Charlie Et La Chocolaterie - Dahl,Roald

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ROALD DAHL

Charlie et la chocolaterieIllustrations de Quentin Blake Traduit de langlais par Elisabeth Gaspar

Titre original : Charlie and the Chocolate Factory Roald Dahl Nominee Lld. 1964 pour le texte Ouenlin Blake. 1995 pour les illustrations Gallimard Jeunesse. 1967 pour la traduction franaise

Gallimard Jeunesse. 1987 pour la prsente dition Loi n49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destines la jeunesse ISBN 2-07-051333-5 Dpt lgal : septembre 1997 1er dpt lgal dans la mme collection : septembre 1987 N ddition : 83963 N dimpression : 39684 Imprim en France sur les presses de limprimerie Hrissey

Pour Tho

VOICI LES CINQ ENFANTS DU LIVRE :AUGUSTUS GLOOP

Un petit garon trs gourmandVERUCA SALT

Une petite fille gte par ses parentsVIOLETTE BEAUREGARD

Une petite fille qui passe ses journes mcher du chewing-gumMIKE TEAVEE

Un petit garon qui ne fait que regarder la tlvision etCHARLIE BUCKET

Notre hros

1 VOICI CHARLIECe vieux monsieur et cette vieille dame sont les parents de Mr. Bucket. Ils sappellent grand-papa Joe et grand-maman Josphine.

Et voici deux autres vieux. Le pre et la mre de Mrs. Bucket. Ils sappellent grand-papa Georges et grandmaman Georgina.

Voici Mrs. Bucket. Voici Mr. Bucket. Mr. et Mrs. Bucket ont un petit garon qui sappelle Charlie Bucket.

Voici Charlie. Bonjour, Charlie ! Bonjour, bonjour et

re-bonjour.

Il est heureux de faire votre connaissance. Toute cette gentille famille les six grandes personnes (comptez-les !) et le petit Charlie Bucket vivait runie dans une petite maison de bois, en bordure dune grande ville. La maison tait beaucoup trop petite pour abriter tant de monde et la vie y tait tout sauf confortable. Deux pices seulement et un seul lit. Ce lit tait occup par les quatre grands-parents, si vieux, si fatigus. Si fatigus quils nen sortaient jamais. Dun ct, grand-papa Joe et grand-maman Josphine. De lautre, grand-papa Georges et grandmaman Georgina.

Quant Charlie Bucket et ses parents, Mr. et Mrs. Bucket, ils dormaient dans lautre pice, par terre, sur des matelas. En t, ce ntait pas bien grave. Mais en hiver, des courants dair glacs balayaient le sol, toute la nuit. Et cela, ctait effrayant. Pas question dacheter une maison plus confortable, ni mme un autre lit. Ils taient bien trop pauvres pour cela.

Mr. Bucket tait le seul, dans cette famille, avoir un emploi. Il travaillait dans une fabrique de pte dentifrice.

Assis sur un banc, il passait ses journes visser les petits capuchons sur les tubes de dentifrice. Mais un visseur de capuchons sur tubes de dentifrice est toujours trs mal pay, et le pauvre Mr. Bucket avait beau travailler trs dur et visser ses capuchons toute vitesse, il ne parvenait jamais gagner assez pour acheter seulement la moiti de ce qui aurait t indispensable une si nombreuse famille. Pas mme assez pour nourrir convenablement tout ce petit monde. Rien que du pain et de la margarine pour le petit djeuner, des pommes de terre bouillies et des choux pour le djeuner, et de la soupe aux choux pour le repas du soir. Le dimanche, ils mangeaient un peu mieux. Cest pourquoi ils attendaient toujours le dimanche avec impatience. Car ce jour, bien que le menu ft exactement le mme, chacun avait droit une seconde portion. Bien sr, les Bucket ne mouraient pas de faim, mais tous les deux vieux grands-pres, les deux vieilles grands-mres, le pre de Charlie, la mre de Charlie, et surtout le petit Charlie lui-mme allaient et venaient du matin au soir avec un sentiment de creux terrible dans la rgion de lestomac. Et cest Charlie qui le ressentait plus fort que tous les autres. Ses parents avaient beau se priver souvent de djeuner ou de dner pour lui abandonner leur part, ctait toujours insuffisant pour un petit garon en pleine croissance. Il rclamait dsesprment quelque chose de plus nourrissant, de plus rjouissant que des choux et de la soupe aux choux. Mais ce quil dsirait par-dessus tout,

ctait du CHOCOLAT. En allant lcole, le matin, Charlie pouvait voir les grandes tablettes de chocolat empiles dans les vitrines. Alors il sarrtait, les yeux carquills, le nez coll la vitre, la bouche pleine de salive. Plusieurs fois par jour, il pouvait voir les autres enfants tirer de leurs poches des btons de chocolat pour les croquer goulment. Ce qui, naturellement, tait pour lui une vritable torture. Une fois par an seulement, le jour de son anniversaire, Charlie Bucket avait droit un peu de chocolat. Toute la famille faisait des conomies en prvision de cette fte exceptionnelle et, le grand jour arriv, Charlie se voyait offrir un petit bton de chocolat, pour lui tout seul. Et chaque fois, en ce merveilleux matin danniversaire, il plaait le bton avec soin dans une petite caisse de bois pour le conserver prcieusement comme une barre dor massif ; puis, pendant quelques jours, il se contentait de le regarder sans mme oser y toucher. Puis, enfin, quand il nen pouvait plus, il retirait un tout petit bout de papier, du coin, dcouvrant un tout petit bout de chocolat, et puis il prenait ce petit bout, juste de quoi grignoter, pour le laisser fondre doucement sur sa langue. Le lendemain, il croquait un autre petit bout, et ainsi de suite, et ainsi de suite. Cest ainsi que Charlie faisait durer plus dun mois le prcieux cadeau danniversaire qutait ce petit bton de chocolat deux sous. Mais je ne vous ai pas encore dit ce qui torturait plus que toute autre chose lamateur de chocolat qutait le petit Charlie. Et cette torture-l tait bien pire que la vue des

tablettes de chocolat dans les vitrines ou le spectacle des enfants qui croquaient leurs confiseries sous son nez. Vous nimaginerez pas de plus monstrueux supplice : Dans la ville mme, bien visible depuis la maison o habitait Charlie, se trouvait une NORME CHOCOLATERIE ! Imaginez un peu ! Et ce ntait mme pas une chocolaterie ordinaire. C'tait la plus importante et la plus clbre du monde entier ! C'tait la CHOCOLATERIE WONKA, proprit dun monsieur nomm Mr. Willy Wonka, le plus grand inventeur et fabricant de chocolat de tous les temps. Et quel endroit merveilleux, fantastique ! De grandes portes de fer, un haut mur circulaire, des chemines crachant des paquets de fume, dtranges sifflements venant du fond du btiment. Et dehors, tout autour des murs, dans un secteur de prs dun kilomtre, lair embaumait dun riche et capiteux parfum de chocolat fondant ! Deux fois par jour, sur le chemin de lcole, puis au retour, le petit Charlie Bucket passait devant les portes de la chocolaterie. Et, chaque fois, il se mettait marcher trs trs lentement, le nez en lair, pour mieux respirer cette dlicieuse odeur de chocolat qui flottait autour de lui. Oh ! comme il aimait cette odeur ! Et comme il rvait de faire un tour lintrieur de la chocolaterie, pour voir quoi elle ressemblait !

2 LA CHOCOLATERIE DE MR. WILLY WONKALe soir, aprs avoir mang sa soupe aux choux noye deau, Charlie allait toujours dans la chambre de ses quatre grands-parents pour couter leurs histoires, et pour leur souhaiter bonne nuit. Chacun deux avait plus de quatre-vingt-dix ans. Ils taient frips comme des pruneaux secs, ossus comme des squelettes et, toute la journe, jusqu lapparition de Charlie, ils se pelotonnaient dans leur lit, deux de chaque ct, coiffs de bonnets de nuit qui leur tenaient chaud, passant le temps ne rien faire. Mais ds quils entendaient la porte souvrir, puis la voix du petit Charlie qui disait : Bonsoir, grand-papa Joe et grand-maman Josphine, bonsoir, grand-papa Georges et grand-maman Georgina , tous les quatre se dressaient dans leur lit, leurs vieilles figures rides lui souriaient, illumines de plaisir et ils commenaient lui raconter des histoires. Car ils aimaient beaucoup le petit garon. Il tait leur seule joie et, toute la journe, ils attendaient impatiemment lheure de sa visite. Souvent, ses parents laccompagnaient et, debout dans lencadrement de la porte, ils coutaient les histoires

des grands-parents ; ainsi, chaque soir, pendant une demiheure environ, la chambre devenait un endroit joyeux et toute la famille oubliait la faim et la misre. Un soir, en venant voir ses grands-parents, Charlie leur dit : Est-il bien vrai que la Chocolaterie Wonka est la plus grande du monde ? Si cest vrai ? scrirent-ils en chur. Bien sr que cest vrai ! Bont divine, tu ne le savais donc pas ? Elle est peu prs cinquante fois plus grande que toutes les autres ! Et Mr. Willy Wonka est-il vraiment le plus habile de tous les fabricants de chocolat ? Mon garon, dit grand-papa Joe en se soulevant sur son oreiller, Mr. Willy Wonka est le chocolatier le plus fascinant, le plus fantastique, le plus extraordinaire que le monde ait jamais vu ! Je croyais que tout le monde savait cela ! Je savais quil tait clbre, grand-papa Joe, et je savais aussi quil tait trs habile Habile ! scria le vieil homme. Il est beaucoup plus que a ! Cest un magicien du chocolat ! Il sait tout faire tout ce quil veut ! Pas vrai, mes amis ? Les trois autres vieux se mirent branler doucement la tte, et ils dirent : Cest absolument vrai. Rien nest plus vrai. Et grand-papa Joe dit : Tu veux dire que je ne tai jamais parl de Mr. Willy Wonka et de sa chocolaterie ? Jamais, rpondit le petit Charlie. Bont divine ! O avais-je la tte ? Veux-tu men parler maintenant, grand-papa Joe, sil te plat ?

Certainement. Viens tasseoir prs de moi sur le lit, mon petit, et coute-moi bien. Grand-papa Joe tait le plus vieux des quatre grandsparents. Il avait quatre-vingt-seize ans et demi, et il est trs difficile dtre plus vieux que lui. Comme toutes les personnes extrmement ges, il tait fragile et de sant dlicate. Dans la journe, il parlait peine. Mais le soir, en prsence de Charlie, son petit-fils bien-aim, il semblait rajeunir comme par miracle. Toute fatigue le quittait et il devenait vif et remuant comme un jeune garon. Oh ! quel homme, ce Mr. Willy Wonka ! scria grand-papa Joe. Est-ce que tu savais, par exemple, quil a invent lui seul plus de deux cents nouvelles varits de btons de chocolat, chacun fourr de faon diffrente, plus sucrs, plus onctueux, plus dlicieux les uns que les autres ? Aucun autre chocolatier ne peut en faire autant ! Cest la vrit ! cria grand-maman Josphine. Et il les expdie aux quatre coins de la terre ! Nest-ce pas vrai, grand-papa Joe ? Cest vrai, ma chre, cest vrai. Il en envoie tous les rois et tous les prsidents du monde entier. Mais il ne fait pas seulement des btons de chocolat. Oh ! mon Dieu, il fait mieux ! Il a plus dun tour dans son sac, cet tonnant Mr. Willy Wonka ! Sais-tu quil a invent un procd permettant la glace au chocolat de rester froide pendant des heures et des heures sans quon ait besoin de la mettre au frigo ? On peut mme lexposer au soleil, toute la matine, un jour de grande chaleur, et elle ne fondra pas ! Mais cest impossible ! dit le petit Charlie en ouvrant des yeux tout ronds sur son grand-pre.

Bien sr que cest impossible ! scria grand-papa Joe. Cest mme tout fait absurde ! Mais Mr. Willy Wonka le peut ! Cest juste ! approuvrent les autres en inclinant la tte. Mr. Wonka le peut. Et puis, reprit grand-papa Joe en parlant trs lentement pour que Charlie ne perdt pas un mot de ce quil disait, Mr. Willy Wonka sait faire des ptes de guimauve parfumes la violette, et des caramels mous qui changent de couleur toutes les dix secondes quand on les suce, et des bonbons feuillets qui fondent dlicieusement ds quon les prend entre ses lvres. Il fabrique du chewing-gum qui ne perd jamais son got, et des ballons en pte de fruits qui deviennent normes quand on souffle dedans, puis on les pique avec une pingle et on les avale. Et puis, il a une mthode secrte pour faire de beaux ufs doiseaux bleus, tachs de noir, et si on en prend un dans la bouche, il devient de plus en plus petit jusqu ce que, soudain, il ne vous en reste quun minuscule bb oiseau tout rose, en sucre, perch au bout de la langue. Grand-papa Joe se tut un instant pour se passer lentement le bout de la langue sur les lvres. Rien qu y

penser, jai leau la bouche, dit-il. Moi aussi, dit le petit Charlie. Mais continue, sil te plat ! Tandis quils parlaient, Mr. et Mrs. Bucket, les parents de Charlie, taient entrs sur la pointe des pieds. Tous deux se tenaient prs de la porte et coutaient. Raconte Charlie lhistoire de ce prince indien fou, dit grand-maman Josphine. Il laimera bien. Tu veux parler du prince Pondichry ? dit grandpapa Joe, puis il clata de rire. Compltement toqu ! dit grand-papa Georges. Mais trs riche, dit grand-maman Georgina. Quest-ce quil a fait ? demanda vivement Charlie. Tu le sauras, dit grand-papa Joe, coute-moi bien.

3 MR. WONKA ET LE PRINCE INDIEN Le prince Pondichry crivit Mr. Willy Wonka, dit grand-papa Joe, pour lui demander de venir durgence en Inde, afin de lui btir un immense palais, tout en chocolat. Et Mr. Wonka la-t-il bti, grand-papa ? Il la bti. Et quel palais ! Il avait une centaine de chambres, et tout y tait en chocolat, tantt clair, tantt sombre ! Les briques taient en chocolat, le ciment qui les faisait tenir tait en chocolat, les fentres taient en chocolat, tous les murs et tous les plafonds taient faits de chocolat, ainsi que les tapis, les tableaux, les meubles et les lits ; et quand on ouvrait les robinets de la salle de bains, il en coulait du chocolat chaud. Lorsque tout fut termin, Mr. Wonka dit au prince Pondichry : Mais je vous prviens, tout cela risque de ne pas durer trs longtemps, vous feriez donc mieux de le manger sans trop attendre. Insens ! hurla le prince. Je ne mangerai pas mon palais ! Je ne grignoterai mme pas lescalier, je ne

lcherai mme pas les murs ! Je my installerai ! Mais, naturellement, Mr. Wonka avait raison, car peu aprs, il y eut un jour de trs grande chaleur. Le soleil cuisait fort et tout le palais se mit fondre, puis scrouler en douceur, et ce fou de prince qui somnolait dans sa salle de sjour se rveilla, flottant au milieu dun grand lac brun et onctueux, un lac de chocolat. Assis bien tranquille sur le bord du lit, le petit Charlie avait les yeux fixs sur son grand-pre. Son visage tait tout illumin, et ses yeux si grands ouverts quon pouvait en voir le blanc, tout autour. Est-ce que cest bien vrai, tout a ? demanda-t-il. Ne me fais-tu pas marcher ? Cest la vrit ! crirent les quatre vieux en chur. Bien sr que cest la vrit ! Demande qui tu voudras ! Et ce nest pas tout , dit grand-papa Joe. Il se pencha plus prs de Charlie et baissa la voix pour chuchoter confidentiellement : Personne nen sort

jamais ! Mais do ? demanda Charlie. Et personne ny entre jamais ! O a ? cria Charlie. Je parle de la chocolaterie Wonka, voyons ! Que veux-tu dire, grand-papa ? Je parle des ouvriers, Charlie. Des ouvriers ? Toutes les usines, dit grand-papa Joe, ont des ouvriers qui arrivent en foule le matin et qui repartent le soir toutes les usines, sauf la Chocolaterie Wonka ! As-tu

jamais vu une seule personne y entrer ou en sortir ? Le petit Charlie interrogea lentement du regard les quatre vieux visages, lun aprs lautre, et ils rpondirent son regard, graves et souriants la fois. Personne navait lair de plaisanter ou de se moquer de lui. Eh bien ? En as-tu vu ? demanda grand-papa Joe. Je je ne sais pas, grand-papa, balbutia Charlie. Quand je passe devant lusine, les portes ont toujours lair dtre fermes. Exactement ! dit grand-papa Joe. Mais il doit bien y avoir des gens qui travaillent Pas des gens, Charlie. Pas des gens ordinaires, en tout cas. Alors, qui ? cria Charlie. Ah ha Nous y voil Cest l une autre astuce de Mr. Willy Wonka. Mon petit Charlie, appela Mrs. Bucket depuis la porte, il est temps daller te coucher. a suffit pour ce soir. Mais, maman, je veux savoir Demain, mon chri Cest a, dit grand-papa Joe. Tu connatras la suite demain soir.

4 LES OUVRIERS MYSTERIEUXLe lendemain, grand-papa Joe raconta la suite de son histoire. Vois-tu, Charlie, dit-il, il ny a pas si longtemps, la chocolaterie de Mr. Willy Wonka comptait des milliers douvriers. Puis un jour, soudain, Mr. Wonka dut les prier tous de rentrer chez eux, de ne jamais revenir. Mais pourquoi ? demanda Charlie. A cause des espions. Des espions ? Oui. Car tous les autres chocolatiers staient mis jalouser les merveilleuses confiseries que fabriquait Mr. Wonka, et lui envoyer des espions pour lui voler ses recettes. Les espions se firent embaucher par la chocolaterie Wonka en se faisant passer pour de simples ouvriers, et cela leur permit, pendant quils y taient, dtudier de quoi taient faites certaines de ses spcialits. Et puis ils retournaient leurs propres usines pour tout raconter ? demanda Charlie. Je le pense, rpondit grand-papa Joe, puisque,

peu aprs, la Chocolaterie Fickelgruber stait mise fabriquer une crme glace qui ne fondait jamais, mme par la plus grande chaleur. Puis la Chocolaterie Prodnose sortit une gomme mcher qui ne perdait jamais sa saveur, mme aprs des heures de mastication. Et puis la Chocolaterie Slugworth sest mise fabriquer des ballons de confiserie gonflables et crevables avant dtre consomms. Et ainsi de suite, et ainsi de suite. Et Mr. Willy Wonka tira sur sa barbe et hurla : Cest pouvantable ! Je vais tre ruin ! Des espions partout ! Je serai oblig de fermer mon usine ! Mais il ne la pas ferme ! dit Charlie.

Mais si, il la ferme. Aprs avoir dit tous ses ouvriers quil tait navr, mais quils devaient rentrer chez eux, il a ferm la porte cochre et la attache avec une chane. Et soudain, la gigantesque chocolaterie Wonka

tait devenue silencieuse et dserte. Les chemines avaient cess de fumer, les machines de ronronner et partir de ce fameux jour, on ny fabriquait plus un bonbon, plus une bouche de chocolat. Plus personne nentrait ni ne sortait. Pas un chat. Quant Mr. Willy Wonka, il disparut compltement. Des mois et des mois passrent, poursuivit grandpapa Joe, mais la chocolaterie tait toujours ferme. Et tout le monde disait : Pauvre Mr. Wonka. Il tait si gentil. Et il faisait de si merveilleuses sucreries. Le voil ruin. Tout est fini ! Puis il arriva quelque chose dtonnant. Un jour, de bon matin, on voyait cinq panaches de fume blanche sortir des grandes chemines de la chocolaterie ! Les passants sarrtaient en carquillant les yeux ! Que se passe-t-il ! scrirent les gens. Quelquun a allum les fourneaux ! Mr. Wonka a d rouvrir son usine ! Ils coururent aux portes, sattendant les trouver grandes ouvertes, et y voir Mr. Wonka en train de souhaiter la bienvenue ses anciens ouvriers. Mais non ! Les grandes portes de fer taient cadenasses plus hermtiquement que jamais et Mr. Wonka, lui, demeurait invisible. Mais la chocolaterie fonctionne ! crirent les gens. Ecoutez les machines ! Elles bourdonnent de nouveau ! Et on sent partout cette odeur de chocolat fondu ! Grand-papa Joe se pencha en avant et posa un long doigt dcharn sur le genou de Charlie. Puis il dit voix basse : Mais ce quil y avait de plus mystrieux, Charlie,

ctaient les ombres quon apercevait par les fentres de lusine. Car les gens qui marchaient dans la rue pouvaient voir de petites ombres noires qui se dplaaient derrire les vitres dpolies. Les ombres de qui ? demanda vivement Charlie. Cest exactement ce que tout le monde voulait savoir. Lusine est pleine douvriers ! criaient les gens. Pourtant, personne nest entr ! Les portes sont verrouilles ! Cest insens ! Et personne ne sort jamais ! Mais ce qui ne faisait plus de doute, dit grand-papa Joe, cest que la chocolaterie fonctionnait. Et pendant les dix dernires annes, elle ne devait plus sarrter. Et, qui plus est, ses chocolats et ses bonbons taient encore plus fantastiques, encore plus dlicieux quavant. Et, naturellement, quand Mr. Wonka invente maintenant une nouvelle et merveilleuse varit de confiserie, ni Mr. Fickelgruber, ni Mr. Prodnose, ni Mr. Slugworth, ni qui que ce soit narrive le copier. Leurs espions ne peuvent plus pntrer dans lusine pour semparer de la recette. Mais qui, grand-papa, scria Charlie, qui est-ce qui travaille maintenant pour Mr. Wonka ? On nen sait rien, Charlie. Mais cest absurde ! Personne na donc essay de le demander Mr. Wonka ? Plus personne ne le voit. Il ne sort jamais. Seuls les chocolats et les bonbons sortent de cette usine. Ils en sortent par une trappe spciale, emballs et libells, et des camions postaux viennent les chercher tous les jours. Mais, grand-papa, quest-ce que cest que ces

gens qui travaillent l-dedans ? Mon garon, dit grand-papa Joe, cest l un des grands mystres du monde chocolatier. Quant nous autres, nous nen savons quune chose. Ils sont trs petits. Les vagues silhouettes qui apparaissent quelquefois derrire les vitres, surtout la nuit quand les lampes sont allumes, ce sont des silhouettes de personnages trs petits, pas plus gros quun poing Des gens comme a, a nexiste pas , dit Charlie. A cet instant, Mr. Bucket, le pre de Charlie, entra dans la pice. Il rentrait de sa fabrique de dentifrice en brandissant, lair plutt excit, un journal du soir. Connaissez-vous la dernire nouvelle ? cria-t-il. Il dploya le journal, et ils virent le gros titre. Ce titre disait : LA CHOCOLATERIE WONKA OUVRIRA SES PORTES A QUELQUES LUS

5 LES TICKETS DOR Tu veux dire que le public aura accs la chocolaterie ? cria grand-papa Joe. Lis-nous cet article vite ! Bien, dit Mr. Bucket en passant la main sur le journal. coutez.

M. WILLY WONKA, LE CONFISEUR DE GENIE QUE PERSONNE NA VU PENDANT LES DIX DERNIERES ANNEES, FAIT CONNATRE LAVIS SUIVANT :

Je, soussign Willy Wonka, ai dcid de permettre cinq enfants cinq et pas plus, retenez-le bien de visiter ma chocolaterie cette anne. Ces cinq lus feront le tour de ltablissement,

pilots par moi-mme, et seront initis tous ses secrets, toute sa magie. Puis, en fin de tourne, tous auront droit un cadeau spcial : il leur sera fait don dune quantit de chocolats et de bonbons qui devra suffire jusqu la fin de leurs jours ! Enfants, cherchez bien vos tickets dor ! Cinq tickets dor ont t imprims sur papier dor, et ces cinq tickets dor sont cachs dans le papier demballage ordinaire de cinq btons ordinaires de chocolat. Ces cinq btons seront trouvables nimporte o dans nimporte quelle boutique de nimporte quelle rue, dans nimporte quelle ville de nimporte quel pays du monde partout o sont vendues les confiseries Wonka. Et les cinq heureux gagnants de ces cinq tickets dor seront les seuls pouvoir visiter ma chocolaterie, eux seuls verront comment elle se prsente maintenant lintrieur ! Bonne chance tous et bon courage ! Sign Willy Wonka. Il est fou ! grommela grand-maman Josphine. Cest un gnie ! scria grand-papa Joe. Cest un magicien ! Pensez ce qui va arriver maintenant ! Le monde entier fera la chasse aux tickets dor ! Tout le monde achtera les btons de chocolat Wonka, dans lespoir den trouver un ! Il en vendra plus que jamais ! Oh ! Comme ce serait passionnant de trouver un ticket dor ! Et tous ces chocolats, tous ces bonbons quon pourrait manger pour le reste de nos jours gratuitement ! dit grand-papa Georges. Imaginez un peu !

Il devra les livrer domicile, en camion ! dit grandmaman Georgina. Rien que dy penser, jai mal au cur, dit grandmaman Josphine. Sottises ! cria grand-papa Joe. Quest-ce que tu dirais, Charlie, si tu trouvais un ticket dor dans un bton de chocolat ? Un ticket dor tout brillant ? Ce serait patant, grand-papa. Mais cest sans espoir, dit tristement Charlie. On ne moffre quun bton par an. Sait-on jamais, mon chri, dit grand-maman Georgina. La semaine prochaine, cest ton anniversaire. Tu as autant de chances que les autres. Jai bien peur que ce ne soit pas vrai, dit grandpapa Georges. Les gosses qui trouveront les tickets dor seront de ceux qui peuvent soffrir des btons de chocolat tous les jours. Notre Charlie nen a quun par an. Cest sans espoir.

6 LES DEUX PREMIERS GAGNANTSPas plus tard que le lendemain, le premier ticket dor fut trouv. Trouv par un petit garon nomm Augustus Gloop. Le journal du soir de Mr. Bucket publiait une importante photo de lui en premire page. Cette photo reprsentait un garon de neuf ans, si gros et si gras quil avait lair gonfl par une pompe extrapuissante. Tout flasque et tout en bourrelets de graisse. Avec une figure comme une monstrueuse boule de pte, et des yeux perants comme des raisins secs, scrutant le monde avec malveillance. La ville o habitait Augustus Gloop, disait le journal, ftait son hros, folle de joie et dmotion. Des drapeaux flottaient toutes les fentres, les enfants nallaient pas en classe, et une parade allait tre organise en lhonneur du glorieux jeune homme. Je savais bien quAugustus trouverait un ticket dor, avait confi sa mre aux journalistes. Il mange tant de btons de chocolat par jour quil aurait t presque impossible quil nen trouvt pas. Manger, cest son dada,

que voulez-vous ? Cest tout ce qui lintresse. Aprs tout, a vaut mieux que dtre un blouson noir et de passer son temps tirer des coups de pistolet, nest-ce pas ? Tout ce que je peux vous dire, cest quil ne mangerait certainement pas autant si son organisme ne le rclamait pas, quen pensez-vous ? Il lui faut des vitamines, ce petit. Comme ce sera mouvant pour lui de visiter la merveilleuse chocolaterie Wonka ! Nous sommes trs fiers de lui !

Quelle femme rvoltante, dit grand-maman Josphine.

Et quel petit garon rpugnant, dit grand-maman Georgina. Plus que quatre tickets dor, dit grand-papa Georges. Je me demande qui les trouvera. A prsent, dans tout le pays, que dis-je, dans le monde entier, ctait la rue vers les btons de chocolat. Tout le monde cherchait avec frnsie les prcieux tickets qui restaient trouver. On voyait des femmes adultes entrer dans des boutiques de confiserie pour acheter dix btons de chocolat Wonka la fois. Puis elles dchiraient le papier comme des folles et lexaminaient, avides dapercevoir un clair de papier dor. Les enfants cassaient leurs tirelires coups de marteau, puis, les mains pleines de monnaie, ils se prcipitaient dans les magasins. Dans une ville, un fameux gangster cambriola une banque pour acheter, le jour mme, pour cinq mille dollars de btons de chocolat. Et lorsque la police vint larrter, elle le trouva assis par terre, parmi des montagnes de chocolat, en train de fendre lemballage avec la lame de son surin. Dans la lointaine Russie, une femme nomme Charlotte Russe prtendit avoir trouv le second ticket, mais on devait apprendre aussitt que ce ntait quun astucieux trucage. En Angleterre, un illustre savant, le professeur Foulbody, inventa une machine capable de dire, sans dchirer le papier, sil y avait, oui ou non, un ticket dor dans un bton de chocolat. Cette machine avait un bras mcanique qui sortait avec une force infernale pour saisir sur-le-champ tout ce qui contenait le moindre gramme dor. Pendant un moment, on

crut y voir une solution. Mais, par malheur, alors que le professeur prsentait sa machine au public, au rayon chocolat dun grand magasin, le bras mcanique sortit et arracha le plombage dor de la molaire dune duchesse qui se trouvait l par hasard. Il y eut une trs vilaine scne, et la machine fut mise en pices par la foule. Soudain, la veille de lanniversaire de Charlie, les journaux annoncrent que le deuxime ticket venait dtre trouv. Lheureuse gagnante tait une petite fille nomme Veruca Sait, qui vivait avec ses parents dans une grande ville lointaine. Une nouvelle fois, le journal de Mr. Bucket publiait une photo en premire page. La gagnante y tait assise entre ses parents radieux dans la salle de sjour de leur maison, brandissant le ticket au-dessus de sa tte, le visage fendu dune oreille lautre par un large sourire. Le pre de Veruca, Mr. Sait, expliqua avec empressement aux journalistes comment le ticket avait t trouv. Voyez-vous, mes amis, dit-il, quand ma petite fille ma dit quil lui fallait un ticket dor tout prix, jai couru en ville pour acheter tout le stock de btons de chocolat. Des milliers de btons, je crois. Des centaines de milliers ! Puis je les ai fait charger sur des camions pour les envoyer directement ma propre usine. Pour ne rien vous cacher, je suis dans les cacahutes, et jai mon service une centaine douvrires. Elles dcortiquent les cacahutes qui sont ensuite grilles et sales. Toute la journe, elles dcortiquent les cacahutes. Alors je leur ai dit : Eh bien, les filles, dsormais, au lieu de dcortiquer des cacahutes, vous dpouillerez ces petits btons de

chocolat de rien du tout ! Et elles se sont mises au travail. Du matin au soir, fidles au poste, elles retiraient le papier de ces btons de chocolat.

Trois jours ont pass ainsi, mais toujours rien, pas de chance. Oh ! ctait terrible ! Ma petite Veruca se dsolait de plus en plus, et chaque fois que je rentrais la maison, elle me recevait avec des cris O est mon ticket dor ? Je veux mon ticket dor ! Et elle restait couche par terre, en gigotant et en hurlant de faon extrmement gnante. Eh bien, monsieur, je ne pouvais plus voir souffrir ainsi ma petite fille, cest pourquoi jai jur de poursuivre

mes recherches jusquau moment o je pourrais lui apporter ce quelle dsirait. Puis soudain vers la fin du quatrime jour, une de mes ouvrires scria : Tiens ! Un ticket dor ! Et jai dit : Donnez-le-moi, vite ! Et elle me la donn, et je me suis prcipit la maison pour le remettre ma petite Veruca chrie, et maintenant elle est tout sourire, et la maison a retrouv son calme. Elle est encore pire que le gros garon, dit grandmaman Josphine. Elle mrite une bonne fesse, dit grand-maman Georgina. Je trouve que le pre de la petite fille na pas jou franc jeu, quen penses-tu, grand-papa ? murmura Charlie. Il la gte trop, dit grand-papa Joe. Et, crois-moi, Charlie, cest toujours dangereux de trop gter les enfants. Viens dormir mon chri, dit la mre de Charlie. Demain cest ton anniversaire, ne loublie pas. Je suppose que tu seras lev de bonne heure pour ouvrir ton cadeau. Un bton de chocolat Wonka ! scria Charlie. Cest un bton Wonka, nest-ce pas ? Oui, mon chri, dit la mre. Naturellement. Oh ! Ne serait-ce pas magnifique si jy trouvais le troisime ticket dor ? dit Charlie. Apporte-le quand tu lauras, dit grand-papa Joe. Comme a, nous assisterons tous au dballage.

7 LANNIVERSAIRE DE CHARLIE Bon anniversaire ! scrirent les quatre vieux grands-parents lorsque, le lendemain, de bonne heure, Charlie entra dans leur chambre. Il sourit nerveusement et sassit leur chevet. Entre ses mains, il tenait avec prcaution son cadeau, son seul cadeau. Sur le papier demballage, on lisait : SUPER-DLICE FONDANT WONKA A LA GUIMAUVE Les quatre vieux, deux chaque bout du lit, se soulevrent sur leurs oreillers et regardrent, les yeux pleins danxit, le bton de confiserie dans les mains de Charlie. Le silence se fit dans la chambre. Tout le monde attendait linstant o Charlie se mettrait dballer son cadeau. Charlie, lui, gardait les yeux baisss sur le bton. Lentement, il y promenait les doigts, caressant amoureusement le papier brillant qui mettait, dans le silence de la chambre, de petits bruissements secs.

Puis Mrs. Bucket dit doucement : Ne sois pas trop du, mon chri, si tu ne trouves pas ce que tu cherches dans ce paquet. Tu ne peux pas tattendre tant de chance. Elle a raison , dit Mr. Bucket. Charlie, lui, ne dit rien. Aprs tout, dit grand-maman Josphine, il ne reste que trois tickets trouver dans le monde entier. Et noublie pas que, quoi quil arrive, il te reste toujours ton bton de chocolat, dit grand-maman Georgina. Du super-dlice fondant Wonka la guimauve ! scria grand-papa Georges. Cest ce quil y a de mieux ! Tu te rgaleras ! Oui, souffla Charlie. Je sais. Tu nas qu oublier cette histoire de tickets dor. Vas-y, gote ton bton, dit grand-papa Joe. Quest-ce que tu attends ? Ils savaient tous combien il aurait t ridicule de sattendre ce que ce pauvre petit bton de confiserie recelt un ticket magique, cest pourquoi ils sefforaient, avec beaucoup de douceur et de gentillesse, de prvenir la dception qui attendait Charlie. Mais ce ntait pas tout. Car les grandes personnes savaient aussi que la chance, ft-elle infime, tait l. La chance devait bien y tre. Ce bton-l avait autant de chances que nimporte quel autre de contenir un ticket dor. Et cest pourquoi tous les grands-parents et parents qui se trouvaient dans la chambre taient tout aussi mus, tout aussi crisps que Charlie, malgr leurs efforts pour

paratre trs calmes. Vas-y, ouvre-le, tu arriveras en retard lcole, dit grand-papa Joe. Vas-y, jette-toi leau, dit grand-papa Georges. Ouvre-le, mon petit, dit grand-maman Georgina. Ouvre-le, veux-tu ? Tu me rends nerveuse. Trs lentement, les doigts de Charlie se mirent manipuler un coin de lemballage. Les vieux, dans leur lit, se penchrent en avant en tendant leurs cous dcharns.

Puis, soudain, nen pouvant plus, Charlie fendit dun seul coup le papier, au milieu et il vit tomber sur ses genoux un petit bton de chocolat au lait marron clair. Pas le moindre ticket dor. Eh bien voil ! dit joyeusement grand-papa Joe.

Cest exactement ce quon attendait. Charlie leva la tte. Quatre bons vieux visages le regardaient avec attention. Il leur fit un sourire, un petit sourire triste, puis il haussa les paules, ramassa son bton de chocolat, le prsenta sa mre et dit : Tiens, maman, prends-en un peu. Nous allons partager. Je veux que tout le monde en mange. Pas question ! dit la mre. Et tous les autres crirent : Non, non ! Jamais de la vie ! Il est toi seul ! Sil vous plat , supplia Charlie. Il se retourna et prsenta le bton grand-papa Joe. Mais ni lui ni personne nen voulait. Va, mon chri, dit Mrs. Bucket en entourant de son bras les paules maigres de Charlie. Va en classe, tu seras en retard.

8 DEUX AUTRES TICKETS DOR TROUVESCe soir-l, le journal de Mr. Bucket annonait la dcouverte non seulement du troisime, mais aussi du quatrime ticket dor, DEUX TICKETS DOR TROUVES AUJOURDHUI, disaient en normes caractres les manchettes, IL NEN RESTE PLUS QUUN. Parfait, dit grand-papa Joe lorsque toute la famille tait runie dans la chambre des vieux, aprs le dner, voyons qui les a trouvs. Le troisime ticket, lut Mr. Bucket en approchant le journal de ses yeux parce que sa vue tait mauvaise et quil navait pas les moyens de soffrir des lunettes, le troisime ticket a t trouv par une demoiselle Violette Beauregard. Lagitation battait son plein chez les Beauregard lorsque notre envoy arriva pour interviewer lheureuse jeune personne sous les dclics des camras et dans la fume des flashes, les gens se bousculaient et se poussaient du coude, dans lespoir dapprocher la glorieuse fillette. Quant la glorieuse fillette, elle se tenait debout sur une chaise

de la salle de sjour, en brandissant perdument le ticket dor, comme pour arrter un taxi. Elle parlait trs vite et trs fort tout le monde, mais on avait du mal la comprendre, car, tout en parlant, elle mchait du chewing-gum avec frocit.

Dhabitude, je mche du chewing-gum, hurla-t-elle, mais quand jai entendu parler de ces tickets Wonka, jai quitt la gomme pour les btons de chocolat, dans lespoir dun coup de veine. Maintenant, bien sr, je reviens mon cher chewing-gum. Il faut bien que je vous dise que je ladore. Je ne peux pas vivre sans chewing-gum. Jen mche longueur de journe, sauf au moment des repas. Alors je le sors et je le colle derrire mon oreille pour ne pas le perdre Pour vous dire la stricte vrit, je ne me

sentirais pas bien dans ma peau si je ne pouvais pas mcher toute la journe mon petit bout de chewing-gum, vraiment. Ma mre dit que a fait mal lev et que ce nest pas beau voir, les mchoires dune petite fille qui remuent tout le temps, mais moi, je ne suis pas daccord. Et de quel droit me critique-t-elle puisque, si vous voulez tout savoir, elle remue les mchoires presque autant que moi, force de me gronder toutes les trois minutes. Voyons, Violette, dit Mrs. Beauregard, du haut du piano o elle stait rfugie pour ntre pas crase par la foule. Bon, bon, mre, ne temballe pas ! hurla Miss Beauregard. Et maintenant, poursuivit-elle en se tournant de nouveau vers les journalistes, vous serez peut-tre intresss par le fait que le petit bout de gomme que je suis en train de mcher, je le travaille ferme depuis trois mois. Cest un record, puisque je vous le dis. Jai battu le record que dtenait jusque-l ma meilleure amie, Miss Cornelia Prinzmetel. Et cest tout dire. Elle tait furieuse. Maintenant, ce morceau de gomme, cest ce que je possde de plus prcieux. La nuit, je le colle une colonne de mon lit, et le matin, il est tout aussi bon un peu dur au dpart, mais il sattendrit vite sous mes dents. Avant de mentraner pour les championnats du monde, je changeais de gomme tous les jours. Jen changeais dans lascenseur, ou dans la rue, en rentrant de lcole. Pourquoi lascenseur ? Parce que jaimais bien coller le morceau que je venais de finir lun des boutons quon presse pour monter. Comme a, la personne suivante qui appuyait sur

le bouton se collait ma vieille gomme au bout du doigt. Ha ! ha ! Cest fou ce quils faisaient comme boucan, les gens. Les plus drles taient les bonnes femmes, avec leurs gants qui cotent cher. Oh ! oui, a me plaira drlement de visiter lusine de Mr. Wonka. Pourvu quil me donne du chewing-gum pour le reste de mes jours ! Youpi ! Hourra ! Quelle sale gosse ! dit grand-maman Josphine. Abominable ! dit grand-maman Georgina. Elle finira mal si elle continue mastiquer toute la journe, vous allez voir. Et qui a trouv le quatrime ticket, papa ? demanda Charlie. Voyons un peu, dit Mr. Bucket en reprenant le journal. Ah ! oui, jy suis. Le quatrime ticket dor, lut-il, a t trouv par un garon nomm Mike Teavee. Encore un mauvais garnement, je parie, grommela grand-maman Josphine. Ne linterrompez pas, grand-mre, dit Mrs. Bucket. La maison des Teavee, poursuivit Mr. Bucket, tait bonde, tout comme les autres, de visiteurs fort agits, lors de larrive de notre reporter, mais le jeune Mike Teavee, lheureux gagnant, semblait extrmement ennuy par toute cette affaire. Espces didiots, ne voyez-vous pas que je suis en train de regarder la tlvision ? dit-il dune voix courrouce, je ne veux pas quon me drange ! Le garon qui est g de neuf ans tait install devant un norme poste de tlvision, les yeux colls lcran. Il regardait un film o une bande de gangsters tirait

coups de mitraillette sur une autre bande de gangsters. Mike Teavee lui-mme navait pas moins de dix-huit pistolets denfant de toutes les tailles accrochs des ceinturons tout autour de son corps, et, toutes les cinq minutes, il sautait en lair pour tirer une demi-douzaine de coups avec une de ses nombreuses armes.

Silence ! hurlait-il chaque fois que quelquun tentait de lui poser une question. Ne vous ai-je pas dit de ne pas me dranger ! Ce spectacle est dune violence ! Il est formidable ! Je les regarde tous les jours. Je les regarde tous, tous les jours, mme les plus miteux, o il ny a pas de bagarre. Je prfre les gangsters. Ils sont formidables, les gangsters ! Surtout quand ils y vont de leurs pruneaux, ou

de leurs stylets, ou de leurs coups de poing amricains ! Oh ! nom dune pipe, quest-ce que je ne donnerais pas pour tre leur place ! a, cest une vie ! Formidable, quoi ! Cest assez ! dit schement grand-maman Josphine. Je suis cure ! Moi aussi, dit grand-maman Georgina. Est-ce que tous les enfants se conduisent comme a, de nos jours comme ces moutards dont parle le journal ? Bien sr que non, dit Mr. Bucket en souriant la vieille dame. Il y en a, cela est vrai. Il y en a mme beaucoup. Mais pas tous. Et voil quil ne reste plus quun ticket ! dit grandpapa Georges. En effet, renifla grand-mre Georgina. Et, aussi sr que je mangerai de la soupe aux choux demain soir, ce ticket ira encore une vilaine petite brute qui ne le mrite pas !

9 GRAND-PAPA JOE TENTE SA CHANCELe lendemain, lorsque Charlie revint de lcole et entra dans la chambre de ses grands-parents, il ne trouva que grand-papa Joe rveill. Les trois autres ronflaient bruyamment. Chut ! dit tout bas grand-papa Joe, et il lui fit signe de venir plus prs. Charlie traversa la pice sur la pointe des pieds et sarrta prs du lit. Le vieil homme lui fit un sourire malicieux, puis, dune main, il se mit farfouiller sous loreiller ; et lorsque la main reparut, elle tenait entre les doigts une vieille bourse de cuir. Tout en la cachant sous le drap, le vieil homme ouvrit la bourse et la retourna. Il en tomba une pice dargent. Cest mon magot, chuchota-t-il. Les autres nen savent rien. Et maintenant, toi et moi, nous allons essayer une nouvelle fois de trouver le dernier ticket. Quen penses-tu ? Mais il faudra que tu maides. Es-tu sr davoir envie dy laisser tes conomies, grand-papa ? chuchota Charlie.

Tout fait sr ! lana le vieillard avec passion. Pas la peine de discuter ! Jai une envie folle de trouver ce ticket, comme toi, exactement ! Tiens, prends cet argent, cours la premire boutique et achte le premier bton de chocolat Wonka que tu vois, puis reviens et nous louvrirons ensemble. Charlie prit la petite pice dargent et quitta rapidement la chambre. Au bout de cinq minutes, il tait de retour. a y est ? chuchota grand-papa Joe, les yeux brillant dexcitation. Charlie acquiesa et lui montra le bton de chocolat. SURPRISE CROUSTILLANTE WONKA AUX NOISETTES, disait lenveloppe. Bien ! dit le vieillard. Il se souleva dans son lit et se frotta les mains. Maintenant, viens tasseoir prs de moi et nous allons louvrir ensemble. Es-tu prt ? Oui, dit Charlie. Je suis prt. Bon. Commence le dfaire. Non, dit Charlie, cest toi qui las pay. Cest toi de louvrir. Les doigts du vieil homme tremblaient pouvantablement lorsquil maniait avec maladresse le bton de chocolat. Cest sans espoir, vraiment, chuchotat-il avec un petit rire nerveux. Tu sais que cest sans espoir, nest-ce pas ? Oui, dit Charlie. Je le sais. Ils changrent un regard. Puis tous deux se mirent rire nerveusement.

Remarque, dit grand-papa Joe, il y a quand mme une toute petite chance que ce soit le bon, tu es bien daccord ? Oui, dit Charlie. Bien sr. Pourquoi ne louvres-tu pas, grand-papa ? Chaque chose en son temps, mon garon, chaque chose en son temps. Par quel bout dois-je commencer ? Quen penses-tu ? Celui-l. Celui qui est plus prs de toi. Ne dchire quun tout petit bout. Comme a on ne verra encore rien. Comme a ? dit le vieillard. Oui. Maintenant, un tout petit peu plus. Finis-le, dit grand-papa Joe. Je suis trop nerv. Non, grand-papa. Cest toi de le finir. Trs bien. Jy vais. Il arracha lenveloppe. Tous deux ouvrirent de grands yeux. Ce quils virent tait un bton de chocolat. Rien de plus. Soudain, tous deux prirent conscience de ce que la chose avait de comique, et ils clatrent de rire. Que diable faites-vous l ! scria grand-maman Josphine, rveille subitement. Rien, dit grand-papa Joe. Rien, allez, dormez.

10 LA FAMILLE COMMENCE A MOURIR DE FAIMPendant les quinze jours suivants, il allait faire trs froid. Dabord la neige se mit tomber. Comme a, tout dun coup, un matin, au moment mme o Charlie Bucket shabillait pour aller en classe. Par la fentre, il vit les gros flocons qui tournoyaient lentement dans un ciel glacial et livide. Le soir, une couche dun mtre couvrait les alentours de la petite maison et Mr. Bucket dut percer un sentier de la porte jusqu la route. Aprs la neige, ce fut le gel, le vent glac. Il soufflait pendant des jours et des jours, sans cesse. Oh ! quel froid pouvantable ! Tout ce que touchait Charlie tait comme de la glace et, ds quil passait la porte, il sentait le vent qui lui tailladait les joues, comme une lame de couteau. Mme lintrieur de la maison, on ntait pas labri des bouffes dair glac qui entraient par toutes les fentes des portes et des fentres. Pas un coin douillet ! Les quatre vieux se pelotonnaient en silence dans leur lit,

tentant de sauver leurs vieux os du froid impitoyable. Lagitation quavaient provoque les tickets dor tait oublie depuis longtemps. La famille navait que deux problmes, deux problmes capitaux : se chauffer et manger sa faim. Car le grand froid, a vous donne une faim de loup. On se surprend alors en train de rver perdument de riches ragots tout fumants, de tartes aux pommes chaudes et de toutes sortes de plats dlicieusement rchauffants ; et, sans mme nous en rendre compte, quelle chance nous avons : nous obtenons gnralement ce que nous dsirons ou presque. Mais Charlie Bucket, lui, ne pouvait pas sattendre voir se raliser ses rves, car sa famille tait bien trop pauvre pour lui offrir quoi que ce soit et, mesure que persistait le froid, sa faim de loup grandissait dsesprment. Des deux btons de chocolat, celui de son anniversaire et celui que lui avait pay grandpapa Joe, il ne restait plus rien depuis longtemps. Il navait plus droit qu trois maigres repas par jour, repas o dominaient les choux. Puis, tout coup, ces repas devinrent encore plus maigres. Et cela pour la simple raison que la fabrique de dentifrice qui employait Mr. Bucket, ayant fait faillite, dut fermer ses portes. Mr. Bucket se mit aussitt la recherche dun autre emploi. Mais la chance ntait pas avec lui. A la fin, pour gagner quelques sous, il dut accepter de pelleter la neige dans les rues. Mais il gagnait bien trop peu pour acheter le quart de la nourriture ncessaire sept

personnes. La situation devint dsespre. Le petit djeuner se rduisait maintenant un morceau de pain par personne, le djeuner une demi-pomme de terre langlaise. Lentement mais srement, toute la maisonne commenait mourir de faim. Et tous les jours, en avanant pniblement dans la neige sur le chemin de lcole, le petit Charlie Bucket devait passer devant la gigantesque chocolaterie de Mr. Willy Wonka. Et tous les jours, lapproche de la chocolaterie, il levait haut son petit nez pointu pour respirer la merveilleuse odeur sucre de chocolat fondu. Parfois, il sarrtait devant la porte pendant plusieurs minutes pour respirer longuement, profondment, comme sil tentait de se nourrir de ce dlicieux parfum. Cet enfant, dit grand-papa Joe, par un matin glacial, en sortant la tte de dessous la couverture, cet enfant doit manger sa faim. Nous autres, ce nest pas pareil. Nous sommes vieux, cest sans importance. Mais un garon en pleine croissance ! a ne peut pas continuer ! Il ressemble de plus en plus un squelette ! Quest-ce quon peut faire ? murmura dune voix plaintive grand-maman Josphine. Il ne veut pas que nous nous privions pour lui. Ce matin, je lai bien entendu, sa mre a tent vainement de lui abandonner son morceau de pain. Il ny a pas touch. Elle a d le reprendre.

Cest un bon petit, dit grand-papa Georges. Il mriterait mieux. Le froid impitoyable nen finissait pas. Et le pauvre petit Charlie Bucket maigrissait de jour en jour. Sa petite figure devenait de plus en plus blanche, de plus en plus pince. Il avait la peau visiblement colle aux pommettes. On se demandait si cela pouvait encore

durer longtemps sans que Charlie tombt gravement malade. Et puis, tout doucement, avec cette curieuse sagesse qui semble venir si souvent aux enfants, face de rudes preuves, il se mit changer et l quelque chose ses habitudes, histoire dconomiser ses forces. Le matin, il quittait la maison dix minutes plus tt. Ainsi il pouvait marcher pas lents, sans jamais avoir besoin de courir. Pendant la rcration, il restait tranquille en classe, tandis que les autres se prcipitaient au-dehors pour se rouler dans la neige, pour faire des boules de neige. Tous ses gestes taient devenus lents et pondrs, comme pour prvenir la fatigue. Puis un soir, en rentrant de lcole, bravant le vent glacial, se sentant plus affam que jamais, il vit soudain un bout de papier qui tranait dans la neige du ruisseau. Le papier tait de couleur verdtre, daspect vaguement familier. Charlie fit quelques pas vers le bord du trottoir et se pencha pour examiner lobjet moiti couvert de neige. Mais soudain, il comprit de quoi il sagissait.

Un dollar !Il regarda furtivement autour de lui. Quelquun venait-il de le laisser tomber ? Non ctait impossible, vu la faon dont il sengouffrait dans la neige. Plusieurs personnes passrent, presses, le menton emmitoufl. Leurs pas grinaient sur la neige. Personne ne cherchait de largent par terre, personne ne se souciait du

petit garon accroupi dans le ruisseau.

Il tait donc lui, ce dollar ? Pouvait-il le ramasser ? Doucement, Charlie le tira de dessous la neige. Il tait humide et sale, mais, part cela, en parfait tat. Un dollar ENTIER ! Il tait l, entre ses doigts crisps. Impossible de le quitter des yeux. Impossible de ne pas penser une chose, une seule, MANGER ! Machinalement, Charlie revint sur ses pas pour se

diriger vers la boutique la plus proche. Elle ntait qu dix pas ctait une de ces librairies-papeteries o on trouve un peu de tout, y compris des confiseries et des cigares et voil, se dit-il voix basse il se payerait un succulent bton de chocolat, et il le mangerait tout entier, dun bout lautre puis il rentrerait vite la maison pour donner la monnaie sa mre.

11 LE MIRACLECharlie entra dans la boutique et posa le billet humide sur le comptoir. Un super-dlice fondant Wonka la guimauve , dit-il, en se rappelant combien il avait aim le bton de son anniversaire. Lhomme derrire le comptoir paraissait gras et bien nourri. Il avait des lvres paisses, des joues rebondies et un cou norme dont le bourrelet dbordait sur le col de la chemise, on aurait dit un anneau de caoutchouc. Il tourna le dos Charlie pour chercher le bton de chocolat, puis il se retourna et le tendit Charlie. Charlie sen empara, dchira rapidement le papier et prit un norme morceau. Puis un autre et encore un autre oh ! quelle joie de pouvoir croquer belles dents quelque chose de bien sucr, de ferme, de consistant ! Quel plaisir davoir la bouche pleine de cette riche et solide nourriture ! Tu en avais bien envie, pas vrai, fiston , dit en souriant le marchand. Charlie inclina la tte, la bouche pleine de chocolat. Le marchand posa la monnaie sur le comptoir.

Doucement, dit-il, si tu avales tout sans mastiquer, tu auras mal au ventre. Charlie continua dvorer son chocolat. Impossible de sarrter. Et en moins dune demi-minute, il avait englouti tout le bton. Bien que tout essouffl, il se sentit merveilleusement, extraordinairement heureux. Il tendit la main pour prendre sa monnaie. Puis il hsita en voyant les petites pices dargent sur le comptoir. Il y en avait neuf, toutes pareilles. Ce ne serait srement pas grave sil en dpensait une de plus

Je pense, dit-il dune petite voix tranquille, je pense que que je prendrai encore un autre bton. Le mme, sil vous plat. Pourquoi pas ? dit le gros marchand. Et il prit

derrire lui, sur le rayon, un autre superdlice fondant Wonka la guimauve. Il le posa sur le comptoir. Charlie le saisit et dchira lenveloppe et soudain dau-dessous du papier schappa un brillant clair dor. Le cur de Charlie sarrta net. Un ticket dor ! hurla le boutiquier en sautant en lair. Tu as trouv un ticket dor ! Le dernier ticket dor ! H, les gens ! Venez voir, tous ! Ce gosse a trouv le dernier ticket dor Wonka ! Le voici ! Il la entre les mains ! On et dit que le marchand allait avoir une crise. Et cest arriv dans mon magasin ! hurla-t-il. Cest ici, dans ma petite boutique, quil la trouv ! Vite, appelez les journaux, apprenez-leur la nouvelle ! Attention, fiston ! Ne le dchire pas ! Cest un bien prcieux ! Au bout de quelques secondes, il y avait autour de Charlie un attroupement dune vingtaine de personnes, et dautres encore accouraient de la rue. Tout le monde voulait voir le ticket dor et lheureux gagnant. O est-il ? cria quelquun. Tiens-le en lair pour que nous puissions tous le voir ! Le voil ! cria une autre voix. Il la en main ! Voyez comme a brille ! Je voudrais bien savoir comment il a fait pour le trouver ! cria dune voix maussade un grand garon. Moi qui achetais vingt btons par jour, pendant des semaines et des semaines ! Et tout ce chocolat quil va pouvoir senvoyer ! dit jalousement un autre garon. Il en aura pour la vie !

Il en a bien besoin, ce petit gringalet, il na que la peau sur les os ! dit en riant une fillette. Charlie navait pas boug. Il navait mme pas tir le ticket dor de son enveloppe. Muet, immobile, il serrait contre lui son bton de chocolat, au milieu des cris, de la bousculade. Il se sentait tout tourdi. Tout tourdi et trangement lger. Lger comme un ballon qui senvole dans le ciel. Ses pieds semblaient ne plus toucher le sol. Et quelque part, au fond de sa poitrine, il entendait son cur qui tambourinait trs fort. Soudain, il sentit une main sur son paule. Il leva les yeux et vit un homme de haute taille. coute, dit lhomme tout bas. Je te lachte. Je te donne cinquante dollars. Quen penses-tu, hein ? Et je te donnerai aussi une bicyclette toute neuve. Daccord ? Vous tes fou ? hurla une femme qui se tenait distance gale. Moi, je le lui achte cinq cents dollars ! Jeune homme, voulez-vous me vendre ce ticket pour cinq cents dollars ? Assez ! a suffit ! cria le gros boutiquier en se frayant un chemin travers la cohue. Il prit Charlie par le bras. Laissez ce gosse tranquille, voulez-vous ? Dgagez ! Laissez-le sortir ! Et tout en le conduisant vers la porte, il dit tout bas Charlie : Ne le donne personne ! Rentre vite chez toi pour ne pas le perdre ! Cours vite et ne tarrte pas en chemin, compris ? Charlie inclina la tte. Tu sais , dit le gros boutiquier. Il hsita un instant et sourit Charlie. Quelque chose me dit que ce ticket

tombe pic. Je suis drlement content pour toi. Bonne chance, fiston. Merci , dit Charlie, puis il partit en courant dans la neige. Et en passant devant la chocolaterie de Mr. Willy Wonka, il se retourna, lui fit signe de la main et dit en chantant : Nous nous verrons ! A bientt ! A bientt : Encore cinq minutes, et il arriva chez lui.

12 CE QUI TAIT ECRIT SUR LE TICKET DORCharlie passa la porte en coup de vent. Il cria : Maman ! Maman ! Maman ! Mrs. Bucket tait dans la chambre des grandsparents, en train de leur servir la soupe du soir. Maman ! hurla Charlie en fonant sur eux comme un ouragan. Regarde ! a y est ! a y est ! Regarde ! Le dernier ticket dor ! Il est moi ! Jai trouv un peu dargent dans la rue, alors jai achet deux btons de chocolat, et dans le second, il y avait le ticket dor, et il y avait plein de gens autour de moi qui voulaient le voir, et le marchand est venu mon secours, et je suis rentr en courant, et me voici ! CEST LE CINQUIEME TICKET DOR, MAMAN, ET CEST MOI QUI LAI TROUVE ! Mrs. Bucket resta bouche be, tandis que les quatre grands-parents qui taient assis dans leur lit, le bol de soupe sur les genoux, laissrent tous tomber leur cuillre grand bruit et se cramponnrent leurs oreillers. Alors la chambre fut plonge dans un silence absolu

qui dura dix secondes. Personne nosa parler ni bouger. Ce fut un moment magique. Puis, dune voix trs douce, grand-papa Joe dit : Tu te moques de nous, Charlie, nest-ce pas ? Tu nous racontes a pour rire ? Pas du tout ! cria Charlie. Il se prcipita vers le lit en brandissant le superbe ticket dor. Grand-papa Joe se pencha en avant pour le voir de plus prs. Cest tout juste si son nez ne touchait pas le ticket. Les autres assistrent la scne, en attendant le verdict. Puis, trs lentement, le visage clair par un large et merveilleux sourire, grand-papa Joe leva la tte et regarda Charlie droit dans les yeux. Ses joues retrouvrent leurs couleurs, ses yeux grands ouverts brillaient de bonheur, et au milieu de chaque il, juste au milieu, au noir de la pupille dansait une petite tincelle denthousiasme. Puis le vieil homme respira profondment, et soudain, de faon tout fait imprvue, quelque chose sembla exploser au fond de lui. Il jeta les bras en lair et cria : Youpiiiiiiiiiiiii ! Et linstant mme, son long corps maigre quitta le lit, son bol de soupe vola la figure de grand-maman Josphine, et, dans un bond fantastique, ce gaillard de quatre-vingtseize ans et demi, qui ntait pas sorti du lit depuis vingt ans, sauta terre et se livra, en pyjama, une danse triomphale. Youpiiiiiiiiiiiii ! cria-t-il. Vive Charlie ! Hip, hip, hip, hourra !

A cet instant, la porte souvrit pour laisser entrer Mr. Bucket, visiblement fatigu et mort de froid. Il avait pass la journe pelleter la neige dans les rues. Sapristi ! cria Mr. Bucket. Que se passe-t-il ? Ils le mirent au courant sans attendre. Je narrive pas y croire ! dit-il. Ce nest pas possible. Montre-lui le ticket, Charlie, cria grand-papa Joe,

qui tournait toujours en rond, comme un derviche, dans son pyjama rayures. Fais voir ton pre le cinquime et dernier ticket dor du monde ! Fais voir, Charlie , dit Mr. Bucket. Il se laissa tomber sur une chaise et tendit la main. Charlie savana pour lui prsenter le prcieux document. Quil tait beau, ce ticket dor ! Fait, ce quil semblait, dune plaque dor fin, presque aussi mince quune feuille de papier. Une de ses faces portait, imprime en noir par quelque systme astucieux, linvitation rdige par Mr. Wonka. Lis-la haute voix, dit grand-papa Joe en regagnant son lit. coutons tous cette invitation. Mr. Bucket approcha le ticket dor de ses yeux. Ses mains tremblaient un peu, il tait visiblement mu. Aprs avoir respir trs fort il sclaircit la gorge et dit : Bien, je vais vous la lire. Voil : Heureux gagnant de ce ticket dor, Mr. Willy Wonka te salue ! Reois sa chaleureuse poigne de main ! Il tarrivera des choses tonnantes ! De merveilleuses surprises tattendent ! Car je tinvite venir dans ma chocolaterie. Tu seras mon invit pendant toute une journe toi et tous les autres qui auront eu la chance de trouver mes tickets dor. Moi, Willy Wonka, je te ferai faire le tour de mon usine, je te montrerai tout ce quil y a voir et ensuite, au moment de nous quitter, une procession de gros camions tescortera jusque chez toi, et ces camions, je te le promets, seront pleins des plus dlicieux

comestibles, pour toi et pour toute ta famille, de quoi vous nourrir pendant de nombreuses annes. Si, un moment ou un autre, tes provisions venaient spuiser, il te suffirait de revenir lusine et, sur simple prsentation de ce ticket dor, je me ferais un plaisir de regarnir ton gardemanger. De cette manire, tu seras dlicieusement ravitaill jusqu la fin de tes jours. Mais je te rserve dautres surprises tout aussi passionnantes. Des surprises encore plus merveilleuses et plus fantastiques, toi et tous mes chers dtenteurs de tickets dor des surprises mystrieuses et feriques qui tenchanteront, qui tintrigueront, te transporteront, ttonneront, te stupfieront outre mesure. Jamais, mme dans tes rves les plus audacieux, tu nimaginerais de telles aventures ! Tu verras ! Et maintenant, voici les instructions : le jour que jai choisi pour la visite est le 1er du mois de fvrier. Ce matin-l, ce matin-l uniquement, tu te prsenteras aux portes de la chocolaterie, dix heures prcises. Tche dtre lheure ! Tu as le droit dtre accompagn dun ou deux membres de ta famille afin quils prennent soin de toi et quils tempchent de faire des btises. Et surtout noublie pas ce ticket, car sans lui, on ne te laissera pas entrer. Sign Willy Wonka. Le 1er fvrier ! scria Mrs. Bucket. Mais cest demain ! Puisque nous sommes aujourdhui le dernier jour de janvier ! Sapristi ! dit Mr. Bucket. Je crois que tu as raison !

Ce nest pas trop tt ! scria grand-papa Joe. Pas une minute perdre. Dpche-toi ! Prpare-toi ! Lave-toi la figure, donne-toi un coup de peigne, dcrasse tes mains, brosse-toi les dents, mouche-toi, coupe-toi les ongles, cire tes chaussures, repasse ta chemise, et, pour lamour du ciel, enlve toute cette boue de ton pantalon ! Soigne-toi, mon garon ! Pense avoir lair correct, puisque cest le plus grand jour de ta vie ! Ne vous excitez pas trop, grand-pre, dit Mrs. Bucket. Et ne troublez pas ce pauvre Charlie. Gardons tous notre sang-froid. Premirement, qui accompagnera Charlie la chocolaterie ? Moi ! hurla grand-papa Joe, sautant une nouvelle fois hors du lit. Cest moi qui laccompagnerai ! Laissezmoi faire !

Mrs. Bucket sourit au vieillard, puis elle se tourna vers

son mari : Quen penses-tu, mon cher ? Ne serait-ce pas plutt toi de laccompagner ? Eh bien dit Mr. Bucket dune voix hsitante, non je nen suis pas si sr. Mais Il ny a pas de mais, ma chre, dit doucement Mr. Bucket. Remarque, je serais trs heureux dy aller. Ce serait extrmement passionnant. Mais dun autre ct Je pense que celui qui mrite vraiment daccompagner Charlie, cest grand-papa Joe. Il faut croire quil sy connat mieux que nous. Pourvu quil se sente en forme, naturellement Youpiiiiiii ! hurla grand-papa Joe. Il attrapa Charlie par les mains pour lentraner dans une danse folle. Il est en forme, a ne fait pas de doute, dit en riant Mrs. Bucket. Oui tu as peut-tre raison, aprs tout. Cest peut-tre bien grand-papa Joe qui doit laccompagner. En ce qui me concerne, je ne pourrais certainement pas laisser seuls les trois autres grands-parents pendant toute une journe. Allluia ! hurla grand-papa Joe. Dieu soit lou ! A ce moment, on frappa fort la porte dentre. Mr. Bucket alla ouvrir et, linstant daprs, des essaims de journalistes et de photographes vinrent remplir la maison. Ils avaient dnich le gagnant du cinquime ticket dor, et maintenant, tous voulaient en parler longuement en premire page des journaux du matin. Pendant des heures, la petite maison ressembla une vritable tour de Babel. Ce nest que vers minuit que Mr. Bucket parvint enfin se

dbarrasser deux et que Charlie, lui, put aller se coucher.

13 LE GRAND JOUR EST LALe matin du grand jour, il faisait un soleil radieux, mais la terre tait toujours couverte de neige et lair tait trs froid. Devant les portes de la chocolaterie Wonka se pressait un monde fou, venu assister lentre des cinq dtenteurs de tickets. Lagitation tait sans bornes. Il tait un peu moins de dix heures. Les gens se bousculaient en hurlant, et des agents de police arms tentaient vainement de les loigner des portes. Tout prs de lentre, formant un petit groupe bien protg de la foule par la police, se tenaient les cinq fameux enfants, ainsi que les grandes personnes qui les accompagnaient. On y voyait se dresser le long et maigre grand-papa Joe qui serrait la main du petit Charlie Bucket. Tous les enfants, lexception de Charlie, taient accompagns de leurs deux parents, et ctait chose heureuse car, sans cela, cet t le dsordre complet. Ils taient si impatients dentrer que leurs parents devaient les empcher de force descalader la grille. Patience !

criaient les pres. Tiens-toi tranquille ! Ce nest pas encore le moment ! Il nest pas encore dix heures ! Derrire son dos, Charlie pouvait entendre les cris des gens venus en foule qui se bousculaient et se battaient pour apercevoir les fameux enfants. Voici Violette Beauregard ! entendit-il crier quelquun. Cest bien elle ! Jai vu sa photo dans les journaux ! Tiens ! rpondit une autre voix, elle est encore en train de mcher cet horrible bout de chewing-gum dil y a trois mois ! Regarde ses mchoires ! Elles narrtent pas de remuer ! Qui est cet hippopotame ? Cest Augustus Gloop ! Exact ! Il est norme, nest-ce pas ? Fantastique ! Et qui est le gosse qui a la tte dun cow-boy peinte sur son blouson ? Cest Mike Teavee ! Le maniaque de la tlvision ! Mais il est compltement fou ! Regardez tous ces pistolets quil trimbale ! Moi, cest Veruca Sait que je voudrais voir ! cria une autre voix dans la foule. Vous savez, la petite fille dont le pre a achet cinq cent mille btons de chocolat. Puis il les a donns dballer aux ouvrires de son usine de cacahutes, jusqu ce quelles trouvent le ticket dor ! Il lui donne tout ce quelle veut ! Absolument tout ! Elle na qu se mettre gueuler, et voil !

Affreux, nest-ce pas ? Plutt choquant, dirais-je. Laquelle est-ce ? Celle-l ! L, gauche ! La petite fille au manteau de vison argent ! Et lequel est Charlie Bucket ? Ce doit tre ce petit gringalet, ct du vieux qui a lair dun squelette. L, tout prs, tu vois ? Pourquoi na-t-il pas de manteau par ce froid ? Est-ce que je sais ? Peut-tre quil na pas de quoi. Zut ! Il doit tre gel ! Charlie, qui avait tout entendu, serra plus fort la main de grand-papa Joe. Le vieil homme regarda Charlie et sourit. Quelque part, au loin, une cloche dglise se mit sonner les dix coups. Trs lentement, dans un grincement de gonds rouills, les grandes portes de fer scartrent. Soudain, le silence se fit dans la foule. Les enfants cessrent de sagiter. Tous les yeux taient fixs sur les portes. Le voici ! cria quelquun. Cest lui ! Et ctait bien vrai !

14 MR. WILLY WONKAMr. Wonka se tenait tout seul dans louverture des portes de la chocolaterie. Quel extraordinaire petit homme que ce Mr. Wonka ! Il tait coiff dun chapeau haut de forme noir. Il portait un habit queue dun beau velours couleur de prune. Son pantalon tait vert bouteille. Ses gants taient gris perle. Et il tenait la main une jolie canne pommeau dor. Une petite barbiche noire taille en pointe un bouc ornait son menton. Et ses yeux ses yeux taient dune merveilleuse limpidit. Ils semblaient vous lancer sans cesse des regards complices pleins dtincelles. Tout son visage tait, pour ainsi dire, illumin de gaiet, de bonne humeur. Et, oh ! comme il avait lair fut ! Plein desprit, de malice et de vivacit ! Il avait des drles de petits gestes saccads, sa tte bougeait sans cesse et son vif regard se posait partout, enregistrait tout en un clin dil. Tous ses mouvements

taient rapides comme ceux dun cureuil. Oui, ctait bien a, il ressemblait un vieil cureuil vif et malicieux. Soudain, dans un curieux pas de danse sautillant, il ouvrit largement les bras et sourit aux cinq enfants rassembls devant la porte. Puis il scria : Soyez les bienvenus, mes chers petits amis ! Soyez les bienvenus dans ma chocolaterie !

Sa voix tait claire et flte. Voulez-vous avancer un un, sil vous plat ? dit-il, sans quitter vos parents. Puis vous me prsenterez vos tickets dor en me disant votre nom. Au premier ! Le petit garon gros et gras savana. Je suis Augustus Gloop, dit-il. Augustus ! scria Mr. Wonka en lui serrant la main de toutes ses forces. Comme tu as bonne mine, mon garon ! Trs heureux ! Charm ! Enchant de tavoir ici ! Et tu amnes tes parents, comme cest gentil ! Entrez ! Entrez donc ! Cest cela ! Passez la porte ! Mr. Wonka partageait visiblement lexcitation de ses

invits. Mon nom, dit lenfant suivante, est Veruca Sait. Ma petite Veruca, bonjour ! Quel plaisir de te voir ! Quel nom intressant tu as ! Jai toujours pens que ctait celui dune sorte de verrue quon a sur la plante du pied ! Mais je me trompe, nest-ce pas ? Comme tu es mignonne dans ton joli manteau de vison ! Comme je suis heureux que tu sois venue ! Mon Dieu, quelle dlicieuse journe nous allons passer ensemble ! Jespre que tu y prendras plaisir ! Jen suis mme tout fait sr ! Oui, tout fait sr ! Ton pre ? Bonjour, monsieur Sait ! Bonjour madame Sait ! Enchant de vous connatre ! Oui, le ticket est bien en rgle ! Entrez, sil vous plat !

Les deux enfants suivants, Violette Beauregard et Mike Teavee, avancrent, prsentrent leur ticket et faillirent avoir le bras pratiquement arrach par lnergique poigne de main de Mr. Wonka. Puis, la fin, une petite voix timide chuchota : Charlie Bucket. Charlie ! sexclama Mr. Wonka. Tiens, tiens, tiens ! Donc, te voici ! Cest toi, le petit garon qui na trouv son ticket quhier soir, nest-ce pas ? Oui, oui. Jai tout lu dans les journaux de ce matin ! Il tait temps, mon petit ! Et a

me fait bien plaisir ! Je suis trs heureux pour toi ! Et a, cest ton grand-pre ? Charm de vous voir, monsieur ! Ravi ! Enchant ! Cest parfait ! Cest excellent ! Est-ce que tout le monde est entr ? Cinq enfants ? Oui ! Bon ! Maintenant, suivez-moi, sil vous plat ! Notre tourne va commencer ! Mais restez ensemble ! Ne vous dispersez pas ! Je naimerais perdre aucun de vous, au point o en sont les choses ! Ma foi, non ! Par-dessus son paule, Charlie jeta un coup dil en arrire. Il vit se refermer lentement les grandes portes de fer. Dehors, les gens se bousculaient toujours en hurlant. Charlie les regarda une dernire fois. Puis les portes claqurent et toute image du monde extrieur svanouit. Voil ! scria Mr. Willy Wonka qui trottait en tte du groupe. Passez cette grande porte rouge, sil vous plat ! Cest a ! Il fait bon ici ! Il faut que je chauffe bien mon usine cause de mes ouvriers. Mes ouvriers sont habitus un climat extrmement chaud ! Ils ne supportent pas le froid ! Ils priraient sils sortaient par le temps quil fait ! Ils mourraient de froid ! Mais qui sont ces ouvriers ? demanda Augustus Gloop. Chaque chose en son temps, mon garon ! dit en souriant Mr. Wonka. Patience ! Tu finiras par tout savoir ! tes-vous tous l ? Bon ! Voulez-vous fermer la porte, sil vous plat ? Merci ! Charlie Bucket vit un long couloir qui stirait devant lui perte de vue. Ce corridor tait assez large pour laisser passer une voiture. Les murs, peints en rose ple,

recevaient un clairage doux et agrable. Comme cest joli et douillet ! chuchota Charlie. Oui. Et comme a sent bon ! rpondit grandpapa Joe en reniflant longuement. Les plus merveilleux parfums du monde se rencontraient dans lair quils respiraient. Un savant mlange de caf grill, et de sucre confit, et de chocolat fondu, et de menthe, et de violettes, et de noisettes piles, et de fleurs de pommier, et de caramel, et de zeste de citron Et de bien plus loin, du fond de la grande usine, schappaient des rugissements assourdis, comme si une machine monstrueuse et gigantesque faisait tourner ses mille roues une vitesse infernale. Maintenant, coutez-moi bien, mes enfants, dit Mr. Wonka en levant la voix pour dominer le bruit, ceci est le corridor principal. Voulez-vous avoir lamabilit daccrocher vos manteaux et vos chapeaux ces portemanteaux que vous voyez l, avant de me suivre. Voil ! Bien ! Tout le monde est prt ! Venez ! Allons-y ! Il emprunta le corridor en courant, laissant flotter derrire lui la queue de son habit couleur de prune, et les invits se mirent tous courir aprs lui. Cela faisait pas mal de monde, quand on y pense. Neuf adultes et cinq enfants. Quatorze personnes en tout. Vous parlez dune bousculade ! Et, en tte, la petite silhouette agile de Mr. Wonka qui criait : Venez ! Dpchez-vous, sil vous plat ! Si vous tranez comme a, nous ne ferons pas le tour de ltablissement dans la journe !

Bientt il quitta le corridor principal pour un autre couloir, peine plus troit, sa droite. Puis il tourna gauche. Puis encore gauche. Puis droite. Puis gauche. Puis droite. Puis droite. Puis gauche. On aurait dit une gigantesque garenne avec des tas de couloirs menant dans tous les sens. Surtout, ne lche pas ma main, Charlie , souffla grand-papa Joe. Avez-vous remarqu comme ils penchent, tous ces couloirs ? scria Mr. Wonka. Nous descendons au soussol ! Toutes les salles importantes de mon usine se situent trs bas au-dessous du niveau de la terre ! Pourquoi a ? demanda quelquun. Parce quil ny a pas assez de place en haut ! rpondit Mr. Wonka. Les salles que nous allons visiter sont immenses ! Plus vastes que des terrains de football ! Aucun btiment au monde nest assez grand pour les abriter ! Mais l-bas, sous la terre, il y a de la place il suffit de creuser. Mr. Wonka tourna droite. Puis il tourna gauche. Puis encore droite. Les couloirs penchaient de plus en plus. Puis, soudain, Mr. Wonka sarrta devant une porte

de mtal brillant. Ses invits se grouprent autour de lui. Sur la porte, on pouvait lire, en gros caractres : LA SALLE AU CHOCOLAT

15 LA SALLE AU CHOCOLAT Trs importante, cette salle ! cria Mr. Wonka. Il sortit de sa poche un trousseau de clefs et en glissa une dans la serrure de la porte. Ceci est le centre nerveux de toute lusine, le cur mme de laffaire ! Et comme elle est belle ! Jattache beaucoup dimportance la beaut de mes salles ! Je ne tolre pas la laideur dans une usine ! Et voil, nous entrons ! Mais soyez prudents, mes petits amis ! Ne perdez pas la tte ! Ne vous excitez pas trop ! Gardez votre sang-froid ! Mr. Wonka ouvrit la porte. Les cinq enfants et les neuf adultes entrrent en se bousculant pour tomber en arrt devant tant de merveilles. Oh ! Quel fascinant spectacle ! A leurs pieds stalait une jolie valle. De chaque ct, il y avait de verts pturages et tout au fond coulait une grande rivire brune. Mais on voyait aussi une formidable cascade une falaise abrupte par o les masses deau pleines de remous se prcipitaient dans la rivire, formant un rideau compact, finissant en un tourbillon cumant et bouillonnant, plein de mousse et dembruns.

Au pied de la cascade (quel tonnant spectacle !), dnormes tuyaux de verre pendillaient par douzaines, un bout trempant dans la rivire, lautre accroch quelque part au plafond, trs haut ! Ils taient vraiment impressionnants, ces tuyaux. Extrmement nombreux, ils aspiraient leau trouble et bruntre pour lemporter Dieu sait o. Et comme ils taient de verre, on pouvait voir le liquide monter et mousser lintrieur, et le bruit bizarre et perptuel que faisaient les tuyaux en laspirant se mlait au tonnerre de la cascade. Des arbres et des arbustes pleins de grce poussaient le long de la rivire : des saules pleureurs, des aulnes, du rhododendron touffu fleurs roses, rouges et mauves. Le gazon tait toil de milliers de boutons dor. Voyez ! scria Mr. Wonka en sautillant. De sa canne pommeau dor, il dsigna la grande rivire brune. Tout cela, cest du chocolat ! Chaque goutte de cette rivire est du chocolat fondu, et du meilleur. Du chocolat de premire qualit. Du chocolat, rien que du chocolat, de quoi remplir toutes les baignoires du pays ! Et aussi toutes les piscines ! Nest-ce pas magnifique ? Et regardez mes tuyaux ! Ils pompent le chocolat et le conduisent dans toutes les autres salles de lusine ! Des milliers et des milliers de litres !

Les enfants et leurs parents taient bien trop bahis

pour pouvoir parler. Ils taient confondus. Stupfaits. Ahuris. Eblouis. Ils taient subjugus par ce spectacle fantastique. Ils taient l, les yeux tout ronds, sans dire un mot. La cascade est extrmement importante ! poursuivit Mr. Wonka. Cest elle qui mlange le chocolat ! Elle le bat ! Elle le fouette ! Elle le dose ! Elle le rend lger et mousseux ! Aucune autre chocolaterie au monde ne mlange son chocolat la cascade ! Pourtant, cest la seule faon de le faire convenablement ! La seule ! Et mes arbres, quen pensez-vous ? cria-t-il en brandissant sa canne. Et mes jolis arbustes ? Ne sont-ils pas beaux ? Je dteste la laideur, je vous lai bien dit ! Et naturellement, tout cela se mange ! Tout est fait dune matire diffrente, mais toujours dlicieuse ! Et mes pelouses ? Que pensezvous de mon herbe et de mes boutons dor ? Lherbe o vous posez vos pieds, mes chers amis, est faite dune nouvelle sorte de sucre la menthe, une de mes dernires inventions ! Jappelle cela du smucre ! Gotez un brin ! Allez-y ! Cest dlicieux ! Machinalement, tout le monde se baissa pour cueillir un brin dherbe tout le monde, lexception dAugustus Gloop qui en cueillit toute une poigne. Violette Beauregard, avant de goter son brin dherbe, sortit de sa bouche le morceau de chewing-gum destin battre le record du monde et se le colla soigneusement derrire loreille. Cest merveilleux ! chuchota Charlie. Quel got exquis, nest-ce pas, grand-papa ?

Je mangerais bien tout le gazon ! dit grand-papa Joe avec un large sourire. Je me promnerais quatre pattes, comme une vache, et je brouterais tous les brins dherbe ! Gotez les boutons dor ! cria Mr. Wonka. Ils sont encore meilleurs ! Soudain, de grands cris aigus retentirent. Ces cris taient ceux de Veruca Sait. Elle dsignait lautre rive, en hurlant comme une folle. Regardez ! Regardez, l-bas ! cria-t-elle.

Quest-ce que cest ? a bouge ! a marche ! Cest

un petit personnage ! Cest un petit bonhomme ! L, sous la cascade ! Tout le monde cessa de cueillir des boutons dor pour regarder lautre rive. Elle a raison, grand-papa ! scria Charlie. Cest bien un tout petit bonhomme ! Tu le vois ? Je le vois, Charlie ! dit, tout mu, grand-papa Joe. Et tout le monde se mit pousser des cris. Il y en a deux ! Sapristi ! Cest vrai ! Plus que a ! Il y en a un, deux, trois, quatre, cinq ! Que font-ils ? Do sortent-ils ? Qui sont-ils ? Enfants et parents coururent vers la rivire pour les voir de plus prs. Fantastiques, nest-ce pas ? Pas plus hauts que trois pommes ! Ils ont la peau presque noire ! Cest exact ! Sais-tu quoi je pense, grand-papa ? scria Charlie. Je pense que cest Mr. Wonka lui-mme qui les a faits ils sont en chocolat ! Les minuscules bonshommes pas plus grands que des poupes de taille moyenne avaient cess de vaquer leurs occupations pour regarder leur tour les visiteurs rassembls sur lautre rive. Lun deux montra du doigt les enfants, puis il dit quelque chose, voix basse, ses

compagnons. Et tous les cinq clatrent de rire. Sont-ils vraiment de chocolat, Mr. Wonka ? demanda Charlie. De chocolat ? scria Mr. Wonka. Quelle ide ! Ils sont en chair et en os ! Ce sont mes ouvriers ! Impossible, dclara Mike Teavee. Des homes si petits, a nexiste pas !

16 LES OOMPA-LOOMPAS Tu dis que a nexiste pas, des hommes aussi petits ? dit en riant Mr. Wonka. Alors, coute-moi bien. Si tu veux tout savoir, il y en a plus de trois mille, ici mme, dans mon usine ! Ce sont srement des pygmes ! dit Charlie. Cest juste ! scria Mr. Wonka. Ce sont des pygmes ! Directement imports dAfrique ! Ils font partie dune tribu de minuscules pygmes miniatures, connus sous le nom dOompa-Loompas. Cest moi-mme qui les ai dcouverts. Et cest moi-mme qui les ai ramens dAfrique toute la tribu, trois mille en tout. Je les ai trouvs tout au fond de la brousse africaine, l o nul homme navait jamais pntr avant moi. Ils vivaient dans les arbres. Ils taient bien obligs de vivre dans les arbres car, sans cela, vu leur petite taille, nimporte quel animal de la brousse aurait vite fait de les dvorer. Au moment o je les ai dcouverts, ils mouraient pratiquement de faim. Ils avaient pour toute nourriture des chenilles vertes. Les chenilles ont un got horrible, et les Oompa-Loompas passaient leurs journes grimper au sommet des arbres,

en qute de nimporte quoi qui pt amliorer ce got des scarabes rouges, par exemple, et des feuilles deucalyptus, et de lcorce de bong-bong, tout cela, bien entendu, tait infect, mais moins infect que les chenilles. Pauvres petits Oompa-Loompas ! La nourriture qui leur manquait le plus, ctait le cacao. Impossible den trouver. Un Oompa-Loompa devait sestimer heureux sil trouvait trois ou quatre graines de cacao par an. Oh ! Comme ils en rvaient ! Toutes les nuits, ils rvaient de cacao, et toute la journe, ils en parlaient. Vous naviez qu prononcer le mot cacao devant un Oompa-Loompa pour lui mettre leau la bouche. Les graines de cacao, poursuivit Mr. Wonka, qui poussent sur les cacaotiers, sont la base de toute lindustrie chocolatire. Sans graines de cacao, pas de chocolat. Le cacao, cest le chocolat. Moi-mme, dans mon usine, jutilise des billions de graines de cacao par semaine. Cest pourquoi, mes chers enfants, ayant dcouvert que les Oompa-Loompas taient particulirement friands de cette denre, je grimpai dans leur village arborescent, je passai la tte par la porte de la demeure du chef de la tribu. Le pauvre petit bonhomme, tout maigre et famlique, tait l, sefforant davaler tout un bol de chenilles vertes en pure sans se trouver mal. coute-moi, lui dis-je (pas en anglais, bien sr, mais en oompa-loompen), coute-moi. Si vous veniez tous avec moi, toi et ton petit peuple, dans mon pays, pour vous installer dans ma chocolaterie, vous auriez tous les jours du cacao gogo ! Jen ai des montagnes dans mes entrepts ! Vous pourriez en manger tous vos repas !

Vous pourriez vous rouler dans du cacao ! Je vous paierai en graines de cacao si vous le dsirez. Tu parles srieusement ? demanda en sursautant le chef Oompa-Loompa. Bien sr que je parle srieusement, lui dis-je. Et vous pourriez aussi manger du chocolat. Le chocolat, cest encore meilleur que le cacao pur, puisquil contient du lait et du sucre.

Le petit bonhomme poussa un grand cri de joie et envoya promener son bol de chenilles crases par la fentre de sa cabane de feuillage. March conclu ! dit-il. Allons-y !

Et je les ai tous amens, en bateau, tous les hommes, toutes les femmes et tous les enfants de la tribu Oompa-Loompa. Ctait chose facile. Je navais qu les cacher dans de grandes caisses pourvues de trous daration. Et tous sont arrivs sains et saufs. Ce sont de merveilleux ouvriers. Maintenant, ils parlent tous anglais. Ils adorent la danse et la musique. Ils improvisent toujours des chansons. Vous allez srement les entendre chanter. Mais je dois vous prvenir, ils sont un peu polissons. Ils aiment faire des blagues. Ils shabillent toujours comme dans la brousse. Ils y tiennent beaucoup. Les hommes, comme vous pouvez le constater vous-mmes, ne portent que des peaux de daim. Les femmes sont vtues de feuilles et les enfants ne portent rien du tout. Les femmes changent de feuilles tous les jours Papa ! cria Veruca Sait la petite fille qui obtenait toujours tout ce quelle voulait. Papa ! Je veux un OompaLoompa ! Je veux que tu machtes un Oompa-Loompa. Je veux un Oompa-Loompa, et tout de suite ! Je veux lemmener la maison ! Vas-y, papa ! Achte-moi un Oompa-Loompa ! Voyons, voyons, mon chou ! lui dit son pre, il ne faut pas interrompre Mr. Wonka. Mais je veux un Oompa-Loompa ! hurla Veruca. Trs bien, Veruca, trs bien. Mais je ne peux pas te lavoir tout de suite. Sois patiente. Je men occuperai. Tu en auras un ce soir, au plus tard. Augustus ! cria Mrs. Gloop. Augustus, mon chri, il

ne faut pas faire a ! Augustus Gloop, rien dtonnant cela, avait ramp la sauvette jusqu la rivire, et prsent, agenouill sur le rivage, il se remplissait la bouche, aussi vite quil pouvait, de chocolat fondu tout chaud.

17 AUGUSTUS GLOOP SAISI PAR LE TUYAUEh voyant ce que faisait Augustus Gloop, Mr. Wonka scria : Oh ! Non ! Je ten prie, Augustus ! Je te supplie darrter. Aucune main humaine ne doit toucher mon chocolat ! Augustus ! sexclama Mrs. Gloop. Nas-tu pas entendu ? Laisse cette rivire et reviens immdiatement ! Fo-o-ormidable, ce jus ! dit Augustus, sans prter la moindre attention sa mre ni Mr. Wonka. Mais il me faudrait un gobelet pour le boire comme il faut ! Augustus , cria Mr. Wonka. Il bondit et agita sa canne. Il faut revenir. Tu salis mon chocolat ! Augustus ! cria Mrs. Gloop. Augustus ! cria Mr. Gloop. Mais Augustus faisait la sourde oreille tout, except lappel de son norme estomac. Il tait allong par terre, la tte en bas, lapant le chocolat comme un chien. Augustus ! hurla Mrs. Gloop. Tu vas passer ton sale rhume des millions de gens, aux quatre coins du pays ! Attention, Augustus ! hurla Mr. Gloop. Tu te penches trop en avant !

Mr. Gloop avait parfaitement raison. Car soudain on entendit un cri perant, et puis, flac ! Voil Augustus Gloop dans la rivire et, au bout dune seconde, il eut disparu au fond des flots bruns. Sauvez-le ! hurla Mrs. Gloop en blmissant. Elle agita follement son parapluie. Il se noie ! Il ne sait pas nager ! Sauvez-le ! Sauvez-le ! Tu es folle, ma femme, dit Mr. Gloop, je ne vais pas plonger l-dedans ! Jai mis mon plus beau complet ! Le visage dAugustus Gloop, tout barbouill de chocolat, reparut la surface. Au secours ! Au secours ! Au secours ! brailla-t-il. Repchez-moi !

Ne reste pas l sans rien faire ! cria Mrs. Gloop en sadressant Mr. Gloop. Fais quelque chose ! Je fais quelque chose ! dit Mr. Gloop, en tant sa veste pour plonger dans la rivire de chocolat. Mais pendant ce temps, linfortun garon tait aspir impitoyablement par lembouchure dun des grands tuyaux qui trempaient dans la rivire, plus prs, toujours plus prs. Et, tout coup, victime dune puissante succion, il disparut

dans le fond, puis reparut, saisi par la gueule ouverte du tuyau. Les autres attendaient sur le rivage, le souffle coup, se demandant par o il sortirait. Le voil qui remonte ! hurla quelquun en dsignant du doigt le tuyau. Et ctait bien vrai. Comme le tuyau tait de verre, tout le monde pouvait voir Augustus Gloop monter, la tte la premire, comme une torpille. Au secours ! A lassassin ! Police ! hurla Mrs. Gloop. Augustus, reviens ! O vas-tu ? Comment se fait-il, dit Mr. Gloop, que, gros comme il est, il puisse tenir dans ce tuyau. Justement, il est trop troit, le tuyau ! dit Charlie Bucket. Oh ! Mon Dieu, regardez ! Il ralentit ! Cest vrai ! dit grand-papa Joe. Il va rester coinc ! dit Charlie. Je crois que cest fait ! dit grand-papa Joe. Fichtre ! Le voil coinc ! dit Charlie. Cest son ventre qui ne passe pas ! dit Mr. Gloop. Il a bouch le tuyau ! dit grand-papa Joe. Cassez le tuyau ! hurla Mrs. Gloop en brandissant toujours son parapluie. Augustus, sors de l ! Les spectateurs purent voir des flots de chocolat gicler autour du garon prisonnier du tuyau, puis former une masse solide derrire lui, une masse qui le poussait plus avant. La pression tait norme. Quelque chose devait cder Et quelque chose cda, et ce quelque chose tait Augustus. Et, hop ! Il remonta dun seul coup, comme une balle dans un canon de fusil. Il a disparu ! hurla Mrs. Gloop. O va ce tuyau ?

Vite ! Appelez les pompiers ! Du calme ! cria Mr. Wonka. Calmez-vous, chre madame, calmez-vous ! Il nest pas en danger. Il nest pas en danger, quoi quil arrive ! Augustus va faire un petit voyage, cest tout. Un trs intressant petit voyage. Mais il sen tirera trs bien, vous allez voir. Comment ! Il sen tirera bien ? suffoqua Mrs. Gloop. Dans cinq secondes, il sera rduit en guimauve ! Impossible ! scria Mr. Wonka. Impensable ! Inconcevable ! Absurde ! Il ne pourra jamais tre rduit en guimauve ! Et pourquoi pas, puis-je le savoir ? hurla Mrs. Gloop. Parce que ce tuyau ne conduit pas dans la salle guimauve ! rpondit Mr. Wonka. Mme pas proximit de cette salle ! Ce tuyau celui par o est mont Augustus ce tuyau conduit directement la salle o je produis la plus dlicieuse des nougatines parfumes la fraise, enrobe de chocolat Alors il va tre chang en nougatine la fraise enrobe de chocolat ! se lamenta Mrs. Gloop. Mon pauvre petit Augustus ! On le vendra au kilo, ds demain, dans tout le pays ! Exactement, dit Mr. Gloop. Jen suis sre, dit Mrs. Gloop. Ce nest plus drle du tout, dit Mr. Gloop. Ce ne doit pas tre lavis de Mr. Wonka ! cria Mrs. Gloop. Regardez-le ! Il rit aux clats ! Comment osez-vous rire alors que mon petit garon est emport par le tuyau ! Monstre ! hurla-t-elle en braquant son parapluie sur Mr. Wonka comme pour le transpercer. Vous croyez que cest

drle ? Vous croyez que cest une grosse plaisanterie que de faire aspirer mon garon jusque dans votre salle nougatine ? Il sera sain et sauf, dit Mr. Wonka, toujours secou de rires. Il sera transform en nougatine ! hurla Mrs. Gloop. Jamais de la vie ! cria Mr. Wonka. Si ! Je le sais ! rugit Mrs. Gloop. Je ne le permettrais jamais ! cria Mr. Wonka. Et pourquoi pas ? hurla Mrs. Gloop. Parce que ce serait indigeste, dit Mr. Wonka. Vous voyez un Gloop farci dAugustus, enrob de chocolat ? Personne nen voudrait ! Tout le monde en voudra ! cria Mr. Gloop avec indignation. Je ne veux mme pas y penser ! hurla Mrs. Gloop. Moi non plus, dit Mr. Wonka. Et je vous garantis, madame, que votre enfant chri est en parfaite sant. Sil est en parfaite sant, je veux savoir o il est ! dit vivement Mrs. Gloop. Je veux le voir tout de suite ! Mr. Wonka se retourna et claqua trois fois des doigts. Aussitt, comme par miracle, un Oompa-Loompa surgit et sarrta prs de lui. LOompa-Loompa sinclina en montrant ses belles dents blanches. Sa peau tait presque noire et le sommet de sa tte crpue arrivait juste au genou de Mr. Wonka. Il portait la rituelle peau de daim jete sur lpaule. coute-moi bien ! dit Mr. Wonka en se penchant vers le petit bout dhomme. Conduis Mr. et Mrs. Gloop dans la salle nougatine. Tu dois les aider retrouver leur

fils, Augustus, que le tuyau vient demporter. LOompa-Loompa jeta un coup dil sur Mrs. Gloop et clata de rire. Oh ! tais-toi ! dit Mr. Wonka. Domine-toi ! Fais un effort ! Mrs. Gloop pense que ce nest pas drle du tout ! a, vous pouvez le dire ! dit Mrs. Gloop. Cours la salle nougatine, dit Mr. Wonka lOompa-Loompa, et, une fois arriv, prends un long bton et mets-toi fouiller la grosse barrique chocolat. Je suis presque sr que tu ly trouveras. Mais cherche bien ! Et dpche-toi ! Si tu le laisses trop longtemps dans la barrique chocolat, on risque de le verser dans la bouilloire nougatine, et alors, ce serait un vrai dsastre, nest-ce pas ? Ma nougatine en deviendrait tout fait indigeste ! Mrs. Gloop poussa un long cri de fureur.

Je plaisante, dit Mr. Wonka en riant dans sa barbe. Je ne parle pas srieusement. Pardonnez-moi. Je suis navr. Au revoir, Mrs Gloop ! Au revoir, Mr. Gloop ! A tout lheure Ds que Mr. et Mrs. Gloop et leur petite escorte eurent quitt la salle, les cinq Oompa-Loompas qui se trouvaient sur lautre rive se mirent sauter, danser et battre comme des fous de minuscules tambours. Augustus Gloop ! chantaient-ils. Augustus Gloop ! Augustus Gloop ! Augustus Gloop ! Grand-papa ! scria Charlie. coute-les, grandpapa ! Quest-ce que cest ? Chut ! fit grand-papa Joe. Je pense quils vont nous chanter une chanson !

Augustus Gloop !