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Comptes rendus Volume XLIV, No. 1, Mars 2013 DE LIGIO Giulio (dir.) Raymond Aron, penseur de l’Europe et de la nation Stanislav Kirschbaum 131 DANSPECKGRUBER Wolfgang Robert Gilpin & International Relations Jonathan Viger 132 FREGOSI Renée Parcours transnationaux de la démocratie. Transition, consolidation, déstabilisation Odile Perrot 134 LINDEMAN Thomas ET LINDEMAN Thomas et Erick RINGMAR (dir.) Causes of War The Struggle for Recognition The International Politics of Recognition Irakli Gelukashvil 136 MASSEY Andrew (dir.) International Handbook on Civil Service Systems Aurélia Gambaraza 139 PETERS Michael A. Education, Social Policy and the Crisis of Western Capitalism Raúl Bernal-Meza 140 BIAD Abdelwahab et Paul T AVERNIER Le droit international humanitaire face aux défis du XXI e siècle Noémie Latendresse- Desmarais 142 BERBEROGLU Berch (dir.) Beyond the Global Capitalist Crisis. The World Economy in Transition Joseph Pestieau 144 WOOLCOCK Stephen European Union Economic Diplomacy. The Role of the EU in External Economic Governance René Schwok 145 GROTE Georg The South Tyrol Question, 1866-2010. From National Rage to Regional State André Lecours 147

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Comptes rendusVolume XLIV, No. 1, Mars 2013

dE ligio Giulio (dir.) Raymond Aron, penseur de l’Europe et de la nation

Stanislav Kirschbaum 131

dAnsPEckgrubEr Wolfgang

Robert Gilpin & International Relations

Jonathan Viger 132

frEgosi Renée Parcours transnationaux de la démocratie. Transition, consolidation, déstabilisation

Odile Perrot 134

lindEmAn ThomasET lindEmAn Thomas et Erick ringmAr (dir.)

Causes of War The Struggle for Recognition The International Politics of Recognition

Irakli Gelukashvil 136

mAssEy Andrew (dir.)

International Handbook on Civil Service Systems

Aurélia Gambaraza 139

PETErs Michael A. Education, Social Policy and the Crisis of Western Capitalism

Raúl Bernal-Meza 140

biAd Abdelwahabet Paul TAvErniEr

Le droit international humanitaire face aux défis du XXIe siècle

Noémie Latendresse-Desmarais

142

bErbEroglu Berch (dir.)

Beyond the Global Capitalist Crisis. The World Economy in Transition

Joseph Pestieau 144

Woolcock Stephen European Union Economic Diplomacy. The Role of the Euin External Economic Governance

René Schwok 145

groTE Georg The South Tyrol Question, 1866-2010. From National Rage to Regional State

André Lecours 147

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kEnnEy Douglas S.et Robert Wilkinson (dir.)

The Water-Energy Nexus in the American West

Frédéric Lasserre 148

TErcinET Josiane (dir.) États et sécurité internationale André Dumoulin 150

rEsTEignE Delphine Le militaire en opérations multinationales. Regards croisés en Afghanistan, en Bosnie, au Liban

Papa Samba Ndiaye 152

vAndAl Gilles L’Afghanistan La guerre d’Obama

Nathalène Reynolds 154

doidgE Mathew The European Union and Interregionalism

René Schwok 156

PAul T. v. International Relations Theory and Regional Transformation

Niels Lachmann 157

chAsE Anthony Tirado Human Rights, Revolution and Reform in the Muslim World

Aurélia Gambaraza 159

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aronienne », une question d’actualité dans cette Europe en développement, mais aussi en crise profonde : com-ment comprendre et concilier l’allé-geance double qu’est une allégeance nationale et civique et une allégeance à l’Union européenne ? Le titre de l’ouvrage nous fait comprendre qu’il y a dans l’œuvre d’Aron des éléments de réponse. Trois parties, qui exami-nent les écrits d’Aron, abordent cette question : la première demande ce qu’est une nation ; la seconde cherche à penser politiquement l’Europe ; et la troisième s’interroge sur les nations européennes à l’aube de l’histoire universelle. Un excellent avant-propos de Pierre Manent nous explique que la permanence de la pensée d’Aron émane de la permanence du politique. Cette permanence, qu’Aron mettait en évidence dans son intérêt passionné pour la vie politique et la nature poli-tique des hommes, était particulière-ment influencée par une observation attentive des faits. Aron vivait à une époque où la construction européenne était à ses débuts et connaissait un développement encore lent. Mais il en comprenait les enjeux, enjeux qui étaient issus du lien toujours chan-geant entre le drame, « l’action poli-tique au plein sens du terme », et le procès, c’est-à-dire le changement et le développement qui échappent largement à l’action politique. Les Eu-ropéens, selon Aron, étaient devenus des spectateurs du procès et, comme le suggère Manent, ils le sont toujours ; or l’Europe ne peut se faire sans que ses citoyens le souhaitent. Cet ouvrage aborde les éléments d’une analyse qui

Revue Études internationales, volume xliv, no 1, mars 2013

Comptes rendus

THÉORIE, MÉTHODE ET IDÉES

Raymond Aron, penseur de l’Europe et de la nation

Giulio de Ligio (dir.), 2012, Bruxelles, P.I.E. Peter Lang,

Euroclio no 66, 160 p.

En 2012, le troisième numéro d’Études internationales était consacré à l’anniversaire de la parution, il y a cin-quante ans, de l’ouvrage Paix et guerre entre les nations de Raymond Aron. Cet intellectuel français, sociologue de for-mation, analyste de l’actualité française et internationale, professeur d’universi-té et auteur prolifique, a non seulement influencé de façon importante l’ensei-gnement des Relations internationales en langue française par la publication de cet ouvrage (ceux d’entre nous qui étudiaient en France à l’époque se souviennent que les quelques ouvrages d’introduction aux Relations internatio-nales étaient uniquement en anglais), mais il a aussi contribué de façon sin-gulière et originale au développement de cette sous-discipline en science politique aux côtés de grands penseurs américains comme Hans Morgenthau. Études internationales célébrait ainsi ce 50e anniversaire par l’examen de la contribution d’Aron au domaine avec des analyses de très haute qualité sur ses écrits, mais aussi avec la publication d’un texte inédit de lui, « Clausewitz et notre temps ».

L’ouvrage de Giulio De Ligio re-présente aussi un hommage à Aron. Il s’agit des actes d’une journée d’étude en 2011 à Paris dont le but était de discuter, « à la lumière de l’œuvre

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La troisième partie aborde la construction européenne dans une perspective plus large, celle de l’Eu-rope à l’âge de l’histoire universelle. Le texte de Nicolas Baverez est axé sur un examen de cette question plu-tôt que sur une analyse de l’œuvre aronienne, qui contient néanmoins des éléments d’analyse et de réponse. Aron redoutait le déclin de l’Europe, mais Baverez montre qu’il n’y voyait rien d’inévitable. Olivier de Lapparent, pour sa part, se penche sur la crise de la conscience européenne, alors que Mat-thias Opperman examine l’importance qu’attachait Aron aux questions mili-taires dans la défense de l’Europe. Les écrits et les réflexions d’Aron montrent un analyste qui comprenait les enjeux à la fois immédiats et de longue durée.

Deux textes d’Aron, « Universa-lité de l’idée de nation et contestation » et « L’Europe, avenir d’un mythe », sont publiés en annexe. Les deux méritent une lecture attentive, car ils complètent la présentation de la pen-sée d’un intellectuel français hors pair qui était à la fois réaliste sur le destin de l’Europe et, en fin de compte, aussi optimiste sur son avenir.

Stanislav KirschbaumDépartement d’études internationales

Université York, Collège Glendon Toronto

Robert Gilpin & International Relations

Wolfgang danspecKgruber, 2012, Princeton, nj, Liechtenstein Institute

on Self-Determination, Princeton University, 173 p.

Cet ouvrage collectif regroupe un ensemble de présentations réalisées dans le cadre d’un colloque du Liech-tenstein Institute on Self-Determina-tion qui s’est tenu à l’Université de

permet, par l’intermédiaire de la pen-sée aronienne, de procéder vers un tel but, quel qu’il soit.

La première question, sujet de la première partie de l’ouvrage, est celle de la définition de la nation. Giulio De Ligio explique dans son texte qu’Aron comprenait la nation comme point de départ tant pour le citoyen que pour tout projet européen ; il montre aussi comment ses écrits reflètent les ques-tions qu’il se posait sur le rôle de la nation au moment où la construction européenne commençait. Pour Aron, il y avait une seule allégeance pos-sible, celle à la nation. Comment alors ce membre de la communauté juive voyait-il l’État d’Israël ? Danny Trom, dans le deuxième texte, écrit qu’Aron se définissait comme citoyen français, patriote français, juif déjudaïsé, socio-logue et observateur impartial. Son al-légeance semble ainsi claire ; pourtant, vis-à-vis d’Israël Aron avait une ex-périence qui était intellectuelle, mais aussi personnelle. Trom décrit fort bien les contours de cette expérience.

Comment Aron, qui mettait l’al-légeance nationale au-dessus de tout, pensait-il alors politiquement l’Eu-rope dont il examinait la construction dans ses écrits et ses conférences ? Agnès Bayrou, dans la deuxième par-tie, constate chez Aron un certain pessimisme face à cette construction européenne, en partie parce qu’il ne pouvait déceler son but ultime. Elle ex-plique aussi qu’Aron, au fil des années, redoutait un aboutissement qui pouvait former une « nation européenne » ‒ proposition difficile à concilier avec sa définition de la nation. C’est pour cette raison que Joël Mouric, dans le deuxième texte, définit Aron comme un citoyen français qui était aussi un intellectuel européen.

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COMPTES RENDUS 133

Princeton et s’intitulait Grand Strategy in the Emerging International System. Cette conférence organisée en l’hon-neur de Robert Gilpin examinait l’im-pact de son travail sur la discipline des Relations internationales. Les chapitres de cet ouvrage furent écrits par un en-semble d’anciens collègues de Gilpin ainsi que par plusieurs de ses étudiants qui sont par la suite devenus profes-seurs dans différentes universités étasu-niennes. L’œuvre de Gilpin y est traitée essentiellement selon deux aspects : son apport théorique à la discipline et sa posture en tant que chercheur.

Les chapitres de Richard Falk et Daniel H. Deudney résument la pensée des auteurs sur la posture de Gilpin en tant que chercheur. Collègue de Gil-pin à Princeton, Falk décrit ce dernier comme un « intellectuel pur » n’ayant pas d’aspirations au-delà de la biblio-thèque ou de la salle de classe. Cette di-mension de modestie et de dévouement entier à une vie universitaire se fait d’ailleurs sentir tout au long de l’ou-vrage. On note particulièrement le fait que, malgré les possibilités d’avance-ment offertes par le milieu universitaire prestigieux dans lequel il se trouvait, Gilpin n’a pas voulu ternir la qualité de sa vie intellectuelle au profit d’ambi-tions administratives ou politiques.

Deudney, de son côté, montre une autre facette de Gilpin qui est reprise par une majorité des auteurs de l’ouvrage, soit son ouverture théo-rique. Tout en défendant fermement une position réaliste, il présente cet engagement avec d’autres courants théoriques, notamment avec des cou-rants qui étaient alors discrédités, tel le marxisme, est comme un exemple du dévouement de Gilpin à l’égard d’un travail intellectuel sérieux. Ce

désir d’engager des théories alterna-tives permit à Gilpin de présenter une version beaucoup moins statique du néoréalisme que ne l’est la version dominante attribuée à Kenneth Waltz.

Pour ce qui est de l’apport théo-rique de Gilpin, Michael Mastanduno entame cette discussion en soulignant quatre points sur lesquels son œuvre a stimulé le débat entourant la dis-cipline. Dans un sens similaire aux propos de Deudney, Mastanduno sou-ligne que Gilpin a présenté le réalisme comme une vision du monde plutôt que comme une théorie scientifique rigide comme le prétendait Waltz. Selon lui, Gilpin a également su re-mettre en question le triomphalisme américain de la « fin de l’histoire » en soulignant la diversité des capitalismes et leur possible affrontement. De plus, Gilpin a introduit une théorie des cycles hégémoniques en soulignant que le développement de l’hégémon contribue simultanément à son déclin. Enfin, Giplin a su exposer que le déve-loppement économique international a d’importantes bases politiques.

Cette dernière question est ap-profondie dans le chapitre de Benja-min J. Cohen qui souligne l’apport de Gilpin dans le développement du sous-champ de l’économie politique internationale. Gilpin est ainsi parvenu à mettre en lumière le rôle de la puis-sance hégémonique comme stabilisa-teur de l’économie mondiale ainsi que le lien intime existant entre pouvoir et ressources économiques.

Joan Gowa revient sur cette question des bases politiques du pou-voir économique, mais présente égale-ment la théorie du changement histo-rique que Gilpin établit dans un de ses ouvrages majeurs : War and Change in

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World Politics. Le changement dans l’ordre international y est expliqué par les efforts de puissances émergentes pour s’assurer une plus grande part du gâteau lorsque leur situation au sein de l’ordre établi ne leur paraît plus satisfaisante.

Kathleen R. MacNamara, quant à elle, reprend cet édifice théorique gilpinien et montre comment il lui fut utile dans l’analyse de son propre sujet de recherche, la position de l’Europe face aux États-Unis au sein de l’ordre international. L’apport de Gilpin lui permet de tracer un portrait de cette situation où les États-Unis demeurent l’État le plus puissant, mais également de relever des signes du déclin de son pouvoir économique et de son prestige international qui, s’ils ne sont pas contrés, pourraient mener vers une transition hégémonique dont profite-rait l’Europe.

Enfin, William C. Wohlforth traite de l’œuvre de Gilpin en com-paraison avec la version dominante du néoréalisme établie par Waltz. Il pose la question à savoir quel serait le portrait contemporain de la discipline des Relations internationales si la version du néoréalisme de Gilpin était dominante au lieu de celle de Waltz ou, au minimum, si l’approche de Gilpin s’était démarquée comme une concep-tion distincte du réalisme au lieu d’être amalgamée à la position waltzienne. Wohlforth en conclut premièrement que la discipline n’éprouverait pas autant de difficulté à expliquer les changements de l’ordre international. Deuxièmement, les penseurs réalistes seraient moins obsédés par le concept d’équilibre de la puissance. Troisième-ment, d’intéressantes théories comme celle de la surextension impériale

pourraient occuper une place plus grande dans les schémas d’analyse. Quatrièmement, la relation de la disci-pline avec les autres pourrait être plus ouverte au lieu de représenter essen-tiellement un jeu à somme nulle.

Il faut prendre cet ouvrage pour ce qu’il est, c’est-à-dire une collec-tion de textes écrits en l’honneur de Gilpin par des collègues et amis qui partagent des approches sympathiques à la sienne. Si les ouvrages majeurs de Gilpin et leurs principaux apports théoriques y sont présentés, c’est dans un esprit d’éloge laissant très peu de place à l’analyse critique. Ainsi, cet ouvrage s’adresse moins à l’étudiant recherchant une introduction à l’ap-proche de Gilpin qu’à ceux démon-trant déjà un intérêt pour ce dernier. De plus, la lecture est marquée par un sentiment de redondance, les auteurs se rejoignant sur plusieurs points sans apporter de nouvelles perspectives.

Jonathan vigerDépartement de sociologie

Université du Québec à Montréal

Parcours transnationaux de la démocratie. Transition, consolidation, déstabilisation

Renée fregosi, 2011, Bruxelles, Peter Lang, 195 p.

Récentes, mais foisonnantes, les études sur la démocratisation se sont penchées sur les transitions des an-nées 1970 en Europe du Sud, puis sur celles des années 1980 en Amérique latine, avant d’être renouvelées par les expériences de l’Europe de l’Est des années 1990. La transition démo-cratique, définie comme le processus complexe de sortie pacifique d’un régime autoritaire, est devenue un ob-jet d’étude à part entière, notamment

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COMPTES RENDUS 135

et les tentations d’autoritarisme. Enfin, Renée Fregosi montre comment, à la charnière du basculement de régime, l’établissement progressif de la justice transitionnelle entre en conflit avec les nécessités de la stabilité politique et de la paix civile. Les acteurs politiques et la population se sont longtemps méfiés de la condamnation et de la sanction judiciaires des anciens collaborateurs, jusqu’à la montée en puissance des organes judiciaires internationaux qui a favorisé, dans les années 2000, un « justicialisme tous azimuts ».

L’ouvrage s’articule autour d’une double réflexion dynamique sur l’autoritarisme et la démocratie, l’une et l’autre se répondant sans cesse dans le souci didactique d’expliquer les moteurs des processus transitionnels. Ainsi rattaché à la discipline contes-tée de la transitologie, il ne fait pas l’économie d’une définition précise, scientifique et transnationale de ce que représente une transition démocra-tique, identifiant les conditions de sa réalisation sans en dissimuler les ar-rangements intrinsèques. Il s’appuie en outre sur une étude comparative riche qui permet d’« analyser en termes globaux ces étranges phénomènes politiques que sont les transitions ». Son mérite ne tient pas seulement à l’étendue du spectre géographique et temporel des expériences démo-cratiques citées, car Renée Fregosi revient également sur les logiques de résistance caractéristiques de certains pays comme Cuba et la Chine. Les exemples sont donc nombreux et le lecteur souhaiterait même qu’ils soient parfois plus longuement développés. Un retour sur la situation des Balkans, où les trajectoires de transformation démocratique sont singulières, aurait d’ailleurs été le bienvenu. Mais c’est

analysé par les chercheurs Guillaume O’Donnell, Philippe Schmitter et Laurence Whitehead. Nourri de cette littérature de référence, le livre de Renée Fregosi offre une synthèse des processus de transformation élargie aux questionnements contemporains sur la consolidation démocratique, la justice transitionnelle, le populisme ou encore la gouvernance. Là réside le premier intérêt d’un ouvrage qui, rappelant l’ambivalence des mouve-ments de démocratisation, apporte des outils de compréhension indispen-sables à l’analyse des mutations des régimes politiques, au moment où les récents bouleversements du Maghreb en soulignent l’actualité, l’utilité et la pertinence.

Au-delà de la présentation des fondamentaux de la discipline, Renée Fregosi apporte un éclairage sur les ressorts du passage à la démocratie. « [A]xe définitionnel de la démocra-tie », les élections sont mises en pers-pective avec les stratégies de contour-nement que constituent les fraudes électorales et les pratiques intrusives du contrôle international. Tout un chapitre est également consacré à « ce que consolider veut dire », une théma-tique stimulante qui permet à l’auteur de revenir sur le rôle primordial des partis politiques. C’est en effet le plu-ralisme partisan, mais aussi la capacité des groupes politiques à former des alliances, qui favorise la pérennisation et la stabilisation du fonctionnement démocratique. La gouvernance et la gouvernabilité, concepts mobilisa-teurs liés à l’étude sur les transitions, conduisent à une réflexion sur l’évolu-tion des politiques publiques, l’équi-libre entre l’individuel et le collectif, ainsi que les intérêts des élites, qui expliquent la fragilité des démocraties

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cadre théorique et rapportent plusieurs études de cas dans le but, d’une part, d’explorer empiriquement le lien entre la non-reconnaissance et les causes des guerres interétatiques et, d’autre part, de démontrer que la non-reconnaissance (autant que les intérêts matériels) peut devenir une cause réelle de la guerre. Il s’agit d’abord d’ouvrages qui proposent un nouveau cadre théorique en Relations internationales.

L’ouvrage de Thomas Lindemann se compose de deux parties. Dans la pre-mière partie, l’auteur définit son cadre théorique. En spécifiant que le lien entre la guerre et la quête de reconnaissance est probabiliste et non pas déterministe, l’auteur ne cherche pas à remplacer d’autres théories qui expliquent les causes de la guerre ; son but est plutôt de démontrer que la guerre peut égale-ment être motivée par la nécessité de préserver les images de soi des acteurs. S’appuyant sur une variété de théories issues de différentes disciplines, Lin-demann reconnaît que certains désirs de reconnaissance sont socialement construits, alors que d’autres sont basés sur des besoins psychologiques élémen-taires comme le respect, l’estime de soi, l’identité, etc. Il soutient que ce sont là des motivations universelles de la nature humaine et que leur déni peut conduire à un comportement agressif.

Lindemann énonce quatre princi-pales hypothèses, chacune montrant un lien différent entre la non-reconnaissance et la guerre :

1) Les dirigeants ayant des « iden-tités démesurées » peuvent provoquer des « guerres pour le prestige ». L’aspi-ration à la supériorité symbolique (par exemple la dimension architecturale des bâtiments gouvernementaux) encourage donc la quête à la puissance matérielle.

le propre d’un ouvrage scientifique concis qui, en moins de deux cents pages, réussit à présenter un vaste tableau des expériences de démocrati-sation sans en négliger les fondements théoriques : il éveille la curiosité, pro-pose des pistes et suscite l’envie d’al-ler à la découverte d’autres auteurs.

Richesse des illustrations et abondance des sources concourent ainsi à montrer la pluralité des trajec-toires de transformation et, finalement, l’idiosyncrasie des régimes démo-cratiques et autoritaires, comme les hasards du succès de la démocratie. Étayé par d’utiles notes de bas de page et une riche bibliographie en fin d’ou-vrage – références dont l’auteur ne se prive pas de relativiser les conclusions –, le livre de Renée Fregosi guide le lecteur intéressé par un sujet qui ne cesse d’être réinterprété au gré de nou-velles études et d’événements inédits.

Odile perrotRéseau francophone de recherche

sur les opérations de paix

Causes of War The Struggle for Recognition

Thomas Lindemann, 2010,Colchester, uK, ECPR Press, 169 p.

The International Politics of Recognition

Thomas Lindemann et Erik ringmar (dir.), 2012,

Boulder, co, Paradigm Publishers, 239 p.

Les théories relatives aux causes de la guerre sont souvent basées sur l’hypothèse selon laquelle l’acteur rationnel est à la poursuite de la satis-faction matérielle, ignorant ainsi l’im-portance de l’aspect symbolique. Les ouvrages de Lindemann ainsi que de Lindemann et Ringmar fournissent un

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COMPTES RENDUS 137

quatre crises interétatiques, dont deux qui ont conduit à la guerre (la guerre des Six Jours de 1967 entre Israël et l’Égypte, puis la guerre qui a sévi en Irak entre 2001 et 2003) et deux qui n’y ont pas conduit (la crise des mis-siles de Cuba de 1962 et la crise améri-cano-libyenne de 1986 à 2004). Linde-mann tente de présenter la dimension « fluide » de la (non-) reconnaissance. Selon l’auteur, étant donné que les chefs d’État cherchent aussi à cultiver une certaine image d’eux-mêmes et de leur collectivité (homo symbolicus), de nombreuses guerres auraient pu être évitées si l’on avait tenu compte des aspirations de sécurité de la par-tie adverse. Cela inclut la possibilité de permettre à celle-ci de « sauver la face » ainsi que les préoccupations de maintenir une identité spécifique et la nécessité d’une certaine empathie. Ainsi, la guerre est probable lorsque les coûts symboliques de la paix sont plus élevés que les coûts symboliques de la guerre. La gestion pacifique des crises internationales dépend donc de la capacité des acteurs à s’engager dans une sorte de politique de recon-naissance mutuelle qui confirme leurs revendications identitaires univer-selles et spécifiques.

Les contributeurs du second ouvrage (de Lindemann et Ringmar) appuient davantage le cadre théorique de Lindemann exposé dans le premier ouvrage et fournissent d’autres études de cas. La quasi-totalité des contribu-teurs dans cet ouvrage défendent une conception « interactionniste » de la (non-) reconnaissance. Par exemple, Erik Ringmar, s’appuyant sur les tra-vaux d’Hegel (La phénoménologie de l’esprit), avance que l’État peut être compris comme le gardien poli-tique de la communauté de « narration

2) L’absence d’une identité po-sitive commune, associée à l’indiffé-rence, peut causer une « guerre par l’antipathie ».

3) Les attaques contre la « di-gnité universelle » sont susceptibles de conduire à une « guerre pour l’honneur ». La violation de certaines normes du droit international peut entraîner un sentiment de non-recon-naissance et, par conséquent, devenir une cause de guerre.

4) Les attentes contre une « iden-tité particulière » (politique ou cultu-relle) peuvent causer une « guerre pour la dignité particulière ».

La seconde partie de l’ouvrage de Lindemann est consacrée à deux études empiriques où l’auteur tente de valider ses hypothèses. Dans sa première étude empirique, Lindemann examine le lien entre la non-reconnaissance structu-relle et l’usage de la force dans diffé-rentes périodes conflictuelles impli-quant les grandes puissances dans les quatre systèmes internationaux : deux périodes stables (le Congrès de Vienne entre 1815 et 1853 et la paix entre les démocraties entre 1945 et 1991) et deux périodes instables (l’entre-deux-guerres de 1919 à 1939 et la guerre froide de 1945 à 1953). Pour lui, la sta-bilité ne peut pas compter uniquement sur l’équilibre des puissances. Elle doit aussi s’appuyer sur d’autres facteurs, par exemple la compatibilité identitaire des États, les traités de paix, l’intégra-tion de toutes les grandes puissances dans les institutions internationales et l’existence d’une « hégémonie bien-veillante » qui évite l’humiliation des États vaincus.

La seconde étude empirique de Lindemann examine cette fois-ci

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d’être traitée d’égal à égal avec les autres puissances mondiales sont res-tées lettre morte. Cela a conduit à un sentiment d’insécurité sociale intense auquel l’Allemagne a répondu avec une agressivité accrue, déclenchant une coûteuse course aux armements qui a contribué au déclenchement de la guerre. Pour Murray, la lutte pour la reconnaissance montre comment le non-respect peut conduire à la com-pétition matérielle traditionnellement attribuée au dilemme de la sécurité. En somme, les contributeurs de cet ouvrage, à travers différentes études de cas, soutiennent que la guerre est liée à la « non-reconnaissance » perçue par les acteurs, validant ainsi les hypo-thèses de Lindemann.

Ce bref aperçu illustre bien l’im-portance que les auteurs de ces deux ouvrages accordent à la reconnais-sance pour analyser les conflits inte-rétatiques. Dans l’ensemble, les deux ouvrages montrent bel et bien que plusieurs guerres auraient pu être mo-tivées par des préoccupations liées à la non-reconnaissance, tout en ramenant l’analyse sur le plan individuel. Toute-fois, on peut constater que l’approche de Lindemann est tellement près du constructivisme qu’il devient assez difficile de ne pas la confondre avec lui. De plus, même si la théorie de la reconnaissance est également compa-tible avec la théorie du choix rationnel (Lindemann lui-même l’a mentionné dans les deux ouvrages), il demeure difficile de l’appliquer aux domaines des Relations internationales, comme l’ont d’ailleurs bien remarqué certains contributeurs du second ouvrage. En-fin, on constate que, comparativement aux études de cas des autres auteurs qui ont également appliqué la pers-pective psychologique au domaine des

d’histoires », les histoires que les gens racontent sur eux-mêmes et qui sont diffusées par la presse et les autres médias. Beaucoup de ces histoires concernent le rôle de l’État dans la politique mondiale. Dans ce sens, pour Ringmar, il devient possible de comparer l’État à l’individu, et ce, afin de comprendre la formation des identités étatiques à l’aide des mêmes outils intellectuels qu’on utilise pour comprendre les identités des individus. Dans la même veine, Reinhard Wolf avance que les États et les nations ne sont pas les principaux acteurs de leurs propres droits : les individus, les groupes domestiques, etc., peuvent réagir contre le (non-) respect interna-tional et forcer l’État à se conformer à leurs besoins symboliques.

Contrairement aux autres auteurs (lesquels se réfèrent principalement aux travaux d’Hegel), Richard Lebow construit une société d’honneur, un idéal-type, et l’utilise comme modèle pour comprendre le rôle de l’esprit dans les mondes anciens et modernes. Il utilise son modèle pour analyser la réaction de l’Allemagne à la fin de la Première Guerre mondiale et la façon dont le désir de regagner l’estime de soi a facilité l’ascension d’Hitler au pouvoir. Pour Lebow, la reconnais-sance est l’acceptation dans un cercle où la réalisation de l’esprit est possible.

De son côté, Charles Doran, dans son étude de cas, avance que c’est la reconnaissance que l’Allemagne a demandée aux autres puissances eu-ropéennes, mais que ces puissances n’ont pas réussi à la lui donner, ce qui, par conséquent, conduisit l’Allemagne vers la crise de juillet 1914. De même, Michelle Murray soutient que durant chacune des crises marocaines (1905 et 1911) les demandes de l’Allemagne

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COMPTES RENDUS 139

de même que les fondements des mou-vements de réforme récents.

Ainsi, la contribution de Peter Barberis définit l’idéal-type de la bu-reaucratie wébérienne, mais elle met aussi en avant les limites et même les risques inhérents au modèle. L’auteur examine dans quelle mesure la vague actuelle de réformes, y compris le célèbre « New Public Management » (nPm), constitue – ou non – la fin de l’âge d’or de la bureaucratie wé-bérienne. Il conclut sur le sens de l’idéal-type et sur la pertinence encore actuelle de cet outil d’analyse.

Dans un autre article, Robert Pyper évoque le déclin de l’État, concurrencé par le haut (internatio-nalisation), par le bas (dévolution, décentralisation, privatisation) et par la création d’agences et d’autres corps autonomes. Il examine les consé-quences de ce mouvement sur la fonc-tion publique. Conséquences positives, car cette évolution s’accompagne d’une reconnaissance de la complexité des tâches, permet les réajustements nécessaires et l’amélioration de la réponse aux besoins. Cependant, cela se fait au prix de la perte de certaines compétences acquises par des années de pratiques et non transmises, d’une fragmentation parfois trop importante des acteurs entraînant des difficultés nouvelles en matière de coordina-tion. Pyper interroge le nPm comme nouvelle orthodoxie et relativise l’ho-mogénéité des réformes récentes, en soulignant des mouvements différents (réintégration de missions dévolues à des agences dans l’État central, ré-flexions sur des renationalisations…).

La seconde partie du manuel rassemble des contributions qui exami-nent la situation pays par pays.

Relations internationales (par exemple R. Jervis et R. Lebow), celles de Lin-demann se limitent plutôt à l’étude de l’impact de la reconnaissance, écartant ainsi d’autres facteurs subjectifs égale-ment de nature à expliquer les causes des conflits (par exemple la culture politique, l’impact de l’idéologie domi-nante ou la peur). Malgré ces limites, ces ouvrages sont indispensables et apportent une contribution forte et per-tinente pour qui s’intéresse aux théories des Relations internationales.

Irakli geLuKashviLDépartement de science politique Université du Québec à Montréal

International Handbook on Civil Service Systems

Andrew massey (dir.), 2011,Northampton, ma, Edward Elgar, 380 p.

L’ouvrage International Hand-book on Civil Service Systems, dirigé par Andrew Massey, ambitionne de dresser une revue des fonctions publiques et des services publics dans le monde. Il rassemble des rédacteurs divers : cher-cheurs, fonctionnaires nationaux, ou auteurs cumulant les deux statuts. Ce guide couvre tous les continents. Il s’in-téresse à des administrations connues de grands États industrialisés, mais aussi à des fonctions publiques plus récentes ou moins souvent décrites.

L’ouvrage s’articule en deux par-ties. La première série d’articles consti-tue l’arrière-plan théorique qui apporte un éclairage sur la seconde partie, la revue des pays.

Les textes théoriques s’attardent sur les bases de l’étude de la fonction publique, avec en premier lieu la théo-rie wébérienne. Les différentes formes de bureaucratie sont ensuite énumérées,

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et le déclin du nombre de fonction-naires ces dernières années. Enfin, les deux auteurs indiquent comment les modes de management traditionnels de l’administration ont contribué à sa mauvaise image dans la population et précisent les pistes de réformes en cours à la fin des années 2000. Tout en affirmant que les traditions anciennes sont si ancrées dans la bureaucratie japonaise qu’il faudra du temps avant de ressentir les effets d’une réforme.

Dans International Handbook on Civil Service Systems, le dosage entre apports théoriques et analyses des terrains nationaux est réussi. Le lecteur, qu’il soit étudiant, chercheur ou fonctionnaire en quête de clefs de compréhension de son environnement, trouvera ce qu’il cherche. La lecture intégrale de l’ouvrage offre une analyse comparée très riche des systèmes de la fonction publique dans le monde, en résonance avec des enjeux actuels.

Aurélia gambarazaEPISMS du Bas-Chablais, France

Neoliberalism and After ? Education, Social Policy

and the Crisis of Western Capitalism

Michael A. peters, 2011,Bruxelles, Peter Lang, 222 p.

Les politiques néolibérales ont été mises en œuvre dans différents pays. Le livre de Peters nous aide à avoir une vue plus précise sur les po-litiques sociales et éducatives prônées par le néolibéralisme. L’analyse que fait l’auteur du néolibéralisme est for-tement influencée par Foucault ainsi que par la critique néomarxiste. Peters souligne l’importance de la théorie des systèmes pour évaluer la complexité du phénomène et aussi ses liens avec

Parmi ces contributions, celle d’Augustin E. Ferraro met l’accent sur le destin particulier de la fonction publique en Argentine. Historiquement, à la suite de la dictature militaire qui, dans sa période récente (1976-1983), s’est muée en bureaucratie autoritaire, les acteurs politiques manquaient to-talement de confiance dans toutes les couches de la bureaucratie existante : la fonction publique, même rénovée, a donc été ignorée, voire contournée, par la création d’une bureaucratie pa-rallèle. Dans le même mouvement, Ferraro souligne le déclin de la fonction publique professionnelle, remplacée par des emplois contractuels ou par d’autres formes d’embauches. Dans ce pays, le système des dépouilles a pris une importance majeure, avec les effets négatifs qui lui sont associés : du personnel en place sans expérience ni compétence particulière, des décideurs entourés de conseillers redevables, qui leur disent ce qu’ils veulent entendre, des échelons administratifs plétho-riques aux niveaux les plus hauts. Glo-balement, cet article illustre l’échec de la mise en place d’une fonction publique en Argentine.

Akira Nakamura e t Masao Kikuchi s’intéressent au Japon, dans le contexte de l’arrivée au pouvoir du parti historique d’opposition et de la critique croissante de la bureaucratie et de ses dirigeants. Les auteurs expli-quent comment les liens forts entre les groupes de pression, les politiques et les hauts fonctionnaires ont contribué à ce rejet. De la même manière, ils rap-pellent les erreurs majeures commises par l’administration centrale et les dos-siers de corruption. Cependant, ils sou-lignent aussi la taille réduite de l’admi-nistration japonaise, en comparaison avec celle des autres pays de l’ocdE,

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COMPTES RENDUS 141

Locke à propos des obligations person-nelles. Le vrai individualisme signifie qu’il n’existe pas d’autres moyens de comprendre un phénomène social que des actions individuelles orientées vers autrui et guidées par leur comportement attendu. Selon Peters, c’est dans cette perspective que Hayek a développé les notions d’« État minimal » et de « pro-priété privée ».

La croissance du néolibéralisme et les discours associés sur la nouvelle gestion publique ont produit un change-ment fondamental dans la façon dont les universités et les autres établissements d’enseignement supérieur ont défini et justifié leur existence. Dans un environ-nement néolibéral mondial, le rôle de l’éducation pour l’économie, du point de vue des gouvernements, est très im-portant, soulignant que l’enseignement supérieur est devenu le nouveau cheval de bataille des politiques publiques. Les universités dans ce modèle ont com-mencé à se soucier de leur réputation et sont devenues intolérantes aux critiques négatives. Ces politiques sont le résultat logique de la privatisation.

En commençant par le Chili en 1973, une autre étude de cas national, l’auteur rappelle que des administra-tions et des régimes politiques fondés sur un État minimaliste et un marché mondial ouvert ont été brutalement mis en place par la force et la coerci-tion, contre la règle de droit, et cela, de façon antidémocratique. Ce mode de fonctionnement imposé était très répandu dans les années 1980 à travers des « ajustements structurels » promus par le fmi et la Banque mondiale. L’au-teur explique comment les politiques néolibérales et néoconservatrices s’ap-pliquèrent dans un certain nombre de pratiques, qui pouvaient être définies

tout autre système. L’auteur nous dit que c’est le point qui doit être ciblé pour les recherches futures.

Le livre, divisé en une introduc-tion et dix chapitres, passe en revue cette ligne de pensée depuis ses ori-gines et ses fondements, pour arriver à son application dans l’éducation et l’analyse de cas nationaux particu-liers. Peters rapporte, par exemple, que l’éducation en Nouvelle-Zélande a été restructurée à travers les politiques du nouveau droit, dont il traite pendant trois chapitres. L’éducation dans ce pays est un exemple de la transforma-tion des institutions publiques par la mise en œuvre du néolibéralisme dans des États qui avaient des économies d’État-providence.

En début d’ouvrage, Peters fait référence aux créateurs idéologiques du libéralisme et aux théories que ceux-ci proposent. Le point de départ idéologique du néolibéralisme a été la création par Hayek, en 1947, de la Société du Mont-Pèlerin, qui visait à faciliter l’échange d’idées entre uni-versitaires, avec l’espoir de renforcer les principes et la mise en œuvre d’une société libre et d’étudier les forces et les faiblesses d’une économie orientée vers le marché. Pendant les années 1980, une branche du néolibéralisme est devenue le paradigme dominant de la politique publique. Selon l’auteur, cette transformation s’est manifestée principalement dans les domaines de l’éducation et de la politique sociale.

La nouvelle droite (New Right) reconnaît la primauté de la croyance dans l’individualisme comme principe unificateur et sous-jacent. Parmi les inspirateurs de la nouvelle droite, nous trouvons Hayek, Nozick et Macpherson, ainsi que les théories de Hobbes et de

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DROIT INTERNATIONAL

Le droit international humanitaire face aux défis du XXIe siècle

Abdelwahab biad et Paul tavernier, 2012, Belgique, Bruylant, 325 p.

(Collection du credho)

Provenant d’un désir de réfléchir sur les transformations constantes des deux branches du droit international, soit le droit des conflits armés et le droit international humanitaire, cet ou-vrage, dirigé par le professeur émérite Paul Tavernier et le maître de confé-rences Abdelwahab Biad, contient les Actes du colloque présenté en 2010 à Rouen par le crEdho (Centre de recherches et d’études sur les droits de l’Homme et le droit humanitaire) en coopération avec le crEdho Paris Sud. Comme l’énonce son titre, le fil conducteur qui sous-tend l’ensemble des communications est la réflexion portant sur l’évolution de la probléma-tique du droit international humanitaire au 21e siècle. L’ouvrage s’inscrit donc dans le champ du droit international et vise à enrichir, tout en réactualisant, les contributions liées au droit humani-taire. Tavernier et Biad le soulignent : tous les sujets ne peuvent être traités, et l’accent est mis sur certaines questions choisies, telles que le nouvel emblème de la Croix-Rouge, le développement de la Cour pénale internationale ainsi que l’importance de la prise en consi-dération des victimes des conflits armés. Quatre sections principales façonnent l’ouvrage : un rapport intro-ductif, une partie théorique, une partie portant sur les victimes et une dernière sur les nouveaux acteurs. Cette variété de contributions et de sujets offre au lecteur un tour d’horizon substantiel et une mise à jour indispensable dans un domaine comme celui-ci.

comme « le gouvernement du marché », afin de produire des citoyens respon-sables et susceptibles d’utiliser leurs propres compétences entrepreneuriales et d’autogouvernement. Ce chapitre s’appuie sur l’analyse de Foucault sur la gouvernementalité (governmentality) et sur la manière dont la promotion de la culture d’entreprise a marqué le néoli-béralisme et les politiques néolibérales ainsi que la Troisième Voie (Third Way).

En bref, le livre est un récit histo-rique sur l’éducation, sur le néolibéra-lisme en tant que concept et doctrine et sur les débats idéologiques qui l’ont vu naître. Comme il est déjà arrivé au cours de l’histoire, cette idée doit affronter des situations qui modifient l’état des choses. La crise qui a débuté aux États-Unis à la fin des années 2000, et qui s’est répandue par la suite au reste du monde, a ainsi été un moment clé. L’au-teur souligne que l’Amérique latine, en tant que lieu géographique où le néoli-béralisme s’est développé ces dernières années, a en fait pris un virage à gauche sous la consigne « rétablissons la justice sociale et la redistribution ».

Si l’auteur soutient que bon nombre des changements survenus sous le signe du néolibéralisme sont irréversibles en matière d’éducation, la « génération.net » est néanmoins, maintenant, dans la classe et dans l’économie du savoir. Et l’éducation est de plus en plus liée au bien-être et à la démocratie. Peters conclut que nous vivons aujourd’hui le retour de l’État-providence.

Raúl bernaL-mezaDonatela ORSI

Universidad Nacional del Centro de la Provincia de Buenos Aires

Argentine

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COMPTES RENDUS 143

Comme le souligne Tavernier dans la conclusion, le colloque est construit autour de deux grandes ques-tions, c’est-à-dire la question des sources du droit humanitaire ainsi que la question du contenu des règles du droit humanitaire. Notons, toute-fois, que les chapitres portant sur les victimes et sur les nouveaux acteurs proposent au lecteur un ancrage pra-tique de la discipline. Nous pouvons affirmer qu’il s’agit là de la force de cet ouvrage, qui est d’allier débats théoriques et questions pratiques. Signalons, également, que la variété des contributions n’est pas toujours de qualité égale, mais que cette diver-sité permet d’aborder un plus grand nombre de problématiques et, de ce fait, de viser un lectorat plus large. Dans la conclusion toujours, Taver-nier évoque qu’à elle seule la ques-tion des nouveaux défis nécessiterait un colloque en entier ; il aurait été tout de même intéressant de lire une contribution sur le sujet. Les questions climatiques et démographiques sont des sources de réflexion majeures (par leur influence sur le cas des réfugiés notamment) qui auraient ajouté subs-tantiellement à la valeur de l’ouvrage. Il s’agit somme toute d’une lecture importante pour tous les étudiants ou universitaires désirant porter une réflexion sur l’évolution actuelle de la discipline du droit international humanitaire.

Noémie Latendresse-desmaraisUniversité du Québec à Montréal

Dans la section intitulée « Pro-blèmes et réponses : les victimes », Mélanie Dubuy propose un texte por-tant sur les violences sexuelles faites aux femmes lors de conflits armés. Cette contribution est non seulement pertinente, mais aussi très éclairante. D’emblée, Dubuy brosse un tableau assez large de l’évolution historique de la notion du viol dans les écrits de la doctrine classique (à ce moment justifié dans la guerre), de Grotius et Gentili jusqu’aux derniers auteurs classiques, qui soulignent l’importance d’épargner les enfants, les femmes et les vieillards. Or, malgré le renforce-ment des conventions et des traités servant à protéger la population civile, la situation des femmes lors de conflits armés a empiré durant le 20e siècle. L’auteur conclut le chapitre par ce constat : malgré des avancées specta-culaires pour une meilleure juridiction et prévention des violences sexuelles commises envers les femmes lors de conflits armés, rien ne changera sans une évolution des mentalités. Pour sa part, Pierre Ferran, qui est colonel et chef de la section juridique opéra-tionnelle de l’État-major des armées, démystifie le concept d’adversaire irrégulier. En effet, lors d’une guerre dite irrégulière, on voit apparaître l’adversaire irrégulier (« adir »). L’adir fait référence à un acteur qui n’est pas militaire ou qui n’appartient pas à un État. Ce nouvel acteur fait fi des règles établies et cherche à tirer avantage de l’asymétrie du conflit. Plus encore, il s’oppose à l’adversaire conventionnel, ce qui amène Ferran à poser la question de la définition des catégories juri-diques. En effet, l’un des principaux défis concernant cette question est le fait que la qualification asymétrique ne possède aucune valeur juridique.

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encore aggravé la situation en rendant superflue une grande partie de la main-d’œuvre. Par ailleurs, comme le profit à tirer de la production industrielle tend à baisser, les capitalistes ne diminuent pas seulement les salaires et le nombre des travailleurs, ils deviennent aussi de plus en plus des financiers menant leurs affaires à une échelle globale. Cela ne signifie pas nécessairement une désindustrialisation, mais plutôt une délocalisation de l’industrie vers des pays où les profits sont plus avan-tageux, la main-d’œuvre abondante et bon marché, les règlements laxistes et la fiscalité accommodante. Le capital financier est le maître d’œuvre de cette délocalisation, comme il est le maître d’œuvre de formes d’investissement diversifiées et de plus en plus spécula-tives lui assurant des bénéfices élevés. Pour stimuler la demande, il a offert du crédit au-delà du raisonnable. Il a pris des risques exagérés parce que la pers-pective de profit était grande, du moins jusqu’au moment où les bulles qu’il a créées ont éclaté. Il a alors réclamé l’aide des États pour sauver les banques et autres institutions financières. Il a exigé et obtenu que soient socialisées ses pertes. C’est le contribuable qui en fin de compte doit payer, et ce sont les travailleurs qui doivent se serrer la ceinture, parce qu’ils seraient la cause de la crise, ayant exigé des salaires, des retraites, un filet de sécurité sociale ex-cessifs. C’est du moins ce que prétend l’idéologie capitaliste qui domine nos sociétés et que véhiculent les médias. Heureusement, les victimes du capi-talisme se mobilisent et travailleront à le remplacer par le socialisme. La crise sera pour le capitalisme ce que la chute du mur de Berlin a été pour le communisme.

ÉCONOMIE INTERNATIONALE

Beyond the Global Capitalist Crisis. The World Economy in Transition

Berch berberogLu (dir.), 2012,Burlington, vt, Ashgate, xvi + 201 p.

Cet ouvrage traite de la crise financière qui a débuté aux États-Unis à la fin de 2007 et qui, rapidement, est devenue une crise mondiale non seulement financière, mais aussi éco-nomique et sociale. Il s’y intéresse de façon générale, tout comme il examine les aspects particuliers que cette crise a pris aux États-Unis, en Amérique latine, en Chine, en Europe et plus précisément en Grèce. Beyond the Global Capitalist Crisis est écrit par des chercheurs qui, dans leur grande majorité, sont des sociologues dont le point de vue est résolument marxiste. Ces chercheurs tentent non seulement de comprendre les causes et l’ampleur de la crise, mais aussi de savoir quels seraient les bouleversements idéolo-giques, sociaux et politiques qui per-mettraient de répondre durablement à celle-ci. La crise est en effet présentée comme la conséquence de l’exploita-tion capitaliste ; et seulement des luttes de classe qui briseraient cette exploita-tion et dépasseraient le capitalisme et ses contradictions permettraient d’en sortir une fois pour toutes.

La crise actuelle est montrée comme une suite et un approfondisse-ment de toutes les autres qui secouèrent le système capitaliste. La cause primor-diale de toutes ces crises est la surpro-duction de biens et de services relati-vement à une demande insuffisante. Insuffisante du fait de l’exploitation de la main-d’œuvre et des bas salaires, et les avances de la technologie ont

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COMPTES RENDUS 145

période. Il reconnaît qu’elle réussit à soutenir la demande et donc à éviter la surproduction. Pourquoi, dans ce cas, ne pas préconiser de la rétablir ? Sans doute parce que le marxisme l’a condamnée et que cela vaut plus que les expériences historiques. Cinquiè-mement, la Chine est présentée comme une puissance rivalisant avec les États-Unis et offrant un modèle de dévelop-pement où l’État joue le premier rôle. L’analyse est bien menée, mais aucune réserve ou critique n’est formulée à l’égard de la Chine.

Bref, nous voyons dans cet ou-vrage une dénonciation vigoureuse du capitalisme, de ses crises et de la façon dont il réussit à faire porter par les États et les travailleurs ses faillites les plus évidentes. Mais le livre ne convainc pas quand il annonce la fin du capitalisme et les promesses du socialisme.

Joseph pestieau Cégep de Saint-Laurent

European Union Economic Diplomacy.

The Role of the eu in External Economic Governance

Stephen wooLcocK, 2012,Farnham, uK, Ashgate, xi + 205 p.

L’Union européenne est un acteur clé dans les relations écono-miques internationales, mais son rôle exact et le fonctionnement de son mécanisme de prise de décision sont souvent mal compris. Woolcock re-connaît lui-même que la politique extérieure économique peut souvent être considérée comme « complexe » et « frustrante », non seulement pour ceux qui sont en dehors du processus de prise de décision, mais même pour ceux qui en sont parties prenantes. Cet ouvrage permet précisément de mieux

On peut regretter quelques sim-plismes dans ce tableau. Cependant, s’il est tracé à grands traits, il a le mérite de la clarté. Il va surtout à l’es-sentiel et souligne les non-sens ou les contradictions du capitalisme. Surtout, il proclame l’injustice inhérente au capitalisme, sa culpabilité et celle des États qui le soutiennent. S’il est rafraî-chissant de lire un tel réquisitoire, il demeure un réquisitoire et la prédic-tion de la fin du capitalisme me paraît relever de la politique fiction.

Ce livre est critiquable à diffé-rents égards. Premièrement, il s’en tient au modèle marxiste, ce qui ne signifie nullement qu’il soit erroné, mais plutôt qu’il se limite souvent à des généralités. Il apparaît à quelques occasions prisonnier de ce modèle, mais les néolibéraux aussi sont prison-niers de leur modèle. Ils sont peut-être plus fins dans leurs analyses, mais ignorent volontiers les coûts sociaux de l’économie qu’ils promeuvent. Deuxièmement, le livre qui est ici recensé voit poindre des promesses ré-volutionnaires dans la société actuelle souffrant de la crise. Je suis beaucoup plus réservé qu’il ne l’est à ce sujet. Ce qui me frappe surtout, c’est l’absence de révolte et de critique radicales contre le capitalisme dans les pays en crise, à commencer par les États-Unis, où la polarisation des revenus et les abus financiers sont pourtant criants. Si on y trouve une révolution qui réussit, c’est plutôt celle du Tea Party. Troisiè-mement, il compte sur une révolution socialiste pour résoudre les problèmes que crée le capitalisme, ce qui me paraît naïf au vu des expériences histo-riques. Quatrièmement, un des auteurs reconnaît le succès de la social-dé-mocratie des trente glorieuses, bien qu’il se trompe sur la datation de cette

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Après avoir énoncé ces facteurs, l’auteur reconnaît qu’ils varient en importance selon la problématique particulière à l’étude. Par exemple, la taille économique relative de l’Union européenne est soulignée comme un facteur particulièrement déter-minant pour le succès éventuel des négociations, en particulier dans les négociations commerciales, même en l’absence d’une volonté d’user de cet avantage. Il souligne aussi que l’auto-nomie du négociateur affecte la forme du résultat final en limitant, voire potentiellement en compromettant, le processus de négociation.

Une des thèses originales de Woolcock est que l’uE peut être consi-dérée comme un « soft power » (puis-sance douce) économique. Une telle assertion est avancée parce que le large consensus libéral sur lequel se fonde une intégration plus profonde est incompatible avec les politiques qui pourraient en faire un « hard power » (puissance dure), par exemple en uti-lisant la menace de la fermeture du marché comme moyen de chantage.

L’analyse est étayée par un grand nombre de données qui facili-tent la compréhension du lecteur, à partir de schémas de base de la prise de décision de l’uE. Il y a ainsi des diagrammes utiles des structures des organisations impliquées dans ces domaines complexes, ainsi que des graphiques décrivant les processus par lesquels les décisions sont prises.

D’une manière générale, c’est un texte qui servira de point de référence incontournable pour l’enseignement avancé sur l’intégration européenne, en plus de servir de base extrêmement précieuse pour les chercheurs. On res-sent que le livre est le fruit d’années

s’y retrouver. Il sera apprécié aussi bien par les praticiens que par les po-litologues, juristes et économistes qui essaient de comprendre les structures « byzantines » de l’uE.

Divisé en sept chapitres, le livre vise à décrire la façon dont l’uE mène une diplomatie économique, à évaluer les facteurs qui déterminent le rôle qu’elle joue dans différents domaines et à offrir une méthode d’analyse de l’ef-ficacité de sa diplomatie économique.

Cet ouvrage commence par don-ner un aperçu du rôle de l’uE dans la diplomatie économique externe avant d’offrir un cadre d’analyse. Après avoir exposé les principales idées conceptuelles, le livre progresse vers une enquête sur le commerce exté-rieur de l’uE et la prise de décision à cet égard, s’intéresse à l’Union euro-péenne en matière de réglementation financière internationale, à la politique européenne dans le domaine de l’envi-ronnement extérieur, puis à la politique de développement de l’uE. Enfin, au dernier chapitre, l’auteur relie et syn-thétise les thèmes et les arguments clés.

Stephen Woolcock soulève un certain nombre de questions : Quand et où l’uE joue-t-elle un rôle de pre-mier plan ? Quand l’uE exerce-t-elle un pouvoir normatif dans les relations économiques extérieures ? L’uE a-t-elle la capacité et la volonté d’utiliser son pouvoir économique ?

Pour répondre à ces questions, Woolcock avance un certain nombre de variables explicatives, comme des facteurs systémiques et des facteurs externes d’action dans un domaine don-né : les intérêts des États membres, les intérêts sectoriels et le niveau de déve-loppement de l’acquis communautaire dans le domaine spécifique envisagé.

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COMPTES RENDUS 147

.de recherches menées par l’un des plus grands spécialistes dans le domaine. Pourtant, l’ensemble reste très lisible et il sera utile pour tous ceux qui veu-lent s’y retrouver dans l’incroyable complexité de la politique économique extérieure de l’uE.

René schwoKDépartement de science politique

et Institut européen de l’Université de Genève

HISTOIRE ET DIPLOMATIE

The South Tyrol Question, 1866-2010. From National Rage

to Regional State

Georg grote, 2012,Berne, Peter Lang, 190 p.

Cet ouvrage est l’une des rares études en anglais sur le Tyrol du Sud, territoire qui, dans l’Italie contem-poraine, correspond à la province de Bolzano/Bozen dont la majorité est germanophone. Georg Grote retrace l’histoire politique de cette région qui est passée de l’Autriche à l’Italie après la Première Guerre mondiale et qui a par la suite défié, quelquefois violemment, les stratégies d’intégration de l’État ita-lien. Il utilise à bon escient une gamme intéressante de sources primaires afin de documenter les positions variées et changeantes de la communauté ger-manophone du Tyrol du Sud ainsi que celles de l’Italie, de l’Allemagne et de l’Autriche à l’égard du statut politique de la région. L’auteur démontre une ex-pertise incontestable du cas sud-tyrolien pour lequel il offre une analyse étoffée mettant l’accent sur les transformations du mouvement autonomiste et des poli-tiques d’intégration de l’État italien.

Les premiers chapitres du livre portent sur la transition entre les pé-riodes autrichienne et italienne du

Tyrol du Sud. L’auteur explique que l’incorporation de ce territoire à l’Ita-lie en 1920 laissait à sa population germanophone bien peu d’espoir que son identité soit respectée. De fait, la montée au pouvoir de Benito Mussolini a entraîné d’agressives politiques d’ita-lianisation au Tyrol du Sud qui visaient à réduire, sinon à éliminer, la culture al-lemande de la région. Le chapitre 5 est particulièrement intéressant, car Grote y discute de la dynamique particulière de la relation entre l’Italie fasciste et le troisième Reich autour du Tyrol du Sud. L’auteur explique que, malgré ses objectifs d’unification de la nation allemande, Hitler a choisi d’accepter la souveraineté italienne sur le Tyrol du Sud afin de conserver son alliance avec Mussolini. Une option fut pourtant pré-sentée aux Tyroliens du Sud, soit celle de quitter la région pour le Reich alle-mand. Ceux qui ne voulaient pas partir allaient devoir vivre avec les politiques d’italianisation de Mussolini.

Les chapitres suivants portent sur la période débutant avec la fin de la Seconde Guerre mondiale. Grote explique que les promesses non te-nues d’autonomie pour le Tyrol du Sud, suivies d’un retour à des poli-tiques d’italianisation, ont provoqué un mouvement d’opposition violent mené par le Südtiroler Volkspartei (svP) qui a tenté pendant les années 1960 de changer la situation politique de la région par des attentats. L’auteur avance un argument intéressant pour expliquer le déclin de la violence et la normalisation de la situation vers la fin des années 1960 et au début des années 1970. Selon lui, le procès de membres du svP soupçonnés d’at-tentats violents a eu comme double conséquence d’exposer une vulnéra-bilité de l’État italien et de propager

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ENVIRONNEMENT

The Water-Energy Nexus in the American West

Douglas S. Kenney et Robert wiLKinson (dir.), 2011,

Northampton, ma, Edward Elgar, 274 p.

Produire de l’énergie consomme souvent de l’eau, selon le processus mis en place ; transporter et transfor-mer l’eau pour ses multiples usages consomme de l’énergie. C’est cette relation à double sens que les auteurs ont voulu explorer dans cet ouvrage collectif. La question est particuliè-rement pertinente dans les régions où l’approvisionnement en eau est problématique : Y produire une éner-gie fortement consommatrice en eau est-il pertinent au regard des autres besoins ? Dans quelle mesure certains projets d’alimentation en eau, qui sup-posent le transport de volumes d’eau importants sur de grandes distances et consomment donc beaucoup d’éner-gie, sont-ils réellement des options viables sur le long terme ?

Cet ouvrage n’est pas le seul à jeter un éclairage sur la relation entre eau et énergie. On peut mentionner, no-tamment, Water and Energy, de Gustav Olsson, paru en 2012, ainsi que Eau et énergie : destins croisés, de Gilles Gue-rassimoff et Nadia Maïzi (dir.), publié en 2011. Mais le sujet demeure relati-vement peu abordé dans la littérature. Il est toujours traité sous un angle national et suscite peu la réflexion quant à sa dimension internationale. C’est parti-culièrement vrai pour l’ouvrage recensé ici, centré sur l’Ouest américain.

Plusieurs chapitres sont très techniques, notamment ceux qui por-tent sur l’eau produite lors de l’exploi-tation du méthane dans les veines de

à l’échelle nationale et européenne le sort de la communauté minoritaire germanophone. Les pressions issues de ces changements ont rendu possible la réforme de 1972 consacrant une autonomie politique pour la province de Bolzano/Bozen. Cette autonomie a été renforcée par un amendement constitutionnel en 2001.

Les derniers chapitres du livre dis-cutent des récents développements poli-tiques dans cette province, notamment le défi que représentent la normalisation et l’atteinte d’une autonomie confortable pour l’unité et l’hégémonie du svP, et ils offrent quelques réflexions sur la mé-moire collective au Tyrol du Sud.

Ce livre pourrait être d’une grande utilité pour les chercheurs qui étudient les mouvements nationalistes et ré-gionalistes, et ce, pour au moins deux raisons. Premièrement, le Tyrol du Sud représente un cas où la mobilisa-tion s’est estompée après que certains accommodements eurent été mis en œuvre. Cette situation laisse voir un fort contraste avec les cas européens plus connus (et, il faut le dire, plus clairement nationalistes), tels la Flandre, l’Écosse, le Pays basque et la Catalogne. Décou-vrir les raisons profondes de ce contraste pourrait ajouter aux connaissances sur les mouvements nationalistes et régio-nalistes. Deuxièmement, le Tyrol du Sud est aussi un cas où un mouvement devenu violent a été pacifié. Dans ce contexte, une comparaison avec le Pays basque et l’Irlande du Nord pourrait s’avérer fructueuse afin de comprendre comment peuvent s’opérer les processus de normalisation dans les États où des mouvements visant une forme d’autodé-termination ont pris les armes.

André LecoursÉcole d’études politiques

Université d’Ottawa

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COMPTES RENDUS 149

moins générateurs de gaspillage, en encourageant les transferts du secteur agricole vers les secteurs industriel et urbain, en développant des incitations à l’économie d’eau.

Une dernière partie de l’ouvrage aborde des questions d’ordre mana-gérial : Comment se structure le pro-cessus de décision dans ces dossiers d’infrastructures ou d’aménagement du territoire où le lien très fort entre ges-tion de l’eau et de l’énergie se trouve souligné ? Quelles sont les difficultés administratives, politiques, de planifi-cation économique, qui complexifient le processus de prise de décision ? Mal-heureusement, les réflexions présentées ici sont essentiellement exploratoires. Elles posent les jalons de recherches à mener, mais ne sont pas vraiment accompagnées d’une analyse générale des processus de décision. On relève aussi l’absence de conclusion générale.

Bref, il s’agit ici d’un ouvrage à vocation régionale (l’Ouest des États-Unis) qui aborde une problématique d’aménagement et de gestion des res-sources sans dimension internationale – ce qui ne la rend pas inintéressante pour autant. Il est à parier que la com-plexité croissante de l’approvision-nement en eau dans cette région, les pressions économiques et politiques pour la mise en exploitation de res-sources énergétiques nouvelles aux États-Unis – biocarburants, classiques (maïs) ou de 2e, voire de 3e génération, gaz et pétrole de schiste – mettront pro-chainement davantage l’accent sur ces questions du lien entre eau et énergie.

Frédéric LasserreDépartement de géographie

Université Laval

charbon, ceux qui traitent du potentiel électrique de la puissance solaire ther-mique et ceux qui se concentrent sur la nouvelle génération de biocarburants. D’autres sont plus généraux ou plus politiques dans les problématiques abordées, comme le lien entre l’ex-ploitation du pétrole de schiste, les be-soins en eau très importants que sup-pose ce type d’extraction et les quotas d’eau sur le bassin du Colorado entre États fédérés ; deux autres abordent la question des quantités d’énergie très grandes que les transferts d’eau sur de grandes distances exigent. Le Central Arizona Project, notamment, qui permet à l’Arizona de distribuer sur son territoire son quota d’eau du Colorado, a demandé la construction d’une importante centrale thermique pour le seul pompage des volumes distribués, dont la plus grande partie est destinée à l’agriculture irriguée. Avec la tendance à l’augmentation des prix de l’énergie et l’urgence de ré-duire l’impact des gaz à effet de serre, les auteurs soulignent la nécessité de prendre plus activement en compte ce coût énergétique et environnemental des transferts massifs d’eau. D’autres solutions existent, tant dans le do-maine de la gestion de l’offre que dans celui de la gestion de la demande. On peut, tout d’abord, produire de l’eau grâce aux techniques du dessalement et du recyclage, longtemps très éner-givores, mais aujourd’hui nettement plus abordables grâce à la percée des techniques d’osmose inverse. Cepen-dant, cette technologie demeure trop chère pour l’eau destinée à l’irriga-tion – en partie parce qu’elle n’est pas compétitive, dans l’Ouest américain, par rapport à l’eau subventionnée des grands projets de transferts massifs. Il est aussi possible de gérer la demande, par exemple en favorisant des usages

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Ainsi, Paul Bacot présente une étude sur le lexique des catégories d’États avec quelques filtres syntag-matiques ; appellations d’apparence géographique qui cachent des distinc-tions d’ordre politique, économique ou stratégique et qui cristallisent des enjeux sociaux par leur formulation.

Jean-François Rioux nous en-traîne dans la problématique de « la pacification de l’État : indicateurs, sources et conditions ». En dehors de la hausse du niveau de vie, du déclin démographique et de la sécularisation en Occident – qui ont une grande im-portance à partir du 17e siècle dans la baisse de la violence et que l’auteur n’aborde pas ‒, la pacification de l’État (celui perçu comme « fauteur de guerre et monstre de répression ») semble dis-paraître au profit d’une vision où l’État démocratique et libéral est un facteur de paix dans les Relations internatio-nales. Pour l’auteur, le constat est que, si le monopole de l’État sur la violence légitime a augmenté, le résultat n’a pas été celui d’une hausse de la violence. Ce sont les facteurs politiques conjonc-turels et structurels qui ont permis l’émergence de l’État pacifié moderne. L’État a étouffé la violence civile dans les sociétés occidentales avec pour preuve la baisse phénoménale des ho-micides privés, de la violence politique à caractère religieux ou aristocratique. L’explication tiendrait à la fois aux changements socioculturels – la fa-meuse « civilisation des mœurs » ‒, au renforcement de l’autorité étatique monarchique, à la professionnalisation de la justice qui devient punitive plutôt que compensatrice (réparation moné-taire) mais aussi à la fin du mercena-riat. Certes, la violence était toujours prégnante, mais de moins en moins légitimante, et la pacification étatique

ÉTUDES STRATÉGIQUES ET SÉCURITÉ

États et sécurité internationale

Josiane tercinet (dir.), 2012,Bruxelles, Bruylant, 298 p.

(Études stratégiques internationales)

Cet ouvrage a été réalisé autour des travaux du 15e colloque de l’Asso-ciation France-Canada d’études stra-tégiques qui s’est tenu à Grenoble en octobre 2010. Cette association est née en 1995 par institutionnalisation de contacts informels entre chercheurs et universitaires des deux rives de l’Atlan-tique. Les liens engagés et enrichis ont permis de publier une série d’ouvrages dont les derniers le furent dans la col-lection « Études stratégiques internatio-nales » des établissements Bruylant, gé-rés actuellement par Larcier, dépendant lui-même des éditions De Boeck.

L’ouvrage dirigé par la profes-seure Tercinet, à qui l’on vient de rendre hommage en fin de carrière et après de nombreuses publications de référence, est structuré en deux grandes parties : la mise en question de l’État (compre-nant des contributions sur le question-nement sur l’État et sur l’État remis en cause de l’extérieur) et des États en question (intégrant des articles sur les États problèmes et les États entre fragilité et défaillance). Bien entendu, comme pour tout ouvrage collectif, chacun y trouvera matière à réflexion autant que de critique sur le caractère inégal des contributions, mais c’est un truisme de l’écrire au vu de ce type de livre. Relevons qu’il n’existe pas de bibliographie finale sur la thématique de l’État, mais des bibliographies spé-cifiques dans quelques contributions. L’absence d’harmonisation n’empêche aucunement cet ouvrage agréable à lire de contenir d’utiles développements.

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COMPTES RENDUS 151

Les autres contributions exami-nent de différentes manières le poids et la place de l’État. Ainsi en est-il d’Yves Jeanclos, qui traite de la parcellisation des États avec le jeu entre, d’un côté, les petits ou les micro-États avec leurs « armées d’opérette » et, de l’autre, les pays protecteurs et « suzerains », le référentiel médiéval assez original étant présent dans l’argumentaire avec de nombreux exemples contemporains. Il s’agira pour Daniel Collard d’examiner les limites du système de sécurité in-terétatique, la nouvelle approche de la sécurité internationale et les nouveaux mécanismes de la sécurité coopérative (onu) et de la gouvernance interna-tionale : le vieux continent devenant ainsi un laboratoire, entre Conseil de l’Europe, Union européenne, oTAn et cscE/oscE. En dehors d’études de cas sur les entreprises militaires et de sécurité privée (Thierry Garcia) comme éléments révélateurs de l’inadaptation du droit international et des droits in-ternes, l’ouvrage aborde les « États pro-blèmes » et les États fragilisés avec des contributions sur Israël (Jean-François Guilhaudis), la Slovaquie (Stanislav J. Kirschbaum), l’Iran (Pierre Pahlavi), le Liban et la Somalie (Josiane Tercinet et Louis Balmond), le Yémen (Houchang Hassan-Yari), le Tchad et le Soudan (Abdelkérim Ousman), la piraterie (Michèle Bacot-Décriaud), mais aussi le Moyen-Orient vu avec des lunettes constructivistes (Ali G. Dizboni). Re-levons aussi la contribution particulière de Geslin sur l’État et la sécurité en-vironnementale et qui développe des notions originales comme celles de « défaillance environnementale des États », « d’ingérence écologique », « d’opérations de maintien de la paix environnementale » ou du « droit à l’anthropocène ». Assurément, si l’ou-vrage dirigé par Josiane Tercinet ne

interne a fait de sérieux progrès ces trois décennies, par exemple en Europe ou en Amérique latine. La pacification du système international est en route, certes avec de nombreuses exceptions et retours en arrière, mais la tendance lourde demeure « visible ». Pour ex-plication, Rioux rejette celle sur l’hé-gémonie américaine, comme celle sur l’obsolescence de l’État (Auguste Comte, Kenichi, Beck) pour mettre plutôt en évidence la paix nucléaire par la dissuasion, les négociations des organisations internationales (Russet) ou la consolidation de l’État (Holsti), nonobstant le fait que cette hypothèse n’a pas encore été vérifiée de façon historique et comparative. Reste l’ap-proche matérialiste et surtout culturelle (Weber, Elias) associant à la carte la bourgeoisie, les intellectuels, certains monarques, les antimilitaristes qui ont pu soutenir la pacification de l’État et qui amènent bien des études dans les champs constructivistes, libéralistes et postmodernistes. Rioux aborde aussi l’hypothèse kantienne en ce qu’au final celle-ci, incarnée dans la démocratie représentative, favoriserait la paix par le culturel (habitus et apprentis-sage de la résolution des conflits) et processus décisionnel ouvert. Le lien entre démocratie et paix serait inscrit et serait à considérer comme un phé-nomène à long terme, y compris dans les politiques intérieures. Les normes libérales vont d’ailleurs se répandre en dehors de la sphère occidentale. Quant aux facteurs économiques (commerce, prospérité, capitalisme) associant aussi Kant, il se pourrait qu’ils soient éga-lement des facteurs de stabilité et de non-belligérance. Et notre auteur déve-loppe en final ses critiques des adeptes de « l’apocalypse d’un nouveau Moyen Âge » (Kaplan, Minc, Van Creveld).

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peut aborder la totalité de la réflexion sur l’État, les approches présentées ici peuvent alimenter la réflexion transver-sale sur les rapports entre États et sécu-rité internationale et aider l’étudiant à s’ouvrir à ces problématiques toujours renouvelées.

André dumouLinUniversité de Liège

Le militaire en opérations multinationales. Regards croisés

en Afghanistan, en Bosnie, au Liban

Delphine resteigne, 2012, Bruxelles, Bruylant, 292 p.

À contre-courant de l’opinion largement répandue selon laquelle l’organisation serait une réalité exté-rieure susceptible de se fixer des ob-jectifs propres et d’exercer un pouvoir sur ses membres, Delphine Resteigne a plutôt adopté une approche qui consiste à mettre l’accent sur les rap-ports sociaux et les contextes d’action qui s’établissent dans l’organisation et, par là, sur les individus qui la com-posent. C’est en cela que son étude est originale et qu’elle enrichit les études internationales.

Le livre se penche sur la dimen-sion structurelle et culturelle des orga-nisations militaires regroupées en al-liances ou task forces avec une culture organisationnelle pour observer les in-teractions sociales en Bosnie, au Liban et en Afghanistan. Aux forces armées ont été ainsi assignés de nouveaux rôles professionnels qui font d’eux des spécialistes dans la gestion des crises au sens large. Ce phénomène est faci-lité entre autres par la révolution tech-nologique. En effet, celle-ci a entraîné des changements dans l’organisation militaire avec un personnel de plus en

plus spécialisé. On passe ainsi d’une armée de circonscrits à une armée de métier. L’auteure analyse la participa-tion de l’armée belge sur trois théâtres d’opérations, en Afghanistan, au Liban et en Bosnie-Herzégovine.

En Afghanistan, l’une des parti-cularités de la mission internationale de paix est la création des équipes de reconstruction provinciale. Il y en avait 26 en janvier 2009. D’après la définition de l’oTAn, « ce sont de pe-tites équipes de personnels civils et mi-litaires internationaux travaillant dans les provinces afghanes pour contribuer à étendre l’autorité du gouvernement central et créer des conditions de sécu-rité et de sûreté plus favorable à la re-construction ». Toutefois, si les aspects civils et militaires semblent avoir le même poids, dans les faits les éléments civils ne rassemblent qu’un très faible effectif. Chaque équipe de reconstruc-tion provinciale compte généralement, selon l’auteure, 5 à 10 % de civils. Ce qui veut dire que les tâches de recons-truction sont confiées à des militaires qui s’occupent de tâches plutôt réser-vées aux humanitaires.

Au Liban, la mission de l’onu qui a été créée en 1978 a vu son man-dat renforcé après les évènements de l’été 2006. Cette mission ressemble à une mission de maintien de la paix classique, tout en mettant l’accent sur les spécificités de chaque équipe en veillant à y encourager le développe-ment d’un certain esprit de cohésion.

En Bosnie-Herzégovine, enfin, le but de l’opération était de contribuer à assurer un environnement sécurisé et de continuer les engagements pris dans le cadre des accords de Dayton-Paris. L’opération militaire Althea menée par l’Eufor (European Union Force) a été

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COMPTES RENDUS 153

les référents théoriques se sont plutôt matérialisés progressivement au cours des différentes étapes de la recherche. Ainsi, les perspectives théoriques sont présentées en tant que possibilités. Le résultat, c’est que la structure théorique de l’ouvrage est quelque peu indiffé-renciée et qu’il plane un doute sur les possibilités théoriques les plus utiles à l’analyse de l’auteure. L’écueil de cette approche est qu’elle produit une expli-cation « surdéterminée de la réalité » et entretient le flou sur l’explication la plus importante.

Sur le plan méthodologique aussi, en allant à l’opposé de l’approche posi-tiviste et en choisissant une méthodo-logie « all over the place », c’est-à-dire démesurée et où les référents théoriques sont choisis progressivement au cours des différentes étapes de la recherche, elle rend la généralisation impossible et l’accumulation du savoir difficile.

Enfin, sur le plan empirique, les extraits de quelques entrevues mon-trent ce qui explique l’échec ou en tout cas les difficultés des opérations de paix dans des contextes lointains :

C’est un système arriéré, à l’afri-caine […] Lors d’une précédente mission onu, par exemple, quand je devais avoir un véhicule, je devais demander à New York (p. 200). Le plus difficile, quand on travaille à l’international, c’est de s’habituer aux différentes mé-thodes de travail […] Les pays européens sont plus proches de nous […]. Les Ghanéens et les Indiens, ils ont des approches dif-férentes, par rapport aux officiers par exemple… chez eux, il y a des castes qui existent, une forte hié-rarchie (p. 203). Le pire, ce sont les Indiens car ils nettoient leur

lancée le 2 décembre 2004. Sur le plan des pratiques professionnelles, les mili-taires ont adopté des comportements ri-tualistes et la vie de tous les jours y était essentiellement rythmée par le travail, les moments de loisir, les contacts vir-tuels avec la famille et les repas puisque le niveau d’alerte était peu élevé.

Dans tous les cas étudiés, il ap-paraît en filigrane que les contacts avec les populations locales étaient souvent difficiles, voire inexistants, en raison de la connaissance insuffisante de la culture locale par les acteurs de la paix. En Belgique par exemple, souligne l’auteure, une formation culturelle est enseignée pendant la période de préparation, mais elle se résume à une seule journée d’initiation à la culture du pays de déploiement et à quelques exercices et jeux de rôles réalisés lors de la période de préparation.

Le livre de Delphine Resteigne possède plusieurs qualités, tant sur le plan théorique, méthodologique qu’empirique. Sur le plan théorique d’abord, l’auteure va à contre-cou-rant des études organisationnelles en insistant sur les contextes d’action et les rapports sociaux plutôt que sur les structures. Sur le plan méthodolo-gique, elle innove en empruntant une approche à l’opposé de la démarche positiviste, qui est déductive. Elle a privilégié des allers-retours successifs entre la formulation d’hypothèses et des séjours sur le terrain. Enfin, sur le plan empirique, elle a réalisé du terrain remarquable dans différentes aires géographiques et a eu accès à des lieux et à des acteurs que peu de chercheurs fréquentent en faisant de l’observation participante et de la collecte de données et d’entrevues. Reisteigne n’a donc pas mobilisé une théorie déterminée, mais

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à Obama, après La doctrine Obama. Fondements et aboutissements (PuQ). L’auteur nous rappelle que l’illustre comité suédois avait remis cette pres-tigieuse récompense au président des États-Unis peu après qu’il eut décidé (au printemps 2009) de renforcer l’ef-fectif militaire dont son pays disposait en Afghanistan. Washington, qui en-tendait se libérer progressivement de l’hypothèque irakienne (ses dernières troupes devant quitter ce territoire à la fin de l’année 2011), estimait ainsi que le conflit afghan constituait une « guerre de nécessité » (p. 19). Une telle stratégie ne négligeait pas pour autant la voie diplomatique ; à la suite de l’opération visant à éliminer Osama Ben Laden, Washington put envisager pleinement des négociations avec la mouvance talibane afghane.

Tout comme George W. Bush, Barack Obama ‒ tandis qu’il cher-chait à convaincre ses concitoyens de l’importance de l’enjeu afghan dans la promotion de la paix et de la sécurité mondiales ‒ instrumentalisa l’impact encore vivace des événements du 11 septembre 2001 sur les mentalités col-lectives dominantes américaines. Au demeurant réaliste, il ne voulait pas de rupture trop nette avec l’ère Bush. Tou-tefois, son approche et le cadre théo-rique dont il usait différaient de ceux de son prédécesseur. Washington se devait de revenir à son objectif initial, à sa-voir la lutte à l’encontre du terrorisme international et tout particulièrement le démantèlement d’Al-Qaida.

L’ancien chef de la Maison-Blanche s’était appuyé sur l’analyse néoconservatrice de la scène interna-tionale qui l’avait notamment auto-risé à appréhender les drames du 11 septembre 2001. Son successeur se fondait, selon nombre d’analyses, sur

nez tous les matins. C’est comme certains Africains […] Et, au ni-veau de l’utilisation des toilettes, certains Asiatiques mettent les pieds sur la lunette du wc quand ils vont aux toilettes ! (p. 204). Ce qu’il faut retenir de ces

quelques extraits d’entrevues, c’est que la première leçon, peut-être, à enseigner aux acteurs de la paix, c’est l’altérité et l’ouverture à la différence pour une meilleure efficacité et une meilleure efficience des opérations de paix.

Papa Samba ndiaye Université Gaston Berger de Saint-Louis

Sénégal

ANALYSE DE POLITIQUE ÉTRANGÈRE

L’Afghanistan. La guerre d’Obama

Gilles vandaL, 2012,Outremont, Athéna, 262 p.

Dans son article Obama, bof ! daté du 28 octobre 2012 que le res-pecté quotidien français (de centre gauche) Le Monde a publié, Hervé Kempf ose une comparaison en forme de boutade : On avait, souligne-t-il, retiré au cycliste Lance Armstrong ‒ qui s’était livré au dopage ‒ les sept maillots jaunes consécutifs qu’il avait remportés alors qu’il concourait au tour de France. Ne devait-on pas frapper Barack Obama d’une sanction similaire, en lui retirant le prix Nobel de la paix qui lui avait été remis au lendemain de son arrivée à la Mai-son-Blanche ? Son (premier) mandat, conclut le journaliste, ressemblait pourtant à une suite de reniements.

C’est, en tout état de cause, sur le thème de ce prix Nobel que Gilles Vandal entame le second ouvrage qu’il consacre, en cette même année 2012,

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COMPTES RENDUS 155

du conflit afghan. De même Vandal retrace-t-il les débats d’idées et polé-miques qui divisèrent décideurs civils et militaires à Washington, alors que d’aucuns craignaient que l’Afghanis-tan ne constituât un second bourbier vietnamien. Le lecteur occidental, peu familier des ouvrages univer-sitaires, appréciera le style simple (presque journalistique, diraient les critiques, attachés aux ouvrages dits scientifiques) que le politologue em-ploie. Le lectorat issu d’autres régions du monde, comme le Pakistan ou l’Afghanistan, ne pourra sans doute cacher son indignation face à une étude qui fait peu de cas de ce qu’il nomme une invasion, laquelle influera durablement sur son avenir. Gilles Vandal fait, il est vrai, œuvre de poli-tologue, lorsqu’il examine la stratégie d’une première puissance mondiale dont les forces armées se sont ‒ une nouvelle fois ‒ aventurées en dehors des frontières nationales.

Nous ne pouvons toutefois nous empêcher de nous demander si l’auteur ne pèche pas par un excès d’optimisme quand il conclut à la probable victoire étasunienne en Afghanistan. Rappelant qu’il entreprit sa carrière universitaire en se penchant sur la période de re-construction qui suivit la guerre civile américaine, Gilles Vandal, pour sa part, souligne que les manuels scolaires et les mentalités collectives dominantes à travers le monde se contentent de re-tenir la seule victoire du Nord, oubliant le long conflit asymétrique qui suivit la guerre de Sécession et qui fit des milliers de victimes.

Nathalène reynoLdsCentre d’études asiatiques

Institut de hautes études internationales et du développement

Genève

un prestigieux théoricien étatsunien qui était alors presque tombé dans l’oubli : Reinhold Niebuhr (1892-1971). Ce der-nier avait vanté sept principes essentiels à toute action politique : « l’esprit de compromis », « le réalisme moral », « la nécessité du pouvoir », « les limites morales de l’action politique », « l’hu-milité », « une action politique respon-sable » et, enfin, « la fermeté réaliste jointe à l’espérance » (p. 200).

Obama estimait que la capacité des États-Unis d’influer, seuls, sur les destinées mondiales était désormais li-mitée, d’où la nécessité d’une approche multilatérale qui conduirait à la mise en œuvre d’un « ordre mondial plus stable » (p. 199). Le Président n’en souhaitait pas moins remettre à l’honneur l’enjeu de la responsabilité qui revenait à la pre-mière puissance mondiale ; il entendait, ce faisant, présider au renouveau d’un leadership que Washington continuait tant bien que mal d’exercer. Tout comme Niebuhr, il était cependant opposé à tout exceptionnalisme américain.

Gilles Vandal, professeur titu-laire à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke, em-prunte le titre de son étude à de nom-breuses publications journalistiques. L’Afghanistan. La guerre d’Obama succède en quelque sorte à une interro-gation que le politologue a explorée : celle de la définition d’une doctrine Obama que la Maison-Blanche s’était soigneusement abstenue d’évoquer.

L’étude qui nous est ici proposée comprend sept chapitres, tandis que l’auteur nous offre en notes de bas de pages une abondante bibliographie, témoignant des questionnements que suscitèrent tant la politique étrangère que choisissait Obama que sa gestion

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156 Études internationales, volume xlIv, no 1, mars 2013

Concrètement, avant les années 1990, l’uE n’avait des relations qu’avec une petite dizaine d’autres organisations régionales. Aujourd’hui, on en compte une vingtaine. De plus, d’autres organi-sations régionales comme l’AsEAn ont noué des relations avec d’autres orga-nisations régionales. Par exemple, cette dernière en a établi plus d’une dizaine sur tous les continents.

Dans les années 1980, le dy-namisme économique de l’Asie de l’Est attira l’attention des dirigeants européens. La publication en 1994, par la Commission européenne, de sa communication intitulée « Vers une nouvelle stratégie asiatique », puis la première réunion de l’AsEm (Asia-Europe Meeting) à Bangkok en septembre 1996 enclenchèrent une dy-namique paneuropéenne de l’uE en vue d’entamer un dialogue avec la région panasiatique, considérablement moins structurée en termes d’institutions.

Cependant, durant ces dix an-nées de pratique, l’AsEm ne s’est pas montré à la hauteur des attentes ini-tiales sur l’interrégionalisme, considé-ré pourtant comme un élément dans la gouvernance mondiale et multilatérale à plusieurs niveaux.

Du côté européen, cela vient des tensions persistantes entre l’intergou-vernementalisme et le supranationa-lisme en tant que modus operandi de l’Union européenne. Du côté asia-tique, cela démontre l’absence d’une région asiatique cohérente avec la-quelle l’uE pourrait dialoguer.

Mathew Doidge prévoit que l’in-terregionalisme devrait se maintenir. D’abord, parce que le réseau de rela-tions interrégionales s’est étendu de manière significative durant ces quatre

RÉGIONALISME ET RÉGIONS EUROPE

The European Union and Interregionalism

Mathew doidge, 2011,Farnham, uK, Ashgate, 217 p.

The European Union and Inter-regionalism est l’étude de l’interré-gionalisme la plus complète à ce jour. Cet ouvrage de Doidge fournit en effet une analyse approfondie du rôle et des fonctions de l’interrégionalisme dans l’architecture de la gouvernance mondiale, ainsi que de la place des dif-férences qualitatives entre les acteurs régionaux dans le façonnement des relations interrégionales.

Pour mémoire, l’interrégiona-lisme décrit les relations institutionna-lisées entre deux ou plusieurs régions du monde. Ce phénomène qui s’est accentué au cours de ces dernières années concerne principalement les trois grandes zones économiques que sont l’Europe, l’Amérique du Nord et l’Asie, à travers l’intensification de leurs relations qui se reflète dans la création de nouvelles organisations interrégionales.

Bien que les premiers exemples de coopération interrégionale remon-tent déjà aux années 1960, le phéno-mène a gagné en importance au cours des années 1990 dans le sillage de la deuxième vague de régionalisation. Avec cette prolifération d’accords régionaux de coopération, des orga-nisations régionales telles que, prin-cipalement, l’Union européenne et l’AsEAn ont commencé à développer leurs propres relations avec l’étranger et à se présenter comme des acteurs de la politique mondiale.

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COMPTES RENDUS 157

en étant riche de faits empiriques, l’ou-vrage de Mathew Doidge innove en ex-plorant la contribution des relations in-terrégionales pour les modèles naissants d’imbrication mondiale institutionnelle et de nouveaux forums internationaux comme le G20 et les sommets du bric. Il explore l’interrégionalisme au-delà des principaux partenariats entre l’Eu-rope et l’Asie, y compris le réseau de relations axé sur l’AsEAn.

Ce livre devrait être lu par tous ceux qui participent à l’examen des structures interrégionales afin de com-prendre comment les modèles de l’Union européenne centrée sur l’en-gagement interrégional, au lieu d’être sui generis, sont de plus en plus répan-dus dans le vaste réseau de relations interrégionales.

L’auteur nous semble néanmoins faire montre de trop d’optimisme. En effet, ces dernières années, le phéno-mène de l’interrégionalisme semble demeurer comme une simple option de rechange pour les dirigeants politiques d’Europe comme d’Asie. Ainsi, sans soutien plus solide, l’avenir de l’inter-régionalisme demeure incertain.

René schwoKDépartement de science politique

et Institut européen de l’Université de Genève

International Relations Theory and Regional Transformation

T. V. pauL, 2012,Cambridge, Cambridge University

Press, 308 p.

En s’intéressant à la transforma-tion de régions dans la politique inter-nationale, c’est d’un sujet important que traite cet ouvrage issu du travail d’une équipe montréalaise rassemblée et coordonnée par T. V. Paul avec des

dernières décennies, ensuite, et surtout, parce que cela apparaît comme un mé-canisme porteur d’avenir. L’attente que les dialogues amènent une coopération fonctionnelle, particulièrement destinée à des forums globaux, suggère que de tels cadres vont rester prééminents dans les relations extérieures de l’Union.

L’auteur reconnaît cependant qu’il y a pour l’instant un fossé entre les attentes et les capacités (Capability-ex-pectations gap). En effet, le succès des dialogues interrégionaux dépend des groupements engagés. Les dialogues in-terrégionaux bilatéraux, dont on attend le plus, sont tributaires de la qualité des acteurs des organisations régionales impliquées. Doidge se demande aussi si trop leur demander ne comporte pas le risque de dévaluer le processus aux yeux de leurs participants, avec le risque de miner l’avenir de telles relations.

Dernier point, Mathew Doidge suggère que l’Union européenne et les autres organisations régionales de-vraient utiliser les forums de manière plus appropriée. La place du transré-gionalisme comme espace idéal devrait être renforcée. C’est en effet le cadre dans lequel les idées et les issues peu-vent être mises en avant et débattues.

En conclusion, le livre de Ma-thew Doidge présente un état de la question qui tient compte des relations inter- et transrégionales, un phéno-mène relativement nouveau dans les Relations internationales.

En mettant l’accent sur la centra-lité de l’uE dans ces réseaux sans négli-ger les relations plus périphériques im-pliquant des régions non occidentales, l’étude ouvre la voie à des études com-paratives de l’interrégionalisme. Guidé par des considérations théoriques, tout

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partagées par des acteurs régionaux peuvent influencer le niveau global. Dans le cas de l’intégration euro-péenne, John A. Hall souligne l’impor-tance des États-Unis. Enfin, Pouliot se demande s’il est possible de considérer comme régions séparées l’Amérique du Nord et l’Europe intégrée, d’un côté, et l’espace de l’ancienne Union soviétique de l’autre (p. 212-221).

La deuxième question est de savoir quels sont les mécanismes de transformation des régions et à quel point ils sont généralisables. Après avoir testé le modèle libéral insistant sur la paix démocratique et l’inter-dépendance contre des explications réalistes, John R. Oneal souligne que c’est avant tout la libéralisation qui faciliterait la transformation de régions de conflit en zones de paix stable. Mais s’agissant de l’idée d’un modèle euro-péen à suivre, Hall résume que la trans-formation de l’Europe « ne donne que peu de leçons pour le reste du monde » (p. 254), Buzan montre la spécificité européenne comme région « à création continue », tandis que Stéphanie C. Hofmann et Frédéric Mérand dressent le portrait d’une « Europe élastique » du fait de la multiplicité de ses insti-tutions « dans un monde qui ne l’est pas » (p. 152-155).

Deux contributions appliquent des bases théoriques déjà existantes au cas des régions : Dale C. Copeland le fait avec la théorie réaliste du « diffé-rentiel dynamique » employée pour ex-pliquer des guerres entre grandes puis-sances. John M. Owen avance quant à lui l’idée que le commerce entre États favorise des relations pacifiques à l’épreuve des relations multi-acteurs régionales. Malgré des éléments empi-riques suggérant que leurs approches

contributions d’autres chercheurs re-nommés. Il s’agit d’un effort de lier approches théoriques des Relations internationales et dynamiques de coo-pération et conflit dans des régions.

Dans son introduction, T. V. Paul évoque (dans une note, p. 19) le manque jusqu’à présent d’études d’ordre régio-nal dans une perspective postcoloniale ou poststructuraliste pour justifier le choix de ne retenir que les grilles de lecture réalistes, libérales et construc-tivistes. Et la focale de l’ouvrage est en premier lieu sur la sécurité – ce que montre le recours de Paul à la notion constructiviste de « communauté de sé-curité », employée dans la contribution d’Amitav Acharya pour désigner une région aux relations pacifiées et explo-rée en profondeur par Vincent Pouliot.

Les réflexions des contributeurs sont foisonnantes. Deux questions paraissent cependant essentielles pour juger de l’apport et des limites de l’ouvrage.

La première est que les régions sont définies par Paul (p. 4) et Barry Buzan (p. 22-23) comme constituées d’États qui ont une proximité géogra-phique et dont les relations sont de caractère distinct par rapport à leurs interactions avec d’autres acteurs inter-nationaux. L’importance de puissances géographiquement externes est cepen-dant évoquée souvent par les auteurs. Jeffrey Taliaferro, avec une approche réaliste néoclassique, s’intéresse en premier lieu à l’influence de deux sortes d’États sur l’évolution d’une région : les hégémons extérieurs et les « États pivots » potentiellement pertur-bateurs dans la région. Acharya com-pare l’influence souvent soulignée de normes et idées globales sur les régions avec le processus par lequel des idées

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est incontestable, il faut cependant mentionner que le cadre fixé lui impose des limitations. Notamment, il s’agit souvent d’un état des lieux juxtaposé à des perspectives conceptuelles sur l’évolution des relations entre États ré-gions, et pas encore véritablement d’un programme de recherche innovant sur la transformation régionale. On note d’ailleurs un certain flottement autour de cette même notion d’une contribu-tion à l’autre. Ces lacunes sont peut-être inévitables ; elles n’en laissent pas moins un souhait d’approfondissement après la lecture de cet ouvrage.

Niels LachmannGroupe de recherche Euro-politics

Université du Danemark du Sud Odense

MOYEN-ORIENT

Human Rights, Revolution and Reform in the Muslim World

Anthony Tirado chase, 2012,Boulder, co, Lynne Rienner

Publishers, 225 p.

Anthony Chase propose une fois encore un ouvrage sur les droits de l’homme dans le monde musulman. Ce livre, qui s’inscrit pleinement dans l’étude des Relations internationales, aborde les droits de l’homme sous l’angle d’un régime international.

Il trouve un écho très fort dans l’actualité de l’année 2012 et le « prin-temps arabe », mais ne se limite pas à l’étude des évènements récents, proposant une analyse globale sur la construction et le sens du régime inter-national des droits de l’homme dans le monde musulman.

Le monde musulman auquel il est fait référence ici couvre non seu-lement le Proche et le Moyen-Orient,

sont pertinentes, ces auteurs considè-rent qu’il faudra plus d’études de cas avant de considérer leur perspective comme validée. Dans un autre sens, l’institutionnalisme de Hofmann et Mérand et le constructivisme d’Acha-rya et Pouliot mettent en valeur des éléments qui s’appliquent à chaque région de manière différente, notam-ment les pratiques dans les institutions régionales ou l’influence des idées.

Enfin, Norrin Ripsman appro-fondit une perspective éclectique, ap-pliquée aussi par Hall au cas européen, et une étude séquentielle de la transfor-mation de régions. Étudiant le cas de l’Europe de l’Ouest après la Seconde Guerre mondiale et celui des accords d’Israël avec l’Égypte, la Jordanie et l’olP, Ripsman constate que, pour que d’anciens belligérants établissent des relations pacifiques, un processus « du haut en bas » par des relations entre gouvernements est plus susceptible de succès que de miser sur une dynamique de « bas en haut ». Mais, selon lui, une paix stable requiert les deux. De ce fait, Ripsman rejoint la distinction de Taliaferro entre « stabilisation régio-nale » et « transformation régionale » et partage son avis voulant que diffé-rentes approches se prêtent à expliquer différentes séquences des relations entre acteurs régionaux (p. 79 et 101).

Au vu des contributions, l’éclec-ticisme reflète le fait que plusieurs approches sur le développement des régions sont pertinentes dans l’ou-vrage, dont l’apport ne se cantonne cependant pas au niveau conceptuel. La contribution de Ripsman se termine par exemple par des suggestions sur la gestion de processus de paix, tandis que Taliaferro et Copeland s’interro-gent sur le rôle que peuvent jouer les États-Unis. Si la valeur de l’ouvrage

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Plus fondamentalement, le titre du livre renferme une question qui traverse l’ensemble de ses pages. Les droits de l’homme sont-ils, par na-ture, réformistes ou révolutionnaires ? Poussent-ils à la discussion et à des aménagements, ou à un mouvement de renversement ? Chase explique que les droits de l’homme, qui incitent les populations à définir elles-mêmes les structures politiques qui leur convien-nent et les représentent, sont plutôt des facteurs de réforme. Cependant, quand ces idées se développent dans des États qui ne peuvent pas les mettre en pratique, elles ont un potentiel révo-lutionnaire.

La question du « printemps arabe » est envisagée, parmi d’autres exemples, et illustre largement cette idée. L’auteur explique que ces mou-vements ne sont pas surprenants, car le régime international des droits de l’homme recevait un écho dans la population et parfois au niveau des gouvernements (même s’ils se conten-taient souvent d’affirmations sans suite). Or, la réforme de ces régimes basés sur l’autoritarisme n’était pas possible : cela a donc amené les révo-lutions. Chase souligne aussitôt que ces révolutions sont différentes de ce qui a été connu jusqu’à présent, car elles ne sont pas basées sur une idéologie (qui ferait la promotion d’un modèle social, économique ou politique). Pour lui, si aucune de ces révolutions n’est encore achevée, celles-ci portent néanmoins la promesse d’un vrai changement.

D’un accès parfois difficile, car de nombreuses questions complexes sont abordées, cet ouvrage très argu-menté développe des idées assez rare-ment mises en avant dans la littérature

mais aussi l’ensemble des populations musulmanes, majoritaires ou minori-taires. L’auteur affirme l’importance des droits de l’homme dans le monde musulman, puis s’attache à le prouver. Il montre ainsi comment les droits de l’homme sont devenus un paradigme pertinent dans le monde musulman et, plus loin, comment les acteurs ont contribué à créer le régime internatio-nal des droits de l’homme. Chase ex-plique ensuite que de nombreux acteurs non étatiques se sont emparés de ce dis-cours. La transition est ainsi faite avec l’intégration du monde musulman dans l’espace transnational complexe. Les interactions entre islamisme et droits de l’homme sont étudiées en détail.

Sur le régime international des droits de l’homme, au-delà de l’aspect historique, Chase remet en perspective la question de l’efficacité. Il réaffirme que la force du régime ne peut se me-surer au respect – ou non – des droits de l’homme sur le terrain. Néanmoins, il souligne l’importance d’une inté-gration de ces droits au niveau des institutions nationales et internatio-nales à un usage politique. Pour lui, les droits de l’homme ne sont pas un régime figé, mais sont en eux-mêmes une dynamique de changement. La conception de ces droits évolue dans le temps et dans l’espace. Pour autant, Chase ne souscrit pas au relativisme. Il argumente pour la reconnaissance des populations et des groupes sociaux comme des agents de changement. Dans cette dynamique de changement, les droits de l’homme sont un moteur, mais se trouvent également influencés. La question de l’intérêt des acteurs concernés, et notamment des États, dans la promotion du régime des droits de l’homme est également abordée.

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scientifique. La structure forte de l’ouvrage en huit chapitres (y compris l’introduction et la conclusion) permet au lecteur de suivre l’auteur dans ses intéressants raisonnements, exemples et remises en question.

Aurélia gambarazaEPISMS du Bas-Chablais

France