Octave Uzanne La Fin Des Livres

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FIN DES LIVRES LA

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Octave Uzanne La Fin Des Livres

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  • FIN DES LIVRES

    LA

  • LA

    '~FINDES LIVRES

    E fut, il y a deux ans environ,a Londres, que cette questionde la tin des Livres et de leur

    complte transformation fut

    agite en un petit groupe de Bi-

    bliophiles et d'rudits, au coursd'une soire mmorable dont

    )e souvenir restera srement

    grav dans la mmoire Je chacun des assistants.

    Nous nous tions rencontrs, ce soir-),

    qui se trouvait tre un des vendredis scientifiquesde la Hoyale Institution, la confrence de

    sir \Vi))iam Thompson, l'minent physicien anglais, professeur l'Uni-

  • CONTES POUR LES BIBLIOPHILES.

    versit de Glascow, dont le nom est connu des deux mondes depuis la

    part qu'il prit la pose du premier cble transatlantique.

    Devant un auditoire brillant de savants et de gens du monde, sir

    William Thompson avait annonc

    Se basant sur les thories de Helmholtz que le soleil est une vaste

    sphre en train de se refroidir, c'est--dire de se contracter par l'effet de

    la gravit sur la masse mesure que ce refroidissement se produit, sir

    William, aprs avoir estim la chaleur solaire celle qui serait nces-

    saire pour dvelopper une force de ~y.ooo millions de chevaux-vapeur

    par mtre carr superficiel de sa photosphre, avait tabli que le rayon de

    la photosphre se raccourcit d'un centime environ en 2,ooo ans et quel'on pouvait fixer l'heure prcise oii la temprature deviendrait insuffisante

    pour entretenir la vie sur notre plante.Le maitre physicien nous avait non moins surpris en abordant la

    question de l'anciennet de la terre, dont il dveloppait la thse ainsi

    qu'un problme de mcanique pure; il ne lui attribuait point un pass

  • LA FIN DES LIVRES.

    suprieur une vingtaine de millions d'annes, en dpit des gologues et

    des naturalistes, et il montrait la vie venant la terre ds la naissance du

    soleil, quelle qu'ait t l'origine de cet astre fcondant, soit par le

    rsultat de l'clatement d'un monde prexistant, soit par celui de la con-

    densation de nbuleuses antrieurement diffuses.

    Nous tions sortis de la Royale Institution trs mus par les grands

    problmes que le savant professeur de Glascow s'tait efforc de

    rsoudre scientifiquement devant t

    son auditoire, et, l'esprit endo-

    lori, presque cras par l'nor-mit des chiffres avec lesquelssir William Thompson avait

    jongl, nous revenions, silen-

    cieux, en un groupe de huit

    personnages diffrents, philo-

    logues, historiens, journalistes,

    statisticiens et simples curieux

    mondains, marchant deux par

    deux, le long d'Albemarle street

    et de Piccadilly.L'un de nous, Edward Lem-

    broke, nous entrana souper au

    ./

  • CONTES POUR LES BIBLIOPHILES.

    rencontreront, s'y battront et y mourront, mais la civilisation et le progrsne s'y installeront que dans des milliers d'annes, alors que la prospritdes tats-Unis sera sur son dclin et que de nouvelles et fatales volutions

    assigneront un nouvel habitat aux ensemencements du gnie humain.

    Julius Pollok, un doux vgtarien et savant naturaliste, se plut

    imaginer ce qu'il adviendrait des moeurs humaines, quand, grce la

    chimie et la ralisation des recherches actuelles, l'tat de notre vie

    sociale sera transform et que notre nourriture, dose sous forme de

    poudres, de sirops, d'opiats, de biscuits, tiendra en un petit volume. Alors

    plus de boulangers, de bouchers, de marchands de vin, plus de restau-

    rants, plus d'piciers, quelques droguistes, et chacun libre, heureux,

    susceptible de subvenir ses besoins pour quelques sous; la faim biffe

    du registre de nos misres, la nature rendue elle-mme, toute la surface

    de notre plante verdoyante ainsi qu'un immense jardin rempli d'om-

    brages, de fleurs et de gazons, au milieu duquel les ocans seront com-

    parables de vastes pices d'eau d'agrment que d'normes steamers

    hrisss de roues et d'hlices parcourront des vitesses de cinquante et

    soixante nuds, sans crainte de tangage ou de roulis.

    Le cher rveur, pote en sa manire, nous annonait ce retour l'ged'or et aux murs primitives, cette universelle rsurrection de l'antiquevalle de Temp pour la fin du x\~ sicle ou le dbut du xxi' Selon lui,les ides chres lady Tennyson triompheraient brve chance, le

    monde cesserait d'tre un immonde abattoir de btes paisibles, un affreux

    charnier dress pour notre gloutonnerie et deviendrait un jardin dlicieux

    consacr l'hygine et aux plaisirs des yeux. La vie serait respecte dans

    les tres et dans les plantes, et dans ce nouveau paradis retrouv ainsi

    qu'en un Muse des Crations de Dieu, on pourrait inscrire partout cet

    avis au promeneur Prire de ne pas toucher.

    La prdiction idaliste de notre ami Julius Pollok n'eut qu'un succs

    relatif; on reprocha son programme un peu de monotonie et un excs

    de religiosit panthiste; il sembla quelques-uns qu'on s'ennuierait

    ferme dans son Eden reconstruit, au bnfice du capital social de tout

    l'Univers, et l'on vida quelques verres de champagne de plus afin de

    dissiper la vision de cet avenir lact rendu aux pastorales, aux gorgiques, toutes les horreurs de la vie inactive et sans lutte.

    x Utopie que tout cela! s'cria mme l'humoriste John Pool; les

    animaux, mon cher Pollok, ne suivront pas votre progrs de chimiste et

    continueront s'enu'c-dvorcr selon les lois mystrieuses de la cration;la mouche sera toujours le vautour du microbe, de mme que l'oiseau le

    plus inoffensif est l'aigle de la mouche, le loup s'offrira encore des gigotsde moutons et la paisible brebis continuera comme par le passe tre

    la panthre de l'herbe. Suivons la loi commune qui rgit l'volution

    du monde et, en attendant que nous soyons dvors, dvorons, c

  • LAFtNDESUVRES.

    '7

    Arthur Blackcross, peintre et critique d'art mystique, sotrique et

    symboliste, esprit trs dlicat et fondateur de la dj clbre cole des

    Esthtes de ~cma! fut sollicit de nous exprimer ce qu'il pensait devoir

    advenir de la peinture d'ici un sicle et plus. Je crois pouvoir rsumer

    exactement son petit discours dans les quelques lignes qui suivent

    t Ce que nous appelons /rf moderne est-il vraiment un art, et

    le nombre d'artistes sans vocation qui l'exercent mdiocrement avec

    apparence de talent ne dmontre-t-ilpas suffisamment qu'il est plutt unmtier ou l'me cratrice fait dfaut ainsi que la vision? Peut-on

    donner le nom d'oeuvres d'art aux cinq-siximes des tableaux et statues

    qui encombrent nos salons annuels, et compte-t-on vraiment beaucoupde peintres ou de statuaires qui soient des crateurs originaux?

    Nous ne voyons que des copies de toute sorte copies des vieux

    maitres accommods au got moderne, reconstitutions toujours fausses

  • CONTF.SPOUnLESBfBLIOPHtLES

    d'poques jamais disparues, copies banales de la nature vue avec un il

    de photographe, copies mticuleuses et mosa

  • LA FIN DES HVRES.

    thtre peut nous exprimer d'une faon suffisante, et l'on poussera l'art,entin rendu sa propre essence, vers Ics rgions leves oit nos rveries

    cherchent toujours des voies, des tigures et des symboles..< L'art sera appel exprimer les choses lui semblent intraduisibtes,

    veiller en nous. par la ~amme des coutcurs. des sensations musicates. atteindre notre appareil cercbra)

    dans toutes ses sensibilits mme

    les plus insaisissables, enve-

    lopper nos multiformes volup-

    Lt'nneambhmcc exquise,attire chanter

    dans un accord rationnel toutes les

    sensations de nos organes les plus dlicats; il violen-

    tera le mcanisme de notre pense et s'efforcera de

    renverser quelques-unes de ces barrires materielles

    qui emprisonnent notre intelligence. esclave des sens qui la font vivre.

    L'art sera alors une aristocratie ferme la production sera rare,

    mystique, dvote, suprieurement personnelle. Cet art comprendra peut-tre dix douze aptres par chaque gnration ct, qui sait! une centaine

    au plus de disciples fervents.

    En dehors de l, la photographie en couleur, la photogravure,

    l'illustration documente suffiront la satisfaction populaire. Mais les

    saluns tant interdits, les paysagistes ruins par la photopeinture, les

    sujets d'histoire tant poss desormai-- par des modles suggestionns,

    exprimant ta volont de l'oprateur la douleur, l'tonnement, l'acca-

  • CONTES POUR LES BIBLIOPHILES.

    blement, la terreur ou la mort, toute la peinturographie en un mot

    devenant une question de procds mcaniques trs divers et trs exacts,comme une nouvelle branche commerciale, il n'y aura plus de peintresau xj:['' sicle, il y aura seulement quelques saints hommes, vritables

    fakirs de ride et du beau qui, dans le silence et l'incomprhension des

    masses, produiront des chefs-d'uvre dignes de ce nom. n

    Arthur Blackcross dveloppa lentement et minutieusement sa vision

    d'avenir, non sans succs, car notre visite la Royale Acadmie n'avait

    gure t, cette anne-l, plus rconfortante que celles faites Paris nos

    deux grands bazars de peinture nationale, soit au Champ de Mars, soit

    aux Champs-Elyses. On pilogua quelque temps sur les ides gnrales

    exposes par notre convive symboliste, et ce fut le fondateur lui-mme

    de l'cole des .E'e~M de ~MM/n qui changea le cours de la conver-

    sation en m'apostrophant brusquement Eh bien! mon cher bibliophile, ne parlez-vous pas votre tour;

    ne nous direz-vous pas ce qu'il adviendra des lettres, des littrateurs

    et des livres d'ici quelque cent ans? Puisque nous rformons ce soir

    notre guise la socit future, apportant chacun un rayon lumineux dans

    la sombre nuit des sicles venir, clairez-nous de votre propre phare

    tournant, projetez votre lueur l'horizon.

    Ce furent des x Oui! oui. f des sollicitations pressantes et cor-

    diales, et, comme nous tions en petit comit, qu'il faisait bon s'couter

    penser et que l'atmosphre de ce coin de club tait chaude, sympathiqueet agrable, je n'hsitai pas improviser ma confrence.

    La voici

    '< Ce que je pense de la destine des livres, mes chers amis.

    La question est intressante et me passionne d'autant plus que jene me l'etais jamais pose jusqu' cette heure prcise de notre runion.

    Si par livres vous entendez parler de nos innombrables cahiers de

    papier imprim, ployer cousu, broch sous une couverture annonantle titre de l'ouvrage, je vous avouerai franchement que je ne crois point,

    et que les progrs de l'lectricit et de la mcanique moderne m'in-

    terdisent de croire, que l'invention de Gutenberg puisse ne pas tomber

    plus ou moins prochainement en dsutude comme interprte de nos

    productions intellectuelles.

    L'imprimerie que Rivarol appelait si judicieusement l'artillerie de

    la pense et dont Luther disait qu'elle est le dernier et le suprme don

    par lequel Dieu avance les choses de l'Evangile, l'Imprimerie qui a

    chang le sort de l'Europe et qui, surtout depuis deux sicles, gouverne

    l'opinion, par le livre, la brochure et le journal; l'imprimerie qui,

    dater de 1436, rgna si despotiquement sur nos esprits, me semble me-

    nace de mort, mon avis, parles divers enregistreurs du son qui ont t

    rcemment dcouverts et qui peu peu vont largement se perfectionner.

  • LA FIN DES LIVRES.

    't Maigre les progrs normes apports successivement dans la science

    des presses, en dpit des machines composer faciles conduire et quifournissent des caractres neufs Mcbement mouls dans des matrices

    mobiles, il me parat que l'art o excellrent successivement Fuster,

    SchoeSer, Estienne et Vascosan, Alde Manuce et Nicolas Jenson, a

    atteint son apoge de perfection, et que nos petits-neveux ne confieront

    plus leurs ouvrages ce procd assez vieillot et en ralit facile rem-

    placer par la phonographie encore ses dbuts, n

    Ce fut un tolte d'interruptions et d'interpellations parmi mes amis

  • CONTES POUR LES BIBLIOPHILES,

    et auditeurs, des: oh! tonns, des: ah! ironiques, des: eh! eh! remplisde doute et, se croisant, de furieuses dngations a Mais c'est impos-sible Qu'entendez-vous par l? J'eus quelque peine reprendrela parole pour m'expliquer plus loisir.

    Laissez-moi vous dire, trs imptueux auditeurs, que les ides que

    je vais vous exposer sont d'autant moins affirmatives qu'elles ne sont

    aucunement mries

    par la rflexion et

    que je vous les sers

    telles qu'elles m'ar-

    rivent, avec une ap-

    parence de paradoxe;mais il n'y a gure

    que les paradoxes

    qui contiennent des

    vrits, et les plus

    folles prophties des

    philosophes du xvni

    sicle se sont aujour-d'hui dj en partieralises.

    Je me base

    sur cette constata-

    tion indniable quel'homme de loisir re-

    pousse chaque jour davantage la fatigue et qu'il recherche avidement ce

    qu'il appelle le confortable, c'est--dire toutes les occasions de mnagerautant que possible la dpense et le jeu de ses organes. Vous admettrez

    bien avec moi que la lecture, telle que nous la pratiquons aujourd'hui,amne vivement une grande lassitude, car non seulement elle exige de

    notre cerveau une attention soutenue qui consomme une forte partie de

    nos phosphates crbraux, mais encore elle ploie notre corps en diverses

    attitudes lassantes. Elle nous force, si nous lisons un de vos grands

    journaux, format du T~'meA', dployer une certaine habilet dans l'art

    de retourner et de plier les feuilles; elle surmne nos muscles tenseurs,si nous tenons le papier largement ouvert; enfin, si c'est au livre que nous

    nous adressons, la ncessit de couper les feuillets, de les chasser tour

    tour l'un sur l'autre produit, par menus heurts successifs, un nervement

    trs troublant la longue. Or, l'art de se pntrer de l'esprit, de la gaiet et des ides d'autrui

    demanderait plus de passivit; c'est ainsi que dans la conversation notre

    cerveau conserve plus d'lasticit, plus de nettet de perception, plusde batitude et de repos que dans la lecture, car les paroles qui nous sont

  • LAFtNDESUVRES.

    transmises par le tube auditif nous donnent une vibrance spciale des

    cellules qui, par un effet constat par tous les physiologistes actuels et

    passs, excite nos propres penses. Je crois donc au succs de tout ce qui flattera et entretiendra la

    paresse et Fgo'isme de l'homme; l'ascenseur a tu les ascensions dans

    les maisons; le phonographe dtruira probablement l'imprimerie. Nos

    yeux sont faits pour voir et reflter les beauts de la nature et non

    pas pour s'user la lecture des textes; il y a trop longtemps qu'on en

    abuse, et il n'est pas besoin d'tre un savant ophtalmologiste pourconnatre la srie des maladies qui accablent notre vision et nous

    astreignent emprunter les artifices de la science optique.

    Nos oreilles, au contraire, sont moins souvent mises contribution;elles s'ouvrent tous les bruits de la vie, niais nos tympans demeurent

    moins irrits; nous ne donnons pas une excessive hospitalit dans ces

    golfes ouverts sur les sphres de notre intelligence, et il me plat d'ima-

    giner qu'on dcouvrira bientt la ncessit de dcharger nos yeux pour

    charger davantage nos oreilles. Ce sera une quitable compensation

    apporte dans notre conomie physique gnrale. n

    K Trs bien, trs bien! soulignaient mes camarades attentifs. Maisla

    mise en pratique, cher ami, nous vous attendons l. Comment supposez-vous qu'on puisse arriver construire des phonographes la fois assez

    portatifs, lgers et rsistants pour enregistrer sans se dtraquer de longsromans qui, actuellement, contiennent quatre, cinq cents pages; sur quels

    cylindres de cire durcie clicherez-vous les articles et nouvelles du jour-

    nalisme enfin, l'aide de quelles piles actionnerez-vous les moteurs

    lectriques de ces~M~ur.! phonographes? Tout cela est expliquer et ne

    nous parat pas d'une ralisation aise. x

    Tout cela cependant se fera, repris-je; il y aura des cylindres in-

    scripteurs lgers comme des porte-plumes en cellulod, qui contiendront

    cinq et six cents mots et qui fonctionneront sur des axes trs tnus quitiendront dans la poche; toutes les vibrations de la voix y seront repro-

    duites on obtiendra la perfection des appareils comme on obtient la

    prcision des montres les plus petites et les plus &OM.t-; quant l'lec-

    tricit, on la trouvera souvent sur l'individu mme, et chacun actionnera

    avecfacilit par son propre courant fluidique, ingnieusement capt et

    canalis, les appareils de poche, de tour de cou ou de bandoulire quitiendront dans un simple tube semblable un tui de lorgnette.

    a Pour le livre, ou disons mieux, car alors les livres auront vcu, pourle HOfe~ ou storyograplze, l'auteur deviendra son propre diteur, afin

    d'viter les imitations et contrefaons; il devra pralablement se rendre

    au Patent C~c~ pour y dposer sa voix et en signer les notes basses et

    hautes, en donnant des contre-auditions ncessaires pour assurer les

    doubles de sa consignation.

  • CONTES POUR LES BIBLIOPHILES,

    Aussitt cette mise en rgle avec la loi, l'auteur parlera son oeuvre

    et la clichera sur des rouleaux enregistreurs et mettra en vente lui-mmeses cylindres patents, qui seront livrs sous enveloppe la consomma-tion des auditeurs.

    On ne nommera plus, en ce temps assez proche, les hommes de

    lettres des e'c~-n~M, mais plutt des )Mrra

  • LfTTh.KATt.'Rt.KTMrSiorK.ATHOM).

  • LA FIN DES LIVRES.

    .88

    Coquehn. le .S/M/.M~Mre d'Irving, le Dante de Salvini, le Dumas fils

    d'lonore Duce, le Hugo de Sarah Bernhardt, le Balzac de Mounet Sully,

    tandis que Ghe,M!lton,Byron, Dickens, Emcrson,Tennyson, Musset

    et autres auront t vibrs sur cylindres par des diseurs de choix.

    K Les bibliophiles, devenus les j3/!0no~'f!jj/iop/

  • CONTES POUR LES BIBLIOPHILES.

    Les auteurs privs du sentiment des harmonies de la voix et des

    Vexions ncessaires une belle diction emprunteront le secours de

    gagistes, acteurs ou chanteurs pour emmagasiner leur uvre sur les

    complaisants cylindres. Nous avons aujourd'hui nos secrtaires et nos

    copistes; il y aura alors des ~AoMt'.s/f~ et des c/aniHfM. interprtantles phrases qui leur seront dictes par les crateurs de littratures.

    a Les auditeurs ne regretteront plusie temps ou on les nommait

    lecteurs; leur vue

    repose, leur visage rafrachi, leur nonchalance heureuse indiqueront

    tous les bienfaits d'une vie contemplative.tendus sur des sophas ou bercs sur des )'"c/));c/)fT/)' ils joui-

    ront, silencieux, des mer''eilleuses aventures dont des tubes flexibles

    apporteront le rcit dans leurs oreilles dilates par la curiosit.

    Soit la maison, soit la promenade, en parcourant pdestrementles sites les plus remarquables et pittoresques, les heureux auditeurs

    prouveront le plaisir ineflable de concilier l'hygine et l'instruction,

    d'exercer en mme temps leurs muscles et de nourrir leur intelligence,

    car il se fabriquera des ~Aono-~e~ft~ro~/tc. de poche, utiles pendantl'excursion dans les montagnes des Alpes ou travers les Canons du

    Colorado.

    Votre rve est trs aristocratique, insinua l'humanitaire Julius

    Pollok; l'avenir sera sans aucun doute plus dmocratique. J'aimerais,

    je vous l'avoue, voir le peuple plus favoris.

  • LA FIN DES LIVRES.

    11 le sera. mon doux pote, repris-je allgrement, en continuant

    dvelopper ma vision future, rien ne manquera au peuple sur ce

    point; il pourra se griser de littrature comme d'eau claire, bon

    compte, car il aura ses distributeurs littraires desrues comme il a ses

    fontaines.

    A tous les carrefours des villes, des petits difices s'lveront autour

    desquels pendront, l'usage des passants studieux, des tuyaux d'audi-

    tion correspondant a des n-'uvrcs faciles mettre en action par la seule

    pression sur un bouton indicateur. -D'autre part, des sortes d'automatic

    libraries, mues par le dclenchement opr par le poids d'un penny jet

    dans une ouverture, donneront pour cette faible somme les ouvres de

    Dickens, de Dumas pre ou de l.on~fello\v, contenues sur de longs rou-

    leaux faits pour tre actionns domicile.

    Je vais mme audel: l'auteur qui voudra exploiter personnellementses uvres la faon des trouvres du moyen ge et qui se plaira les

    colporter de maison en maison pourra en tirer un bnfice modr et

    toutefois rmunrateur en donnant en location a tous les habitants d'un

  • CONTES POUH LES BIBLIOPHILES.

    mme immeuble une infinit de tuyaux qui partiront de son magasin

    d'audition, sorte d'orgue port en sautoir pour parvenir par les fentres

    ouvertes aux oreUIes des locataires dsireux un instant de distraire leur

    loisir ou d'gayer leur solitude.

    K Moyennant quatre ou cinq cents par heure, les petites bourses,

    avouez-le; ne seront pas ruines et l'auteur vagabondencaissera des droits relativement importants par la mul-

    tiplicit des auditions fournies chaque maison d'un mme

    quartier.f< Est-ce tout?. non pas encore, le ~0)!o~7't!p/n))f

    futur s'offrira nos petits-fils dans toutes les circonstances

    de la vie; chaque table de restaurant sera munie

    de son rpertoire d'uvresphonographies,

    de mme les voitures publiques, les salles

    d'attente, les cabinets des steamers,les halls et les chumbres d'htel pos-sderoi-it des ~Ao~ogy~Ao/t~t~

    l'usage des passagers. Les chemins

    de fer remplaceront les parloir-cars

    par des sortes de ~H/2

  • LA FIN DES LIVRES.

    Ce seront des voix du monde entier qui se trouveront centralises

    dans les rouleaux de cellulotd quela poste apportera chaque matin

    aux auditeurs abonns; les valets

    de chambre et les chambrires au-

    ront l'habitude de les disposer dans

    leur axe sur les deux paliers de la

    machine motrice et ils ap-

    porteront les nouvelles au

    matre ou la maitresse,

    l'heuredu rveil tlgrammesde l'tranger, cours de la

    Bourse, articles fantaisistes,revues de la veille, on pourratout entendre en r-

    vant encore sur la

    tideur de son oreiller.

    "Le journalismesera naturellement

    transform, les hautessituations seront r-

    serves aux jeunes

    hommes solides, la voix forte,chaudement timbre, dont l'art

    de dire sera plutt dans la

    prononciation que dans la re-

    cherche des mots ou la forme des

    phrases. Le mandarinisme

    littraire disparatra, les

    lettrs n'occuperont plus

    qu'un petit nombre infime

    d'auditeurs; mais le point

    important sera d'tre vite

    renseign enq uelques mots

    sans commentaires. Il yaura dans tous les omces

    de journaux des halls

    normes, des spoking-hallso les rdacteurs enre-

    gistreront haute voix les

    nouvelles reues les d-

    pches arrives tlphoniquement se trouveront immdiatement inscrites

    par un ingnieux appareil tabli dans le rcepteur de l'acoustique. Les

  • CONTES POUR LES BIBLIOPHILES.

    cylindres obtenus seront clichs grand nombre et mis la poste en

    petites botes avant trois heures du matin, a moins que, par suite d'une

    entente avec la compagnie des tlphones, l'audition du journal ne

    puisse tre porte domicile par les fils particuliers des abonns, ainsi

    que cela se pratique dj pour les thetrophones. n

    William Blackcross, l'aimable critique et esthte qui jusque-l avait

    bien voulu prter at-

    tention, mon fantai-

    siste bavardage sans

    m'interrompre,jugeale moment opportunde m'interroger:

    Permettez-moi

    de vous demander,

    dit-il,comment vous

    remplacerez l'illus-

    tration des livres?

    L'homme, qui est un

    ternel grand enfant,rclamera toujoursdes images et aimera

    voir la reprsenta-tion des choses qu'il

    imagine ou qu'on luiraconte.

    Votre objection, repris-je, ne me dmonte pas; l'illustration sera

    abondante et raliste; elle pourra satisfaire les plus exigeants. Vous

    ignorez peut-tre la grande dcouverte de demain, celle qui bientt nous

  • LA FIN DES LIVRES.

    stupher.i. Je veux parler du XjNKTOGRAfHF. de Thomas dison, dont j'ai

    pu voir les premiers essais a Orange-Park dans une rcente visite faite

    au grand lectricien prs de New-Jersey.Le KtNHroGRAt'HE enregistrera le mouvement de l'homme et le

    reproduira exactement comme le phonographe enregistre et reproduit sa

    voix. D'ici cinq ou six ans. vous apprcierez cette merveille base sur la

    composition des gestes parla photographie instantane; le kintographe

    sera donc l'illustrateur de la vie quotidienne. Non seulement nous le

    verrons fonctionner dans sa boite, mais, par un systme de glaces et de

    rnecteurs, toutes les figures actives qu'il reprsentera en photo-chromos

    pourront tre projetes dans nos demeures sur de grands tableaux blancs.

    Les scnes des ouvrages fictifs et des romans d'aventures seront mimes

    par des figurants bien costums et aussitt reproduites; nous aurons

    galement, comme complment au journal phonographique, les illus-

    trations de chaque jour, des 7'fttnc/i~ de' vie active, comme nous disons

    aujourd'hui, fraichement dcoupes dans l'actualit. On verra les pices

    nouvelles, le thtre et les acteurs aussi facilement qu'on les entend djchez soi; on aura le portrait et, mieux encore, la physionomie mouvante

    des hommes clbres, des criminels, des jolies femmes; ce ne sera pasde l'art, il est vrai, mais au moins ce sera la vie elle-mme, naturelle,sans maquillage, nette, prcise et le plus souvent mme cruel!

    Je vous rpte, mes amis, que je ne conois ici que d'incertaines

    possibilits. Qui peut se vanter, en effet, parmi les plus subtils d'entre

    nous de prophtiser avec sagesse? Les crivains de ce temps, disait dj

  • CONTES POUR LES BIBLIOPHILES.

    notre cher tiatzac. sont les manoeuvres d'un avenir cache par un rideau

    de plomb. Si Voltaire et Rousseau revoyaient la France actuelle, ils ne

    souponneraient gurc les douze annes lui furent, de )~8~ t.Soo, les

    langes de Napolon.H est donc vident, dis-je, en terminant ce trop vague aperu de la

    .