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MISE AU POINT 32 | La Lettre du Cardiologue n° 466-467 - juin-septembre 2013 Chirurgie bariatrique et complications cardiovasculaires Bariatric surgery and cardiovascular outcome in morbid obesity L. Lucas-Martini*, J. Aron-Wisnewsky*, A. Basdevant* * Service de nutrition, pôle cardio- métabolisme, hôpital de la Pitié- Salpêtrière ; ICAN, Institut de cardiologie métabolisme et nutrition ; université Pierre-et-Marie-Curie, Paris. L a chirurgie de l’obésité, dite “chirurgie baria- trique”, connaît un développement rapide en France. En 2011, 30 000 interventions ont été réalisées, et l’on estime que depuis l’avènement de cette procédure il y a près de 15 ans, plus de 200 000 personnes ont subi cette intervention. La place occupée par la chirurgie bariatrique s’ex- plique par la progression épidémiologique de la maladie, notamment de ses formes graves, par l’efficacité de cette chirurgie et par les progrès des techniques chirurgicales. La chirurgie s’adresse aux personnes atteintes d’obésité sévère, voire massive, dont la prévalence se situe aux alentours de 4 % de la population française adulte. Le cardiologue est concerné à plus d’un titre par cette chirurgie. Il peut être sollicité dans le cadre du bilan préopératoire et en postopératoire pour adapter les traitements ; il peut être conduit à envisager cette option thérapeutique devant un patient “cardiolo- gique” dont l’obésité a un impact sur la fonction cardiaque. En effet, l’amélioration de cette dernière passe par une perte de poids importante ; enfin, il doit connaître les bénéfices et les inconvénients cardiovasculaires de cette chirurgie. Tableau. Risques relatifsa de complications cardiovasculaires et diabète de type 2 associés au surpoids et à l’obésité. Surpoids Obésité Homme Femme Homme Femme Diabète de type 2 (9 études) IMC* TT* 2,4 (2,1-2,7) 2,2 (1-3,1) 3,9 (3,1-4,9) 3,4 (2,4-4,7) 6,7 (5,5-8,1) 5,1 (3,8-6,9) 12,4 (9,0-17,0) 11,1 (8,2-14,9) Hypertension artérielle (4 études) IMC TT 1,2 (1,1-1,5) ND* 1,6 (1,2-2,1) 1,3 (1,2-1,5) 1,8 (1,5-2,2) ND 2,4 (1,5-3,6) 1,9 (1,7-2,0) Cardiopathie ischémique (11 études) IMC TT 1,2 (1,1-1,4) 1,4 (1,1-1,7) 1,80 (1,6-1,9) 1,82 (1,4-2,3) 1,8 (1,4-2,2) 1,7 (1,2-2,5) 1,7 (1,0-2,9) 3,5 (2,6-4,7) Insuffisance cardiaque (4 études) IMC 1,3 (0,9-1,7) 1,27 (0,6-2,3) 1,7 (1,2-2,5) 1,7 (1,0-2,9) Embolie pulmonaire (1 étude) IMC 1,9 (1,3-2,6) 1,9 (1,3-2,6) 3,5 (2,6-4,7) 3,5 (2,6-4,7) Accident vasculaire cérébral (7 études) IMC 1,2 (1,1-1,3) 1,1 (1,0-1,3) 1,5 (1,3-1,7) 1,4 (1,2-1,7) a Risque relatif avec intervalle de confiance à 95 %. * IMC : indice de masse corporelle ; TT : tour de taille ; ND : non déterminé. Les seuils utilisés pour IMC et TT étaient : surpoids ≥ 25 kg/m2 ; ≥ 80/94 cm H/F ; obésité ≥ 30 kg/m2 ; ≥ 88/102 cm H/F.

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MISE AU POINT

32 | La Lettre du Cardiologue • n° 466-467 - juin-septembre 2013

Chirurgie bariatrique et complications cardiovasculaires Bariatric surgery and cardiovascular outcome in morbid obesity

L. Lucas-Martini*, J. Aron-Wisnewsky*, A. Basdevant*

* Service de nutrition, pôle cardio-métabolisme, hôpital de la Pitié-Salpêtrière ; IC AN, Institut de cardiologie métabolisme et nutrition ; université Pierre-et-Marie-Curie, Paris.

La chirurgie de l’obésité, dite “chirurgie baria-trique”, connaît un développement rapide en France. En 2011, 30 000 interventions ont été

réalisées, et l’on estime que depuis l’avènement de cette procédure il y a près de 15 ans, plus de 200 000 personnes ont subi cette intervention.La place occupée par la chirurgie bariatrique s’ex-plique par la progression épidémiologique de la maladie, notamment de ses formes graves, par l’efficacité de cette chirurgie et par les progrès des techniques chirurgicales. La chirurgie s’adresse aux personnes atteintes d’obésité sévère, voire massive,

dont la prévalence se situe aux alentours de 4 % de la population française adulte. Le cardiologue est concerné à plus d’un titre par cette chirurgie. Il peut être sollicité dans le cadre du bilan préopératoire et en postopératoire pour adapter les traitements ; il peut être conduit à envisager cette option thérapeutique devant un patient “cardiolo-gique” dont l’obésité a un impact sur la fonction cardiaque. En effet, l’amélioration de cette dernière passe par une perte de poids importante ; enfin, il doit connaître les bénéfices et les inconvénients cardiovasculaires de cette chirurgie.

Tableau. Risques relatifsa de complications cardiovasculaires et diabète de type 2 associés au surpoids et à l’obésité.

Surpoids Obésité

Homme Femme Homme Femme

Diabète de type 2 (9 études)

IMC*TT*

2,4 (2,1-2,7)2,2 (1-3,1)

3,9 (3,1-4,9)3,4 (2,4-4,7)

6,7 (5,5-8,1)5,1 (3,8-6,9)

12,4 (9,0-17,0)11,1 (8,2-14,9)

Hypertension artérielle (4 études)

IMCTT

1,2 (1,1-1,5)ND*

1,6 (1,2-2,1)1,3 (1,2-1,5)

1,8 (1,5-2,2)ND

2,4 (1,5-3,6)1,9 (1,7-2,0)

Cardiopathie ischémique (11 études)

IMCTT

1,2 (1,1-1,4)1,4 (1,1-1,7)

1,80 (1,6-1,9)1,82 (1,4-2,3)

1,8 (1,4-2,2)1,7 (1,2-2,5)

1,7 (1,0-2,9)3,5 (2,6-4,7)

Insuffisance cardiaque (4 études)

IMC 1,3 (0,9-1,7) 1,27 (0,6-2,3) 1,7 (1,2-2,5) 1,7 (1,0-2,9)

Embolie pulmonaire (1 étude)

IMC 1,9 (1,3-2,6) 1,9 (1,3-2,6) 3,5 (2,6-4,7) 3,5 (2,6-4,7)

Accident vasculaire cérébral (7 études)

IMC 1,2 (1,1-1,3) 1,1 (1,0-1,3) 1,5 (1,3-1,7) 1,4 (1,2-1,7)

a Risque relatif avec intervalle de confiance à 95 %.* IMC : indice de masse corporelle ; TT : tour de taille ; ND : non déterminé. Les seuils utilisés pour IMC et TT étaient : surpoids ≥ 25 kg/ m2 ; ≥ 80/94 cm H/F ; obésité ≥ 30 kg/m2 ; ≥ 88/102 cm H/F.

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La Lettre du Cardiologue • n° 466-467 - juin-septembre 2013 | 33

Points forts » La chirurgie de l’obésité est une option thérapeutique majeure dans la prise en charge de l’obésité

morbide. » Elle diminue la morbimortalité cardiovasculaire et globale. » Rôle majeur de la chirurgie bariatrique dans la prévention et la rémission de certaines complications

cardiovasculaires. » Il existe 2 types de chirurgie bariatrique : les chirurgies dites “restrictives” et les courts-circuits intes-

tinaux associant restriction et malabsorption. » Le traitement chirurgical implique un suivi médical à vie visant à dépister les complications chirurgicales,

nutritionnelles et carentielles.

Mots-clésObésitéChirurgie bariatrique Facteurs de risque cardiovasculaireMorbimortalité

Highlights » Bariatric surgery is a major

therapeutic option in the treat-ment of morbid obesity.

» The cardiologist may be requested as part of preopera-tive assessment. He also may be led to consider this treat-ment option for “cardiologic” patient, which obesity has an impact on cardiac function. Finally, he may address his patient for weight loss before cardiac surgery.

» Bariatric surgery reduces weight loss and maintenance over its time. It also improves or resolves some obesity related disease and reduced cardio-vascular and overall mortality. It is indicated after the failure of a conventional treatment in severe obesity.

» There are two types of bariatric surgery: restrictive surgeries (laparoscopic adjust-able gastric banding, vertical banded gastroplasty or lapa-roscopic sleeve gastrectomy) and mix surgery combining both restriction and malabsorp-tion (Roux en Y gastric by pass, laparoscopic mini gastric by pass, biliopancreatic diversion).

» Surgical treatment requires medical monitoring for life, to screen surgical complications and potential nutritional defi-ciency.

KeywordsObesity

Bariatric surgery

Cardiovascular risk

Morbi-mortality

Du point de vue du nutritionniste ou du chirurgien de l’obésité, les enjeux cardiovasculaires sont une des principales justifications de la chirurgie bariatrique. Le retentissement cardiovasculaire de l’obésité rend compte, pour une large part, de l’augmentation du risque de morbidité et de mortalité associé à l’excès de poids : HTA, hypertrophie ventriculaire gauche (HVG), insuffisance cardiaque, coronaropathie, troubles du rythme, pathologie thromboembolique (1) et autres risques exposés dans le tableau (2). Les facteurs impli-qués sont multiples : degré d’excès de poids, gain de poids au cours de la vie, répartition du tissu adipeux, facteurs de risque cardiovasculaire associés et séden-tarité. Les mécanismes en cause sont complexes et intriqués avec l’intervention de facteurs hémodyna-miques, métaboliques (insulinorésistance associée à l’adiposité abdominale) et inflammatoires, auxquels s’ajoutent l’effet local de la graisse cardiaque sur les artères coronaires, la fonction myocardique. Chez les patients obèses massifs, le retentissement respiratoire (syndrome d’apnées du sommeil [SAS], hypoventi-lation alvéolaire, hypertension artérielle pulmonaire [HTAP]) aggrave la situation cardiovasculaire. Si une perte de poids modérée de 5 à 10 %, grâce à des conseils sur l’alimentation et à une activité physique, permet de diminuer les facteurs de risque et la morbidité cardiovasculaire (intolérance au glucose, HTA) [1, 3], ces méthodes ont une efficacité souvent limitée dans le temps. La chirurgie baria-trique représente à ce jour la stratégie de réduction pondérale la plus efficace à long terme. Elle prévient et améliore les complications de l’obésité ainsi que la qualité de vie (4, 5).L’objet de cette revue est de décrire les effets de cette chirurgie sur la mortalité, les facteurs de risque cardiovasculaire et l’atteinte cardiologique chez le patient obèse.

Chirurgie bariatrique : indications, techniques et résultats

La chirurgie bariatrique est un traitement de seconde intention, proposé à la suite de l’échec de prises en charge médicales spécialisées, bien conduites et

multidisciplinaires. Avant l’intervention, un bilan est réalisé par une équipe médicochirurgicale visant à dépister et à traiter les complications de l’obésité, à optimiser la prise en charge nutritionnelle et à préciser la situation psychologique et sociale du patient (1). Il s’agit à la fois de préparer l’anesthésie, l’acte chirurgical dans les meilleures conditions somatiques et d’identifier les facteurs de succès ou d’échec de la chirurgie.Les indications chirurgicales sont un indice de masse corporelle (IMC) ≥ à 40 kg/ m2 ou ≥ 35 kg/m2, avec au moins une comorbidité susceptible d’être améliorée par la perte de poids (diabète, HTA, SAS, insuffisance cardiaque, arthrose, etc.) [4]. Les contre-indications sont des troubles majeurs du comportement alimentaire, des troubles psychiques sévères, des addictions (alcool, toxique), un âge < 18 ans ou > 60 ans, un risque anesthésique excessif, une maladie mettant en jeu le pronostic vital à court et à moyen terme et la non-compliance au suivi médical. Certaines de ces contre-indications ne sont que relatives, l’âge en particulier (1). Il existe actuellement 2 principaux types de procé-dure :

# les chirurgies dites “restrictives” qui diminuent la capacité gastrique (anneau gastrique ajustable [AGA], Sleeve Gastrectomy [SG] ou gastrectomie en manchon et Gastric Vertical Banding [GVB]) ;

# les chirurgies dites “malabsorptives” qui sont des courts-circuits digestifs associant à une restriction une malabsorption plus ou moins importante (By Pass Gastric [BPG] ou court-circuit gastrique de type Roux-en-Y, mini-BPG, diversion biliopancréatique [DBP]). Ces techniques chirurgicales sont réalisées par cœlioscopie dans la quasi-totalité des cas, ou par laparotomie en cas d’échec ou de complications per-opératoires. Cette revue ne traitera que des chirur-gies les plus pratiquées, à savoir le GVB, la SG, l’AGA et le BPG (figure, p. 34). Les autres montages sont à risque de complications majeures (malabsorption avec un risque de dénutrition, diarrhée entravant la qualité de vie, carences vitaminiques, néphropathie oxalique pouvant conduire à l’insuffisance rénale terminale), et sont très peu pratiqués en France. La décision chirurgicale fait l’objet d’une décision pluridisciplinaire lors d’une réunion de concertation

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Chirurgie bariatrique et complications cardiovasculaires MISE AU POINT

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Figure. Schéma des différentes techniques chirurgicales.A. AGA : a : poche gastrique, b : anneau gastrique ajustable, c : boîtier sous-cutané.B. Sleeve gastrectomy : d : estomac réséqué.C. BPG : e : petite poche gastrique, f : estomac exclu, g : duodénum, i : anse biliaire, h : anse alimentaire gastro-jéjunale.

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médicochirurgicale pluridisciplinaire (RCP) asso-ciant chirurgiens, nutritionnistes, psychologues et diététiciennes. Elle est prise en accord avec les choix du patient. Selon l’étude de référence suédoise (Swedish Obesity Study : SOS) [6, 7], le nadir de perte de poids est maximal entre la première et la deuxième année suivant la chirurgie, et son importance varie selon les techniques. L’AGA est l’intervention la plus simple mais également la moins effi cace sur le poids ; elle permet en moyenne une perte de poids d’environ 20 % à 1 an. La GVB, en revanche, permet une perte de poids de 25 % en moyenne sur 1 an ; enfi n, le BPG permet de perdre 32 % du poids initial à 1 an. Il est important de rappeler que la chirurgie ne constitue qu’une partie du traitement de l’obésité et qu’il faut y associer les conseils diététiques et une activité physique régulière qui permettront de stabiliser le poids sur le long terme et de préserver la masse maigre. Nous reviendrons sur les bénéfi ces cardio-vasculaires de la chirurgie bariatrique. Les chirurgies bariatriques exposent à des complica-tions chirurgicales et médicales. Le taux de mortalité périopératoire est estimé à environ 1 à 5 ‰ alors qu’il est, à titre d’exemple, de 2 % pour un pontage coronarien. Ce taux est d’autant plus bas que la chirurgie est réalisée dans un centre de référence (dont le seuil d’activité recommandé en France est de 30 interventions par chirurgien et par an) [4]. Les principales causes médicales de décès postopératoire précoce sont l’embolie pulmonaire et l’insuffi sance cardiaque.

Les complications des anneaux gastriques tiennent principalement au retentissement du dispositif en silastic sur la fi lière digestive (bascule de l’anneau, dilatation œsophagienne, érosion gastrique, etc.), et la perte d’effi cacité à plus ou moins long terme, de sorte que la moitié des anneaux nécessitent d’être démontés. Le BPG expose à des complica-tions chirurgicales qui peuvent être plus ou moins précoces et redoutables (fi stules, hernie interne) et à des complications nutritionnelles carentielles à moyen et à long terme. La SG peut majorer un refl ux gastro-œsophagien et se compliquer d’une fi stule gastrique. Les complications médicales sont dominées, en dehors de l’embolie pulmonaire postopératoire, par la dénutrition, les carences vitaminiques et en oligoéléments (la carence en vitamine B1 peut exposer à de redoutables complications neurolo-giques, syndrome de Gayet-Wernicke avec le risque de syndrome de Korsakoff, atteintes neuropathiques ou cérébelleuses) et la lithiase urinaire. Le BPG peut se compliquer de malaises postprandiaux précoces, le “dumping syndrome” (< 20 minutes) ou tardif (1 à 3 heures après le repas, avec d’authentiques hypo-glycémies < 0,6 g/l). À ces complications somatiques s’ajoute un possible retentissement psychologique lié aux modifi cations de l’image de soi et des rela-tions avec les autres (risque de dépression). Il est important que le patient soit clairement informé des avantages et des inconvénients de cette chirurgie, des risques encourus et de la nécessité d’un suivi durable (1).

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Diminution de la mortalité cardiovasculaire après chirurgie de l’obésité

T.D. Adams et al., en 2007 (3), ont montré une diminution du taux de mortalité chez les obèses opérés d’un BPG. Cette large étude rétrospective cas-témoins a inclus 7 925 patients obèses opérés d’un BPG et 7 925 patients obèses non opérés appariés selon l’âge, le sexe et l’IMC entre 1984 et 2002 et suivis en moyenne 7,1 ans. Le taux de mortalité des patients obèses opérés a diminué de 40 % toutes causes confondues, par rapport au groupe témoin. De plus, la réduction du nombre de décès par corona-ropathie ou diabète chez les patients obèses opérés était respectivement diminuée de 56 % et 92 % par rapport au groupe témoin. L’étude SOS (7), certes non randomisée mais prospective, a inclus 2 010 patients obèses ayant bénéficié d’une chirurgie bariatrique, comparés à 2 037 patients obèses, bénéficiant d’une prise en charge habituelle (régime diététique et acti-vité physique) et appariés selon le sexe, l’âge et les facteurs de risque cardiovasculaire, servant de groupe témoin. La durée de suivi a été en moyenne de 14,7 années. À noter que les critères d’inclusion étaient moins drastiques que ceux des recomman-dations françaises (IMC > 34 chez les hommes et > 38 chez les femmes). Les différentes tech-niques chirurgicales étaient le BPG pour 13,2 % des patients, l’AGA pour 18,7 % et le GVB pour 68,1 %. Cette étude montre que la chirurgie baria-trique est associée à une réduction du nombre de décès cardiovasculaires de 53 % : 28 décès de cause cardiovasculaire dans le groupe chirurgical contre 49 décès dans le groupe témoin (hazard-ratio [HR] ajusté = 0,47 ; p = 0,002). On note également une réduction du nombre d’événements cardio-vasculaires mortels et non mortels (infarctus du myocarde et AVC) dans le groupe chirurgical de 33 % : 199 événements dans le groupe chirur-gical par rapport aux 234 événements du groupe témoin (HR ajusté = 0,67 ; p < 0,001). Cette étude se poursuit et les résultats se confirment au fil du temps. De manière intéressante, dans cette étude, les patients avec une insulinorésistance préopéra-toire bénéficient d’une plus importante réduction des événements cardiovasculaires, alors que cette amélioration n’est corrélée ni à la perte de poids, ni à l’IMC préopératoire. L’estimation du nombre de vies sauvées après 7,1 ans de suivi est de 136 pour 10 000 BPG (6).

Amélioration des facteurs de risque cardiovasculaire et apnées du sommeil

La chirurgie bariatrique permet une amélioration, voire la rémission de certaines comorbidités cardio-vasculaires par rapport aux patients obèses non opérés, ainsi que la prévention de l’apparition de complications cardiovasculaires (5, 6, 8).Selon les études, environ 1/3 des personnes obèses sont diabétiques en préopératoire (5). Le diabète s’améliore, voire disparaît dans 76 % des cas après la chirurgie. Néanmoins, la définition de la rémission du diabète reste controversée selon les différentes études. En effet, l’American Diabetes Associa-tion (ADA) et H. Buchwald (9), en 2009, donnent une définition stricte de la rémission complète du diabète : normalisation de la glycémie à jeun (< 1 g/l) en l’absence de traitement pendant 1 an avec une HbA1C < 6 %. D’autres auteurs proposent une définition plus large de la rémission du diabète : glycémie à jeun < 1,26 g/l et HbA1C < 6,2 % (10). Quelques facteurs prédictifs de rémission du diabète en réponse à la chirugie bariatrique ont été identifiés. Ainsi, la rémission est plus importante s’il s’agit d’un diabète évoluant depuis moins de 10 ans, bien équi-libré (HbA1C proche de 7 %), non insulinoréquérent, en l’absence de complications et chez un patient d’âge jeune. Enfin, le taux de rémission dépend du type de chirurgie réalisée (DBP > GBP > SG > AGA), de la perte de poids et de la réduction de la taille adipocytaire mesurée grâce aux biopsies de tissu adipeux (5, 10). En effet, la dérivation bilio-pancréa-tique est la chirurgie la plus efficace sur le poids et sur le diabète ; cependant, ce n’est pas la chirurgie la plus fréquente, en raison des complications majeures qu’elle entraîne. Selon ces définitions et le type de chirurgie pratiquée, le taux de rémission varie de 40,6 % avec le BPG selon la définition de l’ADA contre 57,5 % selon la définition plus ancienne de Schauer (11). Le BPG, qui comprend une dérivation intestinale, a une efficacité métabolique supérieure à la restriction gastrique isolée. Même si une étude récente montre que la SG et le BPG ont une effi-cacité identique sur l’HbA1C à 1 an de la chirurgie, le BPG apporte un meilleur taux de rémission du diabète (11). En effet, chez les patients atteints de diabète de type 2, le BPG restaure la sécrétion post-prandiale d’insuline, indépendamment de la perte de poids, et permet de réduire de moitié le taux de mortalité dû à un infarctus du myocarde chez tous les patients opérés (6, 12, 13).

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Près de 1 patient obèse sur 2 est hypertendu avant la chirurgie (5) et 51 % des patients opérés améliorent, voire corrigent leur hypertension en postopératoire. La pression moyenne systolique diminue de 139 à 124 mmHg et la pression diastolique, de 87 à 77 mmHG (5, 8). La dysl ipidémie touche 46 % des patients obèses (5). Après la chirurgie, 59 % des patients ont une diminution, voire un arrêt de leur traite-ment par une statine. Cependant, sur le moyen et le long terme postopératoire (entre 2 et 10 ans), l’incidence de l’HTA et la dyslipidémie réaugmen-tent (6).Le syndrome métabolique diminue significativement au cours des 3 premiers mois après la chirurgie ainsi que d’autres marqueurs du risque cardiométabolique tels que la protéine C réactive (CRP), la fonction endothéliale et l’uricémie (5, 7, 8). Le risque relatif d’accident coronarien à 10 ans selon le score de Framingham diminue de 40 % (5, 7). La chirurgie bariatrique permet une diminution considérable de l’épaisseur du ventricule gauche (VG), indépendamment des autres comorbidités, et ce, même si les paramètres de l’obésité, tels que l’IMC et la composition corporelle (masses maigre et grasse), ont atteint une phase de plateau (5, 6, 14, 15). L’association avec un bêtabloquant permet une régression plus importante de l’épaisseur du VG (16, 17).La perte de poids après la chirurgie bariatrique permet également une diminution de la taille de l’oreillette gauche (OG) [18], indépendamment des comorbidités associées à l’obésité, et prévient la progression de son augmentation, et donc le risque de fibrillation auriculaire (FA) [17].Sur le versant pulmonaire, la majorité des études constate une amélioration, au mieux une dispa-rition du SAS dans l’année suivant la chirurgie (5, 19). Cela participe probablement aussi à la dimi-nution du risque de FA. De plus, la perte de poids améliore aussi la fonction diastolique ventriculaire droite, ralentissant la progression de la dysfonc-tion globale du ventricule droit (VD) [9, 16, 17, 19]. Après une SG, la fonction cardiaque s’est améliorée avec une fraction d’éjection allant de 20 à 45 % et de 25 à 39 % à 2 ans de la chirurgie. La chirurgie de l’obésité diminue donc la morbi-mortalité chez les patients présentant une atteinte cardiaque avérée, mais elle a aussi un rôle majeur dans la prévention de l’apparition et la rémission de certaines complications cardiovasculaires (avec une efficacité variable selon les facteurs de risque cardiovasculaire) [20].

Collaboration entre cardiologues, médecins et chirurgiens dans la prise en charge chirurgicale de l’obésitéLa prise en charge globale du patient obèse requiert la participation de nombreux spécialistes, et notamment celle du cardiologue. Il est néces-saire de dépister, prévenir et traiter les complica-tions cardiovasculaires avant l’acte chirurgical. Le médecin nutritionniste est donc conduit à adresser le patient candidat à une chirurgie bariatrique à un cardiologue afin d’identifier les conséquences cardiovasculaires de l’obésité et d’adapter au mieux les traitements dans la perspective de réduire les risques périopératoires. En postopératoire, les trai-tements de comorbidités et des facteurs de risque, notamment cardiovasculaire, seront adaptés en fonction de l’amélioration progressive de la situa-tion. Il est dans bon nombre de cas possible d’envi-sager une réduction du traitement antihypertenseur et hypolipidémiant. Les réadmissions aux urgences ne sont pas rares pour des symptômes divers allant des douleurs aux malaises mal définis. Il faut indiquer au cardiologue qu’un des signes majeurs de complication chirurgi-cale du BPG et de la SG est la tachycardie, qui peut être le seul signe visible d’une fistule digestive ou d’une hernie interne. Lorsqu’un patient opéré de chirurgie bariatrique présente en postopératoire des malaises mal définis, une gêne respiratoire et/ ou une tachycardie, une fois que l’embolie pulmo-naire est éliminée, le diagnostic à évoquer est une complication chirurgicale justifiant une exploration cœlioscopique sans retard.

Conclusion

La chirurgie bariatrique est un traitement efficace de l’obésité sévère qui permet non seulement une perte de poids mais surtout une diminution du nombre de décès cardiovasculaires et une diminu-tion de l’incidence d’événements cardiovasculaires chez les sujets obèses. La chirurgie doit s’intégrer dans une prise en charge globale et dans le conti-nuum d’une prise en charge médicale. Avant l’inter-vention, l’expertise du cardiologue est importante pour situer l’impact cardiovasculaire de l’obésité, traiter les complications existantes et préparer à l’anesthésie dans les meilleures conditions. Après

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Juillet-Août-Septembre 201303

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l’intervention, le patient devra bénéficier d’un suivi pluridisciplinaire (chirurgien et nutritionniste mais aussi cardiologue et pneumologue). Ce suivi nécessite donc une collaboration étroite entre les différents intervenants et les spécialités médicales. Au cours du suivi, le traitement de fond des comor-bidités de l’obésité initialement présentes devra être réadapté.

Le cardiologue doit savoir que devant un patient obèse massif présentant des altérations cardiovas-culaires, la chirurgie de l’obésité est une option, non dénuée de risque, mais potentiellement efficace sur les comorbidités cardiovasculaires : une collabora-tion entre cardiologue, nutritionniste et chirurgien de l’obésité permet une évaluation des avantages et des risques d’une intervention. ■

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Références bibliographiques

L. Lucas-Martini déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.