CRÉATION D’ENTREPRISE Le droit au service d’un … · (CNSS, AMO) à l’entrepreneur ain-si...

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12 LE MATIN EMPLOI • LUNDI 8 JUILLET 2013 CONNAISSEZ VOS DROITS Le Matin Emploi : Juridique- ment parlant, qu’appelle-t-on «un projet professionnel» ou une «entreprise» ? Michel Durand-Meyrier : Les notions de projet professionnel et d’entreprise ne correspondent pas à proprement parler à des concepts juridiques. Cependant, cette question permet de rap- peler la place essentielle de l’hu- main dans le travail et l’économie. S’agissant tout d’abord du projet professionnel, il repose, en effet, avant tout sur un individu qui a une idée. Avant de parler de droit, le porteur du projet devra se poser des questions au sujet de son idée et, en particulier, vérifier sa cohé- rence avec ses contraintes et ses atouts personnels, effectuer une étude de marché, établir un bu- siness plan… Et c’est lorsque le projet va être structuré que l’on va pouvoir envisager la création d’une entreprise, c’est-à-dire une affaire, dans le domaine commercial ou industriel, qui va exister indépen- damment de ses membres et qui, grâce à ses moyens matériels et humains, sera organisée de façon à produire de la richesse au sens économique du terme, autrement dit des biens ou des services des- tinés au marché. C’est aussi à ce moment que l’on va arriver au droit : afin de mettre en œuvre son projet, l’entrepreneur aura tout in- térêt à l’organiser juridiquement dans le cadre d’une société. Pourquoi créer une société ? Même si la création d’une société impose des contraintes à l’entre- preneur notamment en termes de formalisme, celle-ci offre un certain nombre d’avantages dont les prin- cipaux sont les suivants : Tout d’abord, la création d’une société donne naissance à une nouvelle personne (personne mo- rale) distincte de l’entrepreneur qui dispose de son propre patrimoine. Ainsi, en cas de difficultés (et sauf cas de faute de gestion grave), ses biens personnels seront à l’abri de l’action des créanciers de l’entre- prise. Cela étant, dans certaines formes de sociétés, les associés sont solidairement et indéfiniment responsables avec la société. Et il conviendra d’être prudent : en cas d’utilisation des biens de sa so- ciété à des fins personnelles, l’en- trepreneur pourra être poursuivi au titre de l’abus de biens sociaux. La création d’une société permet une optimisation fiscale. En effet, selon la structure choisie, les bé- néfices de l’entreprise seront assu- jettis à l’impôt sur le revenu ou à l’impôt sur les sociétés. Le choix de créer une société peut permettre de formaliser et d’organiser un partenariat entre plusieurs personnes. D’un point de vue social, la créa- tion d’une société va permettre de donner une protection sociale (CNSS, AMO) à l’entrepreneur ain- si qu’à ses employés. Autre avantage important : en choisissant de mettre en œuvre son projet dans le cadre d’une so- ciété, l’entrepreneur va gagner en crédibilité, vis-à-vis de ses parte- naires : banquiers, clients et four- nisseurs. Quelles sont les différentes formes de sociétés commer- ciales qui existent au Maroc ? On peut distinguer deux catégo- ries principales de sociétés com- merciales au Maroc : Les sociétés de personnes : la société en nom collectif, la société en commandite simple, la société en participation. Ces sociétés se caractérisent par l’importance du facteur personnel («intuitu per- sonæ») dans leur organisation et leur fonctionnement. Les sociétés de capitaux : la so- ciété anonyme (SA), la société à responsabilité limitée (SARL) et la société en commandite par ac- tions. La SA et la SARL sont les deux formes de sociétés les plus répandues. Concrètement, quelles sont les caractéristiques des SA et des SARL, leurs avantages et leurs inconvénients ? Le choix de l’adoption d’une struc- ture, compte tenu de l’importance qu’il revêt, doit faire l’objet d’une étude particulière en fonction de chaque projet. De plus, un certain nombre de règles relatives en par- ticulier au fonctionnement de ces sociétés (désignation, pouvoirs des dirigeants) et à la cession des actions et parts du capital peuvent être aménagées par les statuts. Cela étant, les principales caracté- ristiques des SA et des SARL sont les suivantes : La SA doit être constituée par au moins cinq actionnaires. Son capital doit être au minimum de 300 000 dirhams et de 3 000 000 de dirhams pour les sociétés qui font publiquement appel à l’épargne. En ce qui concerne la direction de la SA, deux structures sont possibles : soit un conseil d’administration dont le président représente en principe la société à l’égard des tiers, soit un directoire et un conseil de surveillance. Le contrôle de la gestion de la SA est obligatoirement confié à des com- missaires aux comptes. La SARL peut regrouper deux et jusqu’à cinquante associés, elle peut également être à associé unique (SARLAU). Il n’y a pas de minimum en ce qui concerne le montant de son capital social qui est librement fixé par les associés. La gestion de la SARL peut-être assumée par une ou plusieurs personnes physiques, associées ou non, et qui sont responsables individuellement ou solidairement vis-à-vis des tiers. Les décisions sont en principe prises en assemblée générale. Le contrôle de la gestion de la SARL est confié à un ou plusieurs com- missaires aux comptes si le chiffre d’affaires dépasse 50 000 000 de dirhams. Il en résulte que la SA est parti- culièrement adaptée aux grandes entreprises et aux sociétés cotées en, bourse. En revanche, cette structure est étroitement encadrée par la loi relative aux SA et donc peu flexible. C’est pourquoi la plu- part des PME prennent la forme d’une SARL. Quelles sont les formalités à entreprendre pour entamer son projet professionnel ? Dans la mesure où l’entrepreneur a bien étudié son projet en amont et qu’il a fait appel aux conseils d’un spécialiste pour le choix de sa structure de société et la rédac- tion des statuts, les formalités de création d’une société à propre- ment parler sont assez simples au Maroc. Pour une description, on peut se référer par exemple au site internet de l’Agence marocaine de développement des investisse- ments. Propos recueillis par Najat Mouhssine CRÉATION D’ENTREPRISE Le droit au service d’un projet Qu’il s’agisse, par exemple, d’une personne souhaitant transformer une idée en business, désirant se mettre à son compte, ou de plusieurs personnes voulant développer une nouvelle activité, une nouvelle implantation, les raisons de fonder une entreprise sont multiples. Quelles que soient les motivations, mettre en œuvre son projet professionnel et créer une entreprise en se don- nant toutes les chances de succès nécessite d’agir avec méthode et en respectant un certain nombre de règles. Un projet ne peut réussir que si le terrain est bien préparé. Je ne saurais trop insister sur le fait qu’il est indispensable pour le porteur d’un projet de faire appel aux conseils d’un professionnel du droit qui le guidera dans le choix d’une structure juridique et saura l’adapter à ses besoins en lui rédi- geant des statuts sur mesure. Dans le cas d’un projet initié par plusieurs partenaires, il conviendra d’être particulièrement attentif à la rédaction des statuts et prévoir éventuellement un pacte d’associés. Cela peut éviter bien des difficultés… Bien que ce soit une pratique relativement nouvelle au Maroc, le porteur d’un projet original devra envisager de protéger juridiquement son idée. S’agissant de vente de licences ou de brevets, d’une activité de conseil ou d’import/export, pourquoi ne pas étudier la possibilité de bénéficier du régime favorable des sociétés implantées dans une zone offshore ? La création d’une société n’est qu’une première étape ! Un entrepreneur ne doit pas hésiter à s’entourer de conseils, par exemple pour la rédaction de ses contrats ou le droit du travail… SES CONSEILS POUR RÉUSSIR UN PROJET Michel Durand-Meyrier • Avocat au Barreau de Paris • Of counsel CWA Morocco Michel Durand-Meyrier est diplômé de Sciences Po Paris, titulaire d’une maîtrise en droit privé, droit des affaires et droit du crédit et d’un DESS en droit des assurances (Paris II). Après avoir débuté sa carrière d’avocat au sein du cabinet Gérard Proutheau, il a ensuite exercé chez Archibald Andersen dès 1998. Il s’est installé au Maroc en 2001 où il conseille une clientèle de sociétés et d’investisseurs principalement étrangers. Bio Express

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Le Matin Emploi : Juridique-ment parlant, qu’appelle-t-on «un projet professionnel» ou une «entreprise» ?Michel Durand-Meyrier : Les notions de projet professionnel et d’entreprise ne correspondent pas à proprement parler à des concepts juridiques. Cependant, cette question permet de rap-peler la place essentielle de l’hu-main dans le travail et l’économie. S’agissant tout d’abord du projet professionnel, il repose, en effet, avant tout sur un individu qui a une idée. Avant de parler de droit, le porteur du projet devra se poser des questions au sujet de son idée et, en particulier, vérifier sa cohé-rence avec ses contraintes et ses atouts personnels, effectuer une étude de marché, établir un bu-siness plan… Et c’est lorsque le projet va être structuré que l’on va pouvoir envisager la création d’une entreprise, c’est-à-dire une affaire, dans le domaine commercial ou

industriel, qui va exister indépen-damment de ses membres et qui, grâce à ses moyens matériels et humains, sera organisée de façon à produire de la richesse au sens économique du terme, autrement dit des biens ou des services des-tinés au marché. C’est aussi à ce moment que l’on va arriver au droit : afin de mettre en œuvre son projet, l’entrepreneur aura tout in-térêt à l’organiser juridiquement dans le cadre d’une société.

Pourquoi créer une société ?Même si la création d’une société impose des contraintes à l’entre-preneur notamment en termes de formalisme, celle-ci offre un certain nombre d’avantages dont les prin-cipaux sont les suivants :› Tout d’abord, la création d’une société donne naissance à une nouvelle personne (personne mo-rale) distincte de l’entrepreneur qui dispose de son propre patrimoine. Ainsi, en cas de difficultés (et sauf cas de faute de gestion grave), ses biens personnels seront à l’abri de l’action des créanciers de l’entre-prise. Cela étant, dans certaines formes de sociétés, les associés sont solidairement et indéfiniment responsables avec la société. Et il conviendra d’être prudent : en cas d’utilisation des biens de sa so-ciété à des fins personnelles, l’en-trepreneur pourra être poursuivi au titre de l’abus de biens sociaux.› La création d’une société permet une optimisation fiscale. En effet, selon la structure choisie, les bé-néfices de l’entreprise seront assu-jettis à l’impôt sur le revenu ou à l’impôt sur les sociétés.› Le choix de créer une société peut permettre de formaliser et d’organiser un partenariat entre plusieurs personnes.› D’un point de vue social, la créa-tion d’une société va permettre de donner une protection sociale (CNSS, AMO) à l’entrepreneur ain-si qu’à ses employés.› Autre avantage important : en choisissant de mettre en œuvre son projet dans le cadre d’une so-ciété, l’entrepreneur va gagner en crédibilité, vis-à-vis de ses parte-

naires : banquiers, clients et four-nisseurs.

Quelles sont les différentes formes de sociétés commer-ciales qui existent au Maroc ?On peut distinguer deux catégo-ries principales de sociétés com-merciales au Maroc :› Les sociétés de personnes : la société en nom collectif, la société en commandite simple, la société en participation. Ces sociétés se caractérisent par l’importance du facteur personnel («intuitu per-sonæ») dans leur organisation et leur fonctionnement.› Les sociétés de capitaux : la so-ciété anonyme (SA), la société à responsabilité limitée (SARL) et la société en commandite par ac-tions.La SA et la SARL sont les deux formes de sociétés les plus répandues.

Concrètement, quelles sont les caractéristiques des SA et des SARL, leurs avantages et leurs inconvénients ?Le choix de l’adoption d’une struc-ture, compte tenu de l’importance qu’il revêt, doit faire l’objet d’une étude particulière en fonction de chaque projet. De plus, un certain nombre de règles relatives en par-ticulier au fonctionnement de ces sociétés (désignation, pouvoirs des dirigeants) et à la cession des actions et parts du capital peuvent être aménagées par les statuts. Cela étant, les principales caracté-ristiques des SA et des SARL sont les suivantes :› La SA doit être constituée par au moins cinq actionnaires. Son capital doit être au minimum de 300 000 dirhams et de 3 000 000 de dirhams pour les sociétés qui font publiquement appel à l’épargne. En ce qui concerne la direction de la SA, deux structures sont possibles : soit un conseil d’administration dont le président représente en principe la société à l’égard des tiers, soit un directoire et un conseil de surveillance. Le contrôle de la gestion de la SA est obligatoirement confié à des com-missaires aux comptes.

› La SARL peut regrouper deux et jusqu’à cinquante associés, elle peut également être à associé unique (SARLAU). Il n’y a pas de minimum en ce qui concerne le montant de son capital social qui est librement fixé par les associés. La gestion de la SARL peut-être assumée par une ou plusieurs personnes physiques, associées ou non, et qui sont responsables individuellement ou solidairement vis-à-vis des tiers. Les décisions sont en principe prises en assemblée générale. Le contrôle de la gestion de la SARL est confié à un ou plusieurs com-missaires aux comptes si le chiffre d’affaires dépasse 50 000 000 de dirhams.Il en résulte que la SA est parti-culièrement adaptée aux grandes entreprises et aux sociétés cotées en, bourse. En revanche, cette

structure est étroitement encadrée par la loi relative aux SA et donc peu flexible. C’est pourquoi la plu-part des PME prennent la forme d’une SARL.

Quelles sont les formalités à entreprendre pour entamer son projet professionnel ?Dans la mesure où l’entrepreneur a bien étudié son projet en amont et qu’il a fait appel aux conseils d’un spécialiste pour le choix de sa structure de société et la rédac-tion des statuts, les formalités de création d’une société à propre-ment parler sont assez simples au Maroc. Pour une description, on peut se référer par exemple au site internet de l’Agence marocaine de développement des investisse-ments. ❚

Propos recueillis par Najat Mouhssine

CRÉATION D’ENTREPRISE

Le droit au service d’un projetQu’il s’agisse, par exemple, d’une personne souhaitant transformer une idée en business, désirant se mettre à son compte, ou de plusieurs personnes voulant développer une nouvelle activité, une nouvelle implantation, les raisons de fonder une entreprise sont multiples. Quelles que soient les motivations, mettre en œuvre son projet professionnel et créer une entreprise en se don-nant toutes les chances de succès nécessite d’agir avec méthode et en respectant un certain nombre de règles.

› Un projet ne peut réussir que si le terrain est bien préparé. Je ne saurais trop insister sur le fait qu’il est indispensable pour le porteur d’un projet de faire appel aux conseils d’un professionnel du droit qui le guidera dans le choix d’une structure juridique et saura l’adapter à ses besoins en lui rédi-geant des statuts sur mesure.› Dans le cas d’un projet initié par plusieurs partenaires, il conviendra d’être particulièrement attentif à la rédaction des statuts et prévoir éventuellement un pacte d’associés. Cela peut éviter bien des difficultés…› Bien que ce soit une pratique relativement nouvelle au Maroc, le porteur d’un projet original devra envisager de protéger juridiquement son idée.› S’agissant de vente de licences ou de brevets, d’une activité de conseil ou d’import/export, pourquoi ne pas étudier la possibilité de bénéficier du régime favorable des sociétés implantées dans une zone offshore ?› La création d’une société n’est qu’une première étape ! Un entrepreneur ne doit pas hésiter à s’entourer de conseils, par exemple pour la rédaction de ses contrats ou le droit du travail…

SES CONSEILS POUR RÉUSSIR UN PROJET

Michel Durand-Meyrier • Avocat au Barreau de Paris• Of counsel CWA Morocco

Michel Durand-Meyrier est diplômé de Sciences Po Paris, titulaire d’une maîtrise en droit privé, droit des affaires et droit du crédit et d’un DESS en droit des assurances (Paris II).Après avoir débuté sa carrière d’avocat au sein du cabinet Gérard Proutheau, il a ensuite exercé chez Archibald Andersen dès 1998. Il s’est installé au Maroc en 2001 où il conseille une clientèle de sociétés et d’investisseurs principalement étrangers.

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