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Cornulier Benoit de style indirectfrench

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    Extrait dun article paru dans Text und Sinn, Studien zur Textsyntax und Deixis im Deutschen und Franzsischen, Festchrift fr Marcel Vuillaume dits par Jean-Franois Marillier, Martine Dalmas et Irmtraud Behr, , StauFFenburg Verlag, 2006, p. 251-262.

    Rsum abstrait

    Sur les incises et notamment ce quon appelle le discours indirect libre.

    Greffes comme optionnellement sur du discours direct libre ou indirect libre qui a

    dj en lui-mme une valeur nonciative autonome, les incises du type disait-il ne sont pas des syntagmes, mais compltent lnonc reproductif de manire former un nonc dapparence assertive.

    Le discours indirect libre relve du mme mode de signification par reproduction que ce quon devrait appeler paralllement le discours direct libre : de mme qu'en prononant le signifiant Ai-je une pine sous le pied, on peut signifier par reproduction que Jules a prononc ces sons ou ces mots ou un signifiant quivalent, de mme en posant la question si Jules avait une pine sous le pied (by asking the question whether he had) ce quon peut faire en disant Jules avait-il une pine sous le pied? -, on peut signifier par reproduction qu'a t pose cette question.

    DISCOURS DIRECT OU INDIRECT, LIBRE OU DPENDANT, ET REPRODUCTION NONCIATIVE OU RFRENTIELLE.

    1 Trinit traditionnelle du discours rapport.

    On range encore souvent sous la notion de discours rapport (ci-dessous D.R.) les

    noncs d'un locuteur qu'on peut dire premier (ci-dessous L1) rapportant dans son propre discours D1 des noncs d'un locuteur qu'on peut dire second (L2) constituant proprement parler le discours rapport (D2). Il s'agit donc d'un couplage D1/D2 du discours rapport suppos au sein d'un discours rapportant.

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    Dans ce domaine on distingue traditionnellement trois classes1 :

    A. Sous le nom de discours direct, des cas du genre : (1) Jei te sers une tasse de th? soupira Romeoi. (2) Romo luii dit en soupirant : Tui veux une tasse de th?

    (D.R. distingu ici en italiques, et mme indice i pour des termes de mme rfrence) o au moins les rflexifs d'nonciation du D.R. (embrayeurs de temps, de personne) sont adapts L2, pas forcment L1. Le discours direct est alors le discours rapport dans la perspective verbale de L2. C (une classe B sera introduite plus loin). Sous le nom de discours indirect, des cas o les embrayeurs ou rflexifs d'nonciation de D2 sont adapts L1, par forcment L2, comme dans :

    (3) Romeo demanda Juliettei en soupirant si ellei voulait une tasse de th.

    L1, narrateur, ajuste sa propre perspective nonciative et temporelle les formes de personne (2e personne tu > elle) et de temps (prsent > pass). A la diffrence du cas suivant, ici, le propos rapport apparat sous forme propositionnelle subordonne ou dpendante (par opposition aux propositions libres dites indpendantes) : soit du discours rapport dans la perspective verbale de L1, dpendant.

    D. Sous le nom de discours (ou style) indirect libre, des cas o le rapport est adapt la perspective verbale de L1, d'o le nom de discours indirect, mais o il est indpendant et non subordonn (d'o le nom de libre), comme dans :

    (4) Romeo s'approcha sournoisement. Prendrait-elle une tasse de th ? Pas

    si vite, rpondit-elle.

    La proposition Prendrait-elle une tasse de th ?, nonc de Romeo (L2) rapport par L1 (un narrateur) dans sa propre perspective, parat ici sous forme indpendante. Soit du discours rapport dans la perspective de L1, indpendant.

    Remarquons d'abord que dans cette terminologie, direct et indirect ne peuvent pas

    signifier indpendant (non-subordonn) et subordonn, puisque sinon le discours indirect libre ne devrait pas tre nomm indirect (subordonn).

    Il y a donc deux paramtres d'opposition du D.R. : il est d'une part direct (perspective L2) ou indirect (perspective L1), et d'autre part dpendant ou libre. Mais dans cette classification une combinaison, le discours direct libre, brille par son absence : ce pourquoi est rserve la classe B vacante ci-dessus.

    1Je rapporte peu prs (en la compltant lgrement ou en la paraphrasant) comme reprsentative d'une

    tradition prudemment mise jour, la classification de M. Riegel et al. (1994/2001). Cette contribution complte ou rvise en partie celle de Cornulier (2004), elle-mme mise au point ou

    prolongement de travaux antrieurs. J'ai souvent depuis longtemps profit d'changes avec Marcel Vuillaume et il est probable qu'ici des ides lui sont dues ou des erreurs faites malgr ses mises en garde ou ses travaux dans ce travail (la mme remarque peut valoir pour Recanati (2000)).

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    2 Une vue des greffes du type dit-il.

    Les expressions du type dit-il ou pensa Anne, traditionnellement nommes

    incises, terme dont le genre fminin s'explique par la notion dveloppe de proposition incise2, fournissent gratuitement un cadre d'observation avec vue imprenable sur ce problme typologique. Donnons-en d'abord, mme un peu brutalement et sans argument, une vue rsume d'aprs des travaux antrieurs3. Une nonciation du type :

    (5) Entrez, fit Anne

    n'est pas une nonciation simple, mais un acte complexe form par la superposition ou intersection de deux actes de parole dont l'un enveloppe la forme de l'autre. Le premier, fondamental, dont la forme est simplement :

    (5a) Entrez n'est pas une nonciation telle que le locuteur L1 dirait quelqu'un d'entrer en signifiant simplement par les rgles constitutives du franais ; seule une personne qu'il voque est cense avoir signifi ordinairement en franais au moyen de ce mot. De la part de L1, l'acte d'mission de cet nonc signifie qu'il a t mis (acte suppos d'Anne) selon un mode de signification par reproduction ; disons qu'il s'agit d'un usage reproductif nonciatif du mot Entrez4. Qu'il s'agit ici d'un acte autonome et complet de signification est rvl par le fait qu'on peut souvent se dispenser d'ajouter une incise.

    D'autre part, dans 5, la forme Entrez de l'mission reproductive 5a fonctionne comme partie d'un nonc plus vaste rsultant de l'addition de fit Anne, cet nonc 5b ayant la forme mme complte de 5 :

    (5b) Entrez, fit Anne

    Alors que 5a pourrait ne pas tre un nonc linguistique (cf. X, crivait Anne au tableau, Grrr, fit le chien), l'nonc 5b est une phrase franaise qui a un verbe noyau (fit) dont le complment direct a pour forme celle de l'acte reproductif. Il s'agit donc d'une phrase complment direct plac en position immdiatement prverbale (antpos) ; le message reproductif ne peut pas tre spar de la forme verbale personnelle (auxiliaire ou verbe plein accompagn de ses ventuels clitiques) comme dans * Entrez, alors lui a dit Anne ; cette antposition du complment direct entrane la postposition permutative du sujet non-clitique dans le bon usage (Entrez a dit Anne) o, la place distinctive tant prise par Entrez, le sujet non-clitique est relgu aprs le verbe en position non-marque. L'ensemble de ces observations contribue montrer que 5b est une phrase dont le verbe n'est pas disjoint du complment antpos comme le serait un groupe adverbial : la discontinuit sensible et marque par

    2 Ainsi, dans l'index du trait de M. Riegel et al. (1994/2001), l'article intitul : Incise (Proposition

    incidente), renvoie au paragraphe 9.3 intitul Insertion d'une phrase : incises et incidentes. 3 Mis jour dans Cornulier (2004). 4 Le mot mimtique ou la notion de mime que j'ai employs dans des travaux antrieurs me semblent

    avoir des connotations indsirables spcialement dans les cas purement rfrentiels.

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    ponctuation dans Entrez, fit Anne est seulement celle du passage de la citation au reste de l'nonc et celle de la fin de l'acte reproductif 5a.

    Malgr quelque apparence, les prtendues propositions incises du type fit Anne ne sont donc pas des phrases ni mme des propositions, pas plus que Anne dit n'est une phrase ou mme une proposition dans Anne dit : Entrez5. En disant Entrez, fit Anne, on ralise d'abord un acte reproductif, puis, en le recyclant en position de complment de l'ajout fit Anne, on forme une phrase dont la force assertive et la valeur globalement positive sont obliges par la convergence des deux actes de signification (il serait incohrent de signifier dans un premier temps par reproduction qu'Anne a dit Entrez, puis, en ajoutant n'a pas dit Anne, d'asserter qu'elle ne l'a pas dit). L'incise fit Anne est plutt une greffe mta-nonciative qui n'a mme pas un statut de syntagme.

    L'impression illusoire que fit Anne est un syntagme, favorise par la discontinuit nonciative et la ponctuation avant la greffe, est aussi renforce par l'apparence d'insertion en pleine citation dans les exemples du type Entrez, fit Anne, par ici6. Il est incontestable que par ici est une continuation de la reproduction nonciative amorce par Entrez, mais la seule phrase de L1, c'est uniquement Entrez, fit Anne : en prolongeant le message reproductif, la prolongation par ici n'entre pas dans la position syntaxique du complment de fit Anne, et si Entrez [ ] par ici est entirement signifiant par reproduction, seule sa premire partie est rcupre en complment dans une phrase. Non seulement, donc, les propositions incises ne sont pas des propositions ou des syntagmes, mais elles ne sont pas incises : ces greffes sont postposes ; ou plutt, elles sont ajoutes une forme reproductive de manire former une phrase au sein de laquelle il est plus pertinent de dire que c'est le complment reproductif qui est antpos (prverbal) ; car le verbe noyau de la proposition-phrase Entrez, fit-il n'est ni antpostpos, ni postpos : au niveau de la phrase englobante, central, il est simplement l o il est7!

    On peut schmatiser comme suit cette double valeur nonciative : a [Entrez] repro. b [ [ [ [Entrez] repro.] c.o.d. ] fit Anne ] phrase [par ici] prolong. repro.

    3 Discours libre et non-libre en cas de greffe. Le D.R. est-il libre ou non dans Entrez, fit Anne ? On ne peut rpondre

    compltement qu' condition de distinguer les couches nonciatives superposes dans cette nonciation.

    Par analogie avec la notion de discours indirect libre (indpendant), il parat logique de considrer que dans la composante reproductive autonome 5a Entrez, 5 Les morceaux de proposition du type dit-il se distinguent en cela radicalement des incidentes du type

    il l'a dit ou vous l'a-t-on dit? (comme dans Il reste, vous l'a-t-on dit, un ticket) , qui sont des propositions et mme noncs modalit libre, et ne sont pas ncessairement postposes leur base.

    6 Sur ce point v. Cornulier (2004 : 109-111). 7 La greffe n'est une greffe qu'au niveau de l'nonciation complexe superposant l'acte de signification par

    reproduction et la phrase englobante.

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    ralise par un narrateur qui n'invite pas entrer, mais signifie que quelqu'un a mis l'nonc Entrez, le D.R. est indpendant puisqu'il fait sens complet lui seul, indpendamment de la phrase englobante l'intrieur de laquelle il occuperait une position nominale et fonctionnelle de complment. Voil donc le quatrime lment manquant de la classification traditionnelle : le discours direct libre, ou discours rapport dans la perspective verbale de L2, indpendant. Rappelons qu'il peut souvent se dispenser de greffe mta-nonciative.

    Dans la composante 5b de 1, c'est--dire au niveau de la phrase Entrez, fit Anne, apparente Anne fit : Entrez, le mme D.R. n'est plus absolument indpendant et peut tre class comme dpendant au sens o il occupe, en tant qu'il est rapport, une position dpendante, de valeur nominale, en fonction de complment du verbe. Il s'agit donc en ce sens de discours direct dpendant, ce qui nous amne expliciter ainsi la catgorie A (ci-dessus, 1).

    Ainsi, en explicitant les deux paramtres de la classification traditionnelle, le

    discours D2 peut tre d'une part rapport dans la perspective verbale de L2 ou de L1, d'autre part dpendant (non-libre) ou indpendant (libre).

    4 Reproduction formelle ou smantique. Que le support d'une greffe mta-nonciative soit du discours rapport dans la

    perspective verbale de L1 ou de L2, on observe la mme contrainte d'assertivit positive, qui tmoigne de l'unit du phnomne. Soit ces trois vers extraits de la fable Le Vieillard et les trois jeunes hommes de La Fontaine :

    Passe encor de btir, mais planter cet ge ! Disaient trois jouvenceaux, enfants du voisinage ; [D.R. dir. avec

    greffe] Assurment il radotait8. [D.R. indir. indp.]

    On peut avoir l'impression, favorise par la ponctuation, que l'expression Assurment il radotait (en perspective L1) est une prolongation de l'expression (en discours direct) Passe encore de btir () qui supportait la greffe disaient trois jouvenceaux (). On peut modifier cet exemple en ajoutant Assurment il radotait la greffe jugeaient-ils. Mais aucune des deux greffes ne peut tre altre comme suit :

    (6) * Passe encore de btir, ne disaient pas trois jouvenceaux (mais ils

    disaient : Planter cet ge!). (7) * Il radotait, ne pensaient-ils pas (mais ils pensaient : il devrait rflchir).

    Ce paralllisme coexistence sous greffe mta-nonciative et contrainte d'assertivit positive s'explique si le discours rapport dans la perspective de L2 et indpendant relve du mme mode de signification par reproduction nonciative que le discours rapport dans la perspective de L1 et indpendant (discours direct libre).

    8 radotait = tait gteux.

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    Pour compendre cette gnralisation, observons d'abord que diverses personnes, parlant dans des contextes diffrents peuvent affirmer la mme chose, poser la mme question, etc., en des termes diffrents tenant compte de la diversit de leurs perspectives. Ainsi des questions et assertions suivantes, inspires de l'histoire romaine de Tite-Live (concernant l'an 60 avant Jsus-Christ) :

    (8) Ai-jei une pine sous le pied, se demandait Julesi ? Ah, sr, j'ai une

    pine! (9) As-tui une pine sous le pied? demandait Brute Julesi. Ah, sr, tu as

    une pine. (10) Julesi avait-il une pine sous le pied ce jour-l ? Oui, on le sait

    maintenant, effectivement il avait une pine. [rapport de Tite-Live]. Il est vident qu'en des termes diffrents Jules, Brutus et Tite-Live ont pos la mme

    question et suggr assertivement la mme rponse que nous pouvons notre tour formuler dans les mmes termes que Tite-Live (dans notre langue franaise) : la question (de savoir) si Jules avait une pine sous le pied et l'assertion qu'il en avait une.

    Construisons maintenant cet exemple de D.R. o la mme question et la mme rponse sont rapportes par un historien franais L1 comme ayant t exprimes par Jules (L2) :

    (11) Csar commenait s'inquiter srieusement : Avait-ili une pine sous le

    pied? Oui, sr, il en avait une ! Depuis les travaux de J. Carcopino, on sait cependant qu'en fait il n'avait rien du tout.

    On peut ainsi, si le contexte est assez clair, sans greffe mta-nonciative, signifier que Jules Csar se demandait s'il avait une pine sous le pied et disait qu'il en avait une.

    Compte tenu de ce qui prcde, on comprend que le discours indirect libre relve du mme mode de signification par reproduction que le discours direct libre : de mme qu'en prononant le signifiant Ai-je une pine sous le pied on peut signifier que Jules a prononc un signifiant quivalent, de mme en posant la question si Jules avait une pine sous le pied, on peut signifier qu'il a pos cette question.

    Si l'historien pose la mme question que Csar, Csar n'en a pas moins pos (sans le savoir) la mme question que l'historien. Et de mme que Csar n'avait pas besoin de transposer son temps et sa personne la formulation de l'historien pour former cette question, de mme l'historien peut la poser sans se soucier de la perspective verbale dans laquelle tel ou tel l'avait ventuellement pose. La terminologie opposant discours direct et indirect est donc inapproprie et mme errone, car reposer une question sans reconstituer telle perspective verbale dans laquelle elle a t pose n'est pas moins direct que reprononcer les termes d'une question sans la reposer ses propres frais (ce serait du reste impossible pour : Csar avait-il une pine sous le pied, se sont demands, chacun en son temps, Csar lui-mme et Tite Live)9. Il s'agit plutt de deux modes galement directs, mais imparfaits, de reproduction : on peut reproduire un quivalent du signifiant (sans re-signifier son sens), ou reproduire son sens (sans reproduire son signifiant). Disons, pour disposer de termes commodes et assez gnraux10 (au prix d'un certain vague approximatif), que la signification se fait par 9 Je crois que Ferdinand Brunot a fait des remarques en ce sens il y a longtemps. 10 Il ne s'agit pas toujours d'un locuteur citant un locuteur.

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    reproduction formelle quand l'mission de signifiants ou de formes sonores est donne pour signe d'un vnement quivalent (mission de signifiants ou sons), ou smantique11 quand un acte de signification est donn pour signe d'un vnement quivalent, typiquement, un acte de mme sens.

    5 Classification traditionnelle mise jour. La classification traditionnelle du D.R., avec ses critres binaires du direct et du

    libre, conduit donc ces quatre classes : le discours est rapport formellement ou smantiquement, et dpendant ou indpendant (libre). Remarquons que l'indpendance voque n'est pas purement syntaxique, mais plutt nonciative, puisque dans un exemple tel que Elle se fcha contre l'oncle Gustave, qui avait bien besoin de leur raconter ces histoires, la proposition smantiquement incluse dans le syntagme relatif qui avait bien besoin de leur raconter des histoires est subordonne, mais potentiellement assertive, et peut signifier, par reproduction, qu'une telle assertion a t mise par L2.

    Dans les nonciations greffe mta-nonciative : (11) Will youi have a cup of tea ? luii demanda-t-il. (12) Prendrait-ellei une tasse de th, luii demanda-t-il.

    compte tenu du statut ambivalent de cette nonciation, le propos rapport a un double statut. A son niveau de fonctionnement reproductif autonome, Will you have a cup of tea appartient la catgorie B du discours rapport formellement, indpendant, et Prendrait-elle une tasse de th, la catgorie D du discours rapport smantiquement, indpendant. En outre, au niveau de la phrase obtenue par adjonction de greffe, ces reproductions sont recycles en fonction de complment antpos de la greffe, et leur forme ainsi rcupre relve respectivement des catgories A et C du discours rapport dpendant.

    Cette dualit de statut est constante dans les cas d'addition de greffe, mais, quoique la chose soit gnralement invisible, elle est possible dans les exemples tels que celui donn ici pour A, comme on peut le suggrer en le formatant de deux manires :

    (13) Romeo dit Juliette : Will youi have a cup of tea ? (14) Romeo dit Juliette : Will youi have a cup of tea ? Le formatage du propos rapport en alina autonome dans 14 favorise une

    interprtation dans laquelle, en plus de la phrase asserte Romeo dit Juliette X (o X est une mention, nominale, dpendante), on peroit, comme s'mancipant, une valeur nonciative autonome de cette mention (cas de dcrochage nonciatif). De l rsulte que le premier exemple peut tre naturellement ngativ ou questionn (Romeo ne dit pas, Est-ce que Romeo dit ) alors que ces variantes cessent d'tre naturelles sous

    11 Cette distinction peut tre brouille par le fait que les reproductions peuvent tre quivalentes et

    approximatives, et par le fait que nous pouvons tendre concilier les deux types de reproduction ; on peut ainsi suggrer, dans une reproduction smantique, qu'on reproduit certains gards la forme mme du discours cit.

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    ce formatage. De mme le relchement syntaxique de la fonction de complment est plus naturel dans le premier cas que dans le second :

    (15) Est-ce que Romeo s'approcha de Juliette : Will youi have a cup of tea ?

    est peu naturel dans le sens :

    (16) Est-ce que Romeo s'approcha de Juliette en lui demandant Will youi have a cup of tea ?

    Dans le style littraire, le relchement syntaxique de la complmentation, favoris

    par la discontinuit nonciative, s'est rpandu (surtout au XXe sicle) entre la greffe et son support ; ainsi dans : Zut, l'envoya-t-il se faire foutre o la greffe possde son propre complment d'objet direct, et o on peut seulement dire qu'il y a une sorte de relation de complment interne entre le propos interne, puisqu'il doit tre entendu que la rponse Zut est la forme mme que prend cet envoyage-faire-foutre.

    6 Au-del du discours. On peut donc distinguer deux types de dpendance pour le discours rapport

    smantiquement : dans la phrase complte (greffe incluse) Prendrait-ellei une tasse de th, luii demanda-t-il, le propos rapport n'est prcd d'aucun prfixe d'intgration tel que si ou que alors qu'il est prcd de si dans Il lui demanda si elle prendrait une tasse de th, exemple plus classiquement reconnu de discours indirect non libre. Cette diffrence formelle rvle une diffrence radicale de statut. Dans le second cas seulement, le D.R., syntaxiquement intgr la phrase par si ou que, est en continuit homogne syntaxique/smantique avec celle-ci, en sorte notamment que les mots de la subordonne sont, de plain pied, des mots de la phrase globale, alors que la greffe lui demanda-t-il se greffe, non pas sur la proposition grammaticale qui la prcde (syntagme propositionnel), mais plutt sur le fait de son nonciation par L1. En sorte que, pas plus que Have a cup of tea (rapport formellement) n'est un syntagme de la phrase Have a cup of tea, dit-il, Prendrait-elle une tasse de th ? (rapport smantiquement) n'est un syntagme de la phrase Prendrait-elle une tasse de th, lui demanda-t-il ; la structure syntaxique arborescente du D.R. n'est pas une branche de celle du discours rapportant : leur articulation est grammaticalement tanche, mme si cela est masqu par une grande homognit verbale dans le second cas.

    Il n'en va pas de mme pour ce qu'on isole terminologiquement sous le nom de discours indirect (subordonn), lequel peut se fondre, sans former une classe grammatical distincte, dans un ensemble beaucoup plus vaste :

    Romeo lui demanda / ne lui demanda pas si elle prendrait une tasse. Romeo ne lui posa pas la question (de savoir) si elle prendrait une tasse. La question (de savoir) si elle prendrait une tasse importait Romeo. Le bonheur de Romeo dpendait de si elle prendrait une tasse. Etc.

    La pertinence de la notion mme de discours se dissout tout fait dans cet ensemble.

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    D'une manire diffrente et moins radicale, lorsqu'on exclut la valeur nonciative autonome de reproduction, on s'aperoit que la notion de discours est trop restrictive pour le discours direct (rapport smantiquement ou formellement). Ainsi les exemples suivants ont quelque chose en commun :

    Juliette rpondit / ne rpondit pas Zut. Est-ce que Juliette a dit Zut. Si Juliette avait dit Zut, la pice en et t change. Zut est un mot franais (qu'a employ Juliette) ; une suite de 3 lettres n'est pas une lettre en criture franaise / est en rouge sur ce dessin.

    on pourrait driver bien au-del en basculant dans le domaine de la mention (au sens anglais) ou autonymie en gnral. Dans celui-ci, une partie de l'nonciation, qui est le plus souvent, mais pas forcment verbale, et qui occupe une position de groupe nominal, reprsente (voire dsigne) elle-mme ou un type dont elle est une occurrence ou une autre occurrence du mme type ; ainsi, dans Vertes est fminin pluriel o vertes peut, dans cette valeur, fournir le nominal masculin singulier (valeurs neutres) sujet du verbe.

    La possibilit pour une chose de servir de reprsentant d'elle-mme ou de quelque chose dont elle est un exemple ou un analogue n'est pas propre la langue : a priori on peut articuler n'importe quoi qu'on montre clairement du doigt un prdicat comme est un objet (c'est un cas de signe motiv par association particulirement proche). Mais l'auto-reprsentation peut tendre, plus ou moins fortement selon la culture, le niveau de langue, le genre crit ou oral, une homognit de l'nonc total de L1 telle que, dans le cas le plus commun, l'auto-reprsentant soit du langage, reprsentant par consquent du langage, ou du son reprsentant du son, de l'crit reprsentant de l'crit La notion de discours rapport est tout de mme beaucoup trop restrictive par rapport la varit des types d'auto-reprsentation mme limite par cette contrainte d'homognit.

    La distinction d'un mode de signification rfrentielle (partie d'nonc, nominale) ou nonciative (acte autonome d'nonciation) par reproduction recouvre le double emploi des onomatopes, simplement rfrentielles comme dans Il n'a mme pas fait plouf en plongeant, voire avec substantivation As-tu entendu ce plouf ?, ou nonciatives comme dans : Tout coup, plouf! le voil qui tombe o l'assertion le voil qui tombe glose un vnement dj signifi de manire interjective. On constate qu'en franais au moins crit, comme par contrainte forte d'homognit stylistique, une telle interjection se recycle rarement dans une phrase greffe mta-nonciative comme dans : Plouf, tomba-t-il (la greffe favorise une interprtation plutt discursive, plus homogne elle-mme).

    Cependant dans les greffes du type Romeo tait fch contre ellei, luii semblait-il, le verbe sembler montre que l'nonciation reproductive peut, sous greffe, reproduire une apparence, non objectivement sans doute, mais en tant que celle-ci peut induire une impression, vnement mental tout de mme12.

    12 Comparer l'expression de l'apparence par sa consquence verbale dirait-on, ou rciproquement de la

    rumeur verbale par l'apparence qu'elle provoque, parat-il.

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    Une partie des phnomnes relatifs ce qu'on appelle le discours rapport n'a donc pas un rapport troit avec la notion de discours. Le phnomne grammatical spcifique qui merge dans ce domaine, mais le dborde en partie, est plutt celui de la signification par reproduction, qui n'est pas propre la langue mais s'y introduit, soit sous forme rfrentielle et nominale dans des parties d'nonciation linguistique (mentions, parties d'noncs, qui sont des reproductions rfrentielles), soit sous forme nonciative (reproduction nonciative) quand c'est l'acte mme de prononcer des sons ou de signifier verbalement quelque chose qui se prsente comme reproduisant un acte ou un vnement.

    Benot de Cornulier UMR 7023 (Potique et mtrique) et Centre d'tudes Mtriques (Nantes)

    Rfrences

    Cornulier (de) , Benot, 2004. Sur la valeur de lincise et sa postposition. In: Leclre, Christian / Laporte, ric / Piot, Mireille / Silberztein, Max. Syntax, Lexis and Lexicon Grammar. Amsterdam: John Benjamins, 105-111.

    Recanati, Franois, 2000. Oratio recta, oratio obliqua, an essay on meta-representations. M.I.T. Press.

    Riegel, Martin / Pellat, Jean-Christophe / Rioul, Ren, d., (1994/2001). Grammaire mthodique du franais. Paris: Presses universitaires de France.