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CHAPITRE III SAVOIR EVALUER LES SOUFFRANCES PHYSIQUES ET MORALES CHEZ UN MALADE EN FIN DE VIE ETHIQUE ET DECISION EN FIN DE VIE Plan du Chapitre 3-1 Souffrance physique : La place de la douleur dans l’accompagnement des patients en fin de vie 3.1.1 Rappel des bases neurophysiologiques 3.1.2 Rappel des principes d’évaluation de la douleur 3.1.3 Echelle de prise en charge de la douleur cancéreuse de l’OMS 1- Les recommandations de bonnes pratiques du groupe expert de l’Association Européenne de Soins Palliatifs 2- Les stratégies thérapeutiques 3- Traitement s médicamenteux : Les paliers d’analgésiques pour le traitements de la douleur cancéreuses 3.1.4 Les recommandations de bonnes pratiques du groupe expert de l’Association Européenne de soins palliatifs 3-2 Le concept de souffrance totale 3.2.1 Définition 3.2.2 La souffrance spirituelle 3.2.3 La souffrance sociale 3.2.4 La souffrance mentale 3.2.5 La souffrance de l’équipe soignante 3-3 Éthique et décisions en fin de vie 3.1 Introduction 3.2 L’acharnement thérapeutique 3.2.1 Définition 3.2.2 La renonciation à l’acharnement thérapeutique : positions déontologiques 3-3 L’euthanasie 3.3.1 Définition 3.3.2 Le code déontologique 3.3.3 L’euthanasie et les missions de porter secours 3.3.4 L’euthanasie peut être qualifiée de meurtre 3.3.5 L’euthanasie et le droit de mourir dignement 3.3.6 L’exception d’euthanasie 3.3.7 Les décisions de limitation et d’arrêt de soins 3- 4 Repères pour une prise de décision dans les situations difficiles de fin de vie 3.4.1 Introduction 3.4.2 Les repères déontologiques 3.4.3 Les repères pragmatiques de la décision 3.4.4 Le concept d’éthique clinique

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CHAPITRE III SAVOIR EVALUER LES SOUFFRANCES PHYSIQUES ET MORALES

CHEZ UN MALADE EN FIN DE VIE ETHIQUE ET DECISION EN FIN DE VIE

Plan du Chapitre

3-1 Souffrance physique : La place de la douleur dans l’accompagnement des patients en fin de vie 3.1.1 Rappel des bases neurophysiologiques 3.1.2 Rappel des principes d’évaluation de la douleur 3.1.3 Echelle de prise en charge de la douleur cancéreuse de l’OMS 1- Les recommandations de bonnes pratiques du groupe expert de l’Association Européenne de Soins Palliatifs 2- Les stratégies thérapeutiques 3- Traitement s médicamenteux : Les paliers d’analgésiques pour le traitements de la douleur cancéreuses 3.1.4 Les recommandations de bonnes pratiques du groupe expert de l’Association Européenne de soins palliatifs

3-2 Le concept de souffrance totale 3.2.1 Définition 3.2.2 La souffrance spirituelle 3.2.3 La souffrance sociale 3.2.4 La souffrance mentale 3.2.5 La souffrance de l’équipe soignante

3-3 Éthique et décisions en fin de vie 3.1 Introduction 3.2 L’acharnement thérapeutique 3.2.1 Définition 3.2.2 La renonciation à l’acharnement thérapeutique : positions déontologiques

3-3 L’euthanasie 3.3.1 Définition 3.3.2 Le code déontologique 3.3.3 L’euthanasie et les missions de porter secours 3.3.4 L’euthanasie peut être qualifiée de meurtre 3.3.5 L’euthanasie et le droit de mourir dignement 3.3.6 L’exception d’euthanasie 3.3.7 Les décisions de limitation et d’arrêt de soins

3- 4 Repères pour une prise de décision dans les situations difficiles de fin de vie 3.4.1 Introduction 3.4.2 Les repères déontologiques 3.4.3 Les repères pragmatiques de la décision 3.4.4 Le concept d’éthique clinique

CHAPITRE III SAVOIR EVALUER LES SOUFFRANCES PHYSIQUES ET MORALES

CHEZ UN MALADE EN FIN DE VIE ETHIQUE ET DECISION EN FIN DE VIE

Docteur Thierry MARMET – Chef de Service – CRASP- HJD

3.1. Souffrance Physique : La place de la douleur dans l’accompagnement des patients en fin de vie

3.1.1. Rappel des bases neurophysiologiques

Il est exceptionnel que dans l’accompagnement d’un patient en fin de vie, la douleur physique soit absente.

Les différents mécanismes de la douleur physique peuvent être à l’œuvre : - La douleur par excès de nociception lorsqu’il y a une lésion tissulaire. - Les douleurs neuropathiques lorsqu’il existe une ou des lésions sur les neurones des voies de la douleur. Il convient ici d’attirer l’attention sur la situation de la cancérologie. Les traitements et le génie propre évolutif des cellules cancéreuses sont propres à créer les conditions de l’émergence d’une douleur neuropathique : la chirurgie, la radiothérapie, la chimiothérapie sont potentiellement agressives pour lesneurones de la douleur ; dans son génie évolutif, la maladie cancéreuse par compression, infiltration, envahissement médullaire peut potentiellement créer des douleurs neuropathiques. - Le mécanisme des douleurs psychogène est également très présent dans les situations de finde vie. Il n’est pas exceptionnel qu’il mobilise le souvenir de situations douloureuses vécues par desmembres proches du patient. Il est aussi habituel au travers d’un interrogatoire fin, de mettre enévidence la résurgence d’une douleur que l’on peut qualifier « cicatricielle » d’une expérience douloureuse vécue antérieurement par le patient. On peut alors la qualifier de lésion potentiellepuisque l’imagerie et la clinique ne peuvent valider la réalité de lésions tissulaires à ce moment là.C’est par exemple, le cas d’une douleur qui réapparaît dans le territoire où un patient à fait vingtauparavant un zona ; il n’avait eu aucune des douleurs classiques post-zostériennes ; à l’occasiond’une tumeur cérébrale sans aucun rapport avec le territoire incriminé, il va développer un tableau douloureux dans le métamère concerné. Mais bien souvent il s’agit d’une douleur siné-matéria qui nécessitera une attention particulière dans sa prise en charge, dans la mesure où elle nerelève pas des thérapeutiques médicamenteuses antalgiques habituelles, mais sentiellement d’uneapproche psycho-comportementale.

3.1.2. Rappel des principes d’évaluation de la douleur

Nous ne reprendrons pas ici en détail l’ensemble des connaissances et des modèles mis en œuvredans l’évaluation de la douleur mais nous tenterons de proposer une synthèse pratiqueopérationnelle dans l’accompagnement des patients en fin de vie.

1 : L’évaluation initiale de la plainte douloureuse : elle doit répondre aux cinq classiques questionsde la démarche de résolution de problème : où le patient a-t-il mal ? quand a-t-il mal ? comment a-t-il mal ? combien a-t-il mal ? et pourquoi a-t-il mal ? :

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A la réponse « où » qui doit préciser le siège et l’irradiation de la douleur, la réponse peutmobiliser le schéma du corps où le patient dessine lui-même les siège de sa ou ses douleurs, leurs irradiations, leurs superficialités ou leurs profondeurs. A la question « quand » il s’agit non seulement de faire un calendrier de la douleur dans la journée, dans la semaine où dans le temps plus généralement mais également de créer les conditions de le relier à des évènements qu’il augmentent ou la diminuent. Le principe de la feuille de surveillance horaire laissée à la disposition des patients compétents ou remplie régulièrement par l’équipe soignante dans les autres situations, semble l’outil le plus approprié pour répondre à cette question. La question « comment » comporte au moins quatre facettes : •Les mots qu’emplois le patient pour décrire sa douleur : bien entendu, on peut mobiliser les questionnaires de vocabulaire mais il y a surtout une attention à porter à l’utilisationde tous les mots qui peuvent d’une part décliner les douleurs neuropathiques (toutes lesvariations autour de la sensation de brûlures, de dysesthésies, de fulgurances…) et les maux qui réfèrent à un retentissement émotionnel à la douleur (notamment dans leregistre de la dépression). •Le retentissement de la douleur sur les actes de la vie quotidienne en soulignant qu’ils servent de support à toutes les échelles d’hétéro-évaluation. •Le retentissement de la douleur en terme de comportement : on retrouve également cescritères dans les échelles d’hétéro-évaluation. En pratique ambulatoire, cinq paramètressont particulièrement fondateur de l’hypothèse que le patient est douloureux : lacrispation de son front, la crispation de ses mâchoires, la recherche d’une attitudeantalgique, l’anticipation anxieuse des soins potentiellement douloureux, et la plainte.Dans la pratique des Soins Palliatifs où la réalisation systématique des échelles d’hétéro-évaluation pour les patients dans l’incapacité de s’exprimer est très chronophage, il estentendu, lorsque nous faisons une prescription anticipée protocolisée et singulariséepour chaque patient que si ces critères sont présents, le patient accède à une dosesupplémentaire d’antalgiques appelée entredose. •La réponse « comment » doit aussi s’attacher à repérer les signes d’accompagnementdu tableau douloureux en terme d’asthénie, d’insomnie, de peur, de nausée, de constipation, de dyspnée… La réponse « combien » relève de deux modalités d’évaluation : •D’une part, en mobilisant les échelles d’autoévaluation pour les patients compétents :bien entendu, en priorité, l’échelle visuelle analogue et en cas d’impossibilité d’utilisation,les échelles numériques ou de vocabulaires simples. •D’autre part, les échelles d’hétéroévaluation validées (échelle de l’IGR pour les enfants,échelle San Salvadou pour les patients handicapés mentaux, échelle ECPA, Doloplus 2 pour les personnes âgées non communicantes) ou simplifiées telles que décrites ci-dessus. Il est indispensable de croiser l’autoévaluation et l’hétéroévaluation de l’intensitéde la douleur qui donne également une appréciation des composantes psychogènes descomportements douloureux. A la question « pourquoi », il s’agit de formuler l’hypothèse des composantes nociceptives, neuropathiques ou psychogène du comportement douloureux fondatrice de la décision thérapeutique à mettre en œuvre mais aussi de préciser l’éventuelle intrication avec les autres composantes de la souffrance au plan psychique, sociale et spirituel comme nous le détaillerons ci-après.

2 : L’évaluation de la douleur à la phase de titration des besoins en antalgiques et une fois l’équilibreantalgique atteint :

A la phase de titration, l’évaluation doit être attentive, régulière, rigoureuse. Elle doit fairesystématiquement l’objet d’une feuille de surveillance.

Bien entendu, les indicateurs de l’intensité de la douleur tant en auto qu’en hétéroévaluation sont iciles critères les plus pertinents pour assurer le suivi tout en gardant des liens étroits avec le temps, le retentissement sur les actes de la vie quotidienne et la survenue d’effets secondaires. Les supports de surveillance doivent intégrer ces différentes dimensions.

3.1.3. Echelle de prise en charge de la douleur cancéreuse de l’OMS6

En 1982, une consultation de l’OMS s’est tenue à Milan en Italie. Elle a réuni un groupe d’expertssur le traitement de la douleur cancéreuse. Ils appartenaient à des spécialités commel’anesthésiologie, la neurologie, la neurochirurgie, les soins infirmiers, l’oncologie, la pharmacologie,la psychologie et la chirurgie. Ils ont préparé un premier exposé sur les directives concernant le traitement de la douleur cancéreuse. Ces directives exprimaient un avis unanime, à savoir qu’enutilisant un nombre limité de médicaments, il était tout à fait possible de soulager la douleur chez lamajorité des cancéreux dans le monde. Des études sur la possibilité d’appliquer ces directives et surleur efficacité ont commencé dans un certains nombres de pays ayant différents systèmes de soinsde santé sous la direction de l’OMS et du Centre collaborateur OMS pour le traitement de la douleur cancéreuse à l’Institut National de Cancérologie de Milan. Les directives sur la prise en charge de ladouleur cancéreuse ont pris corps après une réunion de l’OMS sur le traitement global de la douleurcancéreuse qui s’est tenu à Genève en décembre 1984.

1 : Les recommandations de l’OMS pour l’évaluation de la douleur cancéreuse : 1. Croire les plaintes du malade concernant sa douleur ; 2. Evaluer la sévérité de la douleur du malade ; 3. Evaluer l’état psychologique du malade ; 4. Analyser en détail les plaintes concernant la douleur ; 5. Effectuer un examen physique complet ; 6. Ordonner et contrôler personnellement toutes les investigations diagnostiques nécessaires ; 7. Envisager d’autre méthode de traitement de la douleur pendant le bilan initial ; 8. Evaluer le degré de soulagement de la douleur après le début du traitement.

2 : Les stratégies thérapeutiques reposent sur la série de principes ci-après : 1. La dose d’analgésique devrait être déterminée d’après les besoins individuels ; 2. L’emploi de médications orales est préférable ; 3. L’insomnie doit être vigoureusement traitée ; 4. Les effets secondaires doivent être systématiquement traités ; 5. Des médicaments adjuvants sont nécessaires chez certains malades (principe de la coanalgésie) ; 6. L’évolution du malade doit être soigneusement surveillée.

3 : Traitements médicamenteux : les paliers d’analgésiques pour le traitement de la douleur cancéreuse :

L’emploi des analgésiques est l’élément fondamental du traitement de la douleur cancéreuse ; utilisés correctement, ils sont efficaces chez un fort pourcentage de malades. Il est suggéré de suivre trois paliers successifs : 1. L’utilisation des antalgiques non opioïdes avec la mobilisation d’éventuels adjuvants co- antalgiques. Les antalgiques non opioïdes sont en premier ligne le Paracétamol puis l’Aspirine et les anti-inflammatoires. La Noramidopyrine douée d’une activité antalgique

6 ( ) Traitement de la douleur cancéreuse. Organisation Mondiale de la Santé. Genève. 1987 (disponible Librairie Arnette 2, rue Casimir-Delevigne – 75006 Paris).

très significative compte tenu de ses effets secondaires ne sera mobilisée que si ces effets sont proportionnés à la situation pronostique du patient, dans la mesure où la Noramidopyrine s’avère un coanalgésique puissant dans les douleurs des viscères et organes digestifs. En ce qui concerne la coanalgésie, on entend par là, la mobilisation en co-prescription de certains médicaments psychotropes mais également de techniques spécifiques comme la chirurgie, la radiothérapie, la chimiothérapie à visée antalgique. Il s’agit également de la mobilisation de toutes les techniques qui peuvent contribuer au confort du patient : kinésithérapie, ergothérapie, relaxation, sophrologie,… 2. En cas d’inefficacité du palier 1, sont mobilisés les opioïdes faibles. Nous disposons de trois types de molécule : la codéine, le dextropropoxyphène, le tramadol, en soulignant que seul le tramadol existe sous une forme injectable. La codéine et le tramadol existent sous des formes à libération prolongées. Dans ce deuxième palier, il est possible d’associer aux opioïdes faibles, des non opioïdes en particulier le paracétamol qui est souvent associé aux molécules précitées. Dans ce même palier, la mobilisation de la coanalgésie à bien entendu toute sa place. 3. En cas de contrôle insatisfaisant au palier 2, il convient de mobiliser les opioïdes forts. La panoplie des opioïdes forts disponibles en France s’est actuellement élargie outre l’accès à la morphine sous toutes les formes possibles orale, à libération immédiate et prolongée et injectable. Sont arrivés sur le marché français d’Hydromorphone(forme LP exclusive) et l’Oxycodone (formes LP, LI et injectable) qui sont venues compléter la présence du Fentanyl qui existe sous forme de patch à libération prolongée sur 72 h et plus récemment sous forme à libération immédiate par voie transmuqueuse. Cette panoplie devrait s’enrichir probablement de la méthadone compte tenu des effets limitant l’hyperalgésie propre à cette molécule. Là encore, la mobilisation des non opioïdes et en particulier le paracétamol obéit à des principes de coanalgésie. Bien entendu, toutes les autres formes de coanalgésie concourent à la qualité et à l’efficacité de la prise en charge. 4. Bien que l’échelle de l’OMS n’ait que 3 marches, il est un petit nombre de situations qui ne sont pas contrôlées par cette approche et qui relèvent d’une approche interdisciplinaire telles qu’elles peuvent être mises en œuvre dans les centres d’évaluation et de traitement de la douleur. Cette évaluation pluridisciplinaire peut conduire à mobiliser si les décisions sont proportionnées avec l’état pronostique du patient des techniques neurochirurgicales notamment en terme de neurostimulations et plus exceptionnellement d’interruption des voies de la douleur.

3.1.4. Les recommandations de bonnes pratiques du groupe expert de l’Association Européenne de Soins Palliatifs

La grande majorité des douleurs dues au cancer répondent à des traitements pharmacologiques qui utilisent des antalgiques administrés par voie orale, en association avec des médicaments adjuvants. Ce traitement est basé sur les recommandations de l’OMS : une échelle propose une augmentation progressive, étape par étape des antalgiques. Il s’agit plus d’un concept que d’un protocole rigide et non modifiable (OMS, 1986). Ce schéma thérapeutique permet une très grande flexibilité dans le choix des médicaments, et l’échelle de l’OMS doit être surtout considérée comme une stratégie de prise en charge de la douleur due au cancer. Cette prise en charge symptomatique est intégrée dans le traitement spécifique de la maladie et avec les techniques non médicamenteuses.

1/ La morphine est l’opioïde à utiliser en première intention pour traiter la douleur modérée ou sévère du cancer.

2/ La voie orale est la voie de référence pour administrer la morphine. Dans l’idéal, 2 formes galéniques sont requises : une forme à libération normale (pour déterminer la dose d’équilibre) et une autre forme à libération modifiée (pour le traitement de fond).

3/ Il est plus simple d’effectuer une titration en administrant de la morphine à libération normale toutes les 4 heures et en donnant la même dose pour les accès douloureux paroxystiques. Cette entredose « de secours » peut être administrée aussi souvent que le patient en a besoin (jusqu’à 1 fois par heure) ; il convient donc de réévaluer la dose de base tous les jours. La dose de fond doit alors être ajustée de manière à incorporer le total des entredoses de morphine.

4/ Si la douleur revient constamment avant que la dose suivante n’ait été donnée, la dose de basedoit être augmentée. En général, des doses de morphine à libération normale ne doivent pas êtreprescrites plus souvent que toutes les 4 heures. Il ne faut pas administrer les morphines à libération modifiées plus souvent que toutes les 12 ou 24 heures (en fonction de la durée d’action de chaqueproduit). Lorsque les patients sont stabilisés avec une dose régulière de morphine par voie orale ilsdoivent toujours pouvoir accéder à des entredoses de secours pour calmer les accès de douleursaiguës paroxystiques.

5/ Dans plusieurs pays, la morphine à libération normale n’est pas disponible, et bien que sonutilisation soit préférable pour obtenir un soulagement optimal de la douleur, une stratégie différente est recommandée, en débutant le traitement avec de la morphine à libération modifiée. L’intervalleentre les adaptations de la dose doit être espacé d’au moins 48 heures ce qui rallonge la phase de titration.

6/ Les patients qui reçoivent de la morphine à libération normale toutes les 4 heures peuventprendre une double dose au coucher. Cela s’avère être un moyen simple et effectif, qui évite que lepatient ne soit réveillé par la douleur.

7/ Il existe plusieurs formes galéniques de morphine à libération modifiée. A ce jour aucune étude nepermet de dire qu’il y a une différence substantielle dans la durée d’action, l’efficacité ou lapuissance entre les comprimés, les gélules ou les solutions liquides de morphine à libération modifiée sur 12 heures. Cette pratique semble être valable pour les formes modifiées sur 24 heures.

8/ Lorsque les patients ne peuvent pas prendre la morphine par voie orale, la voie sous- cutanée est choisie en premier. En général, il n’y a aucune indication à donner de la morphine par voieintramusculaire aux patients atteints de douleur chronique puisque l’administration par voie sous-cutanée est plus simple et moins douloureuse.

9/ Le rapport d’équianalgésie entre la morphine par voie orale et par voie sous-cutanée est situé entre 1 : 2 et 1 : 3 (cela signifie qu’il faut mettre 20 à 30 mg de morphine par voie orale pour obtenir la même efficacité que 10 mg de morphine par voie sous-cutanée).

10/ La voie sous-cutanée est la méthode de choix pour traiter les patients qui ont besoin d’une voie parentérale continue.

11/ La perfusion intraveineuse de morphine peut être préférée chez certains patients a – qui sont déjà porteurs d’un cathéter intraveineux ; b – qui ont un œdème généralisé ; c – qui ont développé un érythème, des nodules ou des abcès stériles lors d’une perfusion sous-cutanée ; d – qui ont une circulation périphérique de mauvaise qualité…

12/ Le rapport d’équianalgésie entre la morphine par voie orale et par voie intraveineuse est situéentre 1 : 2 et 1 : 3.

13/ Nous ne recommandons pas les voies d’administration buccale, sublinguale et par nébulisation pour la morphine parce qu’il existe actuellement aucune preuve d’un quelconque avantage clinique par rapport aux voies conventionnelles.

14/ Le citrate de fentanyl par voie tranmuqueuse (O.T.F.C.) est un traitement efficace des accès aigus douloureux paroxystiques, chez les patients déjà équilibrés par de la morphine orale ou tout autre opioïdes du niveau 3 de l’OMS.

15/ Pour réussir un traitement de la douleur avec des opioïdes, il faut non seulement que l’analgésiesoit acceptable mais encore qu’il n’y ait pas trop d’effets secondaires. Si ces règles sont appliquées (recommandations de l’OMS et de l’EAPC, avec la morphine comme opioïde de niveau 3 deréférence) un contrôle efficace de la douleur peut être obtenu pour la majorité des patients. Pourune petite frange de la population, obtenir un soulagement adéquat sans effets secondaires trop importants nécessite d’utiliser un autre opioïde ou d’avoir recours à l’administration d’un antalgiquepar voie médullaire et/ou d’utiliser des techniques de contrôle de la douleur non médicamenteuses.

16/ Une petite proportion de patients développe des effets secondaires intolérables avec lamorphine orale (malgré l’utilisation concomitante de médicaments adjuvants) et n’obtient pas uncontrôle satisfaisant de la douleur. Chez ces patients, il est recommandé de passer à un autre opioïde ou à une autre voie d’administration.

17/ Si l’hydromorphone et l’oxycodone sont toutes deux disponibles par voie orale sous forme àlibération normale et sous forme à libération modifiée, elles peuvent être considérées comme desalternatives intéressantes à la morphine orale.

18/ La méthadone est une autre alternative efficace mais qui peut être plus compliquée à utiliser queles autres opioïdes en raison des grandes variations interindividuelles de sa demi-vie plasmatique, de son rapport d’équianalgésie et de sa durée d’action. Son utilisation par des non-spécialistes n’est pas conseillée.

19/ Le fentanyl transdermique est une alternative efficace à la morphine orale, mais il convient de le réserver aux patients dont la douleur est stable. Il est utile chez les patients qui ne sont pas à même de prendre de la morphine par voie orale ; c’est une option proposée en alternative à la perfusion sous-cutanée de morphine.

20/ L’administration par voie moléculaire (péridurale ou intrathécale) d’antalgiques opioïdes en association avec des anesthésiques locaux ou avec de la clonidine doit être envisagée dans des casparticuliers : quand la douleur est difficile à équilibrer, quand les effets secondaires deviennentintolérables malgré le bon usage des opioïdes associés à des non opioïdes, donnés par la bonnevoie d’administration.

3.2. Le concept de souffrance totale

3.2.1. Définition

Nous devons ce concept aux Docteurs Cicely SAUNDERS et Mary BAINES (7) dans le cadre deleurs recherches au sein du Saint Christopher’s Hospice à Londres.

Elles définissent ainsi la douleur totale : « Quand le contrôle de la douleur physique reste difficile, il faut explorer les composantes mentales, sociales et spirituelles. Bien qu’une telle division risque d’être artificielle, elle nous éclairera, cependant, dans nos efforts pour comprendre la souffrance d’un patient et l’aider ainsi que sa famille ».

7 SAUNDERS C., BAINES M., DUNLOPA R. La vie aidant la mort, thérapeutiques antalgiques et soins palliatifs en phase terminale. Arnette Blackwell. 1995.

L’emploi du mot « douleur » ne doit pas nous faire nécessairement croire qu’il s’agit d’une douleurréclamant un traitement médicamenteux immédiat. Ainsi l’exprime un patient qui soulagé de lacomposante physique de sa douleur après réévaluation de son traitement pour métastasesosseuses d’un cancer pulmonaire : « Je suis content d’être venu dans ce Service parce quemaintenant je ne souffre plus, mais vous ne pouvez pas savoir combien j’ai mal ».

Dans la prise en charge du comportement douloureux du patient et dans la perspective de ceconcept de souffrance totale, il s’agit donc d’explorer avec le patient et sa famille toutes sescomposantes sociales, spirituelles et psychologiques qui donnent à son comportement douloureux une coloration singulière propre à chaque patient et à leur histoire.

3.2.2. La souffrance spirituelle

1 : Définition : Lorsque nous abordons la spiritualité, nous nous ne la réduisons pas à un aspect purement religieuxbien qu’il soit présent au fond des questions qui se posent au patient. Par spiritualité, nous ntendonstoutes les questions qui tournent autour du sens de la vie, de l’existence du patient, de l’épreuve desa maladie, de l’épreuve de la souffrance.

De nos jours, peu de gens sont aptes à exprimer leurs doutes et leurs souffrances en termeproprement religieux. Néanmoins, les sentiments d’échec et de regret du type : « Si seulement… »,« Je regrette… », « Il est trop tard pour… », « Mais qu’est-ce que j’ai bien pu faire pour en être là… », restent fréquents et souvent intenses.

Un des moteurs de la souffrance spirituelle est lié au sentiment de culpabilité qui peut réellementêtre décrit comme une douleur spirituelle allant parfois jusqu’à l’angoisse profonde (angoisse est icientendu comme une peur à laquelle il est impossible d’attribuer un objet).

2 : Les peurs spirituelles : Comme nous le verrons dans les chapitres ci-après, derrière le concept de souffrance totale, il estun fil conducteur qui repose sur l’angoisse comme définie ci-dessus (une peur à l’objet indéfinissable) ou sur des peurs dont le patient peut désigner un objet dans le cadre d’une écouteattentive.

Sans que la liste ci-dessous soit exhaustive, voici quelques peurs qui reviennent souvent dans leséchanges avec les patients en souffrance spirituelle : •peur de ne pas avoir eu une bonne vie, •peur d’avoir raté sa vie, •peur d’avoir fait rater leur vie aux membres de la famille, •peur de ne pas avoir eu le temps de faire tout ce que l’on souhaitait, •peur d’être responsable de la survenue de cette maladie, •peur d’exposer les siens à cette même maladie (exprimée sous toutes ses formes : contagiosité, hérédité, génétique,… ), •peur de la souffrance comme punition à des fautes réelles ou fantasmées, •peur de ce qui va se passer après, •peur de l’au-delà….

3 : Modalités de prise en charge : une écoute attentive permet de détecter cette composantespirituelle, parmi les problèmes issus de la personnalité, de la culture ou du passé du malade.

Certains patients ont un fond de croyance religieuse et il peut être important, dès le début,de faireintervenir l’aumônier de l’hôpital ou s’ils sont soignés chez eux, de leur faire rencontrer un prêtre ouun représentant du culte de leur choix. Le fait de pouvoir accorder le pardon auquel tout être humainaspire peut être manifestement apaisant.

D’autres n’ont pas en eux cette ressource, ici l’ambiance d’acceptation crée par fonctionnement enéquipe interdisciplinaire de Soins Palliatifs peut offrir un espace où lesimple fait que le patient soitreconnu et respecté dans sa position de sujet peut adoucir ce type de souffrance.

Une attention doit être portée au fait que nos propres convictions religieuses doivent aider à créer un tel climat mais en aucun cas, cependant, l’adhésion du patient à nos croyances ne doit être lacondition préalable à une aide efficace. Non seulement, chacun doit rester libre de toute pression ence sens, mais l’idée même ne doit jamais effleurer l’esprit des soignants.

3.2.3. La souffrance sociale

1 : Définition : La souffrance sociale prend source dans tout ce qui peut poser problème dans les liens du patientavec sa famille et son environnement. L’épreuve de la maladie crée une situation d’altérité. Elle donne potentiellement la sensation pour le patient d’être dans une relation d’inégalité, de grandedépendance, voire de déchéance. Avec la problématique aujourd’hui que pose le sens de la dignitédans sa forme relative, cela peut conduire le patient à un sentiment de perte de dignité qui peut conduire à des demandes d’euthanasie.

2 : Les peurs sociales : Comme nous l’avons dit pour la souffrance spirituelle, elles ont pour moteur l’angoisse assortie d’uncertain nombre d’objet de peurs dont la liste ci-après donne les plus fréquentes : - Peur d’être un fardeau pour la famille ou la société, - Peur de ne plus être regardé comme un être humain, - Peur de perdre sa dignité, - Peur de ne plus pouvoir participer aux décisions quant à son propre devenir ou quant aux décisions utiles à la famille, - Peur du détournement de ses biens par des membres de la famille, - Peur sur comment fera la famille quand le patient ne sera plus là, - Peur pour l’avenir des enfants…

3 : Modalités de prise en charge : En ce qui concerne le patient, la mobilisation d’une écoute active non jugeante et un accueil qui lui fait ressentir le moins possible l’altérité propre à sa maladie, à sa situation critique ou à son aspect vont d’emblée créer un climat de confiance propice à la verbalisation de ses peurs. Un effort particulier doit être fait dans l’accompagnement des familles notamment du conjoint. Encas de maladie à terme prévisible, il reste souvent vrai que de nombreuses familles prennent la situation en main au point qu’elle en arrive à prendre des décisions concernant le malade sans qu’ilne participe en aucun cas à la discussion. Il n’est pas exceptionnel que dans ce contexte,s’appuyant sur les mécanismes de déni ou de dénégation mis en œuvre par le patient poursupporter la situation, ils entretiennent une conspiration du silence exigent la complicité des équipessoignantes. Cela ne manque pas de créer une altération de la communication dans la mesure oùchaque acteur est sur le qui vive pour éviter de prononcer toute phrase ou tout mot qui pourraitamener le patient à comprendre la réalité de sa situation. Cela conduit immanquablement à majorerla souffrance du patient qui bien entendu, perçoit que cette attitude est inquiétante quant à sasituation.

Il sera toujours nécessaire d’expliquer l’évolution probable de la maladie, ce qui peut être fait poursupprimer la douleur et les autres symptômes possibles et également décrire la mort sous sonaspect réel le plus probable. Les familles ont une image souvent effrayante de la mort, accentuéepar la vision de la dépendance croissance et du changement physique de certains mourants.Pourtant, comme on peut le voir dans maintes situations différentes,

grâce à des soins compétents, presque tous les malades sombrent doucement dans l’inconscienceet s’éteignent paisiblement. Les familles ont peu de chance de le savoir, à moins que l’on leur dise.Elles peuvent entretenir des craintes inutiles qui aggravent leur chagrin et leur appréhension naturelle. Des renseignements d’ordre pratique peuvent aussi servir à les rassurer par exemple, quiappeler en cas de crise, ce que l’on peut attendre de chacun des membres de l’équipe soignante,enfin quelles aides ou avantages sociaux supplémentaires ils pourront éventuellement obtenir.

Dans le contexte de la souffrance sociale, il faut aussi aborder la question des enfants et desadolescents. Tenter de les protéger aboutit généralement à l’effet opposé, les exclure peut lesblesser profondément. Ils ont besoin, d’une part, qu’on leur explique la maladie et son traitement,explication que leur parent risque de ne pas être en mesure de donner lui-même ; il faut, d’autre part, les rassurer sur le fait que le cancer n’est ni contagieux ni héréditaire.Question qui revient très régulièrement non seulement chez les enfants mais également chez les adultes.

Une autre problématique propre à la souffrance sociale consiste à tenir le malade dans l’ignoranceau sujet du budget familial et autre problème d’ordre pratique, ce qui équivaut à dresser desbarrières qui risquent de l’accabler davantage. Il imaginera qu’il a blessé ou offensé les autres, queles charges financières sont lourdes pour la famille. Le patient devrait cependant participer à toutesles discussions et à tous les projets, de même, qu’il devrait, dans la mesure du possible, tenir saplace dans la vie familiale de tous les jours. Le désir impérieux d’épargner tout souci au malade estbien compréhensible, mais cette attitude protectrice amène souvent des tensions paralysantes. Elle est d’ailleurs regrettable, car le patient apprendra probablement la vérité par d’autres moyens. Nepas partager un secret avec un intime altère inévitablement la communication et peut accroîtreconsidérablement la détresse générale.

Enfin, si l’admission à l’hôpital ou en service spécialisé devient nécessaire, le confort du malade s’en trouvant amélioré et l’anxiété familiale allégée, ceci ne doit pas se faire au prix de sentiments de culpabilité. Il faut être attentif à rassurer la famille : elle a fait ce qu’elle a pu, mais une assistance professionnelle est désormais indispensable à plein temps. L’équipe soignante peut être attentive à ne pas prendre le relais d’une manière telle que la famille se trouve exclue des soins, encore qu’il puisse être difficile de la faire participer aux soins physiques du patient. Elle y sera encouragée chaque fois que possible. Quoi qu’il en soit, sa simple présence peut contribuer largement à la sécurité et à l’apaisement du malade : ceci devrait être, sans nul doute, rendu possible et explicite. Cette période confère en quelque sorte un droit de présence aux membres de la famille, en tant que soignés et soignants à la fois, leur rôle unique doit être souligné et renforcé. Dans les Unités de Soins Palliatifs, L’équipe soignante est toujours attentive à accorder une attention soutenue à la famille qui veillepour la première fois l’un des siens au seuil de la mort.

3.2.4. La souffrance mentale

1 : Définition : Ceux qui ont eu l’occasion d’être constamment à l’écoute des mourants distinguent chez eux toutes une gamme de réaction commune. Elisabeth KÜLBLER ROSS les décrit comme des étapes de prise de conscience déroulant une phase de déni, une phase de colère, une phase de archandage, puis une phase de tristesse allant jusqu’à l’acceptation. PARKES les compare au travail de deuil ou à d’autres situations de perte. Ils insistent tous les deux sur le fait que certaines de ces étapes manquent, qu’elles ne se succèdent pas toujours dans un ordre rigoureux, peuvent se chevaucher ou peuvent être vécues plus d’une fois, particulièrement lors d’une maladie faite de rémissions et de rechutes ou dont l’aggravation se fait par paliers.

Quiconque est confronté à une situation pronostique défavorable ou à des nouvelles fâcheuses quant à l’évolution de la maladie, a tendance à réagir au départ avec incrédulité

en déniant la réalité de la situation ou en la minimisant dans une attitude de dénégation. Conserver cette attitude est assez difficile. Quand elle commence à fléchir, le patient peut manifester des désirs et des refus analogues à l’agitation douloureuse qui suit un deuil récent. Ilpeut ressentir de la colère devant son propre sort et la projeter sur l’inefficacité de son traitement,l’inefficacité des soignants qui le lui donnent, ces projections agressives peuvent aussi être projetéesur la famille qui ne l’a pas aidé comme il le souhaitait. Il est possible de transformer ces sentimentsà conditions que les uns et les autres puissent les exprimer dans un contexte de compréhension et en ne mobilisant ni un silence offensé, ni une attitude de fuite en battant en retraite, ni en projetant à son tour son agressivité sur ce patient insupportable.

Il n’est pas exceptionnel dans ce contexte que le patient passe par des phases de négociation de la poursuite des traitements, de la reprise des traitements spécifiques, de l’arrêt de certains traitements ou de la mobilisation du recours à d’autres savoirs faire ou d’autres pratiques quand il ne mobilise pas des objectifs qu’il veut atteindre : retourner une dernière fois à la maison, attendre le retour d’un enfant, attendre un mariage, ou tout autre forme de cérémonie…

Au fur et à mesure que progresse la prise de conscience du patient, il peut passer par desphases de grande tristesse. Il convient, ici, d’être attentif à distinguer cette tristesse naturelle à la pensée d’unevie qui s’achève, d’une dépression, véritable situation psychopathologique nécessitant une approchethérapeutique spécifique. A l’inverse, il serait inapproprié de mettre systématiquement sousanxiolytiques ou antidépresseurs tout patient traversant ces phases de tristesse.

Enfin, le patient peut traverser des phases de plus grande sérénité témoignant d’un cheminementvers l’acceptation de sa situation. Il n’est pas exceptionnel que ces phases soient l’occasion d’uneexacerbation de la demande relationnelle tant en direction des familles, que des soignants que desbénévoles. Ces phases peuvent également prendre la forme d’une exacerbation libidinale avec retour à des désirs alimentaires. Ces situations ont été décrites notamment dans un article sur letravail de trépas par le psychanalyse Michel De M’UZAN(8).

2 : Les peurs mentales : Dans ce chapitre également, comme dans les deux précédents, lorsque le patient peut sortir de l’angoisse pour formuler des objets à ses peurs, nous rencontrerons toutes les déclinations de ce qui s’inscrit dans le registre des pertes, des séparations et de la perte ultime qui est celle de la vie : - Peur de la perte d’autonomie, - Peur de la dépendance, - Peur de perdre la tête, de la folie, - Peur de ne plus se contrôler, - Peur de ne plus pouvoir rien faire de ses propres mains, - Peur de la solitude, - Peur de l’abandon, - Peur de ne plus être aimé, - Peur de perdre la vie…

3 : Modalités de prise en charge : La peur, tout comme l’espoir peut persister sous différents masques tout au long d’une maladie.Craindre la séparation, craindre la douleur et l’affaiblissement, craindre de ne pas être à la hauteur,tout cela est fréquent à l’approche de la mort. Si décourageante que soit la complexité desproblèmes auxquels doivent faire face de nombreux malades, nous ne devons pas nous sentirimpuissants. Mourir n’est pas une maladie psychiatrique et ne requiert pas habituellement que l’onfasse appel à un consultant spécialisé. Certains pensent qu’ils ne peuvent rien offrir d’autre qu’unecompréhension maladroite et gardent leur

8 De M’UZAN Michel «Le travail du trépas » in De l’art à la mort. Collection Tel. Gallimard. Paris. 1977

distance. Ils ne réalisent pas que c’est justement cet effort de compréhension et non le fait qu’ilréussisse ou non qui brise la solitude du patient. Se sentant eux-mêmes impuissants, ils rejoignent le malade à son propre niveau, où leur silence est plus utile encore que de veine parole. « Alors queIvan ILLICH mourrant se débattait dans une quête angoissée sur le sens de la vie, le seul quiréussissait à l’aider quelque peu était le jeune paysan qui le veillant de son plein gré, l’épaulait ausens propre du terme » (TOLSTOÏ, 1887).

Dans cette situation, les sentiments négatifs exprimés par les patients doivent être d’une force effrayante ; il est préférable qu’ils soient exprimés plutôt qu’enfouis avec pour seul résultat de surgir sous une autre forme susceptible de traumatiser à la fois la famille et l’équipe de soins. Ouvrir un espace de parole et encourager le patient à exprimer ses peurs fait partie de l’accompagnement des patients en fin de vie. Au-delà de la présence de l’équipe soignante et de la famille, les bénévoles peuvent jouer un rôle considérable. N’oublions pas que l’ennui peut être source majeure de douleur mentale ; une bonne séance de bavardages et au même titre que d’autres distractions est un des meilleurs moyens de le combattre. De ce point de vue, les activités mettant en jeu l’imagination et la créativité sous une forme ou une autre ont une grande vertu thérapeutique.

Les médicaments psychotropes peuvent aider à contenir le fardeau de la maladie dans des limites supportables par le patient. Ils sont largement utilisés. La plupart des mourants reçoivent à unmoment ou à un autre, mais leur indication et leur titration doivent être régulièrement remis enquestion en fonction de la symptomatologie, du comportement du patient et des bénéfices réelsqu’ils tirent de leur administration.

3.2.5. La souffrance de l’équipe soignante

Les membres des équipes soignantes souvent confrontés à la souffrance et à la proximité de lamort, ont également besoin de soutien. Pour tous ceux qui travaillent dans ce domaine, il y a desmoments douloureux et déconcertants. Plus les soignants sont proches de la faiblesse des patients,de la douleur de leurs familles, plus les soignants ressentiront les effets de la séparation. Tous les soignants qui rencontrent la mort pour la première fois, la trouvent terrifiante et même d’uneétrangeté inquiétante. Une question revient alors souvent de se demander si a été fait tout ce qu’ilsauraient du faire. Les soignants se sentent souvent accablés et il est indispensable qu’ils aientl’occasion d’en discuter sans tarder avec quelqu’un dont l’expérience soit plus grande.

Quelle que soit leur fonction, les soignants peuvent souffrir eux-mêmes de solitude et d’épuisement, d’esprit de contestation, de colère et de dépression. Pour surmonter ces sentiments, ils ont besoinde les partager. Se contenter de les nier ou de les refouler entrave toute tentative pour mieux seprendre en charge et par conséquent pour mieux aider les autres ensuite. La force de ceux quichoisissent de se consacrer exclusivement à ce genre de tâche et qui persévèrent, se gagne parune entière compréhension des réalités et non en se retranchant derrière des techniques.

Le choc initial que produit le fait de travailler en direct dans une telle ambiance et l’effet démoralisantdes morts qui se succèdent sans cesse appelle un soutien de l’équipe ou du groupe sous une formeou sous une autre. Il est bon en effet de varier ce soutien. Les staffs d’équipe interdisciplinaire sont l’un des lieux où s’organise cette prise de parole et du soutien informel des membres de l’équipeentre eux.

Il est également recommandé d’organiser spécifiquement des groupes de parole propres aufonctionnement des équipes régulièrement confrontées à la souffrance et au décès de leurspatients. Cela peut potentiellement conduire à acquérir suffisamment de confiance dans ce que lessoignants font en se libérant suffisamment des angoisses pour être à l’écoute de la détresse des autres.

3.3 éthique et décisions en fin de vie

3.1. Introduction L’expérience de l’accompagnement des personnes en fin de vie est expérience de la confrontation à des décisions difficiles ou à des demandes difficiles formulées soit par le patient soit par sa famille. En ce qui concerne les décisions difficiles, cette phase de l’évolution de l’histoire d’un patient et desa maladie interroge régulièrement sur l’utilité ou l’inutilité de poursuivre des investigations,d’introduire ou non de nouveaux traitements. C’est tout le dilemme entre acharnement thérapeutiqueaujourd’hui appelé obstination déraisonnable et limitation des soins. Il n’est également pas facile deprendre la décision de suspendre des traitements ou des aides médico-techniques qui peuvent prolonger la vie ou dont la cessation comportent clairement le risque de hâter la survenue de la findu patient. Deuxième questionnement éthique, il concerne les demandes du patient et en particulier le patientqui demande à ce qu’on l’aide à mourir. La difficulté ici est de décrypter ce qu’il y a dans cettedemande. Dans l’immense majorité des cas, il y a derrière cette demande une demande de type «soyez à mes côtés » parce qu’il y a un certains nombres de peurs et de craintes plus qu’il n’y a unevéritable demande « mettez fin à mes jours ». Ce concept d’acharnement thérapeutique et de limitation des soins sont au centre d’un dilemme de la médecine occidentale, né dans les années soixante dix et toujours présent à l’orée du 21ème siècle dans un contexte socio-économique ne permettant pas une croissance continue des dépenses de santé. Ce dilemme est la manifestation d’un conflit entre deux philosophies : - L’une « téléologique » où le résultat mesure la valeur de toute action. Elle s’appuie sur une morale conséquentialiste ou utilitariste, morale à posteriori qui assume la responsabilité de trancherdans le sens de ce qui est le meilleur ou le moins mauvais pour le patient et la collectivité. Ainsi estéthiquement bonne l’action qui produit le plus de bien ou le moindre mal à un coût raisonnable,privilégiant le bénéfice collectif. Cette morale s’impose davantage dans les pays anglo-saxons. - L’autre « déontologique », dominée par l’idée de bienfaisance qui refuse de dériver la moraled’une notion pragmatique du bien. Elle s’appuie sur une morale de conviction ni observable nidémontrable. Cette morale se retrouve dans les écrits du philosophe Kant : « Agis de telle sorte quetu traite l’humanité dans ta personne aussi bien qu’en la personne d’autrui comme une fin et jamais comme un moyen ».

3.2. L’ACHARNEMENT THERAPEUTIQUE 3.2.1 Définition La controverse de l’acharnement thérapeutique est née dans les années 1970, lorsque lesindéniables progrès médicaux avaient conduit à une dérive. La médecine s’était donnée pour objectif de guérir de plus en plus de maladies à n’importe quel prix, notamment sous l’angle desinconforts supplémentaires générées par les soins, en réduisant bien souvent le malade à un objetde soins. Cette controverse conduira les instances ordinales à attirer l’attention des médecins surl’obstination déraisonnable en soulignant « qu’il n’y a aucune obligation morale à faire durer une vieau prix de prouesses technologiques susceptibles de générer des inconforts supplémentaires, venant aggraver la souffrances d’une vie arrivant à son terme ». Un certain nombre de patients, leurfamille et des soignants vont alors se mobiliser, lutter contre l’acharnement thérapeutique en réclamant que l’on rende au malade leur position de sujet dans la perspective de leur donner la parole pour qu’ils puissent exprimer des choix de cequ’ils jugent bon pour eux. Par acharnement thérapeutique, nous entendons donc toutes situations décisionnelles quiconduisent à mobiliser de façon excessive des moyens humains, matériel et technique dansl’intentionnalité de vouloir contrôler à tout prix un état morbide chez un patient dont le pronostic devie est très réservé.

3.2.2 La renonciation à l’acharnement thérapeutique : positions déontologiques. L’article 2 du code de déontologie médicale dans les devoirs généraux des médecins à l’article 2précise : « Le médecin, au service de l’individu et de la santé publique, exerce sa mission dans lerespect de la vie humaine, de la personne et de sa dignité… ». Dans les commentaires du code de déontologie médicale dans son édition de 2001 est présenté unargumentaire sur le respect de la vie humaine : « Le respect de la vie humaine peut conduire à desexcès. Le bon sens indique et toutes les autorités morale l’ont reconnu,que respect de la vie ne veut pas dire prolongation à tout prix de la vie humaine dans un cas désespéré. L’acharnementthérapeutique doit être dénoncé : quand tout est indiscutablement perdu, il est inutile de mainteniren vie artificiellement, avec des techniques qui peuvent être douloureuses ou pénibles pour unmourrant sans espoir de survie, alors qu’il est indispensable de traiter la douleur et d’apporter unsoutien psychologique et moral ». Cette question souvent traitée sans nuance à l’occasion d’un exemple spectaculaire, est en réalité très difficile. La réanimation médicale, qui a transformé le pronostic des états graves n’aurait jamais été possible sans l’obstination des réanimateurs. Il faut, devant les états les plus graves, lutter avec tous les moyens possibles tant qu’il existe un espoir, si faible soit-il, mais il est déraisonnable et critiquable de poursuivre une lutte acharnée, surtout si les moyens employés sont pénibles pour le malade, lorsqu’il n’y a plus aucun espoir de retour à une vie de qualité. Dans certain cas, le médecin devra prendre en considération, pour arrêter sa ligne de conduite, la qualité de la vie réservée au malade – grandement déterminée par l’avis de ce dernier – à l’issue de l’action thérapeutique : prolongation artificielle de la vie chez certains incurables comme chez certains nouveaux nés, trachéotomie pour assistance respiratoire prolongée d’un malade atteint d’une neuropathie irréversible, ablation d’une tumeur maligne cérébrale qui laissera gravement handicapée. Ainsi même cette règle morale majeure qui nous gouverne, le respect de la vie humaine, ne doit pasêtre suivie sans discernement, avec une obstination excessive. Déjà chez Hippocrate, la dignité dela personne passe avant la préservation de la vie à tout prix. L’éthique médicale ne se laisse jamaisemprisonner dans des formules simplistes ou dans des réponses stéréotypées. Elle exige lejugement nuancé, le choix critique bien pesé, de celui qui assume la responsabilité des soins.

3.3. L’EUTHANASIE 3.3.1 Définition La lecture des articles de la grande presse, de la littérature médicale, et plus généralement des nombreux ouvrages centrés sur la mort et la souffrance, publiés depuis quelques années font apparaître que le mot euthanasie prend des sens différent selon les auteurs. La principale difficulté tient au fait que les auteurs clarifient rarement le sens qu’ils donnent au mot. Ainsi en le définissant mal, ils induisent une confusion chez les lecteurs, confusion que l’on retrouve dans notre société. �Le sens étymologique Le mot euthanasie, déjà utilisé dans l’antiquité grecque, a pour sens étymologique « la bonne mort ». Plus près de nous, l’utilisation du mot euthanasie est retrouvé pour la première fois dans un ouvrage de Francis BACON, homme d’état et philosophe anglais. Ce texte The advancement of learning date de 1605, sa forme définitive a été donnée en 1623. Francis BACON constate chez les médecins anglais du 17ème siècle un total manque d’intérêt pour le traitement de la douleur. Il les invite à un effort de recherche dans ce domaine afin de permettre au malade d’échapper aux affres des derniers moments de la vie et de s’éteindre de manière beaucoup plus paisible. C’est une telle mort qu’il appelle euthanasie. � Les premières associations entre la bonne mort et l’acte qui la procurerait apparaissent à lafin du 19ème siècle dans le dictionnaire de médecine De Littré. L’euthanasie y est définie comme lamort arrivant au milieu du sommeil provoqué afin d’éviter une agonie douloureuse. Cette définition montre que le terme commence à désigner non plus seulement la qualité des derniers moments dela vie mais aussi l’acte de prendre soin du mourrant dans le dessein de lui assurer une telle mort.

Un nouveau sens va être rattaché au mot euthanasie. Il s’origine dans l’émergence du concept de vie ne valant pas d’être vécue à la fin du 19ème siècle en Allemagne. Préparé par la publication du 1895 du « droit à la mort » de A. JOST, le débat va prendre son essor avec la publication, en 1920 à Leipzig, du livre d’un juriste Karl BINDINGet d’un psychiatre Alfred HOCHE. Ils proposent d’autoriser de mettre fin aux vies qui ne valent pas la peine d’être vécue : « Je ne peut prouver vraiment aucun fondement légal tant d’un point de vue social, moral ou religieux à refuser la mort à un incurable qui le réclame de façon pressante, je considère ce droit comme simple devoir légal de miséricorde ». On sait la tragique destinée de cette approche pendant la 2ème guerre mondiale. �Le sens contemporain C’est ainsi qu’au début du 20ème siècle, le terme d’euthanasie avait pris le sens nouveau deprocurer une mort douce mais en mettant délibérément fin à la vie du malade. C’est désormais lesens prédominant du mot dans l’opinion publique des sociétés occidentales. Le même terme sertainsi à désigner l’acte de provoquer la mort dans le dessein d’épargner des souffrances et il signifieaussi la mort douce et paisible de celui qui s’éteint. Cette confusion qui s’établit est renforcée par l’évolution de la médecine. Disposant à cette époque d’analgésiques puissants dont l’emploiprésente parfois des risques pour le malade, beaucoup de médecins vont se sentir responsables dela mort de leur patient lorsque celui ci meurt au terme d’une maladie ayant nécessité l’emploi de tels analgésiques. Dans le même temps, parce qu’ils jugent certaines thérapeutiques de prolongation dela vie inappropriés à la situation du malade et qu’ils y voient la source de souffrance inutile d’autresmédecins vont s’abstenir d’utiliser de telles techniques en disant avoir alors une attitudeeuthanasique, cela ne va pas sans susciter parfois chez eux un véritable sentiment de culpabilité. C’est dans ce contexte que l’on va accoler au mot euthanasie un certains nombres d’épithètes. On parle d’euthanasie passive pour qualifier des situations dans lesquelles soit on omet soit on arrêtedes thérapeutiques qui auraient peut être prolongées la vie du malade. On parle d’euthanasie activeau sujet d’un acte délibéré d’injecter une substance létale au malade. On parle même d’euthanasieindirecte si la mort n’est pas recherchée délibérément et si l’acte prescrit ne conduit pasnécessairement à la mort. D’autres épithètes ont été associés au mot euthanasie. Si le geste est effectué sans le consentement du patient pour des mobiles multiples tels la pitié pour un être humain diminué, laconviction que certaine existence humaine n’a pas de sens, le désir de soulager une famille ou unservice hospitalier d’une présence souffrant et lourde à supporter et mêmes aux motifs économiques, on parlera alors d’euthanasie sociale. Enfin, si l’acte de provoquer la mort d’unincurable ou d’un être humain en proie à la souffrance est posée à la demande de l’intéressé, onparlera d’euthanasie volontaire.

En conclusion, compte tenu des amalgames et des faux sens dans le débat lié à ces épithètesaccolés à l’euthanasie, le consensus semble actuellement se dégager pour retenir la définitionsuivante de l’euthanasie : Tout acte qui met fin de façon délibérée à la vie d’un patient atteint d’une maladie incurable et évolutive et qui en fait la demande réitérée.

3.3.2 Le code de déontologie Le code de déontologie médicale interdit clairement l’euthanasie. En effet, l’article 38 du codeprécise que la mission du médecin est de soulager la douleur, d’accompagner son patient mourrantjusqu’à ses derniers moments et soutenir l’entourage mais il est clairement précisé qu’il n’a pas ledroit de provoquer délibérément la mort. A souligner toutefois en France qu’aucun texte ne prononce le terme d’euthanasie. Nous yreviendrons plus loin, mais le code pénal se sanctionne pas l’euthanasie en tant que telle, ilsanctionne le fait de donner délibérément la mort par diverses qualifications pénales.

3.3.3 L’euthanasie et les missions de porter secours L’obligation de porter secours à une personne pour un médecin constitue un devoir moral et professionnel comme le stipule l’article 8 du code de déontologie médicale : « Tout médecin qui se trouve en présence d’un malade ou d’un blessé en péril ou informé qu’un malade ou un blessé est en péril doit lui porter assistance ou s’assurer qu’il reçoit les soins nécessaires. »

L’article 223-6 du code pénal en fait un délit qui : « Sera puni des même peines (5 ansd’emprisonnement et 75 000 € d’amende) quiconque s’abstient volontairement de porter à une personne en péril l’assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit parson action personnelle soit en provoquant un secours ». Le délit de non assistance à personne en danger est constitué dès lors que les trois éléments légaux sont réunis : - Le péril - Le secours - L’abstention volontaire. L’arrêt des techniques et de réanimation ou du traitement pourrait-il être qualifié d’omission de porter secours ? Si le patient se trouve en état de mort clinique, le fait de débrancher les suppléances techniques n’appelle aucune qualification juridique. En revanche, le médecin qui ne procède pas à la réanimation d’un patient peut se voir reprocher le délit de non assistance à personne en danger. En effet, le patient était en danger, le médecin auraitpu le réanimer par le biais de techniques médicales mais s’est abstenu volontairement. Par sa nonintervention, le patient est décède et la qualification d’omission de porter secours pourrait êtreretenue selon les circonstances. La loi de mars 2002 sur les droits des malades ouvre un nouvel élément à intégrer à nosdiscussions décisionnelles. C’est le fait qu’un malade loyalement informé dans la perspective d’obtenir son consentement éclairé est en mesure de refuser ou de consentir à certaines de nosdécisions. C’est simple lorsque le patient est compétent pour participer à la discussion. Cela renvoieà sa famille ou à la personne de confiance telle qu’elle est définie par cette même loi, lorsque lepatient n’est plus en mesure de participer à la discussion. La loi d'avril 2005 dite Léonetti, relative aux droits des malades et à la fin de vie donne un cadre plusprécis aux soignants pour faire face au refus de soins. Face à un refus de soins, le médecin doitexpliquer au patient les conséquences de sa décision et lui laisser un délai raisonnable de réflexion ;il peut lui offrir la possibilité de demander un deuxième avis médical ; au terme du délai de réflexion, si le patient persiste dans sa décision, elle est inscrite et tracée dans le dossier du patient ; il estalors proposé au patient de poursuivre les soins qu'il accepte, en étant attentif au respect de sadignité. 3.3.4 L’euthanasie peut être qualifiée de meurtre �L’euthanasie peut conduire à la qualification d’empoisonnement L’article 221-5 du code pénal précise : « Le fait d’attenter à la vie d’autrui par l’emploi ou l’administration de substances de nature à entraîner la mort constitue un empoisonnement ; l’empoisonnement est puni de 30 ans de réclusion criminelle… » La qualification d’empoisonnement est subordonnée à la réunion de deux éléments : - L’élément intentionnel à savoir la volonté de provoquer la mort par l’administration de substance que l’on connaît de nature à provoquer la mort, - L’élément matériel, le fait d’administrer une substance de nature à provoquer le décès de la personne. Les médecins craignent parfois qu’en utilisant des morphiniques, ils pratiquent une euthanasie et qu’en conséquence une action pénale soit engagée à leur encontre. Cependant, on ne peut pas retenir la qualification d’empoisonnement, en effet, l’intention première n’est pas de tuer mais de soulager (cf. dans le paragraphe suivant le principe du double effet). Par ailleurs, l’état de nécessité peut disculper le geste du médecin qui s’emploie à soulager lasouffrance de son patient par des remèdes qui risquent éventuellement de mettre en danger la vie des patients. Les conditions fixées par le code pénal ne sont donc pas réunies. Il y a bien décès dupatient mais non par la volonté délibérée du médecin. Il est intervenu dans le cadre de sa missionde soin et tout particulièrement celle de soulager son patient. Le décès ne peut pas lui êtreimputable dès lors qu’il n’a commis aucune faute ou infraction pénale.

La qualification d’assistance au suicide L’assistance au suicide est illégale en France, qu’elle soit active (qualification pénale d’homicide) ou passive (qualification de non assistance à personne en danger).

Par une décision du 29 avril 2002, la cour européenne des droits de l’homme a refusé d’autoriser un droit au suicide assisté d’une patiente en fin de vie. Diane PRETTY gravement malade souhaitait que l’on puisse l’aider à mourir pour mettre un terme à une vie devenue insupportable par l’importance de ses souffrances. Cependant, lestribunaux du Royaume-Uni et de la cour européenne des droits de l’homme ont refusé le lui accorder le droit de se faire aider à mourir. La mort assistée reste un sujet tabou dans de nombreux pays et le cas de Diane PRETTY n’est pas isolé. En France Dominique KNOCKAERT, dans un article « Le Parisien » du 18 mai 2002 demandait à être euthanasié dès que ses douleurs deviendront totalement « insupportable ». « La mort est pour moi une forme de liberté ». C’est la raison pour laquelle elle a rédigé untestament de vie où il est précisé : « Je refuse d’être maintenue en vie par des médicaments ou Techniques ou moyens artificiels, je demande que l’on ait recours à l’euthanasie, à la mort douce ».Comme nous l’avons précisé, ce document n’a aucune valeur juridique en France. En effet, on nepeut pas demander par avance dans un document écrit l’intervention d’une tierce personne pourprovoquer le décès. Le consentement de la personne ou sa demande ne peut justifier l’infraction.Nous reviendrons plus loin sur la loi d'avril 2005, dans ses propositions de décision collégiale d'arrêt ou de limitation de soins prenant en compte si besoin l’avis d'une personne de confiance désignéepar le patient ou les directives anticipées qu'il aurait pu rédiger. � L’indifférence des mobiles dans l’acte d’euthanasie Il convient de bien noter que ni le mobile, ni le consentement de la victime ne constitue une excuse légale ou de fait justificatif. Ces éléments n’ont aucune influence sur l’établissement de la culpabilité, mais en auront, en revanche, sur le prononcé de la peine. En effet, quelle que soit la qualification pénale retenue, le mobile est indifférent. L’infraction estconstituée dès lors que la personne provoque volontairement le décès de la personne, même si son intention première était d’abréger les souffrances. En revanche, cette intention pourra être prise enconsidération lors du prononcé de la peine. Pour preuve, la cour d’assisse du Vaucluse a condamné Elie B. à deux ans de prison avec sursispour avoir tué sa femme gravement malade. Par le prononcé de la peine, à savoir du sursis pour unmeurtre, la cour d’assisse d’Avignon a implicitement reconnue que l’intention de Mr B. étaitd’abréger les souffrances de sa victime. Plus généralement, un relevé de la jurisprudence dans ce type de situation montre que la justice fait toujours preuve de compassion pour les auteurs de ces actes en prononçant des peines souvent symboliques

3.3.5 L’euthanasie et le droit de mourir dignement Le docteur Jean COHEN président de l’association pour le droit de mourir dans la dignité dit : « L’autorisation de contrôler l’euthanasie permettrait d’en finir avec l’hypocrisie collective tout en laissant au malade la possibilité de préserver sa dignité ». L’association pour le droit de mourir dans la dignité cherche à accorder une valeur juridique à la volonté d’une personne qui demande à bénéficier de l’euthanasie. Cette revendication repose sur le principe de l’autonomie de la volonté c’est à dire c’est le malade et lui seul qui prend cette décision sans intervention d’une tierce personne. L’association s’oppose à l’acharnement thérapeutique et souhaite une dépénalisation lors d’une aide compatissante à la mort. Pour l’ADMD, la mort est beaucoup trop médicalisée et la volonté du malade pas suffisamment écoutée. Cependant, la demande de mettre fin à sa vie quand la fin de vie devient trop difficile et douloureuse ne va pas sans poser de problème notamment sur l’interprétation à donner de la demande. Légiférer sur le sujet de l’euthanasie n’est pas chose aisée. Nombreuses questions se posent, quelles personnes peuvent en bénéficier ? a partir de quel moment peut on dire ou décider qu’une personne doit mourir et donc provoquer son décès ? comment être certain que c’est toujours le souhait du patient et pas tout simplement un appel au secours, de détresse ? L’expérience et le développement des soins palliatifs en France attestent que dans l’immense majorité des cas, la demande d’aide à mourir n’est pas une demande de mettre fin à la vie mais une demande que les soignants, les proches et

l’environnement soient là à leurs côtés, face à l’ensemble des peurs qui peuvent être présentes à ce moment là.

3.3.6 L’exception d’euthanasie Dans un premier temps, en 1991, le comité consultatif national d’éthique avait précisé que légiférersur le sujet de l’euthanasie était beaucoup trop complexe et serait source de difficultés etl’interprétations abusives. Dans tous les cas, il posait en priorité le développement del’accompagnement et des soins palliatifs. Le CCNE justifiait son refus, d’une part, par le fait que le geste d’euthanasie reste au regard de la loiun meurtre répréhensible par le code pénal. D’autre part, la fonction de la médecine est de soigneret non de faire mourir ses patients. Dans un second temps en 1998, dans un rapport « consentement éclairé et information despersonnes qui se prêtent à des actes de recherche », le CCNE s’est déclaré favorable à relancerune discussion publique sur le sujet de l’accompagnement des malades en fin de vie, y compris la question de l’euthanasie. Ce sont dans ces circonstances et en réponse aux divers rapports rendus sur ce sujet que le CCNEa publié un rapport en janvier 2000 où est soulevé la question de l’exception d’euthanasie. Le CCNE fait alors une distinction : il prohibe fermement l’intervention d’une tierce personne pour mettre fin àla vie d’une personne avec l’intention d’abréger ses souffrances. En revanche, si le malade fait ladémarche de cette demande, le CCNE considère qu’il est consentant à l’acte et on peut alors parler d’exception d’euthanasie. Pour le CCNE : « Il n’est jamais sain pour une société de vivre en décalage trop important entre lesrègles affirmées et la réalité vécue ». C’est la raison pour laquelle le CCNE a parlé de cette notiond’exception d’euthanasie, motivée par le principe de l’engagement solidaire et du consentement : «Face à une situation de détresse, lorsque tout espoir thérapeutique est vain et que la souffrance serévèle insupportable notamment lorsque la mise en œuvre des autres démarches (soins palliatifs,accompagnement, refus de l’acharnement thérapeutique) s’est révélé impuissante à une offre de viesupportable, on peut se trouver conduit à prendre en considération le fait que l’être humain surpasse la règle et que la simple sollicitude se révèle parfois comme le dernier moyen de faire face ensembleà l’inéluctable. Cette position peut être qualifiée d’engagement solidaire. » Cette exception d’euthanasie ne conduitpas à une dépénalisation du geste. En revanche, elle permet au juge de prendre en considérationles mobiles. Il s’agit d’apprécier le bien fondé des prétentions des intéressés au regard non pas dela culpabilité en fait et en droit, mais des mobiles qui les ont animé que le CCNE qualifie d’ouvertures exceptionnelles : souci d’abréger les souffrances, respect du demande formulée par le patient,compassion face à l’inéluctable. Cependant, au regard de la législation pénale, l’exceptionl’euthanasie présenté par le CCNE suppose l’introduction par le législateur d’une éventuelle réforme du code pénal et du code de procédure pénale et de précisions complémentaires du CCNE. A ce jour, l’euthanasie reste un geste interdit.

3.3.7. Les décisions de limitation un arrêt de soins Au début des années 2000, l'affaire du jeune pompier Vincent Humbert a ravivé le débat sur ladépénalisation de l'euthanasie. Quadriplégique, il avait demandé à sa famille à l'équipe qui le prenaiten charge puis au président de la république a la possibilité de que l'on mette fin à ses jours. Sa mère a fini par lui administrer un traitement létal. Il a néanmoins été conduit en réanimation sembleavoir été pris une décision collégiale d'extubation qui n'a pasconduit à son décès. Un des médecinsqu'il avait en charge lui alors injecté une substance létale est conduite à son décès. L'instructionjudiciaire a conduit à un non-lieu pour le médecin et pour la mère de Vincent. C'est dans ce contextequ'a été instituée la commission de Jean Leonetti qui a conduit à la loi du 22 avril 2005. Prenant acte qu'aucun de ses interlocuteurs auditionnés ne demandés à ce que soit très agressé l'interdit du meurtre la commission a proposé d'encadrer les pratiques soignantes facesau refus de soins et aux décisions de limitation et d'arrêts de soins en s'appuyant sur le principe dedouble effet. Cette même loi à renforcer les droits des patients en fin de vie en élargissant la missionde la personne de confiance et en proposant la rédaction de directives anticipées.

a. Les décisions de limitation et d'arrêt de soins : Lorsqu'une équipe soignante est confrontée à devoir prendre une telle décision, la loi prévoit deuxsituations, selon que le patient est en mesure ou non de participer à la discussion. Dans le cas ou il peut participer à la discussion, son avis prévaut. Dans le cas où il ne peut participerà la discussion, le médecin qui va prendre la décision, devra prendre en compte hiérarchiquementles directives anticipées, l’avis de la personne de confiance et l’avis de la famille et des proches. La discussion s'instaure d'abord dans l'équipe soignante, elle peut s'enrichir de l'avis d'une équipeextérieure, intégrer ce qu'a pu dire le patient soit verbalement, soit dans des directives anticipées, sibesoin l’avis de la personne de confiance, l’avis de la famille jusqu'à ce que s'impose un consensusacceptable sur ce qu'il convient de poursuivre, de suspendre ou de ne pas commencer. In fine, c'est bien le médecin du patient qui va prendre cette décision et nul autre. Il convient d'être particulièrement attentif à la clarté de la responsabilité de cette décision, pour qu'une famille neporte pas le poids dans le sentiment d'avoir pu se tromper. b. La personne de confiance : La loi d'avril 2005 a étendu sa mission,( une fois clairement désignée par écrit par la personne malade et cela doit être tracé dans le dossier du patient), à être présente au côté de la personnechaque fois qu'il y aura une discussion décisionnelle médicale la concernant. (À noter que les circulaires de 2008 sur les réseaux de santé prévoient que le patient inclus dans unréseau de santé peut désigner une personne de confiance). Le concept de secret médical partagé est donc élargi à la personne de confiance. Dans toute situation où la personne malade n'est plus en mesure de participer à la discussiondécisionnelle, le médecin référent du patient devra prendre en compte son avis dans la décision qu'ilva prendre. Soulignons que le législateur, dans des décrets d'application, à donné un cadre précis pour les décisions d'arrêt ou de limitation des soins et aux directives anticipées, par contre il n'a pas donnéde cadre à la mission délicate de la personne de confiance qui n'est pas sans poser un certainnombre de questions. Les personnes de confiance peuvent être mises en difficulté par cette mission et il convient d'être particulièrement attentif à leur accompagnement. c. Les directives anticipées :

C'est un document écrit, rédigé par le patient, daté et signé, dans lequel il atteste être en pleinepossession de ses moyens et précise, exclusivement en matière de santé, ce qu'il souhaite ourécuse, le moment venu, s'il n'est plus en mesure de participer à la discussion décisionnelle qui leconcerne. Ce document est valable pour une période de 3 ans, à partir de la date de rédaction. La validité est cursive pour une nouvelle période de 3 ans, lors de toute revalidation de la date et de tout ajustement du contenu. Le décret d'application prévoit que les directives anticipées peuvent être dictées, si le patient ne peut écrire, à deux témoins, dont l'un peut être la personne de confiance. Ils prennent, sous la dictée, les volontés du patient et attestent qu'il est en pleine possession de ses moyens mentaux. Ils s'identifient sur le document qu'ils datent et signent. Le décret prévoit que les directives doivent être remises au médecin traitant, charge à lui d'eninformer les correspondants lors de toute hospitalisation. Toutefois, le patient peut décider de legarder par devers lui, le confier à la personne de confiance ou à un membre de sa famille. En tout état de cause, il est souhaitable qu’il signale à son médecin traitant, l'existence de ces directives quidoivent être tracées dans le dossier personnel médical du patient. Le décret rappelle que le médecin qui va prendre une décision, concernant un patient qui ne peut plus participer à la discussion, doit prendre en compte, donc rechercher l'existence de directives anticipées et s'attacher à vérifier leur validité.

3.4. REPERES POUR UNE PRISE DE DECISION DANS LES SITUATIONS DIFFICILES DE FIN DE VIE 3.4.1. Introduction Les difficultés décisionnelles concernant les malades en fin de vie s’attestent sur les nombreux débats autour des concepts d’acharnement thérapeutique et de limitation des soins. Afin de donner des repères pour les prises de décisions, nous proposerons, d’une part, des repèresdéontologiques et d’autre part, un mode de discussion des décisions qui se proposent chaque foisqu’une décision s’avère difficile d’essayer de répondre aux trois questions suivantes :

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Pourquoi allons-nous prendre cette décision ? Pour qui allons-nous prendre cette décision ? De quel droit ?

Cela nous conduira à poser les principes de l’éthique clinique issue d’une pratique née dans les pays nord-américains notamment au Canada et qui est mise à l’œuvre dans les réflexions habituelles des équipes de Soins Palliatifs.

3.4.2. Les repères déontologiques Dans sa version du décret 95-1000 (paru au Journal Officiel du 8 septembre 1995), le code de déontologie français fournit des repères plus précis que dans les versions antérieures tant en ce qui concerne la question de l’acharnement thérapeutique que celle de la limitation des soins. Nous citerons l’article 2 relatif au respect de la personne, de la vie humaine et de la dignité ; l’article 8 mobilisant le discernement du médecin quant aux avantages et inconvénients des investigations et thérapeutiques possibles ; l’article 35 qui insiste sur la loyauté des informations fournies au patient et l’article 36 qui rappelle l’impérieuse nécessité d’obtenir un consentement éclairé. En ce qui concerne la question des Soins Palliatifs et de la prise en charge de la douleur, le nouveau code de déontologie introduit deux articles qui sont une avancée très significative en ce qui concerne la problématique des maladies à pronostic réservé. L’article 37 indique : « En toute circonstance, le médecin doit s’efforcer de soulager les souffrances de son malade, l’assister moralement et éviter toute obstination déraisonnable dans les investigations et ou les thérapeutiques » ; L’article 38 précise : « Le médecin doit accompagner le mourrant jusqu’à ses derniers moments, assurer par les soins et mesures appropriées, la qualité d’une vie qui prend fin, sauvegarder la dignité du malade et réconforter son entourage. Il n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort ». Les articles que nous avons ainsi mis en exergue illustrent les liens privilégiés qu’entretient le codede déontologie avec la morale de conviction : respect de la vie, de la dignité à la personne humaine, de son autonomie, de son individualité tout en faisant place à une morale téléologique en se référentnotamment dans les articles 8 et 37 aux principes de futilité, de proportionnalité que nous allonsdétailler ci-après.

3.4.3. Les repères pragmatiques de la décision 1. La réponse à la question : « Pourquoi cette décision ? : intentionnalité de la décision ». Nous attirons tout d’abord l’attention sur les manières derépondre à la question « Pourquoi » : - L’une consiste à mobiliser la locution conjonctive « parce que ». Cette réponse introduit certainement la cause, le motif de la décision mais de façon justificative. Soulignons que le terme employé seul marque le refus ou l’impossibilité de répondre. Avouloir trop justifier ou trouver une cause de décision, le risque existe de se retrouver dansl’impossibilité de formuler une réponse à l’ultime « Pourquoi » du patient, - L’autre façon de répondre mobilise la locution conjonctive « pour que ». Elle introduit defaçon plus claire le but, l’intention et comporte également la potentialité d’introduire laconséquence de la décision. Appliquée à la décision d’une nouvelle chimiothérapie dans unesituation de cancer polymétastatique, on

mesure que les réponses du type : « parce que le patient demande quelque chose, parce qu’il faut faire quelque chose, parce que l’on ne peut pas rester sans rien faire, parce qu’ilfaut maintenir l’espoir du patient … » n’ouvrent pas sur le même type de délibérationqu’une réponse du type « pour que les effets attendus de cette chimiothérapiecontribuent au confort physique et psychologique du patient ».

Pour faciliter la réponse à la question « pourquoi », nous proposons de mobiliser les principes suivants : -Le principe de bienfaisance : Prérequis hippocratique : « d’abord ne pas nuire ». Chacune de nos décisions doit attester activement la référence à l’obligation de faire le bien au sens physique, moral et métaphysique ;

- Le principe du double effet : C’est un principe de procédure qui aide à la décision en se demandant si un effetnuisible peut être acceptable lorsqu’on va prescrire un traitement. Pour l’invoquer, lesoignant doit avoir l’intention d’un effet désirable et des motivations claires et il reconnaîtla possibilité d’un effet indésirable et inévitable. Il existera toujours une différenceéthiquement consistante entre prévoir un effet négatif et avoir l’intention de le produire.Ce principe repose sur quatre conditions : •Le traitement est au moins neutre, sinon bénéfique, mais peut avoir aussi bien des conséquences positives que négatives ; •L’intention du clinicien et l’effet bénéfique (par exemple soulager la douleur) mais l’effet négatif prévisible (possibilité de raccourcir la vie) peut être inévitable ; •L’effet négatif n’est pas nécessaire à la réalisation de l’effet positif désiré ; •Il existe des raisons suffisantes (soulagement de la douleur) pour accepter le risque lié à l’effet négatif.

2. La réponse à la question « pour qui cette décision : finalité de la décision ». Les principes que nous allons mobiliser doivent conduire à ce que la décision désigne clairement le patient comme le bénéficiaire du résultat attendu. Il convient de prévenir la mise en œuvre de toutes les décisions qui in fine répondraient plus à la souffrance de la famille ou des équipes soignantes de n’avoir rien à faire ou à dire face à un patient en situation critique.

Pour répondre à cette question, nous proposons de mobiliser deux principes téléologiques : leprincipe de futilité et de proportionnalité, et un principe déontologique : le respect inconditionnel del’autonomie du patient.

Le principe de futilité : La futilité des décisions doit se mesurer en fonction des objectifs cliniques pour chaquepatient considéré dans son individualité physique, psychique, sociale et spirituelle. Il convient icid’établir une distinction claire entre deux composantes du principe de futilité : les effetsphysiologiques et les bénéfices escomptés. Certains traitements sont futiles parce qu’ils ne pourraient produire l’effet physiologique vouluchez le patient, c’est ainsi que sur la base des essais cliniques et des expériences cliniques, laprobabilité est souvent infinitésimale qu’une chimiothérapie mette un terme à un processus cancéreux au stade métastatique. D’autres traitements peuvent être futiles parce qu’ils ne permettent pas d’atteindre des objectifscliniques de soins même s’ils peuvent prolonger la vie biologique. Par exemple, si l’objectif destraitements est de restaurer une certaine indépendance au patient en fin de vie, son futiles lestraitements qui le condamnent à dépendre d’appareil de maintien de vie.

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Il est ainsi justifié de suspendre ou de ne pas mettre en œuvre tout traitement médicamenteuxou toute aide technique qui au mieux n’entraîneraient que des effets physiologiques sansbénéfices réels en terme en qualité de vie.

- Le principe de proportionnalité : Il propose que les traitements et investigations disponibles soient contre-indiqués lorsque les techniques mises en œuvre posent des contraintes ou des souffrances au patient qui sont hors de proportions avec les bénéfices qu’il peut en recevoir. Il s’agit ici de parfaitement maîtriser les effets adverses ou iatrogènes des décisions quipourraient être prises en récusant celles qui vont induire une souffrance surajoutée.

- Le principe du respect inconditionnel de l’autonomie du patient : Ce principe nous amène à considérer en permanence le patient dans une position de sujet capable de choisir ce qui est bon pour lui et les risques qu’il est prêt à courir. Ce principe mobilise un pré-requis qui est celui du partage loyal de l’information avec le patient afin d’obtenir son consentement éclairé. Le rôle des soignants et du médecin en particulier est de livrer au patient avec tact et discernement les éléments d’informations qui lui permettront de choisir les décisions les plusadaptées à sa situation. Dans la situation où le patient n’est plus en mesure de communiquer, decomprendre et de s’exprimer, le respect de l’autonomie du patient se heurte à cette incapacité.La décision va alors dépendre de l’interaction entre la famille, la personne de confiance etl’équipe soignante. Un des critères essentiels à cette décision, est d’essayer alors d’évaluer ce qu’aurait voulu le patient s’il avait été capable de s’exprimer ou s'il l’a exprimé dans desdirectives anticipées. Les proches qui connaissent bien le patient, peuvent suggérer à l’équipemédicale comment il aurait voulu être traité notamment dans le cadre d’une maladie terminale.

3. La réponse à la question « de quel droit : responsabilité de la décision » Ses applications interrogent la loi, la compétence des soignants mais aussi la responsabilité dansles coûts qu’il engage. Enfin, comme la loi nous y engage, nous serons particulièrement attentifs auxpatients qui ne peuvent participer à la prise des décisions notamment quand leurs fonctionssupérieures sont altérées.

Nous proposons de mobiliser quatre principes pour éclairer la réponse à cette question :

Le principe d’humilité : Il rappelle à l’ensemble des soignants et aux médecins en particulier lorsqu’ils vont prendre in fine la décision, le fait qu’il est aujourd’hui difficile de maîtriser l’ensemble des connaissances développées par les progrès médicaux mais également les bonnes pratiques et les bonnes attitudes que le développement de la médecine a profondément diversifiées. Ce principe recommande de recourir à l’interdisciplinarité dans la perspective que la décision soit le fruit de la délibération du plus grand nombre.

Le principe d’équité : Il recommande de respecter ce à quoi les individus ont droit. C’est l’occasion de souligner que notre pratique soignante est autorisée parce que la loi lui donne un cadre qui a l’expérience, est bien souvent méconnu des soignants. C’est donc aussi l’occasion de rappeler que tous les actes commis par des soignants et sortant du cadre légal, peuvent faire l’objet de poursuites pour coups et blessures. Mais le principe d’équité, s’il fait référence à la loi, ne se résume pas à la loi. Il s’articule avec lesvaleurs fondatrices que l’on retrouve dans le serment hippocratique et tout particulièrementl’inaliénable dignité de l’homme (la dignité est ici entendue dans son sens absolu comme la hauteur que je dois reconnaître en l’autre au fondement du fait qu’il est une personne humaine).

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- Le principe de justice : Il propose de distribuer honnêtement bénéfices – risques et coûts. La réflexion décisionnelle ne peut faire l’impasse sur la nécessité d’évaluer le coût humain et matériel de toutes décisions. Les moyens dont nous disposons pour assurer les soins ne peuvent croîtrent de façon indéfinie, nous le mesurons chaque jour plus pleinement à l’orée du 21ème siècle. Si la limitation des soins pour des raisons économiques ne peut s’imposer comme un principepremier à nos décisions, nous portons la responsabilité d’aider les patients à choisir lesréponses les plus efficientes dans le rapport coût – efficacité.

- Le principe de sollicitude : Il propose de respecter inconditionnellement l’égalité des individus quelle que soit leur altérité.Nous le mobilisons tout particulièrement pour les patients incompétents en raison de l’altérationde leurs fonctions supérieures, lorsque la discussion ne va pouvoir s’instaurer qu’entre l’équipesoignante et la famille afin de tendre au mieux vers la décision qui aurait été celle souhaitée parle patient lui-même.

3.4.4. Le concept d’éthique clinique

1 : Le champ de l’éthique clinique Elle touche toutes les décisions, incertitudes, conflits de valeurs et dilemmes auxquels les médecins et les équipes médicales sont confrontées aux chevets des patients. Elle se donne pour finalité d’aboutir à un jugement pratique sur ce qu’il faut faire ou ne pas faire pour aider un patient à faire des choix thérapeutiques qui correspondent le mieux à ses besoins cliniques et à ses intérêts en général.

2 : La méthode de l’éthique clinique L’éthique clinique défie les traditions philosophiques et morales, quitte le discours abstrait et prend position sur ce qu’il devrait être fait maintenant, lorsque la décision est cruciale pour l’avenir du patient et que les conséquences en sont souvent irréversibles. En éthique clinique, le patient est la norme qui régit les décisions à prendre et les jugementspratiques à porter. C’est à partir de l’histoire du patient que l’éthique clinique interprète les principes et précise ce qu’ilsexigent, permettent, tolèrent ou prohibent pour ce patient. Il ne s’agit pas d’analyser chaque cas à la lumière d’une grille de principes moraux, philosophiques et religieux pour en tirer une conclusion.Les principes doivent être soumis à la grille des cas individuels, à un éventail d’histoirespersonnelles, constitué de souffrances et de pertes multiples, de menaces à l’intégrité personnelle etde mort. L’éthique clinique est une activité intellectuelle distincte et originale : pour interpréter correctementles dilemmes éthiques, il faut comprendre la situation clinique dans toute sa subtilité et sa complexité médicale et individuelle. Sa méthode peut se résumer ainsi : chaque cas renferme sapropre solution. Si l’on comprend le patient, son corps et son histoire dans sa totalité, les autreséléments indispensables pour résoudre l’incertitude, le conflit ou le dilemme vont se dégagerprogressivement de la discussion. La communication et la discussion sont essentielles pour décrire et comprendre le cas du patientdans son ensemble. Tous les points de vue éclairés et pertinents doivent s’exprimer et se corriger mutuellement : ceux du patient (s’il est conscient et capable de les exprimer), ceux des médecins,des infirmières, des membres de la famille, des autres consultants et de toutes autres personnes quiont un rôle à jouer dans la problématique individuelle du patient.

Le grand défi de l’éthique clinique consiste donc à établir un dialogue et à le maintenir jusqu’à ceque la confrontation de ces différents points de vue amène à choisir l’essentiel et à atteindre unconsensus tolérable sur ce que l’on doit faire ou éviter.