Commentaire critique du texte d'Egard Morin « La Star et Nous »

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On pourrait rebaptiser ce texte :"L'aurore des idoles", pour détourner un titre de Nietzsche. Au crépuscule, l'heure de vérité en philosophie, les hommes se détourneraient des idoles, qu'ils avaient eux-mêmes construit pour les adorer. Si « Dieu est mort », les mythes nouveaux du bonheur, et par glissement de l'amour (condensés tous deux dans le baiser de cinéma) ont fleuris sur sa tombe.Après tout, ne répondent-ils pas à se besoin fondamental des hommes de se rassurer devant le néant, unefaçon de parer la fatalité de la mort ? La mythologie du « maintenant » a remplacé celle de l' « ailleurs ».

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GUENAIS Baptiste

GUEB09058809

Bac. Études cinématographiques

CIN 2112, Cinéma sexe genre et sexualité

Commentaire critique du texte d’Egard Morin « La Star et Nous »

Travail remis à Marc Vienneau le 22/10/2010

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Edgar Morin est un sociologue français ayant beaucoup travaillé sur la notion de culture.

Il écrit en 57, « Les Stars » expliquant la façon dont un acteur ou une actrice devient un produit

de la culture de masse, comment elle est vendue pour être ensuite littéralement

« consommée » par le fan, en l’occurrence le spectateur au cinéma. Un texte qui est plus que

d’actualité donc, et c’est surtout la seconde partie qui va nous intéresser ici. Et plus

précisément, la description des processus mentaux qui nous permettent de nous projeter et de

nous identifier dans un « objet » vivant à l’écran (qu’il s’agisse d’une métaphore, ou même

d’anthropomorphisme). Puis nous décrirons certaines implications sociales résultant de ces

processus, avec toujours le texte à portée de main.

La star hollywoodienne est l’outil de la mondialisation culturelle, affirmation de

l’individualisme moderne, du droit au bonheur et à l’amour, et parallèlement du profit des

avocats du divorce. Une mythologie de remplacement des religions sur le déclin. On pourrait

rebaptiser ce texte “L’aurore des idoles”, pour détourner un titre de Nietzsche. Au crépuscule,

l’heure de vérité en philosophie, les hommes se détourneraient des idoles, qu’ils avaient eux-

mêmes construit pour les adorer. Si « Dieu est mort », les mythes nouveaux du bonheur, et par

glissement de l’amour (condensés tous deux dans le baiser de cinéma) ont fleuris sur sa tombe.

Après tout, ne répondent-ils pas à se besoin fondamental des hommes de se rassurer devant le

néant, une façon de parer la fatalité de la mort ? La mythologie du « maintenant » a remplacé

celle de l’ « ailleurs ». Une vie de souffrances en échange d’un monde meilleur, troquée contre

un bonheur à consommer sans modération. L’époque est à l’individualisme et la sensibilisation

outrancière. Pour vendre du rêve, tous les moyens sont bons. Jusqu’à l’instantané de ce baiser

de cinéma, qui achevant un film semble se prolonger éternellement. Avec de l’usé, on fait du

neuf. Le baiser « symbiose supérieure », c’est aussi dieu soufflant la vie dans les narines d’Adam.

La fin heureuse (happy-end), le bonheur infini, l’idéal du temps suspendu « (…) ouvre la voie 

d’un salut personnel soit dans le monde du rêve soit conjointement dans un monde où veille et 

rêve se mêlent,  se transmutent  l’un à  l’autre. 1»[…]« Parce que la réalité humaine se nourrit 

d’imaginaire au point  d’être elle-même semi-imaginaire.2» À Hollywood, l’effort n’est jamais

1 p.1292 p.134

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vain, il est toujours récompensé. Pas de place au non-sens, à l’absurde, au néant. Dans la

conscience du sujet, le surmoi faiblit.

Comme l’enfant jouait de son image dans le miroir, percevant la contiguïté entre le

monde perceptif et le monde extérieur, le spectateur est invité à se reconnaître

narcissiquement dans un scintillement astral. Ce dernier devient un modèle, un idéal, un mode

de vie, en fait une éthique (exemple cité dans le texte, les personnes conduisant leur vie selon

l’image de leurs stars favorites). L’identification va plus loin que la simple projection du mythe

de notre personnalité dans le monde diégétique, la reconnaissance de nos traits dans des objets

(in)aminés (anthropomorphisme). Car à l’instant, le monde qui les contient et les met en scène,

nous le reconnaissons dans le beau et vertueux visage d’une de ses étoiles (cosmomorphisme).

Après nous y être projetés, nous l’avons rapporté avec nous, transformé. L’être et le monde

sont à présent vus et vécus comme « consubstantiels », ce qu’Edgar Morin appelle l’ « anthropo-

cosmomorphisme ».

Les processus de projections-identifications chez le spectateur sont symétriques aux

rôles de patron-modèle de la Star. Patron, dans le sens où la star découpe le spectateur type

dans un « archétype global » ou « particulier » - à chacun son idole - mais aussi au sens où elle

« commande » la projection sur l’écran. L’auteur avait décrit dans le chapitre précédant

comment le dispositif cinématographique accentue l’emphase déjà mise sur elle par le scénario,

faisant de l’acteur/actrice un automate : à la limite, on peut se passer d’un grand acteur, voire

d’un acteur tout court. On accentue ainsi le pouvoir archivant du mythe, qui lui confère son

statut de commencement et de commandement (d’initiateur et de modèle). Le mythe de

l’amour du spectateur pour sa star, vécu par procuration. « Le charme de l’image et du monde à 

portée de la main ont déterminés un spectacle, le spectacle à excité un prodigieux déploiement 

imaginaire,   image spectacle  et   imaginaire  ont  excité   la   formation de  structures  nouvelles  à 

l’intérieur  du film :   le  cinéma est   le  produit  de ce  processus.  Le cinématographe suscitait   la 

participation. Le cinéma l’excite, et les projections-identifications s’épanouissent, s’exaltent dans 

l’antropo-cosmomorphisme3.».

3 MORIN, Edgar, Le cinéma ou l’homme imaginaire, Genève, Édifions Gonthier, 1965. p.95

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Selon le poète4, aller au cinéma c’est vivre un rêve éveillé. C’est rêver sa propre image à

l’écran. L’imitation stylisée de la nature, la mimesis Aristotélicienne, autrefois nous permettait

de vivre nos passions par le biais d’une projection semi-consciente de nous-même, purgés dans

la catharsis. Mais les archétypes hollywoodiens, « ne provoquent que partiellement la catharsis

et entretient des fantasmes qui voudraient mais ne peuvent se libérer en actes5 ». La moitié

survivante nous accroche pendant la prise de hauteur, l’objectivation de l’émotion et sa

traduction en pensée. Elle stagne, s’accumule. La star est une psychose, une « présence 

obsédante  » derrière l’épaule du spectateur. Elle hante la frontière entre la conscience et

l’inconscient, alimentant nos pulsions inavouées tout en s’en nourrissant. D’où « la dialectique 

des participations et de l’affirmation de soi 6» stimulés par la Star. L « ’identification imaginaire » 

devient « identification   pratique ». Les comportements observés chez les idoles de l’écran

ressurgissent armées de nos fantasmes, qui ne sont plus vraiment les nôtres.

Pour Edgar Morin, la star est à la fois un mythe et une marchandise. Dans ces deux cas,

elle tisse des liens étroits avec la société dont elle est le produit et qu’elle influence en retour.

C’est grâce à l’idéologie capitaliste qu’elle s’est érigée en haut du panthéon. L’incitation au

mimétisme d’appropriation est un pilier de l’ère consumériste et individualiste. Imitant les stars

dans leur comportement, allant jusqu’à assimiler certains traits de leurs personnalités (réelles

ou présumées), notre iconophagie nous pousse à adopter les mêmes produits de

consommation, toujours soumis à leurs approbations célestes.

Évidemment, nous ne sommes pas tous égaux devant le pouvoir d’hypnose de la Star.

Une personnalité affirmée, plus forte, un sentiment d’achèvement, un métier passionnant,

permettent une meilleure résistance cognitive. Mais aucune forteresse n’est imprenable, aucun

esprit immaculé. Les adolescents sont une cible facile, tâtonnant encore à la recherche d’une

identité solide (mais pas forcément définitive), de modèles à suivre. D’autant qu’aujourd’hui ce

sont de gros consommateurs. La Star à une fonction « initiatrice ». L’imitation de ses

comportements nous donne un point de repère pour s’insérer dans notre Société. C’est un

patron, car elle dicte certaines règles sociales, par suggestions inconscientes, auxquelles nous 4 Jean Cocteau5 P.1226 p.128

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nous conformons. La Star peut-elle se voir comme une instance de socialisation (pour reprendre

un concept de Pierre Bourdieu) à part entière, au même titre que la famille, ou l’école ? Si elle

initie à certains rites (notamment le rite de l’amour) ces rites nécessitent correction,

réajustement. L’auteur évoque l’idée que les femmes, moins marqués par la limite être le rêve

et la réalité, sont de ce fait plus sensibles à l’identification avec le « rayonnement » de la Star.

Peuvent-elles inciter la gente masculine à marcher dans leurs traces, en leur fixant un idéal (de

beauté) auquel ils doivent se plier? Ce n’est peut-être pas une coïncidence si le mariage, et par

conséquent la constitution de l’instance familiale ne répond plus d’une certaine utilité, d’une

nécessité dictée par la raison (pour « vivre » convenablement, il me faut un partenaire social),

mais bien d’une envie, d’un amour-passion gouverné par la sensibilité. Le texte ne mentionne

pas vraiment cette féminisation des valeurs génériques dans les sociétés occidentales, un

sentimentalisme de marché qui a transformé les codes sociaux. Traditionnellement, l’homme

s’est lui-même plutôt situé du côté de la raison, laissant la sensibilité et la sentimentalité aux

femmes. Mais ces caractérisations archaïques ont explosées, envahissant tout le corps social, à

quelques exceptions près (les traditionalistes). Ce ne sont donc plus seulement les femmes qui

sont visées, mais aussi « la part de sensibilité, et donc de féminité » en chaque homme, pour

peu qu’ils la côtoient d’assez près.

La Star consomme à outrance (c’est d’autant plus vrai en 2010) et cette boulimie est

présentée et perçue comme une valeur positive, un idéal de mode de vie vers lequel orienter

nos désirs matériels, dont la satisfaction possible ou probable devient synonyme du bonheur. En

philosophie plaisir et bonheur sont deux concepts bien distincts, l’un physique, immédiat,

animal car lié à l’appareil sensitif. L’autre est plénitude, il est esprit, évanescent. L’époque et la

Star mélangent les deux sans se préoccuper des distinctions. Comme on le disait pour le baiser,

le bonheur est un instantané prolongé à l’infini. Une religion du présent, de l’ici, du maintenant.

La mort au lieu d’être acceptée comme une fatalité, ce que proposait en quelque sorte la

tragédie grecque, a été bafouée. S’établit alors une méritocratie du bonheur, chargée de

maintenir dans un rêve de procuration les classes moyennes et populaires, ouvriers et salariés

alors que les détenteurs des moyens de production (au sens économique comme

cinématographique) engrangent les profits. Mettre le bonheur à portée de main, ou de carte de

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crédit, voilà qui doit permettre le statu quo. Alors que certains consomment, absorbés dans une

mythologie du loisir et un bonheur matériel, les autres s’enrichissent, grâce à la consommation

de ceux qui travaillent pour générer cette richesse. La lutte, au 21 ième siècle, ne se fait plus sur le

terrain social, il n’y a plus ou presque plus de groupes solidaires. On les a découpés en individus.

Quoi de mieux pour les grands patrons que de jouir d’un pouvoir de diffusion des mythes et de

l’idéologie, d’un pouvoir de « contrôle » sur les esprits. Jusqu’à ce que le rêve se termine et que

la colère gronde. Enfin arrivera la catharsis.

Pour conclure notre commentaire, on résumera notre résumé. Nous avons d’abord

essayé de mettre en exergue le processus semi-inconscient à l’œuvre dirigé par la Star de

cinéma. Face au déclin de la religion, l’homme occidental moderne s’est retrouvé face à

l’absurdité de son existence, face au néant après sa mort, dans une angoisse terrible. Pour y

pallier il a adopté une mythologie de remplacement. Son mythème fondamentaux étant la

possibilité du bonheur individuel quasi-immédiat essentiellement grâce à la consommation-

loisir et à l’amour. La Star hollywoodienne condense ces valeurs dont elle est une émanation.

Nous avons tentés d’expliquer le processus cognitif à l’œuvre chez les spectateurs au cinéma, la

façon dont ils s’identifient à leur Star, jusqu’à reproduire certains de ses comportements. Donc

sa manière de consommer. La catharsis partielle ne permettant pas d’expulser nos pulsions

entièrement, livrant ainsi en pâture notre âme à sa sensibilité, nous manquons du recul

nécessaire pour agir selon notre raison. La Star prend donc possession d’une part de notre

esprit. Si la star est un mythe, ce mythe ne saurait se départir de son aspect mercantile. La Star

est un panneau publicitaire divinateur. Elle influence, dicte et ordonne (en partie) nos

comportements dans la société de demain et d’aujourd’hui. Selon l’auteur, certains profils sont

plus influençables que d’autres, à commencer par les adolescents et les femmes de classe

moyenne. Mais depuis 1957 la situation a évolué. Le sentimentalisme dégoulinant a fait sa place

dans la société, déguisé en « romantisme », en mythe de l’amour, allant jusqu’à contaminer

l’homme, remettant en cause son identité, le dépossédant de sa virilité. Aujourd’hui, nous

sommes tous plus ou moins égaux quant à la lobotomisation idéologique, l’inégalité tenant

plutôt du domaine de l’intelligence individuelle que de son genre ou de sa classe sociale. La star

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est un produit de la culture de masse, qu’elle maintient en place. Cette transformation des

valeurs se fait au profit de ceux qui la provoquent. Plus de mouvements sociaux, ou si

facilement démantelé. On divise des mouvements en individualités en leur faisant miroiter le

bonheur. La solidarité s’efface. Plus de sacrifice pour une cause, pour un groupe. Diviser pour

mieux régner, cela s’applique à la lettre ici. Mais le cinéma est à la fois propagande et

protestation. La lutte face au syncrétisme du bonheur est interne à présent, et en chacun de

nous sommeille une révolution.