Colloque Des Choses Et Des Mots ÉRASME

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356 LES COLLOQUES MARCOLPH. - Je n'ai jamais entendu le récit d'une mort moitI pénible. PHÈDRE . - Tel il fut durant tout e sa vie. L'un et l'autre furent ni amis et je ne peux dire , avec équité, lequel des deux a eu la mort 1  plus chrétienne. Toi, qui es neutre, tu seras meilleur juge. MARCOLPH. - J'essaierai, mais à loisir. DES CHOSES ET DES MOTS 1 (D Sous une allure toujours plaisante, ce dialogue abord e , de la faç/ll l ~ plus concrète qui soit, l'uli des problèmes philosophiques les plu , Importants et les plus traditionnels depuis Platon (et même avant luI) celui des rapports entre l'apparence et la réalité. Et cette dialectiqll ' - pour employer un terme que récuserait sans d o ute Érasme, car l , connaît de la dialectique e t des dialecticiens qu e les subtilités formell,  , des. scolastiques pseudo-aristotéliciens de son t e mps - s'exprime SOli ' la forme des rapports entre le langage et la pensée, l'expression verbal , et s o n cont e nu intellectu e l (au sens large), ce qu e nous appellerions, l ' termes de sémantique saussurienne , les rapports entre le signifiant et / , sign{fié 2 Tel est l e sens qu'il faut donn e r au mot latin res: même 1/ nous avons traduit le titre original , « De rebus ac vocabulis», par « DI " choses et des mots» (nos contemporains évoqueront immanquablemelll "ouvrage célèbre du philosophe Michel Foucault, Les Mots et le Choses), le terme de « chose» reste particulièrement vague (comme /, serait aussi le terme de « réalité», par lequel on traduit parfois re s ) , s'appliquant à tout ... et à rien En fait, l s'agit de l'objet visé par ce/II I qui parle ou qui écrit, autrement dit de l'idée exprimée par le mot, 0/ 1 par la phrase, ou par le discours. La question du langage et de .1 1  .1 rapports avec la pensée a sans cesse p r éoccupé Érasme, en tant ql/l pédagogue, mais aussi en tant que penseur et théologien, car elle ' , 1  ~ cœur du problème de la vérité . Il a même écrit tout un ouvrage, /0 Lmgua (J 525), qui porte sur l'usage - bon et mauvais - de la langllt  , sans compter des ouvrages comme de De copia ou l'Ecclesiastes dam lesquels il analyse les mille et une possibilités qui s'offrent à l'orat e /II - c'est-à-dire à homo loquens - pour exprimer sa pensée ou ( fausser le sens par des paroles mensongères 3. Cette «polysémie» dll langage (comme disent les linguistes ou les philosophes) s'exprime mêml ' avec humour dans notre colloque puisque les deux interlocuteur , 1 1. Traduit du latin par Jean-Claude Margolin. 2. VOIr, dans le Dictionnaire, l'article LANGAGE. 3 . Voir J. Chomarat, Grammaire et rhétorique chez Érasme, passim. DES CHOSES ET DES MOTS 357 IlI lrqu els Érasme a attritué le nom de Boniface et de Béat (ou Beatus) ' repr ésentent pas in concreto ce que ces vocables signifient: Boniface 1 '  pa s nécessairement une mine trop réjouie, et Béat n'exprime pas .. III I I b éatitude particulière . Telle est la leçon de philosophie du langage l  I Ér asme, dont l ' esprit n'est pas fait pour les spéculations abstraites / th éoriques, nous donne dans ce plaisant entretien... qui touche "' aille urs, également, à bien d'autres questions d'ordre social ou 1 r IIno mique pour lesquelles l se sent plus à l'aise. Le c olloque date de J 52 7. Les noms des interlocuteurs n'ont pas été 1 hoisis seulement pour la démonstration de la thèse, quand on songe , I/IX d eux grands amis d ' Érasme, l'Alsacien Beatus Rhenanus et le I/ Î l ois Boniface Amerbach. Il vise aussi Fr a ncis Berckmann, un libraire d A nve rs avec lequel Érasme avait eu plusieurs fois maille à partir . / 1 co lloque a été traduit en italien dès J 530. BEA TUS, BONIFACE BEA TUS . - Bien le bonjour, Boniface. BO NIFACE. - Bien le bonjour également, Beatus. Mais plût au ciel qll n ous fussions l'un et l'autre ce que signifie notre nom, toi riche, 1 mo i d'un physique agréable. BE ATUS. - C'est donc peu de chose à tes yeux que de porter un I lom magnifique 1 . BO NIFACE. - Le nom, en fait, m'importe guère, si la réalité n'y l ' i llTes pond. BEA TUS. - Pourtant la plupart des mortels sont d'un sentiment di l fér ent. BO NIFACE . - Il se peut bien qu'ils soient des mortels, mais je ne l  s c onsidère pas comme des hommes 2 . BEA TUS. - Ce sont aussi des hommes, mon cher, à moins que tu Il t'i magines que des chameaux et des ânes se promènent encore de 1I0S j ours sous une apparence humaine. BO NIFACE. - Je le croirais plus volontiers que je n'appellerais homm es des gens qui font plus de cas du nom que de la chose. 1 . D ans De conscribendis epislOlis, Érasme se moque de ceux qui portent des titres IIlI m b reux et grandioses (des «révérendissimes» aux «magis/ri nos/ri») qui recouvrent ve nt une réalité humaiJ}e infiniment plus modeste. 2. C'est l'habitude d'Erasme, peut-être héritée du Socrate de Platon dans ses Il c h e rches de la définition juste (qu'est-ce que la vertu? qu'est-ce que la sagesse? q u 'e s t-ce que le courage? etc , ) que de vouloir redonner aux vocables les plus courants co mme celui d'homme, homo - leur «vraie» définition. Celle-ci implique toute une p hil os ophie de l'homme, ou de. l'humanité. C'est aussi le sens de l'adage des Silénes dA l ci biade (voir 1. Chomarat, Erasme, Œuvres choisies, 1991, p . 399-430).

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356 LES COLLOQUES

MARCOLPH. - Je n'ai jamais entendu le récit

d'une

mort moitI

pénible.

PHÈDRE . - Tel

il

fut durant toute sa vie. L'un et l'autre furent ni

amis et je ne peux dire, avec équité, lequel des deux a eu la mort 1 

plus chrétienne. Toi, qui es neutre,

tu

seras meilleur juge.

MARCOLPH. - J'essaierai, mais

à

loisir.

DES CHOSES ET DES MOTS

1

(D

e rebus ae voeabulis)

Sous une allure toujours plaisante, ce dialogue aborde, de la faç/ll l

plus concrète qui soit, l'uli des problèmes philosophiques les plu ,

Importants et les plus traditionnels depuis Platon (et même avant luI)

celui des rapports entre l'apparence et la réalité. Et cette dialectiqll'

- pour employer

un

terme que récuserait sans doute Érasme, car l

,

connaît de

la

dialectique et des dialecticiens que les subtilités formell, ,

des. scolastiques pseudo-aristotéliciens de son temps - s'exprime

SOli

'

la forme des rapports entre le langage et la pensée, l'expression verbal,

et son conte

nu

intellectuel

(au

sens large), ce

qu

e nous appellerions,

l '

termes de sémantique saussurienne, les rapports entre le signifiant et /,

sign{fié

2

Tel

est le sens qu'il faut donner au mot latin res: même

1/

nous avons traduit le titre original, «De rebus ac vocabulis», par «

DI

"

choses et des mots» (nos contemporains évoqueront immanquablemelll

"ouvrage célèbre

du

philosophe Michel Foucault,

Les Mots et

le

Choses), le terme de

«

chose» reste particulièrement vague (comme /,

serait aussi le terme de

«

réalité», par lequel on traduit parfois res),

s'appliquant à tout ... et à rien En fait, l s'agit de l'objet visé par

ce/II

I

qui parle ou qui écrit, autrement dit de

l'idée

exprimée par le

mot,

0/1

par la phrase, ou par le discours. La question du langage et de

.1 1

 .1

rapports avec

la

pensée a sans cesse préoccupé Érasme, en tant ql/l

pédagogue, mais aussi

en

tant que penseur et théologien, car elle ',1 

cœur

du

problème de

la

vérité. Il a même écrit tout

un

ouvrage,

/0

Lmgua (J525), qui porte sur l'usage - bon et mauvais - de la langllt  ,

sans compter des ouvrages comme de De

copia ou l'Ecclesiastes dam

lesquels il analyse les mille et une possibilités qui s'offrent à l'orate/II

- c'est-à-dire à

homo

loquens - pour exprimer sa pensée ou (

fausser le sens par des paroles mensongères

3.

Cette «polysémie»

dll

langage (comme disent les linguistes ou les philosophes) s'exprime mêml'

avec humour dans notre colloque puisque les deux interlocuteur,1

1.

Traduit du latin par Jean-Claude Margolin.

2. VOIr,

dans

le

Dictionnaire, l'article LANGAGE.

3. Voir J. Chomarat, Grammaire et rhétorique chez Érasme, passim.

DES

CHOSES

ET DES MOTS

357

IlI lrqu

els Érasme a attritué le nom de Boniface et de Béat

(ou

Beatus)

'

représentent pas in concreto ce que ces vocables signifient: Boniface

1 '  pas nécessairement une mine trop réjouie, et Béat n'exprime pas ..

IIIII béatitude particulière. Telle est la leçon de philosophie du langage

l  I Érasme, dont l 'esprit n'est pas fait pour les spéculations abstraites

/

théoriques, nous donne dans ce plaisant entretien... qui touche

"'

ailleurs,

également, à bien d'autres questions d'ordre social ou

1

r IIno

mique pour lesquelles

l

se sent plus à l'aise.

Le

colloque date de J52

7.

Les noms des interlocuteurs n'ont pas été

1

hoisis seulement pour la démonstration de la thèse, quand on songe

,I/IX deux grands amis d 'Érasme, l'Alsacien Beatus Rhenanus et le

I/ Îlois Boniface Amerbach. Il vise aussi Francis Berckmann,

un

libraire

d A

nvers avec lequel Érasme avait eu plusieurs fois maille à partir.

/ 1

co

lloque a été traduit en italien dès J530.

BEA TUS, BONIFACE

BEA

TUS

. -

Bien

le

bonjour, Boniface.

BO

NIFACE. -

Bien le bonjour également, Beatus. Mais plût au ciel

qll nous fussions l'un et l'autre ce que signifie notre nom, toi riche,

1

mo

i

d'un

physique agréable.

BE

ATUS.

-

C'est donc peu de chose à tes yeux que de porter un

I

lom

magnifique 1.

BONIFACE. - Le nom, en fait, m'importe guère, si la réalité n'y

l'illTespond.

BEATUS. - Pourtant la plupart des mortels sont

d'un

sentiment

di lférent.

BONIFACE . -

Il

se peut bien qu'ils soient des mortels, mais je ne

l

 s

considère pas comme des hommes

2.

BEA TUS. - Ce sont aussi des hommes, mon cher, à moins que tu

Il t'i magines que des chameaux et des ânes se promènent encore de

1I0S

jours sous une apparence humaine.

BO NIFACE. - Je le croirais plus volontiers que je n'appellerais

homm

es des gens qui font plus de cas du nom que de la chose.

1. Dans le De conscribendis epislOlis, Érasme se moque de ceux qui portent des titres

IIlI

mbreux et grandioses (des «révérendissimes» aux «magis/ri nos/ri») qui recouvrent

ve

nt une réalité

humaiJ}e

infiniment plus modeste.

2. C'est l'habitude d'Erasme, peut-être héritée du Socrate de Platon dans ses

Il c

herches de

la

définition juste (qu'est-ce que

la

vertu? qu'est-ce que

la

sagesse?

qu'est-ce que le courage? etc,) que de vouloir redonner aux vocables les plus courants

co

mme celui d'homme, homo

-

leur «vraie» définition. Celle-ci implique toute une

philosophie de l'homme, ou de. l'humanité. C'est aussi le sens de l'adage des

Silénes

dA lcibiade (voir 1. Chomarat, Erasme, Œuvres choisies, 1991, p. 399-430).

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358

LES COLLOQUES

BEATUS. - J avoue que dans certains ordres de réalités, la plUP1  1

préfèrent la chose au nom ; mais dans. beaucoup d autres circonstanc  ,

c est le contraire.

BONIFACE. -

Je ne saisis pas très bien

le

sens de tes propos.

BEATUS. -

Un

exemple est pourtant là, à notre portée immédiate

tu

t appelles Boniface , et tu portes bien ton nom. Mais

si

tu

devai

être dépouillé de ton nom ou de ton visage, que préfèrerais-tu?

Êtn

laid, ou bien t appele r Corneille au lieu de Boni face?

BONIFACE. -  : aimerais mieux, bien entendu, m appeler

mêm

Thersite

l

plutôt que d avoir le visage d un monstre. Mais que le miOIl

soit beau,

je n en

sais rien.

BEATUS. - De même, en ce qui me concerne,si j étais riche et qu il

me fallût abandonner soit ma richesse soit mon nom,

je

préfèrerai

m appeler Ims

2

plutôt que d être dépouillé de mes biens.

BONIFACE. Je suis d accord avec ce que tu dis, c arc est vrai.

BEATUS. -

Il

en ira de même, je suppose, pour ceux qui jouissent

d une santé florissante ou qui sont dotés d autres avantages physiques

BONIFACE. -

C est

probable.

BEATUS . - Mais combien en voyons-nous qui préfèrent

qu

  on

appelle savants ou pieux plutôt que de l être réellement

3.

BONIFACE. - J en connais une foule de cette espèce.

BEATUS. - Est-ce que, pour eux, le nom n a pas plus d importancl 

que

la

chose?

BONIFACE. -

Apparemment.

. B E ~ T ~ S . -

Même

si

se présentait à nous quelque dialecticien qui

defimralt correctement

4

ce qu est un roi,

un

évêque,

un

magistrat, urt

philosophe, peut-être que

aussi, nous trouverions des gens

qUI

préfèreraient le nom à la chose.

BONIFACE . Assurément,

si

le roi est celui qui, par ses lois et pal

son équité, vise l intérêt de son peuple et non le s ien;

si un

évêqul 

est celui qui se consacre entièrement aux brebis du Seigneur; si Il 

magistrat est celui qui veille de tout son cœur au salut de l État,et

si

1. Voir l adage ,3280, et Homère, 11. Il 216. Thersite représente un personna ,w

affreusement laid : Erasme l évoque souvent.

2. lrus est un mendiant d Ithaque, d après Homère, Od., XVIII, 5. Voir l adage 57

~ / r o .. . pauperioY > <<Plus pauvre qu lrus»). Voir aussi Ovide, Tris .,

III,

7,42; Properce,

El., III, 5, 17; Martial, Epigr., v, 39, 9, etc.

3. Cette

c r i t i q u ~

du faux-semblant est aussi

le

thème central du colloque «Le cheval

ici

sans cheval». L'Eloge de la FoUe dénonce aussi les faux savants, les faux dévots

cl

tous ceux qui vivent dans, par et pour l illusion.

4. C est la tâche à laquelle Socrate invite en premier lieu les sophistes.

DES CHOSES ET DES MOTS

le

ph

ilosophe est celui qui, négligeant les avantages de la fortune,

p l i q u e uniquement à acquérir la sagesse.

BE

ATUS. - Tu vois maintenant combien d exemples de ce genre

je

pourr

ais réunir.

BONIFACE. -

Des quantités, assurément.

BEATUS. - Et nieras-tu que tous ceux-là ne soient des hommes?

BONIFACE. -

Je crains plutôt que nous ne perdions nous-mêmes ce

nom d homme.

BEATUS. - Mais si l homme est

un

animal raisonnable l combien

n

ou

s nous écartons de la raison quand pour des avantages physiques

pl

ut

ôt que pour des biens véritables, et pour des richesses extérieures

que

la

fortune accorde et ôte tout à la fois quand

il

lui plaît, nous

préférons la chose au mot, alors que pour les biens véritables del esprit,

n

ou

s faisons plus de cas du mot que de la chose

2.

BONIFACE . -

Par

ma

foi, à examiner l affaire de près, notre jugement

va tout à rebours.

BE

ATUS. - Nous raisonnons pourtant de façon identique dans les cas

con

traires.

BONIFACE. - J attends ton explication.

BE ATUS. -

Il

faudrait, à propos du nom des choses à éviter, exprimer

le jugement que j avais énoncé sur les choses désirables.

BONIFACE. - Apparemment.

BEÀTUS. - En

effet, plus effoyable que

le

nom de tyran est le

comportement même du tyran.

Et si

un mauvais évêque 3 est au sens

de

l Évangile

un

voleur et un larron, nous ne devons pas avoir autant

d exécration pour ces noms que pour la chose elle-même

BONIFACE. -

Ce raisonnement me convient assez.

BEATUS. -

Conclus donc pareillement pour tout

le

reste.

BONIFACE. - Je comprends parfaitement.

BEATUS. -

N avons-nous pas tous de l aversion pour

le

nom de fou?

BONIFACE. - Si,

et

même une très vive aversion.

BEATUS. - Ne serait-il pas fou, celui qui pêcherait avec un

hameçon d or4, qui préfèrerait le verre aux pierres précieuses, qui

1. Selon la définition aristotélicienne traditionnelle. .

2. C est le reproche - tout à fait immérité - que Luther adressait à Erasme,

de

préférer les mots, les discours, à la réalité e lle-même (en matière de croyance relIgieuse).

3. Exemple classique de cette antiphrase, l évêque étant - de par l étymologie m ~ m

du mot grec episcopos, c est-à-dire de son sens vrai - chargé de veiller au blen-etre

spirituel de ses ouailles.

Le

mauvais évêque est

un

évêque .. qui ne mérite pas ce nom.

4. Exemple classique, rapporté et commenté dans l adage 1160 LB, Il , 468a), adage

tiré

de

Suétone (Auguste,

25

et Néron, 30), pour désigner des fous qui risquent des biens

précieux dans l espoir d un gain médiocre (ici

un

poisson).

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360

LES COLLOQUES

aurait plus d'affection pour ses chevaux que pour sa femme et ,

enfants I?

BONIFACE. -

Il serait plus stupide que n'importe quel Corèbe

2

.

BEATUS. - Ne sont-ils pas de la même espèce, ceux qui

1

précipitent dans les actions guerrières

3

exposant leur corps et leur

âllll

au danger dans l'espoir

d'un

gain dont l'importance est d'ailleurs

aSRl

'

dérisoire; ceux qui s'efforcent d'accumuler des richesses, alors que 1

âme est dépourvue de toute espèce de vertu; ceux qui embelliss

leurs . vêtements et leur maison, cependant que leur esprit négli 1

CroUpit

dans la saleté; ceux qui veillent anxieusement sur leur sauli

physique, alors qu'ils abandonnent une âme qui souffre de tant Ih

maladies mortelles; ceux qui enfin, pour des voluptés si fugaces dl

cette vie, se rendent dignes des tourments éternels?

BONIFACE. -

La raison elle-même nous oblige à reconnaître qu'il

sont plus que fous 4.

BEATUS. -

Et pourtant, bien que l'univers soit rempli de ces

fou

s

.

tu n'en trouverais guère qui souffriraient de se voir appliquer le vocabh

de fou, bien qu'ils n'aient pas

la

moindre aversion pour

un

h 1

comportement.

BONIFACE. - C'est parfaitement exact.

BEATUS. -

Continuons. Tu sais combien les noms de menteur et

dl

voleur sont tenus pour odieux par tous les humains.

BONIFACE. - Ils le sont à l'extrême, et non sans raison.

BEATUS. - Je l'avoue. Mais bien que souiller la femme d'autrui SOli

une scélératesse plus odieuse que le vol, beaucoup se glorifient pourtanl

du surnom d'adultère, et qui dégaîneraient sur-le-champ

si

on le

outrageait du nom de voleur.

BONIFACE. -

C'est

bien ainsi que se comportent la plupart.

BEATUS. -

Nombreux sont également ceux qui, tout en se livran l

aux pires débauches et à l'ivrognerie - et en le faisant de bon cœw

et ouvertement - s'offensent pourtant du nom de gibier de borde '

1.

~ e l q u e s

exemples empruntés au thème du monde à l'envers, et de nature à fourn

il

des «declamatlons» sous la forme d'éloges paradoxaux.

2.

V o ~ r l a ? a ~ e 1864:<Stultitior Coroebo»;

Virgile,

Aen., Il 341,

Diogène, Vie

, 5

Il 

e t ~ . Corebe etait un heros troyen qui manquait tout à fait de réflexion. Ses

actiOIl

deconcertantes sont passées en proverbe.

3. Voir tous les écri s pac fistes d

rasme, et notamment ceux qui figurent dans CI

volume, dans la partie mtltulee «Guerre et paix». ,

4. Le terme

atuus,

sans cess.e utilisé ici p.ar Érasme (au lieu du

stultus

de

l

 

l

oW

de la Folle)

deslgne bien

CelUI

qUI

est derangé mentalement, qui commet

d'.

extravagances.

5. C'est la sagesse désabusée des

Proverbes

de Salomon et de

l'Ecclésiaste.

Mil

l.

c'est

aussi la constatation des moralistes de l'Antiquité païenne.

6. Le mot latm ganea (du grec ganos) désigne les tavernes et autres «mauvais lieux  1

DES CHOSES ET DES MOTS

36\

BONIFACE. - Ceux-là se font gloire assurément de la chose, alors

qu ' ils ont horreur du mot qu'elle mérite.

BEATUS. -

Mais il semble pratiquement qu'aucun autre nom ne soit

plus insupportable à nos oreilles que celui de menteur ' .

BONIFACE. - J'en

connais qui ont vengé cette insulte par un meurtre.

BEATUS. -

Ah, si seulement on éprouvait pour la chose

le

même

sentiment d'horreur Ne t'est-il jamais arrivé qu'un emprunteur, qui

l

av

ait promis de rendre la somme prêtée à une date fixée, ait manqué

,\ sa parole?

BONIFACE. - Fréquemment, et encore qu'il me l'eût juré, non pas

lIne,

mais cent fois.

BEATUS . - Ces gens n'étaient peut-être pas solvables?

BO NIFACE. - Pas du tout, mais ils estimaient plus commode de ne

pas rendre

la

somme dont ils étaient débiteurs.

BEATUS. -

N'était-ce pas un mensonge?

BONIFACE. -

Absolument.

BEATUS. - Oserais-tu forcer dans ses retranchements un débiteur de

cett

e espèce, en

lui

disant: «Pourquoi m'as-tu menti tant de fois?»

BONIFACE. - Non, à moins de me préparer à la bagarre.

BE

ATUS. -

Est-ce que, de la même façon, les carriers

2,

les forgerons,

les orfèvres et les tailleurs ne s'engagent-ils pas tous les jours,

promettant leur travail pour un jour déterminé, sans pourtant tenir leur

parole, quand bien même ils vous causent un grand tort?

BO NIFACE. - Imprudence extraordinaire, mais ajoute encore les

avocats qui promettent leurs services.

BE

ATUS. -

Tu pourrais y ajouter mille autres noms de métier. Aucun

de ces professionnels ne tolèrerait l'épithète de menteur.

BONIFACE. -

L'univers est plein de mensonges de ce genre.

BEATUS. -

De même, personne ne supporte le nom de voleur, alors

que tous n'ont pas la même horreur de la chose.

BONIFACE. -

J'attends que tu me l'expliques plus clairement.

BEATUS. -

Quelle différence y a-t-il entre celui qui te subtilise de

l'argent dans ton coffre, et celui qui nie, en se parjurant, avoir en dépôt

ce

qui t'appartient?

1. La question du mensonge et de h vérité est en effet au cœur du colloque. Saint

Au

gustin (dans le De mendacio) et Montaigne (dans plusieurs «essais», et notamment

D

e l'expérience»,

III 13

et

III  5)

ont exprimé

à

leur manière l

eur

horreur du mensonge,

qui

déshumanise l homme

en le

faisant se servir du don de

la

parole et du pouvoir de

communication à des fins pernicieuses.

2. Le mot latin latomi (du grec la/Omoi) désigne exactement les tailleurs de pierre.

On ne trouve guère d'autre référence que saint Jérôme,

Lettres, 129, 5.

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362

LES COLLOQUES

BONIFACE. -

Aucune, sinon

qu'il est

encore plus scélérat, celui qUI

dépouille l'homme qui lui a fait confiance.

BEATUS. - Combien rares pourtant sont ceux qui rendent un dépôt ,

ou, quand ils le font, ne le restituent pas intégralement.

BONIFACE. - Je pense qu'ils sont très rares en effet.

BEATUS. - Nul d'entre eux ne souffrirait pourtant le nom de voleUl ,

alors

qu'ils n'ont

aucne répugnance pour la chose.

BONIFACE. - C'est

exact.

BEATUS. - Réfléchis maintenant

à ce

qui se passe habituellement

dans l'administration des biens de pupilles, dans les testaments et le,

legs, pense

à

tout

ce

qui reste accroché aux doigts de ceux qUI

manipulent ces affaires.

BONIFACE. -

C'est

bien souvent le tout qui y reste.

BEATUS. - Ils aiment le vol, mais ils en détestent le nom.

BONIFACE. - Parfaitement

BEATUS. - Peut-être n'avons-nous pas des notions suffisamment

claires du mécanisme des agissements de ces agents fiscaux qui

frappent de la monnaie de mauvais aloi

et

qui entament ainsi le capital

des particuliers par une estimation, tantôt à la hausse, tantôt à la baiss '

de l'argent. De ces réalités dont nous faisons l'expérience quotidienne l  

il nous est bien permis de parler. Celui qui emprunte ou qui ratll'

l'argent d'autrui, avec l'intention de ne jamais le rendre, si possiblo,

combien peu diffère-t-il du voleur?

BONIFACE. - Peut-être l'appellera-t-on plus rusé, mais certainement

pas meilleur.

BEA TUS. -

Mais bien que le nombre de ces individus soit partout

fort important, aucun d'eux ne souffrirait l'épithète de voleur.

BONIFACE. - Dieu seul connaît les intentions: c'est ainsi que chez

les

hommes

ils sont traités

de

débiteurs insolvables

2,

et non de voleurs,

BEATUS. -

Mais puisqu'ils sont des voleurs devant Dieu, comme

il

importe peu que les humains leur donnent tel ou tel nom Du moins

chacun connaît ses propres intentions

3

. En outre, ne les déclare-t-il pas

,

1.

Bien ~ u i l n:

fût

pas un spécialiste des questions économiques et financières,

Erasme. qUI a touJours eu le souci de ses intérêts matériels et de la gestion de son

P?trimoine ( ~ ~ i r à cet égard les études respectives de Jean Hoyoux, . { Les moyenN

d eXistence d Erasme»,

BHR,

t. 5 (1944), p. 7-59, et d'André Godin, <<Erasme et son

banquier». Revue

d 'histoire moderne

el

contemporaine,

XXXIV, 1987, p. 529-552),

comprenait suffisamment

le

mécanisme de l'inflation et de

la

dévaluation monétaire n

fût-ce que par ses contacts avec les banquiers et les changeurs (voir notamment'ses

rapport avec

le

banquier anversois Erasmus Schets).

2. Allusion à la figure de rhétorique connue sous

le

nom de litote,

3.

De.

m é t p h y s i q u ~

qu',il était au dél'art (l'apparence et la réalité),

le

problème

S'CSI

progressivement transtorme (comme touJours) en

un

problème moral: celui des rapport

entre l' ntention et l'acte terme

d'animus,

qui s'oppose à

corpus,

comme l'esprit i\

la mallere, correspondant a cette mtentlOn, connue de Dieu seul).

DES CHOSES ET DES MOTS

363

d'une manière suffisamment claire, celui qui, tout en étant fortement

(ndetté, fait des prodigalités scélérates avec

l'argent

qu'il a obtenu, et

qu i, après avoir fait banqueroute dans une cité déterminée, s'enfuit dans

\lne ~ u t r e en .bernant ses créanciers, à la recherche d'étrangers auxquels

Il pUisse en Imposer, ce qui se produit assez souvent?

O

NIFACE. - Si fait, et même bien davan tage Mais ces individus

Dnt l'habitude de farder

d'une

couleur artificielle leurs agissements.

BEATUS. -

Et de quelle manière')

BONIFACE - Ils prétendent qu'ils doivent beaucoup d 'argent à de

~ r e u s e s personnes, trait qu'ils ont en commun avec les magnats,

meme les

roiS.

Ceux

qUI

ont en partage une telle disposition d'esprit

Ii

ffi

chent presque immanquablement des prétentions

à la

noblesse,

EATUS. -

Dans quelle intention?

BONIFACE. - C'est

extraordinaire, toutes les libertés

qu'un

cheva

lier l d'après eux, peut se permettre.

BEATUS. - De quel droit? En vertu de quelles lois .>

BONIFACE. - Des mêmes lois qui permettent à

un

préfet maritime

de réclamer à son profit toutes les épaves d'un naufrage, m ê m l ~

si le

p

ro

pnetmre

légitime manifeste sa présence. ct des lois en vertu

des

quelles certains revendiquent

la

propriét0 de tout ce qu ï

ls

ont

confisqué à un voleur ou à

dn

brigand:.

BEATUS. -

Des lois de cette espèce pourraient être établies par les

v

ol

eurs eux-mêmes.

BONIFACE. - Ils ne manqueraient

p a ~

de

le

t ~ ù r e s'ils avaient

la

possibilité de les appl iquer. Ils auraient même une excuse s'ils

déclaraient la guerre avant de se livrer au pillage.

BEATUS. - Qui a donné ce droit aux cheva liers plutôt qu'aux

fantassins?

BONIFACE. - La

faveur du métier des amles. Cest

ainSI qu'on

les

en

traîne à

la

guerre afin qu'ils soient plus prompts à dépouiller

l

'e

nnemi.

BEATUS. - C'est

comme cela.

je

suppose, que Pyrrhus.i exerçait les

siens à la guerre.

BONIFACE. - Non pas, mais les Lacédémoniens 4.

1. Voir

la

critique de .l'étal de chevalier dans le colloque «Le chevalier sans che\al ».

2.

S ~ r les ~ o n d l t l O n s J u m l J q u ~ s alors

cn

usage

ell

malierc dc droit de prnpricté . dans

.es .casevoques

ICI. VOIr

les chapitres appropriés du recueil connu

SOliS

le nom de

CorpllS

/u

  sCIV/lts et les commentaires des JUristes (le l'Ecole de Bologne. Voir notamment les

InStllUleS

3< partie.

3.

Pyrrhus, roi d'Épire, est surtout connu pour son expédition militaire contre les

Romams: Jeu de mots

~ e c

la

«pyrrhique». danse guerrière des Lacédémoniens.

4. VOIr notamment Xenophon.

Lacedal'nlllllior lm flofi/l.:ia .

Il. 7. et .4/101>0.\'1'. IV. 6. 44-

15; Platon, Leg. 1 633b. Les Lacédémoniens sont présentés comme un peuple

essentiellement guerrier (voir note précédente).

Page 5: Colloque Des Choses Et Des Mots ÉRASME

7/24/2019 Colloque Des Choses Et Des Mots ÉRASME

http://slidepdf.com/reader/full/colloque-des-choses-et-des-mots-erasme 5/5

364

LES COLLOQUES

, B ~ A ~ U S . - Qu'ils aillent se faire pendre

1

avec leur exercice' M 1

d ou vIennent leurs titres à une telle prérogative? .

B O N I F ~ C E .

-

Pour certains, ils viennent de leurs ancêtres, d'ault,

I ~ s

achetent contre argent, d'autres enfin se les attribuent

101

 

sImplement 2.

BEATUS. -

Et n'importe qui peut en faire autant?

BON IF ACE . - Oui, à condition que ses mœurs répondent à ce qu  llIl

attend de lUI.

BEATUS. - Comment cela?

B O N I \ ~ C E . -

S'il ne fait rien de valable, s'il s'habille magnifiqu

m e n ~

s I l ~ ~ r c h e

a ~ e c

un anneau au doigt, s'il fréquente avec zèle

Il

p ~ t a m s

Il

Joue assIdu ment aux dés et défie ses adversaires aux carW

s ,II g . a s p l l l ~ son t ~ m p s en b ~ ~ v e r i e s et parties de plaisir,

si

son

langa 1

na nen de vulgaIre, maIs s

Il n'a

à la bouche que citadelles bataille

guerres et toutes les espèces de fanfaronnades] De tels indi 'd

permettent. de faire la guerre à qui bon leur semble, même s ' ~ ~ ~ ~ O ;

pas la momdre parcelle de terre où poser leur pied.

BEATUS.

:

Tu me parles

ici

de chevaliers dignes du chevalet4.

Mal

la terre du SIcambre

5

en compte

un

nombre qui

n'a

rien de négligeabll'

LE POfNT DU JOUR 6

(Diluculum)

e dialogue de 1 traite des vertus

du

travail }latinal. Sujet

ass

/'.

m m ~

aux ~ e u x d

un

moderne, non à ceux d Erasme qui abord,

p ~ u s L e u r s

10.is

la q ~ e s t i o n dans son œuvre. Elle s inscrit au cœur d um 

r e f l e x ~ o ~ pedagogique qui s intéresse, normalement, aux conditions

dl

travazl l ~ t e ~ l e c t u e l . Les étudiants du seizième siècle se levaient t

ôt,

~ o u v e ~ t a cll1q

h e u n ~ s

comme Gargantua chez Rabelais.

La

pédagog/I 

erasmLenne se soucie de savoir

à

quel moment de la journée l esprit

~ ~ i ~ t i ; i i E ~ ~ ? ~ } ~ t i i ~ ~ ~ ~ ~ l s : ~ i 7 ~ ~ ~ v ~ ~ : e

I ~ ~ ~ i r > ~ , u ~ ~ e : ~ ~ ~ ~ i ~ ~ ~ ~ ~ ~ e P J ~ ~ t ~ ~ ; ~ 7 ~ \ ~ ~ ,

~ z s différents ,cas

.se

retrouvent dans

le

colloque

du

«Chevalier sans cheval»

T é r ~ n c / a s o l l l e a ,

c est-a-dlre digne de Thrason,

le

soldat fanfaron

de

l E u n u q u ~ d

l

4. On

a essayé de rendre

en

français

le

jeu de mots latins

ui

ra h

~ c h e v a h e r de

equuleus

(qui s i g n i ~ e tantôt

le

jeune cheval,

le p o u i a ~ ,

t a n i t r ~ ~ ~ h : ~ ~ l r :

e torture, l?ar exempl.e chez Clceron,

Pro

Mi/one, 57, et ruse., v, 12-13)

W ~ ~ t p ~ ~ ~ e S l c ~ ~ b r e s etalendt, \In peuple de Germanie, habitant

le

s bords' du Rhin I

I

.

1. expressIOn Erasme est plutôt péjorative (peuple b b .

~ r a s m e d

s O f n g l ~

sudrtout

aux

chevaliers duché de Clèves-Juliers,

et

n o ~ ~ ~ ; : : ~ n ~ ~ e ~ I ~ ~ ~ i

ppen

or

un e ses ennemiS acharnes.

6, TradUit du latin par Daniel Ménager.

LE POINT

DU

JOUR

365

dispose de

la

plus grande liberté. Et

la

médecine rejoint la théologie

dans cet éloge des heures matinales où

la

lumière du soleil refait

( hom me et le monde. Voici ce que «Nephalius» (le sobre, le vigilant),

déjà rencontré dans «Le banquet sobre », essaie de faire comprendre

l

paresseux «Philypnus », qui se lève tard parce qu il se couche tard.

On voit aussi apparaître dans ce texte l une des obsessions majeures

de la

Renaissance: celle du temps, qu il faut savoir utiliser

au

mieux,

du temps qui est de l argent comme le pensent -

à

une époque où se

multip

lient les horloges - édiles. banquiers et moralistes,

NEPHALlUS , PHIL YPNUS

NEPHALlUS.

~

Tout à l'heure, j'ai cherché à te voir, Philypnus, mais

on m'a dit que tu n'étais pas chez toi.

PHI

LYPNUS. - Ce n'était pas tout à fait faux. Je n'y étais pas pour

toi,

mais j'y étais très bien pour moi .

NEPHALlUS. - Que veut dire cette énigme?

PHILYPNUS. -

Tu connais cet antique proverbe :

je

ne dors pas pour

to

ut

le

monde

1.

Et

tu

te rappelles

le

mot spirituel de Nasica

2.

Un

jour qu'il était allé rendre visite à son ami Ennius,

la

servante

avait

répondu, sur ordre du maître, qu'il était absent. Nasica comprit

ct s'en alla. Mais quand Ennius à son tour vint chez lui et demanda

au serviteur s'il était là, Nasica cria, de sa chambre: <de ne suis pas

là » Ennius qui avait identifié la voix, s'exclama: «Quel toupet

com me si je ne reconnaissais pas ta voix - Tu en as encore plus que

moi, rétorqua Nasica, puisque tu doutes

de

ma parole, alors que

j'ai

cru ta servante.»

NEPHALlUS. - Tu étais peut-être trop occupé?

PHILYPNUS. - Bien au contraire: je goûtais un doux loisir.

NEPHALlUS. -

Encore une énigme qui me tourmente.

PHIL YPNUS. - Je vais te dire les choses sans détour, en appelant un

chat un chat

3.

NEPHALlUS. - Je t'écoute.

PHIL YPNUS. - Je dormais profondément.

NEPHALlUS. -

Que dis-tu là? Il 'était huit heures passées, et à ce

mo is de l'année,

le

soleil se lève avant quatre heures.

1. Proverbe recueilli dans les Adages (504), LB, 11, 223b,

2. L'anecdote suivante est racontée par Cicéron dans

son

traité De l orateur II, 68.

2

76)

pour donner

un

exemple de répartie spirituelle,

3, Il existe plusieurs proverbes anciens signifiant : «parler franchement», Dans les

Adages

(1205;

LB, 11,

485e) et ici, cela se dit: «appeler

une

figue, figue».