Comment organiser son dépistage de la rétinopathie ...

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La rétinopathie diabétique (RD) est une compli- cation importante du diabète et reste une des principales causes de cécité et de malvoyance dans la population active. Cette évolution handi- capante est due à la prise en charge souvent trop tardive de cette affection. Seul un examen effec- tué régulièrement peut permettre de la diagnos- tiquer précocement et de la traiter. Un examen du fond d’œil (FO) annuel de tout patient diabétique par un ophtalmologiste est un objectif aujourd’hui non réalisable. La photographie du FO et sa télétransmission per- mettent d’améliorer le dépistage annuel de la RD avec un accès aux soins d’un plus grand nombre de patients diabé- tiques en économisant le temps médical. Avec cet objec- tif, le réseau OPHDIAT (OPHtalmo-DIAbète-Télémédecine) [1] a été mis en place à l’AP-HP (Assistance Publique- Hôpitaux de Paris) depuis 2002 et contribue au dépistage de la RD en Ile-de-France en suivant les recommanda- tions de bonnes pratiques cliniques des sociétés savantes ainsi que les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) concernant le dépistage de la rétinopathie par télémédecine [2,3]. Les conditions de réalisation de photographies Dans le réseau, la prise de photographies du FO est réa- lisée par un/une orthoptiste, un/une infirmier(e). Les uns comme les autres doivent avoir fait l’objet d’une forma- tion adaptée. Le protocole de dépistage de la RD comprend au minimum deux photographies de 45° de chaque œil, en utilisant une caméra non mydria- tique, avec ou sans dilatation pupillaire, l’une centrée sur la macula, l’autre sur la papille (figure 1). Un troisième champ, en temporal de la macula, est faculta- tif. Pour que les cli- chés d’un œil soient exploitables, il est indispensable que les deux clichés obligatoires maculaire et nasal soient interprétables, en particulier la région centro-maculaire (fovéale). La zone centro-maculaire non analysable fait rejeter l’ensemble des clichés (figure 2). Il est indispensable que les photo- graphies soient réalisées dans des conditions optimales (obscurité la plus complète possible, prise lente de cli- chés permettant le relâchement pupillaire après le myo- sis réactionnel au flash). En cas d’impossibilité d’obtenir Comment organiser son dépistage de la rétinopathie diabétique par télémédecine ? Ali Erginay U n examen du fond d’œil annuel de tout patient diabétique par un ophtalmologiste n’étant pas réalisable, différents décrets ont organisé l’acte de télémédecine et enca- dré les transmissions de données nécessaires entre l’orthoptiste et le médecin lecteur pour permettre un meilleur suivi de ces patients. Cet article précise les conditions de réalisation des photographies du fond d’œil, leur transmission et leur traitement par l’ophtalmologiste. Hôpital Lariboisière, Paris Clinique Les Cahiers 30 n° 189 • Avril 2015 Figure 1. Images de bonne qualité : bonne définition de l’image, bonne visibilité des détails (vaisseaux de deuxième ordre). Toute l’image est analysable. Figure 2. Cliché non interprétable : la région centro-maculaire n’est pas analysable. Les Cahiers d'Ophtalmologie 2015;n°189:30-2. Pagination pdf 1/3

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La rétinopathie diabétique (RD) est une compli -cation importante du diabète et reste une desprincipales causes de cécité et de malvoyancedans la population active. Cette évolution handi-capante est due à la prise en charge souvent troptardive de cette affection. Seul un examen effec-tué régulièrement peut permettre de la diagnos-tiquer précocement et de la traiter. Un examen dufond d’œil (FO) annuel de tout patient diabétiquepar un ophtalmologiste est un objectif aujourd’hui nonréalisable.

La photographie du FO et sa télétransmission per-mettent d’améliorer le dépistage annuel de la RD avec unaccès aux soins d’un plus grand nombre de patients diabé -tiques en économisant le temps médical. Avec cet objec-tif, le réseau OPHDIAT (OPHtalmo-DIAbète-Télémédecine)[1] a été mis en place à l’AP-HP (Assistance Publique-Hôpitaux de Paris) depuis 2002 et contribue au dépistagede la RD en Ile-de-France en suivant les recommanda-tions de bonnes pratiques cliniques des sociétés savantesainsi que les recommandations de la Haute Autorité desanté (HAS) concernant le dépistage de la rétinopathie partélémédecine [2,3].

Les conditions de réalisation de photographies

Dans le réseau, la prise de photographies du FO est réa-lisée par un/une orthoptiste, un/une infirmier(e). Les unscomme les autres doivent avoir fait l’objet d’une forma-tion adaptée. Le protocole de dépistage de la RD comprendau minimum deux photographies de 45° de chaque œil,

en utilisant unecaméra non mydria-tique, avec ou sansdilatation pupillaire,l’une centrée sur lamacula, l’autre sur lapapille (figure 1). Untroisième champ, entemporal de lamacula, est faculta-tif. Pour que les cli-chés d’un œil soientexploitables, il est indispensable que les deux clichésobligatoires maculaire et nasal soient interprétables, enparticulier la région centro-maculaire (fovéale). La zonecentro-maculaire non analysable fait rejeter l’ensembledes clichés (figure 2). Il est indispensable que les photo-graphies soient réalisées dans des conditions optimales(obscurité la plus complète possible, prise lente de cli-chés permettant le relâchement pupillaire après le myo-sis réactionnel au flash). En cas d’impossibilité d’obtenir

Comment organiser son dépistage de la rétinopathie diabétique par télémédecine ?Ali Erginay

Un examen du fond d’œil annuel de tout patient diabétique par un ophtalmologisten’étant pas réalisable, différents décrets ont organisé l’acte de télémédecine et enca-

dré les transmissions de données nécessaires entre l’orthoptiste et le médecin lecteurpour permettre un meilleur suivi de ces patients.Cet article précise les conditions de réalisation des photographies du fond d’œil, leurtransmission et leur traitement par l’ophtalmologiste.

Hôpital Lariboisière, Paris

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Figure 1. Images de bonne qualité : bonne définition de l’image,bonne visibilité des détails (vaisseaux de deuxième ordre). Toutel’image est analysable.

Figure 2. Cliché non interprétable :la région centro-maculaire n’est

pas analysable.

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des clichés de bonne qualité, il est possible, sous res-ponsabilité médicale, de réaliser une mydriase pharma-cologique en instillant une goutte de mydriatique(tropicamide 2 mg/0,4 ml) dans chaque œil. Des procé-dures d’assurance-qualité doivent être mises en placepour contrôler le pourcentage de photographies non inter-prétables et l’objectif à atteindre est d’obtenir moins de10 % de clichés non interprétables. En cas d’échec, lepatient sera adressé à l’ophtalmologiste pour un examendu FO après dilatation pupillaire.

La transmission et la lecture des photographies

Les photographies associées à des données médicalessont transmises par Internet sécurisé au centre de lec-ture. La compression des images télétransmises ne doitpas excéder un niveau de compression de 20:1 JPEG etla résolution des images numériques doit être d’au moinsdeux millions de pixels. Des ophtalmologistes participantau centre de lecture réalisent leur diagnostic à partir dedossiers transmis dans un délai d’une semaine maxi-mum (figure 3). Un écran d’au moins 19 pouces doit êtreutilisé pour la lecture des images. Les lecteurs doiventlire les photographies d’au moins 500 patients par an.Une classification simplifiée et mieux adaptée à l’analysed’une surface limitée du FO est utilisée pour le dépistagede la RD [4].

Il est recommandé d’adresser à l’ophtalmologistetout patient : - ayant un stade de RD non proliférante modérée ouplus sévère dans au moins un œil,- ayant une maculopathie ≥ stade 2 de la classifica-tion de dépistage dans au moins un œil,- dont les clichés d’au moins un œil sont non inter-prétables,- chez lequel est suspectée une affection oculaireassociée nécessitant un bilan et/ou un traitement.

Certaines circonstances particulières (grossesse,rééquilibration de la glycémie chez un patient mal équi-libré, adolescent peu compliant) nécessitent un renfor-cement de la surveillance ophtalmologique, même enl’absence de RD ou de RD non proliférante minime. Dansces circonstances, les photographies du FO pourront êtrerépétées à un rythme rapproché (un à trois mois) pourdétecter toute apparition ou aggravation de la RD.

Des procédures d’assurance-qualité doivent être misesen place à tous les niveaux (prise de photos, qualité desphotos, interprétation des photos, double lecture, trans-fert des données…) [5]. L’ensemble des échanges se faitavec le logiciel sécurisé.

La télémédecine dans les textes

L’usage des rétinographes non mydriatiques pour dépis-ter la RD se répand en France comme le dépistage itiné-rant du CHU de Dijon en Bourgogne, les réseaux régionauxà Nice, Marseille, Montpellier, Angers et à La Rochelle del’OPC et l’AVH, le Réseau Atlantique Diabète, le réseauCARéDIAB (Champagne-Ardenne Réseau DIABète). Maisl’objectif d’un examen annuel du FO de tout patient dia-bétique n’est toujours pas atteint en France (moins de 50 % dix ans après la publication des recommandations).La participation des ophtalmologistes libéraux accom-pagnés des orthoptistes pour le dépistage des patients dia-bétiques était donc indispensable pour résoudre ceproblème.

Le décret de 2010 sur la télémédecine [6], a permis auxréseaux de télémédecine de sortir des expérimentationset de fonctionner au même titre que toute activité médi-cale organisée dans un cadre réglementaire défini. Ladécision du 17 décembre 2013 de l’Union nationale descaisses d’assurance-maladie (Uncam) inscrivant dans lanomenclature les trois actes permettant d’expérimenterle dépistage de la rétinopathie diabétique grâce à la télé-médecine a été publiée au Journal officiel du 8 février 2014[7]. Grâce à cette décision, la valorisation des actes de lec-ture et de prise de photographies permettent aux pro-fessionnels libéraux de participer au réseau, sans être rattachés administrativement à une structure de santécomme c’est le cas aujourd’hui, et de développer diffé-rentes modalités d’organisation de ce dépistage.

La décision crée deux actes dans la nomenclaturegénérale des actes professionnels (NGAP) pour les orthop-tistes (rétinographie couleur avec ou sans mydriase avectélétransmission au médecin) et un dans la classifica-tion commune des actes médicaux (CCAM) pour les oph-talmologistes (lecture différée des photographies du FO).Et elle permet aux ophtalmologistes d’effectuer une lec-ture différée des photographies du FO préalablement réa-lisée par les orthoptistes, en dehors de la présence dupatient.

Pour les orthoptistesLes orthoptistes peuvent réaliser un « acte de dépis-

tage de la rétinopathie diabétique par rétinographie en cou-leur dans les conditions définies réglementairement aumédecin lecteur » soit avec télétransmission (AMY 6,7 :17,42 euros) soit par un autre moyen que la télétrans-mission (AMY 6,1 : 15,86 euros).

La facturation de cet acte est conditionnée par :- une formation,- la réalisation de deux clichés numériques de chaqueœil : l’un centré sur la macula, l’autre sur la papille,

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- la transmission dans un délai maximum de 48 heuresdes rétinographies au médecin lecteur accompagnéedes données administratives d’identification du patientet du prescripteur et éventuellement des informationscomplémentaires communiquées par le prescripteur.

Pour les ophtalmologistesIl existe un acte de « lecture différée d’une rétinogra-

phie en couleur, sans la présence du patient » (BGQP140 :11,30 euros). Et il est indiqué que le dépistage de la RDd’un patient diabétique de moins de 70 ans doit être réa-lisé sous certains conditions :- tous les deux ans chez les diabétiques non insulino-traités, avec hémoglobine glyquée et pression artérielleéquilibrées,- au début de la grossesse puis tous les trois mois et enpost-partum pour la femme enceinte diabétique, horsdiabète gestationnel,- annuel dans les autres situations.

L’ophtalmologiste doit assurer la lecture de rétinogra-phies d’au moins 500 patients diabétiques par an, dansun délai de sept jours ouvrables après réalisation, ettransmettre un compte rendu au médecin prescripteur,au médecin traitant et au patient.

Il devra orienter le patient vers un ophtalmologiste :- dans un délai inférieur à deux mois pour une RD nonproliférante modérée ou sévère ou une maculopathie,- dans un délai inférieur à deux semaines pour une RDproliférante.

Il ne pourra facturer cet acte avec une autre prestationd’ophtalmologie, sauf prise en charge en urgence.

Le décret n°2014-1523 du 16 décembre 2014 définitl’organisation de l’acte de télémédecine et encadre lestransmissions de données nécessaires entre l’orthop-tiste et le médecin lecteur. Il permet à ce dernier de fac-turer son acte de lecture différée des rétinographies enl’absence du patient [8].

Grâce à ces différents décrets, on peut espérer queles médecins libéraux aussi puissent participer au dépis-tage de la RD et que les patients diabétiques en Francebénéficient tous d’au moins un dépistage par an.

Références1. Massin P, Chabouis A, Erginay A et al. OPHDIAT: a telemedical net-

work screening system for diabetic retinopathy in the Ile-de-France.Diabetes Metab. 2008;34(3):227-34.

2. Haute Autorité de santé. Recommandations de dépistage de la réti-nopathie diabétique. Juillet 2007. www.has-sante.fr.

3. Société française d’ophtalmologie. Recommandations françaisespour le dépistage de la rétinopathie diabétique par photographies dufond d’œil. Août 2007. http://www.sfo.asso.fr.

4. Lecleire-Collet A, Erginay A, Angioi-Duprez K et al. Classificationsimplifiée de la rétinopathie diabétique adaptée au dépistage par photo-graphies du fond d’œil. J Fr Ophtalmol. 2007;30(7):674-87.

5. Erginay A, Chabouis A, Viens-Bitker C et al. OPHDIAT: quality-assu-rance programme plan and performance of the network. DiabetesMetab. 2008;34(3):235-42.

6. Décret n° 2010-1229 du 19 octobre 2010 relatif à la télémédecine.JORF n°0245, 21 octobre 2010.

7. Décision du 17 décembre 2013 de l’Union nationale des caisses d’as-surance-maladie relative à la liste des actes et prestations pris encharge par l’assurance-maladie. JOFR n°0033 du 8 février 2014.

8. Décret n° 2014-1523 du 16 décembre 2014 autorisant la créationd’un traitement de données à caractère personnel pour le dépistage dela rétinopathie diabétique. JOFR n°0292 du 18 décembre 2014.

Figure 3. Schéma du circuit patient dans un réseau de dépistage.

Lecteurs oph.

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Centre de lecture

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Caméras non mydriatiques

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