Coffiots, la fin des casses...?

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Coffiots, la fin des casses...? est autant une « comédie policière » qu'un polar. Maurice, un ancien marin reconverti, par vengeance, dans les casses de banque, sous une couverture de garagiste collectionneur de vieilles voitures, mène une vie de famille « sans reproche », avec une épouse issue d'un milieu très « comme il faut » et un enfant de quatre ans « qui promet ». Il s'est associé les deux employés de son garage, tous les deux assez maladroits. La bande vient d'effectuer son dernier casse quand une loi – la loi « Ysoult » – entre enfin en application qui interdit désormais aux agences des banques de détenir des fonds. Maurice et sa bande doivent se reconvertir. Leur dernier casse a tourné à la tragédie, mais la suite s'avère si « heureuse »... (Sélection du Prix Alexandrie 2008)

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Coffiots : la fin des casses...? *

*S�lection du prix Alexandrie 2008

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Du m�me auteur

• Carcasses, fragments d'un itinÄraire brisÄ.R�cits romanesques et autobiographiques (2005)Auto-�dition

• La Terre en danger, le devoir de changer !Essai : exp�riences et r�flexions sur l'�nergie �olienne et les�nergies renouvelables.(2006)Auto-�dition

• Coffiots dans la Å Ville Close ÇPolar ; s�rie 'Les Le Menech' – 2�me �pisode (2007)Les �ditions Keraban

• Le tumulusRoman sentimental (2006)Les �ditions Keraban

• Corps et Éme- Premier recueil – po�sie (2007)- Second recueil – po�sie et slams (2008)Les �ditions Keraban

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Bruno Leclerc du Sablon

Coffiots : la fin des casses...?

SÄrie�Les Le Menech� –1er Äpisode

Polar

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Ñ Bruno Leclerc du Sablon – [email protected]://blog.bebook.fr/jardinier

� Les �ditions Keraban – 20082, route de Bourges – 18350 N�rondesISBN [email protected]://www.keraban.fr

*La loi du 11mars 1957 n’autorisant, aux termes des alin�as 2 et 3 de

l’article 41, d’une part, que les copies ou reproductions strictementr�serv�es � l’usage priv� du copiste et non destin�es � une utilisationcollective et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans unbut d’exemple et d’illustration, toute repr�sentation ou reproductionint�grale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de sesayants droit ou ayants cause, est illicite (alin�a 1er de l’article 40). Cetterepr�sentation ou reproduction, par quelque proc�d� que ce soit,constituerait donc une contrefa�on sanctionn�e par les articles 425 etsuivants du Code p�nal.

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La vie, c'est ce qui vous arrive alors quevous Ätiez en train de prÄvoir autre chose.

JEANNE MOREAU

De lecteurs et lectrices (extraits)• On entre dans une farce polici�re bien ficel�e et jubilatoire

o� il est question de strat�gie emprunt�e au bridge – celle dumort inversÄ –, d'un style vestimentaire tr�s CÄcilia envacances, de voitures plut�t luxueuses, d'amour fou et deloyaut�. Sur son blog, l'auteur dit s'�tre beaucoup amus� en�crivant ce livre : je comprends pourquoi.

• Commenc�e en drame, l'histoire tourne vite � la com�die. Lespersonnages sont bien camp�s, les dialogues savoureux, lerythme bien enlev�... M�me si la morale est un peu�gratign�e, le lecteur y trouve son compte : s'amuser en sed�lassant.

• L'auteur dessine des portraits dans un langage appropri� o�se m�lent amour, respect et fac�ties. Avec une bonne dosed’humour, ce roman se situe entre le policier et le vaudeville.J’ai pris beaucoup de plaisir � le lire.

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CE JEUDI, COMME CHAQUE MATIN, Maurice prend son petit noir enlisant Le Parisien sur le zinc, au Montparno, au coin duboulevard Edgar Quinet et de la rue du Montparnasse. � la une,deux gros titres :

Casse meurtrier � la Soci�t� G�n�rale, rue de Rennes et,plus bas sur m�me page :

La Loi Ysoult entre en applicationUN PEU TRISTE, LE MAURICE, mais assez fier aussi. Triste, parce quelui et ses deux comparses se seraient bien pass�s de faire usage deleurs calibres : trois morts et cinq bless�s. Tuer, c'est pas leur truc.Fier quand m�me d'avoir fait partie des derniers braqueurs debanques, d'�tre les derniers � vrai dire : la loi Ysoult, du nom dud�put� PMP qui l'avait propos�e, officiellement � Loi pour laprotection de l'�pargne priv�e et des employ�s de banque � ou loiPEPEB, interdit d�sormais aux banques de conserver des fondsdans les agences ouvertes au public. Arme de dissuasion garantie,cette loi faisait d�j� partie du programme annonc� par le Pr�sidentd�s le d�but de sa campagne �lectorale, il y a quatre ans. Ce sursis

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de quatre ann�es de travail avant le ch�mage ou la reconversion,pour Maurice, Georges et Ren�, tous les trois en d�but de carri�re,�a avait �t� mieux qu'un simple stage : une v�ritable exp�rienceprofessionnelle.

� Merci M'sieur Ysoult de n'pas avoir mis l'turbo, se ditMaurice. On s'voyait pas pointer � l'ANPE. Mais quand m�me,vous auriez pu prolonger encore un peu, un ou deux ans d'plus, letemps d'un changement d'pr�sident et d'gouvernement ! On auraitencore eu not'chance, quelques missions... Une bonne retraite, �as'construit patiemment. �

Apr�s le deuxi�me noir Maurice d�cide de changer decr�merie. Encore trois heures � tirer avant de retrouver ses�quipiers � La Closerie des Lilas. On ne change pas les bonneshabitudes : un joli coup s'arrose toujours !

** *

C'EST JOUR DE MARCH� boulevard Edgar Quinet. Maurice le conna�tbien ce march�. Depuis qu'il habite le quartier, il y vient chaquesamedi pour aider le fromager. �a fait plus de cinq ans. Pendantles premiers mois c'�tait un gagne-pain. Maintenant c'est sonargent de poche, ou plut�t une mani�re de montrer une certainestabilit�. C'est donc avec un plaisir non dissimul� qu'il le parcourtce jeudi les mains dans les poches. Pour rien. Pour passer letemps.

Il commence � marcher dans l'all�e centrale, entre les �tals,vers la Tour Montparnasse. C'est la partie basse du march�, cellequi va du m�tro � la rue du D�part. Peu de monde, aucunerencontre, mais il est vrai que c'est encore t�t. Il revient sur ses

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pas, retraverse le carrefour pour arpenter l'autre moiti� dumarch�, celle d'en haut qu'il conna�t mieux, entre le m�tro et leboulevard Raspail, en face du cimeti�re Montparnasse. L'horloge,au milieu du carrefour, indique 9 heures 25. L'id�e lui vient defaire la rue de la Ga�t�. Il reviendra sur le march� apr�s, quand lesm�nag�res seront plus nombreuses.

Rue de la Ga�t� c'est pas encore l'heure des putes mais les sex-shops sont sur le point d'ouvrir. Les sex-shops, c'est pas pour lui, nipour Odile, sa jeune �pouse. Mais Maurice est curieux de nature.Savoir qui g�re ces boutiques, qui y entre, combien les clientsd�pensent en gadgets, lingeries, cuirs et instruments divers, et lesfilms… Un nouveau business ? Maurice n'y cro�t qu'� moiti�.

Il est 10 heures, il arrive en haut de la rue, au coin de l'avenuedu Maine et n'a vu personne dans les boutiques. Le sexe ne se vendpas le matin, c'est clair. Le temps passe et Maurice commence � sefaire du souci. Il sait bien que les autres comptent sur lui et il leurdoit beaucoup. Il imagine leur t�te quand il va leur annoncer quepour les casses c'est fini. Surtout Ren�. Ren�, dit � le singe �, qui n'arien d'autre � faire, aucun bagage, aucune instruction et, � vingt et unans, cinq ans d'exp�rience professionnelle seulement, commeauxiliaire de casses de banques, ce m�tier foutu.

Vierge le singe, m�me le casier. �a, un casier vierge, Mauriceen avait fait une condition sine qua non pour travailler avec lui. Pasd'ex-taulard, pas de repris, du clean exclusivement. Ren� avait quitt�l'�cole � seize ans et s'�tait mis apprenti au Grand Garage de la rueCampagne Premi�re, avec Georges.

Georges, lui, aurait pu se d�merder dans la vie si la bo�ten'avait pas br�l�. Avec son BTS de m�canicien auto, il �tait pr�t �prendre la succession du t�lier au moment o� celui-ci allait prendresa retraite. Ce sont les compagnies d'assurances qui l'en ontemp�ch�, ou plut�t dissuad�… et r�orient�. Le simple fait d'avoir

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mis pour la premi�re fois son nez dans les comptes de l'entrepriseavait fait na�tre en lui une autre vocation, princi�re celle-ci. Il avaitcompris que les sommes �crites dans le livre devaient logiquementexister quelque part sous forme de billets de banque.

Passer ses journ�es en bleu de travail ne lui interdisait pasd'avoir des id�es, au � p'tit prince �. Il lui fallait simplement unassoci�. Quelqu'un qui connaisse le syst�me, qui ait des rela-tions. Modeste, Georges se sentait pr�t pour le garage, mais paspour ce nouveau business. Il avait cherch� un mentor. Quoi deplus simple que d'en parler aux clients du garage et d'abord �Monsieur Maurice, le plus ancien client, le plus fortun� aussi, �en juger par ses voitures. Et Maurice avait repris l'affaire.

� Une �quipe form�e, fid�le, honn�te jusqu'au bout desongles, avec cinq ans d'exp�rience, j'peux pas laisser tomber, sedit Maurice, �a vaut d'l'or. Et puis le singe et le p'tit prince, c'estcomme mes enfants, j'leur dois un avenir. �

Maurice est subitement pris d'un trouble profond. Repen-sant � sa lecture du Parisien, il y a � peine une heure, il com-mence � prendre la mesure de sa responsabilit�. Il lui reste unpeu moins de deux heures pour r�fl�chir et pr�parer sa r�unionet, plut�t que refaire le march� Edgar Quinet, il remonte l'ave-nue du Maine, quelques cinquante m�tres, pour s'asseoir � laterrasse du D'Artagnan, en face de la rue du Commandant Ren�Mouchotte. Apr�s tout ce n'est s�rement pas aujourd'hui qu'ilaurait pu rencontrer Madame Girardin, la chef d'agence de laSoci�t� G�n�rale, pour lui faire part de sa tristesse. Elle est sansdoute occup�e avec les enqu�teurs de la PJ. Il a plus de chancesde la trouver samedi, devant l'un de ses �tals habituels, lepoissonnier ou le fromager.

Il commande un quart Perrier, allume une cigarette, serel�ve pour acheter LibÄ au kiosque, sur le m�me trottoir, �

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quelques pas, revient s'asseoir et d�plie le journal sur la table. �la une, comme chaque jour, on ne parle que des primaires duPS. On en est aux premi�res joutes : qui sera candidat en avrilprochain, dans neuf mois ? Une seule femme encore ? Deuxfemmes ? Et combien d'hommes ? Jacques, le gar�on, arrive, leplateau sur la main. Le temps de d�capsuler la petite bouteilleverte, de la poser sur la table, de poser le verre et c'est, commed'habitude, la chaleureuse poign�e de main.

― Comment �a va ce matin Monsieur Maurice ? Vousavez vu cette histoire, rue de Rennes. Si c'est pas une honte ! Etpourtant il en avait fait des promesses, le Pr�sident, vous voussouvenez ?

― Des promesses, des promesses, tu vois bien s'que �avaut les promesses ! Mais l'pire, Jacques, c'est m�me pas �a,c'est l'Parlement. Ces connards de d�put�s, � force de s'opposer� propos de n'importe quoi, y z'ont m�me pas �t� foutus des'entendre pour faire appliquer la loi Ysoult. Tu t'rends compte,une loi vot�e y va y avoir quatre ans s'mois-ci et d�j� plusd'mille amendements � ce qu'on dit. Et l'd�cret d'applicationqu'arrive seulement aujourd'hui !

― Oh, moi, je vous dirais, Monsieur Maurice, lesbanques, bon, c'est vrai, c'est triste de voir mourir des gens,mais c'est quand m�me exceptionnel. Non, pour moi, le vraiprobl�me, c'est notre pognon. Il en � rien � cirer de notrepognon, le gou-vernement. J'dis pas �a pour moi, notez bien, j'aimis mon compte � la BNP, vous savez, en haut de la rue deRennes, presque en face de la banque o� il y eu cette fusillade.Il para�t qu'elle est devenue inviolable, cette agence, depuis lecasse de l'an pass�. Un vrai bunker !

― T'as raison, Jacques, celle l�, c'est Fort Knox, m�me siil y a un peu moins d'lingots. Mais j'vais t'dire une chose,

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Jacques : moi, �a fait un bail que j'y mets plus mon p�ze dansles banques. (Depuis son casse de la BNP, justement.) Quandj'ai un peu d'thune, j'm'ach�te une vieille tire et je m'la faispr�parer aux p'tits oignons par mon m�cano, un v�ritable artiste.Authentique, incontestable ! Une Salmson de 1928, le mod�leS6, tu crois k'�a vaut pas kek' lingots ? Et il est pas encore n�l'braqueur de garages, je te l'dis comme j'le pense. Les voleursde bagnoles, y veulent pouvoir les fourguer, pas les collec-tionner, et y choisissent des caisses qui roulent, et aussi quis'voient pas trop. Couleur locale, c'est leur truc.

― Vous avez raison Monsieur Maurice, d'ailleurs, moi,c'est les timbres. Apr�s ce que vous venez de dire je crois bienque j'vais m'y remettre.

― On est d'accord, Jacques, reprends-la, ta collec, y a qu'�ad'vrai, mais il n'emp�che, ces trois pel�s qu'ont rien fait, j'peux pasm'emp�cher d'penser � eux. J'sais pas s'ils en parlent, danss'num�ro d'LibÄ, mais j'te dirai. Allez, � plus, Jacques, et merci.

Maurice peut maintenant ouvrir son journal et chercher lespages qui concernent ses affaires : le casse foireux de la ruede Rennes et la loi PEPEB, cette loi merdique qui comprometson avenir et celui de ses co�quipiers.

Le casse, c'est � la page 2. Maurice le lit rapidement cetarticle et n'en crois pas ses yeux. Il r�fl�chit, presque � voixhaute : � Y va falloir que j'leur d�gauchisse l'histoire, �a flottegrave � la PJ. J'peux quand m�me pas laisser des innocentss'faire enchtiber pour s'qu'y z'ont rien fait ! L'enqu�te est d�j�boucl�e et qu'est-ce qu'y z'ont pas trouv� ? Un m�me de huit ansqu'aurait flingu� deux agents d'la banque plus un cogne, et lesamoch�s, c'�tait dans la putain d'cohue qu'a suivi, et dans la rueen plus. Au chtar � huit ans, y sont barjos ! C'est des jouets qu'onleur avait fil�s aux clientes, pas des flingues. Faut dire qu'y z'ont

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l'air vrais, ces canons. Y t'en font des mod�les que m�me unbarbouze y t'sulfate sans sommation.

Mais bordel, quel est l'con qu'� jou� du p�tard ? C'est s�r,y vont encore m'convoquer pour t�moigner, la m�re Girardinelle leur dira k'j'y �tais, sur sa t�loche. Y a pas, y faudra k'j'yr'vienne samedi au poissonnier. C'est donnant donnant, elle pourle pognon, moi pour la raie ou l'turbot. Faudra bien qu'ellebave ! �

Il faut pas s'�terniser sur une page, �a peut �veiller lacuriosit� aux tables voisines. Maurice cherche l'article sur la loiYsoult, ce � putain d'd�cret �, mais il n'y a rien dans LibÄ. Illaisse la monnaie sur la table, se l�ve, dit au revoir de la main �Jacques et � Didier, le barman, et s'en va. Il est presque midi.Les autres vont l'attendre. Le chemin le plus court, c'est par songarage – celui du p'tit prince aussi –, le Grand Garage : len�cros, un chouia de boulevard Raspail, la rue CampagnePremi�re et un bout de Montparnasse. Vingt minutes.

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VINGT MINUTES, m�me un peu moins, et son rendez-vous est � 12heures 30. Maurice en profite pour fl�ner le long des all�es ducimeti�re. Que de gens c�l�bres ! Des �crivains, des artistes, deshommes politiques… Tiens, Gainsbourg ! Maurice aimait bienGainsbourg. Mais pas de monte-en-l'air ou de criminels connus.Il croyait que le cercueil de Landru avait �t� transf�r� ici, maissous quel nom ? Ah ! Alfred Velpeau, vous ici docteur ! Unbienfaiteur de l'humanit� ce toubib, et des gens qui prennent desrisques pour commencer, comme lui et ses potes. Depuis centcinquante ans ! Allez, chaque ann�e une centaine de bandes decinq m�tres � tous les trois, et des millions de boutonni�res pourles autres, �a ferait quoi depuis un si�cle et des brouettes ? C'estvite vu, de quoi mettre la plan�te enti�re sous contention, oc�anscompris, et plus d'une fois ! Le voil� le bon programme, la Terresous contention ! Et main-tenant la tombe � Gustave Z�d� !Celui-l�, l'inventeur des sous-marins �lectriques, ces cercueilsde la baille, Maurice l'aurait bien mis sous contention lui aussi,mais d�s la naissance. Lui, Maurice, le marin, le fils, le petit-filset l'arri�re petit-fils de marins. Tous coul�s, tous au fond, etm�me pas au casse-pipe ! Alors pas de m�dailles pour les

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matafs, mais pour Gustave, le LÄpine, c'est s�r, et en or massif.Ah, il aurait mieux fait de rester au paddock, cet empaill�. Ettous ces jules dont les veuves ont gard� les avortons toutesseules, ou avec la belle-doche. Mais pas Maurice.

Maurice Le Menech sent revivre son pass� de marin.Vingt ans, pour finir quartier-ma�tre sur un escorteur d'escadre,� Brest. Il n'avait que six mois quand son p�re et cinquante sixautres sous-mariniers avaient p�ri au large du Cap Cavalaire, enmars 1970, par 750 m�tres de fond, pour une raison rest�einexpliqu�e. Sa m�re l'avait plac� en orphelinat. Et puis, defamille d'accueil en famille d'accueil, toujours des familles demarins, il avait embarqu� d�s son plus jeune �ge sur des quan-tit�s de bateaux de p�che. � seize ans, il entrait commevolontaire engag� � l'�cole de serrurerie du Centre d'InstructionNaval de Brest et franchissait, six mois plus tard, la coup�e d'unnavire de la Royale. C'�tait un dragueur de mines, un bateau touten bois. Pour la serrurerie, c'�tait plut�t reposant. Pour lessorties en mer aussi. Un jour, deux jours tout au plus � chaquesortie. Et puis ce furent de plus gros bateaux, des fr�gates, desavisos escorteurs, de plus longues missions aussi qui lui firentd�couvrir tous les continents.

Il aimait son m�tier. Et il �tait appr�ci� par les grad�s,aussi bien les officiers mariniers que les officiers de passerelleet ceux des machines. Par ceux du contingent aussi, les aspirantset les enseignes de vaisseau. C'est d'ailleurs surtout gr�ce �ceux-ci qu'il apprit beaucoup : fallait-il un homme pour aider aubloc de chirurgie ou au cabinet dentaire ? Maurice �tait l�. Oupour remplacer le ma�tre d'h�tel du Pacha ? C'�tait encoreMaurice. Il y en avait m�me, pour se moquer de lui, qui fredon-naient � chaque fois la chanson de Pierre Perret. Ils fre-donnaient, jusqu'aux paroles o� ils chantaient :

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"C'Ätait la femme de chambredu lieutenant d'vaisseau."

Mais quand il fut promu quartier-ma�tre, apr�s dix-huitans de mer, il en eut marre de se faire appeler Estelle. En plus, ilsavait que sa carri�re s'arr�tait l�. Il avait appris � lire et �compter et c'�tait bien toute son instruction. Et encore, celle-l�aussi il la devait aux aspirants qui prenaient, le dimanche et �tour de r�le, la place du Pacha et organisaient, pendant leurgarde, des s�ances de rattrapage scolaire dans le r�fectoire, pourles matafs, au fond du bateau.

Maurice n'a jamais revu sa m�re. Il ne l'a donc pasconnue. A-t-il des fr�res et sœurs ? Il n'en sait rien. D'ailleurs laquestion ne le pr�occupe pas. Pas maintenant. Ce qu'il veutd'abord, c'est se venger de la mer et de ses princes, de tous ceux� cause de qui sa famille n'existe pas, n'a jamais exist�. La terresans vue sur la mer, l'int�rieur de la terre, les villes et les gensdes villes, les campagnes et les fermes, les animaux dans leschamps, il ne les avait jamais connus avant de prendre le trainpour la Gare Montparnasse, il y a cinq ans, mais il en con-naissait toutes les images, toutes les histoires, les emb�ches, lesficelles, les sournoiseries. Et les travers, et les faiblesses !

Non, Maurice ne se signe pas en quittant la tombe deGustave Z�d�. Sa pri�re, �a fait longtemps qu'il l'a faite. C'�tait aucimeti�re aussi, le marin, mais pas celui qu'on chante.

Maintenant, il presse un peu le pas, sort du cimeti�re,traverse le boulevard Raspail, suit le trottoir sur cinquantem�tres, prend, � gauche, la rue Campagne Premi�re, d�serte �cette heure, et chaude, en ce 13 juillet ensoleill�. Arriv� � lamoiti� de la rue, il voit sortir du garage, de � son � garage, unhomme, jeune et sap� comme un milord.

― Georges !

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Georges se retourne. ― Sap� comme un roi, le p'tit prince ! Tu t'es fait

relinguer pour de vrai !― Bonjour M'sieur Maurice, c'est qu'on va voir du beau

linge, � s'que vous m'avez dit.― Oui, mais quand m�me, c'est pas l'Prix d'l'Arc de Tri-

omphe. Pour cette teuf, OK, la pelure pallas, tu pourras la sortir.Mais, dis donc, p'tit prince, qu'est-ce que t'as fait d'Ren� ?

― Vous aviez pas dit au singe de passer prendre vot'dame ?

― Ah oui, j'oubliais. J'esp�re qu'il a pris une de mescaisses au moins.

― Oui, M'sieur Maurice, la TR3, c'est la seule o� lacapote �tait rang�e.

― Bon, apr�s le restau, vous m'rejoindrez au jardin duLuxembourg, pr�s d'la fontaine M�dicis. T'y s'ras pour quatreheures, et le singe, � quatre heures dix. Mais vous y allez s�pa-r�ment. Toi, t'iras l�-bas par la rue d'Assas et la rue Guynemeret Ren� passera par le Boul'Mich. Et vous vous connaissez pas,c'est compris ? Tiens, tu glisseras s'papier dans la fouille � Ren�,discretos, pour les consignes.

Maurice et Georges arrivent � la Closerie des Lilas.Maurice a r�serv� une table pour quatre, en terrasse. Pas deTriumph rouge d�capot�e en vue. Le voiturier confirme, le singeet Odile ne sont pas arriv�s. L'ami Jeannot, � l'accueil, ouvre laporte aux deux arrivants.

― Bonjour Monsieur Maurice, bonjour Monsieur. Regar-dez Monsieur Maurice, je vous ai gard� la table l�-bas dans lecoin. Vous serez tranquilles et � l'ombre.

― Merci Jeannot, vous d'manderez au ma�t'd'h�tel d'nousservir un Bourgogne blanc en attendant les autres.

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― Un Meursault vous ferait plaisir ?Ce code �tait signe qu'il y avait de la maison poulaga �

une table voisine. Champ libre, �'aurait �t� � Nous avons un jolipetit Saint-V�ran �.

― Demandez-lui plut�t un Pouilly-Fuiss�. On continueraavec les fruits d'mer.

― Bien Monsieur Maurice. Ah, voil� Madame et votrechauffeur. Voulez-vous que je leur serve la m�me chose ?

― Oui Jeannot, �a s'ra tr�s bien.Odile s'approche de la table, fait une bise � Maurice et

s'assied en face de lui. Ren�, en Levi's et blaser marine, confiesa casquette au premier loufiat qu'il voit et rejoint les autres.

― D�sol�e pour le retard mon ch�ri, mais j'ai demand� �Ren� de me conduire aux Trois Moutons, dans le douzi�me. Jeleur avais achet� un jouet pour l'anniversaire d'Alain mais il nemarche pas. J'ai bien v�rifi�, il est en panne et ils me l'ontchang�.

― Tu as bien fait ma puce. Alors, � vot' sant� � tous !― � votre sant� Monsieur Maurice ! r�pondent en chœur

les deux acolytes. Maurice fait signe au ma�tre d'h�tel et commande un plat

de fruits de mer pour tout le monde.― Vous avez vu les journaux ? J'voudrais bien savoir quel

est l'enfant d'salaud qui se sert d'un m�me de huit ans pourbraquer une banque.

― C'est vrai ? demande Odile.― Moi, j'ai pas lu l'journal, c'est quoi l'histoire ? demande

Georges.― Moi non plus, ajoute Ren�.Maurice, d�s sa question pos�e, avait vu deux t�tes se

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retourner vers lui. � trois m�tres tout au plus. Touteconversation s�rieuse �tait impossible.

― Eh bien il faudrait vous t'nir un peu au courant les jeunes.Y a pas k'la m�canique dans la vie. J'vais quand m�me pas vousinviter � d�jeuner pour vous faire la lecture du journal. Ma puce, sit'as besoin d'la voiture, tu pourras la garder s't'apr�s-midi. Moi,j'vais faire un tour au Luxembourg. J'vais r'garder les joueurs debridge. Par ce beau temps, y en aura beaucoup, et des fois qu'y leurmanque un joueur ! Ren�, c'est quand tes vacances ?

― J'y suis, en vacances, M'sieur Maurice. Demain, c'estf�ri�, et j'reprends l'seize ao�t.

Et de continuer la conversation sur les vacances et lesfruits de mer sur le Bourgogne blanc. Maurice invite ses amis �les rejoindre, lui, sa femme et son fils Alain, en Bretagne o� ilsiront camper. Il y a des fÖtes de la mer tout l'�t�, dans tous lesports. Et Maurice ne manque pas d'amis pour les inviter surleurs bateaux.

Il est deux heures et demie. Ils se s�parent. Le voiturierpart chercher la petite Triumph. Maurice et sa femme l'attendentsur le trottoir. Le p'tit prince se dirige vers la rue d'Assas et lesinge vers le boulevard Saint-Michel. Maurice le suit des yeux,attendant qu'il ait mis la main dans la poche de son veston.

La voiture est l�. Maurice embrasse tendrement sa femmeet s'en va, prenant la direction du m�tro Vavin.

Odile monte dans la voiture, d�marre, traverse leboulevard en franchissant all�grement la ligne blanche, prend larue Boissonnade, tourne � droite boulevard Raspail et encore �droite la rue Campagne Premi�re, entre dans le Grand Garage,monte la rampe – trois �tages –, gare la voiture, la ferme etprend celle d'� c�t�, une deuche de 1949, capote en toile, vitrescoupe-doigts, capot moteur en t�le ondul�e et tout.

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Il n'y a pas un chat � cet �tage, enti�rement r�serv� auxvoitures de Maurice. Elle oriente le r�troviseur pour d�faire sonchignon, arranger sa coiffure, changer de rouge � l�vres – unbleu ; elle d�boutonne sa blouse blanche et passe un chemisierbleu turquoise, refait son vernis � ongles – bleu aussi. Ellereplace le r�troviseur et d�marre. Au bout de la rue CampagnePremi�re elle tourne � droite, direction Port-Royal.

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MAURICE A TOURN� � DROITE rue Paul S�journ� et rejoint la rueJoseph Bara par la rue Notre-Dame-des-Champs Il se dirige versla rue Michelet et le square de l'avenue de l'Observatoire avantd'entrer au Luxembourg.

Arriv� dans le jardin, il se dirige vers le grand bassin o�les enfants font naviguer leur bateau ou un voilier de location. Ils'assied dans un des fauteuils rest�s libres, le plus pr�s possiblede la fontaine M�dicis. Il v�rifie que ses amis sont bien l�-bas,un de chaque c�t� du bassin. Ils y sont, Georges fumant et Ren�lisant un journal qu'il a d� acheter en chemin. Il n'y a que tr�speu de monde autour d'eux. Pas un seul homme. Il est vrai quel'endroit, frais et ombrag�, n'attire pas les gens qui cherchent lesoleil.

IL N'EST QUE 3 HEURES. Maurice attend, regardant les enfantspousser leur voilier, courir de l'autre c�t� du bassin pourl'attraper avant qu'il ne heurte le bord du bassin, le retourner etle repousser encore vers le large. Il se l�ve, traverse l'all�edevant le palais du S�nat et va se m�ler, du c�t� de l'Orangerie,

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aux nombreux curieux qui regardent les joueurs d'�checs et lesjoueurs de bridge. De l�, il peut encore apercevoir ses deuxcoll�gues. Il reste encore une demi-heure avant le rendez-vous.

Maurice s'est maintenant arr�t� � c�t� de la table du joueuren costume cravate. �a fait longtemps qu'il le conna�t. C'est leseul joueur qu'il ait jamais vu jouer les coups dont il raffole, lui,des coups comme ceux que les midships lui avaient appris, � laRoyale, pendant les longues attentes d'avitaillement dans lesports du bout du monde : des impasses multiples, insens�es, descoups d'anthologie comme le coup de l'empereur ou le baiser Üla reine, des squeezes en chassÄ-croisÄ…Un plaisir.

REN� S'EST RAPPROCH� DE GEORGES. Il s'est assis � deux m�tres delui, du m�me c�t� du bassin. C'est signe que le terrain estpropre. Maurice va pouvoir les rejoindre. Dix minutes encore, sirien ne bouge. Le signal, c'est quand Ren� ira demander unecigarette � Georges et s'assi�ra � c�t� de lui.

C'est bon. Georges et Ren� sont maintenant assis � c�t�l'un de l'autre. Maurice fait cent m�tres, choisit un fauteuil unpeu plus loin, � deux m�tres d'eux, et d�plie son journal, le LibÄdu matin.

― C'est quoi s'te merde ? demande Maurice � voix basse,le nez dans son canard.

― C'est ma faute, r�pond le singe, ils sont trop bien faitsces calibres. Dans l'tas, y en a un k'j'ai confondu, voil�.

Entendant �a, le p'tit prince en laisse tomber sa cigarette. ― C'est donc pour �a ! Avec ta connerie, c'est moi

qu'avais un p�tard en plastique ! Et vu qu'y servait plus � rien,j'te l'ai r'fil� � un client qu'attendait aussi, devant le guichet,juste apr�s moi. Note que comme �a les poulets y m'ont laiss�partir. Y z'ont m�me pas fouill� l'sac.

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― Oui, et maintenant y va falloir qu'on la r�pare vot'bavure de merde. On va quand m�me pas laisser s'm�me s'fairecabaner, et avec sa vieille en plus. Mais l�, j'ai pas compris, quic'est qu'a tir� ? T'expliques �a comment, toi ?

― Ben, M'sieur Maurice, pendant qu'vous attendiez auparking FNAC, le singe il est venu pour distribuer ses cadeaux.� toutes les meufs qu'�taient l�, il leur filait un flingue. � C'estpour les enfants ! � qu'y leur disait avec sa tronche de clown. Etles meufs elles se marraient, elles lui disaient merci au singe. Etfallait les voir quand il leur mimait � c'est un hold-up ! �. Elless'y croyaient. Et le m�me, y voulait jouer aussi. Alors sa m�reelle lui a refil� le sien de jouet. Le singe il �tait d�j� ressorti etl�, le m�me il a r�p�t� � c'est un hold-up ! � en criant aussi fortqu'y pouvait, et il a aussi jou� avec la g�chette.

― Mais le p�ze, qui t'l'a donn� � toi ?― C'est all� tr�s vite. Le mec de la caisse �tait refroidi du

premier coup et son voisin y s'est pr�cipit� sur le tiroir-caissepour le mettre en s�curit�. Comme j'�tais l'seul qui s'agitait pasavec un flingue, il m'a fourgu� le tout dans mon cabas en disant� filez vite ! �. Le m�me y l’a d�zingu� aussit�t et y continuaitd'tirer dans tous les sens, et m�me quand les poulets ontd�barqu�. C'est l'premier qu'est mal tomb�. Les autres, yz'attendaient dehors et y z'arr�taient toutes celles qu'avaient unflingue � la main. Moi j'regardais, mais y disaient � tout l'mondequ'�tait sur le trottoir � �cartez-vous ! �cartez-vous ! �. Alorsj'me suis tir�.

― Et t'a fait quoi apr�s, pass'que moi, c'est une plombeque j't'ai attendu.

― J'ai pas os� y aller, au parking. J'suis rentr� au garageet j'ai rang� l'sac dans l'coffre de vot' deuche.

― Alors �a, s't'un comble. Et c'est la mienne de meuf

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qui s'trimballe dans Paname avec le pacson. Faudra qu'on mette�a au carr� les enfants. J'y viendrai lundi au garage, et j'veuxk't'y rapportes le sac samedi au poissonnier. Je t'ai bien ditsamedi, et pas entre dix heures et midi ! T'as pig� ? Et foutez-moi le camp, bande de noeuds, j'veux plus vous voir !

Maurice a cong�di� ses adjoints. Ils sont partis chacun deleur c�t�. Lui reste l�, assis, pendant un long moment, cherchant� ne pas penser, ni � Odile et la dedeuche, ni – et encore moins –au drame que doit vivre en ce moment toute la famille de cetenfant et de sa maman. Il change enfin de fauteuil pour s'assoirau bout du bassin, � un endroit encore ensoleill�. Il a main-tenant toute la perspective du bassin devant les yeux, entre lesmurets, jusqu'� la haute fontaine. Magique ! Quel g�nie, celuiqui a construit ce bassin. De l'eau en pente ! La mar�e haute �ses pieds, la mar�e basse � l'autre bout du bassin, sous lafontaine. Cette fontaine qui n'arr�te pas de couler pour remplirce creux de mer qui ne se remplit jamais. La plan�te Terre entrente m�tres de bassin. La houle fig�e sur un versant de houle.Maurice aurait bien envie de se mettre � l'eau et de se laisserglisser le long de la pente, sur le dos, sans nager, tournant sim-plement les yeux vers les promeneurs m�dus�s. Catherine deM�dicis avait-elle pass� commande d'un tel chef-d'œuvre ?�tait-ce l'id�e du ma�on ? Ce sont des id�es comme celle-ciqu'il aimerait avoir, le Maurice. Des id�es qui interpellenttellement le t�moin, le spectateur, qu'il est conduit � se poser desquestions, les fausses questions, et � se perdre.

Ce serait �a � la bonne id�e �, une id�e simple qui conduit� des heures de perplexit� pour aboutir � l'�vidence qu'il n'y apas d'id�e, que c'est � un non cas � : retour � la case d�part !Maurice a deux jours pour la trouver.

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� L'ANGLE DE LA RUE DE LA CHAUSS�E D'ANTIN et du boulevardHaussmann, Odile est embarrass�e. Elle a rempli son caddie dejouets pour Alain et de babioles pour son mari ch�ri. Et passeulement un caddie, mais deux. Le premier est rest� audeuxi�me �tage des Galeries Lafayette, sous la surveillance d'ungardien du magasin, l'autre, qu'elle retient devant elle � l'entr�ede la rampe du parking sous-terrain, c'est celui qu'elle avait� emprunt� � pour faire quelques achats suppl�mentaires dansles boutiques voisines. Il est clair qu'elle ne s'en tirera pas touteseule. Il y a bien les ascenseurs du grand magasin mais il fautmonter un �tage pour payer aux caisses automatiques, appelerl'ascenseur de cet �tage et descendre au parking, au quatri�mesous-sol. Odile n'aime pas faire appel aux agents de police maisdans sa situation, elle n'a gu�re le choix. Elle appelle doncl'agent en faction au carrefour qui, tr�s courtoisement, luipropose de lui confier la surveillance de son caddie et de reveniravec sa voiture et l'autre caddie pour charger ses paquets. Il lalaissera stationner un court instant sur le passage pi�tonnier.

Elle remercie � Monsieur l'agent � qui met aussit�t unpoint d'honneur � poser sa main sur le bord du caddie, entre

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dans les Galeries, prend l'escalier roulant – deux �tages –,remercie le vigile qui, lui aussi, gardait encore conscien-cieusement une main sur le caddie, pousse l'engin jusqu'auxportes des ascenseurs, appuie sur le bouton, entre dans lepremier ascenseur qui s'ouvre devant elle, appuie sur le boutondu premier �tage, ressort avec le caddie, s'approche d'une descaisses de p�age, fouille dans son sac � main, en ressort sonticket de parking et son portefeuille, sort sa carte de cr�dit,enfonce le ticket, voit s'afficher la somme � payer – 12 € –,enfile la carte bancaire, compose son code secret, reprend leticket, repousse son caddie vers les ascenseurs, appuie sur unbouton d'appel, entre dans l'ascenseur, appuie sur le bouton duquatri�me sous-sol, ressort de l'ascenseur, se dirige vers la portesignal�e Zone verte, cherche la 2 CV et finit par la trouver,coince le caddie contre la voiture voisine pour �viter qu'il ned�vale tout l'�tage qui est en assez forte pente, r�ussit � d�graferles attaches �lastiques de la capote, � l'arri�re de la voiture,remarque le grand cabas qui occupe � peu pr�s un tiers duvolume de ce qu'on peut appeler � un coffre � mais ne s'en�tonne pas outre mesure – � Maurice est d�cid�ment distrait �,se dit-elle –, entasse son chargement de jouets aussi bien qu'ellepeut, rabaisse la capote mais sans l'attacher, abandonne lecaddie vide � son sort, ouvre la porti�re avant – �a fait long-temps que cette voiture n'a plus de serrure –, s'installe au volant,d�marre, conduit en suivant les fl�ches jaunes peintes sur le solpour indiquer la sortie des voitures, s'engage dans le colima�onqu'elle remonte en premi�re, s'arr�te devant la borne jaune pourintroduire son ticket, repousse la demi-vitre et la claque aussifort que possible pour qu'elle reste attach�e le temps de passerson bras, glisse le ticket dans la fente, attend qu'il ressorte, leretire, replie son bras, mais pas assez vite.

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La demi-vitre retombe au moment o� elle finit de retirer samain et lui entaille profond�ment le majeur et l'annulaire de lamain gauche. Elle saigne. Elle ressort de la voiture, soul�ve lacapote arri�re, fouille dans les affaires entass�es en d�sordre,fait signe � la voiture qui attend derri�re en klaxonnant qu'ellepeut attendre encore un peu, finit par trouver un paquet demouchoirs kleenex, en sort deux, les enroule autour de sesdoigts, se remet au volant et r�appara�t au grand jour. Le flic n'apas boug�, le caddie non plus qu'il tient encore d'une mainferme. Odile tente une manœuvre au milieu du carrefour mais,n'y arrivant pas, se plie aux indications du policier qui lui faitsigne de se ranger sur le trottoir. Elle arr�te le moteur, sort de lavoiture et montre sa main au policier qui prend aussit�t l'airapitoy� qui convient.

― Ne vous en faites pas Madame, je vais m'occuper deranger tout �a dans votre coffre.

― S'il vous plait, Monsieur l'agent, vous �tes bienaimable.

Plusieurs passants se sont attroup�s pour voir la sc�ne. Cen'est pas si fr�quent de voir un flic garder le caddie d'une clientesur le trottoir du boulevard Haussmann et ce n'est pas plusfr�quent de pouvoir admirer de si pr�s une dedeuche � premiermod�le �. Il y a tellement de monde que m�me les pi�tons nepeuvent plus circuler sur le trottoir. Ils passent carr�ment sur lachauss�e, cr�ant un bouchon qui augmente de minute en minute.Enfin, la situation peut s'�claircir avec l'arriv�e en voiture pie,giro allum�, d'une �quipe de renfort, avec quatre hommes � bord– dont deux femmes.

Leurs r�les sont vite attribu�s : un homme pour lacirculation des voitures et des bus, un homme et une femmepour �carter les badauds, l'autre femme pour aider l'aimable et

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courageux gardien de la paix et du caddie. (Il en est bienconscient, lui, du nombre de m�nag�res qui se font arracher leursac et voler leurs achats, sur ce trottoir.)

― La p�gre ! Bient�t, vous verrez, on en viendra auxhold-up de caddies, croyez-moi Madame ! dit le gentil policier �l'oreille de la douce Odile.

― Mon Dieu, j'esp�re bien que �a n'arrivera pas. Ils ontbien mieux � faire avec les banques, ne pensez-vous pas ?

― Mais d�trompez-vous ch�re Madame, les casses debanques, c'est termin� ! Depuis hier, la loi anti-hold-up est enapplication. Il va bien falloir qu'ils se reconvertissent, tous cesmonte-en-l'air, ou qu'ils s'assagissent !

― Ah, je n'savais pas. Vous voyez, Monsieur l'agent, ilfinira quand m�me par faire quelque chose, notre gouverne-ment. Mais moi, comment vais-je m'y prendre avec tous cesachats ? Jamais je ne pourrai faire entrer tout �a � l'arri�re de mavoiture, c'est d�j� plein ! Vous comprenez, Monsieur l'agent, j'aivoulu leur faire plaisir � tous ces enfants qui seront ce soir � lamaison pour f�ter l'anniversaire de mon fils. Et � mon mariaussi. Vous savez, lui, c'est un marin. La mer, c'�tait son m�tier,pendant longtemps m�me, dans la Marine Nationale. Alors pourlui qui adore jouer avec l'ordinateur, j'ai achet� une petitemerveille de jouet �lectronique. C'est le dÄbarquement deNormandie en miniature. Mais en vrai, Monsieur l'agent !Figurez vous que toutes les pi�ces sont mobiles et command�espar l'ordinateur. Les soldats, les bateaux, les tanks, les voitures,les canons, les mitrailleuses, tout ! Et m�me la mer ! Lemonsieur du comptoir, dans le magasin, il en faisait la d�mons-tration en faisant � la tempÖte �. Tous les bateaux tombaientdans les grands creux des vagues. Et on peut jouer � plusieurs.L'ordinateur compte les points. Par exemple, un soldat allemand

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qui tombe, vous gagnez un point, un soldat alli�, vous en perdezun, un command-car allemand, vous gagnez dix points, unep�niche qui d�barque des soldats sur la plage, c'est vingt points,un Panzer aussi. Le seul probl�me, c'est la place. Rien que pourla plage et les falaises, �a prend cinq m�tres. Et la mer aussi,avec tous les bateaux. Mais pour les vacances � la campagne,c'est g�nial. Je suis s�re que mon mari va adorer.

� CE MOMENT, la quasi totalit� des badauds de sexe masculindispara�t et se pr�cipite dans le magasin. Du trottoir, on peut lesvoir monter quatre � quatre les marches de l'esca-lator. Sansdoute pour arriver les premiers sur le stand des maquettes�lectroniques.

― Vous devriez voir ce jeu, Monsieur l'agent, �a vouspassionnerait.

― Sans doute, Madame, mais occupons-nous d'abord devos affaires si vous voulez bien.

Odile s'approche de la voiture et soul�ve la toile de lacapote arri�re.

― Vous voyez, Monsieur l'agent, je n'sais pas commentnous allons pouvoir encore mettre tous ces paquets.

― Nous avons une solution, Madame. Mireille, veux-tualler jusqu'� la Peugeot et prendre deux grands sacs dans lecoffre ?

La fliquette s'ex�cute et revient avec deux immenses sacsen plastique arm�, blancs, tout neufs.

― Vous voyez, Madame, dans la police, on est pr�voyant.C'est tellement fr�quent, les gens qui perdent leurs affaires.

― Ah, ce gros cabas, � gauche, c'est � mon mari. Il a dul'oublier. Il n'y aura qu'� le vider dans le fond du sac. Il s'end�brouillera bien tout seul.

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Les bleus saisissent le cabas, chacun par une poign�e, lesoul�vent et, dans un vif balancement, le vident d'un seul coupau fond du grand sac dont les bords, sous l'effet du choc, serabattent aussit�t. On entendit comme un bruit sourd, commecelui que feraient, en tombant par terre, de lourds objets dem�tal soigneusement emball�s dans du papier de soie.

― Faut esp�rer qu'elles sont bien emball�es, les affairesde votre mari, parce que sur le macadam, attention � la casse !

― Oh, pour �a, oui, il est adroit, croyez-le bien.― Tant mieux, parce que vous savez, Madame, il y en a

qui y laisseraient des fortunes, sur le trottoir, � force d'�tren�gligents.

― Vous avez raison, et les gens croient qu'il suffit de sebaisser pour ramasser des millions ! Le travail, �a, plus personnen'en veut.

Le flic et la fliquette ont fini de remplir les sacs. Ils lesportent dans le coffre. Odile referme la capote avec soin, seconfond en remerciements et se r�installe au volant. La fliquettese place au milieu du carrefour et arr�te la circulation de fa�on �faciliter la manœuvre d'Odile pour sortir de cette emplacementbien peu commun. L'agent se pr�pare � stopper les pi�tons quis'aventureraient derri�re la voiture au moment de la marchearri�re. Odile attache sa ceinture et tire sur le bouton du d�mar-reur. Une fois, deux fois... dix ou quinze fois. Rien ne se passe.On a entendu la batterie rendre l'�me.

Odile sort de la voiture.― Il ne manquait plus que �a ! Et c'est bien le jour ! C'est

toujours sur moi que �a tombe, les pannes de la voiture de monmari. Ah, me voil� bien, tiens ! L'agent s'approche. La fliquetterelance la circulation et revient sur le trottoir.

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― Chef, voulez-vous que j'appelle la d�panneuse ?― Non Madame, ne faites pas �a, je vais appeler le

m�cano du garage de mon mari. Il viendra avec son coll�gue etune d�panneuse. Je vais les attendre et je rentrerai en taxi.

― Bien, appelez donc votre m�cano, mais nous allonsvous raccompagner avec vos paquets. Ma coll�gue surveilleravotre voiture pendant ce temps.

― Vous �tes vraiment trop aimables. Vu le d�lai qui mereste pour pr�parer cette soir�e, j'accepte bien volontiers.

Et les bleus de d�charger les sacs et de les mettre dans lecoffre de leur voiture.

** *

LE P'TIT PRINCE ET LE SINGE arrivent dans l'heure, r�parent etrepartent au Grand Garage. Odile, dans ce nouveau taxi, voit lafliquette Mireille d�barqu�e au poste du quartier Op�ra etremplac�e par un cond�. En civil celui-ci, et il se met au volant.Giro allum�, l'�quipage arrive devant le 8 de la rue duCommandant Mouchotte, l'adresse des Le Menech. Tout lemonde descend. Les bleus se chargent des sacs. Le cond� fermela marche. Odile appelle l'ascenseur. Ils montent au huiti�me etsortent de l'ascenseur. Odile s'approche de la porte de gauche.Un homme � sa gauche, un � sa droite, le cond� derri�re sondos, tous les trois sont comme au garde-�-vous, colt � la ceinture– sauf le cond� qui le porte � un autre endroit.

― Mon sac ! s'�crie Odile. J'ai oubli� mon sac dans lavoiture ! Je l'avais pos� sur le si�ge � c�t� de moi...

N'ayant donc pas ses clefs, elle sonne.

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ISBN n� 978-2-917899-00-7

Achev� d'imprimer en juillet 2008par TheBookEdition.com

� Lille (Nord-Pas-de-Calais)Imprim� en France

D�p�t l�gal 20081204-65548

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