Concours de responsabilités administrative et civile · administrative et civile ... police...

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24 L E X P E R T 9 2 4 e T R I M E S T R E 2 0 1 3 Concours de responsabilités administrative et civile Dans le domaine de la respon- sabilité civile extracontractuelle tout dommage oblige la per- sonne (publique ou privée) à laquelle la faute est imputable à le réparer. Ce principe relève de l’article 1382 du code civil. La responsabilité administra- tive est une responsabilité « civile » en ce qu’elle impose également de réparer le dom- mage causé à autrui. Mais elle se distingue de la responsabi- lité civile au sens strict parce qu’un juge spécifique (le juge administratif) applique des règles spécifiques (de droit public) aux personnes publiques. Ces règles sont affirmées comme autonomes et déroga- toires depuis l’arrêt Blanco (tri- bunal des conflits du 8 février 1873) qui pose les principes suivants : « Considérant que la responsa- bilité qui peut incomber à l’État pour les dommages causés aux particuliers par le fait des per- sonnes qu’il emploie dans le service public, ne peut être régie par les principes qui sont éta- blis dans le code civil pour les rapports de particuliers à par- ticuliers ; que cette responsa- bilité n’est ni générale, ni absolue ; qu’elle a ses règles spéciales qui varient selon les besoins du service et la néces- sité de concilier les droits de l’État avec les droits privés ; que dès lors… l’autorité adminis- trative est seule compétente pour en connaître ». Cet arrêt ne fait que confirmer, mais de manière plus solen- nelle et efficace, ce que le Conseil d’État avait déjà exprimé en 1855 dans un arrêt « Rotschild » (CE 6 décembre 1855) : « que, notamment, en ce qui touche la responsabilité de l’État en cas de faute, de négligence ou d’erreur com- mises par un agent de l’Administration, cette respon- sabilité n’est ni générale ni abso- lue, qu’elle se modifie suivant la nature et les nécessités de chaque service ; que, dès lors, l’Administration seule peut en apprécier les conditions et la mesure ; Considérant, d’autre part, que c’est à l’autorité admi- nistrative qu’il appartient (à moins qu’il n’en ait été autre- ment ordonné par des lois spé- ciales) de statuer sur les demandes qui tendent à consti- tuer l’État débiteur… ». L’articulation des deux respon- sabilités administrative et civile peut conduire soit à une alter- native entre elles, soit à un cumul. Après avoir examiné les critères de cette alternative, il sera observé des hypothèses de cumul. Les critères de l’alternative Ces critères relèvent de la juris- prudence ou de la loi. • La jurisprudence La jurisprudence prend en consi- dération la nature de l’activité dommageable. Ainsi : - en matière de service public industriel et commercial, de police judiciaire, d’emprise irré- gulière, de voie de fait, de faute personnelle de l’agent, le juge judiciaire est compétent et applique les règles de la res- ponsabilité civile (code civil) ; - en matière de service public administratif, de police admi- nistrative, de contrat adminis- tratif, de faute de service, le juge administratif est compétent et applique les principes de la res- ponsabilité administrative (droit administratif). • La loi La loi du 28 pluviôse an VIII désigne le juge administratif pour connaître le contentieux des travaux publics (y compris pour la responsabilité d’une personne privée). La compé- tence du juge administratif en matière de travaux publics n’est pas retenue pour la voie de fait, l’emprise irrégulière, la faute personnelle de l’agent public (comme rappelé ci-dessus). La loi du 31 décembre 1957 relative aux dommages cau- sés par les véhicules quel- conques désigne le juge judiciaire comme exclusive- ment compétent. Il doit statuer conformément aux règles du code civil. Depuis l’arrêt commune de Courdimanche et Compagnie Groupama (Tribunal des conflits 12/2/2001 Lebon 2001 p735) la compétence judiciaire ne pré- vaut que pour autant que le dommage invoqué trouve sa cause déterminante dans l’ac- tion du véhicule (Cass. 1 re civ 23 février 2012 n°10.27336). Les hypothèses du cumul • L’option offerte à la victime Pour l’existence d’une faute per- sonnelle et d’une faute de ser- vice, la victime peut poursuivre l’agent fautif devant la juridic- tion judiciaire ou la personne publique dont dépend l’agent devant le juge administratif (CE 3/2/1911 Anguet). Cette option offre à la victime un patrimoine solvable (de la personne publique). • Le cumul de responsabili- tés d’une personne publique et d’une personne privée Ainsi le dommage causé par un mineur délinquant confié à une institution privée donne lieu à un cumul des responsabilités de l’État (fondée sur le risque) et de la personne privée (gardienne) (CE 3/02/1956 Thouzellier 1956 p49). Également lorsque les coau- teurs publics et privés sont dans une collaboration, le Tribunal des conflits peut admettre une responsabilité in solidum (Tribunal des conflits 14/2/2000 n° 02929). • L’addition des actions en responsabilité administrative et responsabilité civile Ainsi en matière de prévention des risques professionnels : concours de responsabilité résultant de la complémenta- rité des rôles de l’État et de l’employeur, le Conseil d’État condamne l’État pour sa carence dans la prévention tout en précisant l’obligation de sécurité de résultat de l’em- ployeur (CE 3/03/2004). Mais le juge exige une faute d’une certaine gravité dans le contrôle. Ainsi CAA Bordeaux 24/01/2013 n° 10BX02881 (suite à l’explosion AZF 21/09/2001). Les époux B ont demandé au TA Toulouse la condamnation de l’État à réparer les dom- mages au titre desquels ils n’avaient pas été indemnisés (préjudice moral et troubles dans les conditions d’existence esti- més à 20 000 ). POINT DE DROIT

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Concours de responsabilitésadministrative et civile

Dans le domaine de la respon-sabilité civile extracontractuelletout dommage oblige la per-sonne (publique ou privée) àlaquelle la faute est imputableà le réparer. Ce principe relèvede l’article 1382 du code civil.La responsabilité administra-tive est une responsabilité« civile » en ce qu’elle imposeégalement de réparer le dom-mage causé à autrui. Mais ellese distingue de la responsabi-lité civile au sens strict parcequ’un juge spécifique (le jugeadministratif) applique desrègles spécifiques (de droitpublic) aux personnes publiques.Ces règles sont affirméescomme autonomes et déroga-toires depuis l’arrêt Blanco (tri-bunal des conflits du 8 février1873) qui pose les principessuivants :« Considérant que la responsa-bilité qui peut incomber à l’Étatpour les dommages causés auxparticuliers par le fait des per-sonnes qu’il emploie dans leservice public, ne peut être régiepar les principes qui sont éta-blis dans le code civil pour lesrapports de particuliers à par-ticuliers ; que cette responsa-bilité n’est ni générale, niabsolue ; qu’elle a ses règlesspéciales qui varient selon lesbesoins du service et la néces-sité de concilier les droits del’État avec les droits privés ; quedès lors… l’autorité adminis-trative est seule compétentepour en connaître ».Cet arrêt ne fait que confirmer,mais de manière plus solen-nelle et efficace, ce que leConseil d’État avait déjà expriméen 1855 dans un arrêt« Rotschild » (CE 6 décembre

1855) : « que, notamment, ence qui touche la responsabilitéde l’État en cas de faute, denégligence ou d’erreur com-mises par un agent del’Administration, cette respon-sabilité n’est ni générale ni abso-lue, qu’elle se modifie suivantla nature et les nécessités dechaque service ; que, dès lors,l’Administration seule peut enapprécier les conditions et lamesure ; Considérant, d’autrepart, que c’est à l’autorité admi-nistrative qu’il appartient (àmoins qu’il n’en ait été autre-ment ordonné par des lois spé-ciales) de statuer sur lesdemandes qui tendent à consti-tuer l’État débiteur… ».L’articulation des deux respon-sabilités administrative et civilepeut conduire soit à une alter-native entre elles, soit à uncumul.Après avoir examiné les critèresde cette alternative, il seraobservé des hypothèses decumul.

Les critères de l’alternativeCes critères relèvent de la juris-prudence ou de la loi.

• La jurisprudenceLa jurisprudence prend en consi-dération la nature de l’activitédommageable.Ainsi :− en matière de service publicindustriel et commercial, depolice judiciaire, d’emprise irré-gulière, de voie de fait, de fautepersonnelle de l’agent, le jugejudiciaire est compétent etapplique les règles de la res-ponsabilité civile (code civil) ;− en matière de service publicadministratif, de police admi-nistrative, de contrat adminis-

tratif, de faute de service, le jugeadministratif est compétent etapplique les principes de la res-ponsabilité administrative (droitadministratif).

• La loi

La loi du 28 pluviôse an VIIIdésigne le juge administratifpour connaître le contentieuxdes travaux publics (y comprispour la responsabilité d’unepersonne privée). La compé-tence du juge administratif enmatière de travaux publics n’estpas retenue pour la voie de fait,l’emprise irrégulière, la fautepersonnelle de l’agent public(comme rappelé ci-dessus).La loi du 31 décembre 1957relative aux dommages cau-sés par les véhicules quel-conques désigne le jugejudiciaire comme exclusive-ment compétent. Il doit statuerconformément aux règles ducode civil.Depuis l’arrêt commune deCourdimanche et CompagnieGroupama (Tribunal des conflits12/2/2001 Lebon 2001 p735)la compétence judiciaire ne pré-vaut que pour autant que ledommage invoqué trouve sacause déterminante dans l’ac-tion du véhicule (Cass. 1re civ23 février 2012 n°10.27336).

Les hypothèses du cumul

• L’option offerte à la victime

Pour l’existence d’une faute per-sonnelle et d’une faute de ser-vice, la victime peut poursuivrel’agent fautif devant la juridic-tion judiciaire ou la personnepublique dont dépend l’agentdevant le juge administratif (CE3/2/1911 Anguet).Cette option offre à la victime

un patrimoine solvable (de lapersonne publique).

• Le cumul de responsabili-tés d’une personne publiqueet d’une personne privée

Ainsi le dommage causé par unmineur délinquant confié à uneinstitution privée donne lieu àun cumul des responsabilitésde l’État (fondée sur le risque)et de la personne privée(gardienne) (CE 3/02/1956Thouzellier 1956 p49).Également lorsque les coau-teurs publics et privés sont dansune collaboration, le Tribunaldes conflits peut admettre uneresponsabilité in solidum(Tribunal des conflits 14/2/2000n° 02929).

• L’addition des actions enresponsabilité administrativeet responsabilité civile

Ainsi en matière de préventiondes risques professionnels :concours de responsabilitérésultant de la complémenta-rité des rôles de l’État et del’employeur, le Conseil d’Étatcondamne l ’État pour sacarence dans la prévention touten précisant l’obligation desécurité de résultat de l’em-ployeur (CE 3/03/2004). Maisle juge exige une faute d’unecertaine gravité dans lecontrôle. Ainsi CAA Bordeaux24/01/2013 n° 10BX02881(suite à l ’explosion AZF21/09/2001).Les époux B ont demandé auTA Toulouse la condamnationde l’État à réparer les dom-mages au titre desquels ilsn’avaient pas été indemnisés(préjudice moral et troubles dansles conditions d’existence esti-més à 20 000 €).

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Le TA rejette. Un appel a étéformé.La cour d’appel de Toulouse(arrêt du 24/09/2012) acondamné le directeur de l’usineet la société exploitante pourhomicide involontaire.La cour administrative d’appel,saisie, a retenu la responsabi-lité de l’État sur le fondementdes fautes commises par sesagents qui ont fait perdre unechance que le dommage ne soitpas causé.L’on observe une co-responsa-bilité avec un responsable prin-cipal, auteur direct du dommageet un responsable secondaire,

la personne publique chargéedu contrôle dans les deux consi-dérants suivants :« que, dans ces conditions, lacarence de l’État dans la sur-veillance de cette installationclassée doit être regardéecomme ayant fait perdre à M.et Mme B. une chance sérieused’échapper au risque d’explo-sion tel qu’il s’est réalisé et d’évi-ter tout ou partie des dommagesqu’ils ont personnellement subisdu fait de cette explosion ; qu’euégard à l’importante probabi-lité de survenance d’une explo-sion du seul fait du croisementde produits hautement incom-

patibles entre eux, il y a lieud’évaluer l’ampleur de cetteperte de chance à 25 % et demettre à la charge de l’État laréparation de cette fraction desdommages qu’ont subis lesrequérants et qui sont restésnon indemnisés » ;« que les requérants ont été vic-times d’une explosion violente,qui a dévasté leur maison d’ha-bitation et a été pour eux unesource d’angoisse, notammentpour être restés de longuesheures sans nouvelles de leurenfant ; qu’ils ont ainsi subi destroubles dans leurs conditionsd’existence et un préjudice

moral dont la réalité n’estd’ailleurs pas contestée par leministre ; qu’il ne résulte pasde l’instruction, et il n’est pasmême soutenu, que ces préju-dices auraient déjà donné lieuà réparation ; qu’il en sera faitune juste appréciation en lesévaluant à la somme de 10 000euros ; ainsi que, compte tenude la fraction de 25 % définieau point 11, il y a lieu de condam-ner l’État à leur payer à ce titreune indemnité de 2 500 eurostous intérêts confondus. » n

Louis-Marie Boucraut

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