales et culturelles.

9 Courtine, J-J. (sous la dir.de), Le dsir et les normes in Histoire du corps - 3. Les mutations du (...)12D'un autre ct, cette matire de sens est vide de toute distinction par l'exploration scientifique, qui la rduit des formules mathmatiques. Occultant de part en part la dimension sociale et psychologique du corps dans ses investigations, le savoir mdical laisse transparatre la conviction de pouvoir agir indfiniment sur [celui-ci], celle de pouvoir chapper tout enracinement physique, s'inventer un organisme aux possibilits encore imprvisibles9. Mais rduire l'homme de l'information revient liquider toute responsabilit son gard puisque son essence est dsormais dissoute (p.315). Chaque individu doit maintenant faire preuve d'une attention soi, le corps tant reconnu comme sujet de droits et de devoirs.

13Afin de parachever ce compte-rendu, il nous faut ajouter que David Le Breton, en tant que penseur de la modernit, ne considre en aucun cas que l'clatement des anciennes structures puisse tre l'opportunit pour l'individu d'adopter de nouvelles perspectives, ou du moins, des perspectives optimistes. A contrario, il y peroit de nouveaux risques se prenniser vers une nouvelle fermeture de l'individu et une instrumentalisation de l'autonomie. Il voit ainsi se profiler dans la modernit, et plus particulirement dans le cyberspace, un adieu au corps (p.327).

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1 David Le Breton, Sociologie du corps, 1992, p.47

2 Courtine, J-J. (sous la dir.de), Le dsir et les normes in Histoire du corps - 3. Les mutations du regard, Editions du Seuil, 2006, p.55

3 Ibid., p.59

4 Ibid., p.63

5 Berthelot, J-M., Corps et socit (Problmes mthodologiques poss par une approche sociologique du corps) in Cahiers internationaux de sociologie, vol. LXXIV, 1983, p.126

6 Ibid., p.127

7 Ibid., p.127

8 Ibid., p.128

9 Courtine, J-J. (sous la dir.de), Le dsir et les normes in Histoire du corps - 3. Les mutations du regard, Editions du Seuil, 2006, p.195Pour citer cet articleRfrence lectronique

Virginie Blum, David LeBreton, Anthropologie du corps et modernit, Lectures [En ligne], Les comptes rendus, 2008, mis en ligne le 05 octobre 2008, consult le 02 juillet 2015. URL: http://lectures.revues.org/666

Le Breton David. La sociologie du corpsParis, P.U.F., Que sais-je?, 1992, 127p.

Jacques GleyseTexte| Citation| AuteurTexte intgralPDF Signaler ce document1La rdaction d'un Que sais-je? est toujours un exercice redoutable car il s'agit de dire tout, sans tout dire, sur un sujet spcialis mais demeurant, en gnral, assez vaste. Ici le thme de la sociologie du corps, l'instar d'autres titres d'ouvrages parus dans cette mme collection, contraint le rdacteur de l'opuscule une preuve particulirement dlicate car le champ dcrire est large et complexe.

2La deuxime difficult de l'exercice du Que sais-je? consiste satisfaire la fois des lecteurs relativement spcialiss et des lecteurs partiellement nophytes.

3Bref dans les deux cas, il s'agit de concilier des inconciliables.

4David Le Breton, dont on connaissait dj les qualits d'criture, grce ses trois ouvrages: Corps et socit (1985), Anthropologie du corps et modernit (1990), et Passions du risque (1991), satisfait tout fait bien aux exigences de l'exercice de style impos par la collection.

5Il prsente un panorama quasi-exhaustif des grandes tendances apparues depuis un demi-sicle sur le thme de la sociologie du corps. De l'ethnologie la sociobiologie, il pose bien les bornes d'un champ tendu aujourd'hui, tant historiquement que conceptuellement. La prsentation succincte et pertinente de travaux d'auteurs trs connus et reconnus dans le champ et ailleurs, comme ceux de P.Bourdieu (1978), J.-M.Brohm, E.Goffman, M.Mauss, C.Pociello, G.Simmel et bien d'autres encore, ctoie celle de travaux d'auteurs moins vulgariss tels que Mark Zborowski concernant les attitudes culturelles l'gard de la douleur, de D.Efron au sujet des diffrences gestuelles lies au langage dans diffrentes populations, ceux de R.Birdwhistell sur le mme thme gnral et plus particulirement sur l'ide de kinmes, ou encore ceux de F.Loux concernant les symboliques de zones corporelles. La liste donne ici n'est bien videmment pas exhaustive.

6Bref, dans la mesure o le champ est dfini et caractris, les diffrentes zones d'investigations dcrites (telles que, titre d'exemple: les techniques du corps), on peut affirmer que David Le Breton a russi l'exercice qui lui tait demand. Il aurait pu s'arrter l et le lectorat potentiel aurait t probablement satisfait. Mais, vers la fin de l'ouvrage, il va plus loin et tente de ractiver et de dvelopper des positions qui lui sont chres.

7Ainsi montre-t-il, avec pertinence, que le corps peut tre peru et lu au cours des dernires annes, comme un membre surnumraire de l'homme (p.113) dont l'ensemble des reprsentations et des strotypes sociaux vont l'inciter s'en dbarrasser (idem)

8L'hypertrophie dernire de la modernit, conduit, en fait, selon David Le Breton, non renoncer au dualisme de la modernit, mais en constituer un nouveau: Le dualisme de la modernit a cess d'opposer l'me au corps, plus subtilement il oppose l'homme son propre corps la manire d'un ddoublement. Le corps dtach de l'homme, devenu un objet faonner, modifier, moduler selon le got du jour, vaut pour l'homme, en ce sens que modifier ses apparences revient modifier l'homme lui-mme. (p.109-110). Pourtant, ce corps, devenu marchandise, rifi et mis distance de l'homme, se trouve confront des revendications thiques qui aujourd'hui surgissent en promouvant un anti-modle du prcdent, par exemple dans le champ mdical: Le dualisme mthodique de la mdecine et de la recherche bio-mdicale est confront de plein fouet, ce fantme qui fait grincer la machine, c'est--dire l'individu revendiquant sa consubstantialit, ce corps soudain promu marchandise, un individu qui se sait d'abord tre de chair et de symbole et se reconnat mal dans ce paradigme. (p.116).

9Le constat terminal, posant le chantier de la sociologie du corps comme ouvert et la tche comme loin d'tre acheve, clt l'ouvrage sans figer les perspectives: La tche consiste clairer les zones d'ombre, sans illusion, ni fantasme de matrise, avec cependant la ferveur qui doit guider toute recherche, sans omettre ni l'humilit ni la prudence, ni d'ailleurs l'invention qui doit prsider l'exercice de la pense. (p.118). On souhaiterait que ces voeux de tolrance soient formuls plus souvent.

10Prcisons, pour achever ce propos, qu'une bibliographie plus qu'acceptable ferme cet opuscule, petit par le volume mais grand par sa qualit d'criture et son souci du dtail. On peut simplement regretter l'absence dans cette mme bibliographie du nom de Pierre Sansot et de son ouvrage "Le Rugby est une fte" qui apporte encore une nouvelle lecture de la problmatique spcifique de la sociologie du sport. Mais il ne s'agit que d'un dtail qui n'altre pas la valeur de ce texte.

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Jacques Gleyse, Le Breton David. La sociologie du corps, Corps et culture [En ligne], Numro 1| 1995, mis en ligne le 11 mai 2007, Consult le 02 juillet 2015. URL: http://corpsetculture.revues.org/273

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