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COLLOQUE DES 60 ANS 12 AVRIL 2008 ECOLE LA SOURCE 11, rue Ernest Renan 92190 MEUDON

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COLLOQUE DES 60 ANS 12 AVRIL 2008

ECOLE

LA SOURCE

11, rue Ernest Renan 92190 MEUDON

Colloque de l’école La Source

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Colloque de l’école La Source

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COLLOQUE Ecole La Source

Samedi 12 avril 2008

Conférences - Débats – Ateliers

Autour de la question :

Comment adapter les actions éducatives aux jeunes d’aujourd’hui et de demain ?

Ecole La Source - Octobre 2008

Colloque de l’école La Source

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Table des matières

LE PROGRAMME.......................................................................................................................................................................................................... 4

LES PERSONNES RESSOURCES................................................................................................................................................................................ 6

IMAGES DU DOLLOQUE............................................................................................................................................................................................ 7

INTRODUCTION - Tatiana Consiglio ...................................................................................................................................................................... 9

LES CONFERENCES.................................................................................................................................................................................................... 11

VOLEURS DE SENS ET TRAVAIL SCOLAIRE – Philippe Perrenoud.................................................................................................................. 11

L'EDUCATION NOUVELLE : HIER POUR AUJOURD'HUI – Jean Houssaye .................................................................................................. 19

LES ATELIERS.............................................................................................................................................................................................................. 27

ATELIER 1 – SPECIFICITES ET NOUVEAUTES DES ECOLES DITES DIFFERENTES.................................................................................... 27

ATELIER 2 – NOUVEAUX REPERES ....................................................................................................................................................................... 36

ATELIER 3 – NOUVEAUX DISPOSITIFS ................................................................................................................................................................ 45

ATELIER 4 – NOUVEAUX MEDIA ........................................................................................................................................................................... 54

ATELIER 5 – NOUVELLES FAMILLES..................................................................................................................................................................... 65

CONCLUSION - Tatiana Consiglio ......................................................................................................................................................................... 73

BIBLIOGRAPHIE DU COLLOQUE DE L’ECOLE LA SOURCE.......................................................................................................................... 76

Colloque de l’école La Source

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Ecole La Source

Philippe Cibois, Président de l’AEN La Source

Marie-José Moreau, Directrice du premier degré

Tatiana Consiglio, Directrice du second degré

Vous ont conviés au colloque des 60 ans

PROGRAMME

9h30 Accueil au SEL 47 Grande Rue, 92310 Sèvres 9h45 : Regards d’élèves court métrage Yves Rousselet

Conférences de Philippe Perrenoud Sociologue, et professeur des sciences de l’éducation à l’Université de Genève Jean Houssaye Professeur de sciences de l'éducation à l'Université de Rouen 14h : Ateliers à La Source à Meudon 11 rue Ernest Renan, 92190 Meudon 01 46 26 99 88 17h : Synthèses Philippe Perrenoud

PROBLEMATIQUES des ATELIERS

1. Spécificités et nouveautés des écoles dites différentes

« Quelles idées de l’école nouvelle restent opérantes dans le

contexte d’aujourd’hui et de demain ? Comment peut-on

actualiser leur mise en œuvre ? »

Intervenants : Laurent Gutierrez et Pierre Kahn

2. Nouveaux repères

« Dans un contexte de mouvance, d’instabilité et de

multiplication des repères et de leur mode de transmission,

quelles actions éducatives l’école doit-elle, peut-elle mettre en

œuvre ? »

Intervenants : Philippe Cibois et Cécile Trémolières

3. Nouveaux dispositifs

« Si l’école veut intéresser les élèves et leur donner tous les outils

nécessaires à leur adaptation à la société et au monde, faut-il

actualiser, modifier les dispositifs d’apprentissages actuels, en

créer d’autres ? »

Intervenants : Charlotte Nordmann et Patrice Bride

4. Nouveaux media

« Les enfants face aux nouveaux media :

dangers et opportunités »

Intervenants : Jean-Pierre Letourneux et Serge Pouts-Lajus

5. Nouvelles familles

« Face à de nouvelles conceptions de la famille, quel rôle l’école

pourra-t-elle jouer et quelles fonctions devra-t-elle remplir ? »

Intervenantes : Béatrice des Ligneris et Virginie Bessis-Mermé

Colloque de l’école La Source

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LES PERSONNES RESSOURCES

Les conférenciers Philippe Perrenoud, sociologue et professeur en sciences de l’éducation à l’Université de Genève. Anime, avec Monica Gather Thurler, le Laboratoire de recherche Innovation-Formation-Éducation Jean Houssaye, Professeur des Sciences de l’Education à l’Université de Rouen

Ateliers Personnes ressources Animateurs Secrétaires

Laurent Gutierrez Doctorant en Sciences de l'Education à l'Université Paris VIII, professeur dans

le secondaire à Paris 1. Spécificités et nouveautés des écoles dites différentes Pierre Kahn

Philosophe et Professeur des Universités à l’IUFM de Caen

Jeanne Houlon Enseignante au secondaire

et coordinatrice des 6e

Membre de l’AFAS (Association des

Fondateurs et Amis de La Source)

Nathalie Bergeron-Duval Parent d’élève

Delphine Henry Enseignante au secondaire

Philippe Cibois Professeur émérite de sociologie à

l’université de Versailles - St. Quentin et président de

l’Association d’Education Nouvelle La Source

2. Nouveaux repères

Cécile Trémolières Principale adjointe du

Collège Jean Monnet à Flers (Orne)

Isabelle Crolus Enseignante en primaire

Isabelle Wagner-El-Haik Parent d’élève

Emilie Coubard Enseignante au secondaire

Charlotte Nordmann Essayiste, traductrice et professeure

de philosophie

3. Nouveaux dispositifs Patrice Bride Professeur d’histoire géographie

Membre du comité de rédaction des Cahiers Pédagogiques

David Fusco-Vigné Enseignant au secondaire

Laurence Baulier Parent d’élève

Hélène Rousselet Enseignante au secondaire

Jean-Pierre Letourneux Professeur

Université de Nantes

4. Nouveaux media Serge Pouts Lajus Consultant pour « Education et territoires », société d'étude et de

conseil dans le domaine des politiques éducatives locales et l’un des

fondateurs du café pédagogique

Jérôme Saczewski Membre de Re-Source

Association des anciens élèves de La Source

Directeur associé de CLC Communications, Vice Président d'Information Presse & Communication

Cécile Barbe Parent d’élève

Stéphanie Buzzi Documentaliste au secondaire

Béatrice des Ligneris psychologue spécialisée dans

l’adolescence ainsi qu’art thérapeute par le théâtre

5. Nouvelles familles Virginie Bessis-Mermé Professeure Agrégée de l'Education

Nationale, formatrice IUFM psycho-généalogiste certifiée en PNL

Tatiana Consiglio Directrice du secondaire

Françoise Vallet - Bublex Parent d’élève

Françoise Braun Enseignante au secondaire

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IMAGES DES CONFERENCES ET ATELIERS

Philippe Perrenoud - Jean Houssaye Tatiana Consiglio

Jean Houssaye – Marie-José Moreau

Philippe Perrenoud Isabelle Crolus – Philippe Cibois –

Jean Pierre Letourneux - Béatrice des Ligneris

Jeanne Houlon – Laurent Gutierrez - Pierre Khan Charlotte Nordmann

Cécile Trémolières – Isabelle Crolus

Philippe Cibois – Emilie Coubard - Dominique Payan Serge Poutz Lajus - Jean Pierre Letourneux

Virginie Bessis-Mermé - Béatrice des Ligneris Philippe Perrenoud - Tatiana Consiglio

Photos : Yves Rousselet

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INTRODUCTION

Tatiana Consiglio

L’aventure de ce colloque a commencé aux journées pédagogiques de 2006, lors des réflexions entre les équipes des trois niveaux à propos de la célébration du soixantième anniversaire de La Source. Deux événements furent envisagés alors : le premier en interne, la fête dans l’école avec les 800 élèves le jour même de la date anniversaire, le 17 novembre 2006, et le second ouvert au débat pédagogique : le colloque des soixante ans au printemps 2008. Pendant près de deux ans, le « comité colloque », constitué de dix volontaires très motivés, a fourni un travail d’équipe intense et dense marqué par de multiples réflexions, recherches, et rencontres. Chacun fut chargé de missions diverses au cours de l’élaboration du projet, tant dans la mise en œuvre pédagogique que logistique. L’intérêt que nous portons à l’Education et à l’Ecole nouvelle en particulier se caractérisant par le questionnement et la prospective, l’objectif principal du colloque s’imposa : celui de la vaste problématique : « Comment adapter nos actions éducatives aux jeunes d’aujourd’hui et de demain ? ». La nécessité de se tourner vers l’avenir implique inéluctablement celle de s’ouvrir aux autres pédagogies et d’échanger avec d’autres établissements. Après l’écriture du livre « La Source, école de la confiance », objet d’introspection et d’analyse de nos propres pratiques, ce colloque offre l’opportunité d’ouvrir le débat éducatif avec divers professionnels, de l’enseignement public ou privé, d’écoles dites « en recherche » ou pas, et des universitaires spécialistes des sciences de l’éducation. Le choix du président s’inscrit dans la logique de nos liens privilégiés avec Monsieur Philippe Perrenoud, sociologue et professeur à la faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de Genève où il anime le laboratoire de recherche Innovation Formation Education. Ses recherches et ses interrogations sont en adéquation avec nos préoccupations pédagogiques. Nous apprécions son analyse du métier d’élève et par extension du métier d’éducateur, ainsi que son questionnement sur le sens et le manque de sens du travail ou des savoirs scolaires. La réalité de l’Ecole nouvelle aujourd’hui est une autre interrogation légitime. Monsieur Jean Houssaye, professeur de sciences de l’éducation à l’université de Rouen pose cette provocante question et tente d’y répondre en disséquant les trente points d’Adolphe Ferrière datant de 1915 ! Et presque un siècle plus tard, dans un contexte socioculturel en mouvance perpétuelle, les cinq ateliers éclairés par dix intervenants extérieurs, pédagogues, journalistes, psychologues, universitaires, dont les travaux ont attiré notre attention, tournent autour de cinq axes dotés de l’adjectif « nouveau », à savoir : les spécificités et nouveautés des écoles

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dites différentes, les nouveaux repères, les nouveaux dispositifs, les nouveaux media et enfin les nouvelles familles. Ce colloque fut un événement fédérateur, riche en échanges et nourri par la participation de chacun, qu’il soit professionnel de l’éducation, parent, de La Source ou d’ailleurs, apportant ses questions, ses qualifications, et ses expériences. A partir de ces temps de rencontres et de plaisir, ponctués par des débats efficaces et pertinents avec des participants et des bénévoles investis, ont été rédigés les actes du colloque. Les conclusions révèlent d’une part que les travaux réalisés pendant cette journée s’inscrivent dans la ligne de l’engagement éducatif pris par La Source, d’autre part, confortent l’idée de voir se concrétiser des actions pédagogiques et des échanges de pratiques avec d’autres écoles. De cette aventure, restera l’envie forte de réitérer cette construction collective réussie et stimulante, et d’utiliser les actes du colloque comme outil de référence et de réflexion pour les innovations à venir.

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LES CONFERENCES

Voleurs de sens et travail scolaire

Philippe Perrenoud Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation Université de Genève 2001

L’échec scolaire procède, pour une part, du manque de sens du travail ou des savoirs scolaires.

Or, le sens se construit, à partir des valeurs, goûts, projets et rejets de chacun, mais aussi de la situation pédagogique et didactique, des relations intersubjectives, de la dynamique de la classe, des transactions et du contrat qui se développent autour du savoir et du travail scolaire.

Si cette construction est inachevée ou fragile, si le sens s’évanouit, ou ne s’installe jamais, ce n’est pas en général parce que les enseignants aspireraient à en donner le moins possible ou les élèves à en trouver le moins possible. Il est plus fécond de se dire que, lorsque le sens fait défaut, c’est qu’il a été affaibli, dilué ou perverti, détourné, par divers mécanismes agissant pour une part à l’insu des acteurs, même si leurs ambivalences y sont pour quelque chose.

Il convient d’identifier ces mécanismes pour mieux les neutraliser. Par métaphore, on les considérera comme des voleurs de sens, en s’inspirant des voleurs de temps repérés par Jean-Jacques Servan-Schreiber (1983).

Les voleurs de sens ne sont ni des personnes, ni des événements singuliers, ce sont des mécanismes psychosociologiques actionnés régulièrement, en général involontairement. Ils sont liés à un climat, un fonctionnement, un contrat, une dynamique, un environnement matériel et organisationnel, une culture, un rapport au savoir, aux élèves, au métier.

À partir de cette construction minimale de la notion et de sa mise en relation avec la problématique de l’échec scolaire, il a paru intéressant de proposer une première liste de voleurs de sens.

Voici quelques-uns des voleurs de sens identifiés :

1. Sentiment d’insécurité, angoisse, stress, menaces d’évaluation, d’ironie ou de sanctions

2. Attitude distante ou humiliante de l’enseignant

3. Faible adéquation des tâches aux élèves

4. Pédagogie peu active et participative

5. Programmes rigides et surchargés

6. Savoirs désenchantés, sans racines ni enjeux

7. Savoirs sans liens avec des pratiques sociales

8. Zapping permanent, journées décousues

9. Manque de continuité et de clarté dans le contrat et les attentes

10. Faible implication de l’enseignant dans son travail.

Analysons ces dix voleurs, en tentant pour chacun d’identifier ce qui affaiblit le sens et ce qui pourrait au contraire le renforcer.

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1. Sentiment d’insécurité, angoisse, stress

Il faut, selon les pédagogues, pour donner du sens à ce qu’on fait et à ce qu’on apprend : - se sentir reconnu, respecté comme personne et comme membre d’une famille et d’une communauté ; - ne pas se sentir menacé, dans son existence, sa sécurité, ses habitudes, son identité ; - se sentir compris et soutenu dans les moments de ras-le-bol, de fatigue, d’échec ; - savoir qu’on vous fait confiance, qu’on vous imagine capable et désireux d’y arriver ; - croire que quelqu’un attache de la valeur à ce que vous faites ou apprenez (Perrenoud, 1995).

On peut résumer le propos en disant que pour apprendre il faut se trouver dans une situation (Perrenoud, 1999) : - qui ne menace pas l’identité, la sécurité, la solidarité des apprenants. - mobilisatrice, porteuse de sens, qui provoque une activité dans laquelle l’apprenant s’implique

personnellement et durablement. - sollicitant l’apprenant dans sa zone proximale d’apprentissage (déséquilibre optimal, obstacle

franchissable).

Ces conditions sont loin d’être constamment réunies.

Ce qui affaiblit le sens

Il est difficile d’apprendre sous la menace : sanctions, jugements cruels, retrait d’amour, privation de liberté ou d’argent de poche participent du jeu de la carotte et du bâton.

Ce qui affaiblit le sens profond des apprentissages, c’est d’apprendre en étant soumis constamment à une évaluation assortie, si elle est négative, de blâmes ou de commentaires ironiques.

C’est aussi travailler uniquement pour : • Etre aimé. • Ne pas avoir d’ennuis. • Passer inaperçu. • Gagner de l’argent. • Ne pas être ridicule. • Ecraser les autres.

L’enseignant qui encourage ces mobiles ne devrait pas s’étonner que les élèves développent un rapport instrumental, voire cynique aux savoirs.

Ce qui pourrait le renforcer

Il n’est pas question de substituer aux menaces des récompenses de même nature. Ce qui accroît le sens d’un apprentissage, c’est notamment : • Le droit à l’erreur et au tâtonnement. • L’absence de peur. • Le plaisir de maîtriser ou de comprendre. • La confiance dont on jouit. • La solidarité avec d’autres apprenants.

Il importe donc que l’enseignant crée un espace protégé, un atelier plutôt qu’un tribunal, une communauté éducative plutôt qu’une compétition permanente, un rapport au savoir comme outil de compréhension du monde plus que de réussite sociale.

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2. Attitude distante ou humiliante de l’enseignant

Selon la relation éducative et au contrat pédagogique et didactique qui s’établissent entre l’enseignant et ses élèves, le sens s’accroît ou s’affaiblit. C’est pour certains élèves le facteur déterminant. D’autres sont plus sensibles à d’autres aspects, mais nul n’apprend en faisant complètement abstraction de la relation.

On peut considérer comme voleuse de sens une relation à laquelle font défaut des qualités telles que la chaleur, la sincérité, l’estime réciproque, le dialogue, le respect de l’autre, la complicité.

Ce qui affaiblit le sens

Pourquoi la relation ne serait-elle pas toujours excellente, dans un métier qu’on a en principe choisi pour travailler avec des jeunes ? On peut suggérer plusieurs hypothèses : • Le choix initial d’un professeur se porte parfois (souvent ?) sur la discipline plutôt que la relation. • Les filières et les degrés dans lesquels il enseigne ne sont pas toujours ceux dont il rêvait. • Les élèves ne sont plus ce qu’ils étaient, « le respect se perd », ce qui ne donne guère envie de s’investir

dans la relation. • Certains enseignants ont fait le tour des satisfactions d’ordre relationnel, elles ne leur apportent plus rien

de neuf, tous les élèves finissent pas se ressembler. • L’énergie requise pour construire et entretenir des relations cordiales fait défaut ou est investie ailleurs. • La violence des adolescents et l’ambiguïté de leur rapport aux adultes poussent ces derniers à ne pas

s’aventurer sur un terrain dangereux. • Dans la relation, la part de séduction, voire de sexualité, n’est pas maîtrisable, sauf si on met des barrières

très strictes. • La vision du métier exclut les relations fortes avec les élèves ou interdit de s’engager comme personne. • Le professeur se protège parce qu’il ne sait pas très bien fixer et faire respecter des limites. • Son sens de la hiérarchie interdit un dialogue ouvert, on craint d’être débordé, de perdre le contrôle si on

engage la discussion. • Il n’a pas la formation, la solidité, la tranquillité, l’identité nécessaires pour s’engager dans des relations

fortes.

Ce qui pourrait le renforcer

On touche ici à des dimensions très subjectives et subtiles, dans un domaine où rien ne se décrète. On peut cependant suggérer quelques mécanismes susceptibles de rendre la relation et le dialogue plus satisfaisants : • Un travail sur soi, son image du métier, sa façon d’entrer en relation, ses peurs et ses attentes. • Des échanges avec des collègues, un travail d’équipe. • Une clarification des règles du jeu et du contrat maître-élèves, une habitude de la métacommunication. • La pratique d’une forme ou une autre de conseil de classe. • Une formation sur ces thèmes. • Éventuellement une supervision ou une thérapie, lorsqu’une relation bloquée entraîne une souffrance. 3. Faible adéquation des tâches aux élèves

Placé devant une tâche trop facile ou trop difficile pour lui, l’élève ne peut se mobiliser, il s’ennuie, il décroche. Mais l’ajustement touche aussi au type de contenus et d’activités, parfois assez éloignés des intérêts et de la culture des élèves, en français aussi bien qu’en musique, en sciences de la vie aussi bien qu’en informatique.

Ce qui affaiblit le sens

Seuls les professeurs les plus élitistes souhaitent mettre le savoir et les tâches à distance des élèves. Les autres sont victimes d’un ensemble de contraintes qui rendent difficile la différenciation de l’enseignement :

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• L’hétérogénéité des élèves et l’effectif des classes. • Des programmes qui s’imposent à tous. • Une évaluation certificative standardisée. • La rigidité des horaires. • L’absence de formation à une pédagogie différenciée. • Un manque de tolérance et d’ouverture à d’autres valeurs et cultures.

Ce qui pourrait le renforcer

Le problème peut être attaqué simultanément de plusieurs manières : • Des formules diverses de soutien pédagogique (externe ou intégré à la classe). • Une formation à l’évaluation formative et à la pédagogie différenciée. • Davantage d’options. • Des formules d’études indépendantes sous contrat. • Une diversification des activités proposées, de sorte à multiplier les entrées dans le savoir. • Des pédagogies plus actives, des démarches de projet. • Un travail des professeurs sur leur propre rapport au savoir, à l’esthétique, au travail et sur la distance

culturelle entre eux et certains de leurs élèves. 4. Pédagogie peu active et participative

Écouter, prendre des notes, étudier dans des livres, faire des exercices : ces figures traditionnelles du travail scolaire mettent certes l’élève en activité, mais d’une façon assez stéréotypée, sans l’impliquer dans la définition de la tâche et en justifiant l’activité par sa nécessité pour apprendre plutôt que par des enjeux plus proches et mobilisateurs.

Ce qui affaiblit le sens

On peut en rappeler quelques-unes : • L’école est devenue une organisation bureaucratique de masse, ce qui ne favorise pas l’originalité et la

créativité, perçues souvent comme facteurs de désordre et d’inégalité de traitement. • L’encyclopédisme des programmes impose des progressions rapides, qui empêchent de prendre des

chemins de traverse et dissuadent de construire des connaissances par essais et erreur, recherche et projets. • L’évaluation sanctionne plus facilement des « exercices faits pour une note » que d’autres formes de travail,

plus individualisées, plus collectives, moins comparables entre elles ou à des exigences préétablies. • La pédagogie fondées sur une alternance de leçons et d’exercices peut s’appuyer sur des méthodologies et

moyens d’enseignement qui « mâchent » le travail des enseignants. • Ces démarches exercent une pression favorable à l’ordre en classe et n’exigent ni négociations, ni partage

du pouvoir entre l’enseignant et les élèves.

Ce qui pourrait le renforcer

Les courants d’école moderne en ont proposé quelques-unes, d’autres s’ancrent dans les travaux didactiques contemporains : • Recourir aux méthodes actives et interactives, dans une optique constructiviste (on apprend en faisant). • Travailler sur des problèmes ouverts, qui font découvrir des questions et des méthodes. • Créer des situations-problèmes, qui confrontent les élèves à un objectif-obstacle d’ordre théorique, dans

une démarche de recherche ouverte et interactive. • Développer des démarches de projet qui mobilisent, consolident et parfois construisent des savoirs

nouveaux, qui entraînent leur mobilisation et leur intégration face à des tâches complexes et qui permettent aux élèves de se sentir auteurs et acteurs d’un projet visant une production à l’intention de tiers (enquêtes, spectacles, expositions, journaux, etc.).

• Développer des approches métacognitives, travailler à partir des représentations préalables, des méthodes spontanées, des erreurs des apprenants.

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5. Programmes rigides et surchargés

La contrainte des programmes est souvent évoquée pour expliquer le manque de sens du travail scolaire.

Ce qui affaiblit le sens

La critique des programmes est aussi ancienne que l’école, mais elle reste d’actualité : • Les programmes s’imposent tant aux enseignants qu’aux élèves, si bien que le débat sur ce qu’il est utile ou

opportun d’apprendre ne peut déboucher que sur l’adhésion à ce qui est déjà décidé. • Les options sont restreintes et portent sur des disciplines périphériques. • Le nombre impressionnant de notions et de chapitres à parcourir limite la pédagogie de la découverte. • Le rythme laisse une partie des élèves sur le bord du chemin, ils « décrochent » en cours d’année et ne

trouvent plus d’intérêt à la suite du programme. • Les contenus successifs l’emportent sur la référence à des objectifs globaux qui guideraient l’apprentissage

à long terme. • Les savoirs sont organisés en un texte qui se déroule linéairement, de semaine en semaine, plutôt que

comme des ressources pour résoudre des problèmes et développer des compétences. • Chaque discipline est refermée sur elle-même et suit sa logique propre, avec pour seule exigence qu’on lui

donne assez de temps pour faire tout ce qu’il y a à faire.

Ce qui pourrait le renforcer

On peut agir sur les programmes eux-mêmes, mais aussi sur leur mise en œuvre, qui laisse plus de degrés de liberté qu’on ne le croit : • Des objectifs de formation plus clairs, prenant le pas sur les contenus et justifiant des cheminements

différents. • Des programmes écrits en termes de compétences à construire plutôt que de savoirs à accumuler. • Des disciplines moins cloisonnées, avec des carrefours interdisciplinaires, des projets communs, des

évaluations conjointes. • Un travail collectif des enseignants sur l’ensemble du programme, suivi d’un travail de même nature avec

les élèves. • Des options plus nombreuses, la réduction à l’essentiel de ce qui s’impose à tous. • Des options à l’intérieur des disciplines, avec un noyau dur commun et des développements différenciés. 6. Savoirs désenchantés, sans racines ni enjeux

Pour les uns, le sens du travail scolaire s’ancre essentiellement dans le sens des savoirs qu’il est censé permettre de s’approprier. D’autres pensent que cette source de sens n’est pas suffisante, que les activités d’apprentissage doivent avoir un intérêt pour elles-mêmes, sur le vif, indépendamment de leurs effets d’apprentissage. Dans tous les cas, on souhaitera que les savoirs à construire aient le maximum de sens en eux-mêmes.

Ce qui affaiblit le sens

• Les professeurs n’ont pas toujours la culture en histoire et en épistémologie des sciences qui permettrait d’expliquer la genèse des savoirs scolaires.

• Ils ne sont pas toujours familiers des usages des savoirs qu’ils enseignent dans le monde du travail et ne peuvent donc justifier les contenus que par des références assez vagues, sauf dans les formations clairement professionnelles.

• L’évaluation fait de la maîtrise du savoir un enjeu, une norme, une source de pression et de contrainte qui en atténuent le sens.

• La surcharge des programmes et le souci de progresser « sans perdre de temps » désenchantent les savoirs, les placent constamment dans une perspective productive et instrumentale.

Colloque de l’école La Source

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Ce qui pourrait le renforcer

• Introduire une dimension historique et épistémologique dans les disciplines qui s’y prêtent, en renonçant à une partie des contenus actuels.

• Travailler par centres d’intérêts, problèmes ouverts, démarches de projet pour connecter les savoirs théoriques ou méthodologiques à des pratiques.

• Aller vers une évaluation des compétences, en situation d’action plutôt que de multiplier les examens de connaissances.

• Proposer des projets ou des problèmes communs à plusieurs disciplines. 7. Savoirs sans liens avec des pratiques sociales

Le manque de sens peut résulter d’un faible ancrage des savoirs dans les pratiques sociales, aussi bien celles qui leur ont donné naissance que celles auxquelles ils sont censés préparer.

Ce qui affaiblit le sens

Tout cela ne tient pas à l’arbitraire du professeur. C’est assez largement inscrit dans la structure : • La forme scolaire induit en tant que telle une séparation entre l’école et les autres secteurs de l’existence.

Seules les formations en alternance échappent en partie à cette coupure. • La construction des savoirs est une longue succession de marches, qui s’étend sur des années. Les élèves

n’arrivent pas à en imaginer la fin ou à se mobiliser en fonction d’échéances aussi lointaines. • La multiplicité des disciplines et des notions à enseigner ne permet pas de les relier à la vie et aux

pratiques. • Tenir compte des événements, de l’actualité, de la vie bouleverserait la planification didactique et

obligerait à improviser un enseignement original. Il est plus simple de rester en circuit fermé.

Ce qui pourrait le renforcer

On peut en suggérer quelques unes : • Relier systématiquement les savoirs à leurs origines et à leurs usages. • Développer les activités qui font sortir de la classe ou ouvrent l’école à des tiers. • Travailler sur les compétences qui mobilisent les savoirs, plutôt que sur des notions détachées de tout

contexte d’action. • Partir des représentations et des questions des élèves. • Laisser du temps pour intégrer l’imprévu, l’actualité, les suggestions des élèves. • Développer des formes nouvelles d’alternance entre l’école et un terrain, sans se limiter au monde du

travail. 8. Zapping permanent, journées décousues

Pour les uns, le sens du travail scolaire s’ancre essentiellement dans le sens des savoirs qu’il est censé permettre de s’approprier. D’autres pensent que cette source de sens n’est pas suffisante, que les activités d’apprentissage doivent avoir un intérêt pour elles-mêmes, sur le vif, indépendamment de leurs effets d’apprentissage. Dans tous les cas, on souhaitera que les savoirs à construire aient le maximum de sens en eux-mêmes.

Ce qui affaiblit le sens

• Les savoirs sont découpés en petites tranches permettant de les abandonner puis d’y revenir au gré des périodes prévues dans la grille horaire. Ce zapping affaiblit le sens.

• Le temps manque, même si on a la culture requise, pour engager le débat avec les élèves, faire des recherches historiques, aller visiter des entreprises ou conduire des enquêtes auprès de praticiens.

Ce qui pourrait le renforcer

• Alléger les programmes pour laisser le temps de construire des savoirs.

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• Organiser l’enseignement par cours-blocs ou modules plus compacts, permettant d’approfondir la même thématique durant plusieurs heures, plusieurs jours, voire plusieurs semaines de suite.

9. Manque de continuité et de clarté dans le contrat et les attentes

Faut-il se taire ou prendre la parole ? A-t-on le droit de poser des questions dont on ne sait pas la réponse ? L’erreur est-elle une faute ou un moyen d’apprendre ? S’exprimer, est-ce une façon de s’affirmer ou de déranger ?

Ce qui affaiblit le sens

Parmi les manques de continuité et de clarté, on peut citer : • Le statut ambigu de l’erreur, tantôt levier, tantôt faute. • Le statut non moins ambigu de la question en classe, tantôt sollicitée, tantôt censurée. • Le « double bind » : « Sois spontané, mais reste dans le cadre ; dis ce que tu penses, mais de façon

constructive ; demande de l’aide mais n’en abuse pas ». • Le sentiment que reconnaître une difficulté peut jouer contre l’élève. • L’encouragement à coopérer alternant avec l’interdiction de communiquer. • La douche écossaise dans le registre de la discipline, du maître-camarade au censeur. • L’invitation à la recherche et au non conformisme voisinant avec la hiérarchie des réponses.

Ce qui pourrait le renforcer

Le sens peut être renforcé par : • Une classe coopérative. • Des promesses tenues. • Des ruptures annoncées et gérées si elles sont inévitables. • Des instances de régulation. 10. Faible implication de l’enseignant dans son travail

Il n’est pas anodin de finir par ce constat : si le travail scolaire n’a pas beaucoup de sens pour l’enseignant, pourquoi en aurait-il pour les élèves ? La curiosité, la passion, l’implication de l’enseignant ne suffisent pas toujours à entraîner l’enthousiasme des élèves, mais si elles font défaut, l’ennui et l’absence seront aux rendez-vous.

Ce qui affaiblit le sens

Pourquoi un enseignant ne s’impliquerait-il pas ? Pour mille raisons différentes, dont voici quelques unes : • Les uns ont choisi ce métier faute d’alternatives, d’autres en ont fait le tour et n’en attendent plus rien. • Il peut y avoir aussi un manque d’estime de soi, de sa discipline, de sa pédagogie, liés à un sentiment

d’échec ou d’incompétence ou à l’impression de ne pas être reconnu à sa juste valeur. Tout cela induit un profil bas.

• La fatigue et la lassitude, plus ou moins passagères, liées aux élèves et à ce qui se passe en classe, ou à d’autres facteurs (âge, santé, problèmes familiaux, inquiétudes pour l’emploi, etc.) limitent l’implication professionnelle.

• Enfermement ou solitude peuvent conduire à un état de déprime durable. • Le manque de moyens, la rigidité de l’institution, l’arbitraire de certaines règles, des inégalités criantes, un

refus constant opposé à des propositions peuvent démobiliser et nourrir une forme de cynisme ou de révolte.

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Ce qui pourrait le renforcer

Dans certains cas, le problème ne trouve pas ses racines dans l’école et devrait être attaqué sur un autre front. Même alors, on peut faire l’hypothèse que le moral des enseignants et le sens qu’ils donnent à leur métier se jouent sur plusieurs fronts et qu’un environnement professionnel stimulant peut compenser d’autres expériences (ou inversement). Parmi les pistes : • Un travail d’équipe pour rompre la solitude et aider à reconstruire d’autres représentations de soi et de

nouveaux projets. • Une formation continue qui aborde ces questions et permet un travail sur soi et une analyse du rapport au

métier dans des conditions favorables. • Une confiance aux enseignants faite et affirmée par l’autorité scolaire à tous les niveaux, qui peut se

traduire par des sollicitations à s’associer à des démarches novatrices, des feed-back positifs, une autonomie maximale, le renoncement à toute infantilisation, la transparence des procédures et des décisions.

• Des structures de participation, consultation, concertation qui associent les enseignants à la marche de l’école.

• Une identité forte de l’établissement, une image claire, une vraie démarche de projet, toutes choses qui aident à s’impliquer et à s’identifier à une communauté.

• Un soutien psychologique efficace et discret dans les moments de crise. • Des groupes d’analyse de pratiques et des situations éducatives permettant de décrire et de mieux

comprendre ce qu’on fait fonctionner avec les élèves. En guise de conclusion

La notion de voleurs de sens reste une métaphore et la liste esquissée demeure ouverte. Du point de vue de l’analyse, il me semble fécond de percevoir le sens comme un état instable, constamment susceptible de se dégrader et dont le maintien exige un travail.

Du point de vue de la formation, cette approche donne quelques clés de lecture des risques et quelques pistes pour construire ou rétablir du sens.

Bien entendu, cela ne dépend pas que des enseignants, le manque de sens naît aussi des contraintes du système. On aurait tort cependant de sous-estimer la dimension constructive et subjective. On observe tous les jours des acteurs capables de créer du sens dans les conditions objectives les plus défavorables et d’autres qui, dans des conditions apparemment privilégiées, fabriquent du non sens…

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L'Education nouvelle : hier pour aujourd'hui

Jean Houssaye Professeur des Sciences de l’Education - Université de Rouen

On a l'habitude de dire que l'Education nouvelle est devenue vieille. Ce qui est exact. Elle était déjà

vieille quand elle s'est construite (avant la première guerre mondiale) et épanouie (entre les deux guerres), dans la mesure où elle se présentait comme l'héritière de toute une tradition éducative innovatrice (Socrate, Comenius, Rousseau, Pestalozzi, etc.). Elle apparaît comme vieille aujourd'hui puisque les idées qu'elle promeut sont au coeur des enjeux, des débats et des combats depuis un siècle. Nous avons donc eu tout le temps de nous habituer à elle. Est-ce à dire qu'elle est désormais trop vieille? Est-ce à dire qu'elle est trop déconsidérée et par trop dépassée ?

Rappelons simplement une chose : les mouvements d'Education nouvelle continuent à exister et sont pour le moins minoritaires ; les écoles qui se réclament de ce courant restent en nombre infinitésimal ; les enseignants et les éducateurs qui s'y réfèrent ont toujours l'impression de devoir affronter une majorité hostile... Ce qui amènerait à penser que, pour être une vieille histoire, l'Education nouvelle n'a que l'avenir devant elle, faute de se trouver un présent satisfaisant. Pour autant, s'agit-il de la « même » Education nouvelle ?

Une question fondamentale, qui n'a cessé de tarauder les partisans de l'Education nouvelle, est de l'ordre de l'identité : qu'est-ce qui peut être accepté comme étant « effectivement » de l'Education nouvelle ? Quels sont les critères qui permettent de la reconnaître, de l'identifier et de la promouvoir ? Chantre de l'Ecole nouvelle, propagateur infatigable des idées de cette école qu'il voulait, lui, dénommer active, Adolphe Ferrière en 1915, a décliné en « Trente Points » un programme maximum qui permette de reconnaître une « vraie » Ecole nouvelle. Il est donc intéressant de reprendre un à un chacun de ces aspects et, pour chacun d'eux, de se poser la question suivante : fait-il encore partie de notre univers pédagogique ? Continue-t-il à apparaître comme innovant dans nos débats contemporains (93 ans après...) ?

Etant un homme d'ordre et de référence, Ferrière a distribué ses trente points, qu'il dit s'être contenté d'enregistrer au long d'une expérience de quinze ans, en trois parties de dix aspects chacune : l'organisation scolaire, l'éducation intellectuelle, l'éducation morale. Pour des questions de lisibilité et pour éviter de devoir analyser à l'infini chacun des termes utilisés en 1915, nous ne reprendrons que l'idée principale de chaque élément.

A - L'ORGANISATION SCOLAIRE 1 - L'Ecole nouvelle est un laboratoire de pédagogie pratique A l'ombre de la psychologie moderne de l'enfant qui se développe au début du siècle, et en lien

avec la pédagogie expérimentale, la pédagogie innove in vivo et non pas d'abord in vitro. Les adeptes de l'Education nouvelle sont d'abord des praticiens de l'action éducative. Leur crédibilité vient de leurs actes.

On ne peut pas dire que cette problématique soit dépassée à l'aube du nouveau siècle. On ne cesse de vouloir organiser, diffuser, amplifier l'innovation pédagogique. On réclame des établissements expérimentaux pour innovateurs. On cherche à permettre à chaque enseignant et à chaque établissement de définir un projet pédagogique. Bref, l'idée que les changements restent nécessaires et qu'ils doivent rencontrer la pédagogie au quotidien continue à alimenter les mouvements pédagogiques... et les autres.

2 - L'Ecole nouvelle est un internat Bien des grands noms de l'Education nouvelle sont restés attachés à l'organisation d'internats, que

l'on soit en France, en Allemagne, en Angleterre. Cela traduit une certaine méfiance à l'égard des possibilités de l'éducation familiale. C'est aussi reconnaître la tradition éducative classique qui, des Jésuites à la République, avait compris que l'influence est d'autant plus grande sur les enfants que l'efficacité est garantie par le temps d'imprégnation éducative.

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Nous ne sommes plus dans cette problématique. La place de la famille dans l'éducation est de plus en plus considérée. Enfant de l'école, l'enfant est certes encore et toujours celui de l'Etat (et non plus celui de l'Eglise), mais, même à l'école, il est devenu de plus en plus l'enfant de sa famille... que l'on souhaite même éducatrice. L'internat n'est plus qu'un pis-aller, un mal parfois nécessaire, dont on ne veut pas abuser (on s'efforce de renvoyer chez eux les enfants le plus régulièrement possible).

3 - L'Ecole nouvelle est située à la campagne La campagne était considérée comme le milieu naturel de l'enfant, permettant ce renvoi si

spécifique de l'Education nouvelle entre la nature interne de l'enfant et la nature externe. A ce titre, l'Ecole nouvelle a souvent combattu l'influence (mauvaise) de la ville. Cette dernière est vécue comme un enfermement et un danger, elle ne permet pas le déploiement d'activités sur le monde environnant. Elle n’est pas le lieu d'épanouissement de l'enfance.

Même si nous restons aujourd'hui parfois persuadés que la vie à la campagne serait plus douce et appropriée pour les enfants, les écoles rurales sont davantage posées comme un problème nécessitant un traitement spécial qu'une solution d'avenir. Nous sommes dans une société urbaine qui en est réduite à « préserver » sa campagne scolaire. Nous favorisons à la rigueur les classes de découverte pour faire l'école à la campagne, mais nous savons que ce ne sont pas là les conditions habituelles. La ville est devenue notre monde de référence, même en éducation.

4 - L'Ecole nouvelle groupe ses élèves par maisons séparées Chaque petit groupe d'enfants est pris en charge pour son éducation par un « couple pédagogique ». Il est

en effet capital que la mixité des éducateurs soit assurée pour tous, de façon à intégrer la dimension de la mixité dès l'école, à l'image en fait de la famille que l'on veut reconstituer ici dans son atmosphère et dans ses caractéristiques sexuées.

Une telle préoccupation ne semble plus aussi forte actuellement, dans la mesure où la mixité du corps enseignant est réelle (même si parfois elle est déséquilibrée). Mais on ne peut résoudre la question de cette façon. Encore faut-il que la mixité des professeurs soit éducative ! Or le problème reste posé car, le plus souvent, cette mixité reste un fait mais non une volonté ou un facteur d'éducation. Elle n'est pas intégrée ou voulue en tant que telle. N'oublions pas non plus que l'intention de l'Education nouvelle était d'assurer, par ce moyen, un suivi particulier d'un petit groupe d'enfants. On pense ici au tutorat, par exemple, qui ne cesse de provoquer des réactions négatives.

5 - La coéducation des sexes a donné des résultats incomparables Pendant très longtemps, il était évident que les filles relevaient de certaines écoles et les garçons d'autres. Il

n'était pas question d'instruire et d'éduquer ensemble à l'école les unes et les autres. Or l'Education nouvelle a eu tendance, dans bien des établissements et des internats, à mélanger les sexes. Il s'agissait là d'une rupture capitale qui a certainement provoqué une évolution des mentalités.

Aujourd'hui, il est évident que les classes et les écoles sont mixtes. C'est un fait et une volonté qui ne sont pourtant que très récents et qui sont sans doute dus à une évolution des mentalités, des moeurs et de la société. L'Education nouvelle avait en tout cas montré que cela était possible. Toute question a-t-elle pour autant disparu? Sans parler des interrogations récurrentes sur les effets discriminants de cette nouvelle organisation scolaire, on peut continuer à se demander si cette mixité est source et possibilité d'éducation et doit l'être. Autrement dit, la mixité des élèves n'est-elle qu'un fait ou doit-elle être un projet d'éducation ?

6 - L'Ecole nouvelle organise des travaux manuels pour tous les élèves Voulant réaliser, en éducation, l'équilibre de la tête, du coeur et de la main, l'Education nouvelle a toujours

beaucoup accordé d'importance aux travaux manuels, en tant qu'instruments éducatifs privilégiés dans le rapport de chacun avec la nature et sa nature. Ce que les célèbres leçons de choses de Jules Ferry n'ont jamais réussi à intégrer, les écoles nouvelles l'ont pris en compte et développé dans un but éducatif et non pas dans une perspective professionnelle. C'était une question d'équilibre de l'homme et du monde.

Il nous faut bien admettre que les travaux manuels ne sont jamais parvenus à s'imposer dans les écoles ordinaires. Le statut dévalorisé du travail manuel dans la société, la focalisation de l'instruction sur l'intelligence intellectuelle, l'évolution croissante vers des activités productives immatérielles, tout ceci a contribué à cette impossibilité d'intégrer les travaux manuels à l'école. Il en ressort une conception intellectualiste de la culture, une dévalorisation du corps et de la technique. On ne parle même plus aujourd'hui de culture manuelle à l'école, mais plutôt de la place de la culture technique au regard de la culture scientifique.

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7 - Parmi les travaux manuels, la menuiserie, la culture du sol et l'élevage des animaux occupent les

premières places On reconnaît bien entendu, avec la menuiserie, un hommage à Rousseau qui fait apprendre le métier de

menuisier à Emile. Mais, au-delà, il faut voir le rapport entre le métier et la nature. Le bois reste la matière première « naturelle » qui se donne d'emblée, contrairement à l'acier ou au plastique. Les plantes et les animaux sont du même ordre. Ils respectent le monde de l'enfance à sa racine. L'Education nouvelle restera très bucolique.

A l'ère de l'information et de la communication, les enfants d'aujourd'hui font de la nature un lieu de connaissance ou de déplacement, mais non un lieu d'expérimentation au quotidien. Les animaux et les plantes sont constamment présents... à et par la télévision. Les jeux vidéo ont remplacé les poules et les canards. La panoplie du petit chimiste est plus utile que les outils du menuisier, ce qui ne récuse pas la volonté de l'Education nouvelle. C'est peut-être même ce qui la rend encore plus d'actualité car le rapport à la nature devient de plus en plus problématique (et crucial). La prégnance de l'écologie en est un signe et un symptôme.

8 - A côté des travaux réglés, une place est faite aux travaux libres L'école n'est pas un lieu d'apprentissage où tout est réglé préalablement. L'Education nouvelle a toujours

critiqué l'emprise des programmes définis entièrement et applicables comme tels. Ce sont eux qui justifient et favorisent une pédagogie traditionnelle. D'où l'importance du gratuit et du personnel, à côté de l'obligatoire et du normatif. Les travaux libres sont là pour rappeler l'importance des goûts, de l'invention et de la créativité de celui qui apprend.

La place et l'importance du programme n'ont pas cessé, loin de là, aujourd'hui. Les batailles des organisations de spécialistes se déroulent à chaque réforme ou tentative de réforme. Ces dernières se déclinent d'abord en heures selon les matières et en contenus définis exhaustivement. L'interdisciplinaire et les travaux personnels tentent de s'allier pour se faire une place, mais la même requête vient aussitôt : il faut définir un programme pour un tel espace. Bref, la notion même de travaux libres reste étrange et contradictoire, elle ne semble pas faire partie de la culture de l'école.

9 - La culture du corps est assurée par la gymnastique naturelle Cette référence à la doctrine d'Hébert n'est pas gratuite ou anecdotique. Il s'agit de prendre en compte le

corps à l'école, de le considérer comme une forme de culture et, pour ce faire, de le séparer de sa forme militaire par lequel il s'est introduit dans le quotidien de l'école. Les bataillons scolaires deviennent en quelque sorte pacifiques. La gymnastique naturelle veut allier le corps, le jeu et le sport. Une fois encore, nature interne et nature externe se répondent l'une l'autre.

L'éloignement de la forme militaire a-t-il fait cesser aujourd'hui de tels débats sur la « gymnastique » ? La question s'est plutôt déplacée. L'éducation physique et sportive reste objet d'interrogations et de tendances. Corps et nature ne vont plus obligatoirement ensemble. Culture du corps et culture du sport sont loin d'être synonymes. Sport et jeu nourrissent des options divergentes. Sans parler de la (non) prise en compte du corps à l'école, dans la réalité quotidienne d'une part, dans l'importance reconnue aux séquences spécifiques de l'autre.

10 - Les voyages, à pied ou à bicyclette, avec campement, jouent un rôle important Nature, corps et socialisation sont joints dans les voyages scolaires, qui ne doivent pas rester exceptionnels

et gratuits, mais qui doivent être intégrés dans la logique de l'apprentissage. L'école n'est pas un lieu de fermeture ou d'enfermement, mais un espace et une occasion d'ouverture et de liaison avec la vie. L'école n'est pas un lieu où on vit les uns à côté des autres, mais un lieu de vie en commun où l'on fait l'apprentissage de soi et des autres.

L'école reste dénoncée comme ce lieu où la protection induit l'enfermement. Les « sorties » scolaires deviennent risquées et problématiques. La question de la socialisation et de son apprentissage se fait de plus en plus urgente. On parle certes de projets communs, mais ces derniers ont tendance à rester confinés dans l'enceinte scolaire. Bref, on sait bien qu'une ou deux classes de découverte dans une scolarité ne peuvent servir d'alibi en la matière. Le voyage en commun ne peut se satisfaire du virtuel.

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B - L'EDUCATION INTELLECTUELLE 1 1 - L'Ecole nouvelle cherche à ouvrir l'esprit par une culture générale du jugement plutôt que par une

accumulation de connaissances mémorisées La tête bien faite vaut toujours mieux que la tête bien pleine. Il convient de chercher l'éducation

intégrale plutôt que la culture encyclopédique. Le savoir est une forme d'appréhension plus qu'une accumulation de connaissances. La mémoire ne peut se substituer à l'esprit critique qui, lui, repose sur l'application de la méthode scientifique. Bien savoir passe par le respect de cette dernière, en tant que modèle de rapport au savoir ; il ne suppose pas tout savoir.

Ces débats, ces enjeux et ces positions continuent à traverser le quotidien de l'école. La critique sur l'empilement et l'inutilité des savoirs des programmes, sur leur prétention à l'exhaustivité, sur les opérations intellectuelles minimales qu'ils requièrent, retentit au jour le jour. La complainte de la baisse du niveau, sur l'ignorance des élèves dans telle ou telle discipline, alimente la méfiance à l'égard de tout changement. La conscience de la multiplication exponentielle des savoirs ne cesse de focaliser (souvent en vain) sur la primauté de la manière d'apprendre pour pouvoir maîtriser les savoirs.

1 2 - L a cul ture g énéra l e est doublée d'une spécialisation d'abord spontanée puis systématisée Donner une base commune aux enfants ne peut suffire. Pour l'Education nouvelle, il est évident

que l'école a aussi pour fonction d'aider à la formation professionnelle. Ce qui suppose, dans un premier temps, que chaque enfant puisse développer ses goûts spécifiques dans un sens ou un autre, et, dans un second temps, qu'une orientation professionnelle soit facilitée au sein même de l'école. Cette construction professionnelle doit donc se faire progressivement, par émergence et non par imposition.

La place de l'orientation et de la formation professionnelles reste très problématique et controversée à l'école actuelle. On voit bien que l'attente de bien des parents et des enfants, à savoir que l'école prépare et donne un métier, ne peut être reçue comme telle. On voit bien aussi que récole prend en compte directement la formation professionnelle des enfants en échec. On voit bien enfin que la tendance est dans la dissociation du général et du professionnel, et dans la marginalisation symbolique et effective de ce dernier.

13 - L'enseignement est basé sur les faits et les expériences Pour l'Education nouvelle, le savoir est construction et non pas imposition. Le savoir est découverte et non

pas mémorisation. La méthode de référence est à situer du côté de l'expérimental. Il faut, le plus possible, observer pour apprendre. On comprend le monde en l'interrogeant.

Une telle centration sur la construction du savoir reste à l'ordre du jour de bien des réformateurs actuels. On continue à opposer la construction à la réception, la problématisation et la compréhension à l'acceptation et à la restitution. Même si on a pris conscience que la découverte supposait un accompagnement structuré et qu'il était peut-être illusoire de croire possible que chacun redécouvre les savoirs dans tous leurs tâtonnements. Il n’empêche : apprendre suppose une démarche.

14 - L'enseignement est donc basé aussi sur l'activité personnelle de l'enfant Ferrière ne s'est pas fait le chantre de l'école active pour rien. L'activité de l'enfant est au coeur de la

démarche d'éducation intellectuelle. Ce qui signifie qu'on ne peut substituer l'activité du maître à celle de l'enfant. La première ne peut remplacer la seconde. Pire même : la première peut très bien empêcher la seconde. L'activité à promouvoir est d'abord celle de l'intelligence de l'enfant lui-même.

Cette notion d'activité a beau être interrogée et relativisée aujourd'hui, on sent bien qu'elle reste au coeur de bien des débats éducatifs. On reste persuadé que celui qui apprend c'est l'autre et qu'on aura beau faire, on ne pourra le faire à sa place. Encore faut-il lui permettre de le faire, faciliter cet apprentissage. Toute la réflexion sur les médiations, sur la position du professeur comme facilitateur et accompagnateur s'inscrit dans cette problématique. Comment aider l'autre à mieux apprendre ? Une telle question reste centrale.

15 - L"enseignement est basé par ailleurs sur les intérêts spontanés de l'enfant Cette notion d'intérêt a fait la fortune de l'Education nouvelle. Elle s'ancre dans celle de besoins et renvoie à

toute la psychologie du développement qui s'impose à ce moment. On parlera donc de stades, d'âges, de types. Bref, l'enfant se voit définir et reconnaître une logique de développement et de croissance... à connaître et

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respecter. L'école se doit de s'appuyer sur cette logique qui va permettre un apprentissage harmonieux et respectueux.

On ne peut pas dire que la logique des savoirs et des programmes ait laissé beaucoup de place à cette logique des intérêts. Certes, on s'est parfois efforcé de tenir compte, dans la définition des savoirs, des capacités des enfants selon les âges. Mais, quoi qu'il en soit, la forme scolaire n'est pas construite sur les intérêts spontanés des enfants, mais sur un déroulement des savoirs. Certains pourraient, encore aujourd'hui, en arriver à se demander ce que peut bien signifier mettre l'enfant au coeur du système. D'autres, à l'inverse, ne cessent de mettre en avant des notions comme la zone proximale de développement, les styles d'apprentissage, les profils pédagogiques et autres éléments de différenciation.

16 - Le travail individuel de l'élève consiste en une recherche et un classement Le travail individuel de l'élève ne consiste pas à ce que chacun fasse la même chose individuellement, au

même moment, sous l'ordre du seul maître. Il requiert au contraire une diversification des parcours, des objets et des méthodes. Chercher, approfondir, poursuivre dans une voie spécifique, se confronter à des documents et à des sources d'information, enquêter, ce sont là les activités de base de tout élève. Ce sont elles qui vont permettre la construction du travail collectif dans la classe.

Le travail autonome, le travail indépendant, les centres de documentation et d'information, les centres de ressources, les formes d'individualisation, voilà qui fait écho à la mise en oeuvre de ce travail individuel. Il resterait à estimer la part réelle de ces initiatives pédagogiques dans le fonctionnement scolaire ordinaire. Ne semblent-elles pas, justement, rester exceptionnelles, alors que, pour l'Education nouvelle, elles sont la base du travail des élèves ? Ce serait la preuve que, fondamentalement, le modèle dominant n'a pas changé.

17 - Le travail collectif consiste en un échange ou une mise en ordre L'Ecole nouvelle ne renie pas le collectif dans la classe. Au contraire, elle le met au coeur du dispositif

pédagogique mais à certaines conditions. Le collectif n'est pas une juxtaposition d'élèves qui accomplissent, simultanément généralement, la même tâche sous le regard du maître. C'est un échange et une mise en commun à partir des travaux personnels ou en petits groupes. Le collectif devient ainsi une articulation entre l'individu, le petit groupe et la totalité de la classe (ou des classes).

A l'école, la forme dominante reste le cours frontal, même si au besoin les tables sont mises face à face ou en cercle. Le collectif en place reste de l'ordre de l'individuel juxtaposé. La rupture de ce mode n'est que secondaire et, le plus souvent, mise au service de ce type de fonctionnement collectif. Le noeud du savoir du maître explique et justifie l'ordre pédagogique. A ce titre, les savoirs des élèves ne sont pas la base de l'apprentissage. Leur confrontation et leur construction ne sont pas déterminantes, sauf dans certaines marges (travaux communs, interdisciplinaires ou non, travaux sur documents). Le collectif ne renvoie pas à un commun.

18 - A l'Ecole nouvelle, l'enseignement proprement dit est limité à la matinée Sachant que l'instruction et l'éducation doivent aller de pair, sachant qu'il s'agit bien d'éduquer la tête,

mais aussi le coeur et la main, l'Education nouvelle s'est efforcée de mettre en place un dispositif éducatif temporel diversifié. Les matières dites « intellectuelles » se déroulaient le matin, suivant les modalités énoncées un peu plus haut, de manière que l'après-midi et la soirée soient consacrées aux activités corporelles ou d'expression. Pour les élèves d'un certain âge, en fin d'après-midi, une étude est intégrée.

La question des rythmes scolaires ne se pose donc pas à proprement parler dans l'Education nouvelle. Il est évident que les jours de classe doivent être nombreux sur l'année et, sur la semaine, mais que chaque journée ne doit pas être surchargée mais diversifiée. On sait que cette question est toujours à l'ordre du jour et que l'on s'oriente de plus en plus, sous l'effet d'intérêts divers conjoints, vers une concentration des jours de classe sur la semaine et sur l'année qui ne peut que déboucher sur une intensification des heures et des activités des journées des élèves.

19 - On étudie peu de branches par jour, une ou deux seulement Récusant la perspective encyclopédiste, l'Ecole nouvelle privilégie l'approfondissement sur l'accumulation.

Approfondir suppose du temps, sachant que les démarches des élèves sont tâtonnantes et plurielles. La question des méthodes d'apprentissage devient aussi déterminante, car ce sont les méthodes qui doivent varier sur un objet de savoir, et non pas les savoirs qui doivent changer pour préserver la même méthode. La variété est méthodologique au service d'une démarche d'appropriation d'un savoir limité et significatif.

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La séquence type en primaire, l'heure de cours au secondaire (qui peut varier de 45 à 60 minutes) continuent à structurer le quotidien de l'école, à rythmer les sonneries scolaires (ne provoquant pas le même type de recueillement que l'angélus du village...). Cette organisation suppose une diversification des savoirs à accumuler, une répétition des méthodes magistrales, une centration sur le seul savoir des enseignants, une impossibilité de modifier et d'assouplir les activités, les temporalités et les méthodes pédagogiques. La forme scolaire continue à régner sous une seule modalité.

20 - On étudie peu de branches par mois ou par trimestre Dans la logique du point précédent, la souplesse ne concerne pas seulement la journée mais, en

fait, l'année. La logique sous-jacente n'est, pas celle de savoirs à dérouler en séquences types et selon une programmation conçue en amont, mais celle de savoirs à construire par approfondissements et liens successifs. La tête bien faite ne peut s'accommoder d'une taylorisation du temps et des savoirs. Sinon, c'est la superficialité, l'artificialité, l'oubli et l'ennui qui l'emportent dans le quotidien des années scolaires.

D'une certaine manière, ce qui continue à régir l'organisation scolaire dans son principe premier, c'est le sacro-saint emploi du temps des professeurs, dont la rigidité et la complexité interdisent toute organisation massée et dérogatrice. L'école primaire pourrait échapper à un tel système, mais elle s'ingénie plutôt à l'imiter, en se créant une parcellisation répétitive des apprentissages selon les jours, les semaines et les trimestres. La succession de savoirs éclatés prévaut sur la cohérence des savoirs et la facilitation de l'apprentissage.

C - L'EDUCATION MORALE 21 - L'éducation morale se fait par l'expérience et la pratique graduelle du sens critique et de la liberté,

notamment par le système de la république scolaire L'Education nouvelle est restée célèbre par toutes ses tentatives de démocratie à l'école, de self-

government, d'autodiscipline, de communauté scolaire éducative. Tous les pays ont avancé des expériences significatives en ce sens. La direction effective de l'établissement et de la classe a souvent été assurée par une assemblée générale comprenant les élèves. Ce qui signifie que le code des lois est entre les mains des acteurs et que ces lois sont la résultante de tous en fonction des fins assignées par la communauté scolaire.

Les questions du rapport à la loi ne cessent de revenir aujourd'hui, sans pour autant atteindre, la plupart du temps, cette forme démocratique de gouvernement scolaire. La citoyenneté, l'éducation civique, la violence ramènent régulièrement à l'avant de l'actualité les questions et les nécessités de l'éducation ou de la socialisation. Mais le spectre de l'autorité imposée ne cesse de hanter le monde de l'école et l'appelle à un retour sur le respect et les valeurs. Alors, on peut croire que l'Education nouvelle reste encore osée et fort lointaine.

22 - A défaut du système démocratique intégral, les élèves procèdent à l'élection de chefs Même quand les républiques scolaires ne peuvent être mises en place, il convient de donner une

représentation effective aux élèves pour que l'exercice du pouvoir soit effectif pour eux et par eux. L’apprentissage tournant des responsabilités a été un leitmotiv de l'Ecole nouvelle. Tant et si bien que les élèves se trouvent exercer des responsabilités, totales ou partielles, temporaires ou plus longues, sur le groupe ou une partie, de telle sorte que l'articulation des liens entre les personnes soit leur affaire et non celle des seuls adultes.

Le problème de la place des élèves dans la classe et l'établissement reste une question majeure de notre réalité scolaire (et éducative). Quel type de droits et de pouvoirs leur reconnaît-on ? Quel type de représentation leur accorde-t-on ? Dans une société démocratique, l'apprentissage de la démocratie peut sembler capital, et pourtant les établissements ont plus que de la peine à autoriser, sinon sur les marges (clubs, ateliers), la prise en charge de leur vie par les enfants et les jeunes.

23 - Des charges sociales de toutes espèces peuvent permettre de réaliser une entraide effective L'Education nouvelle, dans son principe et son horizon démocratiques, a toujours pensé que pouvoirs et

responsabilités ne devaient pas être concentrés mais assumés par tous. C'est pourquoi elle considère les enfants comme de petits citoyens aptes à prendre en charge des services communs, des charges communes, des métiers

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au service de tous pour que le fonctionnement de la communauté dépende de tous et concerne chacun. Le pouvoir est ainsi distribué, relativisé et contrôlé.

Les problèmes de socialisation, d'intégration sociale, de démocratisation sont souvent posés en termes de principes ou en termes politiques. Le fonctionnement scolaire, lui, est confronté à une définition et une reconnaissance de droits et de devoirs qui restent abstraits dans les principes et concrets dans les transgressions. Ce qui renvoie à l'acceptation et à la détermination du pouvoir des enfants et des jeunes dans les établissements (et dans la société), qui ne peut être résolue par quelque règlement que ce soit.

24 - Les récompenses ou sanctions positives consistent en occasion d'accroître la puissance de création Récompenser est plus efficace et éducatif que punir. En même temps, l'Education nouvelle a conscience que

la récompense peut avoir des effets pervers : substituer l'intérêt de la récompense à l'intérêt de la tâche. Ce qui signifie que le savoir est à lui-même sa propre récompense. Il est donc important que les récompenses soient en priorité liées aux activités gratuites, conçues comme des moyens d'incitation et d'initiative.

La dérive utilitariste et consumériste du savoir scolaire est souvent condamnée aujourd'hui. L'école de l'apprendre est devenue une école du diplôme, du bulletin et de la note. Le savoir ne trouve plus son intérêt en lui-même mais pour ce qu'il rapporte. Le découpage des savoirs nourrit son évaluation permanente et l'obsession des notes rythme la vie et les saisons de l'école, sauf pour ceux qui n'ont plus la chance de rester en course.

25 - Les punitions ou sanctions négatives sont en corrélation directe avec la faute commise L'Ecole nouvelle s'inscrit dans la tradition des penseurs et des innovateurs en éducation : une très grande

méfiance à l'égard des punitions. Elle condamne la dureté des châtiments, corporels ou symboliques. Elle leur oppose une restriction et un respect du sens. Ce qui l'amène à récuser la sanction comme elle, à viser par elle le dépassement de la faute, le remplacement d'un mal constaté par un bien affiché et effectif.

Les punitions continuent à habiter le quotidien scolaire et il semble même que l'on assiste à leur renforcement, comme si la culpabilité à leur égard tendait à s'évanouir. Pris entre le sentiment de leur nécessité et celui de leur inefficacité, la construction à travers elles du rapport à la loi est vécue comme particulièrement difficile et délicate. Une certaine dérive sécuritaire pourrait même nourrir un retour et un recours à la sanction comme mode privilégié et restauré d'imposition des savoirs et du vivre ensemble.

26 - L'émulation a lieu surtout par la comparaison faite par l'enfant entre son travail présent et son

propre travail passé L'émulation est inscrite au fronton de l'éducation depuis des siècles. Certains ordres religieux en avaient

fait un moyen privilégié d'enseignement. L'Education nouvelle s'est élevée contre ces pratiques et ces dérives, car elle veut favoriser les vertus de coopération avant celles de compétition. Les modalités de travail et de vie en commun ont donc comme fonction de permettre à chacun de s'estimer lui-même dans sa propre démarche et sa propre progression.

Les valeurs de la compétition ne cessent de se présenter comme le pain quotidien du système éducatif. La notation, l'orientation, la sélection, la hiérarchie des classes, des établissements, des filières, entretiennent cette atmosphère. L'enjeu social de l'école ne cesse de transpirer dans le quotidien des classes et des rapports maîtres-élèves. Tant et si bien que c'est la comparaison et la hiérarchisation de chacun par rapport aux autres qui nouent les relations dans la classe.

27 - L'Ecole nouvelle doit être un milieu de beauté La place de l'art à l'école est un enjeu majeur de l'éducation. On retrouve la conception intégrale de la

formation qui caractérise l'Education nouvelle. Eduquer passe par les différentes facettes de l'humain et du monde et ne peut laisser la beauté hors de son champ. Les activités d'expression seront donc privilégiées et intégrées aux diverses démarches d'apprentissage.

Le Beau n'a pas vraiment de place à l'école. L'éducation artistique et l'éducation esthétique sont plus que des parents pauvres. L'art est au mieux conceptualisé, au pire oublié. Régulièrement, on évoque la nécessité de lui donner enfin toute sa place, mais c'est pour mieux continuer à dénoncer les carences à son égard. Il ne reste plus qu'à se faire une raison, une de plus.

28 - La musique collective ne devrait manquer à aucun enfant L'Education nouvelle est aussi restée célèbre par les réalisations artistiques qu'elle permettait dans les

écoles. La musique était au premier rang, accompagnée du théâtre, de la danse, de la poésie, etc. Elle était réputée

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pour développer et accroître l'émotion, l'affectivité, la beauté et le sens de la collectivité. Elle permettait une alliance singulière de la main et du coeur, une intériorisation du rapport à soi et aux autres.

La musique n'a jamais autant caractérisé le monde des enfants et des jeunes. En même temps, elle est très peu présente dans l'école, au moins dans ses activités officielles et reconnues. Elle est un excellent symbole de la coupure entre l'école et la vie, entre les écoliers et les jeunes. Engoncée dans une hiérarchisation des savoirs, l'école ne parvient pas à intégrer la réalité de ses usagers ; elle ne sait quel usage faire de ce qui est leur vie.

29 - L'éducation de la conscience morale consiste principalement, chez les enfants, en récits L'Education nouvelle rejette fondamentalement la leçon de morale, celle qui fait la leçon par ses sentences

et ses maximes. Elle sait par contre la valeur et la profondeur du conte, qui allie la compréhension et l'affectivité, le sens et l'imaginaire. C'est le récit qui élève car il parle aux différents niveaux de la nature de l'enfant. La morale demande de l'entraînement et de l'enthousiasme, elle ne peut se satisfaire du calcul de la raison ni de la loi du devoir.

Les appels à la volonté et à la raison, en matière d'éducation morale, restent souvent sans effets, car ils

fonctionnent à l'extériorité. La morale, à l'inverse, est engagement et conviction. Plus que de principes abstraits raisonnés, elle s'inscrit dans la vie engagée. Le conte, le récit, parce qu'ils favorisent la projection, permettent une telle appropriation. Mais il ne semble toujours pas convenable de trouver le temps de raconter des histoires aux enfants.

30 - L'éducation de la raison pratique consiste principalement, chez les adolescents, en réflexions et

études portant sur les lois naturelles du progrès Ferrière évoque ici sa propre thèse sur la loi du progrès biologique et spirituel. L'Education nouvelle

développe en effet toute une philosophie de l'élan vital, basée sur la confiance dans le développement, la tolérance et la paix. Elle s'inscrit bien dans une sorte de foi dans le progrès et dans la conscience du rôle de l'éducation pour l'avenir du monde. Elle se veut donc particulièrement responsable de l'humanité à construire.

Evidemment, la cause du progrès aujourd'hui a perdu de son sens. Pour autant, l'école n'a-t-elle pas pour

fonction d'inscrire au coeur de sa réflexion et de ses pratiques la question de ses finalités et des finalités du monde dans lequel elle s'inscrit ? Autrement dit, l'école a-t-elle encore une responsabilité d'éducation au monde? La question du sens n'a-t-elle pas d'autant plus de valeur que les interrogations se sont faites plus fortes et que les certitudes sont devenues incertaines ? Penser l'éducation serait-il un luxe ?

A regarder de plus près ces trente points censés définir l'Education nouvelle selon Ferrière, on peut se dire

que cette dernière, définie et pratiquée partiellement hier, est loin de constituer notre aujourd'hui. Non pas qu'elle soit dépassée sur la plupart des points. Tout simplement parce qu'elle n'est toujours pas réalisée, que ce soit sous sa forme du début du siècle ou que ce soit sous des termes contemporains qui s'y rapportent (sans nécessairement s'y référer). L'Education nouvelle reste-t-elle une voie d'avenir ? Ou bien est-elle passée définitivement à côté de l'histoire ? Il vaut peut-être encore la peine de se poser la question.

Il est possible que, même encore aujourd'hui, ce programme paraisse maximal. Ferrière a prévu l'objection. I l s'empresse donc de délimiter un programme minimal : la campagne, l'expérience, le travail manuel, l'autonomie et la moitié des trente points. On pourrait contester ce choix de départ et retenir d'autres éléments en fonction de la réalité contemporaine. Mais, quoi qu'il en soit, c'est-à-dire quelle que soit la combinaison restreinte des points que l'on pourrait retenir, une chose est sûre : les principes de l'Éducation nouvelle seraient en avance au regard de la quotidienneté de l'école actuelle. L'Ecole nouvelle d'aujourd'hui paraîtra aussi nouvelle que l'école nouvelle d'hier.

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LES ATELIERS

ATELIER 1 – SPECIFICITES ET NOUVEAUTES DES ECOLES DITES DIFFERENTES

« Quelles idées de l’école nouvelle restent opérantes dans le contexte d’aujourd’hui et de demain ? Comment peut-on actualiser leur mise en œuvre ? ».

L’éducation nouvelle dans l’enseignement public :

Une reforme impossible ?

Pierre Kahn Professeur de sciences de l’éducation, IUFM de Basse-Normandie

Quelle influence les idées de l’Education nouvelle ont-elles pu avoir sur l’enseignement public français ? C’est à cette question que, en tant qu’historien de l’école, je vais apporter quelques réponses, en essayant du même coup d’éclairer la nature des obstacles qui ont pu empêcher cette influence d’être plus grande et plus durable.

Deux grand moments vont occuper l’essentiel de cet exposé : la Libération, les années 1960-1970. Les classes nouvelles de la Libération Du point de vue de l’éducation, la Libération est marquée par le plan Langevin-Wallon, qui, bien que

jamais mis en œuvre, constituera pour des décennies la référence quasi mythique d’un projet d’école démocratique. Or ce plan, pour reprendre un mot de l’historien A. Prost, réunit deux thèmes : l’école unique pour les structures, les méthodes actives pour la pédagogie. Le plan Langevin-Wallon correspond au moment de l’articulation historique de deux problématiques réformatrices qui s’étaient développées chacune indépendamment de l’autre : la problématique de la démocratisation de l’école par l’accès de tous les enfants à des études prolongées (que le plan fixait à l’âge obligatoire minimum de 18 ans), et la problématique de la rénovation pédagogique dont les principes s’inscrivent dans le sillage du mouvement de l’Education nouvelle dont le premier congrès international a eu lieu à Calais en 1921 et dont la section française (le GFEN – Groupe français d’Education nouvelle) fut créée en 1929. Nombre des membres de la commission Langevin-Wallon appartiennent à ce mouvement, à commencer par ses deux présidents (Langevin et Wallon, mais aussi, par exemple, le psychologue Henri Piéron, Roger Gal, ou Gustave Monod, ancien professeur de philosophie à l’Ecole des Roches, une des premières écoles nouvelles françaises, fondée dès la fin du XIXe siècle, et qui allait devenir, à la Libération, le directeur de l’enseignement du second degré au ministère).

Il y impulsa une réforme qui fut au fond la seule tentative de réalisation institutionnelle issue des travaux de la commission Langevin-Wallon : la réforme des classes nouvelles des lycées (6e, 5e, 4e…), réforme à la fois structurelle d’ouverture de l’enseignement secondaire, mais aussi réforme pédagogique fondée sur la mise en activité des élèves, sur leur travail de recherche collectif, sur l’étude du milieu naturel et humain et sur la « dé-disciplinarisation » (relative) des contenus d’enseignement – bref sur ce qu’il était convenu à l’époque de désigner par l’expression générique de « méthodes actives ».

L’Eveil L’échec des classes nouvelles fut lié au départ de Gustave Monod du ministère, en 1951. La volonté

rénovatrice ne disparut pas pour autant. L’Institut Pédagogique National (IPN), ancêtre de l’actuel INRP (Institut national de la recherche pédagogique), en fut le foyer principal dans les années 1950-1960, à partir de la nomination de Roger Gal (proche collaborateur de Monod au ministère) à sa direction de la recherche

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pédagogique, en 1951. C’est rue d’Ulm, au siège de l’IPN, que chantent désormais les sirènes de la rénovation pédagogique ; et elles continueront d’y chanter lorsque Louis Legrand succède à R. Gal, à la mort de ce dernier, en 1966. Dans le contexte de la relance de la politique de démocratisation de l’école par de Gaulle, au début de la Ve République (Réforme Berthoin de 1959 prolongeant la scolarité obligatoire à 16 ans, supprimant les Cours complémentaires et les transformant en Collège d’enseignement généraux, créant pour tous les enfants un cycle d’observation en 6e et 5e… ; réforme Fouchet de 1963 créant les collèges d’enseignement secondaire – CES –) ces sirènes ont à nouveau pu se faire entendre de l’administration scolaire. Une commission sur la rénovation de l’enseignement du français à l’école élémentaire, instituée en 1963 et présidée par l’inspecteur André Rouchette, aboutit à de nouvelles instructions officielles en 1972. Celles-ci préconisent d’aborder l’apprentissage de la langue non plus à partir des règles de grammaire mais de l’expression spontanée des élèves, et elles inversent la priorité séculaire, à l’école, de l’écrit sur l’oral. En 1969, sont introduites officiellement à l’école primaire les disciplines ou activités d’éveil (en sciences, histoire, géographe, éducation esthétique…) fondées sur la reconnaissance de la valeur des méthodes actives, le refus du « didactisme » et la volonté de transformer non seulement les façons d’enseigner mais, plus radicalement encore la relation pédagogique, le régime même de la classe et la façon d’y considérer les élèves.

On retrouve dans l’éveil comme dans le plan de rénovation de l’enseignement du français tous les thèmes de la rénovation proposée par Monod et Gal au moment de la réforme des classes nouvelles, à la Libération. Mais le lecteur avisé remarquera que le vent de la réforme souffle désormais sur l’école primaire davantage que sur le secondaire. La réforme de l’éveil n’a pourtant pas mieux réussi que celle des classes nouvelles. Accusée par maints intellectuels d’être la pédagogie du n’importe quoi (l’historien A. Decaux publie ainsi dans Le Figaro, au début des années 1980, un article retentissant : « Jeanne d’Arc ? Connais pas ! »), elle fut enterrée en 1985 par de nouvelles instructions officielles, signées du ministre Chevènement.

Les raisons d’un échec récurrent Il est intéressant de se demander s’il existe des facteurs structuraux qui rendent compte des résistances de

l’enseignement public, primaire et secondaire, aux tentatives qui furent pourtant celles de la hiérarchie de l’administration scolaire, de réformer la pédagogie.

Trois hypothèses me semblent pouvoir à ce propos être avancées. 1° Pour le secondaire, le poids d’une tradition culturelle héritée du temps où le lycée était le lieu

d’enseignement d’une toute petite élite sociale, censé transmettre une culture « désintéressée » et dominée par les lettres classiques (latin, grec), et dont l’agrégation constituait le critère normatif de l’habilitation à y enseigner. Quand sa démocratisation est politiquement mise à l’ordre du jour, dans les années 1950 et, surtout, 1960, il ne la refuse pas, mais tend à ne la considérer que sur le mode de la « table ouverte » : il est légitime d’y inviter des convives jusqu’alors laissés à sa porte et d’augmenter le nombre des commensaux, mais il faut n’en changer ni le menu ni le mode de préparation des plats. En d’autres termes : s’il convient de démocratiser les études secondaires en les ouvrant au plus grand nombre, il n’est pas question d’en modifier les contenus ni les méthodes ni la formation de ceux qui y enseignent. Bien qu’ils soient politiquement majoritairement à gauche, les professeurs, qui continuent d’être recrutés sur les bases académiques du CAPES et de l’agrégation, répugnent à une telle modification, ce dont témoignent les réserves du SNES à l’égard des projets de réformes (ne dénaturons pas « nos » lycées…). Il est significatif à cet égard que, au moment de la création des CES, en 1963, les méthodes actives ne furent officiellement préconisées que pour la filière 3, celles des « classes de transition », c’est-à-dire celle des élèves voués à la scolarité la plus courte et dont les enseignants étaient… des instituteurs.

2° Ces derniers sont sans doute, par culture professionnelle, plus ouverts à l’idée d’une réforme pédagogique. La structuration et l’importance du mouvement Freinet, au sein même de l’Education nationale, en atteste. Aussi, les obstacles à la réforme sont-ils pour le primaire d’une nature différente, voire inverse. Nombre d’instituteurs sont en effet désorientés par la préconisation de la nouvelle pédagogie d’éveil. Elle rompt avec une pratique traditionnelle de la classe dont le mérite est aux yeux de beaucoup la commodité (exercices standardisés et individuels, faciles à corriger, silence et immobilité des élèves…) ; elle implique une remise en cause du découpage disciplinaire classique ; elle oblige les enseignants à imaginer de nouvelles formes d’apprentissage et d’évaluation… De plus cette nouvelle pédagogie est portée par des professeurs d’école normale qui forment les instituteurs mais qui sont eux-mêmes issus du secondaire (professeurs agrégés ou certifiés), et qui proposent des élaborations didactiques théoriques complexes des nouvelles pratiques à mettre en œuvre : la barre est souvent trop haute pour des instituteurs qui tendent à passer en dessous ou à côté ou qui, lorsqu’ils veulent changer leurs pratiques pour les rendre plus conformes aux instructions nouvelles, ont tendance parfois à les dénaturer.

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Ainsi la violence des attaques contre l’éveil a-t-elle pu parfois s’adosser sur les caricatures que des enseignants pourtant de bonne volonté ont fait de cette pédagogie.

La conjugaison de ces deux facteurs explique, au moins en partie, la persistance des résistances aux transformations pédagogiques.

3° On peut y ajouter un troisième élément, lié à l’évolution actuelle du système éducatif. Le poids social croissant des diplômes et l’instrumentalisation des savoirs qui tend à s’ensuivre ne créent pas des conditions favorables pour l’avenir de l’éducation nouvelle.

Ces trois hypothèses, dont il faudrait sans doute tempérer un peu le pessimisme, peuvent servir de bases aux débats de la table ronde.

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ATELIER 1 – SPECIFICITES ET NOUVEAUTES DES ECOLES DITES

DIFFERENTES

Les conséquences d’une paternité assumée ou la nécessité de défendre son statut d’école expérimentale…

Laurent Gutierrez Doctorant à l’Université Paris VIII

La pédagogie se réinvente sans cesse. C’est même ce qui la caractérise et qui explique les difficultés que

l’on rencontre dès lors que l’on recherche la paternité de ses méthodes. Affublée de son attribut, l’Education « nouvelle » entretient dans le champ lexical avec les répercussions que cela entraîne dans la sphère sociale, l’idée selon laquelle la modernité en éducation s’érige, à un moment de son histoire, sur ce qui soudainement apparaît alors comme dépassé1. Celui qui adhère à cette idée doit, par ailleurs, être en mesure de situer précisément l’avènement de cette modernité éducative au risque de compromettre la légitimité de son propos.

Dans le cas de l’étude historique de ce « mouvement »2 de l’Education nouvelle, il est, ainsi, relativement aisé de constater les difficultés pour ne pas dire les limites d’une telle entreprise. Les résultats obtenus par les nombreux auteurs qui se sont risqués à cet exercice, s’ils éclairent une certaine forme d’historicité de la pédagogie à travers l’étude de ses principaux représentants, en condamnent, par essence, toutes les formes « nouvelles » pour lointaines que remontent leurs investigations. Retrouver les prétendants et autres pionniers de cette histoire de la modernité en éducation ne peut donc se suffire à elle-même.

De fait, la persistance des problématiques éducatives et pédagogiques posée par le mouvement de

l’Education nouvelle reste emblématique des difficultés qu’éprouvent ceux qui l’incarnent aujourd’hui, lorsqu’il s’agit d’en proposer une définition. En effet, tant que les idées regroupées sous ce vocable survivront au monde qui les a vu naître, l’« Education nouvelle » connaîtra son lot de caricatures. En pédagogie comme dans de nombreux secteurs, les attitudes d’opposition pure ou de dogmatisme, tout comme les vues partielles, engendrent la confusion et n’aboutissent que très rarement à une harmonisation nécessaire des principes permettant, à terme, de se retrouver autour d’un même idéal.

L’ « Education Nouvelle » n’a pas échappé à cette règle tant le foisonnement de ses initiatives et sa

diffusion hasardeuse voire inorganique, firent passer certaines pratiques pédagogiques pour ce qui n’était, en réalité, que des grossières imitations. Plusieurs tentatives de normalisation ont été tentées mais n’ont jamais abouti à une charte suffisamment claire pour fédérer ses partisans autour d’un mouvement qui ne réside, en définitive, ni dans une technique, ni dans une méthode particulière, si efficace soit-elle.

Afin de dépasser cet héritage des grands pédagogues, il convient de penser (« panser »), sans cesse, sa

démarche d’enseignement. Or, force est de reconnaître que la culture pédagogique n’est pas la chose la mieux partagée, de nos jours, dans le monde enseignant et cela pour, au moins, trois raisons.

La première est que cette connaissance pédagogique n’est pas historiquement légitimée. Pour preuve, on en arrive aujourd’hui, dans les universités où est proposé un enseignement en sciences de l’éducation, à dispenser des cours sur tout sauf sur la pédagogie.

1 Daniel Hameline évoque l’invention d’ « un passé repoussoir avec lequel l’éducation nouvelle est censée n’avoir plus rien de commun ». HAMELINE Daniel, Courants et contre-courants dans la pédagogie contemporaine, Paris : ESF, 2000, p.19. 2 Les termes de « mouvement » et de « courant » sont employés à dessein afin de souligner l’aspect dynamique et, par la même, non figé d’un ensemble d’idées éducatives et pédagogiques. Devançant les termes « Education nouvelle », ils participent, par ailleurs, à délimiter sommairement les contours de ce qui n’est, en définitive qu’une formule générique pour qualifier un ensemble, par essence, pluriel.

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Certes, on y aborde – et encore pas toujours - l’œuvre des pédagogues mais force est de constater que rares sont les enseignements où l’on traite de façon concrète l’actualité de ces pratiques.

La deuxième raison tient au fait que l’Education nationale, en charge de la scolarité des enfants, se

préoccupe davantage de ce qu’il faut apprendre que de la manière dont cela peut être appris. En ce domaine, les querelles autour des programmes scolaires sont un bel exemple de cette négation de la forme sur le fond.

La troisième raison est liée à l’exposition à laquelle l’enseignant doit être prêt à se soumettre dans le cadre

de cet exercice qui consiste à justifier l’intérêt de son enseignement. Il se confronte ainsi à la pensée des autres qui ne manque pas, le cas échant, de le mettre devant ses contradictions. Cette situation peut être légitimement mal vécue et renforcer, à terme, tout effort de définition de ses pratiques professionnelles.

Tel est le lot des enseignants de l’enseignement public qui ont intégré, pour une grande majorité d’entre

eux, un fonctionnement autarcique. C’est dans ce contexte que les écoles dites « différentes », que je préfère, pour ma part, appeler « en recherche », ont un rôle à jouer. Elles ont, me semble-t-il, une responsabilité en ce domaine. En effet, ces écoles doivent être capables de justifier leur originalité éducative par une plus grande transparence pédagogique. C’est, selon moi, une question urgente que l’Education nationale viendra à se poser un jour ou l’autre.

Or, j’ai pu constater en visitant un certain nombre de ces écoles qu’il existe, là aussi, un certain flou en

terme de « visibilité pédagogique ». Celle-ci n’est, certes pas, du même ordre que celle qui règne dans l’enseignement public mais participe, pour sa part, à entretenir le mythe d’une éducation idéale dont le slogan de la « pédagogie de la réussite » assurerait la pérennité.

Je me vois, par ailleurs, régulièrement poser un certain nombre de questions sur ce qui fait l’originalité de

ce type d’école : Quelles pédagogies emploient-t-elles ? Quels projets éducatifs sous tendent ces pratiques pédagogiques ? A quels courants idéologiques se rattachent-elles ?

Autant de questions qui nécessitent de montrer aux parents mais aussi à l’institution ce que les enfants

font pratiquement dans ces écoles qu’ils ne font pas ou peu ailleurs. Dans cette perspective, les grands thèmes de l’Education nouvelle que sont, entre autres, l’instauration du rapport de confiance et de tolérance entre membres de la communauté scolaire, l’individualisation des activités, le travail par groupes, etc. doivent être exposés et défendus au-delà d’un cercle d’initiés déjà convaincus. Je témoigne, ici, par ailleurs, que le manque de réponses à ces interrogations induit quelque fois, au-delà du scepticisme, des attitudes de méfiance allant jusqu’à soupçonner le caractère légal de ces établissements.

Aussi, me paraît-il nécessaire de « rendre visibles »1 les pratiques pédagogiques de ces écoles dont la légitimité réside dans le caractère « expérimental », c’est à dire « en recherche » de ces nouvelles modalités d’apprentissage qui, à terme, permettront de proposer un éventail de solutions plus large à un public scolaire de plus en plus exigeant.

1 J’entends par là, être capable de décrire, d’analyser et d’évaluer les pédagogies employées, à l’image des expériences relatées dans le dossier de la Revue Française de Pédagogie coordonné par François-Jacquet Francillon (n°153, octobre-novembre-décembre 2005).

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ATELIER N°1 : SPECIFICITES ET NOUVEAUTES DES ECOLES DITES DIFFERENTES

Compte-rendu par Delphine Henry, enseignante et Nathalie Bergeron-Duval, parent d’élève

INTRODUCTION : À partir de cette question introductrice, la lecture des articles de Messieurs Pierre Kahn et Laurent

Gutierrez a mis en lumière deux pôles majeurs pour notre discussion : 1°) quels fondamentaux, quelle charte pour les jeunes d'aujourd'hui et de demain ? 2°) quelles sont les conditions requises pour que ces fondamentaux soient mis en œuvre ? PRÉSENTATION DES INTERVENANTS : Pierre Kahn : Philosophe et Professeur des Universités à l’IUFM de Caen, ses travaux portent sur l'école

de la IIIème République ainsi que sur les réformes de l'enseignement de 1945 à 1980 et leurs liens avec l’école nouvelle.

Laurent Gutierrez : Doctorant en Sciences de l'Éducation à l'Université Paris VIII, il est professeur dans le

secondaire à Paris et travaille au département « Histoire de l'éducation » de l'Institut National de Recherche Pédagogique. Il est membre de l'association AIRAP (Association Internationale de Recherche et d’Animation Pédagogique, qui cherche à promouvoir une pédagogie de la réussite quelles que soient les difficultés inhérentes à chacun). Dans le cadre de ses recherches sur l'histoire du mouvement de l'éducation nouvelle, il s'intéresse plus particulièrement à la pédagogie et ses pratiques autour de questions centrales : « qu’est ce que l’on donne à faire aux enfants pour qu’ils apprennent mieux ? », « qu'est-ce que les écoles dites nouvelles peuvent apporter à l'éducation nationale ? ».

Cette dernière question nous fait précisément entrer de plain-pied dans la thématique de l'atelier.

Commençons par nous interroger sur les fondamentaux de l'Education nouvelle.

QUELLE CHARTE, QUELS FONDAMENTAUX ? À la lecture des articles de nos intervenants, Messieurs Pierre Kahn et Laurent Gutierrez, certains

éléments sont à souligner, à reprendre et à interroger. Parmi les fondamentaux, Pierre Kahn propose les éléments suivants : � mise en activité des élèves (méthodes actives) � travail de recherche par groupes � étude du milieu naturel et humain � contestation de la primauté de l'écrit sur l'oral � relation pédagogique à transformer � dé-disciplinarisation, c'est-à-dire décloisonnement des contenus et des disciplines (exemple : pédagogie de projet)

Parmi ces éléments, certains vous paraissent-ils obsolètes, d'autres sont-ils à rajouter ?

[L'École Nouvelle, note une enseignante de Decroly, est souvent devenue une école pour les enfants à problèmes. Ses méthodes conviennent-elles à tous les enfants? On peut alors se demander à quels enfants cela ne convient pas ? Chaque cas est particulier et l’histoire de l’enfant joue un grand rôle dans son adaptation aux méthodes actives. La question à se poser serait plutôt, dit Jeanne Houlon, celle de l’équilibre des groupes classe car la dynamique éducative nécessite une certaine hétérogénéité, une diversité (enfants, milieux sociaux...).]

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Tous les participants sont d'accord avec ces fondamentaux, mais on ne peut pas en rester au constat, nous dit Laurent Gutierrez, il faut proposer. Les fondamentaux ne sont-ils pas à réactualiser ? Il faut dépasser cette entente cordiale et voir quelles sont les limites des écoles dites nouvelles, ou encore comment la pédagogie nouvelle peut se diffuser.

Suite aux interventions des participants à l'atelier, on pourrait rajouter les éléments suivants : � L'évaluation (quelle forme ? adaptation à l'évolution de l'enfant) � L'hétérogénéité (diversité, brassage des milieux, des populations) � La cohérence d'une équipe éducative sur le long terme : avons-nous tous les mêmes objectifs ? le

même projet d'établissement ? les mêmes envies chez les professeurs ? la même volonté de concertation ? (à la Source, un temps important est consacré à la concertation entre professeurs, entre niveaux)

La concertation est indispensable, remarque Jeanne Houlon, mais ne suffit pas. Face à la conception solitaire du travail de l’enseignant, il faut mettre en place des structures qui permettent de travailler ensemble. La question de la motivation et de la formation des professeurs est fondamentale. Les écoles tournent grâce à quelques piliers très motivés. Mais peut-on obliger les gens à travailler ensemble ?

En d'autres termes, quelles sont les limites de cette volonté de travailler ensemble ? Se pose ici très clairement la question des freins – intérieurs

o les différences et les incompatibilités entre les diverses personnalités au sein d'une équipe – et institutionnels :

o quelle est la réelle liberté d’action des écoles à pratiquer des méthodes réellement innovantes?

� certes les écoles obtiennent des subventions pour fonctionner, � mais les professeurs sont mal notés lors des inspections de l'Éducation Nationale � contraintes de respecter les programmes nationaux, notamment concernant la

réforme du primaire prévue à la rentrée 2008. Ce problème nous amène ainsi tout naturellement à la seconde phase de discussion de notre atelier. Tous les principes listés ci-dessus sont depuis longtemps des invariants, la vraie question, c’est l’avenir.

On pourrait ainsi rajouter un nouvel élément pour la réflexion : � La question de la tolérance à l'interpellation de ses modes de fonctionnement, c'est-à-dire la capacité à

se remettre en cause. QUELLES SONT LES CONDITIONS POUR QUE CES FONDAMENTAUX SOIENT MIS EN ŒUVRE ?

Quelles sont les causes de ce qu'on pourrait qualifier de « résistance » à la mise en œuvre des

fondamentaux de l'Education nouvelle ? Reprenons les écrits de nos intervenants, Pierre Kahn et Laurent Gutierrez. On peut recenser des freins

liés à des facteurs sociaux, historiques et politico-institutionnels : � Le refus de modifier les contenus pédagogiques � Les méthodes actives sont réservées aux classes dites d'intégration � Le militantisme et la subjectivité des enseignants quant à leurs pratiques (difficulté, pour les enseignants, de redéfinir et de modifier leurs pratiques pédagogiques) � Le poids et l'instrumentalisation des diplômes dans notre société � Notre société, plus généralement, nie la pédagogie (d'où une exposition aux « attaques » des enseignants qui pratiquent une pédagogie « différente ») � Un manque de lisibilité des pratiques qui peut conduire à des caricatures

Concernant ce dernier point, peut-on dire objectivement quelles pratiques ont été mises en place dans l'Education nouvelle ? Force est de constater qu'il n'y a pas de support « visible » de ce qui est fait, en pratique, dans les écoles nouvelles. Il faudrait un support qui permette aux écoles nouvelles de montrer aux enseignants du public comment cela marche.

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Peut-être, en partie, peut-on imputer ce manque de lisibilité au fait que l'éducation nouvelle doute beaucoup d'elle-même face au poids de la tradition, du système « éducation publique ». Il manque, par ailleurs, un suivi à long terme de ce que deviennent les enfants qui ont été scolarisés dans des écoles nouvelles.

D'autres raisons peuvent constituer un élément de réponse à la question de la résistance quant à la mise

en œuvre des fondamentaux de l'éducation nouvelle :

� N'est-on pas dans l'erreur en opposant école « normale », classique et école dite nouvelle ? Comme le disait ce matin Philippe Perrenoud, l'Ecole nouvelle est un « laboratoire » qui s'attaque à des problèmes qui touchent toutes les écoles.

� Quelles sont les attentes des parents en matière d'éducation ? Face à la nécessité d’une implication des parents pour mener à bien des projets à l’école, ne doit-on pas repenser le positionnement des parents ?

� Aujourd'hui, la société française est divisée sur ce qu'est la pédagogie. Nous pouvons pointer l'absence de consensus, au sein de la société et de l'Éducation Nationale elle-même, autour des finalités de la pédagogie et ses pratiques : instruction, épanouissement... ? L’école cristallise les antagonismes politiques: doit-on viser l'enfant ou l'élève ? L'école devrait normalement être centrée sur l'enfant : respect, écoute, donner à chaque élève sa place, un sens à sa place en classe... Le débat dure depuis 30 ans alors que nous sommes d'accord sur la nécessité d'une réforme pédagogique. Notons qu'a été lancée, souligne Pierre Kahn, l'idée d'un code de déontologie professionnelle au niveau de l'enseignement. Ce serait moyen de contourner l'absence de consensus autour des finalités et des pratiques mais cela implique un contrôle par les pairs.

� Ce point nous ramène nécessairement à la question, évoquée lors de la première phase de cet atelier, de la cohérence - que ce soit au plan national ou au sein des équipes et des établissements. Jeanne Houlon nous rappelle les enseignements de Cousinet sur l'importance du travail de groupe : si les enfants se forment entre eux, ne devrait-il pas en être de même pour les enseignants ? Au sein des établissements, on peut citer, entre autres, le frein de la « porte fermée » (pas de visites inter-classes), le manque d'espaces et de temps de concertation, de dialogue entre les membres de l'équipe pédagogique.

� Cela amène à poser la question de la mission de l'enseignant : on lui demande d'enseigner, pas d'échanger avec ses pairs. Il faut mettre dans la mission de l’enseignant l’échange entre pairs. On en revient au problème, déjà évoqué, de la formation continue des enseignants.

� Mais peut-on penser un accord sur les manières de faire, sur les pratiques sans accord sur les finalités ? Est-il même possible d'être d'accord sur les finalités ? Il faut bien faire la différence entre cohérence et uniformité (avoir tous les mêmes finalités). La diversité est une grande richesse au sein d'un établissement, mais il ne faudrait pas que les finalités diverses et variées se détruisent les unes les autres. La proposition de Pierre Kahn d'un « code de déontologie professionnelle » pour les enseignants semble intéressante pour résoudre ce problème.

[Question d'actualité : On demande aux enseignants de donner leur avis sur une évolution des programmes du primaire où l’enfant redevient passif, et l’enseignant redevient « roi ». Peut-on intégrer les méthodes de l'Education nouvelle dans les nouvelles directives gouvernementales concernant les programmes du primaire devant être mis en œuvre à la rentrée 2008 ? Il y a déjà beaucoup d’autocensure chez les enseignants, pour ceux qui ont des idées novatrices...]

� Enseigner est un métier, note Jeanne Houlon, il faut ainsi développer les outils concrets pour aider les enseignants dans une démarche pragmatique. Mais n'oublions pas, dit Laurent Gutierrez, que les enseignants sont affectés dans des écoles sans prise en compte de leurs aspirations, affinités, etc. S'il n'y avait qu'une seule idée à retenir de cet après-midi de débats, c'est que les enseignants ont le choix

de travailler ensemble ou non. Cousinet préconisait le travail de groupe chez les élèves, préconisons de « faire violence » à la tendance, chez les enseignants, à l'individualisme. Il faut construire ensemble des dispositifs,

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des évaluations, ouvrir les portes des classes aux collègues, etc. La mission de l'enseignant c'est enseigner, certes, mais c'est aussi échanger avec ses pairs. Cela permettra de décentrer l'élève du rapport frontal avec un enseignant unique. L'hétérogénéité apporte beaucoup, elle est source d'une grande richesse pour la co-construction des savoirs.

SYNTHÈSE DE LA 1ère PARTIE : Quels fondamentaux, quelle charte pour les jeunes d’aujourd’hui et de demain ? CONSTATS : Il existe parmi les participants à l'atelier un consensus sur un ensemble de fondamentaux :

� Mise en activité des élèves � Travail de recherche par groupe � Étude du milieu naturel et humain � Contestation de la primauté de l’écrit sur l’oral � Relation pédagogique à transformer � Dé-disciplinarisation = décloisonnement des disciplines et des contenus

PROPOSITIONS : On pourrait rajouter d'autres invariants :

� La cohérence au sein des équipes éducatives (mise en place de structures permettant de travailler ensemble) � L'hétérogénéité et sa richesse : diversité des enfants, des représentations, des milieux ... � La capacité de l’institution à tolérer un questionnement sur son mode de fonctionnement � Les modes d’évaluation (quelle forme ?) � L'autonomie des établissements

QUESTIONS OUVERTES : N'y a-t-il pas des freins internes (on ne peut pas obliger les gens à travailler ensemble) et institutionnels

(par exemple, les contraintes liées à l'Éducation Nationale et ses programmes) à la mise en œuvre de ces fondamentaux? Cela pose la question d'une redéfinition de la mission de l'enseignant. Quelles sont les représentations sous-jacentes à la mission de l’enseignant et à l'exercice de son métier ?

SYNTHÈSE DE LA 2ÈME PARTIE : Pourquoi assiste t-on aujourd’hui à une certaine résistance dans la mise en œuvre de ces fondamentaux ? CONSTATS : � Raisons historiques, sociales, politiques � Cloisonnement des enseignants au sein de leur métier et à l’intérieur de leur classe (frein de la porte fermée), qui empêche d’améliorer les pratiques professionnelles. La question de la formation initiale et continue est majeure. � Il n’y a pas de consensus au sein de la société et dans les écoles sur les finalités de l’éducation. De surcroît, l’école cristallise les antagonismes politiques. PROPOSITIONS : � Il faut mettre dans la mission de l’enseignant l’échange entre pairs (visites inter-classes, publier...) � Comment faire pour que les enseignants aient besoin les uns des autres ? Il faut trouver des espaces pour traiter les questions et les conflits � Enseigner est un métier : il faut développer les outils concrets pour aider les enseignants dans une démarche pragmatique � Redéfinition du rôle des parents. Il faudrait mener une enquête sur les attentes des parents

QUESTIONS OUVERTES : � Est-ce qu’on peut intégrer les enseignements de la pédagogie nouvelle dans les nouvelles directives gouvernementales ? � Peut on contourner l’absence de consensus sur les finalités et les pratiques par un code de déontologie professionnelle (donc implicitement accepter le contrôle par les pairs) ? � Sur quels critères, un enseignant évalue-t-il le succès de ses pratiques pédagogiques ?

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ATELIER 2 – NOUVEAUX REPERES

"Dans un contexte de mouvance, d'instabilité et de multiplication des repères et de leur mode de transmission, quelles actions éducatives l'école doit-elle, peut-elle mettre en œuvre ?"

Philippe Cibois Professeur émérite de sociologie de l'université de Versailles Saint Quentin

La problématique de cet atelier consiste à tenter de répondre aux défis que pose à l'école la situation actuelle, caractérisée par les plus pessimistes comme une "perte des repères", et par les plus prudents par leur "instabilité", leur "multiplication" et les problèmes que pose leur transmission. Avant de voir comment l'école peut répondre à ces défis, il importe de faire l'analyse de la situation actuelle pour caractériser ces repères perdus, instables, multiples, difficilement transmissibles.

Quels repères avons-nous perdus ? Pour simplifier le problème, remontons à l'après-guerre, au moment de la création de la Source. Si la

société française a été bouleversée par le conflit, à la Libération, les repères idéologiques sont bien définis : une partie importante de la classe ouvrière se reconnaît dans le parti communiste ; une autre partie importante de la population (milieux ruraux, milieux populaires anciens ruraux, classe moyenne et supérieure) se sent un lien fort avec l'Église catholique (et politiquement avec les courants de la démocratie chrétienne) ; les milieux intellectuels, souvent marxistes, subissent aussi l'influence du parti communiste ; il y a cependant la place pour une gauche non communiste (SFIO) et une droite non démocrate chrétienne (gaulliste).

Les repères dominants sont l'espérance internationaliste marxiste d'un côté et la foi chrétienne de l'autre : cette situation, qui en Italie a été caricaturée par l'opposition entre Peppone et Don Camillo, se fait sur un fond d'accord commun de valeurs éducatives et morales, justifiées différemment à gauche et à droite mais de même nature : valeurs de l'honnêteté, du travail, de l'instruction, du respect des autorités.

À titre d'illustration, il suffit de relire les récits des origines de la Source pour y voir un enseignant imprégné du laïcisme de la gauche enseignante (Roger Cousinet) s'associer à un dominicain de pure observance (François Chatelain) sur la base précisément de valeurs éducatives communes, et confier à une jeune fille élevée en milieu catholique (Françoise Jasson) une tâche éducative où la politesse la plus traditionnelle avait encore sa place (on attend à table que Françoise Jasson, "la maîtresse de maison", donne le signal de se lever1).

Les trente années suivantes, sous l'influence d'un progrès économique fort, voient une érosion des repères idéologiques : si un tiers des adultes sont pratiquants réguliers à la Libération, ils ne sont plus que 20% en 1965 et 10% vingt ans plus tard. La décroissance des votes en faveur du parti communiste est encore plus forte : 29% de l'électorat à la Libération, 22% en 1969, 2% en 2007. Les évènements de 1968 cristallisent l'opposition entre des parents qui croient encore aux valeurs traditionnelles et une jeunesse qui n'adhère plus ni au parti communiste ni à l'Église.

De 1970 à 1990, si le parti communiste perd de l'importance, le marxisme révolutionnaire imprègne encore les esprits : ensuite, l'effondrement du communisme entraîne une perte des repères collectifs que la montée de l'écologie et de l'humanitaire ne va pas compenser. Nous en sommes là et, les idéaux communs de gauche comme de droite ayant largement disparu, la réussite individuelle est devenue le seul critère d'action qui subsiste, avec toutes ses dérives : exaltation de l'argent, ultralibéralisme économique et individualisme exacerbé.

Constat ou propos de café du commerce ? Ce dernier constat est à remettre en cause : c'est indûment qu'on passe d'un effondrement des structures

qui encadraient les esprits sous un mode traditionnel (paroisses catholiques d'une part, villes communistes de l'autre) à une absence de repères.

1 La Source, École de la confiance, p.45

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Prenons par exemple le souci de réussite individuelle : s'il était peu compatible avec l'appartenance au milieu populaire (ouvrier ou paysan) où la solidarité est presque une condition de survie, il a toujours existé dans les classes supérieures.

Encore à titre d'illustration dans l'histoire de la Source, on voit dans un récit des années 1947 une mère de famille qui confie son fils à la Source mais qui craint qu'il ne puisse pas accéder "à la voie royale des grandes écoles" et qui pour cette raison lui fait quitter la Source1.

Le désir d'enrichissement et celui de gloire personnelle ont toujours existé dans les élites sociales. Dès l'antiquité la sagesse populaire voit dans la recherche de la richesse un danger2; l'ambition et la recherche de la gloire sont critiquées par les stoïciens. Ces aspects seront également critiqués par Montaigne et Pascal, tandis qu'ils seront exaltés par Corneille ce qui manifeste la permanence de leur actualité et de leur force.

Ce qui caractérise notre époque, ce n'est pas la présence de ces thèmes intemporels mais leur diffusion massive : d'une société encore rurale et ouvrière à la Libération, on passe ensuite à une société urbaine de classes moyennes où chacun peut prétendre participer à la richesse et avoir droit, comme le notait Andy Warhol, à son quart d'heure de célébrité. Il s'agit là, évidemment, d'une contradiction dans les termes qui montre bien le fait qu'une telle proposition entraîne la frustration car tant la richesse que la célébrité ne peuvent être le fait que d'un petit nombre.

Ce qui caractérisait les élites sociales encore peu nombreuses d'avant la Révolution industrielle, et la classe moyenne aujourd'hui, c'est précisément l'individualisme. À l'encontre des milieux populaires où les individus se perçoivent interchangeables, avec un destin tracé d'avance et où la solidarité est inscrite dans la situation, les classes supérieures sont composées d'individus dont chacun doit déterminer son destin particulier, sa "carrière", sa réussite individuelle. Dans une telle configuration, l'autonomie est nécessaire pour pouvoir s'ajuster aux hommes et aux évènements, indépendamment des croyances et des opinions collectives, s'il en reste. De ce fait l'individualisme n'est pas une perversion nouvelle mais une généralisation d'une situation historique ancienne du simple fait de l'accroissement de la classe moyenne.

Le rôle de l'école L'école a de tout temps été en rapport avec l'individualisation des élites. L'éducation antique ne

s'adressait qu'aux enfants des bonnes familles et visait à leur former le goût, la sensibilité littéraire qui leur donne une autonomie de jugement. Les collèges jésuites de l'Âge classique, par le biais des humanités, puis l'enseignement secondaire, conserveront le même objectif jusqu'au moment où, dans les années 70, la massification de l'enseignement fera entrer cet enseignement des humanités dans une crise où nous sommes encore. En effet, le processus d'individualisation suppose que chacun soit formé pour être différent, pour pouvoir s'inventer un rôle social, des goûts autonomes, des croyances personnelles, une vocation spécifique : ce programme peut sembler contradictoire avec un enseignement de masse où l'on vise à faire accéder 80% d'une classe d'âge au niveau du baccalauréat. C'est là le défi de la situation actuelle de l'enseignement : faire en sorte que chaque enfant à la fois accède aux outils communs indispensables du niveau primaire (lire, écrire, compter), mais aussi aux outils communs du secondaire : connaissances scientifiques, géographiques, historiques, techniques, linguistiques dont la masse occupe une bonne partie des emplois du temps. De plus, tout système scolaire devrait rendre chacun autonome, doté de goûts, d'ambitions, de désirs qui lui soient propres avec ce paradoxe supplémentaire que si les adultes n'ont plus beaucoup de repères collectifs, l'enfant et l'adolescent ont eux les yeux fixés sur leurs pairs, sur les modes, les goûts et les repères de leur groupe d'âge ou de leur groupe d'affinité, dont ils paraissent trop dépendants aux yeux des adultes.

De nouveaux repères Rendre autonome est donc un programme éducatif que l'école en général doit assumer, mais qu'en est-t-il

des valeurs communes comme l'honnêteté, le souci du travail bien fait, l'exigence de justice, le courage, tout ce qui autrefois était des vertus partagées, fondamentales ? Doit-on dire, cyniquement à la manière de Nietzsche, qu'il s'agissait d'une morale pour le peuple mais que les élites doivent s'en affranchir ? Ce n'est pas ce que pensent tant ceux qui ont été baignés dans la tradition catholique qui exaltait ces vertus cardinales, que ceux qui avaient trouvé dans la gauche humaniste des valeurs semblables. Est-ce à l'école de proposer ces valeurs qui n'ont plus de base collective ?

1 La Source, École de la confiance, p.39-41 2 cf. St-Paul, Première lettre à Timothée 6/10

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Une réponse peut être trouvée à cette question si on se donne la peine de ne pas considérer l'espace français comme seul lieu d'élaboration d'une réponse aux difficultés. En effet tant la tradition chrétienne que la tradition humaniste n'ont pas eu que la France comme terre d'accueil. On peut même faire l'hypothèse que la situation française n'est pas la meilleure car, du fait de la Révolution, ces deux traditions chrétiennes et humanistes, se sont affrontées durement, et n'ont pas su cohabiter alors qu'il existe d'autres traditions intellectuelles et politiques où ces deux traditions ne se sont pas opposées comme en France.

Par exemple,. dès 1835, Tocqueville notait que la jeune démocratie américaine qui anticipait l'égalité des conditions qui se répandrait ensuite dans toute l'Europe, s'appuie davantage sur le pouvoir de l'individu, son initiative, son efficacité quand plusieurs individus s'associent librement, que sur les autorités établies. Cette conviction qu'il faut encourager l'action associative, pratiquer ce que les américains appellent l'empowerment devrait permettre, par le biais des nécessités intrinsèques de l'action collective librement entreprise, de retrouver la logique de la confiance réciproque, du respect de soi par le travail bien fait, du respect des autres par l'attention qui leur est portée, du sens de la délibération collective, en un mot de la démocratie vivante.

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ATELIER 2 – NOUVEAUX REPERES « Dans un contexte de mouvance, d’instabilité et de multiplication des repères et de leur mode de transmission, quelles actions éducatives l’école doit-elle, peut-elle mettre en œuvre ? »

Cécile Trémolières Principale adjointe du Collège Jean Monnet à Flers (Orne)

L’idée que l’école a un rôle central dans l’éducation du citoyen date de la période révolutionnaire. Dans la

société moderne, mener une action éducative revêt cependant une complexité nouvelle. Comme l’écrit Hannah Arendt, « dans le monde moderne, le problème de l'éducation tient au fait que par sa nature même l'éducation ne peut faire fi de l'autorité, ni de la tradition, et qu'elle doit cependant s'exercer dans un monde qui n'est pas structuré par l'autorité ni retenu par la tradition. » (La crise de la culture, 1961). Un des fondements de l’acte éducatif consiste à signifier à l’adolescent qu’il doit se soumettre aux règles et à la culture d’un monde qu’il n’a pas édifié, mais qu’il reçoit. L’autorité ne peut cependant pas être le seul fondement de l’acte éducatif dans un monde où le changement est la règle. Eduquer consiste aussi à donner les moyens à un adulte en devenir d’édifier le monde de demain. Dès lors, pourquoi et comment mener des actions éducatives ? Cette contribution s’inspire de mon expérience de direction d’un collège public de ZEP. Elle a pour objet de mettre en évidence les difficultés rencontrées par les acteurs des établissements scolaires dans la conduite de telles actions et d’en pointer les limites.

« L’éducation à… » et les injonctions multiples faites aux établissements scolaires En 2008, tout collège a l’obligation de mettre en œuvre des actions éducatives dans des domaines

aussi nombreux que variés. Depuis la loi du 10 juillet 89 qui disposait que « le droit à l'éducation est garanti à chacun afin de lui permettre de développer sa personnalité, d'élever son niveau de formation initiale et continue, de s'insérer dans la vie sociale et professionnelle, d'exercer sa citoyenneté » (art. L111-1 du Code de l’éducation) la mission d’éducation conférée à l’école n’a cessé de s’étendre. Education à la santé, à la citoyenneté, à la sécurité et à la responsabilité : chacun de ces domaines tend à s’élargir avec le temps. L’éducation à la santé comprend aujourd’hui aussi bien le repérage et la prévention des conduites à risques et de la souffrance psychique que l’éducation à la nutrition et l’éducation à la sexualité. L’éducation à la citoyenneté rattachée à l’éducation à la santé lors de la création du Comité d’Education à la Santé et à la Citoyenneté en 1998 a un contenu tout aussi vaste et flou. Depuis 2005, l’éducation à la responsabilité ouvre les nouveaux champs de l’éducation à la sécurité routière et de l’éducation au Développement Durable.

Pourquoi toute demande sociale devrait-elle se traduire par une nouvelle injonction faite à l’école? La

variété et la multiplicité des dispositions législatives et réglementaires engendrent la perplexité des acteurs des établissements scolaires. L’école ne peut en effet à elle seule faire advenir un citoyen sain, responsable et impliqué dans la vie de la cité. Lorsqu’un problème social est mis à jour – conduite à risque, mauvais comportement alimentaire, etc. - les responsables politiques semblent céder à l’effet d’annonce en créant à la charge de l’école l’obligation de mettre en œuvre en toute hâte de nouveaux dispositifs au lieu d’inscrire leurs programmes d’action dans le long terme à l’issue d’une véritable réflexion. Il en résulte une extension excessive de la sphère scolaire dans la prise en charge des enfants et adolescents, comme en témoigne le nouveau dispositif « d’école après l’école » dans les collèges de ZEP (circulaire du 9 novembre 2007). Avec l’objectif louable de promouvoir une égalité des chances, l’école est sommée de mettre en place un accompagnement éducatif et d’organiser deux heures par soir d’aide aux devoirs et d’activités culturelles et sportives. N’aurait-il pas été plus pertinent de s’interroger au préalable sur le bien-fondé du travail du soir des collégiens et de se demander si d’autres structures n’étaient pas plus à même de prendre en charge l’éducation culturelle et sportive après la classe ?

Comment faire face à une telle inflation de la demande éducative au sein des établissements ? Les contenus nécessaires à « l’éducation à… » parce qu’ils relèvent rarement d’une seule discipline remettent en cause l’organisation traditionnelle des établissements du secondaire où l’on procède plus aisément par adjonction d’heures de cours que par refonte des enseignements existants. Si l’éducation civique est rattachée

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depuis longtemps aux enseignements d’histoire et de géographie, le développement durable est un thème transversal. A ce titre, il peut constituer un vecteur de changement de pratique et induire davantage de coordination entre les enseignants des différentes disciplines. Ce qui est positif du point de vue de la transmission de connaissances est plus problématique lorsqu’il s’agit de préconiser de « bonnes » pratiques, voire même de les mettre en place comme c’est le cas dans les collèges s’engageant dans une démarche de labellisation « éco école ». Faire prendre conscience aux collégiens du bien fondé de pratiques conformes au respect de l’environnement est louable à condition de ne jamais perdre de vue les conclusions scientifiques et de ne pas renoncer à une vision critique. Jusqu’où aller sans franchir la frontière perméable entre les savoirs et les opinions? En période de repères mouvants, l’école doit plus que jamais renoncer à faire sienne l’une ou l’autre thèse et tenir à sa neutralité.

Eduquer au quotidien : les paradoxes et les limites de la politique de sanction en établissement

secondaire Un établissement scolaire est une petite communauté avec ses règles dont le respect est nécessaire à la vie

en commun. Dans un espace qui met en présence enfants et adultes, le respect des règles ne vise pas seulement à réguler les relations au présent. Leur apprentissage est aussi une préparation à la vie future des élèves. Ainsi la valeur éducatrice de la sanction a été consacrée par l’introduction dans les textes des principes du droit disciplinaire dans les établissements scolaires (2000). Alors que l’arbitraire n’est plus de mise, la détermination et la mise en œuvre d’une politique de sanction est une occasion fréquente de conflits entre acteurs de la communauté scolaire. Souci quotidien partagé par les professeurs et les personnels non enseignants, elle semble cristalliser les difficultés de l’acte éducatif au quotidien.

La particularité du collège est la présence d’un carnet de liaison, instrument dont la forme peu conviviale

semble être un héritage d’une époque bureaucratique révolue. Dans le collège réputé difficile où j’exerce, cet outil fonctionne comme un casier judiciaire : tout incident en classe donne lieu à une croix, cinq croix à un rappel au règlement inscrit sur une autre page, trois rappels au règlement occasionnent une retenue. Ce dispositif que certains enseignants démunis voudraient voir renforcer entretient l’illusion d’une sanction juste parce qu’automatique. Ses effets pervers sont pourtant importants. En faisant l’économie du questionnement sur l’acte commis par l’élève, il interdit à ce dernier d’accéder au sens de ce qu’il a fait et n’entraîne pas chez lui de prise de conscience. Il ne contribue pas au sentiment de justice, une croix traduisant parfois davantage l’exaspération légitime de l’enseignant que la gravité de l’acte commis par l’élève. Mais surtout, il laisse l’enseignant seul face à l’acte commis. En période de repères mouvants, les acteurs de l’établissement rencontreraient-ils une difficulté particulière à signifier à l’élève en quoi consiste sa transgression et quel est le degré de gravité de son acte ?

Poser une sanction à valeur éducatrice nécessite de rappeler les valeurs sur lesquelles elle se

fonde (respect des autres et de l’adulte, du matériel commun, etc.), puis les obligations de l’élève qui n’ont pas été respectées. C’est à cette condition que la sanction peut prendre sens. L’école républicaine n’est pas sans proposer des repères explicites : respect des droits de l’homme, tolérance, laïcité, neutralité. Plutôt qu’à une absence de repères, c’est à une difficulté de les mobiliser dans l’exercice solitaire de leur métier que sont confrontés professeurs, assistants d’éducation et principaux. Qu’est-ce par exemple qu’une insulte ? Il est rare que l’élève qui l’a proférée et le professeur qui l’a reçue aient spontanément une définition commune. Si on fait l’économie de la construction de sens, la sanction ou son absence seront perçues comme le résultat d’un rapport de force dont aucun sentiment de justice ne pourra découler. Comment cet exercice délicat de qualification et d’explication pourrait-il être mené sans référence aux valeurs partagées qu’un projet d’établissement peut utilement réactualiser ? Plus encore que l’acte pédagogique, l’acte éducatif nécessite un ancrage dans une réflexion collective. Cette réflexion à visée éthique est souvent éludée dans la pratique quotidienne où le « que faire » prend le pas sur le « pourquoi le faire ». Dans un établissement où les familles sont parfois très loin de partager les valeurs de l’école, l’exercice prendrait pourtant tout son sens.

Comment mieux éduquer pour l’avenir ? Les établissements scolaires et l’éducation à l’autonomie. Préparer un enfant à vivre dans le monde de demain consiste de plus en plus à lui donner les moyens de

développer son propre projet. Qu’il s’agisse de la poursuite d’étude supérieure ou de recherche d’emploi, les occasions se multiplient dans lesquelles le jeune adulte doit savoir se présenter à travers ce qu’il est et ce qu’il a fait et à travers ses motivations.

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Devenir « entrepreneur de soi-même » ne peut s’apprendre par la soumission à une règle. On observe dans ce domaine un décalage entre les textes et la pratique des établissements scolaires.

Alors que l’orientation des années 50 se résumait à une simple gestion des flux, l’éducation à l’orientation

a pris une place prépondérante dans les années 90. Pourtant, l’orientation est encore vécue par les élèves les plus faibles comme subie. « On m’a mis là » me disait une élève de seconde qui considérait qu’elle n’y avait pas sa place. Si chacun s’accorde à reconnaître l’importance de l’élaboration par l’élève de son projet, il semble en pratique difficile de l’accompagner dans sa construction. Manque de personnel formé, manque de temps pour recevoir l’élève et sa famille sont les motifs les plus fréquemment invoqués. Si l’on s’y arrête, on risque de minimiser le changement de rapport à l’élève que suppose une véritable éducation à l’orientation. Ecouter l’élève avant de l’informer, le conseiller en prenant appui sur ses compétences plutôt que de pointer ses faiblesses permettraient d’établir le rapport de confiance nécessaire à l’émergence d’un réel projet, y compris chez les élèves en échec scolaire.

Prenant acte de la nécessité de développer l’autonomie et l’initiative durant la scolarité obligatoire, le

Haut Conseil de l’Education y a consacré un des sept piliers du Socle Commun de Connaissance et de Compétence. « Il faut que l'élève se montre capable de concevoir, de mettre en oeuvre et de réaliser des projets individuels ou collectifs dans les domaines artistiques, sportifs, patrimoniaux ou socio-économiques. Quelle qu'en soit la nature, le projet - toujours validé par l'établissement scolaire - valorise l'implication de l'élève » précise le décret du 11 juillet 2006. En lycée où la création des Conseils de Vie Lycéenne a favorisé les initiatives collectives, la situation est différente de celle du collège où il est frappant de constater combien les occasions sont rares pour les élèves d’exercer effectivement leur autonomie. Dans leur quotidien ponctué par les sonneries horaires, le rangement dans la cour et la production de justificatifs d’absences et de retards se lit davantage la préoccupation de la surveillance et du contrôle que celle de l’éducation à l’autonomie et à la prise de responsabilité. Il conviendrait donc d’agir sur les modalités de la gestion quotidienne des élèves pour créer les conditions de comportements actifs et responsables avant de susciter plus largement les occasions de s’investir.

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ATELIER 2 : NOUVEAUX REPERES

Compte-rendu par Emilie Coubard, enseignante et Isabelle Wagner-El-Haik, parent d’élève

À partir des textes de réflexion proposés par Philippe Cibois et Cécile Trémolières, deux questions problématiques ont été retenues pour orienter le débat :

- Quels sont les nouveaux repères, en quoi sont-ils différents de ceux d’hier ? Quelles sont les conséquences dans la construction des enfants et des jeunes ?

- Quels repères voudrait-on mettre en avant, pour quels enjeux ? Quels sont les freins et comment les lever ?

Avant d’amorcer la discussion, chacun des deux intervenants présente brièvement la notion de « repère »,

selon son approche professionnelle.

Philippe Cibois, professeur émérite de sociologie à l’université de Versailles Saint Quentin commence par expliquer comment cette notion est appréhendée du point de vue sociologique. Il rappelle que la description sociologique qui est faite de la société peut conduire à des points de vue opposés mais qui ne sont pas neutres du point de vue de l’école La Source. Un sociologue comme F. de Singly, par exemple dans son livre Les Adonaissants, présente le passage des repères aux adolescents comme un processus qui a évolué mais qui peut être accompli correctement. Inversement un sociologue comme Z. Bauman décrit la société comme étant une « société liquide », c’est-à-dire où chacun s’investit dans sa relation aux autres au gré de ses intérêts passagers, ce qui rend la société fluide et sans repères et les relations « jetables ». Ces deux descriptions correspondent à des réalités actuelles : ceci pour dire que la sociologie décrit la société mais ne propose ni normes ni repères, ce qui fait qu'elle peut n'être utile que pour mieux décrire l'existant, non pour lui donner un sens.

Cécile Trémolières, principale adjointe du Collège Jean Monnet à Flers (Orne), pose la question des repères nécessaires dans la direction d’un établissement scolaire. Elle rappelle la triple vocation de l’école : « Former, instruire et éduquer », et souligne que la dernière de ces trois fonctions (éduquer) est celle qui engendre le plus de tensions et de difficultés. En effet, actuellement, l’école est de plus en plus perçue en tant qu’institution, et les textes insistent énormément sur cette dimension d’ « éducation à la citoyenneté, à la santé, à la sécurité, … ».

1. Quels sont les nouveaux repères, en quoi sont-ils différents de ceux d’hier ? Quelles sont les conséquences dans la construction des enfants et des jeunes ?

• La relation éducation - école

Rebondissant sur la dernière remarque de Cécile Trémolières, la discussion s’engage sur le constat de

l’instrumentalisation de l’école par les politiques. On peut en effet remarquer une forte inflation des textes juridiques relatifs à l’éducation. Les programmes scolaires sont imposés, de nouvelles directives sont toujours ajoutées (« l’éducation à… »), ce qui limite de plus en plus la liberté, la capacité d’initiative des établissements. Par exemple, en ZEP, obligation a été faite par le ministère de consacrer deux heures d’aide au travail tous les soirs pour plus d’égalité. Cependant la question de la pertinence d’une telle décision se pose. Selon les équipes enseignantes, cette mesure est tout à fait anti-éducative, puisque ces deux heures viennent s’ajouter à la journée déjà longue d’un collégien. Également, elle empêche la question fondamentale de « comment faire un cours ? » : on rajoute des heures au lieu de se remettre en cause par rapport aux pratiques actuelles.

Face à ces premières limites, le débat s’interroge sur le bien-fondé de la gestion actuelle des établissements scolaires et tendrait à trouver plus judicieuse une organisation qui favoriserait leur autonomie afin de leur donner plus de liberté. Ainsi, cela permettrait à chacun de faire des choix (projets plus originaux, expérimentations), de repenser ou rénover les programmes, d’adapter l’éducation éducative au public de l’établissement et surtout de faire du lien entre l’éducatif et les programme pour leur donner du sens.

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• Des repères différents pour chacun

Un deuxième constat problématique affleure ensuite, venant complexifier le rôle de l’école vis à vis de l’éducatif. Si les trois piliers fondamentaux générateurs de repères que sont l’Etat, l’école et la famille existent encore, force est de constater que chacun à tendance à se reposer sur l’autre pour donner des repères. De plus, du fait de la démocratisation de l’enseignement, et par conséquent de l’arrivée massive d’élèves à l’école, les repères se sont multipliés. Ainsi, aujourd’hui, l’extérieur (vie extra-scolaire) entre beaucoup plus à l’école, la distinction entre ce qui relève du scolaire ou de l’éducatif est beaucoup plus difficile à faire et donne à l’école un rôle éducatif d’autant plus important.

Poursuivant la réflexion sur la fameuse « perte » des repères observée chez les jeunes par les différentes institutions, Philippe Cibois préfère évoquer un « déplacement » de repères. Parents et enfants n’ont plus les mêmes repères, et du fait de la plus grande liberté qui règne aujourd’hui, chacun prend les repères qui l’arrangent :

- les parents ont pour repère réussite scolaire et carrière, et mettent une importante pression sur ce domaine ; en revanche, ils accordent beaucoup de liberté en ce qui concerne la vie sociale de leur enfant (TV, sorties, …)

- les enfant ont des repères par rapport à une classe d’âge (phénomènes de mode, comme la tecktonick) Le déplacement des repères est entraîné par le fort clivage instauré entre, d’un côté, la liberté et l’épanouissement permis aux enfants dans le cadre privé (hors scolaire) et de l’autre côté, la réussite (scolaire) imposée par les parents. On remarque également aujourd’hui des écarts-types de plus en plus lâches : les repères sont très différents d’une situation ou d’un sujet à l’autre, selon les familles, les classes sociales, les groupes auxquels on appartient, ce qui tend à renforcer ces repères mouvants. Cécile Trémolières propose alors l’idéal à recréer pour éviter de tels clivages : trouver le moyen de faire s’épanouir l’élève à l’école.

Suite à ce constat, les deux types d’établissements représentés ont été comparés dans leur appréhension des repères.

Il est dit qu’à La Source, l’esprit critique est peut-être plus éveillé qu’ailleurs ce qui permet de relativiser ces repères mouvants. En revanche, du fait d’un public privilégié, il reste nécessaire de créer des passerelles vers l’extérieur, pour observer de nouveaux repères (milieux sociaux différents) afin de pouvoir évoluer dans la société à l’âge adulte. Le rôle d’un apprentissage « bien fait » étant de faire comprendre qu’il existe d’autres pays, d’autres cultures (déjà largement mis en place à La Source) et surtout d’autres milieux sociaux.

En ZEP, les repères des parents, de l’école et des enfants sont très différents. Ou plutôt, les repères des parents sont différents de ceux des enfants et de l’école. D’une part, les parents n’ont pas forcément le choix du lieu de scolarisation de leur enfant, ils se trouvent donc moins partie prenante dans le processus de co- éducation. D’autre part, ils ne se sentent pas forcément à l’aise avec l’institution scolaire, d’où parfois un investissement moindre dans le relais des apprentissages et la relation avec l’établissement.

Ainsi, du fait de la multiplication des repères et de publics, il faut, tout en gardant des objectifs communs,

permettre des pratiques différentes en donnant plus de liberté d’action.

Après avoir interrogé la notion de repère, il s’agissait de s’arrêter plus particulièrement sur les repères que l’on souhaite mettre en avant, et de soulever les éventuelles difficultés qui freineraient leur mise en place.

2. Quels repères voudrait-on mettre en avant, pour quels enjeux ? Quels sont les freins et comment

les lever ?

Tout d’abord, une discussion a posé la question des valeurs véhiculées par La Source, fondant son projet pédagogique. Quatre mots-clés ont été retenus comme symbolisant le mieux cette école : confiance, implication, autonomie, solidarité.

Malgré ces repères posés par La Source, des freins apparaissent néanmoins, concernant aussi bien la relation parents-école que la relation élèves-école.

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• Sur le plan des relations entre les parents et l’école, trois questions se posent : o Comment lutter contre la pression parentale ? o Quel dialogue mettre en place avec la famille ? o Quelle attitude adopter vis-à-vis de la famille ?

En effet, La Source est particulièrement reconnue en tant que communauté éducative, donnant du sens à son action. Cependant, elle semble elle-même induire une limite à son action, en ayant parfois une « trop » grande connaissance de l’élève et de sa famille et proposant alors, peut-être, une prise en charge trop importante. Dans de telles circonstances, peut-elle renvoyer les parents à leur propre conception éducative, surtout lorsqu’elle se trouve en situation « d’échec » si sa structure ne convient pas à l’enfant ?

• D’autres questions affleurent du côté de l’élève : o Les élèves ont-ils conscience de leur « chance », de l’entourage éducatif dont ils bénéficient ? o Les élèves ont-ils conscience de l’évolution des repères ?

La Source s’attachant à jouer un rôle assez important au niveau de l’éducatif, fondé sur des valeurs et repères précis, ne demande-t-elle pas trop à ses élèves (être acteur de sa scolarité) ? Comment ceux-ci doivent-ils se placer dans la triangulaire école-parents-enfant ? Quelle perception ont-ils de cette relation particulière ? Quelles valeurs pour se repérer ?

À partir de la discussion ayant mis en lumière les valeurs observées à La Source, l’assemblée a réfléchi aux moyens de transposer ces repères en ZEP ou dans d’autres établissements.

L’une des prémisses reconnaît la nécessité d’une relation fondée sur la confiance, l’existence d’un véritable projet d’établissement et d’équipe. Ensuite, il s’agit de plus responsabiliser les élèves pour moins de répression. Cela est possible à condition de s’adjoindre quelques garde-fous visant à :

o donner plus de sens et de dialogue, pour des rapports moins violents : cela permet la mise en place de repères

o expliquer les règles pour en montrer l’équité (la justice et la justesse) et ainsi éviter le rapport de force

o éviter l’automatisation des peines (tendance des nouveaux enseignants en ZEP) o éviter de plaquer des règles mais en favoriser la recherche, malgré des repères mouvants o prendre le temps de la réflexion éthique o reconnaître les personnes en tant que telles afin de permettre l’intégration des repères.

� Pour que l’élève accepte ces repères et les respecte, il est nécessaire d’avoir un projet pédagogique

clair qui génère du sens. Comme ils sont divers, ces repères se discutent et s’expliquent, et dans certains cas, peuvent être négociés.

Synthèse de l’atelier : Constat : L’arrivée massive des élèves à l’école a entraîné une diversification des repères (génération, milieux sociaux,…). Il est donc nécessaire de construire un projet pédagogique clair, unifié et auquel tout le monde adhère. Proposition : Expliquer et discuter les repères pour leur donner du sens. Négocier le négociable. Question ouverte : Quelle place donner à la famille au sein de l’école ? Quelle relation mettre en place entre l’école et la famille ? (charte, engagement réciproque, …)

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ATELIER 3 – NOUVEAUX DISPOSITIFS

« Si l’école veut intéresser les élèves et leur donner tous les outils nécessaires à leur adaptation à la société et au monde, faut-il actualiser, modifier les dispositifs d’apprentissages actuels, en créer d’autres ? »

Patrice Bride Professeur d’histoire géographie – Membre des Cahiers pédagogiques

Phrase de présentation :

Si l'école veut intéresser les élèves et leur donner tous les outils nécessaires à leur adaptation à la société et au monde, faut-il actualiser, modifier les dispositifs d'apprentissage actuels,

en créer d'autres ?

Vouloir « intéresser les élèves », ou bien encore « leur donner tous les outils nécessaires à leur adaptation à la société et au monde » sont deux finalités différentes, et surtout assez étrangères à l'école française dont nous héritons. On peut trouver des traces de ce genre par exemple dans les préambules des programmes, mais le fonctionnement de l'école dit bien autre chose. Je propose d'abord un petit retour sur l'histoire, des éclairages très partiaux sur les différentes finalités du système éducatif en France.

Jusqu'au XIXe siècle, on a considéré inutile pour la plus grande masse de la population la mise en place

d'un quelconque système administratif d'éducation : l'éducation des enfants était du ressort des communautés familiales, l'instruction professionnelle étant prise en charge par les communautés de production (souvent le cercle familial, en particulier pour les métiers de l'agriculture, ou bien des dispositifs d'apprentissage pour les métiers de l'artisanat). Des formes d'instruction élémentaire se développèrent à l'époque moderne au niveau de la paroisse, les curés transmettant des rudiments de lecture/écriture/calcul aux jeunes. Quant à l'instruction des élites, elle était essentiellement du ressort de l'église, que ce soit sous la forme du préceptorat ou des collèges des jésuites. Ce n'est qu'avec Napoléon que la formation des cadres de la nation devient une responsabilité de l'État, d'où la mise en place des lycées en 1808.

Au XIXe siècle, les bouleversements sociaux et politiques poussent les États à se mêler de l'éducation du

grand nombre. Dès 1833, la loi Guizot oblige chaque commune à entretenir une école primaire, première étape jusqu'à la mise en place de l'école de la IIIème République dans les années 1880. Le principal objectif est d'encadrer une population en forte augmentation, en particulier dans les villes. Les responsables politiques s'inquiètent de ces concentrations humaines qui échappent largement à l'emprise de la vieille institution ecclésiastique, qui se politisent sous l'influence des idées socialistes, et qui se manifestent sporadiquement mais fortement par des émeutes et des révolutions. Élus au suffrage universel, confrontés à la forte opposition de la droite monarchiste soutenue par l'Église, les dirigeants de la IIIème République ont besoin de gagner le soutien politique du plus grand nombre, et choisissent la voie de l'école pour diffuser leur conception de la démocratie, du patriotisme, susciter l'adhésion des jeunes ouvriers et paysans à la république française contre l'esprit de clocher, le régionalisme ou l'internationalisme prolétarien. L'école primaire de Jules Ferry est donc avant tout une école d'instruction politique, on dit plutôt à l'époque (et aujourd'hui) civique, qui s'est construit à la fois en opposition et sur le modèle de l'enseignement catholique. Toute son organisation et ses contenus sont imprégnés de cet esprit : c'est évident pour les leçons de morale, pour celles d'histoire et de géographie, censées inculquer l'amour du sol natal, c'est également le cas pour l'enseignement du français, marqué par une sacralisation de sa structure grammaticale et de son orthographe, d'une façon générale par la place du « par coeur », méthode d'apprentissage médiévale, du temps de la rareté de l'écrit. Et c'est bien cette dimension politique qui permet d'expliquer le succès de ce modèle scolaire : les dirigeants radicaux ont pu s'appuyer sur des milliers d'instituteurs qui se sont faits militants de la République auprès de leurs élèves, au point qu'on a pu les surnommer « hussards noirs » pour glorifier leur dévouement.

Colloque de l’école La Source

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Le XXème siècle a connu un basculement vers une tout autre finalité du système éducatif, l'obtention d'un diplôme comme sésame pour accéder à une certaine position dans la société. Du temps de Jules Ferry, l'école est avant tout l'école primaire, qui n'a aucune vocation à préparer à l'exercice d'une profession, ce qui est du ressort de l'apprentissage professionnel. Au cours du XXème siècle (Je maintiens, le basculement dans les discours politiques date des années 1950), le déclin des métiers manuels, la nécessité d'une main-d'oeuvre qualifiée de techniciens et d'ingénieurs dans l'industrie, le développement du secteur tertiaire ont donné une valeur essentielle à l'enseignement secondaire, autrefois domaine réservé d'une élite restreinte. Tant la demande sociale des familles, pour qui l'école devient un espoir majeur de promotion sociale, que les préoccupations de l'État technocrate de former les cadres dont a besoin l'économie, aboutissent à ce qu'on a appelé « la massification scolaire », c'est-à-dire l'accès généralisé d'une génération au collège dans les années 70, au lycée dans les années 80, à l'université dans les années 90.

Pour bien des raisons, et en partie en dépit des intentions des hommes politiques, l'école n'a accueilli tous

ces nouveaux élèves qu'en poussant ses murs, sans modifier son architecture, au propre comme au figuré : des bâtiments constitués pour l'essentiel de couloirs et de salles de classe ; des salles rectangulaires, où une trentaine d'élèves s'assied face un maître et un tableau, pour une durée d'une heure, au bout de laquelle ils empruntent les couloirs pour se rendre dans une autre salle, écouter un autre maître et recopier un autre tableau, et cela selon un emploi du temps se reproduisant à l'identique de semaine en semaine, avec la même scansion trimestrielle. Les contenus eux-mêmes sont d'une étonnante stabilité : l'Égypte des pharaons figure au programme des élèves de sixième en 2008 comme en 1883, le théorème de Pythagore est inexpugnable de la classe de quatrième, et on ne saurait approcher un enseignement de philosophie avant la classe de terminale. Tout au plus pourra-t-on pointer la substitution des mathématiques au latin comme matière discriminante, mais ce dernier fait de la résistance...

L'école dont nous héritons aujourd'hui est donc une machine bien complexe, qui tente par des méthodes

et des organisations héritées des temps anciens de satisfaire des consommateurs de diplômes et de concours. On publie des palmarès des lycées comme des tests comparatifs de produits high-tech, alors que le baccalauréat mesure bien davantage une docilité à régurgiter des savoirs stérilisés et à se conformer à des méthodes étriquées que des compétences utiles dans le monde professionnel.

D'où diverses questions : Quelle place pour l'école dans la formation professionnelle ? Si on en reste à l'idée d'égalité des chances,

quel viatique fournir aux élèves pour aller jouer à la loterie sur le marché du travail ? Quelle place pour l'école dans la constitution du lien social ? Les autres élèves sont-ils plutôt des

concurrents à écarter, ou de futurs concitoyens ? Quelle place pour l'école dans l'apprentissage de la citoyenneté politique ? S'agit-il de susciter l'adhésion

à un modèle républicain établi, par exemple par diverses commémorations, de développer des compétences à une réflexion politique à la fois autonome et collective ?

Colloque de l’école La Source

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ATELIER 3 – NOUVEAUX DISPOSITIFS

Charlotte Nordmann Professeur de philosophie, essayiste

Présentation des enjeux

Contrairement à ce que prétendent certains, l’école d’aujourd’hui témoigne d’une continuité frappante

avec celle d’hier. Dans ses principes, dans son organisation pratique comme dans ses contenus, c’est plutôt la permanence qui est remarquable. Or un certain nombre de ces principes pose problème, et mériterait d’être remis en question. Cela implique de s’interroger sur les fins qu’on veut assigner à l’école, et les moyens nécessaires à leur réalisation. Dans cette perspective, nous examinerons plus particulièrement trois points essentiels.

Le problème de la fermeture sur soi de l’enseignement L’enseignement scolaire n’est généralement pas conçu pour ouvrir à autre chose : il est essentiellement

fermé. Le principe qui gouverne la pratique de la plupart des professeurs, c’est que l’élève doit trouver dans le cours, doublé du manuel, tout ce dont il a besoin. La leçon du « livre », complétée par la leçon parallèle du professeur (ou l’inverse), voilà ce qui suffit à l’apprentissage. L’essentiel est là, donné, qu’il s’agit simplement d’assimiler – aussi suffit-il généralement, pour obtenir la note maximale, d’avoir appris et compris le cours, et d’être capable d’en rendre compte de façon organisée et intelligible. La leçon est close sur elle-même, elle n’ouvre pas sur autre chose : on suppose en effet les élèves incapables d’assimiler des aliments qui n’auraient pas été spécialement préparés à leur intention.

Sûrement cette manière de faire doit-elle être rapportée, au moins pour une part, au souci qui anime les professeurs de s’assurer que tous, quelles que soient par ailleurs les ressources dont ils disposent pour s’instruire, soient en tous cas pourvus de l’essentiel, du nécessaire.

On suppose en effet les élèves incapables d’aller chercher par eux-mêmes les connaissances qu’ils sont censés acquérir. Quand ce n’est pas leur mauvaise volonté, c’est leur incapacité que l’on déplore.

Mais cette répugnance des élèves à lire, ou la maladresse, voire l’impuissance qu’ils manifestent lorsqu’on les charge de mener des recherches, est-ce là vraiment des choses dont on puisse s’accommoder, dont il faudrait seulement chercher à atténuer les conséquences ? N’est-ce pas au contraire ce qui devrait constituer tout l’enjeu de l’apprentissage, ce vers quoi il devrait être tourné tout entier ? Que les élèves trouvent plaisir, ou intérêt à tel livre (et non pas à « lire », en général), ou qu’à tout le moins ils sachent se servir d’un livre, et aller y chercher ce dont ils ont besoin, n’est-ce pas là une des fins primordiales de l’éducation ? N’est-ce pas une condition de l’augmentation de leur autonomie intellectuelle ?

Plus on examine cette question de la place maîtresse de la leçon, plus il est clair que ce modèle d’enseignement exclut l’autonomie, la rend d’autant plus improbable qu’il la suppose impossible.

La question que nous poserons sera donc : Comment faire pour que la volonté légitime de fournir à chacun l’essentiel, et à tous des fondements

communs, n’entraîne pas une fermeture de l’enseignement sur lui-même ? Un enseignement dogmatique Par ailleurs, si le cours est le support unique de l’apprentissage, il se doit d’être complet. Mais ne rien

laisser de côté implique bien souvent de beaucoup simplifier : on ne peut pas tout dire ; par conséquent, si l’on veut parler de tout, on sera obligé de se cantonner à une approche superficielle. De même qu’on a vu les programmes officiel « allégés » des explications ou approfondissements « superflus », les professeurs consciencieux, soucieux de fournir à leurs élèves le « bagage » minimum qui leur permettra de passer au travers des examens nationaux, s’obligent à se concentrer sur l’essentiel, afin de s’assurer à peu près, à force de répétition, qu’au moins cela sera « rentré », « acquis ». Est évacuée ainsi toute la question des origines du discours professé, des moyens et des enjeux de son élaboration.

Colloque de l’école La Source

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Le problème est que, dans l’opération, ils épurent en fait leur cours de tout ce qui fait l’intérêt pour eux de leur discipline – et se désolent ensuite de l’indifférence des élèves.

Les savoirs enseignés se présentent sous une forme dogmatique, sans qu’on sache comment ils se sont constitués, sur quoi ils reposent, ni les problèmes qu’éventuellement ils posent, les polémiques qu’ils suscitent. Il ne serait pas possible, assurent certains, d’introduire les élèves aux savoirs tels qu’ils sont élaborés aujourd’hui, puisque ces savoirs sont par définition inachevés, en cours d’élaboration, susceptibles d’être remis en question.

On produit donc à l’intention des petits élèves une mouture spéciale de « savoir », ni trop rance, ni trop fraîche, spécialement adaptée à leurs capacités. Par la même occasion, on stérilise ces savoirs pour les expurger de tout ce qui pourrait susciter la polémique, les rendant d’autant plus propres, pense-t-on, à assurer leur fonction de « liant » identitaire et national.

Il est piquant de voir l’école revendiquer l’héritage de ceux qui contestèrent les « autorités », quand elle-même ne cesse d’exiger de l’élève qu’il accepte par principe tout ce qui émane d’elle. L’inquiétude de nombre de professeurs à l’égard d’Internet – qui fournit matière à nombre d’« antisèches » – ne se comprend que si l’on voit que le professeur lui-même omet le plus souvent de mentionner ses sources et ne procède à aucun travail explicite sur les fondements de son discours, qui pourrait permettre à chacun de juger de sa valeur. Au lieu de déplorer la naïveté des élèves, qui seraient prêts à accepter tout ce qu’ils voient affirmé avec assez d’aplomb, il conviendrait de les former à l’attention critique nécessaire pour discriminer entre les discours fondés et ceux qui ne le sont pas. L’école, aujourd’hui, se dispense de le faire.

Or c’est moins le relativisme qui menace les élèves, que la croyance en une séparation stricte entre savoirs (objectifs) et opinions (subjectives) : à la première catégorie appartiendraient les mathématiques, la physique et, plus généralement, les « sciences dures », mais aussi parfois l’histoire, la géographie, voire la sociologie, la psychologie ou encore l’économie ; à la seconde, « tout le reste » : tout ce qui relève des sentiments, des opinions qu’on peut avoir sur tel ou tel sujet qui suscite la controverse. Cette vision dualiste contribue à décourager toute mise en question de ses propres opinions, toute interrogation sur leurs fondements. Elle présuppose qu’il y a entre le monde de l’« opinion » et des savoirs non académiques et le monde des sciences de l’histoire et de la société une rupture épistémologique, ce qui est pour le moins discutable. Elle peut induire une acceptation acritique de ce qui est perçu comme un savoir incontestable ; elle nourrit le respect pour les « experts », à l’heure où cette figure est l’un des moyens les plus actifs de la négation de la politique et de son assimilation à une pure et simple « gestion », aussi « rationnelle » que possible. Dans ce contexte, la mise en évidence du travail de construction polémique des « savoirs » serait salutaire.

L’évacuation des débats, et par conséquent des enjeux du discours, aboutit à l’oubli pur et simple de son sens, ou plutôt à la réduction du discours à l’idéologie. La position qu’exclut ce mode de discours, c’est la position critique. C’est un discours fermé, qui prétend donner des cadres mais tend à interdire son propre dépassement, un discours dont l’objectif est de paraître le plus complet possible, lorsqu’il devrait – pour constituer un véritable apprentissage intellectuel – faire au moins soupçonner combien il est insuffisant et provisoire.

Comment concevoir un enseignement qui se donne pour fin de permettre aux élèves de devenir autonomes,

c’est-à-dire d’apprendre à se servir de façon indépendante des nouveaux outils à leur disposition ? Le problème des effets de l’évaluation Enfin, la destination principale des travaux produits à l’école est d’être jugés, d’être évalués par le

professeur, qui pourra ainsi attribuer à l’élève sa juste place dans la hiérarchie de la classe et, à terme, du système scolaire dans son ensemble. Le problème est que la notation n’est pas un simple moyen, qu’elle n’est pas neutre, qu’elle a des conséquences réelles. S’il peut y avoir, indéniablement, un effet « motivant » de la notation, si bien souvent c’est la menace d’une « mauvaise note » qui pousse les élèves à travailler, cependant il est tout aussi certain – mais peut-être plus difficile à appréhender – que la notation, et les jugements sur la personne qui l’accompagnent et lui sont associés dans l’école, produisent aussi des effets de paralysie.

Lorsque ce qui vous aiguillonne est la crainte de l’humiliation, ou la préoccupation infantilisante de « faire plaisir » au maître, alors ce qui vous fait agir est en même temps ce qui vous paralyse.

Pour que l’école ne soit pas essentiellement un instrument de classement et de sélection des individus, il ne faut plus évaluer comme on le fait actuellement.

Colloque de l’école La Source

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Si l’on veut que l’évaluation ne se réduise pas à la stigmatisation d’une « lenteur », d’un « retard », d’une « inaptitude », bref d’une classification et d’une exclusion, si même l’on entend qu’elle ait une véritable utilité pour l’apprentissage, alors il ne faut évaluer que les travaux aboutis, et donner aux élèves le loisir et les moyens d’aller jusqu’au bout de leur travail. Il faut en outre que l'évaluation porte sur ces « produits », et non sur des personnes.

Si la hiérarchisation, la mise en jeu de sentiments de supériorité et d’humiliation apparaissent comme des moyens essentiels pour « motiver » les élèves, c’est parce qu’on tend à exclure toute autre source de reconnaissance ou de valeur du travail des élèves dans l’école.

Dès lors qu’on accepte de donner aux élèves le temps et les moyens nécessaires pour travailler efficacement, pour nourrir et complexifier leur pensée par un dialogue avec la réalité, et pour aller jusqu’au bout d’une réalisation, on est amené à remettre en question les modes d’évaluation communs : un tel processus demande du temps, un temps qu’on ne peut mesurer à l’avance, et il est rarement susceptible d’être évalué « rigoureusement », selon les critères censés garantir l’objectivité du jugement scolaire (même temps imparti, mêmes moyens mis à disposition, même format, et travail individuel).

L’école a toujours été, depuis l’origine, à la fois un lieu de hiérarchisation et de diffusion des savoirs et

des compétences. À quelles conditions cette fonction pourrait-elle être minorée, au profit de la réalisation par chacun de sa puissance d’agir et de penser ?

Colloque de l’école La Source

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ATELIER 3 - LES NOUVEAUX DISPOSITIFS

Compte-rendu par David Fusco-Vigné, Hélène Rousselet, enseignants et Laurence Baulier, parent d’élève

Remarques préliminaires : Une étude internationale a montré que les jeunes français d’aujourd’hui sont les plus pessimistes du

monde, face à leur avenir, ils croient moins à l’indépendance, à l’autonomie qu’à « l’adaptation » : ils préfèrent se conformer à ce que les autres attendent d’eux ; ils sont très conformistes.

Les jeunes rentrent de plus en plus tard dans la vie active, vivant souvent la précarité. Des dégâts sont faits dans leur confiance en soi, à l’école comme dans la famille qui a beaucoup

d’exigences auprès des enfants ; ils n’ont pas le droit à l’erreur. Le système scolaire n’est fait que pour les bons élèves. La difficulté consiste à trouver l’équilibre entre ce dont les élèves ont besoin pour intégrer sereinement la

vie professionnelle et les valeurs dont l’école estime qu’ils ont besoin (indépendamment des attentes d’un modèle économique à un temps T).

Etre conscient et répéter que l’on demande de plus en plus à l’école (initiation et préventions multiples et variées) alors qu’elle ne peut pas tout faire .

La nécessité de la réussite aux examens finaux ne doit pas être un prétexte pour éviter la mise en place de dispositifs originaux : les pédagogies innovantes ne sont pas un obstacle à un retour dans le circuit "classique", avec en plus des compétences supplémentaires.

Changer la façon d’enseigner

a) Les finalités de l’école. Elle doit aider les jeunes à devenir des adultes qui vont faire la société de demain, la comprendre pour la

faire évoluer. Elle doit contribuer à ce que les jeunes résistent à la seule reproduction de ce qu’ils connaissent. Elle doit préparer à une pluralité de positions à l’âge adulte. Compétences à développer : o interroger, déduire o développer son autonomie o travailler en équipe o avoir envie d’acquérir des connaissances o s’approprier celles-ci pour la vie – assimilation o réaliser, démontrer o argumenter o expérimenter o développer l’esprit critique o donner du sens à ce que l’on fait - compréhension o Créativité (Une personne fait remarquer que le mot « compétences » est arrivé dans le système scolaire ; dans

l’entreprise, c’est devenu la sanction d’un formatage ; l’adulte ne peut pas être libre. La formation adulte tend à répondre à des besoins qui forment un modèle économique.)

b) Les modalités Formation des enseignants : Il apparaît que la formation des enseignants ne doit plus être centrée sur la seule acquisition de savoirs à

transmettre, mais sur des dispositifs qui visent à animer un groupe, faire participer à l’élaboration d’un savoir, gérer un travail de groupe, etc.

Colloque de l’école La Source

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- En IUFM, donner aux jeunes profs un niveau conceptuel pour leur permettre d’envisager mieux le savoir à transmettre.

- Etudier les expériences et les dispositifs des chercheurs et autres mouvements pédagogiques ; voir le GFEN et d’autres.

- Apprendre à intégrer l’erreur comme moyen d’apprentissage pour l’élève. - Remettre en cause l’idée que le prof doit se protéger derrière un savoir à transmettre sans s’engager

individuellement dans l’explication et le SENS de ce savoir. - L’enseignant explique ce qu’est, pour lui, le savoir qu’il enseigne. � Favoriser le récit, faire que les enfants comprennent l’intérêt que représente pour l’enseignant la

matière qu’il enseigne. Ce qui peut développer la proximité enseigné / enseignant .

Travailler en équipe : une nécessité - Se mettre d’accord sur l’activité de l’élève en se demandant :

� que veut-on qu’il arrive à faire ? � quelles notions doit-il maîtriser ? � quels outils doit-il posséder ?

� Et ce à tous les niveaux. - Créer une banque de dispositifs pour la diffuser.

En équipe, on analyse, on critique un dispositif, on l’améliore pour qu’il soit efficace. Des dispositifs existent, la créativité des enseignants est réelle : il faudrait mieux faire circuler les expertises

que les enseignants ont acquises afin de comprendre ensemble les erreurs à ne pas commettre et obtenir une consolidation collective des projets et une meilleure réflexion sur les échecs de tel ou tel outil.

Quand on étudie un dispositif, il faut se demander comment va le vivre un élève qui a des difficultés et qui en souffre à l’école. Les dispositifs ne doivent pas marginaliser les enfants déjà démotivés et bien réfléchir à qui ils profitent.

c) Le rythme scolaire - Doser les dispositifs en évitant les horaires hachés pour faire un tout de la notion. - N’étudier que deux ou trois matières chaque année et diviser par trois le nombre de notions à étudier. - Réorganiser les horaires de façon à étudier une seule matière pendant trois jours, une semaine (mais

ne pas oublier que la mise en place des horaires des sixièmes à La Source a été une réussite). Cela permettrait de réhabiliter la pédagogie du projet.

- Décloisonner plusieurs semaines dans l’année pour un travail de groupe dirigé par deux enseignants.

d) Les dispositifs - Il existe deux sortes de dispositifs : ceux qui amènent à de nouveaux savoirs, des situations

problèmes ; ceux qui mobilisent des acquis et mettent en place des savoir-faire. - L’élève doit trouver le goût de ce qu’il fait ; apprendre ça a du goût, mais il faut éviter l’indigestion ;

penser à organiser des activités ludiques. - Faire venir des professionnels avec qui collaborer. - Construire les programmes à partir des questions des élèves. - Enseignement de l’art (très important : permet à un adolescent de se trouver et s’exprimer de manière

plus intuitive). - Enseignement de la philo dès le plus jeune âge. - Histoire des religions. - Ouvrir l'école sur le monde extérieur afin de ne pas être centré uniquement sur la pédagogie mais

aussi sur la citoyenneté. - Revoir la conception des manuels scolaires pour aider les enfants « qui n'ont pas compris » …mais

pourquoi ne pas travailler sur des corrigés écrits qui serviraient de références aux enfants pour des évaluations futures.

Colloque de l’école La Source

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Changer le rapport au savoir

a) L’importance du projet Redonner du sens à l’apprentissage et intégrer l’élève dans un processus d’élaboration du savoir suppose

de revenir à un travail qui ne réponde pas seulement à un apprentissage de notions, mais à un « projet » au sein duquel ces notions et leur apprentissage prendront tout leur sens.

- Fonctionner en travail interdisciplinaire TPE (Travaux Personnels Encadrés), IDD (Itinéraires de Découverte), décloisonner les savoirs, en évitant le saupoudrage ; le professeur devient un entraîneur.

- Traiter une question générale qui suscite des questions que les élèves doivent s’approprier. - Utiliser une situation problème et définir les apprentissages et les outils nécessaires pour la

traiter. - Evaluer autant la progression que le résultat.

b) Instaurer un nouveau rapport au savoir

Il apparaît que l’élève ne peut plus être un réceptacle passif d’un savoir souvent stérile. Il faut donc d’une part qu’il puisse comprendre comment se construit un savoir (comment il s’est construit), d’autre part le faire participer à l’élaboration de ce savoir. Ainsi pourra-t-il peut-être retrouver le désir d’apprendre.

Toujours réinvestir les savoirs dans les savoir-faire. Très tôt, au primaire, le savoir, fixe, n’est pas l’objet d’un questionnement ; la culture de la question n’est

pas développée très tôt chez l’enfant. Il faut donc désormais associer beaucoup plus étroitement l’élève au processus de construction du savoir.

On pourrait ainsi introduire l’histoire des concepts, des savoirs ; comment le savoir se construit ; introduire les erreurs des scientifiques et peut-être l’épistémologie.

Faire participer l’élève à la préparation du travail et à l’élaboration des innovations pour le rendre plus actif.

Développer le goût pour le questionnement (philosophie chez les petits par exemple). Echanger les rôles enseignant-enseigné ; cela permet de voir que l’élève construit son savoir différemment

du professeur, et peut faire qu’il y ait débat et engagement de changer. L'enseignant doit pouvoir dévoiler les "coulisses" de son savoir afin de mieux aider l'enfant à construire le

sien � Faire participer l'élève à la conception d'un cours afin qu'il comprenne comment se construit un savoir et

comment le réinvestir. � Développer la transmission des savoirs (vers d'autres adultes, enfants et pas seulement avec des

exposés devant l'enseignant, théâtre …)

c) La réhabilitation de l’erreur Précocement, l’erreur a une valeur négative ; se référer aux commentaires : « en cours d’acquisition, non acquis » en classe de maternelle L’erreur doit trouver son statut. Ne pas sous-évaluer l'importance de l'erreur qui permet de développer l'esprit critique.

d) L’évaluation - Limiter le baccalauréat aux matières essentielles …lesquelles ? - Supprimer les évaluations …pour consacrer du temps à des projets qui ne seraient pas uniquement

scolaires. - S’interroger sur la définition des examens nationaux et leur type d’évaluation (Les professeurs de 3ème et

terminale seraient-ils capables de passer le DNB ou le Bac et être reçus ?) - Travailler pour influencer le système : pourquoi pas seulement 2 ou 3 matières au bac, pour éviter le

bachotage sur tout ? Militer pour le contrôle continu ? - Adapter l’évaluation au projet et pas l’inverse. - Faire qu’il existe des espaces sans jugement d’aucune sorte. - Il ne faut pas que le savoir soit réduit à un outil pour avoir un diplôme ; c’est une perversion pour le

savoir, la tyrannie du diplôme.

Colloque de l’école La Source

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- Décrypter les épreuves du bac et leur évaluation pour trouver ses savoir-faire et ses finalités : « qu’est-ce qu’il faut faire pour l’avoir ? »

- A partir delà, construire une progression sur plusieurs années pour répondre à cette attente. - Ce problème étant réglé, on a le temps de faire autre chose, sans bachoter. - Travailler sur les programmes :

� que faut-il soustraire ? � que doit-on prendre au sérieux ?

Remarques diverses relevées pendant la discussion :

- Un professeur doit avoir envie de faire progresser les élèves. - On pourrait ouvrir l’école en dehors des heures scolaires pour que les élèves viennent y

travailler librement. - Mesurons le peu de choses qui reste dans la tête des élèves. - Le socle commun des compétences peut peut-être faire avancer les choses.

Conclusion : L’école s’est beaucoup reposée sur la transmission unilatérale du savoir. Il apparaît aujourd’hui

nécessaire, grâce notamment à une pédagogie du projet, et une formation plus pertinente des enseignants, d’associer bien davantage l’élève à des dispositifs de construction du savoir.

On retiendra donc quatre axes importants :

1) La formation (initiale et continue) des enseignants qui doivent pouvoir pratiquer ce qu’ils demandent aux élèves (intérêt, goût de l’apprentissage et de la formation) et se montrer non comme les seuls détenteurs de savoir mais comme des apprenants eux aussi. Il sera alors possible de montrer le statut positif de l’erreur.

2) Le travail en équipe est garant d’une cohérence d’enseignement (Quelles sont nos exigences ? Comment évaluer ? etc.), sur une discipline, un niveau ou un établissement. Cela évite de recommencer éternellement les mêmes choses.

3) Intégrer les élèves dans un dispositif d’apprentissage : fort du constat selon lequel les élèves ne retiennent pas le savoir, nous proposons de montrer à l’élève comment se construit un savoir, et à le faire participer à cette construction, notamment par le biais de la pédagogie du projet.

4) La pédagogie du projet permet aux élèves de construire de nombreuses compétences et d’avoir un rapport au savoir beaucoup plus personnel puisqu’elle permet un aller-retour constant entre le savoir et le savoir-faire. Bien sûr cela est exigent et pose le problème de la motivation. Cependant cela permet également de réfléchir à la nécessité ou non d’une évaluation.

5) Quasiment tous les dispositifs existent. Encore faudrait-il en avoir une connaissance précise et dresser régulièrement des bilans qui permettront de mobiliser à des moments différents ces dispositifs en prêtant attention au fait qu’ils ne lèsent pas les plus faibles.

Colloque de l’école La Source

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ATELIER 4 – NOUVEAUX MEDIA

« Les enfants face aux nouveaux media : dangers et opportunités »

TIC : enjeux d’une appropriation critique

Jean-Pierre Letourneux Université de Nantes

Nous ne sommes plus à l’aube des années 80 lorsque, du plan 10 000 micros au rapport Pair et Le Corre,

la question principale était l’usage de l’informatique dans l’enseignement. Les Recteurs d’académie mettaient alors en place les Centres de Formation à l’Informatique et à ses Applications Pédagogiques. Nous sommes loin également du début des années 90 lorsque dans la foulée du plan Informatique Pour Tous, les académies se dotaient de ce qu’on nommait des serveurs télématiques. Utilisant des lignes spécialisées, ici et là des expériences d’utilisation de la visioconférence voyaient le jour. La fin des années 90, il y a seulement dix ans, paraît elle-même d’une autre époque. Le téléphone portable s’était miniaturisé mais restait un outil essentiellement professionnel, Internet était là mais le modem à 56 k régnait en maître sur la communauté réduite des internautes.

Nous avons là un exemple de l’accélération des performances d’une technoscience de plus en plus envahissante, de plus en plus rapide soumettant chacun à une charge psychique de plus en plus forte. La confusion s’installe au sein du langage lui-même. La société de l’information devient la société de la connaissance voire la société de l’intelligence et se targue d’universalité sous ces différentes appellations (forum mondial). Étrange universel lorsque la moitié de l’humanité ne connaît pas l’électricité ni même l’accès à une eau de qualité. Un effort de clarification, un effort conceptuel s’impose, c’est ce à quoi je vous convie dans la première partie de mon intervention. Dans un second temps, je me propose d’aborder, une réflexion sur les impacts anthropologiques possibles d’Internet en les insérant dans une problématique plus vaste : la nébuleuse nano. Dans une troisième et dernière partie, j’esquisserai quelques pistes de réflexion pour une appropriation humaniste des TIC.

� Un effort conceptuel1 Une première distinction est nécessaire entre « donnée » et « information ». Il convient également de

prendre en compte les dynamiques, les processus transformant les « données » en « informations » et réciproquement.

Pour le récepteur les processus d’interprétation ou de compréhension transforment les données en informations. Les données prennent une signification, elles prennent « forme ». Le récepteur s’in-forme. Toutefois, en amont, se trouve un processus d’acquisition des données. La sélection des données dans un flux de plus en plus conséquent est essentiel. Il dépend notamment des buts poursuivis par le récepteur.

Parmi les données transmises par l’émetteur (Donnée(R)) seule une partie (Donnée(E)) est acquise par le récepteur et transformée en information (Information(R)).

Prenons maintenant le point de vue de l’émetteur. Un nouveau processus apparaît transformant une information en donnée. De son point de vue, ce qu’il souhaite transmettre a une « forme ». Il est in-formé de cette forme. Il va produire des données qui pour lui « traduisent » ce dont il est in-formé.

En regroupant les points de vue de l’émetteur et du récepteur, une modélisation se précise :

Figure 1; Modélisation des transformations entre données et information

1 Je suis ici particulièrement redevable aux travaux de Francisco Varéla et de Violaine Prince.

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L’impact des TIC et particulièrement Internet sur les trois processus présentés ci-dessus justifie à lui seul l’effort consenti :

� Production. L’explosion des blogs est une illustration de cet impact. � Acquisition. Il suffit de penser aux moteurs de recherche et à leurs dérives. � Compréhension. Les outils de simulation, voire une utilisation pertinente des liens

hypertextes favorisent la compréhension. Ces processus mettent en jeu des fonctions de tri, d’organisation, des capacités langagières. En un mot ils

sont constitutifs de ce qu’on appelle le système cognitif tant de l’émetteur que du récepteur. Ils procèdent des échanges entre un système cognitif et un milieu pensé comme un ensemble de données. La figure 1 met en évidence une question centrale pour tout éducateur : la compatibilité des systèmes cognitifs de l’émetteur et du récepteur.

Au duo, donnée/information, vient s’agréger un troisième terme, la connaissance1, et un quatrième le savoir-faire. Intéressons nous aux dynamiques existant entre ces quatre termes2. Connaissances et savoir-faire constituent la base opératoire pour les transformations de données en informations et réciproquement. Reprenant la distinction proposée par Violaine Prince entre connaissances correspondant à un « mode opératoire explicable et transmissible » et savoir-faire relevant d’un « mode opératoire économique, non explicable, non directement transmissible », je ne fais aucune hypothèse ni sur la vérité ou la fausseté des connaissances et du savoir-faire ni sur la non-contradiction de l’ensemble. Sur ces bases, le schéma ci-dessous modélise le processus de compréhension :

Figure 2: Processus Compréhension Le schéma ci-dessus met en évidence l’interaction entre connaissances et informations dans la phase de

compréhension. Toutefois l’intégration d’une information comprise au système cognitif nécessite d’autres processus qu’adoptant la terminologie de Violaine Prince j’appellerai capitalisation et filtrage selon le schéma ci-dessous :

Figure 3: Dynamique interne du système cognitif version 1

Pour compléter la dynamique interne du système cognitif, Violaine Prince ajoute un processus de

transformation, d’intégration de connaissances au savoir-faire qu’elle nomme sublimation insistant ainsi sur l’accroissement de l’expertise incorporée. Toutefois le travail d’explicitation, de transformation du savoir-faire

1 Une discussion entre savoir et connaissance telle que la conduit Jacques Legroux par exemple serait nécessaire. Faute de temps, je ne l’aborderai pas. Disons, en première approximation, que la connaissance telle que je la définis ici est compatible avec le point de vue de Legroux et que le savoir tel qu’il le définit apparaît, en première approximation, comme un cas particulier d’information. 2 Si nous disposions d’un temps plus important, il conviendrait d’en ajouter un cinquième : la compétence.

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en connaissances est tout aussi essentiel, ceci me conduit à introduire un autre processus transformant du savoir-faire en connaissances : la réflexivité. Ce qui conduit à la modélisation finale de la dynamique interne du système cognitif :

Figure 4: Dynamique interne du système cognitif version finale

Cette dynamique interne est également à l’œuvre chez l’émetteur pour lequel le schéma ci-dessous

modélise le processus de production.

Figure 5: Processus Production Questionnement anthropologique L’effort conceptuel que nous venons de faire nous permet de modéliser le système cognitif comme un

système autopoétique, c’est-à-dire un système appartenant à la même classe que la cellule vivante. Le système cognitif, comme la cellule, est en symbiose avec son milieu. Les informations jouent, pour le système cognitif, un rôle similaire à la membrane de la cellule. Le milieu est ici constitué par les données. Internet et plus généralement les TIC occupent une place importante dans cet ensemble. Il ne s’agit pas de diaboliser les TIC mais de prendre la mesure de quelques enjeux.

Le premier concerne notre responsabilité d’éducateurs : permettre aux jeunes de construire un système cognitif capable de résister à la pression psychique engendrée par une croissance exponentielle des ressources, des données accessibles. L’affaire est plus délicate qu’il y paraît. D’une part, c’est bien souvent la pertinence du référencement, le bon usage par le producteur des données des métadonnées qui déterminent l’accessibilité. Le classement par un moteur de recherche tendant à se substituer à la fiabilité de l’information projetée par le producteur. Le statut épistémologique des ressources est problématique. Bien souvent, l’internaute est dans l’ignorance de la qualité du producteur. Opinion, communication scientifique, article journalistique tendent à se confondre sous le vocable commun de ressources référencées. D’autre part, même lorsque la fiabilité de la ressource est avérée, une communication scientifique par exemple, la question de son appropriation par le système cognitif de l’internaute n’est pas acquise. En effet, non seulement sa compréhension nécessite souvent une base de connaissances préalables, mais en outre la science n’est pas le lieu de la vérité mais celui de la controverse explicative ou compréhensive. Cette question va bien au-delà des TIC, elle a longtemps concerné la vulgarisation scientifique, elle concerne aujourd’hui les relations entre science et démocratie, le contrôle citoyen de l’activité scientifique.

Cet enjeu se prolonge par un second, le risque d’une modification radicale du « monde commun », cette préoccupation constante d’Hannah Arendt qui écrivait en 1974 : « Le monde et les hommes qui l’habitent font deux. Le monde s’étend entre les hommes et cet « entre » bien plus que les hommes ou l’homme est l’objet du plus grand souci » (Vies politiques, 1974). Le territoire, la proximité effective, la convivialité au sens étymologique d’un vivre avec sont des composantes essentielles de cet « entre ». Trois éléments directement liés aux TIC méritent notre attention. Le premier est la confusion entre espace privé et espace public dont le téléphone portable, la

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peopolisation de la vie politique et la mise en ligne de l’intime constituent les traces les plus visibles. Le second concerne la destruction d’une possibilité de convivialité par l’augmentation du temps passé en solitaire devant un écran. Si on cumule le temps passé à lire son courriel, y répondre, lire sa revue de presse en ligne, lire tel ou tel journal en ligne, écouter l’émission téléchargée sur son baladeur il ne reste plus de temps pour être ensemble dans un même lieu et un même temps. Le dernier est sans doute le plus grave, il pose le problème de compatibilité entre des systèmes cognitifs vivant sur le même territoire. La ségrégation par l’argent a déjà largement fait éclaté la proximité géographique en générant des ghettos de riches et des ghettos de pauvres. La marchandisation généralisée a poursuivie cette déconstruction de l’espace commun en multipliant, par exemple, les télévisions thématique ou communautaire. Les TIC risquent de donner le coup de grâce à cet « entre » les hommes en débouchant sur un communautarisme virtuel. On peut d’ailleurs se demander s’il ne s’agit pas d’une caractéristique nouvelle de la mondialisation : américanisation des élites, financiarisation du capitalisme.

Nous touchons là à la confusion entre l’artificiel et le naturel. C’est le troisième point et sans doute le plus important, le plus grave : les TIC participent au paradigme « nano » qui par la convergence entre les technologies : nanotechnologies des TIC qui tend à incorporer, sous le nom de nomadisme, l’accès aux ressources, biotechnologies et nanotechnologies qui tend à abolir les frontières entre l’artificiel et le naturel, sciences cognitives et nanotechnologies qui débouchent sur la réduction de l’esprit à une machine informationnelle. Derrière cette convergence pointe le transhumanisme. Pour conclure, provisoirement la question des enjeux anthropologiques, je laisse la parole à un spécialiste de la philosophie des sciences, Jean-Pierre Dupuy1 : « On ne s’étonne donc pas que soient vantés partout en termes hyperboliques les bienfaits pour l’humanité de la révolution scientifique et technique en cours. Le rapport américain de la National Science Foundation (NSF) par lequel j’ai commencé, et dont le titre complet est « Converging Technologies for Improving Human Performances », bat sans doute tous les records. Il ne promet pas moins à terme que l’unification des sciences et des techniques, le bien-être matériel et spirituel universel, la paix mondiale, l’interaction pacifique et mutuellement avantageuse entre les humains et les machines intelligentes, la disparition complète des obstacles à la communication généralisée – en particulier ceux qui résultent de la diversité des langues –, l’accès à des sources d’énergie inépuisables, la fin des soucis liés à la dégradation de l’environnement. Prudemment, le rapport conjecture que « l’humanité pourrait bien devenir comme un “cerveau” unique [dont les éléments seraient] distribués et interconnectés par des liens nouveaux parcourant la société ». On reçoit cependant un choc en découvrant que l’un des deux responsables de la publication, William Sims Bainbridge, technocrate influent de la NSF, milite dans la vie civile au sein d’une secte qui prêche le « transhumanisme », c’est-à-dire « le dépassement de l’imparfaite espèce humaine par une cyber-humanité ».

Humaniser les TIC En ce qui me concerne les mises en garde qui précèdent débouchent ni sur une position technophobe, ni

sur un pessimisme radical mais pour reprendre une formulation de Jean-Pierre Dupuy : un « catastrophisme éclairé2 ». C’est-à-dire, prendre conscience de l’inéluctabilité de la catastrophe pour la prévenir, pour qu’elle n’advienne pas. Je n’aborderai ici que quelques aspects directement liés à l’éducation. La question centrale est celle d’une appropriation critique des TIC.

Pour y parvenir la maîtrise de l’outil est nécessaire. L’ignorance génère en effet la peur, la méfiance3 et ne permet pas de poser convenablement les problèmes. Le Brevet Informatique et Internet (B2I) et le Certificat Informatique et Internet (C2I) ont cet objectif. La relation immédiate aux TIC ayant indiscutablement un aspect générationnel, il me semble nécessaire de lier le C2I et le B2I. L’acquisition du C2I, niveau 2 enseignant, par une majorité d’enseignants, voire par la totalité me semble un axe pertinent pour le projet de formation de l’établissement. Son intérêt est amplifié si, articulant l’individuel et le collectif, l’objectif d’une appropriation critique est clairement affirmée. Sur cette base une approche pédagogique d’équipe du B2I peut alors se déployer. L’appropriation par les élèves des TIC est trop importante pour la laisser aux seuls passionnés.

1 « Quand les technologies convergeront » in Revue La jaune et la Rouge, 2003. C’est une revue de l’École Polytechnique. 2 Dupuy, Jean-Pierre, 2002, Pour un catastrophisme éclairé, Paris, Le Seuil. 3 Dans ce domaine, la question de la banalisation de la pornographie par Internet mérite une attention particulière. En effet, s’il est exagéré de considérer que l’accès aux sites pornographiques menace tout utilisateur, deux points méritent attention. D’une part, la confusion entre champs sémantiques débouche sur de telles mise à disposition ; pour vous en convaincre essayer sur Google : chatte, chat, chienne, chien. D’autre part, c’est une pornographie de plus en plus violente qui envahit Internet : viol, inceste, sado-masochisme.

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Un second axe de réflexion me semble être la place des TIC dans la vie même de l’établissement. Il est regrettable, et le mot est faible, de voir ici ou là des établissements banaliser l’utilisation de l’identification biométrique pour l’accès à la cantine ou à d’autres services. A contrario, une réflexion sur le règlement intérieur de l’établissement sur les téléphones portables par exemple peut prendre une dimension éducative importante. Même si la dérive de la banalisation de l’identification biométrique reste rare elle conduit à une interrogation plus générale, l’apport éducatif de dispositifs utilisant les TIC : gestion des absences, appréciations des conseils de classe, etc.

Ceci nous conduit en fait à un troisième axe de réflexion : sortir d’une logique visant à chercher des activités utilisant les TIC pour une autre visant à s’interroger sur la place et l’apport éventuel des TIC dans un projet humaniste. Cette attitude est exigeante car les TIC comme tout objet technique sont fortement imprégnées du projet ayant présidé à leur émergence. Force est de constater qu’ici l’hérédité est lourde. Elles s’inscrivent dans un mouvement de longue durée dépréciant les formes non scientifiques de la connaissance. Elles procèdent d’une confusion entre le général (ou plutôt notre général de pays occidentaux) et l’Universel. Elles sont centrées sur l’individu au détriment du politique. La question de l’altérité repose sur la rencontre effective. Cette question est largement sous-estimée. La nécessité d’une présence humaine, d’une relation humaine est essentielle. En dehors du champ éducatif, il est intéressant de noter l’humanisation que peuvent représenter les « Relais Services Publics » en facilitant, grâce aux TIC, l’accès à différents services publics à partir d’un point unique.

Le dernier axe de réflexion repose sur la définitif d’un projet éducatif d’abord soucieux de la rencontre, de l’altérité laissant le temps au vivre ensemble effectif et n’ayant recours aux TIC qu’à bon escient et de façon limitée par exemple dans le cadre d’un espace de travail collaboratif. La question du temps « pré-occupé » pour reprendre un terme du philosophe Olivier Abel1 est importante en ce qui concerne les TIC et leur propension à déstructurer le temps et l’espace privés comme publics.

Pour conclure, je vais laisser la parole à trois penseurs d’obédiences différentes mais qui nous disent,

chacun à sa manière, la nécessité de soumettre radicalement les TIC à l’humain, au projet humaniste. Le premier Cornélius Castoriadis nous rappelle l’urgence d’une autonomie généralisée : conduire l’humanité à « sortir de l’abrutissement comsommationiste et médiatique… [pour] reprendre et approfondir le projet d’autonomie individuelle et collective, reprise qui désormais conditionne non seulement son émancipation, mais on le voit de plus en plus clairement, sa simple survie sur cette planète2 » (1990). Le second est le philosophe de culture chrétienne, Gabriel Marcel, qui au sortir de la seconde guerre mondiale écrivait, en 1951, dans « Les hommes contre l’humain » : « Il faut comprendre que l’universalité se situe dans la dimension de la profondeur et non de l’extension… Il n’est de profondeur authentique que là où une communion peut être effectivement réalisée ; elle ne le sera jamais ni entre des individus centrés sur eux mêmes, et par conséquent sclérosés, ni au sein de la masse, de l’état de masse ». Le troisième est un philosophe de culture juive, Emmanuel Levinas qui pose les exigences de l’altérité : « L’homme est le seul être que je ne peux rencontrer sans lui exprimer cette rencontre même. La rencontre se distingue de la connaissance précisément par là. Il y a dans toute attitude à l’égard de l’humain un salut - fût-ce comme refus de saluer3 ».

1 Les stocks de temps in La Croix du 19 novembre 2007. 2 La société bureaucratique, 1990. 3 Entre nous. Essais sur le penser-à-l’autre, 1991.

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ATELIER 4 – NOUVEAUX MEDIA : POURQUOI TANT DE MEFIANCE ?

Serge Pouts-Lajus Education & Territoires

Nous nous méfions des TIC. Nous nous méfions aussi de notre jeunesse. Bien sûr, nous aimons nos

enfants, nos élèves, et nous admirons aussi sans retenue les prouesses de l’informatique et des télécommunications. On peut à la fois aimer, admirer et se méfier. D’ailleurs, sans méfiance, l’amour est aveugle, l’amour de la jeunesse n’est que du jeunisme et l’amour de la science du scientisme. L’affaire serait donc entendue ? Pas vraiment. Lorsque la méfiance nous tient à une trop grande distance de son objet, elle nous empêche de le connaître et de le comprendre. Et comment pourrions-nous raisonnablement aimer ce que nous ne comprenons pas ?

Pourquoi nous nous méfions des TIC Après tant d’années d’atermoiements, lorsque l’éducation nationale française s’est enfin décidée à

préciser ce qu’elle entendait par « culture commune » en définissant le « socle de compétences et de connaissances » que tout jeune devait posséder en sortant de l’école, c’est-à-dire lorsque les objectifs de la scolarité obligatoire ont été enfin rendus explicites, il a fallu faire une place aux TIC. Avant cela, il avait d’abord fallu accepter l’idée que les TIC mériteraient d’être l’un des sept piliers (le quatrième) du socle. Pas facile, la discussion fût vive. Le résultat est pourtant là : la « maîtrise des techniques usuelles de l’information et de la communication » fait partie des « savoirs fondamentaux » nécessaires pour « réussir sa vie en société ».

Le texte du socle place cependant les TIC dans la position singulière d’un objet dont la maîtrise est nécessaire à la culture mais dont l’usage réclame que soient prises certaines précautions. Il est ainsi noté que « l’usage de ces outils est régi par des règles qui permettent de protéger la propriété intellectuelle, les droits et libertés des citoyens et de se protéger soi-même ». Si ces précisions sont nécessaires, c’est bien sûr que la chose ne va pas de soi. Ces outils sont-ils donc susceptibles de menacer nos droits et nos libertés ? Plus loin dans le texte, « une attitude critique et réfléchie vis-à-vis de l’information disponible » et « une attitude de responsabilité dans l’utilisation des outils interactifs » sont recommandées. En creux, toutes ces mentions signalent un danger : il faut se protéger soi-même, protéger ses droits et sa liberté, être responsable et toujours vérifier l’information disponible. Mais à tout cela, ne faut-il pas veiller partout et toujours ? On ne retrouve de tels signes de méfiance dans aucun des autres textes du socle, tous entièrement positifs et confiants envers les objets de savoir qu’ils présentent. Les TIC sont, de ce point de vue, un domaine de connaissances et de compétences à part.

Cette méfiance qui affleure dans le texte du socle, imprègne les politiques éducatives nationales depuis dix ans. La place des TIC y est toujours reconnue mais avec ce singulier statut d’invité de la dernière heure dont il faut apprendre à la fois à se servir et à se protéger. C’est la même méfiance que l’on retrouve dans la lettre que le nouveau Président de la République adresse à tous les éducateurs en septembre 2007. Les TIC n’y sont pas présentées comme un savoir émancipateur ou comme un objet de culture, fruit le plus récent du génie humain, mais comme « un défi à relever ». Ce sont des techniques qui nourrissent aussi l’illusion qu’il n’est plus nécessaire d’apprendre. Elles incitent enfin les jeunes à croire que la « culture générale » est devenue inutile. Il ne sera pas facile après cela de mobiliser les éducateurs sur un programme de développement des usages pédagogiques des TIC…

De leur côté, les enseignants ne manquent pas non plus d’arguments pour tenir les TIC à distance. Les calculatrices seraient responsables de la baisse du niveau de maîtrise du calcul numérique et le langage SMS des malheurs de l’orthographe. Plus grave encore : les professeurs de l’enseignement secondaire et supérieur s’inquiètent du développement du plagiat et de la triche, conséquence de l’abondance de documents disponibles en ligne, de la puissance des outils de recherche et de la facilité du copier/coller, et sans doute aussi de la paresse bien connue des élèves qui préfèrent toujours copier plutôt que faire par eux-mêmes.

La méfiance à l’égard des TIC est portée à son comble avec les programmes européens de protection des mineurs sur Internet, relayés en France par la délégation aux usages de l’Internet et par plusieurs associations de défense de l’enfance. La présence de sites pornographiques sur le Web mais surtout de « cyber-pédophiles » sur les réseaux justifie les mises en garde et les campagnes d’information auprès des jeunes, des familles et des enseignants sur les « dangers de l’Internet » et les moyens de s’en protéger.

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Nous nous méfions aussi de nos enfants C’est parce qu’elles menacent nos enfants et nos adolescents que nous nous méfions tant des TIC. Mais

souvent, en croyant nous méfier des TIC, ce sont des jeunes dont nous nous méfions. Seymour Papert, inventeur du langage informatique Logo et promoteur au MIT de l’ordinateur à 100 $,

interrogé il y a quelques années à propos de l’initiative prise par le gouverneur de l’Etat du Maine de distribuer des ordinateurs portables à tous les collégiens, répondait en ces termes aux opposants du programme qui prévoyaient que les ordinateurs distribués seraient rapidement perdus, volés ou cassés : « Pourquoi vous méfiez-vous de vos enfants ? Cette attitude n’est pas rationnelle. Vous donnez des bicyclettes à vos enfants et ils ne les perdent pas. Ce n’est pas une question de technologie. Ce n’est même pas une question d’école, c’est une question concernant vos enfants et vos rapports avec vos enfants. » Quelques années plus tard en France, des observations semblables pouvaient être faites dans les Landes, les Bouches-du-Rhône ou l’Ille-et-Vilaine : contrairement à ce que beaucoup avaient craint, les ordinateurs portables distribués aux collégiens ne furent ni dégradés, ni perdus, ni volés, mais respectés comme des objets de valeur.

Lorsque nous installons des filtres sur les ordinateurs auxquels accèdent nos enfants ou nos élèves, avec une focalisation particulière sur le domaine pornographique, nous ne les protégeons pas seulement contre une menace extérieure, nous les protégeons aussi contre eux-mêmes et contre une attirance que nous jugeons malsaine. L’intrusion inopinée d’images pornographiques, si elle existe, est en effet très rare dans une consultation ordinaire, tout utilisateur intensif du Web peut l’attester. Les images pornographiques que l’on trouve sur le Web sont celles que l’on cherche. Aucune enquête sérieuse ne montre que les jeunes seraient des clients assidus de ces sites. Quant à la place réelle de l’industrie pornographique sur le Web, elle est elle-même mal connue et certainement pas aussi importante que les industriels du secteur essaient de nous le faire croire. En exagérant le nombre de leurs « clients », ils cherchent à se protéger contre les menaces de censure ou de relégation qui pèsent sur eux de façon latente.

Nous nous méfions enfin des jeunes, simplement parce qu’ils nous échappent et qu’ils nous échappent précisément en investissant un espace qui n’est pas le nôtre. Marc Prensky, dans un article intitulé « Digital Natives, Digital Immigrants », oppose la génération des jeunes nés avec ou après Internet, les Natives, aux immigrants, nés dans un monde non numérique et qui garderont à tout jamais l’accent et la maladresse de ceux qui sont nés ailleurs. Il n’est pas nécessaire d’adhérer à cette vision quelque peu schématique pour reconnaître pourtant que nous peinons à suivre le train du numérique qui fonce à vive allure et enchaîne les stations les unes après les autres, vers toujours plus de réseau et toujours plus d’échange.

Une alternative à la méfiance Internet présente des dangers, il serait absurde de le nier. Mais de la reconnaissance d’un danger à la

méfiance envers l’objet qui le révèle, il y a une distance qu’il ne faut franchir qu’après avoir distingué entre dangers réels et dangers imaginaires ou fantasmés, puis après avoir reconnu l’efficacité des outils dont nous disposons déjà pour nous protéger efficacement contre ces seuls dangers réels. Pour cela, il est nécessaire de connaître ce dont il est question, en l’occurrence les TIC, Internet, ses usages et ses usagers. Car la méfiance se nourrit de l’ignorance : on craint ce que l’on ne connaît pas.

L’un des dessins humoristiques les plus célèbres sur Internet montre deux chiens assis devant un ordinateur, l’un disant à l’autre : sur Internet, personne ne sait que tu es un chien… Sur le réseau, il est facile de se cacher, tout le monde sait cela. Mais cet avantage qui semble pouvoir favoriser les individus les plus mal intentionnés se retourne très vite contre eux. L’adulte qui se fait passer pour un enfant sur un forum ne peut jamais être sûr que celui avec lequel il dialogue est un enfant… ou un policier. La traque des pervers dispose sur Internet d’armes qu’elle n’a pas ailleurs ; elle y est d’ailleurs beaucoup plus fructueuse, les arrestations régulières massives en attestent. La même règle paradoxale s’applique à des délits moins graves. C’est par exemple avec le même outil (le moteur de recherche) qui a permis à l’étudiant plagiaire de trouver un texte et de se l’approprier indûment, que son enseignant le démasquera. Avant Internet, la chasse au plagiat était autrement plus difficile. De même, les vidéos d’agressions publiques connues sous le nom de happy slapping et diffusées sur le réseau, fournissent par elles-mêmes aux enquêteurs un précieux matériau pour remonter jusqu’aux responsables. Dans la course entre les délinquants et ceux qui cherchent à les arrêter, les premiers perdent vite la longueur d’avance qu’ils ont forcément prise au début. Si bien qu’au lieu de percevoir le réseau comme un monde où se créent de nouveaux dangers, il serait plus juste de le voir au contraire comme un instrument contribuant efficacement à l’apaisement et à la réduction globale des malversations et des violences.

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Ceux qui connaissent le mieux les TIC sont ceux qui s’en méfient le moins. C’est évidemment le cas de nos enfants, des Natives dans une proportion qui ne cesse d’augmenter. Que disent ces jeunes lorsqu’ils sont interrogés sur « les dangers de l’Internet » ? L’étude la plus complète et la plus récente sur le sujet, réalisée en 2007 par la Commission européenne, aboutit à ce constat : « interrogés sur les problèmes et risques qu’ils peuvent rencontrer en utilisant Internet ou le téléphone portable, les enfants se déclarent dans l’ensemble informés et conscients ». Invités à dresser la liste des risques qu’ils connaissent, ils mentionnent d’abord ceux qui affectent l’ordinateur (virus, piratage de mots de passe et de coordonnées) et se montrent très avertis sur les sources de contamination (e-mails, fichiers téléchargés) ainsi que sur les moyens de protéger leur ordinateur (programmes anti-virus et anti-Spam). Viennent ensuite les mentions d’intrusion inopinée et non désirée d’images qui dérangent et polluent (violence, pornographie, publicité), puis les arnaques et les fraudes (capture de données bancaires, propositions commerciales malhonnêtes), enfin la mise en danger de soi-même par des adultes malveillants.

Ces dangers sont consciemment placés dans cet ordre : ceux que nous jugeons les plus graves sont placés les derniers. Inconscience ? C’est le contraire. Les virus informatiques sont nombreux sur le réseau et le danger pour les ordinateurs est bien réel. De plus, c’est l’un des domaines où les pirates de l’Internet, les fameux hackers, réussissent à conserver une solide avance sur leurs poursuivants. Les intrusions non désirées d’images pornographiques ou violentes sont considérées par les jeunes comme « très dérangeantes mais relativement peu nocives ». Un clic de souris suffit pour chasser l’intrus ; un simple paramétrage du navigateur permet de s’en prémunir totalement. Le potentiel traumatisant de ces images est par ailleurs souvent exagéré par des personnes dont la préoccupation est autre que la seule protection de la jeunesse. Bertrand Russell remarquait déjà en 1930 à propos des images « obscènes » : « Les gens aux opinions toutes faites vous diront que ces images font un tort considérable à autrui, quoique pas un seul parmi eux ne veuille reconnaître qu’elle lui ait fait du tort à lui-même. »

Le danger des arnaques financières et commerciales est mentionné en troisième position par les jeunes, bien qu’ils n’en soient pas eux-mêmes la cible. Ils le connaissent et se préparent à se confronter à lui. Reste enfin le cas des adultes malveillants qu’ils citent en dernière position mais dont ils ont pleinement conscience qu’il existe et qu’il peut être grave. La très grande majorité des jeunes interrogés ont entendu parler de ce danger et même si une infime minorité d’entre eux y ont été personnellement confrontés, ils savent comment agir : ne pas donner ses coordonnées, en parler autour de soi, aux amis et aux parents.

Conclusion Nous ne pourrons pas faire une place aux TIC dans l’éducation tant que nous entretiendrons avec elles

une relation de méfiance. Cette méfiance n’est pas justifiée. Les TIC et les réseaux sont des objets de culture d’une très grande valeur, d’une très grande richesse. Elles ne sont pas réservées aux personnes nées après 1990. L’éducateur qui accepte de voir les jeunes qui lui sont confiés disparaître de son champ de compréhension, par exemple parce que les pratiques culturelles de ces jeunes se déploient dans un monde auquel il n’a pas accès, cet éducateur sera nécessairement conduit à se méfier à la fois de ce monde qu’il ne connaît pas et de ceux qui le fréquentent. Il se condamne alors à voir sa tâche d’éducateur devenir de plus en plus difficile.

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ATELIER 4 - NOUVEAUX MEDIA

Compte-rendu par Stéphanie Buzzi, documentaliste et Cécile Barbe, parent d’élève

L’atelier « Nouveaux media » s’est organisé autour de trois axes de réflexion : méfiance des adultes dans l’usage des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) par les enfants, la place des TIC à la maison et enfin la position, les usages et les apprentissages des TIC à l’école.

Les Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) et les enfants : pourquoi tant de

méfiance ? Faut-il en avoir peur ? La place des TIC est devenue en France et comme dans tous les pays développés, incontournable. Elles

sont entrées dans notre quotidien, et presque aucune journée ne se passe sans que l’on se connecte à Internet, sans que l’on vérifie le contenu de son courrier électronique, sans que l’on utilise son ordinateur pour un usage privé ou professionnel. Tout le monde est concerné, adultes et enfants.

Les TIC apportent à la fois leur lot de dangers, comme les jeux en réseaux, nuisibles et « mangeurs de

temps parfois d’argent et d’esprit », les achats faciles et compulsifs, les téléchargements illicites…les visites de sites potentiellement dangereux, les escroqueries en tout genre, les rencontres peu recommandables, la désinformation. Mais en même temps, elles offrent d’indéniables progrès comme une véritable ouverture au monde, à autrui, et aussi l’interactivité, l’instantanéité, la facilité de se mouvoir dans un réseau, de communiquer connaissances et compétences, d’échanger, de travailler en collaboration, de mutualiser des informations.

Ainsi, les TIC soulèvent chez les adultes et les parents un certain nombre d’inquiétudes, de peurs devant

l’utilisation grandissante sinon dévorante qu’en font les enfants. En effet, le premier problème soulevé dans le débat est celui de l’usage des TIC par les enfants, non pas en terme de maîtrise « technique » mais plutôt par rapport à une appropriation « distanciée, critique et humaniste » de l’outil informatique et de l’Internet. Autrement dit, si « science sans conscience n’est que ruine de l’âme » (Rabelais), il en va de même pour l’usage des TIC.

La deuxième difficulté abordée dans l’atelier a été le dépassement de cette méfiance, sans non plus

tomber dans la crédulité. En effet, comment accueillir cette (r)évolution culturelle et technologique, comprendre le monde de leur enfant, « native digital » - né(e) dans un monde où l’informatique est omniprésente – sans tomber dans « une névrose technologique et virtuelle » ? Une réponse possible serait une plus grande implication des parents, en se familiarisant avec les TIC, en les utilisant pour dissiper ainsi un certain nombre de craintes. Elles ne disparaîtraient certes pas complètement mais ils pourraient en parler avec leur enfant. La responsabilité des parents suppose une adaptation, un changement dans leur rapport aux TIC, en établissant un rapport plus confiant envers ces techniques. Changement d’attitude chez certains parents d’autant plus nécessaire que les TIC, malgré les dangers (bien perçus), restent un outil dont chacun peut tirer un bénéfice.

Les TIC à la maison : quelle place pour les TIC à la maison ? L’usage croissant des TIC à la maison pose un certain nombre de questions : le temps passé sur les

ordinateurs à la maison, pour faire quoi ? Quel « contrôle parental » ? Quels sont les dangers d’une confusion entre les espaces privés et publics ? Quels rapports entre parents, enfants et TIC ?

Pour des raisons de discipline, de surveillance, ou de protection, certains parents se sentent obligés

d’installer un logiciel de « contrôle parental » sur le ou les ordinateurs de la maison, comme des dispositifs de filtrage, des mots de passe, des interdictions complètes ou partielles d’accès, une instauration de temps réservés. Ils tentent ainsi de canaliser leur enfant dans l’usage des TIC, de limiter le temps passé devant la machine, de leur imposer une sélection d’activités dites « intéressantes » via Internet, ce qui engendre souvent

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des conflits entre les adultes et les enfants. En outre, si on observe l’activité de certains enfants sur un ordinateur, on peut constater parfois qu’ils sont capables de faire une multitude d’actions en simultané : chat, traitement de texte, téléchargement, mail, écouter de la musique, jeux en réseau…ce qui peut apparaître à certains parents inquiétant sur le plan de la concentration, assimilé à « une culture du Zapping ».

L’usage parfois abusif des ordinateurs et d’Internet peut entraîner un phénomène de solitude,

d’individualisation excessive, d’accoutumance, voire d’addiction non négligeable chez certains enfants. Notamment, « la confusion entre les espaces privés et publics », entre le monde virtuel et le monde réel avec les jeux en réseau, les blogs, les forums de discussion, les chats laissent de moins en moins de place et de temps à un échange familial dit « traditionnel ».

Malgré tout, les TIC permettent aussi plus de communication à la maison, une plus grande ouverture sur

le monde en suscitant une nouvelle façon de communiquer et de nouveaux débats. Les TIC ont bousculé les habitudes de vie des foyers. On pourrait évoquer un « nouveau contrat familial »

consenti et réfléchi envisagé entre parents et enfants pour choisir ensemble, en conscience, ce que l’on fait avec les TIC, plutôt que d’instaurer un dispositif simplement répressif… qui ne convient en général à personne. Ces usages des TIC, maîtrisés et choisis, par et pour chacun, devraient en même temps permettre de préserver « des temps de convivialité en famille », si tellement nécessaires à la construction de l’identité de chacun, et surtout particulièrement des enfants.

Les Technologies de l’Information et de la Communication adaptées à l’Enseignement : place, usages et apprentissages des TICE à l’école. Dans notre monde, il n’est désormais plus question de « faire sans » les TIC, ni même seulement de « faire

avec », mais plutôt de « faire bien avec les TIC » : il n’y a plus aucune activité professionnelle dans laquelle on n’utilise pas les TIC, et savoir utiliser les TIC devient aussi nécessaire que de savoir lire, écrire et compter.

C’est pourquoi les TICE ont été intégrées dans le socle de connaissances et de compétences à acquérir

dans les programmes scolaires. Elles font partie des missions, des défis que les enseignants doivent aujourd’hui relever : préparer les élèves à l’usage des TIC est indispensable dans notre société, réduire autant que possible la « fracture numérique ». Vœux pieux du Ministère de l’Education Nationale, des différents gouvernements de ces dernières années, mais qu’en est-il sur le terrain, dans les pratiques éducatives ?

Plusieurs questions se posent : quelle place donner aux TICE dans l’école ? Le rôle de l’école dans leur

apprentissage ? Comment les enseigner ? Sont-elles au cœur des pratiques pédagogiques ? Depuis 2002, existe le B2I (Brevet Informatique et Internet) au niveau de l’école, du collège et du lycée : il s’agit de former et d’éduquer les élèves à une culture et à la pratique de l’Internet et de l’informatique. A l’école, au collège et au lycée, des heures sont dédiées à l’acquisition des compétences informatiques dûment validées par les enseignants. La nécessité de cet apprentissage a été sanctionnée en 2007, par l’intégration du B2I au Brevet des collèges.

Le rôle de l’école dans cet apprentissage est d’apprendre aux élèves à maîtriser l’aspect technique, la

culture informatique et Internet : environnement informatique, droit de l’information, les règles de prudence sur le net, de savoir créer un document sur des tableurs, des traitements de textes, ou des logiciels de créations de présentations visuelles (pouvant appuyer un exposé oral), la recherche d’information sur Internet, la communication sur le net. Mais il s’agit surtout de leur apprendre à utiliser les TICE comme des citoyens éclairés. C’est là que réside la plus difficile mission, le défi donné à l’école par la société.

Les TICE sont-elles seulement à appréhender comme un champ de pratiques, d’expériences, de savoirs -

faire à acquérir, une sorte d’instrument à maîtriser par les élèves exportables à d’autres disciplines au sein de l’école ? Pas exactement. Les TICE sont vécues comme un progrès dans leur utilisation pour chacune des disciplines, prises individuellement. Chaque enseignant est libre d’utiliser ou non les TICE dans son enseignement. Les TICE, peuvent jouer un rôle de véritables activateurs, de catalyseurs d’innovation pédagogiques et permettre de nouvelles relations dans les apprentissages : échanges entre les élèves, entre les

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enseignants, entre l’enseignant et l’élève via l’outil informatique et Internet, en utilisant des réseaux locaux, l’Internet, portails personnalisés, s’appuyer sur un E-tableau voire participer à la construction des apprentissages de chacun à l’intérieur d’un ENT (Environnement Numérique de Travail).

Comment alors ne pas s’interroger sur la manière d’enseigner ces TICE toujours en évolution, de

transmettre des pratiques (savoir-faire) et des comportements (savoir -être), aux élèves ? Sur le rôle ou les rôles nouveaux des enseignants ?

Les enseignants n’ont résolument aucune raison d’avoir peur des TIC : celles-ci sont des instruments

d’aide dans leur travail pédagogique et elles ont même permis de renforcer le rôle des professeurs depuis leur arrivée. Les enseignants apprennent aux élèves à penser, organiser leur savoir, les informations trouvées notamment sur Internet, transmettent des méthodes de travail, de recherche d’informations, donnent un cadre de pensée nécessaire à la création numérique ou autre, à l’acquisition de connaissances et compétences.

Le rôle de l’école est bien celui de permettre aux élèves de maîtriser intelligemment, progressivement et

prudemment les TIC. Il ne s’agit plus seulement pour les enseignants d’accompagner les élèves dans leur compréhension, leur maîtrise des TICE, de l’instrument informatique et Internet mais bien d’adapter l’enseignement, la pédagogie à des élèves qui utilisent les TICE naturellement et qui ont ainsi à leur disposition « une nouvelle façon d’apprendre et de travailler ».

L’usage des TICE répond à plus d’un titre aux dix principes de l’éducation nouvelle :

1. Avoir une vision juste de l'enfant. 2. Mobiliser l'activité de l'enfant. 3. Etre un "entraîneur" et non un "enseigneur". 4. Partir des intérêts profonds de l'enfant. 5. Engager l'école en pleine vie. 6. Faire de la classe une vraie communauté enfantine. 7. Unir l'activité manuelle au travail de l'esprit. 8. Développer chez l'enfant les facultés créatrices. 9. Donner à chacun selon sa mesure. 10. Remplacer la discipline extérieure par une discipline intérieure librement consentie.

En conclusion, que l’on soit éducateur, parent ou enseignant, le rôle de l’adulte auprès de l’enfant- « digital native »- utilisateur de TIC est bien celui de l’aider, de l’accompagner à développer progressivement sa vigilance et son esprit critique. La responsabilité des adultes sera celle de permettre à l’enfant, futur citoyen, de s’inscrire avec discernement et humanité dans un monde fortement marqué par les nouveaux media.

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ATELIER 5 – NOUVELLES FAMILLES « Face à de nouvelles conceptions de la famille, quel rôle l’école pourra-t-elle jouer et quelles fonctions devra-t-elle remplir ? »

Béatrice des Ligneris Psychologue – Art thérapeute par le théâtre

et

Virginie Bessis-Mermé Professeure agrégée, formatrice IUFM et psycho-généalogiste

Présentation :

Béatrice des Ligneris est psychothérapeute spécialisée dans l’adolescence ainsi qu’art thérapeute par le

théâtre. Dans ce cadre, elle reçoit aussi, en tant que médiateur, des familles autour de leur adolescent. De plus, elle est intervenante au sein des écoles pour travailler avec les enseignants sur des études de cas, ou directement sur du coaching d’équipe afin de permettre de mieux cerner l’adolescent et son rôle d’enseignant au sein d’une équipe. Béatrice des Ligneris crée aussi chaque année des stages originaux pour les jeunes de 14 à 25 ans, autour de apprendre à apprendre, les ponts entre les arts, celui prévu à Pâques est « la dynamique du projet »…

Virginie Bessis-Mermé est psycho-généalogiste et certifiée en PNL. Elle est aussi agrégée d’anglais, et à ce titre elle a été professeure et formatrice IUFM, chargée notamment

de missions sur des thèmes tels que « la violence à l’école », « autorité et discipline »

Nouveau monde, nouvelles familles, nouvel enfant/élève, nouvelle école ! Ces interrogations ne datent pas d’aujourd’hui. En schématisant quelque peu, on pouvait considérer, il y

a peu, que trois lieux principaux participaient à l’éducation des enfants : la famille, l’école, la rue. La famille tout d’abord dont on peut considérer qu’elle est et restera le lieu nodal, essentiel, vital de

l’éducation des enfants ; l’école ensuite, lieu principal des apprentissages ; la rue enfin, symbole de toutes les rencontres possibles.

UN NOUVEAU MONDE ?

A l’aube du XXIème siècle, un quatrième lieu vient se surajouter aux précédents, issu des progrès

fulgurants des technologies de l’information et de la communication (sic). Pour être clair : le monde d’Internet, monde virtuel, opposé au monde réel ? On connaît les apports de la galaxie Gutenberg, on ne connaît pas encore totalement ceux de la révolution informatique.

Pourquoi ce préalable ? D’une part parce que ce nouveau terrain est largement investi par nos enfants,

d’autre part parce que ceux-ci restent trop souvent seuls devant ce monde qu’ils maîtrisent techniquement, mais non psychologiquement.

Si le propos d’aujourd’hui n’est pas de disserter sur ce thème en particulier, il n’en reste pas moins vrai

que l’intrusion de ce nouveau mode de communication vient perturber les rapports entre les parents et les enfants, entre l’institution qu’est l’école avec ses règles et les enfants dont elle a la charge, entre l’enfant et le monde qui l’entoure. C’est aussi pour l’enfant, un moyen de défier l’autorité, que cette dernière soit parentale ou institutionnelle, car il maîtrise souvent mieux que les adultes l’outil virtuel.

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DE NOUVELLES FAMILLES ?

Ce terme mérite d’être clarifié. Le terme de « nouvelles familles » peut être entendu au sens du statut social et de ses nouvelles

structurations : couples, familles monoparentales, recompositions familiales, et sans doute bientôt nouveaux couples (homosexuels) avec enfants… mais aussi nouveaux comportements.

Nouvelles familles dans un nouveau contexte d’individualisme exacerbé (sic) La démocratie (au niveau de la nation, mais aussi de la famille) - et l’individualisme qui lui est associé -

reste une organisation fragile qui repose sur une délégation - mais parfois aussi un dessaisissement - de responsabilité de la part des citoyens, des individus, des parents, des enfants. Les droits et devoirs de chacun n’y sont plus toujours clairement exprimés ni entendus. Mais « le laissez faire, le laissez aller » ne peut en être la règle. Plus encore, la démocratie et l’individualisme exacerbé qui en est la marque actuelle, se caractérise, par trop souvent, par un manque de solidarité.

Si nous avons gagné, en tant qu’individu, en liberté, liberté de vie, de choix et de paroles, si nos destinées semblent plus ouvertes, elles sont en même temps plus contraintes et plus confuses. Plus de liberté ne rime pas toujours avec plus de responsabilité. Cela peut favoriser des prises de pouvoir, voire des perversions, si l’on n’y prend pas garde : des enfants vis-à-vis des parents, et de l’école, mais aussi parfois des parents vis-à-vis de l’institution « école », et parfois, en effet boomerang, la démission des enseignants.

Or le pari des familles, nouvelles ou pas, n’est-il pas de donner envie de grandir dans un monde où les

perspectives semblent souvent limitées ? Pour cela l’enfant a besoin de modèles : découvrir l’enthousiasme de l’adulte pour son métier, que ce

dernier soit son professeur ou son parent, est essentiel à l’enfant. Si le message qui passe est celui de la lassitude, des difficultés rencontrées, de l’angoisse pour l’avenir, comment l’enfant peut-il désirer s’impliquer dans son quotidien ? Il préfèrera retarder le plus possible son passage à l’âge adulte.

Le pari des familles nouvelles est peut-être dans « vivre l’instant » avec ses enfants, investir ce qui est, ne

plus se laisser enfermer par l’hier et le lendemain. Ainsi les enfants apprendront à sortir du rêve pour vivre leur vie. Alors ils auront les outils pour être préparés à dépasser les difficultés, les peurs, les barrières qui sont inhérentes à toute vie d’adulte.

Et ils pourront investir leur vie, sans que celle de leurs parents pèse sur eux.

DE NOUVEAUX ENFANTS-ELEVES ? L’école accueille des élèves (un certain nombre du moins) qui ont une représentation plus que floue des

« normes », des règles nécessaires à toute vie en communauté (ce que l’on mettait autrefois sous le terme considéré aujourd’hui comme désuet de civilité et de politesse).

Parents et professeurs ne sont plus considérés avec le respect qui leur est dû. Leur expérience, le chemin qu’ils ont parcouru, leur savoir n’est pas vraiment pris en compte par les enfants-élèves d’aujourd’hui (du moins par un certain nombre d’entre eux). Pourquoi ? Sait-on clairement en tant qu’adulte quel est notre rôle (parent ou professeur) vis à vis de l’enfant élève ?

A l’inverse, dans les domaines technologiques nouveaux, ce sont aux jeunes que l’on fait appel, à qui on

demande de l’aide, qui « savent mieux » semble-t-il parfois. Les nouvelles technologies, pour remarquables et utiles qu’elles soient, ont eu pour conséquence annexe

de nous entraîner dans la confusion : confusion des repères, confusion des rôles, confusion des valeurs… Aussi les adultes peuvent être ou se sentir détrônés. Face à leurs parents et à leurs enseignants, les

enfants-élèves sont parfois jugeant (comme nous l’avons été aussi). Les adultes qu’ils connaissent sont rarement choisis comme modèles et sont regardés sans complaisance. Savent-ils ces enfants élèves ce qu’ils recherchent ? Où se situent leurs besoins ?

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ET L’ECOLE DANS TOUT CELA ? Comment l’école doit-elle s’adapter ? Que l’enfant cherche à réfuter l’autorité des adultes, à transgresser certains interdits, cela a toujours été et

la psychanalyse l’enseigne. Par contre qu’il ne reconnaisse plus et ne respecte plus la Connaissance (avec un grand C) des parents et des enseignants pose problème.

A qui la faute ? Il n’est pas question de jeter l’anathème sur quiconque. Toutefois une condition pour

rétablir le rôle et la place de chacun semble nécessaire : celle de la compréhension et du respect mutuel, au niveau du triangle « parent-enfant-école ».

Une société de liberté, c’est aussi une société où doit s’exercer la responsabilité de chacun des partenaires

vis-à-vis de ses paroles et de ses actes, et non le « dénigrement » systématique des uns envers les autres. L’élève copie de l’enfant qu’il est à la maison ? Rien n’est moins sûr, très souvent l’enfant adopte un

comportement dual et très différent d’un lieu à un autre. Par exemple, l’enfant laissé trop « libre » chez lui, quelles qu’en soient les raisons, accepte, voire demande des structures plus contraignantes à l’école.

Et si l’école de demain n’était pas en rupture mais en continuité avec l’école d’hier dans la mesure où tout

le chemin parcouru par les responsables de l’apprentissage à l’école peut permettre l’émergence d’une école plus adaptée encore.

La mission de l’école reste pourtant toujours la même : la transmission des savoirs. Ce qui change, c’est le comment. Comment l’école peut elle prendre en compte le fait que l’enfant-élève bénéficie, comme tout un chacun,

de l’accès à une surabondance d’informations souvent non triées, non expurgées, parfois non pertinentes ? Le pari de l’école nouvelle n’est-il pas dans l’aide à apporter au jeune « zappeur » à ne pas subir

l’information, à mieux canaliser sa recherche vers ce qui lui est utile pour les apprentissages, à l’aider à maîtriser les outils et à le responsabiliser vis-à-vis de lui-même, à lui permettre de réellement choisir sa vie, à découvrir que le travail est un chemin de vie et qu’il n’est pas délimité en tranches de 12 mois jusqu’à l’obtention du bac ?

Rien de nouveau dans tout cela : le rôle de l’école est toujours et avant tout « d’apprendre à apprendre » . Mais pour y parvenir, l’école doit-elle être aussi un lieu d’éducation ? Dans quelle mesure, dans quelles limites? C’est la question qui nous est posée aujourd’hui.

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ATELIER 5 - NOUVELLES FAMILLES

Compte-rendu par Françoise Braun, enseignante et Françoise Vallet, parent d’élève Introduction au premier débat : état des lieux et questionnement sur les missions éducatives de l’école

par Virginie Bessis-Mermé. Premiers constats sur les malheurs de l’individualisme � Dans notre société, les familles désirent, depuis plusieurs décennies, favoriser l’épanouissement personnel de tous leurs membres en prenant en compte les opinions de chacun, et notamment des enfants, dès leur plus jeune âge. � Certains jeunes enseignants, craignant l’autoritarisme, ne parviennent pas à imposer leur autorité. � Or, certains adultes en viennent à subir une dictature de l’individualisme, l’enfant proclamant avec certitude qu’il a bien le droit d’agir comme il l’entend, au nom de ses envies du moment et de ses idées personnelles. Ce qui était promesse d’épanouissement peut finalement conduire à l’isolement, à une profonde détresse des adultes qui se culpabilisent. Les enfants sont alors perdus par cette désorientation des parents. � Les media font par ailleurs état de scènes de violence dans les établissements scolaires. La violence sévit entre élèves ainsi qu’entre élèves et enseignants. L’école peut devenir un lieu de malheur, alors qu’autrefois, elle était un lieu de promotion sociale. � On publie donc des livres sur le retour à l’autorité, dont les titres ont pour slogan « parents, osez dire non ! », « frustrez vos enfants ! », on produit aussi des émissions télévisées mettant en scène « un grand frère » ou une « super nannie » qui ramènent l’ordre au foyer, quand le respect vient à manquer. De leur côté, les écoles, les collèges et les lycées s’ingénient à concevoir des chartes, des contrats ou des permis à points. La question du premier débat : quelles sont les frontières entre le rôle éducatif de l’école et le rôle éducatif des parents ? Ce débat nous interroge sur les limites que l’école doit se fixer dans ses missions éducatives en distinguant bien ce qui relève de l’établissement de ce qui relève des responsabilités familiales. En parallèle, ce débat nous questionne sur les limites que les parents doivent se fixer (ou que l’école doit fixer aux parents) dans l’approche du règlement et des règles de vie instaurés par l’école. Premier échange entre les participants 1. Le premier exemple abordé est en lisière du sujet : il s’agit d’un cas de maltraitance familiale. La réflexion n’est plus alors centrée sur la mission de l’école, mais sur le rôle de tout citoyen qui doit porter assistance à personne en danger. 2. Une participante voit dans l’école une continuité par rapport aux valeurs familiales et aux apprentissages entrepris à la maison dans la petite enfance. D’autres interventions soulignent que bien souvent l’école s’inscrit plutôt en rupture avec le vécu familial des enfants et des jeunes. Cette rupture peut être considérée comme une chance car l’école apporte un cadre qui peut manquer dans certaines familles, mais la rupture avec le quotidien du foyer demande d’importants efforts d’adaptation soulevant pour certains jeunes bien des difficultés. 3. Une autre participante explique que toute personne qui travaille avec des enfants est un éducateur. L’école ne peut pas se donner pour mission unique l’instruction des enfants. Notre comportement d’adulte est toujours notre premier porte-parole en matière d’éducation. Nos silences et nos gestes comptent largement autant que les mots. Les jeunes enfants en particulier sont très sensibles à toutes nos manières d’être. Le groupe adhère à cette intervention. 4. Le professeur doit-il être le relais d’un parent déficient ? L’école n’a pas pour rôle de soutenir les familles et encore moins de se substituer aux familles. Le groupe est d’accord sur ce principe. Chacun sait que certaines familles rencontrent des difficultés ayant des répercussions évidentes sur le rythme de vie des enfants et sur leur travail scolaire.

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Le groupe convient qu’il faut alors passer le relais à des professionnels formés pour répondre à ces problèmes familiaux ou personnels. L’école peut être attentive à la situation de l’enfant mais ne peut gérer les questions éducatives familiales. C’est une limite essentielle. Le groupe propose que des intervenants extérieurs viennent dans l’établissement pour aider l’enfant. 5. Virginie Bessis-Mermé interroge ensuite le groupe sur l’élaboration du règlement d’un établissement scolaire : est-il bienvenu que des parents prennent part à la rédaction du règlement d’un établissement scolaire ? Tatiana Consiglio rappelle qu’en premier lieu le règlement comporte des articles communs à tous les établissements, car l’école applique les lois françaises, et qu’en second lieu, le règlement comporte des articles propres à chaque établissement.

Virginie Bessis-Mermé explique que les enfants peuvent, dans un cadre donné, prendre part à la réflexion sur le règlement. Les élèves doivent notamment comprendre pourquoi il y a des lois et des limites à la liberté, mais ce sont les adultes de l’équipe pédagogique qui doivent imposer le règlement qu’ils ont rédigé eux-mêmes.

Un parent propose une démarcation claire dans l’implication des familles : les familles peuvent participer à des projets culturels dans l’établissement, mais ne doivent pas intervenir dans l’élaboration du règlement. Les familles peuvent apporter une touche personnelle avec leurs compétences diverses mais n’établissent pas les règles d’un lieu qu’elles ne dirigent pas. Cette analyse rencontre l’approbation des participants et des intervenantes.

6. Un parent explique qu’un échange sur le sens de quelques mots-clés du règlement et du projet pédagogique faciliterait la compréhension entre parents et enseignants. Philippe Perrenoud souligne, à cet égard, les différences entre « règles » et « repères ». Quand il s’agit d’une « règle », il n’y a pas de discussion possible, il faut appliquer ce qui est dit. « Les repères », en revanche, peuvent être discutés, négociés, c'est-à-dire pensés ensemble en fonction des circonstances. Les deux termes méritent d’être employés bien distinctement. Si les adultes s’entendent mieux sur le sens des mots, ils pourront aussi mieux dialoguer avec l’enfant, qui a besoin de comprendre ce qu’on attend de lui.

7. L’atelier ouvre une parenthèse dans la discussion sur le règlement, en réfléchissant à la place des parents dans l’école. Un professeur dit qu’il apprécie qu’un parent ait la possibilité d’assister à l’un de ses cours. Ce n’est pas du tout une pratique courante en France et ce professeur s’en étonne car il pense que ces visites devraient être plus banales. Un parent répond que l’école est un espace dédié aux enfants et que ces derniers n’ont généralement pas envie de voir leur père ou mère partager ce lieu. Un autre parent abonde en ce sens, en s’appuyant sur l’opinion de ses enfants. Le point de vue des tout-petits reste à part sur ce sujet car les enfants en bas âge apprécient beaucoup la présence de leur parent lors des sorties culturelles et sportives. Globalement, une frontière bien nette entre univers scolaire et univers familial se révèle très profitable.

8. Force est de constater que certaines familles remettent en cause le règlement de l’école : au nom de l’épanouissement personnel, certaines familles minimisent le problème des retards de leur enfant ou contestent le fait qu’il est interdit de fumer au sein de l’établissement par exemple. D’autres parents, ou les mêmes, cherchent à négocier les sanctions posées par l’établissement. Virginie Bessis-Mermé explique que certains parents vont jusqu’à former un lobby et s’inquiète du fait que des adultes se dressent les uns contre les autres. Or, la corrélation entre la mission d’instruction et le respect du règlement est incontournable. Le règlement intérieur est au service de l’instruction. Béatrice des Ligneris explique que l’affectif prend, dans certaines familles, une place excessive. Lorsqu’un parent conteste l’autorité d’un autre adulte en se laissant aller à ses réactions émotionnelles, il compromet dangereusement sa propre autorité vis-à-vis de son enfant. L’adolescent en particulier jouera avec cette remise en cause dont l’un de ses parents a usé avant lui en plaçant son ressenti - voire son ressentiment d’adulte au-dessus des règles à respecter. L’adolescent confrontera donc à son tour son père ou sa mère à des débordements affectifs qui ressurgiront comme un boomerang. Il sera alors bien difficile de faire appel à la raison et au cadre que l’adulte avait lui-même négligés.

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Introduction au second débat sur la place des enfants, des parents et des enseignants par Béatrice des Ligneris

Premiers constats sur la place de l’élève à l’école et sur le rôle des enseignants et des parents L’enfant à l’école � L’enfant vient découvrir à l’école des valeurs et des savoirs différents de ceux qu’il peut appréhender chez lui. C’est en comparant différentes approches qu’il construit sa pensée. � L’enfant a le droit au tâtonnement et à l’erreur. L’erreur n’est pas un échec, c’est une démarche, un essai, un brouillon. L’enfant doit être rassuré et se sentir capable d’avancer. Il doit se sentir intelligent. S’il est en confiance, l’élève peut analyser sa mauvaise note en étudiant ce qui a fait défaut dans sa copie ; il peut alors faire de son erreur un levier pour progresser. � Si l’erreur n’est pas considérée comme un échec, l’enfant apprend à mieux se connaître, développe son estime de soi et peut découvrir l’amour du travail. L’école accomplit alors sa mission : l’enfant s’élève ! � Il faut aider l’enfant à avancer par étapes : « on ne gravit pas l’Himalaya en une fois, sans faire de paliers ». Réussir est un long chemin personnel. Le regard des enfants sur les adultes � L’enthousiasme des enseignants est très important pour les élèves. La passion et l’émerveillement sont des ressorts beaucoup plus puissants que les notes ! � Tout adulte doit d’ailleurs donner aux jeunes générations l’envie de grandir : pas question de laisser entendre que la vie d’un adulte n’est que contraintes et fatigue. Pas question non plus d’afficher une bonne humeur totalement feinte. On peut expliquer que dans sa journée de travail, des choses positives et intéressantes se sont passées, même si des difficultés ont pu se présenter. On peut aussi faire comprendre que des complications et des obstacles peuvent s’avérer stimulants et engendrer de nouvelles propositions et de nouvelles réponses. Observons-nous, quand nous rentrons le soir, pour savoir quelle image nous donnons de notre vie et de notre quotidien à nos enfants. Le regard des parents sur eux-mêmes et sur leurs enfants � Si les enfants ont le droit à l’erreur, bien sûr, les adultes doivent aussi accepter qu’ils puissent décevoir. Ils ne peuvent pas se poser en modèles parfaits : on ne vient pas au monde avec un diplôme de parent. � S’ils s’imposaient d’être parfaits, les parents exigeraient alors de leurs enfants qu’ils soient toujours heureux, au risque de provoquer l’effet inverse et de les rendre très malheureux. � La quête du bonheur est bien compliquée, surtout pour un adolescent qui avance vers une nouvelle personnalité et un avenir inconnu. Si vous exigez de votre enfant qu’il soit heureux, « c’est comme si vous le mettiez dans le désert, en lui disant : Va, vis et deviens » commente Béatrice des Ligneris. Ce serait une devise bien trop ambitieuse, si aucun aménagement ne balisait le parcours du jeune, qu’il faut rassurer. � Les parents doivent assumer leurs choix sans exiger de l’école qu’elle évolue dans le même système de valeurs. Ce qui compte, c’est que chaque système soit cohérent et non que les systèmes soient identiques. � Qu’est-ce qu’être adulte ? Pour résumer, Béatrice des Ligneris propose une réponse en trois points :

� Oser dire non : Les parents doivent oser dire « non » et permettre ainsi à leurs enfants aussi de dire « non ».

� Oser décevoir. � Savoir se gérer seul : Les parents doivent être capables de gérer seuls leur famille.

� Les parents doivent accepter que leur enfant ne soit pas leur continuité, il est « autre ». Leur enfant peut adhérer à des valeurs différentes, avoir des opinions politiques ou religieuses différentes, des modes de vie différents. Les parents doivent comprendre que leur enfant n’a rien à voir avec un produit fini : il n’est pas une pâte à gâteau bien préparée, avec de bons ingrédients, qui devra forcément donner un résultat tout à fait conforme à l’attente du pâtissier sûr de sa recette. On dit d’ailleurs « faire » un enfant, mais on devrait plutôt dire « accueillir un enfant ». � Les parents doivent ensuite accepter que l’enfant se sépare de sa famille.

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Les questions du second débat : Quelle communication les parents peuvent-ils souhaiter avec l’école ? Quelle place les adultes doivent-ils tenir vis-à-vis des enfants ? Deuxième échange entre les participants 1. Cela a été dit précédemment, les enfants et les adolescents n’aiment généralement pas voir leurs parents dans l’école. Ils ont besoin de frontières. « Si un parent a envie de participer à la vie scolaire, c’est généralement pour voir si son enfant y est bien » analyse Béatrice des Ligneris. Une certaine méfiance habite alors ce parent. Ce n’est pas une situation bien souhaitable. 2. Les rencontres entre parents et enseignants s’avèrent fort utiles. Les parents peuvent avoir des repères anciens qui ne correspondent plus au présent de leur enfant. On se réfère à son propre parcours scolaire, à l’expérience des frères et sœurs aînés et on n’a pas toujours conscience des changements de l’école ni de la manière d’être de son enfant en classe. Les parents délégués constatent souvent qu’un manque de communication conduit à des malentendus et bien des craintes.

3. Béatrice des Ligneris explique que des parents n’osent pas prendre rendez-vous par inquiétude ; quand un enfant ne va pas bien, il peut être très difficile d’oser en parler. C’est pourtant un pas à franchir. Evidemment, on peut aussi prendre rendez-vous avec l’enseignant quand tout va bien ! 4. Dans certaines familles, une communication débridée s’est installée. Au nom du dialogue, des familles ou des parents seuls ont confié à leurs enfants des secrets qui ne les concernaient pas, car ils portaient sur l’intimité des adultes. Les problèmes affectifs des adultes doivent rester en dehors des conversations avec les enfants. Les deux intervenantes sont formelles sur ce point et disent combien les répercussions restent douloureuses à très long terme. Certains adultes n’arrivent jamais à s’épanouir dans leur vie sentimentale parce que les confidences parentales les ont bouleversés. Plus généralement, on ne peut demander aux enfants et aux adolescents de porter les soucis des adultes. Trop d’enfants ont le sentiment de devoir protéger leurs parents, peut-être plus particulièrement dans les familles monoparentales. Virginie Bessis-Mermé résume : « les enfants n’ont pas à porter les adultes sur leurs épaules ». 5. Une participante explique qu’elle s’en remet à ses enfants dans bien des domaines où ils sont plus informés et plus performants qu’elle. Elle a le sentiment qu’ils grandissent dans un monde très différent de ce qu’elle connaît, comme si plusieurs époques cohabitaient. Les intervenantes rappellent que si les enfants ont bien sûr de multiples connaissances, ils ne sont pas nos égaux : « nous sommes trompés par les ados d’aujourd’hui parce qu’ils ont une tête qui va vite dans un corps d’enfant. Ils ont des angoisses d’enfants ». La transmission se fait, avec ou sans technologie, verticalement, d’une génération d’adultes à une génération d’enfants. Les enfants ont besoin de repères très clairs. L’expérience des adultes et leur recul restent irremplaçables. « Nous avons la charge du monde actuellement et le tour de nos enfants ne viendra que plus tard » conclut Virginie Bessis-Mermé. 6. Béatrice des Ligneris abonde en ce sens et explique qu’il est même dangereux de vouloir être dans le monde de son enfant : « Il est important qu’il sache que vous êtes là, mais vous n’irez jamais là où il est. » Elle cite Khalil Gibran : Tel l’archer, un parent lève l’arc très haut pour que la flèche vole loin et haut, mais il n’ira jamais là où va la flèche. Aux parents qui se sentent mal à l’aise, distancés, perdus, redisons que l’adulte est bien le guide de l’enfant. 7. Béatrice des Ligneris explique que d’autres adultes que les parents et les enseignants peuvent avoir un rôle très positif pour un jeune. Il faut savoir confier son enfant à d’autres adultes référents, des « parrains » et des « marraines » que la famille choisit pour accompagner son enfant et l’ouvrir à d’autres manières d’être et d’agir. Il ne faut pas avoir peur de perdre l’amour de ses enfants.

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Pour conclure Retenons avant tout de cet échange que les adultes de l’école et les adultes des familles constituent ensemble le haut d’une pyramide inversée. Ensemble, avec un respect mutuel et une bonne connaissance de leurs rôles distincts, ils doivent assurer une solide transmission éducative aux jeunes générations. Parents Enseignants Enfants Un individualisme excessif, avec son cortège de revendications, des prises de paroles inconsidérées, une impression de puissance des jeunes, due à la maîtrise des nouvelles technologies, ont pu malmener cette loi de bon sens selon laquelle les adultes doivent travailler simultanément, mais en des lieux différents, à éduquer enfants et adolescents. Il s’agit de dialoguer, mais sans ingérence. L’atelier a essayé de mieux mettre en évidence les frontières qui doivent aider à structurer des rapports fructueux entre école et famille pour que les enfants trouvent au mieux des repères vraiment fiables pour eux. Rappelons quelques propositions du débat : � Trouver des intervenants relais en lien avec l’école, quand l’éducation d’un jeune nécessite un soutien

spécifique. � Toujours avoir en tête que les enfants ont le droit à l’erreur, les aider à cultiver leur estime de soi et leur

proposer des paliers de progression. � Savoir communiquer son enthousiasme et son émerveillement d’adulte pour donner envie aux jeunes

générations d’apprendre et de devenir de plus en plus responsables.

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CONCLUSION

Tatiana Consiglio

Les conclusions et pistes de réflexion issues des synthèses des ateliers du colloque permettent non seulement de nourrir le débat perpétuel et nécessaire portant sur les changements et applications à développer quant aux outils d’apprentissage pour les générations à venir, mais aussi de mettre en exergue les pratiques de La Source qui s’inscrivent dans la ligne directrice des objectifs en jeu et des innovations souhaitées par un public hétéroclite intéressé par l’éducation. L’atelier 1 est parti du constat que les enseignants ont le choix de travailler ensemble ou non. Roger Cousinet préconisait le travail de groupe chez les élèves, mais il s’agirait de transférer cette pratique au corps enseignant quitte à « faire violence » à la tendance à l'individualisme. Il faudrait donc construire ensemble des dispositifs, des évaluations, et ouvrir les portes des classes aux collègues. La double mission de l'enseignant, signifierait enseigner et échanger avec ses pairs. Ce qui permettrait de décentrer l'élève du rapport frontal avec l’enseignant et d’insister sur l'hétérogénéité, source de grande richesse pour la co-construction des savoirs. A La Source, la majorité des équipes, par discipline, élaborent ensemble des contrats au niveau II et des unités de formation au niveau III, pour fixer des objectifs de savoir et savoir-faire aux élèves. Les projets interdisciplinaires sont également source de nombreux échanges pédagogiques. Récemment au secondaire, un dispositif de visites interclasses s’est développé, entre enseignants de différents niveaux et disciplines. Les premiers résultats confortent objectivement le besoin de cohérence et de communication entre enseignants. L’atelier 2 s’est centré sur l’évolution, et la modification des repères liées à l’évolution sociale et familiale. Face à cela, un projet pédagogique clair et une redéfinition des relations avec les parents s’avèrent nécessaires. Telle une trame servant de guide à nos actions, les repères doivent être discutés parce qu'ils ne sont plus communs. S’impose alors l’élaboration d’un contrat explicitant tant le bien fondé des lois que les bénéfices masqués de la contrainte et de la restriction de la liberté. Voici donc l’épineux problème d’application des lois par l’école en terme sanitaire et sécuritaire, et de la demande de liberté, ou d’autonomie, notamment en ce qui concerne les lycéens. Il arrive qu’une décision de sanction prise par l’école nécessite de longues explications quand la gravité des actes n’apparaît pas objectivement aux protagonistes. La Source, historiquement marquée par l’implication particulière des parents partage cette difficulté avec tous les autres établissements, surtout après avoir connu une période de relative permissivité. Cette année, suite aux travaux du conseil pédagogique, nous avons innové avec la création d’un engagement réciproque qui permet de rappeler le partenariat école-famille et surtout nos spécificités en terme de vie collective. L’atelier 3 a constaté que l'école fonctionne trop souvent sur une transmission unilatérale et magistrale du savoir. Intégrer les élèves dans la construction des dispositifs contribuerait à

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redonner du sens à l'enseignement et au « droit à l'erreur » aussi bien chez l'élève que chez l'enseignant. Cela induirait que chacun se forme au contact de l'autre. La pédagogie, comme le savoir, se vit et se construit à plusieurs. La flexibilité est nécessaire, mais exige un certain degré d’estime de soi. Dans notre pays, comme ailleurs, les recherches et expérimentations sont multiples en terme de nouveaux dispositifs capables de capter l’attention de nos élèves, souffrant de plus en plus de déconcentration ! Depuis une année, à La Source, convaincue que la mise en projet collective, et la non parcellisation des horaires favorisent les apprentissages, une équipe de professeurs se penche sur la question des rythmes scolaires, et sur un aménagement du temps différent, plus favorable aux acquisitions des savoirs, savoir-faire et savoir-être. L’atelier 4 s’est interrogé sur l’usage insuffisant des TICE dans la pédagogie. Le fossé qui sépare des élèves baignés dans la culture « computer » des professeurs qui n’en sont pas forcément imprégnés pose problème. Les enfants, construisent de plus en plus leurs savoirs via des moteurs de recherche sur Internet et non plus des manuels. Le professeur devient alors une personne ressource et non plus le maître du jeu. Bien entendu la formation des enseignants aux équipements nouveaux, tels que le Tableau Blanc Interactif ou l’agenda électronique, s’impose aujourd’hui… Les équipes tendent à répondre que les installations informatiques multimédia sont des outils fonctionnels. Là encore, La Source s’est lancée dans l’aventure informatique dans les années quatre-vingt et n’a cessé depuis lors de suivre l’évolution des technologies. Enfin, l’atelier 5 a réfléchi sur la place de chacun dans L'Ecole. La réponse s’est imposée d’elle-même : l'adulte doit garder sa place : les parents élèvent un enfant, les éducateurs accompagnent cet enfant. Les parents ne doivent donc pas rediscuter le projet pédagogique. Il y a parfois trop de confusion des rôles. Il faudrait penser à des personnes-relais pour des questions qui dépassent l'institution, et auxquelles l'éducateur n'est pas toujours formé. Personne-relais ou aide extérieure pour aider à la compréhension de chacun et de chaque situation, surtout pour cerner l’attitude la plus adaptée à l’accompagnement de certains élèves. Là encore la formation est essentielle, certains pensent que ce rôle est dévolu à l’Ecole, mais certaines situations laissent clairement apparaître nos limites surtout dans le cadre d’une école comme la nôtre où les élèves, voire les parents, n’hésitent pas à se confier. Fort heureusement, à La Source, la communication avec les professionnels extérieurs intervenant auprès des enfants s’est grandement améliorée ces dernières années, et les échanges et informations autour de l’élève entre adultes concernés se multiplient et sont extrêmement bénéfiques. Des chantiers en cours, d’autres à ouvrir, ici ou ailleurs, l’évolution est possible, pourvu que le désir l’emporte et surtout que les projets fédèrent les équipes. Le matériel, bien que venant après l’enthousiasme est également un outil essentiel. Mais ce qui constitue le socle principal de la construction d’un projet, c’est le travail de groupe. C’est ce que nous avons vécu pour ce colloque des soixante ans de La Source.

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Le travail efficace et pertinent et l’implication sans faille de chacun ont contribué à faciliter l’organisation, et à donner à ce samedi la stature d’un événement. Cette journée a été très positive tant sur le plan des relations humaines que sur le plan des débats animés, fructueux et d’une qualité d’écoute exceptionnelle. Gageons que les actes du colloque nous permettront de clarifier des propositions, d’en jauger les applications et de toujours poursuivre nos recherches dans ce domaine si passionnant de l’Education et de l’Ecole nouvelle. Au nom de l’école La Source, je tiens à remercier chaleureusement tous les participants, tous ceux qui se sont impliqués de près ou de loin et plus particulièrement les membres du comité colloque.

Comité colloque • Tatiana Consiglio, directrice du secondaire

• Isabelle Crolus, enseignante au primaire

• Jeanne Houlon, enseignante au secondaire, coordinatrice des 6e, membre de l’AFAS

• Hélène Rousselet, enseignante au secondaire

• David Fusco-Vigné, enseignant au secondaire

• Laurent Gutierrez, universitaire

• Cécile Barbe, parent d’élève

• Jérôme Saczewski, membre du bureau Re-Source

• Alexandrine Hill, secrétaire au niveau III

• Catherine Lelong, assistante de direction

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Ecole La Source Octobre 2008

Après la célébration de l’anniversaire de notre école, après l’écriture du livre « La Source, école de la confiance », objet d’introspection et d’analyse de nos pratiques, le colloque des 60 ans de l’Ecole La Source, sous l’éclairage d’universitaires spécialisés en sciences de l’éducation, a ouvert le débat pédagogique aux parents, et aux professionnels de l’enseignement. « Comment adapter nos actions éducatives aux jeunes d’aujourd’hui et de demain ? » fut la problématique fédératrice. Explorant la réalité de l’Ecole nouvelle aujourd’hui et le sens du travail scolaire, ce colloque permet de poser de nouveaux regards sur les spécificités et nouveautés des écoles dites différentes, les nouveaux repères, les nouveaux dispositifs, les nouveaux media et enfin les nouvelles familles.

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