Commentaire arrêt Lunus

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Commentaire arrêt Lunus Un arrêt de rejet de la 1ere chambre civile de la Cour de cassation en date du 16 janvier 1962 relatif au dédommagent de la perte d’une chose. Un cheval avant une course a saisi les fils d’une lampe et s’est électrocuté, le propriétaire et son entraineur agissent en réparation de leur préjudice moral, matériel et de la perte de chance de gagner la course contre l’organisateur de la course. Le propriétaire et l’entraineur assignent l’organisateur de la course en réparation de leur préjudice matériel pour la perte de la valeur de l’animal, la perte d’une chance de gagner la course mais aussi la réparation de leur préjudice moral. Ils assignent solidairement le président de la société organisatrice, la société et leur compagnie d’assurance. La Cour d’appel de Bordeaux accueille toutes leurs demandes, sauf le préjudice résultant de la perte de chance de gagner la course, par un arrêt en date du 5 juillet 1956. Les défendeurs en 1 ère et 2eme instance forme un pourvoi en cassation. Les moyens du pourvoi soutiennent quant a l’indemnisation du préjudice moral que « Des dommages- intérêts destines a réparer le préjudice moral subi du fait de la perte du cheval […] l'existence d'un préjudice qu'elle s'est contentée d'affirmer et qui n'apparaissait pas » Dans quelle mesure la perte d’un animal peut donner lieu a une réparation résultant d’un préjudice moral ? La Cour de cassation casse l’arrêt uniquement dans la condamnation solidaire des demandeurs au pourvoi et

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Commentaire arrêt Lunus

Un arrêt de rejet de la 1ere chambre civile de la Cour de cassation en date du 16 janvier 1962 relatif au dédommagent de la perte d’une chose.

Un cheval avant une course a saisi les fils d’une lampe et s’est électrocuté, le propriétaire et son entraineur agissent en réparation de leur préjudice moral, matériel et de la perte de chance de gagner la course contre l’organisateur de la course.

Le propriétaire et l’entraineur assignent l’organisateur de la course en réparation de leur préjudice matériel pour la perte de la valeur de l’animal, la perte d’une chance de gagner la course mais aussi la réparation de leur préjudice moral. Ils assignent solidairement le président de la société organisatrice, la société et leur compagnie d’assurance. La Cour d’appel de Bordeaux accueille toutes leurs demandes, sauf le préjudice résultant de la perte de chance de gagner la course, par un arrêt en date du 5 juillet 1956. Les défendeurs en 1ère et 2eme instance forme un pourvoi en cassation.

Les moyens du pourvoi soutiennent quant a l’indemnisation du préjudice moral que « Des dommages-intérêts destines a réparer le préjudice moral subi du fait de la perte du cheval […] l'existence d'un préjudice qu'elle s'est contentée d'affirmer et qui n'apparaissait pas »

Dans quelle mesure la perte d’un animal peut donner lieu a une réparation résultant d’un préjudice moral ?

La Cour de cassation casse l’arrêt uniquement dans la condamnation solidaire des demandeurs au pourvoi et rejette l’autre moyen au motif que « Qu'indépendamment du préjudice matériel qu'elle entraine, la mort d'un animal peut être pour son propriétaire la cause d'un préjudice d'ordre subjectif et affectif susceptible de donner lieu a réparation, qu'en l'espèce la cour d'appel a pu estimer que le préjudice subi par daille a l'occasion de la mort de son cheval ne se limitait pas a la somme nécessaire pour acheter une autre bête possédant les mêmes qualités, et qu'il y avait également lieu de faire entrer en ligne de compte dans le calcul des dommages-intérêts une indemnité destinée a compenser le préjudice que lui causait la perte d'un animal auquel il était attache, que par le motif concernant de x... Elle a pu egalement faire état du préjudice subi par celui-ci dans ses intérêts d'entraineur »

Afin d’analyser au mieux l’arrêt, une première partie sera consacrée aux dommages réparables (I), la seconde sera relative à l’application extensive du principe de réparation du préjudice moral (II)

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I. Les dommages réparables

Les dommages réparables proviennent d’un préjudice matériel et/ou moral (A). La réparation du dommage moral et matériel est soumise a certaines conditions (B).

A. Le dommage matériel et moral

Le dommage est l’une des conditions nécessaires à la mise en œuvre de la responsabilité civile. Toute personne réclamant une réparation financière à la suite de la commission d’une faute doit démontrer qu’elle a subi personnellement, dans son patrimoine, un dommage. Le dommage est matériel, dès lors que la faute a causé une perte à la personne ou un manque a gagner. Le dommage constitué par un manque à gagner est nommé « perte de chance ». Le demandeur en réparation de perte de chance doit prouver l’existence antérieure de la chance, la perte définitive de la chance et le préjudice évident qui n’a pas pu être évité. Il est considéré comme moral lorsque qu’il est de nature extrapatrimoniale, tel que la douleur physique ou psychologique, « prix de la douleur » d’après G. Ripert. La réparation du dommage moral a été admis par la Cour de cassation dans un arrêt du 13 février 1923, le dommage moral est réparable comme n’importe quel autre dommage. Le dommage pour être réparable doit être actuel et certain, un intérêt légitime juridiquement protégé doit avoir été atteint et le dommage doit être direct. La jurisprudence a admis dans un arrêt de la chambre criminelle de 1932 qu’un préjudice même futur peut être réparé, s’il apparaît au juge « Comme la prolongation certaine et direct d’un état de chose actuel et comme susceptible d’évaluation immédiate ». Toutefois, tous les dommages ne sont pas réparables. La Cour de cassation dans un arrêt du 25 juin 1991 a refusé l’indemnisation d’une femme suite a la naissance d’un enfant provoqué par l’échec de l’I.V.G au motif « l'existence de l'enfant qu'elle a conçu ne peut, à elle seule, constituer pour sa mère un préjudice juridiquement réparable »

B. La réparation du dommage matériel et moral de la victime par ricochet

La chambre criminelle dans un arrêt du 26 juin 1958 refusait d’indemniser une concubine pour le préjudice moral résultant de la mort de son compagnon. Dans l’arrêt étudié la 1ere chambre civile de la Cour de cassation admet la réparation du préjudice moral causé par la perte d’un animal, « La mort d'un animal peut être pour son propriétaire la cause d'un préjudice d'ordre subjectif et affectif

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susceptible de donner lieu a réparation ». La souffrance de voir souffrir un être cher ,ce qu’on appelle « le dommage moral par ricochet ». En l’espèce, le propriétaire du cheval et l’entraineur ne sont pas des victimes par ricochet parce que le cheval n’a pas la personnalité juridique, mais la Cour de cassation a admis l’existence d’un préjudice moral, « qu'il y avait egalement lieu de faire entrer en ligne de compte dans le calcul des dommages-intérêts une indemnité destinée a compenser le préjudice que lui causait la perte d'un animal auquel il était attache». La notion de perte de chance s’inscrit dans la définition du dommage matériel parce qu’elle constitue un manque à gagner de nature patrimoniale, le préjudice est futur. Le préjudice matériel de la perte du cheval est évident. Depuis 1932, la réparation pour la perte de chance est possible. En l’espèce, la Cour de cassation confirme la décision de la Cour d’appel, « que tout en refusant d'accorder a Daille la perte du gain éventuel que le cheval aurait pu rapporter dans l'avenir ». Le refus d’indemnisation de la perte de chance repose sans doute sur la difficulté d’évaluer le gain éventuel que le cheval aurait pu rapporter dans l’avenir.

II. L’application extensive du principe de réparation du dommage moral

Dans cet arrêt, la Cour de cassation a admis la réparation du fait de la perte d’une chose (A). Sa décision s’inscrit dans un mouvement de personnification de l’animal (B).

A. Admission de réparation du fait de la perte d’une chose

Cette solution est originale parce qu’elle est la première à admettre la réparation du dommage moral souffert par le propriétaire d’un animal. Les précédents jurisprudentiels, notamment l’arrêt Civ. 27 juillet 1937, n’admettait pas la réparation d’un préjudice moral du fait de la perte d’un être cher. Il faut noter que l’action en réparation d’un préjudice moral causé par la perte d’un être cher, être qui a la personnalité juridique, doit être à l’initiative de la victime par ricochet. Le pourvoi soutien quant à la réparation du préjudice moral « qu'un tel préjudice ne se conçoit qu'a l'occasion de la perte d'un être cher, et qu'il n'y a rien de commun entre le trouble cause par la disparition d'une personne et celle d'un animal ». La Cour écarte ce moyen au motif que « Qu'indépendamment du préjudice matériel qu'elle entraine, la mort d'un animal peut être pour son propriétaire la cause d'un préjudice d'ordre subjectif et affectif susceptible de donner lieu a réparation ». Il ne s’agit pas, en l’espèce, d’un dommage par ricochet puisque l’animal n’est pas la victime immédiate du dommage faute de personnalité juridique. La Cour a manifestement étendu la réparation du

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préjudice moral. Par cette solution, il est désormais admis la réparation de la perte d’une chose puisque juridiquement l’animal est considéré comme une chose, article 528 du Code Civil.

B. Un arrêt s’inscrivant dans un mouvement de personnification de l’animal

La Cour s’inscrit dans un courant de personnification de l’animal, de la considérer comme une personne. D’un point de vue sociologique la place de l’animal, particulièrement de l’animal domestique dans les sociétés contemporaine est grandissante. Cela s’explique par l’individualisme, l’allongement de la durée de la vie, l’accroissement du célibat. Le droit doit s’adapter aux évolutions de la société. En Suisse, un chien a été exécuté en 1862 pour complicité de meurtre. La Cour admet la relation affectif qu’il peut exister entre un animal et son propriétaire, « la mort d'un animal peut être pour son propriétaire la cause d'un préjudice d'ordre subjectif et affectif ». La garde d’un animal domestique a été dispute dans un arrêt de la Cours d’appel de Paris 1989 qui a statué sur la garde du chien Stan. L’arrêt Lunus s’inscrit dans ce courant, reconnaître que l’animal n’est pas une chose comme une autre. L’article L. 214-1 du Code rural crée par ordonnance de 2009 dispose que « Tout animal étant un être sensible ». Il existe aussi une déclaration du droit des animaux de l’UNESCO en 1978 et du Conseil de l’Europe en 1982.