Roald Dahl...Préface – Crois-tu qu’il devrait y avoir des moments drôles dans tous les livres...

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Roal d Dah l :

bien plus que de belles histoires !

Saviez-vous que 10 % des droits d’auteur* de ce livre sont versés aux associations caritatives Roald Dahl ?

La Roald Dahl Foundation soutient des infi rmières spécialisées qui soignent des enfants atteints d’épilepsie, de maladies du sang et de traumatismes crâniens à travers le Royaume-Uni. La fondation apporte aussi une aide matérielle aux enfants et adolescents analphabètes ou souffrant de troubles cérébraux ou sanguins (des causes qui furent chères à Roald Dahl tout au long de sa vie) en fi nançant hôpitaux et associations caritatives et en mettant des bourses à la disposition d’enfants et de familles.

Le Roald Dahl Museum and Story Centre est situé aux abords de Londres, dans le village de Great Missenden (Buckinghamshire) où Roald Dahl a vécu et écrit. Au cœur du musée, dont le but est de susciter l’amour de la lecture et de l’écriture, sont archivés les inestimables lettres et manuscrits de l’auteur. Outre deux divertissantes galeries consacrées à la vie de l’auteur, le musée est doté d’un atelier d’écriture interactif (Story Centre) où parents, enfants, enseignants et élèves peuvent découvrir l’univers passionnant de la création littéraire.

* Les droits d’auteur versés sont nets de commission.

www.roalddahlfoundation.orgwww.roalddahlmuseum.org

La Roald Dahl Foundation (RDF) est une association caritative enregistrée sous le n° 1004230.

Le Roald Dahl Museum and Story Centre (RDMSC) est une association caritative enregistrée sous le n° 1085853.Le Roald Dahl Charitable Trust, une association caritative

récemment créée, soutient l’action de la RDF et du RDMSC.

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R o a l d D a h l

MatildaIllustrations de Quentin Blake

Traduit de l’anglaispar Henri Robillot

Gallimard Jeunesse

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Titre original :

Matilda

© Roald Dahl Nominee Ltd, 1988, pour le texte

© Quentin Blake, 1988, pour les illustrations

© Éditions Gallimard Jeunesse, 1988, pour la traduction française

© Éditions Gallimard Jeunesse, 2012.

Conception graphique : Studio Gallimard Jeunesse

Illustration de couverture : Quentin Blake, Antonin Faure

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Préface

par Jean-Claude Mour levat

Mes enfants étaient encore petits et nous avions l’ha-bitude de nous installer chaque soir sur le canapé pour lire un livre. Nous avons ainsi passé des heures délicieuses en compagnie de Robinson Crusoé, de Pinocchio ou de Nils Holgerson, mais un de nos plus beaux souvenirs de lecture restera sans doute Matilda de Roald Dahl. Quel bonheur !

Refermer le livre, une fois le chapitre achevé, était dra-matique et déclenchait toujours des no-on-on ! désespé-rés. Mais cet abandon provisoire allait avec la promesse de retrouver notre histoire le lendemain. Et qu’y a-t-il de mieux dans la vie que la promesse d’une chose agréable ? Nos jour-nées en étaient plus belles, peut-être.

Je me rappelle les descriptions de la terrible Mlle Legour-din : Ses mollets saillaient comme des pamplemousses, ou bien : Elle pointa sur l’enfant un index de la grosseur

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d’un saucisson. Je revois les yeux ronds de mes petits audi-teurs qui tâchaient d’imaginer les mollets et le doigt, en le comparant au leur, si menu.

Quel plaisir d’imiter les voix de l’ignoble M. Verdebois et de sa ridicule épouse vissée à son téléviseur ! Leur méchan-ceté et leur bêtise nous accablaient et j’entends encore les éclats de rire triomphants saluer leur déconfi ture. Et comme nous jubilions au spectacle de Verdebois, le crâne collé à son chapeau par de la superglu !

Nous étions surtout impressionnés, attendris, charmés par cette petite Matilda si extraordinairement douée, et qui avait l’air de ne pas le savoir. Elle ne donnait prati-quement aucun signe de son génie et n’essayait jamais d’épater les autres. Je revois les sourires rêveurs : on peut donc lire Dickens à quatre ans et demi ? On peut faire des opérations si compliquées sans les écrire ?

L’injustice qui était faite à Matilda nous révoltait, et les fronts se plissaient souvent. Comment pouvait-on infl iger ça à un enfant ? Par bonheur, l’humour et la drôlerie tem-péraient l’inquiétude que nous avions pour la petite fi lle. Et nous faisions confi ance à ce M. Dahl pour ne pas la laisser tomber, pour ne pas nous laisser tomber.

Car il était là, avec nous, sur le canapé, M. Dahl. Il nous racontait l’histoire (il fallait juste lui prêter une voix, le temps de la lecture). Il nous émouvait avec le logis de la pauvre Mlle Candy : simplement passé à la chaux comme une écurie, une étable ou un poulailler. Mais il nous faisait aussi hurler de rire avec le formidable Julien Apolon contraint d’avaler son gâteau géant. Car M. Dahl y tenait, à ce qu’on rie !

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P r é f a c e

– Crois-tu qu’il devrait y avoir des moments drôles dans tous les livres d’enfants ? demanda Mlle Candy.

– Oui, répondit Matilda. Les enfants ne sont pas aussi sérieux que les grandes personnes et ils aiment rire.

Roald Dahl a beaucoup de qualités : il est généreux, drôle, inventif, plein d’humanité. Et par-dessus tout, il possède cette élégance suprême et pas si commune chez les écrivains : ne jamais ennuyer ses lecteurs.

J’envie ceux et celles qui n’ont pas lu Matilda. C’est comme un cadeau qui les attend et qu’ils auraient oublié d’ouvrir.

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À Olivia20 avril 1955 – 17 novembre 1962

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Une adorab le pet i te

dévoreuse de l iv res

Pères et mères sont gens bien curieux. Même lorsque leurs rejetons sont les pires des poisons imaginables, ils persistent à les trouver merveilleux. Certains parents vont plus loin : l’adoration les aveugle à tel point qu’ils arrivent à se persuader du génie de leur progéniture. Mais, après tout, quel mal à cela ? Ainsi va le monde. C’est seulement quand les parents commencent à nous vanter les mérites de leurs odieux moutards que nous nous mettons à crier : « Ah, non, assez ! Vite, de l’air ! Vous allez nous rendre malades ! »

Les enseignants souffrent beaucoup d’avoir à écouter ce genre de balivernes proférées par des parents gonfl és d’orgueil mais, en général, ils se rattrapent dans l’éta-blissement des notes en fi n de trimestre. Si j’étais pro-fesseur, je concocterais des appréciations féroces pour les enfants de radoteurs aussi infatués. « Votre fi ls Maximi-

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lien, écrirais-je, est une nullité totale. J’espère que vous avez une entreprise familiale où vous pourrez le caser à la fi n de ses études car il n’a aucune chance de trouver nulle part ailleurs le moindre emploi. » Ou bien, si je me sentais lyrique ce jour-là, je dirais : « Que les organes de l’ouïe des sauterelles se trouvent aux fl ancs de leur abdo-men est une curiosité de la nature. À en juger par ce qu’elle a appris au cours du dernier trimestre, votre fi lle Vanessa ne possède pas trace des organes en question. »

Je pourrais même m’aventurer plus loin dans l’his-toire naturelle et déclarer : « La cigale passe six ans à l’état de larve enterrée dans le sol et pas plus de six jours à l’air libre, au soleil. Votre fi ls Gaston a passé six ans à l’état de larve dans cet établissement et nous attendons

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toujours qu’il sorte de sa chrysalide. » Une petite fi lle spécialement odieuse pourrait m’inspirer ce commen-taire : « Fiona a la même beauté glaciale qu’un iceberg mais, contrairement à ce dernier, il n’y a strictement rien à trouver sous cette apparence. » Bref je crois que je me pourlécherais à rédiger des bulletins de fi n de tri-mestre pour les jeunes pestes de ma classe. Mais en voilà assez. Poursuivons notre récit.

De loin en loin, il arrive qu’on rencontre des parents qui adoptent l’attitude opposée et ne manifestent pas le moindre intérêt pour leurs enfants. Ceux-là sont, à coup sûr, bien pires que les admirateurs béats.

M. et Mme Verdebois appartenaient à cette espèce. Ils avaient un fi ls appelé Michael et une fi lle du nom de Matilda, et considéraient cette dernière à peu près comme une croûte sur une plaie. Une croûte, il faut s’y résigner jusqu’à ce qu’on puisse la détacher, s’en défaire et la bazarder. M. et Mme Verdebois attendaient avec impatience le moment où ils pourraient se défaire de leur petite fi lle et la bazarder, en l’expédiant de préfé-

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rence dans le comté voisin ou même plus loin. Il est déjà assez triste que des parents traitent des enfants ordinaires comme s’ils étaient des croûtes ou des cors aux pieds, mais cette attitude est encore plus répréhensible si l’en-fant en question est extraordinaire, j’entends par là aussi sensible que douée. Matilda était l’un et l’autre mais, par-dessus tout, elle était douée. Elle avait l’esprit si vif et si délié et apprenait avec une telle facilité que même les parents les plus obtus auraient reconnu des dons aussi exceptionnels. Mais M. et Mme Verdebois étaient, eux, si bornés, si confi nés dans leurs petites existences étri-quées et stupides, qu’ils n’avaient rien remarqué de par-ticulier chez leur fi lle. Pour tout dire, fût-elle rentrée à la maison en se traînant avec la jambe cassée qu’ils ne s’en seraient pas aperçus.

Le frère de Matilda, Michael, était un garçon tout à fait normal, mais devant sa sœur – je le répète – vous seriez resté comme deux ronds de fl an. À l’âge d’un an et

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demi, elle parlait à la perfection et connaissait à peu près autant de mots que la plupart des adultes. Les parents, au lieu de la féliciter, la traitaient de moulin à paroles et la rabrouaient en lui disant que les petites fi lles sont faites pour être vues mais pas pour être entendues.

À trois ans, Matilda avait appris toute seule à lire en s’exerçant avec les journaux et les magazines qui traî-naient à la maison. À quatre ans, elle lisait couramment et, tout naturellement, se mit à rêver de livres. Le seul disponible dans ce foyer de haute culture, La Cuisine pour tous, appartenait à sa mère et, lorsqu’elle l’eut éplu-ché de la première page à la dernière et appris toutes les recettes par cœur, elle décida de se lancer dans des lec-tures plus intéressantes.

– Papa, dit-elle, tu crois que tu pourrais m’acheter un livre ?

– Un livre ? dit-il. Qu’est-ce que tu veux faire d’un livre, pétard de sort !

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– Le lire, papa.– Et la télé, ça te suffi t pas ? Vingt dieux ! on a une

belle télé avec un écran de 56, et toi tu réclames des bou-quins ! Tu as tout de l’enfant gâtée, ma fi lle.

Presque chaque après-midi, Matilda se trouvait seule à la maison. Son frère (de cinq ans son aîné) allait en classe. Son père était à son travail et sa mère partait jouer au loto dans une ville située à une dizaine de kilo-mètres de là. Mme Verdebois était une mordue du loto et y jouait cinq après-midi par semaine. Ce jour-là, comme son père avait refusé de lui acheter un livre, Matilda décida de se rendre toute seule à la bibliothèque du vil-lage. Quand elle arriva, elle se présenta à la bibliothé-caire, Mme Folyot. Puis elle demanda si elle pouvait s’asseoir et lire un livre. Mme Folyot, déconcertée par l’apparition d’une si petite visiteuse non accompagnée, l’accueillit néanmoins avec bienveillance.

– Où sont les livres d’enfants, s’il vous plaît ? demanda Matilda.

– Là-bas, sur les rayons du dessous, lui dit Mme Folyot.

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Veux-tu que je t’aide à en trouver un joli avec beaucoup d’images ?

– Non, merci, dit Matilda, je me débrouillerai bien toute seule.

À dater de ce jour-là, chaque après-midi, aussitôt sa mère partie pour aller jouer au loto, Matilda trottinait jusqu’à la bibliothèque. Il n’y avait que dix minutes de trajet, ce qui lui permettait de passer deux heures mer-veilleuses assise tranquillement dans un coin à dévorer livre sur livre.

Lorsqu’elle eut lu tous les livres d’enfants disponibles, elle se mit à fureter dans la salle, en quête d’autres ouvrages. Mme Folyot, qui l’avait observée avec fasci-nation durant plusieurs semaines, se leva de son bureau et alla la rejoindre.

– Je peux t’aider ? demanda-t-elle.– Je me demande ce que je pourrais lire maintenant,

dit Matilda. J’ai fi ni tous les livres d’enfants.– Tu veux dire que tu as regardé toutes les images ?– Oui, mais j’ai aussi lu tout ce qui était écrit.Mme Folyot considéra Matilda de toute sa hauteur,

et Matilda, le nez en l’air, soutint son regard.– J’en ai trouvé quelques-uns bien mauvais, ajouta-

t-elle ; mais d’autres étaient très jolis. Celui que j’ai pré-féré, c’est Le Jardin secret. Il est plein de mystère. Le mystère de la pièce derrière la porte fermée et le mystère du jardin derrière le grand mur.

Mme Folyot était stupéfaite.– Dis-moi, Matilda, demanda-t-elle, quel âge as-tu

au juste ?

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– Quatre ans et trois mois, répondit Matilda.La stupeur de Mme Folyot était à son comble mais

elle eut la présence d’esprit de ne pas le montrer.– Quel genre de livre aimerais-tu lire maintenant ?

demanda-t-elle.– Je voudrais un de ces livres vraiment bons que

lisent les grandes personnes. Un livre célèbre. Je ne connais pas les titres.

Mme Folyot, sans hâte, se mit à examiner les rayons. Elle ne savait trop à quel saint se vouer. « Comment choisit-on un livre d’adulte célèbre pour une enfant de quatre ans ? » se demandait-elle. Elle songea tout d’abord à lui donner un roman de jeune fi lle à l’eau de rose, du genre destiné aux adolescentes puis, mue par on ne sait quelle raison, elle s’éloigna résolument de l’étagère devant laquelle elle s’était arrêtée.

– Tiens, si tu essayais de lire ça, dit-elle. C’est un livre très connu et très beau. S’il est trop long pour toi, dis-le-moi et je t’en trouverai un autre plus court et plus facile.

– Les Grandes Espérances, lut Matilda, de Charles Dickens. J’ai très envie de m’y mettre.

« Je dois être folle », songea Mme Folyot. Ce qui ne l’empêcha pas d’affi rmer :

– Bien sûr, ça devrait te plaire.Au cours des après-midi suivants, Mme Folyot eut

peine à détacher ses regards de la petite fi lle assise des heures durant dans le grand fauteuil au bout de la pièce, avec le livre sur les genoux. Le volume était en effet trop lourd pour qu’elle pût le tenir dans ses mains, si bien

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qu’elle devait rester penchée en avant pour pouvoir lire. Et c’était un étrange spectacle que celui de cette minuscule créature aux cheveux noirs, assise avec ses pieds qui n’atteignaient pas le sol, totalement captivée par les aventures de Pip et de la vieille Miss Havisham dans sa maison pleine de toiles d’araignées, totalement envoûtée par la magie des mots assemblés par le prodi-gieux conteur qu’était Dickens. N’était, par intervalles, un bref geste de la main pour tourner les pages, la petite fi lle restait immobile. Et c’était toujours avec tristesse que Mme Folyot, l’heure venue, se levait pour aller annoncer à la lectrice :

– Il est cinq heures moins dix, Matilda.

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Durant la première semaine des visites de Matilda, Mme Folyot lui avait demandé :

– Ta maman t’accompagne ici tous les jours et vient te rechercher ?

– Ma mère va à Aylesbury tous les après-midi pour jouer au loto, avait répondu Matilda. Elle ne sait pas que je viens ici.

– Mais voyons, Matilda, ce n’est pas bien. Tu devrais lui demander la permission.

– Il vaut mieux pas, avait dit Matilda. Elle ne m’encourage pas du tout à lire. Pas plus que mon père d’ailleurs.

– Mais qu’est-ce qu’ils pensent que tu fais dans une maison vide tous les après-midi ?

– Que je traînaille et que je regarde la télé, je sup-pose. Ce que je peux faire ne les intéresse pas du tout, avait ajouté un peu tristement Matilda.

Mme Folyot s’inquiétait des risques que pouvait cou-rir l’enfant en suivant la grand-rue très animée du vil-lage, puis en la traversant, mais elle résolut de ne pas s’en mêler.

Au bout de huit jours, Matilda avait fi ni Les Grandes Espérances. Une édition qui ne comptait pas moins de quatre cent onze pages.

– J’ai adoré ça, dit-elle à Mme Folyot. M. Dickens a écrit d’autres livres ?

– Tout un tas, dit Mme Folyot, éberluée. Tu veux que je t’en choisisse un second ?

Au cours des six mois suivants, sous l’œil ému et attentif de Mme Folyot, Matilda lut les livres suivants :

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Nicholas Nickleby, de Charles DickensOliver Twist, de Charles DickensJane Eyre, de Charlotte BrontëOrgueil et préjugés, de Jane AustenTess d’Urberville, de Thomas HardyKim, de Rudyard KiplingL’Homme invisible, de H. G. WellsLe Vieil Homme et la Mer, d’Ernest HemingwayLe Bruit et la Fureur, de William FaulknerLes Raisins de la colère, de John SteinbeckLes Bons Compagnons, de J. B. PriestleyLe Rocher de Brighton, de Graham GreeneLa Ferme des animaux, de George Orwell.

C’était une liste impressionnante et Mme Folyot était maintenant au comble de l’émerveillement et de l’excitation, mais sans doute fi t-elle bien de ne pas donner libre cours à ses émotions. Tout autre témoin des prouesses littéraires d’une si petite fi lle se serait sans doute empressé d’en faire toute une histoire et de clamer la nouvelle sur les toits, mais telle n’était pas Mme Folyot. Mme Folyot savait rester discrète et avait depuis longtemps découvert qu’il était rarement bon d’intervenir dans la vie des enfants des autres.

– M. Hemingway dit des tas de choses que je ne comprends pas, lui expliqua Matilda. Surtout sur les hommes et les femmes. Mais j’ai beaucoup aimé son livre quand même. Avec sa façon de raconter les choses, j’ai l’impression d’être là, sur place, et de les voir arriver.

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– Un bon écrivain te fera toujours cet effet, dit Mme Folyot. Et ne t’inquiète donc pas de ce qui t’échappe. Lis tranquillement et laisse les mots te ber-cer comme une musique.

– D’accord, d’accord.– Sais-tu, reprit Mme Folyot, que dans les biblio-

thèques publiques comme celle-ci il est possible d’em-prunter des livres et de les emporter chez soi ?

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– Mais non, je ne savais pas, dit Matilda. Cela veut dire que je peux en emporter, moi ?

– Bien sûr, dit Mme Folyot. Quand tu as choisi le livre que tu désires, tu me l’apportes que je puisse le noter dans le cahier et il est à toi pour quinze jours. Tu peux même en prendre plus d’un si tu en as envie.

À dater de ce jour-là, Matilda ne se rendit plus à la bibliothèque qu’une fois par semaine pour y prendre des nouveaux livres et rendre ceux qu’elle avait lus. Sa petite chambre était devenue sa salle de lecture et elle y passait le plus clair de ses après-midi à lire avec, bien souvent, une tasse de chocolat chaud à côté d’elle. Elle n’était pas encore assez grande pour atteindre les choses dans la cuisine, mais elle tenait cachée, dans la cour, une caisse légère sur laquelle elle se juchait pour attraper les ingrédients dont elle avait besoin. La plupart du temps, elle préparait du chocolat, réchauffant le lait dans une casserole sur le fourneau avant d’y jeter le cacao. Il n’y avait rien de plus agréable que de boire un chocolat à petites gorgées en lisant.

Les livres la transportaient dans des univers incon-nus et lui faisaient rencontrer des personnages hors du commun qui menaient des vies exaltantes. Ainsi navi-gua-t-elle sur d’antiques voiliers avec Joseph Conrad, explora-t-elle l’Afrique avec Ernest Hemingway et l’Inde avec Rudyard Kipling. Ainsi assise au pied de son lit, dans sa petite chambre d’un village anglais, visita- t-elle de long en large et de haut en bas le vaste monde.

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