Charles Biberson - thèse professionnelle - curation et création de valeur - novembre 2013

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1 ESCP Europe MS Médias 2013 CURATION ET CRÉATION DE VALEUR: quelle valeur apporte la curation de contenus sur Internet ? Charles Biberson 25 novembre 2013

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ESCP Europe Specialized Master Media Management - Professional Thesis Curation and value creation : does content curators create value on the web ?

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ESCP Europe MS Médias 2013

CURATION ET CRÉATION DE VALEUR:

quelle valeur apporte la curation de contenus sur Internet ?

Charles Biberson 25 novembre 2013

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Table des matières INTRODUCTION ............................................................................................. 3 LA CURATION, UN REMEDE A LA CROISSANCE EXPONENTIELLE DU WEB I. Une histoire d’Internet ................................................................................... 5

A. Le Web 1.0, un média de consultation .................................................... 5 B. Le Web 2.0, “many to many” ................................................................... 6 C. Les médias sociaux ................................................................................. 8

II. Trop de contenu tue le contenu ................................................................. 10 A. L’infobésité ............................................................................................. 10 B. L’économie de l’attention ....................................................................... 13 C. Multitasking et Media Snacking ............................................................. 14 D. Vers une fin des moteurs ? .................................................................... 15

III. L’émergence d’une solution ...................................................................... 21 A. Les précédents ...................................................................................... 21 B. Un peu de littérature .............................................................................. 23

a. Le manifeste de Bhagrava .................................................................. 23 b. Le modèle de Rosenbaum ................................................................. 25 c. Les best practices de Tran ................................................................. 27 d. La Pyramide de Shey ......................................................................... 28

C. Définition ................................................................................................ 28 LA CURATION, USAGES ET ACTEURS D’UNE NOUVELLE PRATIQUE I. Les outils ..................................................................................................... 32

A. Grille de lecture ...................................................................................... 32 B. Le véritable interest graph ..................................................................... 34

II. Qui sont les curateurs ? ............................................................................. 35 A. Les personnes ....................................................................................... 35 B. Les journalistes et médias d’informations .............................................. 37

a. Le Huffington Post .............................................................................. 40 b. Buzzfeed ............................................................................................. 41

C. Industrie de l’Entertainment ................................................................... 44 D. Les marques .......................................................................................... 47

a. La marque curatrice ............................................................................ 48 b. Offrir du contenu aux curateurs .......................................................... 50 c. Le cas Pinterest .................................................................................. 53

III. La curation et le droit ................................................................................ 55 A. les lois favorables à la curation ............................................................ 55 B. Des best practices définies par les curateurs ...................................... 57

CONCLUSION ............................................................................................... 60 BIBLIOGRAPHIE ........................................................................................... 61 ANNEXES ...................................................................................................... 65

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INTRODUCTION

« La valeur sociale du web est de permettre la communication entre les humains,

le commerce et les opportunités de partage du savoir »1. C’est ainsi que le W3C

(World Wide Web Consortium) définit une des missions d’Internet.

Le web a certainement bousculé le commerce (Amazon est fondé en 1994) et la

communication (Hotmail est lancé en 1996).

Le partage du savoir n’est pas en reste. De Wikipédia aux MOOCs (Massive

Open Online Courses, le buzzword de 2013), Internet est une gigantesque base

de contenus sur les sujets les plus variés. Mais c’est, d’une part, trop : « Getting

information off the Internet is like taking a drink from a fire hydrant » selon Mitchell

Kappoor. Et d’autre part, la quantité n’est pas ici synonyme de qualité : « ours is a

culture and a time immensely rich in trash as it is in treasures » prophétisait Ray

Bradbury en 19922. Mieux vaudrait un web bien fait qu’un web bien plein.

Les créateurs sont légions, les productions sont disponibles, au delà de ce qu’un

humain pourra consommer à l’échelle d’une vie. Et toute l’information générée par

ces armées de producteurs se déverse en un flux continu sur la toile.

Fort de ce constat, une nouvelle pratique apparaît : la curation de contenu. Elle

consiste à ordonner, classer, sélectionner, mettre en avant, contextualiser et

partager avec l’audience les informations les plus pertinentes. « La curation c’est

le tri sélectif » explique Eric Scherer3.

Ce n’est pas une notion nouvelle. Le Reader’s Digest crée en 1922 se donnait

déjà la mission, bien avant l’éclosion d’Internet, de trier et de rassembler sur un

support unique des résumés de magazines, épargnant à ses abonnés l’étape de

1 http://www.w3.org/Consortium/mission 2 Ray Bradbury – Zen in the art of writing – Bantam -1992 3 voir annexe 1 : entretien avec Eric Scherer

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la recherche. A une autre échelle, c’est bien le service que proposent les

curateurs aujourd’hui.

« Les contenus c’est de l’or noir »4 selon Denis Olivennes. On ne saurait être

plus d’accord. La curation par définition s’oppose à la création. Elle n’exige pas

d’abonder à la masse de contenus en ligne mais se sert au contraire de sources

existantes. Le curateur va raffiner les contenus vendangés sur le web pour en

tirer l’essentiel et le proposer à la communauté.

L’avalanche de contenus a modifié les comportements. La consommation

d’information en ligne, la recherche de cette information, l’influence des réseaux

sociaux ont des conséquences sur les attentes des utilisateurs et sur la façon

dont ils appréhendent une matière toujours plus abondante.

Ces nouvelles exigences nécessitent de nouveaux outils de sélection et de mise

en forme, à la disposition des curateurs. Et ces nouveaux acteurs définissent de

nouveaux usages tout en s’agrégeant aux comportements existants.

On verra donc dans une première partie comment le Web a évolué jusqu’à sa

forme actuelle, quels sont les offres et les comportements qui ont accompagné

son changement, favorisant l’éclosion de cette nouvelle pratique, comment elle se

définit et en quoi elle diffère d’autres usages.

Dans la seconde partie, nous analyserons les différentes applications de la

curation : qui sont les différents acteurs et quelle valeur en dégagent ils ?

4 Renaud Revel – Les contenus c’est de l’or noir- L'Express 3201 - 2012

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LA CURATION, UN REMEDE A LA CROISSANCE EXPONENTIELLE DU WEB

I. Une histoire d’Internet

A. Le Web 1.0, un média de consultation L’idée du réseau émerge à l’initiative d’une agence du département de la défense

américain, la DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency) à la fin des

années soixante. Le but premier est de permettre l’échange de données entre

différents centres de recherches sous contrat avec le ministère de la Défense

américain. L’ARPANET naît en 1969 avec le raccordement de l’UCLA (University

of California Los Angeles) et de Standford. En 1972, ce sont 40 sites qui sont

connectés entre eux aux USA.

En 1983, l’ARPANET se divise en deux branches, civile et militaire, le

développement de la branche civile marque la naissance d’Internet, avec environ

un millier de postes reliés entre eux cette année-là.

En 1991, les travaux de Tim Berners-Lee au CERN (Conseil Européen pour la

Recherche Nucléaire) donnent naissance au World Wide Web. Le système se

démocratise et ouvre le réseau à de nouveaux utilisateurs qui n’ont plus besoin

d’être des informaticiens confirmés. Un système d’interface graphique permet la

navigation d’une page (un site) vers un autre via des liens dits hypertextes. En

1994, un organisme de gouvernance est crée, le World Wide Web Consortium

(ayant pour slogan Leading the Web to its full potential) sous la houlette du MIT

(Massachusetts Institute of Technology) aux USA et de l’INRIA (Institut National

de Recherche en Informatique et en Automatique) en France. L’organisme existe

toujours et compte 383 entreprises partenaires en 2013.

Depuis, le réseau a connu une expansion globale. Dans les années quatre-vingt-

dix, Internet est d’abord comparable à une bibliothèque. C’est un modèle

fonctionnant sur un environnement fermé, réservé aux publications individuelles

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d’un petit nombre, un univers dédié à la consultation par l’internaute. Le nombre

d’émetteurs reste limité tandis que la base utilisateur croît.

Yahoo, qui est aujourd’hui un portail adossé à un moteur de recherche n’est alors

qu’un simple annuaire. Deux étudiants de Standford proposent un classement

catégorisé de leurs sites favoris. Un outil alors novateur et pertinent qui viendra

révolutionner un Web aux prémices de sa croissance.

B. Le Web 2.0, “many to many” Par la convergence de l’informatique, de l’audiovisuel et des télécommunications,

on est passé de cette dimension initiale du Web à un nouveau développement.

On parle de Web 2.0.

Internet devient une plateforme où les utilisateurs contribuent à la création de

contenus, et à leur publication. On passe du modèle « few to many » au « many

to many ». Les actions des utilisateurs créent de la valeur, dans un modèle

économique basé sur la participation.

Selon Tim O’Reilly (fondateur d’O’Reilly Média, maison d’édition spécialisée dans

l’informatique) : « Le Web 2.0 repose sur un ensemble de modèles de conception

: des systèmes architecturaux plus intelligents qui permettent aux gens de les

utiliser, des modèles d’affaires légers qui rendent possible la syndication et la

coopération des données et des services. Le Web 2.0 c’est le moment où les

gens réalisent que ce n’est pas le logiciel qui fait le Web, mais les services »5.

Ce passage du logiciel au service s’illustre par exemple aujourd’hui dans l’offre

Google Docs où un logiciel payant (Microsoft Office) est remplacé par un service

gratuit en ligne. Exemple d’autant plus pertinent que l’offre est également

participative et où les utilisateurs peuvent modifier conjointement les documents,

stockés à distance dans le cloud.6

5 Tim O’Reilly – What is Web 2.0 - 2005 http://oreilly.com/web2/archive/what-is-web-20.html 6 “Le could computing désigne l’exploitation de ressources informatiques distantes permettant d’exploiter des services en ligne à la demande“ Frédéric Cavazza – Définition et usage du cloud computing - 2011 http://www.entreprise20.fr/2011/03/16/definition-et-usages-du-cloud-computing/

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Le Web 2.0. est à la fois une évolution quantitative (plus de participants) et

comportementale. Cette nouvelle étape de la croissance du Web passe par

l’intelligence collective. Le réseau est désormais accessible à tous, non plus pour

une simple consultation des contenus, mais surtout pour une participation à la

construction d’un lieu où l’utilisateur échange et se met en avant. Le Web 2.0

permet une participation exhaustive, ouverte à tous et non plus à quelques

créateurs de contenus historiques (médias traditionnels, chercheurs,

universitaires). Ainsi chacun a la possibilité de créer du contenu (écrits, photos,

vidéos), de le mettre en ligne et de le partager avec ses pairs. On parle de User

Generated Content. Le modèle est basé sur une offre de services permettant aux

utilisateurs de créer et de publier, et d’être engagés dans l’organisation de leurs

publications.

Le phénomène des blogs est un des aspects les plus remarquables de l’ère du

Web 2.0. Un blog est un site, composé de notes, classées en fonction de leur

date de publication. Si on passe outre la contrainte de création de contenus à

proprement parlé (il faut nourrir le site), le blog se caractérise par la capacité qu’il

offre de publier facilement, de choisir ses angles éditoriaux et d’interagir en

temps réel avec le lectorat, par le biais des commentaires. L’offre est gratuite

(Blogger, Wordpress) et on dénombre plus de 180 millions de blog dans le

monde début 20127 (pour 36 millions fin 2006).

En parallèle des blogs, la tendance du wiki est également un aspect important du

Web 2.0. Grâce au wiki, les pages d’un site Web et son contenu sont ouverts à la

création et à la modification par tous. L’exemple majeur de cette tendance est

l’encyclopédie participative Wikipédia (créée en 2001) où un utilisateur A peut

proposer une entrée modifiable par n’importe quel autre utilisateur. Wikipédia est

passé de 500 000 articles en 2004 à plus de 4 000 000 en 20138.

7 Nielsen – Buzz in the blogosphere : millions more bloggers and blog readers - 2012 http://www.nielsen.com/us/en/newswire/2012/buzz-in-the-blogosphere-millions-more-bloggers-and-blog-readers.html 8 Source interne Wikipédia -2013 http://en.wikipedia.org/wiki/Wikipedia:Modelling_Wikipedia's_growth

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Ces deux aspects s’appuient donc sur des offres de service, gratuites, et

reposent sur le principe de folksonomie, popularisé par l’architecte de

l’information Thomas Wander Wal en 2004. Ce mot valise se décompose en deux

termes anglais : folks (les gens) et taxonomy (classification des contenus par

l’attribution d’étiquettes – les tags).

Le processus de classification repose sur les utilisateurs eux-mêmes. Ce sont eux

qui catégorisent leurs créations pour aider l’audience à accéder à l’information,

par le biais de moteurs de recherche9. En l’absence de référentiel commun, il est

évident que succès du modèle atteint rapidement ses limites. La création d’un

dictionnaire des tags, comme proposé par le Dr. Alireza Noruzi reste aujourd’hui

un vœu pieux10.

C. Les médias sociaux Avec le Web 2.0. émergent également les médias sociaux « supports numériques

à la prise de parole »11 selon Frédéric Cavazza. On peut les définir par opposition

aux médias traditionnels. On n’est plus face à un émetteur qui adresse un

message unique à une multitude de cibles distinctes, à intervalle régulier dans le

temps, mais dans un schéma où une multitude d’acteurs sont à la fois récepteurs

et émetteurs.

Les médias sociaux rassemblent des outils de publication (les blogs), de partage

(YouTube pour la vidéo), et de discussions (les forums). Ils incluent également les

réseaux sociaux dont les plus connus, Facebook et Twitter (respectivement crées

en 2004 et 2006).

L’attribut social a trait à l’interaction entre les membres. On échange des

contenus et des opinions, et l’interaction entre les individus engendre des

phénomènes de création de groupes, de visibilité et d’influence.

On passe d’une base utilisateur simple consultante à une foule d’émetteurs qui

génère du contenu. Et l’élargissement de la base entraîne donc la démultiplication

9 Collectif - l’évolution d’Internet, le Web 2.0 – La documentation française - 2011 http://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/internet-monde/web2.0.shtml 10Alireza Noruzi - Folksonomies: Why do we need controlled vocabulary? – 2007

http://www.Webology.org/2007/v4n2/editorial12.html 11 Frédéric Cavazza – Panorama des médias sociaux – 2008 http://www.fredcavazza.net/2008/05/19/panorama-des-medias-sociaux/

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des émissions. En 2013, 35 % des internautes interrogés dans le monde auraient

déjà posté du contenu sur les réseaux sociaux12.

Laurence Allard résume ainsi la dimension sociale du Web 2.0 : « écrire,

commenter, copier-coller, mixer, publier, partager ou échanger des photos,

vidéos, liens et tag, sur des sites de présentation de soi et de ses univers

relationnels ».13

En parallèle de cette explosion basée sur une offre nouvelle d’agoras en ligne, les

outils de production (le hardware par opposition au software-logiciel) se

démocratisent et les coûts de production chutent. Des appareils toujours plus bon

marché permettent a chacun de créer et de diffuser son contenu globalement. On

dénombre en 2013 plus de 24,1 millions de possesseurs de Smartphones en

France, soit 44,4% de la population.14 Autant d’outils individualisés qui permettent

de générer du contenu (vidéos, photos) et de nourrir le réseau.

Publication et création sont donc désormais à la portée du plus grand nombre.

Comme le résume Bruno Patino, Directeur général délégué au développement

numérique et à la stratégie de France Télévisions : « Tous ces bouleversements

des usages de nos concitoyens interviennent en même temps que se

démocratisent et s’industrialisent des processus moins onéreux de création et de

diffusion des images animées ».15

De plus, Internet est un média global. L’internaute n’a plus seulement accès à un

contenu national disponible via un support physique (journaux, chaines de

télévision) mais à une information plane, un modèle horizontal où les barrières

géographiques n’existent pas. L’anglais triomphe et représente plus de 55% des

contenus (pour 3.9% en français)16.Si ce constat de diffusion planétaire est vrai

12 Hugo Cléry – Cartographie mondiale du User Generated Content - 2013 http://www.blogdumoderateur.com/etude-cartographie-mondiale-du-user-generated-content/ 13 Laurence Allard, ùRevue MediaMorphoses n° 21, septembre 2007, Armand Colin/INA 14 Source : baromètre trimestriel de Mobile Marketing Association France – Mars 2013 15 Eric Scherer - Meta-media, cahier de tendances medias de France Télévison #4 – France Télévison - Automne Hiver 2012-2013 16 Source : w3techs – Usage of content languages for websites - 2013 http://w3techs.com/technologies/overview/content_language/all

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pour les contenus d’information et d’opinion (notions dont on reparlera et dont la

distinction est brouillée sur le Web 2.0), il est toutefois à pondérer pour les

contenus d’Entertainment issus des industries télévisuelles ou

cinématographiques, pour lesquels la gestion des droits empêche une diffusion

légale globalisée.

Eric Scherer parle du Web comme une « plateforme de partage horizontale », en

l’opposant à une « culture verticale » disparue. 17 Les émetteurs sont donc

démultipliés et diluent le message des acteurs traditionnels de production de

contenus : tous les contributeurs s’expriment avec la même puissance,

bénéficiant d’une l’infrastructure de diffusion identique. Les traditionnels gardiens

de l’information sont bousculés. Ils ne sont plus les seuls à produire et diffuser du

contenu et subissent une crise de confiance, dans une modèle où « la défiance

envers les corps constitués croît à toute vitesse ».18

II. Trop de contenu tue le contenu

A. L’infobésité L’utilisateur devient contributeur : tous médias ! Quelques chiffres permettent de

mieux appréhender l’ampleur de ce déferlement.

En 2013, ce sont 2,3 milliards de personnes qui ont accès à Internet dans le

monde (35% de la population)19. Facebook totalise 1.15 milliard d’utilisateurs

actifs (UA)20 dans le monde, dont 26 millions en France. YouTube, 1 milliard de

visiteurs uniques (VU)21 dans le monde, 26 millions en France. LinkedIn, 147

17 voir annexe 1 : entretien avec Eric Scherer 18Eric Scherer – Le “journalisme augmenté” en 10 points – 2010 http://owni.fr/2010/11/07/le-«-journalisme-augmente-»-en-10-points/ 19Source : Banque Mondiale – 2013 http://donnees.banquemondiale.org/indicateur/IT.NET.USER.P2/countries?display=graph 20 utilisateurs actifs : agir en partageant du contenu ou avoir une activité avec ses amis ou connexions FaceBook via un site tiers intégré à FaceBook – source : NY Times 21 visiteur unique : internaute identifié comme unique visitant un site sur une periode donnée

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millions d’UA dans le monde pour 5 millions en France. Tumblr, 166 millions d’UA

dans le monde pour 4.7 millions en France, Twitter 232 millions d’UA pour 4.5 en

France, Pinterest, 70 millions d’UA dont 500 000 en France22. Ce ne sont que

quelques exemples de l’impact de ces services basés sur la publication de

contenus par les utilisateurs.

Evidemment, la notion d’utilisateur actif est à tempérer : tous les internautes

présents dans les médias sociaux ne sont pas des créateurs de contenus. La loi

de Bradley Horowitz (2006) théorise les différentes phases d’engagement en

ligne, chacune correspondant à un degré de création de valeur. Pour 100

utilisateurs, 1 sera un créateur de contenu, 10 seront des participants actifs

(synthesizers) et le reste ne sera qu’une population de consommateur-rôdeur

(lurkers) qui ne modifiera ni ne commentera le contenu (voir figure).

Loi de Bradley Horowitz23

Un récent article de la BBC renforce cette analyse en mettant en avant que ce

sont désormais 77% des internautes au Royaume Uni que l’on peut qualifier de

participants actifs. L’augmentation de ce ratio est tirée par la « participation

facilitée » proposée par les médias sociaux, via les boutons du type share, like,

tweet.24 L’offre de service sur les médias sociaux s’étoffe avec ces facilitateurs.

S’il fallait auparavant copier-coller le lien du contenu à partager sur la plateforme,

il est aujourd’hui possible de le faire en un clic.

22 Sources : Facebook, Facebook, YouTube, Médiamétrie, Quantcast, Quantcast, Quantcast, Quantcast, Twitter, Médiamétrie, Semiocast, Semiocast 23Bobbie Johnson – Is the 1% rule dead ? The BBC thinks so, but it is wrong - 2012 http://gigaom.com/2012/05/06/bbc-1-percent-rule/ 24idem

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Et ces utilisateurs actifs nourrissent donc la toile de contenus variés. En Juillet

2013, toutes les 60 secondes, ce sont 100 heures de vidéo mise en ligne sur

YouTube, 278 000 tweets, 20 000 nouvelles photos sur Tumblr, 347 nouveaux

post de blogs sur WordPress25.

En agrégeant toutes ces données, on arrive selon Eric Schmidt, Executive

Chairman of Google, à la conclusion suivante : « 5 exaoctets26 d’information ont

été crées entre la naissance de la civilisation et 2003. Autant d’information est

aujourd’hui crée tous les 2 jours et le rythme s’accélère » 27. L’affirmation n’est

pas des plus précises mais a le mérite de souligner notre propos. Steven

Rosenbaum parle quant à lui d’une loi de Moore de la création de contenus : « la

vitesse, l’échelle et le nombre d’éléments produits doublera tous les 24 mois »28.

L’accès à Internet se globalise, les moyens de production de contenus se

démocratisent et la tendance à participer se confirme. La masse d’information va

crescendo.

Conséquence : le Web est malade de sa croissance. Trop de contenu tue le

contenu. C’est le phénomène de l’infobésité (information overload ou en français

surcharge informationnelle). Le terme date de 1970 et a été popularisé par Alvin

Toffler 29 . Initialement, la notion théorise la difficulté pour une personne de

comprendre ou de prendre des décisions, due à la présence de trop

d’informations. Le phénomène existe également dans les théories économiques :

si la rareté entraine une amélioration de la gestion, une trop grande abondance

entraine une modification des usages.

Outre ce syndrome de surcharge informationnelle, l’afflux de contenu provoque

une confusion entre les notions d’informations, de communication et d’opinion.

25Victoria Woollaston – Revealed what happens in just one minute on the internet - 2013 http://www.dailymail.co.uk/sciencetech/article-2381188/Revealed-happens-just-ONE-minute-internet-216-000-photos-posted-278-000-Tweets-1-8m-Facebook-likes.html 26 1 exaoctet = 1 milliard de gigaoctet 27 Eric Schmidt -Techonomy conference – Lake Tahoe USA – Oct 2010 28 Steve Rosenbaum – The coming age of curation economy - 2013 http://www.thevideoink.com/features/voices/the-coming-age-of-the-curation-economy-building-context-around-content/ - .UnkSTmTF3FE 29 Alvin Toffler – Future Shock –Random House - 1970

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Dans le schéma des médias traditionnels, il est facile de distinguer les trois : un

reportage de journal télévisé ou un article (information), un film ou un encart

publicitaire (communication), une émission de débat ou un éditorial (opinion).

Avec les médias sociaux, les émetteurs utilisent tous les mêmes canaux. Et dans

la confusion, l’information perd son statut de denrée rare puisqu’elle est, ou

semble, être disponible partout, tout le temps, et gratuitement, la plupart du

temps.

Et si la théorie de l’infobésité s’applique initialement à la prise de décision, elle se

décline sur le Web avec la détection : la difficulté réside dans le fait de trouver un

contenu pertinent, relatif à la recherche de l’utilisateur.

C’est le paradoxe du Web d’aujourd’hui, « on publie d’abord le contenu avant de

le filtrer » selon Dominique Cardon, sociologue au Laboratoire des Usages chez

Orange Labs.30 Le contenu est noyé, l’océan de données (brutes ou traitées) rend

la recherche laborieuse et parfois infructueuse.

Tout y est disponible, les points de vues les plus variés existent et se confrontent.

De plus, la structure plane du Web où la part de voix est la même pour tous les

acteurs ne favorise pas la visibilité des informations pertinentes ou

contextualisées.

D’après Guillaume Vinot, « Sur Internet. Le temps et l'information, s’écoulent

différemment, ou plutôt, ils ne s’y écoulent pas, ils s’y stockent... »31

Face à cet accroissement vertigineux, il faut définir de nouveaux usages pour

filtrer.

B. L’économie de l’attention

L’infobésité est à associer à l’économie de l’attention, théorisée par Herbert

Simon dans les années soixante-dix. La ressource information est désormais trop

abondante, c’est son corolaire, l’attention, qui se caractérise par la rareté. « Dans

30 Melissa Bounoua – la curation nouvelle tarte )-à la crème du web -2011 http://www.20minutes.fr/web/666430-web-la-curation-nouvelle-tarte-creme-web 31http://uprooted-deracine.blogspot.fr/

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un monde riche en information, l'abondance d'information entraîne la pénurie

d'une autre ressource : la rareté devient ce qui est consommé par l'information.

Ce que l'information consomme est assez évident : c'est l'attention de ses

receveurs. Donc une abondance d'information crée une rareté d'attention et le

besoin de répartir efficacement cette attention parmi la surabondance des

sources informations qui peuvent la consommer » 32 . Le temps de cerveau

disponible, si cher à Patrick Le Lay, est de plus en plus difficile à capter.

« Le temps, la plus précieuse de toutes les ressources puisque la seule à ne pas

être renouvelable, manque »33, selon Jean-Louis Servan-Schreiber. Comme le

souligne David Eun, responsable des partenariats de contenus chez Google en

janvier 2008 : « Les internautes vous paient avec le temps qu’ils passent sur vos

contenus, il vous paient avec leur attention. » Et faire « gagner du temps à

l’utilisateur, en réduisant le bruit d’Internet »34 (Eric Scherer) est un véritable enjeu

pour un émetteur qui veut se faire entendre.

C. Multitasking et Media Snacking

On ne consomme plus de façon linéaire, l’information est stockée et reste

disponible. Le consommateur a le choix du temps et du lieu de consommation. Et

il devient de plus en plus volatile dans son comportement.

Les Digital Natives sont représentatifs de cette volatilité : « ils sont nés entre 1985

et 1995, et ont donc aujourd’hui entre 15 et 25 ans. Ils ont un rapport tout à fait

spécifique à la société, à la consommation, aux marques, à la politique, aux

médias, etc., en grande partie façonné par les technologies numériques ».35 En

2012, une étude commissionnée par Time Inc.36 établit que cette population

change de média jusqu’à 27 fois par heure, passant toutes les 2 minutes d’un 32 Herbert Simon - Designing Organizations for an Information-Rich World - 1971- The Johns Hopkins Press 33 Jean-Louis Servan-Schreiber - Contre le stress, le nouvel art du temps - Albin Michel, 2000 34 voir annexe 1 : entretien avec Eric Scherer 35 Mark Prensky - Les « Digital Natives » (15-25 ans), la génération des autochtones du Web - 2001. 36Source : Innerscope Research, Inc.- 2012 : http://www.timeinc.com/pressroom/detail.php?id=releases/time_inc_study_digital_natives.php

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média à l’autre (Internet, mobile, Télévision..). On parle de mediasnacking (

« checking news content far more frequently for short, sharp bursts of

attention »37) et de multitasking (l’utilisateur est récepteur et émetteur de plusieurs

flux en simultané et sur différents écrans). On picore désormais plus qu’on

analyse.

L’abondance modifie donc l’usage que les consommateurs font de l’information.

Les comportements en ligne sont différents des comportements traditionnels. La lecture devient même différente : le picorage pousse à une navigation

horizontale, où l’attention se focalise sur les titres, les résumés, plutôt que sur un contenu vertical. C’est le syndrome du TL:DR, pour Too Long Did Not Read,

acronyme utilisé en ligne pour signifier qu’un contenu ne sera pas lu car

accaparant trop d’attention (et trop de temps) de la part d’un récepteur unique. C’est le point de Nicolas Carr dans son article « Google nous rend il bête ? »,

publié en 2008 : « même lorsque je ne travaille pas, il y a de grandes chances

que je sois en pleine exploration du dédale rempli d’informations qu’est le Web ou

en train de lire ou d’écrire des e-mails, de parcourir les titres de l’actualité et les

derniers billets de mes blogs favoris, de regarder des vidéos et d’écouter des

podcasts ou simplement de vagabonder d’un lien à un autre, puis à un autre

encore. »38

Il déplore le passage à des comportements plus cosmétiques, où l’analyse en

profondeur décroit au profit du survol. Non pas par une logique de paresse mais

car la multiplication des signaux modifie le comportement du lecteur :

«Auparavant, j’étais un plongeur dans une mer de mots. Désormais, je fends la

surface comme un pilote de jet-ski »39

37 Anna Lawlor – 5 ways the listicle is changing journalism -2012 http://www.theguardian.com/media-network/media-network-blog/2013/aug/12/5-ways-listicle-changing-journalism 38 Nicholas Carr – Is Google making us stupid – 2008 http://www.framablog.org/index.php/post/2008/12/07/est-ce-que-google-nous-rend-idiot 39 idem

Page 16: Charles Biberson  - thèse professionnelle - curation et création de valeur - novembre 2013

16

D. Vers une fin des moteurs ?

Avec le passage au Web 2.0, les moteurs de recherche ont d’abord pris la place

des annuaires. Les contenus se multipliant, une indexation linéaire est devenu

impossible et la recherche est venue remplacer la consultation (et Google a

détrôné Yahoo). Mais face à un développement exponentiel du volume des

contenus, les moteurs de recherche traditionnels ne suffisent plus.

Google possède plus de 70 % du marché du search dans le monde.40 Le moteur

de recherche est un bon exemple des limites du modèle. Chaque recherche

Google génère des millions d’occurrence. Les résultats sont basés sur un

algorithme, qui parcoure une gigantesque base de données où sont référencées

les pages Web existantes. Plus une page est mentionnée, via des liens

hypertextes, sur d’autres sites, mieux elle sera notée. Google affiche ensuite les

pages selon leurs notes, et en fonction des mots clés tapés par l’utilisateur. Mais

Google a deux défauts. D’abord, il ne contextualise pas. Il offrira les mêmes

résultats à une requête identique, quelque soit l’utilisateur. Ensuite, la recherche

ne fonctionne que si l’utilisateur connait la question. Il n’y a pas de notion de

découverte.

40Source : Netmarket Share - 2013

http://www.netmarketshare.com/search-engine-market-share.aspx?qprid=4&qpcustomd=0

Page 17: Charles Biberson  - thèse professionnelle - curation et création de valeur - novembre 2013

17

Le moteur a récemment modifié son fonctionnement, en mettant en place en 2012

le knowledge graph (voir figure).

Knowledge graph de Google (capture d’écran)

Google associe aux résultats traditionnels de recherche, des suggestions de

contenus associés. Les associations se font en fonction de liens établis par les

ingénieurs de Google eux mêmes, mais aussi en fonction des recherches

associées à la demande initiale, faites par d’autres utilisateurs. C’est un pas en

avant dans la contextualisation, où le moteur propose des résultats basés sur la

découverte plutôt que sur l’information pure, en proposant des résultats relatifs à

la recherche formulée, en fonction des recherches supposées proches.41 C’est

une porte ouverte vers des informations non demandées initialement par

l’utilisateur.

Du côté de Facebook, on parle de Social Graph, la cartographie des relations de

l’utilisateur au sein du réseau social. En utilisant ce graph, la recherche pourrait

41 Google – Introducing the Knowledge Graph - 2012 http://www.youtube.com/watch?v=mmQl6VGvX-c

Page 18: Charles Biberson  - thèse professionnelle - curation et création de valeur - novembre 2013

18

être contextualisée en fonction des connections sociales (le brevet a été déposé

par Facebook en 201142, et le système pourrait être appliqué dans l’avenir sur

Bing, le moteur de recherché de Microsoft). Au lieu de submerger l'utilisateur de

résultats, un service de recherche basé sur ce procédé afficherait un nombre plus

restreints d’occurrences : celles qui sont les plus pertinentes (avec le taux de clics

le plus élevé) pour une communauté précise et non pour l’ensemble des

utilisateurs. C’est l’association à la recherche d’un paramètre de tri « social ».

Mais le social graph n’est pas toujours pertinent, car dans le modèle de

Facebook, l’information est noyée dans les contenus personnels, « et on se

retrouve à mélanger des photos des enfants avec des contenus potentiellement

intéressants » selon Guillaume Decugis.43

Twitter s’associe quant à lui à la notion d’Interest Graph. Au delà de son utilisation

conversationnelle, l’outil fonctionne sur des relations fondées sur des expertises

ou des goûts communs, l’utilisateur suit et est suivi par des tweetos partageant

les mêmes centres d’intérêt.

Associer les connections Twitter à la recherche pourrait permettre d’introduire un

facteur de sélection basé sur les goûts de l’utilisateur. Le ciblage se ferait en

fonction des profils associés, des tweets et retweets, catégorisés grâce aux

hashtags. L’Interest Graph est déjà une réalité, mais du côté de la publicité. En

ouvrant sa plateforme à la réclame, Twitter propose aux annonceurs une

taxonomie de ses utilisateurs, classés en 350 catégories, en fonction de leurs

centres d’intérêts44.

Mais Guillaume Decugis tempère, en expliquant que l’Interest Graph de Twitter ne

fonctionne pas, parasité par le fait que « les hashtags sont très durs à suivre, car

ils peuvent être bombardés ou au contraire déserts pendant pas mal de temps 45». De plus, un même émetteur peut s’exprimer sur différents sujets, brouillant

ainsi la cartographie des relations d’intérêt.

42 Pascal Emmanuel Gobry – Facebook patents “curated search” to attack Google - 2011

http://www.businessinsider.com/facebook-search-engine-2011-3 43 voir annexe 3 : entretien avec Guillaume Decugis 44 Jennifer Van Grove - Twitter launches ‘interest targeting… - 2012 http://venturebeat.com/2012/08/30/twitter-interest-targeting/ 45 voir annexe 3 : entretien avec Guillaume Decugis

Page 19: Charles Biberson  - thèse professionnelle - curation et création de valeur - novembre 2013

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Une utilisation de ces différents graphs (knowledge, social, interest) permet de

circoncire les résultats en introduisant des filtres, et de contourner le trop plein

d’information en contextualisant. En associant médias sociaux et recherche, on

passe d’une simple fonction d’échange à une fonction de découverte. La

recherche met en avant des résultats issus du réseau de l’utilisateur. Henry

Nothaft parle de « sérendipité sociale46 » (la sérendipité définit le fait de trouver

sans avoir cherché). L’utilisateur se voit proposer des résultats partagés et

populaires dans son environnement, environnement lui même défini par les liens

sociaux ou les centres d’intérêt.

Avant les médias sociaux, d’autres solutions ont été envisagées.

Le Web sémantique a été théorisé par Tim Berners-Lee dès 1999. Les

ordinateurs seraient bientôt capable d’analyser et de comprendre les même

informations que les humains. Cette compréhension automatisée passerait par

l’annotation précise des contenus mis en ligne. On passerait à une nouvelle étape

de la folksnomie en ajoutant des métadonnées (aux tags déjà existants)

L’annotation permettrait à la machine de prendre des décisions éclairées en

contextualisant et en liant les données à un algorithme de recherche.

Des outils sémantiques existent, tel que Wolfram Alpha47 grâce auquel il est

possible d’avoir des réponses à des questions ouvertes. Un quart de son trafic

provient des requêtes sur Siri, l’assistant personnel intégré à l’Iphone48. Ainsi, on

parle de moteur de connaissances plutôt que de moteur de recherche. Le

knowledge graph de Google peut être vu comme une application du Web

sémantique à la recherche classique, en affichant des informations pertinentes

car recherchées par d’autres.

Mais le modèle ne décolle pas: des technologies concurrentes se font la guerre et

on peut également imaginer qu’une annotation contextualisée (et relativement

46 Henry Nothaft Jr - The Myth Of Serendipity- 2010 http://techcrunch.com/2010/11/27/myth-serendipity/ 47 http://www.wolframalpha.com/ 48 Joe Aimonetti - Siri brings nearly 25 percent of Wolfram Alpha traffic - 2012 http://reviews.cnet.com/8301-19512_7-57372868-233/siri-brings-nearly-25-percent-of-wolfram-alpha-traffic/

Page 20: Charles Biberson  - thèse professionnelle - curation et création de valeur - novembre 2013

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technique) n’est pas à la portée de tous les utilisateurs. Et face à l’absence de

référentiel commun pour les tags, la création d’un tel outil pour les métadonnées

ne parait pas réaliste. De plus, le fantasme de l’intelligence artificielle capable

d’intégrer des facteurs sociaux, de contexte, de tendance semble inatteignable.

Si les solutions supportées par les algorithmes ne suffisent pas, comment peut on

résoudre le problème de l’infobésité ? Comment offrir une information

contextualisée, pertinente et traitable rapidement ?

Dominique Cardon parie sur un avenir mixte : « ce qui me gêne dans le Web

sémantique, c’est la sémantique pure. Il faut la combiner avec du social. Dans le

futur, je vois un intérêt pour les métriques socio-sémantiques. La sémantique

pourrait simplifier l’accès au contenu, mais en pondérant tout cela par du

social. »49

La recherche est aujourd’hui dominée par les algorithmes. On peut imaginer un

futur où ces « outils froids se rapprocheraient d’outils chauds »50 selon Véronique

Mesguich, fondé sur la cartographie des relations et l’intervention d’un facteur

humain.

49 Pierre Tran – le guide de la curation : les perspectives - 2011

http://pro.01net.com/editorial/530484/le-guide-de-la-curation-(7)-les-perspectives/ 50 Sous la direction de Véronique Mesguich - Enjeux et dimensions - Documentaliste-Sciences de l'Information1/2012 (Vol. 49), p. 24-45.

Page 21: Charles Biberson  - thèse professionnelle - curation et création de valeur - novembre 2013

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III. L’émergence d’une solution

A. Les précédents Il existe des antécédents à l’idée d’insérer le facteur social dans la recherche et la

découverte de l’information.

Les plateformes de social bookmarking ont ouvert la voie à la pratique depuis plus

de dix ans.

Pour rappel, la fonction des favoris (bookmarks) dans les navigateurs Internet est

un marqueur important. On peut y voir le début d’une prise de conscience de

l’information overload et le besoin d’enregistrer des résultats pour ne pas avoir à

parcourir le Web une seconde fois. Selon une étude de David Wise de 201351,

une grande majorité de personnes (86% sur son échantillon) ont déjà connu ce

moment où on ne parvient pas à retrouver un contenu que l’on a antérieurement

consulté.

Avec le Web 2.0, la fonction des favoris passe du logiciel (le navigateur) au

service (un site). Le social bookmarking consiste à rassembler des liens et les

partager avec une communauté ciblée ou non (on verra plus loin que la curation

repose en partie sur ces idées)

Le premier site de social bookmarking est itList.com dès 1996 (aujourd’hui

disparu). Dans les années 2000 se créent des plateformes, encore existantes,

telles que Stumble Upon (2001) ou Delicious (2003). Ces services en ligne

permettent de surveiller automatiquement des pages sur un sujet donné. Elles

fonctionnent également sur le principe de la folksonomie, Stumble Upon propose

des pages en fonction des tags relatifs aux centres d’intérêt choisis par

l’utilisateur. Celui-ci note positivement ou négativement les pages proposées,

permettant à la plateforme d’affiner les choix. C’est en fait bien une aide à la

découverte, pour faire émerger du contenu que l’utilisateur n’aurait pas cherché,

mais qu’il est susceptible de trouver pertinent.

51 David Wise – Quelles sont les perspectives de la curation de contenu dans le Web 2.0 - 2013 http://www.slideshare.net/DavidWise/les-perspectives-de-la-curation-de-contenu-dans-le-web-20

Page 22: Charles Biberson  - thèse professionnelle - curation et création de valeur - novembre 2013

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Delicious peut être défini quant à lui comme un simple gestionnaire de favoris

indépendant d’un navigateur, où l’utilisateur est en mesure de retrouver ses liens

sans avoir accès à son propre appareil.

Reddit est une évolution de la mouvance du social bookmarking. Evolution dans

laquelle l’aspect social prend une importance plus grande. Les utilisateurs

proposent des liens qui sont soumis aux votes de leurs pairs. Les liens ayant

rassemblés le plus de vote se retrouvent en haut de la page d’accueil du site.

Crée en 2005, le site a été racheté par Condé Nast en 2006. En août 2013, il

dénombre plus de 28 millions de visiteurs52. The front page of the internet, son

slogan, résume bien l’ambition du site : ne cherchez plus, Reddit met en avant

pour vous ce qui buzze sur le Web. C’est un bookmarking collectif où la

communauté dans son ensemble décide de ce qui est bon ou pas. Le site se

divise en subreddits, permettant à l’utilisateur de se concentrer sur les sujets qui

l’intéressent.

Netvibes crée en 2005 permet à l’utilisateur de créer un portail d’accès

personnalisé, en agrégeant, entre autres, les flux RSS des sources choisies, dans

une page unique et aménageable. La concaténation des flux d’informations dans

un lieu unique permet d’agréger l’information et de simplifier le processus de

recherche.

Twitter, on l’a vu, nourrit le Web et participe à l’information overload. Mais, au delà

de son aspect conversationnel, la plateforme peut également être utilisée comme

un outil de gestion de le surcharge d’information. Les utilisateurs peuvent suivre

un tweetos référent sur un sujet donné. Plutôt que d’avoir à naviguer et chercher

l’information au quotidien, le compte Twitter suivi s’utilise comme un filtre qui ne

met en avant que des informations ayants déjà subi un tri (à tempérer avec le fait

qu’un utilisateur peut twitter sur plusieurs sujets différents, comme vu plus haut).

52 Source : Quantcast – 2013 https://www.quantcast.com/reddit.com

Page 23: Charles Biberson  - thèse professionnelle - curation et création de valeur - novembre 2013

23

Plus le tri est bon, plus le tweetos est susceptible d’augmenter sa base se

followers.

Ces différents exemples sont déjà des protosolutions à l’infobésité. Une nouvelle

notion est venue définir, étoffer et valoriser de nouvelles pratiques.

B. Un peu de littérature

a. Le manifeste de Bhagrava

En Septembre 2009, Rohit Bhargava, publie sur son blog le manifeste du curateur

de contenu. C’est la première fois que le terme apparait dans le contexte du Web,

et Bhargava en donne la définition: « Un curateur de contenu est la personne qui,

continuellement, trouve, regroupe, organise et partage le contenu le meilleur et le

plus pertinent, sur un sujet spécifique en ligne ».53

Initialement en anglais, un « curator » est « un conservateur de musée »54 ou par

extension un commissaire d’exposition. C’est à lui que revient la tâche de gérer,

organiser, administrer une collection. Il est également celui qui devra choisir les

pièces mises en avant, et la façon la plus pertinente de présenter et d’exposer les

œuvres sélectionnées. On parlera en français du curateur, ne pouvant se

résoudre au terme de conservateur pour désigner un métier nouveau.

Dans un autre article de 201155, Bhargava distingue 5 types de curation :

L’agrégation : l’action de rassembler l’information la plus pertinente en un seul

endroit. Face à un véritable trop plein d’information en ligne où les moteurs de

53Rohit Bhargava – Manifesto for the content curator - 2009 : A Content Curator is someone who continually finds, groups, organizes and shares the best and most relevant content on a specific issue online http://www.rohitbhargava.com/2009/09/manifesto-for-the-content-curator-the-next-big-social-media-job-of-the-future.html 54 Harrap’s Shorter - 2008 55Rohit Bhargava – the 5 models of content curation - 2009

http://www.rohitbhargava.com/2011/03/the-5-models-of-content-curation.html

Page 24: Charles Biberson  - thèse professionnelle - curation et création de valeur - novembre 2013

24

recherche renvoient à des millions de pages pour n’importe quelle recherche,

l’agrégation consiste à rassembler en un lieu virtuel unique l’information

pertinente sur un sujet donné. La forme la plus commune est le blog, dont les

billets s’apparentent à un catalogue et listent par exemple les meilleures solutions

existantes en ligne pour transformer une photo.56.

C’est la forme la plus simple de la curation. L’agrégation gère le volume et dans

ce cas, même si les source sont pléthoriques, le fait de les rassembler (et donc de

supprimer l’étape de la recherche) apporte de la valeur pour les personnes

intéressées par le sujet.

La distillation : l’information est simplifiée pour être appréhendée plus facilement.

Le curateur va analyser le contenu et le présenter dans un format accessible, où

seules les idées les plus importantes et pertinentes sont partagées. Certaines

parcelles de contenus peuvent être perdues. La valeur de la curation provient du

fait que l’utilisateur confronté à cette information distillée n’a plus besoin de

décortiquer lui même un volume immense de points de vue mais peut consommer

une sélection plus ciblée, déjà à sa portée.

L’élévation : l’information est analysée en termes de tendances générales. Ce

volet de la curation se réfère à l’identification d’une tendance ou d’une idée plus

large a partir des nombreux points de vue mis en ligne. C’est une des formes de

curation les plus ardues car elle demande de l’analyse et de la part du curateur.

Mais elle permet de dégager et de partager de nouvelles idées.

Le mash up : l’information est juxtaposée pour générer de nouveaux points de

vue. On pourrait donner la traduction mélange mais elle ne traduit pas la notion

de valeur ajoutée. Le mash up est emprunté à l’industrie musicale et représente la

fusion de plusieurs morceaux. Fusionner deux contenus existants permet de

dégager un nouvel axe d’analyse et de le présenter à l’utilisateur. C’est une façon

de créer quelque chose de nouveau à partir de contenus existants. Eric Scherer

parle du Web comme d’une culture du remixage.57

56 http://www.blogdumoderateur.com/20-sites-pour-transformer-sa-photo/ 57 Voir annexe 2 : entretien avec Eric Scherer

Page 25: Charles Biberson  - thèse professionnelle - curation et création de valeur - novembre 2013

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La curation chronologique : l’information est classée de façon chronologique afin

de clarifier la façon dont elle évolue. L’évolution de l’information dans le temps est

un des aspects de la curation les plus captivants : comment les concepts et leur

compréhension ont changé dans le temps. C’est la combinaison de l’information

au cours du temps et le changement de l’appréhension, sur un sujet donné. Ce

type de curation est très utile sur les sujets dont la perception a changé dans le

temps. De plus, elle permet de mettre en perspective le flux continu d’information

sur le Web.

b. Le modèle de Rosenbaum

Steve Rosenbaum est l’auteur de Curation Nation : How to Win in a World Where

Consumers are Creators58. Il est, à la suite de Bhargava, un des premiers à avoir

théoriser la notion de curation. Il est d’abord producteur de télévision (notamment

pour MTV) et fonde en 2006 magnify.net, une plateforme de curation de vidéo. En

mai 2011, il participe au Social Media Book Club et donne quelques clés sur son

appréhension du phénomène59.

Il met en avant que, jusqu’au 11 septembre 2001 et l’attaque du World Trade

Center, il était un filmmaker. C’est cet évènement qui aurait fait de lui un « content

curator ». Les témoignages autour de l’attaque terroriste étaient si nombreux que

pour en raconter l’histoire il a du endosser un rôle différent que celui qu’il

imaginait. Au lieu de créer son propre contenu, il a du devenir un découvreur et

un filtre.

Les ressources sur le 11 septembre sont pléthoriques. Les photos, vidéos, des

victimes et des New Yorkais présent le jour des attentas déferlent sur le Web et

sur les écrans de télévision du monde entier. Tous les habitants de New York

58 Steve Rosenbaum – Curation Nation…- McGraw-Hill Professional - 2011 59 Steve Rosenbaum – Social Media Club - 2011 http://www.slideshare.net/socialmediaclub/curation-nation

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26

sont des sources, des émetteurs potentiels d’information sur le sujet. Pour la

première fois le User Generated Content se manifeste.

De plus, Rosenbaum présente le 11 septembre comme le début de la fin du

monopole des médias traditionnels dans la narration (le storytelling), l’acte de

naissance du tous médias : ce ne sont pas les médias qui ont crée les contenus

relatifs aux attentats, mais bien la multitude de témoins.

Dans un article de d’octobre 201360, il énonce cinq règles pour la construction

d’un modèle économique de la curation.

Le public ne veut pas plus de contenus, il en veut moins. Rosenbaum décrit à son

tour l’envahissement du Web par de l’information brute et des données non

contextualisées. C’est sa constatation de l’Infobésité et de l’importance d’y mettre

fin.

Il décrit trois types de curateurs. Les experts ont un background et une

connaissance qui rend leur choix de curation, la sélection des contenus, valides

pour l’audience. Les curateurs éditoriaux gèrent la collecte d’information et sa

diffusion via les sites dont ils sont responsables. Et les passionnés qui se

concentrent sur un sujet donné et analysent le contenu qu’ils sélectionnent par le

prisme de leur centre d’intérêt.

La curation n’est pas un hobby, c’est une vocation et un travail. Les curateurs

doivent être payés. Le juste prix dépend de la pertinence et du poids de la

production du curateur dans sa catégorie. Une base économique est essentielle

et inévitable.

La curation a besoin de la technologie. Il faut créer des outils pour trouver, filtrer

et valider le contenu à la vitesse du Web, en temps réel. La curation ne peut pas

être efficace si elle s’appuie seulement sur une personne utilisant un navigateur. Il

faut une collaboration personne – outil dédié pour proposer une curation

pertinente.

60Steve Rosenbaum – The Coming age of the curation economy - 2013 http://www.thevideoink.com/features/voices/the-coming-age-of-the-curation-economy-building-context-around-content/ - .Ulq3KiSileI

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27

Enfin, une curation de qualité, sur des sujets précis, doit émerger pour contrer la

masse du tous médias qui noie le Web de contenu à faible valeur ajoutée.

c. Les best practices de Tran

En France, le journaliste Pierre Tran61 précise les best practices d’un processus

permettant une curation dégageant de la valeur.

Il faut d’abord rassembler des sources allant de simples liens aux flux RSS, en

passant par les réseaux sociaux et les contenus médias au sens large (images,

vidéos, textes).

Puis réaliser une sélection manuelle des contenus. Il souligne l’importance du

facteur humain pour séparer les outils de curations des plateformes de publication

automatique. (Une sélection automatique pourrait être envisageable, en

imaginant un algorithme base sur des critères de popularité et d’autorité des

différentes sources)

L’éditorialisation du contenu est primordiale : en ajoutant des commentaires, en

mettant en page, et en créant un format de sortie, une page Web thématique,

basée ou non sur des plateformes de curation, et partageable auprès de la cible.

Il envisage également la possibilité d’une curation collective et collaborative.

Enfin, il souligne l’importance d’intégrer la mobilité aux outils, pour proposer des

applications utilisables via smartphone ou tablette (15% du trafic internet global se

fait en mobilité)62.

61 Pierre Tran – le guide de la curation : les pratiques - 2011

http://pro.01net.com/editorial/530072/le-guide-de-la-curation-(2)-les-pratiques/ 62 Jean Baptiste Le Roux – Internet : 15% du traffic mondial se fait sur mobile - 2013 http://www.economiematin.fr/ecoquick/item/4940-internet-navigation-mobile-trafic-mondial

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d. La Pyramide de Shey

Timothy Shey est à la tête du YouTube NextLab de Google, à New York. Il

analyse la curation sous forme d’une pyramide à quatre niveaux63, chaque niveau

correspondant à une pratique et une valeur différente.

Le niveau le plus bas est la collecte et l’organisation de l’information. C’est la

création d’un sous ensemble de contenus. Viennent ensuite contextualisation et

mise en ordre : classer et ajouter de l’information basique pour présenter les

sources choisies dans un contexte donné. Le troisième niveau passe par le

création de ce qu’il nomme une brand experience : la notion est applicable à une

organisation médiatique (comme le Huffington Post dont on parlera plus loin). Par

extension, pour un curateur qui serait une personne, on peut parler de signature.

C’est la mise en avant de soi et de sa personnalité, d’une part dans les sources

choisies mais aussi dans l’éditorialisation proposée.

Enfin le dernier niveau est le storytelling. On touche ici la fine ligne qui sépare

journalisme et curation. La curation passe par la transformation, l’écriture, la

modification de la source pour l’intégrer à une narration globale.

Selon Shey, plus l’on monte dans la pyramide, plus la génération de valeur est

importante. La valeur passe par la transformation et l’ajout. Et la forme ultime de

la curation est en fait la création.

C. Définition Il est important de préciser en quoi la curation diffère de pratiques existantes.

Pour balancer le point de vue de Bhargava, on peut citer Tom Foremski, 64

journaliste et bloggeur américain : « aggregation is not curation, there is a big

difference …curation is about the human Web while aggregation is about

the machine Web ».

Selon lui, l’agrégation est une sélection de sources, qui produisent du contenu. La

curation est la mise en lumière de cette sélection. L’agrégation est une approche

63 voir annexe 2 : entretien avec Timothy Shey. 64 Tom Foremski – Agregation is not curation…- 2010 http://www.siliconvalleywatcher.com/mt/archives/2010/11/aggregation_is.php

Page 29: Charles Biberson  - thèse professionnelle - curation et création de valeur - novembre 2013

29

de collecte, opposée ici à une approche de choix. Delicious ou Netvibes sont des

agrégateurs : l’information remonte jusqu’à la plateforme sans nécessiter de tri

humain. C’est en fait l’agrégation automatisée que l’on doit distinguer de la

curation, où le facteur humain est primordial.

De même, la curation n’est pas la veille. Selon Camille Alloing65, les pratiques se

distinguent sur plusieurs points. Scherer qualifie la curation d’outil de veille mais

la veille demande une expertise méthodologique et repose sur des outils

spécifiques. De plus la veille n’implique pas d’éditorialisation ou de mise en scène

de l’information. Le veilleur choisit ses sources dans un contexte d’analyse

stratégique propre à l’organisation dont il fait partie ; le curateur est quant à lui

guidé par ses propres centres d’intérêt.

La motivation est également distincte. A date, la curation n’est pas encore une

activité salariée. Le curateur ne répond pas aux exigences d’un commanditaire.

Sa démarche repose sur un besoin personnel, ou sur un « désir égotique de mise

en valeur de soi »66, propre à la culture du partage du Web 2.0 et des médias

sociaux.

En agrégeant ces différents points de vue, la curation repose donc sur 6 points

clés.

Le premier est le facteur humain. A la suite des outils d’agrégation automatique,

la curation introduit la notion d’un besoin de sélection raisonnée, non plus basée

sur des algorithmes froids mais sur une intervention personnelle. « C’est la mise

en valeur par un choix personnel »67 selon Eric Scherer. La valeur ajoutée passe

par la personnalité du curateur.

Le curateur doit déterminer un sujet précis, une aire d’expertise suffisamment

claire pour devenir un référent visible sur un contenu identifiable.

Ensuite vient la notion d’éditorialisation. La curation n’est pertinente que si elle

ajoute à la somme des sources une information supplémentaire. Le curateur se

doit de proposer à l’audience une mise en lumière des informations qu’il a 65 Sous la direction de Véronique Mesguich - Enjeux et dimensions - Documentaliste-Sciences de l'Information1/2012 (Vol. 49), p. 24-45. 66 Idem 67 voir annexe 1 : entretien avec Eric Scherer.

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30

sélectionnées : contextualisation, mise en perspective des opinions et évolution

dans le temps. Le tout est alors supérieur à la somme des parties

La curation répond également à des enjeux de mise en forme. Le curateur, en se

basant sur l’outil de curation de son choix, doit proposer une mise en scène, une

théâtralisation du contenu. L’attractivité passe par la forme. Eric Scherer parle de

« repackaging »68.

La notion de continuité formulée initialement par Bhargava est également

importante. Le curateur se doit de sélectionner à la vitesse du Web. En réduisant

sa contribution à un sujet donné, il est en mesure d’actualiser en continu, en

fonction des ses sources d’information, les contenus qu’il met en avant.

Enfin, la curation se destine à une communauté. Le curateur fait partie de

groupes, sociaux ou d’intérêt. Ces groupes peuvent être fournisseurs de contenus

pour le curateur qui crée de la valeur ajoutée à destination des membres de la

communauté.

Le rôle du curateur s’est donc précisé. On parle d’aiguilleur d’information qui

distribue en fonction des destinateurs, ou de dépollueur de contenus. La meilleure

analogie est celle du DJ (disc-jockey). Il n’est pas un créateur de contenus, mais

crée de la valeur en choisissant, jouant et liant les morceaux de musique les uns

aux autres, pour en faire une suite cohérente et attractive. Le curateur est un DJ

du contenu : il sélectionne, met en avant et crée des ponts entre les informations

qu’il choisit, offrant de nouvelles perspectives à l’audience.

La pratique a évidemment ses détracteurs. Elle ne serait que du vol de contenu

(on verra les implications juridiques plus loin), favoriserait la duplication. Le terme

ne serait qu’une belle enveloppe marketing, un buzzword pour séduire les

investisseurs, ne recouvrant en fait que des pratiques existantes. « Parce que

d’un côté l’internet, c’est le bordel, que y’a plein de contenus, et que de l’autre y’a

des gens qui n’ont pas grand chose à faire de leur vie et qui aiment bien faire

partager ces liens à leurs amis. Ces branleurs sont donc des curateurs »69 (Titiou

Lecocq -2011)

68 voir annexe 1 : entretien avec Eric Scherer. 69 Titiou Lecocq – Non à la “curation - 2011

Page 31: Charles Biberson  - thèse professionnelle - curation et création de valeur - novembre 2013

31

Mais c’est un fait, le phénomène existe et fait bouger les lignes. Il provoque un

rééquilibrage de la valeur. Dans un contexte ou l’information est disponible en

masse, « ce n’est plus le contenu qui est roi, mais la curation » (Rosenbaum –

2010)70 . La valeur se déplace « de l’avalanche de contenus, vers ceux qui

permettent du sens »71.

Dans la continuité du Web 2.0 participatif, les notions d’interventions humaines,

de sociabilité et de partage sont au cœur de ce nouvel usage. Comme l’a écrit

Bhargava, l’algorithme froid ne suffit plus pour répondre à l’appétit de contenus,

nous avons besoin « d’une nouvelle catégorie d’individus »72. Dominique Cardon

définit le meilleur moteur de recherche, comme un « écosystème social dans

lequel émergent les curators, élite parmi ceux qui partagent et qui se démarquent

de part la qualité des contenus qu’ils publient/filtrent ».73

« La curation est la nouvelle recherche qui est elle-même la nouvelle curation. »74

http://owni.fr/2011/02/13/non-a-la-curation/ 70Steven Rosenbaum – Content is no longer king : curation is king - 2010 http://www.businessinsider.com/content-is-no-longer-king-curation-is-king-2010-6 71 voir annexe 3 : entretien avec Guillaume Decugis 72 Steven Rosenbaum – Content is no longer king : curation is king - 2010 http://www.businessinsider.com/content-is-no-longer-king-curation-is-king-2010-6 73 Vincent Lieser – La curation, un usage au Coeur d’une nouvelle revolution du web -2011 http://www.agence-modedemploi.com/buzz/fr/la-curation-un-usage-au-coeur-dune-nouvelle-revolution-du-Web/ 74 Paul Kedrosky – Curation is the new search is the new curation -2011 http://paul.kedrosky.com/archives/2011/01/curation_is_the.html

Page 32: Charles Biberson  - thèse professionnelle - curation et création de valeur - novembre 2013

32

LA CURATION, USAGES ET ACTEURS D’UNE NOUVELLE PRATIQUE

I. Les outils A. Grille de lecture Avec l’émergence de la notion de curation et grâce à une définition plus précise

du métier du curateur, des services web dédiés se sont crées, permettant aux

utilisateurs de mettre en pratique ce nouvel usage.

A la suite du social bookmarking et de Twitter, quelles sont les différentes

plateformes de curation existantes aujourd’hui et comment les classifier ?

Christophe Deschamps a réalisé une étude comparative en 2012 75 (la

classification repose en partie sur les critères définis par Pierre Tran). Deschamps

définit sept catégories de comparaison (elles-mêmes divisées en trente-deux

critères).

-­‐ sources

-­‐ types de contenus intégrés

-­‐ livrables proposés

-­‐ optimisation pour l’usage personnel

-­‐ aspect social et pratiques collaboratives

-­‐ éditorialisation

-­‐ moteur de recherche

Comme vu précédemment, la curation répond en amont à des enjeux de gestion

de l’infobésité. Et elle crée de la valeur en aval, dans la contextualisation et la

mise en scène de l’information. On peut donc déterminer deux catégories clés au

sein du classement de Christophe Deschamps.

75 Sous la direction de Véronique Mesguich - Enjeux et dimensions - Documentaliste-Sciences de l'Information1/2012 (Vol. 49), p. 24-45.

Page 33: Charles Biberson  - thèse professionnelle - curation et création de valeur - novembre 2013

33

Il y a d’abord l’input, les sources d’alimentation gérées par la plateforme. Le

critère juge la façon dont l’outil permet à l’utilisateur d’agréger du contenu et dans

quelles mesures la détection (ou la découverte) de l’information est facilitée. On

balaye un éventail de sources d’abord purement externes que le curateur choisit

de rassembler manuellement sur sa page ; puis internes qui peuvent être choisies

manuellement ou via les recommandations de la plateforme (en fonction des mots

clés ou tags choisis par le curateur, indiquant à la plateforme qu’il souhaite être

averti de contenus relatifs au sujet). L’outil peut également proposer l’intégration

des flux issus des réseaux sociaux ou d’agrégateurs déjà existants.

La question des inputs répond au défi de gestion de la surcharge informationnelle.

Et ces entrées constituent la matière première pour le curateur, la glaise qu’il va

sculpter pour proposer une sélection pertinente.

Ensuite, l’output : comment la plateforme aide à apporter de la valeur ajoutée à la

simple agrégation. Quel est le packaging proposé par l’outil ? Les meilleurs

services doivent offrir des options d’ éditorialisation, de personnalisation, et

d’ajout de commentaires aux contenus existants.

Le packaging est un enjeu à la fois sur la forme (proposer un affichage clair,

pédagogique et se démarquer de la source originale du contenu) et sur le fond

(offrir la possibilité de contextualiser en ajoutant de l’information en plus du

contenu original).

Page 34: Charles Biberson  - thèse professionnelle - curation et création de valeur - novembre 2013

34

Ci dessous quelques données sur trois des plateformes les plus intéressantes,

proposant des services de curation pure:

Nom (création) Origine Impact Offre Note

Scoop.it76 (2010) France 7 millions de

VU mensuels

Création d’un

magazine

2.6 millions de dollars

de levée de fonds

Pearltrees77 (2008) France 2 millions

d’UA

Mapping de

contenus

11.5 millions de dollars

de levée de fonds

Pinterest78 (2010) USA 70 millions

d’UA

Curation

visuelle

3.8 milliards de dollars

de valorisation

B. Le véritable interest graph

L’offre de ces plateformes de curation est bien le interest graph, mentionné

précédemment. En fonction des choix de l’utilisateur, relatif à des goûts, des

centres d’intérêt et non des personnes, l’outil propose des contenus. Ces

contenus sont mis en avant, soit par d’autres utilisateurs soit de manière

automatique. C’est donc bien un modèle de découverte, débarrassé du biais

social. Les contenus sont filtrés, non pas en termes d’individus mais en termes de

sujets. Scoop.it est organisé par thématiques. Pearltrees propose des contenus

reliés aux sujets choisis par l’utilisateur. Et Pinterest, offre de suivre des

« boards » classés par thèmes. On évite l’écueil de Twitter où un même référent

peut discuter de sujet différents79.

Ces modèles fonctionnent grâce à la notion de humanrithm. La bataille entre

l’algorithme et l’humain se solde par une association. Sur Scoop.it par exemple,

un algorithme sémantique crawle plus de dix millions de pages web chaque jour

et vient proposer aux utilisateurs des contenus pertinents. Mais encore une fois

76 Philippe Guerrier – Scoop.it lève 2.6 millions de dollars - 2013 http://www.itespresso.fr/curation-scoop-it-leve-2-6-millions-de-dollars-66735.html 77 Francis Bea - Pearltrees launches Android app, makes leap into…-2013 http://www.digitaltrends.com/social-media/pearltrees-file-management/ 78 Source : Semiocast - 2013 http://semiocast.com/fr/publications/2013_07_10_Pinterest_has_70_million_users 79 voir annexe 3 : entretien avec Guillaume Decugis.

Page 35: Charles Biberson  - thèse professionnelle - curation et création de valeur - novembre 2013

35

c’est l’humain qui fait le choix de ses publications. La recherche est automatisée

pour venir faciliter une publication qui, elle, reste humaine.

Les curateurs soutenus par ces nouveaux outils, produisent de la découverte, ils

répondent à la problématique du I don’t know that I don’t know80. Google et les

moteurs offrent une réponse à une question précise. La curation permet de

mettre la main sur une information dont on ne connaît pas forcement l’existence.

II. Qui sont les curateurs ?

A. Les personnes

Les outils existent, ils permettent donc de trier, mettre en avant et éditorialiser une

information pertinente avant de la partager. Mais quelle est la motivation des

curateurs quand ils ne sont pas des professionnels rémunérés ?

La découverte est un enjeu pour les personnes. Scherer parle du « tous

medias », dans une perspective de production de contenus, les services du web

2.0 faisant de tous les utilisateurs des émetteurs. Au regard de cette constatation,

se pose la question de la visibilité (intimement liée à l’attention mentionnée

précédemment). « Every one of you is a media company » selon Gary

Vaynerchuk 81 , entrepreneur américain. Produire du contenu est un moyen

d’exister et d’être visible. La surcharge informationnelle s’applique également aux

personnes : proposer son input est un moyen de se faire une place sur Internet.

En restant passif, le risque est de se retrouver noyé dans le volume.

On peut parler de personal branding ou de réputation. Chacun peut être émetteur,

grâce aux outils existants : mais Vaynerchuck, contrairement à Scherer parle plus

d’une nécessité que d’une option.

80 idem 81 Gary Vaynerchuk – Every single one of you is a media company -2013 http://www.garyvaynerchuk.com/every-single-one-of-you-is-a-media-company/

Page 36: Charles Biberson  - thèse professionnelle - curation et création de valeur - novembre 2013

36

Dans un modèle horizontal, la force de frappe est censée être la même pour tous.

Si les acteurs organisationnels (entreprises, institutions) peuvent allouer des

ressources pour soutenir leur part de voix (par le biais de la publicité ou via leur

propre site), la problématique est différente pour les individus. Il est inimaginable

de créer et d’acheter des espaces publicitaires sur Internet afin de promouvoir sa

marque personnelle. En revanche, on peut analyser les réseaux sociaux et

désormais les plateformes de curation comme des outils de support au personal

branding.

L’internaute est à la recherche de visibilité. Il bâtit alors sa réputation sur l’image

qu’il renvoie via les réseaux sociaux. C’est le principe même de Twitter. La

plateforme permet de se créer une réputation en mettant en avant un type de

contenu donné. En agrégeant des informations, en suivant les bons influenceurs

(et en étant suivi par eux, tel un échange de bons procédés), l’internaute construit

sa marque personnelle. Il peut ainsi être visible sur la toile, donner son avis et

surtout partager son expertise.

La curation est une offre qui répond également à cet enjeu. Produire du contenu

n’est pas à la portée de tous, le sélectionner et le contextualiser est un moyen

plus accessible de gagner en visibilité. (c’est le positionnement de Scoop.it). La

proposition repose sur le constat qu’un grand nombre de personnes veulent (et

doivent, selon Vaynerchuk) s’exprimer. Mais tous n’ont pas les ressources (le

temps en premier lieu) pour écrire de façon régulière un article ou un post de

blog. Dès lors, la curation est un moyen facilité de se faire une place au soleil sur

le Web. Les curateurs peuvent mettre en lumière leur savoir sur un sujet donné,

avec un effort limité.

De plus, la curation, au sein de l’ensemble des outils de publication du Web,

répond à un besoin plus large, cristallisé par les réseaux sociaux. Je partage donc

je suis. « Les réseaux sociaux sont devenus la tuyauterie du bouche à oreille

dans notre société » selon Vaynerchuk82. Il faut amener de la valeur au client final

82 Gary Vaynerchuk – Every single one of you is a media company -2013 http://www.garyvaynerchuk.com/every-single-one-of-you-is-a-media-company/

Page 37: Charles Biberson  - thèse professionnelle - curation et création de valeur - novembre 2013

37

(consommateur, client, ou employeur potentiel) en apparaissant comme un

participant au flux. La participation assure la capacité à être découvert, à exister

parmi la multitude. Pouvoir justifier d’un certain nombre de followers, sur Twitter

ou sur son compte Scoop.it apparaît comme un argument de valeur, une preuve

d’existence.

C’est aussi le point de Benoit Raphael pour qui la curation vient donc seulement

« préciser, démocratiser une tendance naturelle du web permise par les outils

existants et accessibles à tous, plus seulement aux medias et aux producteurs

traditionnels de contenu ».83

Selon Dominique Cardon, la curation est avant tout un acte expressif, qui permet

de se définir sous le regard des autres. On touche là à une limite de la pratique,

entre besoin de reconnaissance et pertinence des contenus, comment jauger de

la qualité de la curation ? C’est à nouveau la formulation d’une confusion entre

communication, opinion et information.

B. Les journalistes et médias d’informations

Selon Fabrice Frossard, « la curation telle qu’on l’entend, c’est la base du métier

de journalisme »84.Dans un passé, pas si lointain, avant l’arrivée d’Internet et du

phénomène de disrupted publishing85, la recherche, le tri et la sélection de

l’information (que l’on peut assimiler au choix et au recoupement des sources)

était un savoir faire journalistique.

Et Scherer de présenter l’arrivée de la fonction de curateur comme une menace :

« La dernière valeur ajoutée, difficilement copiable du journaliste, c’est cette

fonction de tri, de vérification et de hiérarchisation de l’information. S’il y a des

gens qui ont du talent pour produire de la curation, et qui ont le temps de le faire

83 Melissa Bounoua – la curation nouvelle tarte )-à la crème du web -2011 http://www.20minutes.fr/web/666430-web-la-curation-nouvelle-tarte-creme-web 84 Fabrice Frossard – Au secours, j’ai un avis sur la curation - 2010 http://balises.info/2010/10/16/au-secours-j’ai-un-avis-sur-la-curation/ 85 Gary Vaynerchuk – Every single one of you is a media company -2013 http://www.garyvaynerchuk.com/every-single-one-of-you-is-a-media-company/

Page 38: Charles Biberson  - thèse professionnelle - curation et création de valeur - novembre 2013

38

(le journaliste a le temps de la faire car il est payé pour ça), il est sûr que le

journaliste sera mis en difficulté sur une de ses missions essentielles »86.

Dans le nouvel environnement horizontal du Web, les outils d’accès à

l’information, la publication et la visibilité sont accessibles à tous. Tous les

utilisateurs deviennent donc potentiellement journalistes et médias (moyen de

diffusion, de distribution ou de transmission de signaux porteurs de messages)87.

« Aucune rédaction n’a les moyens de concurrencer les millions de portables qui

sont dans nature »88 selon Eric Scherer.

Le journaliste qualifié fait face à une multitude d’observateurs amateurs avisés,

qui ont potentiellement plus d’informations sur un sujet donné. Le modèle vertical

n’existe plus et le gatekeeper traditionnel n’a plus le monopole de la crédibilité.

En parallèle de cet éclatement des émetteurs, journalistes et medias doivent faire

face à une crise de légitimité. C’est le syndrome du tous pourris. « Les citoyens

sont toujours plus prompts à dénigrer les pouvoirs institutionnels…les grands

médias dans leur forme institutionnelle, auxquels, ils font de moins en moins

confiance »(Deslandes - Fonnet - Godbert, 2009)89. La presse écrite traditionnelle

paie les conséquences de ce double changement.

A contrario, l’information overload peut être perçue comme une vrai opportunité.

Le foisonnement des émetteurs (dont une grande partie sont des amateurs, non

rémunérés) est aussi une chance pour un journaliste, payé, de multiplier les

sources et de construire une information nourrie et pertinente.

Dans une logique de temps, les curateurs sont autant de défricheurs au service

du journaliste. L’étape de la recherche, de l’agrégation des résultats en un seul

lieu n’est plus à la charge du professionnel, ce dernier peut se reposer sur le

travail déjà réalisé par le curateur. Le curateur (au même titre que son ancêtre le

blogueur) est souvent un expert sur son domaine et rassemble lui même les

sources pertinentes. Rassemblement dont pourra bénéficier le journaliste.

86 voir Annexe 1 : entretien avec Eric Scherer 87 Robert- 2006 88 Anonyme – Eric Scherer : tout le monde devient un média aujourd’hui – obsweb.net – 2012 http://obsweb.net/2012/11/30/eric-scherer-tout-le-monde-devient-un-media-aujourdhui/ 89 Ethique des medias sociaux et économie de la participation. Vers une approche éditoriale ? Une etude comparative – Global media journal Canadian Edition, 2009

Page 39: Charles Biberson  - thèse professionnelle - curation et création de valeur - novembre 2013

39

Si le curateur est donc d’abord un concurrent, il n’en reste pas moins soluble dans

le journalisme, comme une source. Et les plateformes dédiées peuvent être

utilisées, à la fois comme des outils back office par le journaliste et comme un

agrégat de sources contextualisées.

Cependant, on peut aussi voir dans le principe du journaliste de curation une

menace sur la diffusion de l’information.

Il y a un risque de cohabitation entre deux types d’informations. D’une part, une

information de curation qui ne serait qu’un « best of » de contenus agrégés (un

« RMI de l’information » selon Bernard Poulet90) et dont l’accès serait gratuit. Et

d’autre part, le journalisme d’investigation, qui repose sur un modèle différent : un

travail de recherche et de recoupement sur le long terme et dont l’accès serait

payant, via un abonnement, ou par l’achat d’articles à l’unité.

La curation repose sur un modèle économique bien plus léger que le journalisme

de fond. Collecter est évidemment moins onéreux que créer de l’information.

Comme le souligne Fabrice Froissard : « Les éditeurs, petits ou grands, sont tour

à tour pris dans le cercle vicieux d’une chute d’audience progressive qui les

conduit à réduire le nombre de journalistes, ce qui a pour conséquence de réduire

la proposition éditoriale et donc, mécaniquement, le nombre de lecteurs et

incidemment la surface publicitaire. Publicité qui représente en moyenne plus de

50 % des revenus des titres de presse. »91

Dans un modèle économique en difficulté, il est donc plus facile de se focaliser

sur le modèle de la curation que sur celui de la création. La curation peut être vue

comme un moyen de diffuser du contenu à moindre coût.

90 Bernard Poulet – Une Information à deux vitesses - 2013 http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/09/15/une-information-a-deux-vitesses_3477839_3232.html 91 Sous la direction de Véronique Mesguich - Enjeux et dimensions - Documentaliste-Sciences de l'Information1/2012 (Vol. 49), p. 24-45.

Page 40: Charles Biberson  - thèse professionnelle - curation et création de valeur - novembre 2013

40

Une nouvelle forme de média d’information en ligne a donc émergé depuis le

milieu des années deux mille. Ces pure players (présents uniquement en ligne)

démontrent la viabilité du modèle de la curation pour les médias.

a. Le Huffington Post

Le Huffington Post, lancé en 2005, a été le premier. Initialement, le contenu

proposé n’est pas, comme dans le cas d’un média traditionnel, crée par un pool

de journalistes payés par l’organisation. Le Huffington Post repose sur une

communauté de trois mille contributeurs, indépendants (anonymes ou très

connus, de Hilary Clinton à Madonna) qui nourrissent le site.

Quelle est la valeur pour ces contributeurs ? C’est du donnant-donnant. Le site

crée une situation de « win-win » où le contributeur s’offre une visibilité via le

média. Et l’équipe de journalistes du site se consacre à choisir les contenus

qu’elle veut mettre en avant, soit écrits directement pour le journal, soit en les

recueillant sur des supports existants.

La valeur créée par le site se fonde bien sur la définition de la curation. C’est le

choix et la mise en avant des sources qui attirent le lectorat. En complément

l’équipe de journaliste (existante mais réduite) analyse et contextualise. Dans la

pyramide de Tim Shey, le Huffington Post incarne l’étage de la brand experience.

L’article de Rosenbaum sur les 5 règles de la curation (cité plus haut) a ainsi été

republié sur le Huffington Post, à la suite de sa première sortie sur le site Videoink

(ce dernier étant évidemment mentionné comme source originale).

Le pendant de cette communauté de contributeurs est la communauté formée par

l’audience (plus de 3 millions de followers sur Twitter et plus de 1.2 millions de

likes sur Facebook) Le média joue la carte des réseaux sociaux depuis le début et

« les contenus du Huffington Post sont édités pour être percutants, intéressants et

tentants à partager »92. La stratégie est payante. Début 2013, 18% du trafic du

92 Guillaume Decugis – Ce que l’acquisition du Huffington Post veut dire pour les médias – 2011

Page 41: Charles Biberson  - thèse professionnelle - curation et création de valeur - novembre 2013

41

site provient de Facebook (contre 11% de Google), poussé par la création de

contenu viral et l’offre de boutons de partage sur le site. 93

En février 2011, le site a été racheté par AOL pour 315 millions de dollars.

b. Buzzfeed

Buzzfeed est un autre exemple de la curation comme modèle de création

d’audience. Il a été cofondé par Jonah Peretti (co-fondateur du Huffington Post)

en 2006.

A l’origine, Buzzfeed agrège du User Generated Content et crée des listes sur

des thématiques variées et insolites (« 36 choses que toutes les filles aiment en

2013 »)94. On parle de listicles, mot valise issu de la fusion entre liste et article.

Les images, vidéos, GIFs (Graphics Interchange Format), et autres memes sont

glanées sur le web et rassemblés puis éditorialisés. Plus que de créer, il s’agit

avant tout de sélectionner et mettre en avant, en proposant une mise en forme

attrayante.

Après avoir construit une audience sur un modèle de curation de contenus bon

marché (l’agrégation implique une processus simple et peu couteux en

ressources humaines), Buzzfeed est passé à la vitesse supérieure. En janvier

2012, le site débauche Ben Smith, très respecté bloggeur du site Politico pour en

faire son rédacteur en chef. C’est un tournant pour le média qui va commencer à

créer son propre contenu, misant sur une audience déjà existante. Le virage de la

création s’amorce suite à la construction d’une audience via la curation.

Smith qualifie Buzzfeed de « première social news organization, qui tient compte

de la diffusion et du partage croissant de l’information par Twiter, Facebook et les

http://www.journaldunet.com/solutions/expert/49635/ce-que-l-acquisition-du-huffington-post-veut-dire-pour-les-medias.shtml 93 Ryan Spoon – FaceBook drives 19% of Huffington Post traffic - 2009 http://ryanspoon.com/2009/05/04/facebook-drives-19-of-huffington-posts-traffic/ 94Lyddie Barret – 36 things every 2013 girl loves - 2013 http://www.buzzfeed.com/lyddiebarrett/36-things-every-2013-girl-loves-dinz

Page 42: Charles Biberson  - thèse professionnelle - curation et création de valeur - novembre 2013

42

autres réseaux sociaux »95. La notion de contenu à partager vient définir la ligne

éditoriale du site où l’on crée du contenu qui doit devenir une conversation sur les

réseaux sociaux : « on ne vient pas sur Buzzfeed pour lire, on y vient pour

partager des contenus», explique Ben Smith96. Pour le site, les médias sociaux

sont eux mêmes une source d’inspiration, selon Peretti: “ Beaucoup du travail des

éditeurs de Buzzfeed sont des conversations à propos des accroches ou des

sujets dont les gens parlent sur 4chan et Reddit » 97.

Le site est construit pour favoriser la viralité. Tous les contenus ont un score de

partage visible (les partages et likes sur Facebook et les tweets relatifs au

contenu sont affichés). Et chaque listicle propose des boutons de partage sur ces

mêmes réseaux sociaux (voir figure).

Buzzfeed : scores et boutons de partage (capture d’écran)

95 Sous la direction de Véronique Mesguich - Enjeux et dimensions - Documentaliste-Sciences de l'Information1/2012 (Vol. 49), p. 24-45. 96 Alice Antheaume - Buzzfeed au pays des merveilleux contenus sociaux – 2012 http://blog.slate.fr/labo-journalisme-sciences-po/2012/12/08/buzzfeed-au-pays-des-merveilleux-contenus-sociaux/ 97 Farhad Manjoo - How To Make a Viral Hit in Four Easy Steps -2012 http://www.slate.com/articles/technology/technology/2012/06/_21_pictures_that_will_restore_your_faith_in_humanity_how_buzzfeed_makes_viral_hits_in_four_easy_steps_.html

Page 43: Charles Biberson  - thèse professionnelle - curation et création de valeur - novembre 2013

43

Et c’est un cercle vertueux. Le contenu vient de la communauté. Buzzfeed se

charge de le rassembler, de le mettre en forme et l’offre ensuite pour que cette

même communauté puisse le partager. Et plus le partage est large plus la valeur

augmente pour Buzzfeed qui voit son trafic augmenter.

Buzzfeed est entièrement financé par la publicité, sous forme de contenus

proposés par des marques. Il n’y pas de bannières classiques, mais des

dispositifs que le site appelle des advertorials. Les sponsors paient pour

sponsoriser des listicles (qui apparaissent comme « proposés par » la marque,

offrant un support sur un format facilement partageable sur les réseaux sociaux.

Le media payant permet dans un second temps de générer du média gagné - on

parle de « paid media » et de « earned media ». Le « earned media » et

l’exposition dont bénéficie une marque à travers d’autres sources que celles

générées par l’entreprise. Il s’oppose au « paid media » (publicité traditionnelle) et

au « owned media » (exposition via les supports que la marque possède (son site

web par exemple).

Le site joue donc sur deux aspects de la curation. D’une part, il a crée un modèle

économique léger en étant lui même un curateur de contenus, en agrégeant des

éléments de User Generated Content issus des réseaux sociaux. D’autre part, il

offre un contenu partageable que des utilisateurs seront à même de récupérer et

diffuser eux mêmes.

L’audience de Buzzfeed explose (20 millions de VU en juillet 2013 selon

comScore) et le site a annoncé son arrivée en France.98

Ces deux exemples déploient des stratégies de curation comme une réponse au

media « snacking » (picorage, expliqué plus haut). L’offre s’incarne dans des

contenus faciles à consommer, que la cible est à même de partager. Le facteur

social est intégré dans le modèle économique.

98 Alexandre Piquart – Buzzfeed, l’étoile montante…-2013 http://www.lemonde.fr/technologies/article/2013/11/04/buzzfeed-l-etoile-montante-des-pure-players-du-web-americain-lance-sa-version-franc_3507632_651865.html

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44

C. Industrie de l’Entertainment

La curation est également un business model pour les producteurs de contenu

d’Entertainment. Le modèle n’a pas été crée avec le web : Tim Shey cite MTV

comme un des premiers exemples de curation offline99.

MTV (Music TeleVision) est crée en 1981 à New York. Elle est la première chaîne

musicale. A ses débuts, elle ne diffuse que des clips musicaux. Autrement dit, elle

agrège un contenu qu’elle n’a pas produit elle-même. Elle package ce contenu

dans un habillage (une mise en scène) portant ses propres couleurs. Et elle vend

des interstices publicitaires aux annonceurs. En 1984, MTV se lance dans la

production de contenus, avec la première édition des Vidéos Music Awards (à

noter que les premiers YouTube Music Awards ont eu lieu le 3 novembre dernier).

Elle sera rachetée l’année suivante par Viacom. Aujourd’hui, MTV Networks

(Etats-Unis, Europe, Amérique Latine et Asie) contrôle 111 chaînes et 94

sites web qui couvrent 167 pays.

Qu’a fait MTV à ses débuts, sinon de la curation de contenus ? La chaine a

construit son audience sur la sélection qu’elle proposait. L’audience a augmenté

ainsi que les revenus publicitaires. MTV a ensuite pu se lancer dans la création

de contenus. Elle est passée d’un modèle économique de curation à un modèle

de création.

Sur le web, on peut parler du modèle offert par YouTube à ses utilisateurs. La

plateforme vidéo est avant tout dédié aux créateurs de contenus et est un des

rares exemples où les créateurs sont rémunérés via la diffusion online. Les

publicités servies sur les vidéos génèrent du revenu que se partagent les

créateurs et la plateforme.

Depuis 2012, la plateforme s’organise autour de chaînes, auxquelles les

utilisateurs peuvent s’abonner. Les chaînes offrent des programmes cohérents, et

YouTube met à jour la page d’accueil (personnalisée) avec les nouveautés des

chaînes auxquelles l’utilisateur a souscrit. 99 voir annexe 2 : entretien avec Timothy Shey.

Page 45: Charles Biberson  - thèse professionnelle - curation et création de valeur - novembre 2013

45

C’est un premier pas en avant vers une organisation contextualisée de YouTube,

une forme de curation100 où le site met en avant les contenus relatifs aux intérêts

de l’audience.

Mais, en sus de la création, YouTube offre la possibilité de créer des playlists.

Tout utilisateur peut agréger des contenus qui ne sont pas les siens (sans pouvoir

en tirer profit bien évidemment). Au même titre qu’un blogueur ou un tweetos peut

se poser en référent sur un sujet en mettant en avant du contenu, un utilisateur de

YouTube peut également devenir incontournable en se consacrant à creuser la

plateforme pour trouver des contenus pertinents sur un sujet défini.

Le modèle ne propose pas encore de rémunérer les “curators” créateurs de

playlist (tout le revenu publicitaire restant distribué aux propriétaires des droits).

Comme le dit Tim Shey, aujourd’hui « il y a des millions de gens sur le Web prêts

à faire de la curation gratuitement ».101

Ray William Johnson, 3ème chaîne la plus souscrite sur YouTube avec plus de

10 millions d’abonnés (à titre de comparaison la première chaîne française réunit

3 millions d’abonnés et la chaîne officielle de la ligue 1 en compte 220 000) a fait

de la mise en avant de contenu tiers son fond de commerce. Il rassemble des

vidéos mises en ligne par des anonymes sur la plateforme et crée un format où il

commente ces extraits vidéos. La propriété intellectuelle du format lui appartient

et c’est lui qui récolte les fruits de ce choix et de sa mise en valeur. A noter que le

modèle de Ray William Johnson fonctionne tant que les créateurs des vidéos

originales ne réclament pas leur droit sur le contenu, et grâce à une utilisation

extensive de la notion de fair use dont on reparlera plus loin.

Autre exemple : Vsauce. Vsauce est aujourd’hui une chaîne de vulgarisation

scientifique. Le présentateur Michael Stevens, écrit, tourne et post produit lui-

même toutes ses vidéos répondant à autant de questions étonnantes que « que

100 Steven Rosenbaum – YouTube reveals a curated future – 2012 http://www.forbes.com/sites/stevenrosenbaum/2012/10/10/youtube-reveals-a-curated-future-2/ 101 voir annexe 2 : entretien avec Timothy Shey.

Page 46: Charles Biberson  - thèse professionnelle - curation et création de valeur - novembre 2013

46

se passerait il si tout le monde sautait en même temps ?102». Vsauce culmine à

plus de 5 millions d’abonnés.

Stevens a construit son audience en insérant des commentaires face camera

entre deux captures d’écrans de jeux vidéos provenant de vidéos YouTube

appartenant à d’autres utilisateurs. Il a bien construit son audience sur la curation.

Désormais, il produit son contenu, en utilisant des sources variées mais dans un

format original avec un véritable script. On peut parler de création originale.

Michael Stevens, en plus des revenus qu’il tire de YouTube, est aujourd’hui une

véritable personnalité médiatique et intervient au TED.

YouTube a donné naissance à un véritable écosystème. Dans l’environnement de

la plateforme, se sont crées des entreprises : les multichannel networks (MCN).

Ces agrégateurs rassemblent des chaînes YouTube sous leur ombrelle et

proposent des services de vente d’espace, de développement d’audience, de

collaborations entre leurs affiliés en échange d’une part du revenu publicitaire.

Cette agrégation leur permet de disposer d’un nombre important de programmes.

Sur YouTube, le business model de certains MCNs pourrait s’apparenter à de la

programmation, que l’on peut assimiler à de la curation sous licence. La sélection

opérée fait glisser une part de la valeur depuis le créateur vers le curateur.

On le voit donc, à la fois pour l’information et l’Entertainment, la curation est

d’abord un moyen de créer une audience. Elle a permis à la chaîne MTV de

devenir le mastodonte qu’elle est aujourd’hui. En ligne, Buzzfeed, le Huffington

Post et les créateurs YouTube ont utilisé la sélection de contenus comme une

première étape vers des ambitions créatrices. L’audience générée par la curation,

modèle économique moins exigeant, permet de créer du revenu ou de la visibilité

et de se lancer dans la création, certes plus couteûse mais beaucoup plus

rémunératrice.

102 http://www.youtube.com/watch?v=jHbyQ_AQP8c

Page 47: Charles Biberson  - thèse professionnelle - curation et création de valeur - novembre 2013

47

D. Les marques Dans le bruit ambiant, être visible est également un enjeu pour les marques. Il est

primordial d’assurer une présence sur le web, et d’y attirer l’attention des

internautes qui sont également des consommateurs. Les marques ont bien

compris le défi: laquelle peut aujourd’hui avouer ne pas avoir de site web ?

Mais la présence sur Internet va au delà du simple site marchand ou

promotionnel.

Il faut revenir ici sur la notion de brand content. On peut se baser sur la définition

de Nicolas Bordas, Vice-Président de TBWA\Europe : « Le brand content est

l’ensemble des contenus et produits diffusés par une marque au nom de l’idée qui

l’anime »103. L’idée ne date pas de l’ère digitale et on peut voir le guide Michelin

(crée en 1900) comme la première expression du brand content. Il s’agit pour la

marque d’être présente et de proposer un contenu qui soit plus large que sa

simple offre commerciale. Jouant sur le terrain du marketing et de la

communication la marque offre (de façon gratuite sur le web) des contenus à une

audience. Il s’agit pour elle d’être associée à un message, à une idée, et plus

largement à des valeurs.

L’enjeu n’est pas de vendre un produit ou un service mais d’occuper l’espace

médiatique en étant présent lorsque le consommateur-internaute recherche des

contenus sur une thématique donnée.

Un des exemples les plus pertinents est la marque RedBull. La boisson

énergisante s’est depuis longtemps positionnée sur le créneau des sports

extrêmes, grâce à une multitude de site et à une chaîne YouTube (3 millions

d’abonnés). Le contenu proposé est si bon que RedBull peut même se permettre

de le vendre (en DVD ou de façon dématérialisée sur Itunes).104

103 Nicolas Bordas – Et si on demystifiait triplement le brand content - 2011 http://www.nicolasbordas.fr/archives_posts/et-si-on-demystifiait-triplement-le-brand-content 104Anonyme - Dossier special brand content - 2012 http://www.vanksen.fr/blog/dossier-special-brand-content-2/

Page 48: Charles Biberson  - thèse professionnelle - curation et création de valeur - novembre 2013

48

La marque est un réfèrent pour les adeptes de sports extrêmes et hormis

l’omniprésence de son logo, il n’est jamais question du produit sur ces différents

supports.

Une distinction existe entre branded content et brand content. Le brand content

consiste à créer du contenu de toute pièce ; on l’oppose au branded content où la

marque se rapprocherait de contenus existants. On voit bien que le premier

soulève des enjeux de ressources et de temps (il faut créer ou soutenir la

production) alors que le second est facilement associable à de l’opportunisme,

toujours dommageable pour la marque et son message.

Dans sa quête de visibilité, la marque utilise également les relations presse. Elle

délivre de l’information aux journalistes, pour renforcer sa présence médiatique et

son rayonnement : travailler sa notoriété, valoriser son image, accroitre le trafic

sur les sites et les points de vente ou gérer une crise.

La curation pour les marques émerge sur le web. Si cette pratique nouvelle se

confirme, au même titre que pour les relations presses, la marque devra intégrer

la relation curateur à son mix de communication. Elle devra s’assurer de toucher

ces prescripteurs d’informations, et que son message soit relayé par les

défricheurs, dont la réputation crédibilise l’émetteur initial (au même titre que les

journalistes).

Il n’est pas ici question pour la marque de faire de la curation elle même mais

d’être prise en compte comme un fournisseur crédible de contenu par les

curateurs

a. La marque curatrice

Mais la marque peut aussi franchir le pas et décider de devenir elle même un

curateur sur un sujet donné.

On peut souligner à nouveau que la curation, par opposition à la création de

contenu, est un outil de communication beaucoup plus accessible. Créer du

Page 49: Charles Biberson  - thèse professionnelle - curation et création de valeur - novembre 2013

49

contenu demande du temps et des ressources dédiées. Une fois l’offre de

brand content lancée, il faut pouvoir la nourrir et la mettre à jour. En particulier

sur le web où la visibilité passe par l’actualisation et où rester statique condamne

à la disparition.

La curation (au delà de la simple sélection, mais associée à l’éditorialisation et la

mise en scène de l’information) demande moins de temps que la création et il est

donc plus facile de proposer du contenu régulièrement.

De plus, pour bénéficier du Web comme média social, il est toujours valorisant

pour une marque de proposer des points de vue variés sur un sujet (dans une

certaine mesure). Donner de la place à des opinions diverses permet de

d’affranchir du « syndrome Monsato » où la marque apparait comme le grand

méchant loup.

Au même titre que pour les individus ou les entreprises journalistiques, l’enjeu de

la curation pour la marque est d’abord de capter l’attention d’un internaute

toujours plus difficile à fixer. Et dans un second temps de lui donner envie d’aller

plus loin dans sa relation avec l’émetteur.

La visibilité sur le long terme réclame de se positionner comme un émetteur de

contenus de qualité pour devenir une destination sur le web et un référent sur un

sujet. Mettre ce contenu à disposition d’une communauté attachée à la marque,

c’est éviter à tout prix la stratégie du no comment sur un sujet auquel on veut se

rattacher.

La marque se doit d’être visible comme un émetteur si son consommateur

recherche de l’information. Elle doit apparaitre comme une porte d’entrée légitime

vers les contenus relatifs à un sujet. « Dans une économie de l’attention, la

curation est une opportunité, un service clé pour générer de l’audience autour

d’une marque. Les marques ont un rôle à jouer en aidant les gens à trouver les

bonnes choses » (Steve Rubel -2009)105.

105 Steve Rubel - Brands Have a Role to Play …- 2009 http://adage.com/article/steve-rubel/digital-marketing-brands-digital-curators/140674/

Page 50: Charles Biberson  - thèse professionnelle - curation et création de valeur - novembre 2013

50

Patagonia et son site http://www.thecleanestline.com/ en sont un brillant exemple.

Le site se présente comme un blog et rassemble des contenus issus, en partie,

de sites tiers.

Il n’y est jamais question des produits ou de la marque en elle même mais des

valeurs auxquelles Patagonia souhaite être rattachée : grands espaces, voyage,

recyclage, et politique environnementale.

Le site mélange des posts repris de blogs externes ainsi que du contenu crée

spécialement. Il est facile de voir les économies générées.

Patagonia utilise la même technique sur sa page Facebook. La marque propose

ses propres contenus ainsi que des témoignages d’expériences de trekking ou

d’escalade. Le phénomène de communauté est encore plus prégnant sur

Facebook ou l’équipementier s’adresse d’emblée à un groupe qui a choisi de

recevoir les contenus issus d’une marque à laquelle il adhère.

Le site joue la carte du partage et tous les contenus sont (re) partageables sur les

réseaux sociaux, et les plateformes de curation, via l’intégration de boutons. On

retrouve le même cercle vertueux que sur Buzzfeed ou la communauté génère

puis ajoute de la valeur aux contenus. La marque propose un contenu dont l’acte

de partage sera gratifiant (valorisant) pour l’utilisateur dans la logique du je

partage donc je suis.

La curation est donc une option à prendre en compte par les marques qui se sont

lancées dans l’émission de messages non marchands sur le web. Non pas

comme remplacement de leur stratégie initiale, mais comme un volet

supplémentaire à leur offre en ligne (une part de voix en plus).

Il est donc important d’intégrer aux équipes de communication des curateurs qui

pourront suivre et rassembler les contenus sur laquelle la marque souhaite se

positionner.

b. Offrir du contenu aux curateurs

Page 51: Charles Biberson  - thèse professionnelle - curation et création de valeur - novembre 2013

51

L’autre volet de la curation pour la marque est d’offrir du contenu récupérable par

les nouveaux influenceurs que sont les curateurs.

On l’a vu précédemment, Buzzfeed offre aux utilisateurs de repartager son

contenu. Il s’agit bien d’une stratégie du site, qui est aussi une marque, pour

étendre son impact en jouant le jeu de la curation.

Les marques à vocation Business to Consumers (B2C) et plus particulièrement

dans le domaine des biens de grande consommation sont concernées d’une

manière différente. Il s’agit d’offrir la possibilité au le curateur de récolter l’image

du produit proposé par la marque pour le mettre en avant sur une plateforme de

curation.

Le présupposé est évidement d’avoir une offre en ligne. Le site web d’Ikea offre

cette possibilité. Tous les produits du géant suédois sont mis en avant avec le

bouton Pinterest associé. Le bouton donne la possibilité à un référent dans le

domaine des meubles, de l’ébénisterie, de la décoration…de récupérer le visuel

et de la partager sur sa page Pinterest. Page qu’il utilise pour construire sa

réputation et vanter son expertise.

Les marques doivent donc penser leur produit comme « disponible » pour le

curateur. Cette approche a à la fois des conséquences de mise en forme sur les

sites webs (proposer à l’utilisateur de vendanger telle ou telle photo de mon

contenu) mais également sur l’ensemble du processus de dialogue avec le

consommateur. La chaîne de magasin Nordstrom (habillement en Amérique du

Nord) présente ainsi certains de ses produits en magasin, accompagnés de la

mention « top pinned item » (voir figure). La marque fait de même sur son site.

Les consommateurs sont motivés par le fait qu’un produit soit épinglé par

d’autres.

Page 52: Charles Biberson  - thèse professionnelle - curation et création de valeur - novembre 2013

52

Pinterest : « top pinned items » dans les magasins Nordstrom

(source Huffington Post- 2013)

http://www.huffingtonpost.com/2013/06/27/nordstrom-pinterest_n_3510584.html

La présence sur les plateformes de curation augmente l’engagement des

utilisateurs. Rendre disponible à la curation un visuel produit représente un

investissement nul pour la marque et permet, par la duplication, de récupérer de

la présence en ligne, en évitant la publicité classique qui peut être inefficace sur

les réseaux sociaux, en plus d’être un poste de dépense.

La présence sur les plateformes augmente également le trafic puisque toutes les

images sont liées à leur source originale. Dans le cas de Pinterest, le site est

responsable de 25 % du trafic en ligne pour les sites de certaines marques.

Page 53: Charles Biberson  - thèse professionnelle - curation et création de valeur - novembre 2013

53

c. Le cas Pinterest

Pinterest est une plateforme de curation dédiée aux contenus photos et vidéos.

Elle a été créée en 2010 aux Etats Unis. Son nom est un mot valise, formé à

partir des mots anglais pin et interest (épingler et intérêt). Elle est aujourd’hui la

plus en vue des plateformes de curation pour les marques (d’où sa très haute

valorisation mentionnée plus haut).

Elle permet à l’utilisateur de créer des planches (boards en anglais) sur un sujet

de prédilection donné. Les planches sont en fait des compilations de visuels

rassemblés par le « pinner » sur une thématique. Pinterest est un outil social et

propose de suivre une planche de photos et d’être tenu informé de sa mise à jour,

de « repiner » (réutiliser) une image sur son propre board, ou de liker un pin.

Comme mentionné précédemment, de nombreux sites proposent un bouton pour

rendre disponible sur Pinterest les contenus qu’ils proposent.

Les utilisateurs affluent en masse vers Pinterest depuis sa création, pour épingler

des objets qu’ils veulent acheter mais également pour expérimenter une

navigation visuelle sur le Web. On peut rapprocher cette navigation du principe de

la découverte.

Le site a été le plus rapide de l’histoire du Web à atteindre 10 millions de visiteurs

(en dix mois). Il est passé de 46 millions d’utilisateurs enregistrés fin 2012 a plus

de 70 millions en juillet 2013. Pinterest est un véritable réseau : plus de 80% du

contenu sur le site est du “repin” depuis les boards d’autres utilisateurs et 70% du

contenu est généré par les utilisateurs. Mais il est un réseau affranchi du social,

les utilisateurs se liant entre eux par des connections d’intérêts.

Et le site crée de la valeur. Les marques reçoivent du trafic sur leurs sites et dans

leurs boutiques via Pinterest, Les business qui autorisent les utilisateurs à

épingler des objets depuis leurs sites constatent une hausse du trafic.

Pinterest se lance dans les « promoted pins » d’ici la fin de l’année 2013 : il sera

désormais possible pour les marques de payer pour voir leurs objets mis en avant

sur une recherche thématique donnée.

Page 54: Charles Biberson  - thèse professionnelle - curation et création de valeur - novembre 2013

54

On voit bien l’utilité de l’outil pour les marques. La recommandation Pinterest est

vue par les utilisateurs comme étant crédible. 21% des membres de Pinterest ont

acheté un produit présenté sur le site par d'autres utilisateurs ou par les marques

elles-mêmes.106

Les pages des marques ne sont pas qu’une compilation de recommandation

commerciale. L.L.Bean, une des marques les plus suivies, propose, en plus de

visuels de ses produits, des illustrations du lifestyle qu’elle souhaite communiquer

à ses clients. Et les sources utilisées par la marque sur cette page sont en partie

du « user generated content », certaines photos venant du profil Facebook

d’utilisateurs anonymes.

Pour les marques aussi, Pinterest est donc un outil double. Il permet d’être

récupéré par les curateurs en rendant ses contenus disponibles et compilables

par des utilisateurs dont la recommandation a de la valeur auprès d’une

communauté de followers. Et il offre également de faire de la curation de contenu,

permettant à la marque de se construire une identité, une réputation visuelle sur

son sujet de prédilection.

Le premier volet de l’offre est un outil de développement du « earned media ».

La curation est donc encore une fois un complément. Elle n’a pas vocation à

exister seule, indépendamment des leviers existants de marketing et de

communication. Mais elle permet à la marque d’occuper l’espace, de se poser en

référent pour une communauté sur un sujet donné. De plus les outils de curation

comme Pinterest sont des moyens de construction d’une image, d’un message

visuel, appréhendable rapidement (« picorable ») et qui supporte les valeurs de la

marque dans l’esprit du consommateur.

106 Benoit Raphaël – 21 % des utilisateurs de Pinterest… - 2012 http://benoitraphael.com/2012/03/29/21-des-utilisateurs-de-pinterest-ont-achete-un-produit-quils-ont-vu-sur-le-site/

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55

III. La curation et le droit On peut rappeler, en 2012, le cas qui a opposé Google et son agrégateur

d’informations Google Actualités à la presse française. L’agrégateur de contenus

rassemble et propose des liens vers les sites d’informations. Les organes français

ont reproché au géant américain de capter la valeur sans offrir de rémunération

en contrepartie. Google de son côté a argué que le référencement orientait les

internautes vers les sites d’actualités.

La querelle, assimilable à une différence de point de vue sur la valeur de la

curation, s’est soldée par la création d’un fonds pour la presse, financé par

Google à hauteur de 60 millions d’Euros.

A. les lois favorables à la curation En France, les curateurs peuvent s’appuyer sur une exception au droit d’auteur, le

droit de courte citation, tel que défini par le code de la propriété intellectuelle:

« lorsque une œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire […], sous réserve

que soient indiqués clairement le nom de l’auteur et la source, les courtes

citations, justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique

ou d’information de l’œuvre à laquelle elles sont incorporées »107.

Le droit laisse donc une marge de manœuvre pour les curateurs dans la mesure

ou l’acte de curation est défini par une contextualisation des contenus que l’on

peut assimiler à un caractère critique ou d’information.

Aux USA, le fair use (usage équitable) permet la réutilisation de contenus d’une

manière encore plus large que dans le droit français. Il repose sur les principes

suivants108 :

• L’objectif et le caractère de l’utilisation en prenant en compte notamment

l’aspect commercial de l’exploitation ou son aspect non commercial et

pédagogique.

• La nature de l’œuvre protégée.

107 (art. L-122-5 CPI) 108 Source : http://www.copyright.gov/fls/fl102.html

Page 56: Charles Biberson  - thèse professionnelle - curation et création de valeur - novembre 2013

56

• La quantité et le caractère important ou non de l’extrait utilisé par rapport à

l’œuvre dans son intégralité.

• L’effet de l’utilisation sur le marché potentiel de l’œuvre ou sur sa valeur.

C’est le quatrième point qui est le plus intéressant : dans quelle mesure la reprise

du contenu est elle génératrice de valeur pour le créateur original ?

Les plateformes américaines s’abritent également derrière le DMCA (Digital

Millenium Digital Act) de 1998109, limitant la responsabilité des hébergeurs. Le

texte offre un safe harbor (sphère de sécurité) aux hébergeurs, dont la

responsabilité n’est engagée que s’ils ne retirent pas des contenus illégaux qui

leurs sont signalés par une demande de retrait.

Selon Guillaume Decugis, depuis la création de Scoop.it, le site (qui fonctionne

sous le régime du droit américain) n’a eu à gérer « qu’une quarantaine de take

down, à comparer à 50 millions de contenus publiés110 ».

La présence des boutons de partage sur les sites originellement détenteurs de

contenus est également une opportunité pour les curateurs. Equiper une

publication d’un bouton facilitant la diffusion est assimilable à une autorisation.

Selon Murielle Cahen, avocate, « Lorsqu’un média en ligne intègre à son site un

bouton de partage, non seulement il consent à la diffusion de l’article mais en plus

il l’encourage ».111

La curation est une pratique émergente et le droit ne fait pour l’instant

qu’appliquer des règles définies dans le cadre d’autres usages.

Mais malgré ces règles favorables, et applicables au principe de curation, il existe

tout de même des litiges. Buzzfeed a du se plier d’une part à une demande de

retrait et d’autre part au dédommagement d’utilisateurs réclamant les droits sur

des photos intégrées à des listicles sponsorisés.112

109 Source : http://www.copyright.gov/legislation/hr2281.pdf 110 voir annexe 3 – entretien avec Guillaume Decugis Murielle Cahen – Droits d’auteur et partage 111 http://www.murielle-cahen.com/publications/auteur.asp 112 DL Cade – Buzzfeed and Samsung in hot water…- 2013 http://petapixel.com/2013/01/12/buzzfeed-and-samsung-in-hot-water-for-using-photos-without-permission/

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57

Suite à une levée de boucliers de photographes américains Pinterest a, de son

côté, proposé un code nopin à intégrer aux sites hébergeant des images dont les

auteurs s’opposent à l’utilisation sur le plateforme de curation.113

Pinterest respecte le DMCA en intégrant à chaque image un bouton de

notification de copyright. Cependant, il semblerait que le site ne puisse pas se

baser sur le fair use, dans la mesure où il propose de republier des reproductions

intégrale des images originales (le critère reposant sur la proportion de l’extrait

utilisé par rapport à l’œuvre originale jouant en défaveur de Pinterest).

On peut supposer deux choses. D’une part, une majeure partie des utilisateurs

générant (et donc possédant) du contenu repris sur les plateformes de curation

n’est peut être pas consciente des notions de droit d’auteur. D’autre part, ces

mêmes utilisateurs perçoivent la reprise de leurs contenus comme une

gratification, une preuve de leur existence en ligne (sous réserve que le contenu

ne soit pas incorporé à des supports publicitaires).

B. Des best practices définies par les curateurs

On n’est jamais aussi bien servi que par soi même. Les curateurs tentent eux

mêmes de définir des règles, des best practices pour encadrer cette nouvelle

discipline. Maria Popova (curateur primes inter pares) est à l’origine d’un code du

curateur114, en mars 2012. Il repose sur la formalisation par des signes de la

mention de la source de la part des curateurs. Popova propose deux variantes.

La première est le “via” qui indique une découverte directe, une republication

sans ajout significatif ou modification. C’est la citation directe ou la republication

d’une image. L’auteur propose d’utiliser le signe « ᔥ » pour signaler formellement

l’agrégation telle que définie par Bhargava.

La seconde est le hat trick (coup du chapeau) qui indique un lien indirect, ou le

curateur utilise un contenu existant comme point de départ à la création d’un

nouveau contenu. Assimilable au mash up, il est représenté par le signe « ↬ ».

113 Lionel Maurel – Pinterest épinglé par le droit d’auteur - 2012 http://owni.fr/2012/02/28/pinterest-epingle-par-le-droit-dauteur/ 114 http://curatorscode.org/

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58

La démarche de Popova repose sur une interprétation assez optimiste des

pratiques de curation. Elle souligne l’importance du respect et de la courtoisie, et

l’idée que les idées génèrent elle mêmes des idées. Tracer l’origine d’un contenu

aiderait à déterminer un génome de l’information qui sur le long terme aiderait à

comprendre et améliorer l’écosystème de création de l’information.

Pawan Deshpande, fondateur de la plateforme Curata.net, a lui aussi publié une

liste de best practices115. Pinterest met en avant, de façon un peu candide, une

« pin étiquette » sur son site web.

Le point de vue des curateurs est que la curation n’est pas une pratique

parasitaire, mais qu’elle génère du trafic et de la valeur pour les sites hébergeurs.

Les créateurs des contenus originaux seraient récompensés par la présence de

leurs contenus sur les sites de curation. Guillaume Decugis est de cet avis

dénonce une vision étriquée de la pratique : « Le fait de dire : parce que mon

contenu est utilisé par quelqu’un d’autre, je vais faire moins de revenus, je vais

perdre quelque chose au niveau de la valeur, c’est une approche très

malthusienne des choses. Cette objection n’existe qu’en France. Et jamais de

façon très forte. »116

Rendre le contenu disponible sur des sites tiers est au cœur des politiques

d’embed, mis en place par des acteurs comme YouTube ou SlideShare. Les sites

hébergeurs proposent les lignes de codes permettant d’intégrer les vidéos ou les

présentations ailleurs que sur les sites originaux (voir figure).

115 Pawan Deshpande - Content Curation: Copyright, Ethics & Fair Use -2013 http://www.contentcurationmarketing.com/content-curation-copyright-ethics-fair-use/ 116 voir annexe 3 : entretien avec Guillaume Decugis

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59

Embed sur les sites de SlideShare et YouTube (screenshots)

La valeur n’est pas tronquée de la part qui serait captée par le curateur mais

augmentée par la reproduction du contenu. Il y a certes un acteur supplémentaire

(le curateur) mais l’ensemble des acteurs se partage donc une valeur plus

grande. C’est la force du lien sur le Web, telle que formulée par le juriste Didier

Frochot : « c’est le lien qui fait toute la différence, dans la mesure où on ne fait

pas que citer un titre, on renvoie les lecteurs à la page originale, et donc on

amène du trafic sur le site source. Ca n’a rien à voir avec une revue de presse

classique qui ne fait que citer l’article d’un autre journal : le lecteur n’a pas un

accès immédiat au journal cité. Et celui-ci n’y gagne pas grand-chose. Avec le lien

hypertexte, l’article cité gagne immédiatement un lecteur. Ce n’est quand même

pas rien 117».

117 Lionel Maurel – Vous reprendrez bien un peu de curation à la sauce juridique -2013 http://owni.fr/2011/04/13/vous-reprendrez-bien-un-peu-de-curation-a-la-sauce-juridique/

Page 60: Charles Biberson  - thèse professionnelle - curation et création de valeur - novembre 2013

60

CONCLUSION La curation de contenu est donc une pratique polymorphe. Elle existe sous une

multitude de formes. De façon autonome, comme une activité à part entière,

soutenue par de nouveaux outils dédiés ; ou intégrée à des usages existants

grâce à des services en ligne plus anciens.

La curation n’est pas la solution unique à l’infobésité. Mais en utilisant un contenu

abondamment disponible, elle permet de dégager de la valeur, en organisant et

en mettant en avant une information pertinente.

Elle est une première étape vers la découverte : pour les individus, les medias

d’information et d’Entertainment, elle permet de devenir un émetteur visible sur le

Web. Cette visibilité peut ensuite être mise à profit pour construire une audience

et des revenus, permettant au curateur de franchir le pas et de basculer vers la

création.

Mais sans être une fin en soi, elle doit pouvoir cohabiter avec la création, et

devenir un volet d’une offre plus large.

Pour les marques, elle est une pratique supplémentaire à intégrer à la stratégie

de contenus en ligne, où l’enjeu est également de rester à la fois visible et

crédible.

Pour tous, il faut envisager la curation sous ses deux angles : produire du

contenu de qualité qui sera sélectionné par les curateurs. Et s’adonner à la

curation pour offrir tri et contextualisation à une audience. « Curate or be

curated », comme le dit Steven Rosenbaum.

Le web va continuer sa croissance effrénée, offrant plus de contenus, pour

toujours plus de défricheurs. A quand la méta-curation, où la curation

s’appliquera également aux trop nombreux curateurs ?

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http://www.techcrunch.com http://www.wired.com Vidéos Froissard Frédéric (sujet propose par) - La curation : tentative de definition – Mars 2011 http://techtoc.tv/event/1105/social-media--web-2.0/culture-et-internet/la-curation--tentative-de-definition Vie Marie-Laure (sujet propose par) - La curation : quelle opportunité pour les médias – Janvier 2011 http://techtoc.tv/event/1043/social-media--web-2.0/consommations-de-contenus-web--la-nouvelle-donne/curation-quelle-opportunite-pour-les-medias Vaynerchuk Gary - Every Single One of You is a Media Company – Octobre 2013 http://www.youtube.com/watch?v=rx8m-nYRaGk - t=0

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ANNEXES

ANNEXE N°1

ENTRETIEN AVEC ERIC SCHERER – DIRECTEUR DE LA PROSPECTIVE DE FRANCE TELEVISION – PARIS

Quelle est votre définition de la curation ? C’est le tri sélectif. Et par opposition à la veille ? C’est un outil de veille la curation, ca ne s’oppose pas du tout à la veille. Est ce que l’enrichissement du contenu, propre à la curation en fait quelque chose de différent de la veille ? Non je ne pense pas. L’enrichissement c’est du packaging, c’est du re packaging, du remixage éventuellement. Ca peut faire parti du travail de la veille. Il n y a pas d’opposition pour moi. Est ce que la curation est autre chose que du vol du contenu ? C’est pas du tout du vol de contenu. Un DJ, ce n’est pas du vol de contenu, C’est la mise en valeur par un choix personnel de contenus différents. L’agrégation n’est pas du vol de contenu. On est aujourd’hui dans une culture de remix et de partage. Internet, c’est d’abord une plateforme de partage, horizontale, alors qu’avant on était dans une culture verticale. Ca change beaucoup de choses. Un DJ est rémunéré pour jouer une musique qui plaira à une cible donnée. Comment transpose-t-on la rémunération du DJ à la rémunération du curateur ? Un conservateur de musée est rémunéré. Un conservateur de musée (un curator en anglais) est celui qui choisit, qui fait un tri, qui met en valeur, qui expose. Et c’est quelqu’un qui est payé. YouTube c’est de la curation de contenus et le modèle gagne de l’argent. On peut aussi y voir un trop pleins de contenus vidéos. A partir de quand y a t il valeur ajoutée dans le processus de curation ? A partir du moment où il y a tri et sélection. A partir du moment où vous réduisez le bruit d’Internet, vous apportez de la valeur ajoutée. Et ensuite, il y a la mise en valeur, quelle type de packaging, de break technologique vous faites pour mettre à disposition cette curation pour les tiers, soit gratuitement, soit en mode payant (comme il y a des musées gratuits et des musées payants). Quelle est la valeur que s’approprient les curateurs ? Pour l’instant, il n’y a pas de vrai business model, mais à partir du moment où vous réduisez le bruit, vous allez faire gagner du temps au gens, les gens vont vous payer pour ça. Faire gagner du temps au gens, ca devrait pouvoir marcher

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Est ce que le curateur doit pouvoir réclamer une part de la valeur grâce à la visibilité qu’il offre ? Ca dépend de son audience. C’est un travail d’éditeur de livre, d’une maison de disques. On fait un choix, on met en valeur et on se fait payer par l’audience. Ou on réclame un partage de revenus. Sur les liens entre journalisme et curation : est ce que les journalistes ont toujours été des curateurs ? Oui, à partir du moment où ils choisissent un fait par rapport à un autre. Quand quelqu’un met une info en une d’un journal, il a déjà fait un choix, un tri. Et il a hiérarchisé. Le boulot du journaliste, c’est de hiérarchiser, de donner du sens à l’info. La dernière valeur ajoutée du journaliste, c’est cette fonction de tri, de hiérarchisation et de vérification de l’information. Les autres missions sont assez facilement copiable par d’autres. Celle là non, moins facilement. Si demain, des gens qui ne sont pas des journalistes produisent de la valeur ajoutée sur leur sujet de prédilection, quel devient le rôle du journaliste ? Si il y a des gens qui ont du talent pour produire de la curation sur leur sujet et qui ont le temps de le faire, là, il est très réduit. Le journaliste a le temps de le faire car il est payé pour ça. Les autres n’ont pas forcement le temps de faire ça, car ils sont payés à faire autre chose. Si il y a des gens qui, en plus de faire des contenus, se mettent à agréger des contenus tiers et savent mettre en valeur, hiérarchiser, donner du sens rapidement à des choses, oui le journaliste sera mis en difficulté sur l’une de ses missions essentielles. Est ce que vous croyez à l’émergence du web sémantique qui ferait que la curation n’aurait plus lieu d’être ? C’est possible… c’est tout le combat, toute la lutte que l’on a devant nous entre les éditeurs et les algorithmes. Entre l’éditeur, le rédacteur en chef, le programmateur de chaines et les algorithmes : le web sémantique, les algorithmes basés sur les historiques, les recommandations, la géolocalisation, l’heure de la journée, qui vont amener des contenus pertinents à l’heure qu’il faut. C’est le débat qui est devant nous. Le web sémantique est basé sur le fait que les créateurs de contenus ait la possibilité d’ajouter des métadonnées à leur contenus : est ce à la portée de tout le monde ? C’est à la portée de tout le monde : Il faut ajouter la bonne étiquette à un contenu, prendre le temps de le faire, que ce soit obligatoire. Mais pour l’instant, il y a peu de gens qui le font. Aujourd’hui, dans la télévision, dans le cinéma, il y a très peu de métadonnées et on ne sait pas très bien les utiliser.

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ANNEXE N°2

ENTRETIEN AVEC TIMOTHY SHEY – HEAD OF YOUTUBE NEXTLAB CHEZ GOOGLE – NEW YORK

What is your definition of curation ? Curation is a broad set of activities, some of it is for commercial reasons, and some of is for non-commercial reasons. When you look at curation it really encompasses anything, which is the act of trying to collect and organize things and then add some sort of value to it. If you are not trying to add value by curating then you just hoarding. The difference between hoarding and curation is that curation tries to put some value on it. I have talked about a few levels of curation, like a value pyramid. There are different levels of curation activity that you can do. And each one of them adds a different kind of value. There is collection and organization. That is the most basic form of curation. Let’s say this is your record collection. You are taking a subset of all the records in the world and you are collecting a bunch of them. That is creating a subset of something: a subset of your favorite videos, or your favorite tweets. You tend to do that kind of curation for some sort of value: put things where you can find them. The next level of curation is usually to add one or two things. People tend to add experience. Taking the songs that you like and put them in a certain order. I want thing to be listened to in this way. Like a mix tape, you add an experience to it by determining the order it should be listened. This is the DJ comparison The other thing you can add at this level is some basic commentary. You can make lines and notes on your mix tape that say why you like those songs. Or if you are deejaying you can add a little intro to each song and say why you are playing that song. It is adding some context and order, they are the next level in curation. After that, you can try to create a brand experience with your curation. The Huffington Post, when they started, they did not have a lot of original content, but they collected together a sort of subset of liberal news around the world, curating it on their home front page, putting a Huffington Post banner across it. They were creating a brand experience even if that was really a curation exercise. MTV is another really good example. Originally it is just some music videos played in a certain order but because they put those MTV brandings interstitials between them and occasionally have a VJ popping up that had a very specific look and feel, they created an MTV brand experience even though most of MTV was curation. They were not doing any original programming for the first ten years. And then the highest level of curation for me is when you start to get in journalism and news gathering. A lot of journalism and news gathering or story telling is

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about curating a lot of information into one place but doing some much writing, transformation and editing on top of that. Making a documentary is often an act of curation. If you think at this as a curation pyramid, from the lowest part of pyramid, which is collection to the highest part of pyramid, which is storytelling, the higher you go up this pyramid, the higher transformation value you add to what you are curating. The more transformative it is, the more expensive it is and the more hard labor it is. And the more value you are creating and the more effort it takes as an organization. If you look at the arch of media companies, there is a really interesting thing, which is that what media companies are doing is being completely inverted on YouTube. Most big media brands starts as curation brands and they turn to creation brand over time. The reason for that is that it is cheaper to curate than it is to create. You can create a curation brand with less effort and less employees than a creation brand. MTV the first ten years did not own any of their content, they just curated content from the record labels and then added their own. Huffington Post for several years did not do any original journalism, they curated a series of bloggers, and let them blog on their site, and curated news from around the web. And when it became big enough they started investing in original Journalism. Same thing with Buzzfeed, they were originally curation and now are investing in long form journalism and hiring hundreds of journalists. ESPN curated sport news, then moved to original journalism. What most cable channel do in the US ? When they launch they do not have original programming, they just do syndicating, re-runs and syndicating content from other places. They always choose licensing which is a form of paid curation. That is how they start. And when they get big enough, they start investing, usually to loss. Netflix, same story, has built this massive following on curating, the best television movie content they can afford. And now they are becoming creative, they are at the point where they need to invest in original programming. And is it different on YouTube ? On YouTube channels, curation is part of the strategy. But we have never seen a billion dollar business built just on curation. You use curation to build an audience, to build a brand. And at a certain point you move into the higher profit margin: the act of creation. Because there is so much money to be made in Intellectual property and owning your content. I think any business model that is curation based is always going to have that limitation. Twitter is an amazing curation platform and curation can really build an audience. If I post a link on twitter and my friend retweets me, all these people see that I was the one that posted it and they’ll all follow me. Curators get credit on Twitter and get followed by more and more people.

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But beyond being followed by more and more people, what is the value ? Look at someone like Maria Popova. She built a pretty big following on Twitter just by being a great curator of content. Popova and others have curated content for their audiences in a great way and they have become powerful media brands and that leads to other opportunities. They get offered speaking gigs, they get offered consulting gigs; they can publish their own original content. Youtube is really interesting. YouTube is optimized for content creators, it is the only social platform that pays a revenue share to the creator on the platform. The platform was not built for curation. One of the biggest brands built on YouTube on the past 3 years is called Vsauce. It was built originally as a curation channel. They started in making playlists and posting them on the channel, finding the stuff they liked on YouTube and telling people about it. By them organizing that content, adding their own commentary, can they add enough value that people want to subscribe to Vsauce, the curator, as well as watch the original content ? They found out that curation works best on YouTube when you edit everything in one video, using fair use or collaborating with the people whose original content belongs to. Is curation just a first step ? I think it is more a first leg. Companies continue to employ curation as part of their strategy, because it is a great way to keep your audience happy, and to build content. HBO is moving to original content, but they’ll never stop curating movies. Same thing with Netflix and Buzzfeed. Curation is still the majority of their business but then the profits behind their business ends up being the property creation.

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ANNEXE N°3

ENTRETIEN AVEC GUILLAUME DECUGIS – FONDATEUR ET CEO DE SCOOP.IT – SAN FRANCISCO

Quelle est votre définition de la curation, face à la veille ou l’agrégation ? La curation, ce n’est pas seulement filtrer ou sélectionner des contenus, c’est aussi leur apporter un contexte, et partager. La veille est quelque chose que l’on fait à titre personnel. Quand il n’y a pas de dimension de partage, ce n’est pas de la curation. Un curateur dans un musée, un conservateur fait une exposition pour les autres. Il y a aussi la dimension de donner du contexte. Ce contexte peut être donné de façon très simple, un peu comme un DJ avec de la musique. Il enchaine les chansons dans un contexte particulier et donc leur donne un sens. On a tous eu l’expérience d’un bon et d’un mauvais DJ : ce ne sont pas les chansons qui font la différence mais la façon dont il va les amener, les enchainer. Mais ca peut être plus élaboré, comme faire un commentaire. Ou quelque chose de beaucoup plus riche, en connectant les contenus les uns avec les autres. Par rapport à la veille ou à l’agrégation, ce qu’il y a en plus, c’est une notion d’expression, et de partage avec un contexte. Est ce que la curation recouvre des pratiques qui existaient sur le web avant qu’on ne leur ai donné un nom ? Le mot n’est pas récent. Ce qui est récent c’est le fait que ça se systématise et qu’un besoin se fasse de plus en plus sentir sur le web. Mais la curation de contenu existe depuis longtemps, c’est le métier que font les éditeurs de journaux, les conservateurs de musée, les éditeurs de collection littéraire. Ce qui est nouveau, c’est la situation d’information overload où tout le monde peut créer des contenus. Il y a un glissement de la valeur qui avant été récupérée par les éditeurs de contenus, qui reste aujourd’hui quelque chose qui a beaucoup de valeur, mais il y a beaucoup plus de valeur dans la curation. Le monde produit en une journée sur le web autant de contenu (via des plateformes qui permettent de créer facilement du contenu) que dans les millénaires qui ont précédé l’invention d’Internet. Il y a rééquilibrage de la valeur vers ceux qui permettent du sens à l’avalanche de contenu , parce qu’ils ont sélectionné et donné du contexte.

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Est ce que Twitter peut être vu comme un outil de proto-curation ? Pas du tout, au contraire, c’est un outil de communication massive. Twitter c’est un canal de communication très ouvert, sur lequel les curateurs peuvent s’exprimer, l’utiliser pour construire une audience, mais qui n’a pas du tout de notion de filtrage. Twitter a un problème pour les gens qui commencent à suivre beaucoup de gens : ce n’est pas scalable. Quand on suit 10 personnes sur Twitter, on a une expérience particulière. A partir de 500, ce n’est plus tellement scalable. On n’arrive plus à tout lire, à tout écouter. C’est très dur d’avoir la même expérience. On va piocher au hasard, et justement ce ne sont pas des flux filtrés. Et en 140 caractères on ne peut pas amener beaucoup de contexte. Twitter est un service fantastique, mais pour moi, ce n’est pas de la curation. Si sur un sujet donné, au lieu de faire de la recherché et d’être noyé dans des millions de contenus, je peux choisir de m’abonner à un référent sur Twitter et il y aura un facteur de tri dans le fait de n’écouter que la parole de ce référent. Twitter permet de trouver des gens intéressants et de pouvoir les suivre. Mais le référent ne tweete pas que sur un sujet unique. Il n’ y a pas de filtre “signal to noise” permettant d’avoir le contenu que vous voulez. Si vous prenez les hashtags, ils sont très durs à suivre, car ils peuvent être bombardés ou au contraire déserts pendant pas mal de temps. Twitter est un canal de communication sur lesquels les contenus se diffusent très vite. Mais il y a une couche qui manque. C’est d’une part, la curation telle qu’on l’a décrit, filtrage et contexte, et d’autre part la notion de graph d’intérêt. Qui est une notion connexe à la curation mais qui n’est pas la même. On a eu un modèle d’organisation des contenus autour du search. Le search c’est « je connais la question, je veux la réponse ». Ca donne une réponse très pertinente, mais ca pose un problème : il faut que l’utilisateur connaisse la question. Ensuite, vient le social graph, FaceBook, Twitter, je peux suivre des gens. Et ca m’apporte de la découverte, des choses dont je ne sais pas que je ne les connais pas. « What I don’t know that I don’t know ». Donc ça permet de découvrir des contenus dont je ne connaissais pas l’existence et dont je ne savais pas qu’ils allaient être intéressants, et que je vais pouvoir consommer. Mais le problème du social graph c’est que ce n’est pas pertinent. On a des contenus qui viennent de pleins de gens. Pour des raisons de liens sociaux, et non pas pour des raisons de pertinence, avec peu de filtres. Et donc on se retrouve à mélanger des photos des enfants avec des contenus potentiellement intéressants. Nous ce que l’on pense c’est que la phase d’après, c’est le interest graph. On est passé du search basé sur les intérêts (pas sur la découverte), au social graph (la

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découverte mais sociale) et il faut désormais que l’on ait un schéma de découverte par intérêt. Et ça, ça manque sur le web. C’est une des raisons pour laquelle, sur Scoop.It, on est organisé par thématique, on suit des topics, on ne suit pas des gens. C’est une réponse à la limite des réseaux sociaux par rapport à la pratique de trouver des contenus intéressants. Quelle est la valeur pour les curateurs ? On est dans un monde où la valeur est dans la capacité à être découvert. Et tout le monde a besoin d’être découvert : découvert par ses clients quand on est une entreprise (une marque ou une entreprise BtoB). En tant qu’individu, on a besoin d’être découvert par ses futurs employeurs, ses futurs clients quand on est un travailleur indépendant. On a tous besoin d’être découvert, pour des raisons professionnelles donc, et pour des raisons humaines, car on a envie d’exister. Comment on peut être découvert ? Dans un monde qui se noie dans une avalanche de contenus, on a besoin de devenir un média. Si on ne devient pas un média, on ne sera pas découvert. Pour un individu, si on est juste un CV sur Linkedin ou Viadeo, on ne sera découvert que par des gens qui vous connaissent déjà, donc on limite les opportunités professionnelles. Aujourd’hui, quand je vois des gens postuler, ils ne montrent pas un CV, ils montrent qu’ils ont un blog qui marche bien, qu’ils ont des followers sur Twitter. Et de temps en temps, on voit aussi des gens qui montrent leur page Scoop.it qui leur sert à démontrer leur expertise sur un sujet donné. La vision c’est que tout le monde va avoir besoin de devenir un media, c’est la façon d’exister du web, qui est devenu, non pas une bibliothèque, mais un web très médiatique dans lequel les gens publient des contenus en permanence. Pour exister, il faut devenir un media. Mais devenir un media en créant du contenu, c’est très fastidieux, très peu de gens arrivent à maintenir un blog sur la durée et à développer une audience. Une des raisons pour lesquelles, on a crée Scoop.it c’est qu’on s’est rendu compte qu’il est beaucoup plus facile pour les gens de faire de la curation sur une expertise qu’ils avaient, une expertise professionnelle, un sujet qu’ils avaient déjà abordé. Ils peuvent facilement sélectionner et donner du contexte et faire un media intéressant à partir de ça. Donc les individus ont aussi ce besoin, pour montrer leur expertise, ce qui les aidera à être embauché, à trouver des contrats, des connexions intéressantes pour se développer.

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Y a t il dans le futur une opportunité pour une inversion de la valeur : est ce qu’un curateur avec une part de voix suffisamment forte serait en mesure de réclamer une part des revenus générés par les contenus qu’il aurait décidé de mettre en avant ? Ca existe déjà, ça s’appelle le Huffington Post. Et à une échelle plus large, sur Scoop.it ou YouTube par exemple ? Oui. A partir du moment où on crée un média, on développe une audience. Cette audience appartient beaucoup plus à l’éditeur qu’au créateur de contenu. Le pigiste gagne moins que l’éditeur dans un journal. Le Huffington Post est un exemple intéressant. C’est l’entreprise qui a crée le plus de valeur ces 10 dernières années dans l’univers des médias. Et ce n’est pas un modèle 100 % curation. C’est un modèle 20 % création de contenus, un réseau de collaborateurs et de la curation. Upworthy est un exemple intéressant, c’est un modèle 100 % curation (de vidéos) qui a dépassé les 20 millions de visiteurs uniques en quelques mois. Et ca existe sur Scoop.it, on a des utilisateurs qui mettent de la pub sur leur page Scoop.it et qui gagnent de l’argent. Comment gérer vous les problèmes de droit ? Nous suivons le Digital Millenium Copyright Act comme toutes les sociétés américaines. On s’oblige, à la première requête de quelqu’un qui a un copyright, à retirer le contenu, sans discuter, sans savoir qui a raison, qui a tort. On a eu, en 2 ans, une quarantaine de take down, à comparer à 50 millions de contenus publiés sur Scoop it. Le fait de dire : “parce que mon contenu est utilisé par quelqu’un d’autre, je vais faire moins de revenus, je vais perdre quelque chose au niveau de la valeur, c’est une approche très malthusienne des choses” Cette objection n’existe qu’en France. Et jamais de façon très forte. On aide à diffuser des contenus qui sont bons. Donc on est passé d’un modèle où 1000 personnes vont voir votre contenu parce que vous l’avez gardé chez vous dans votre petit ecosystème très fermé, à un modèle où, tout d’un coup, vous en avez beaucoup plus. C’est ce que YouTube ou SlideShare ont bien compris : en ayant des embeds qui soient diffusables partout, vous avez beaucoup plus de trafic, et ca amène aussi du trafic à la plateforme YouTube ou SlideShare. Ca diffuse beaucoup plus. Nous, nous ne faisons pas d’embed, on ne reproduit pas tout le contenu pour le mettre sur Scoop It. Mais quand on fait du partage sur Scoop it, on amène beaucoup de trafic au site d’origine. Donc de ce point de vue là, on a un impact très positif. On peut le démontrer quantitativement par rapport aux chiffres de trafic qu’on amène aux éditeurs de

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contenus, et ils le voient et ne s’en plaignent pas. La plupart des discussions qu’on a avec 99% des créateurs de contenus, c’est « comment je peux faire plus de trafic avec Scoop.it ». Est ce que la croissance des plateformes de curation est un synonyme d’échec du web sémantique ? Le web sémantique dans son intention n’est pas mort. Sa réalisation en revanche a du plomb dans l’aile. Le web sémantique n’a pas fait la preuve pour les éditeurs de sites de ce qu’il aurait pu leur rapporter s’ils avaient joué le jeu. Alors que tout ce qui est social, le partage de contenu, démarré par les réseaux sociaux et maintenant qui évolue vers les plateformes de curation, a un intérêt très clair pour les sites web, en amenant du trafic. Le vrai sujet, c’est de savoir s’il faut que ce soit des algorithmes qui organisent le web, ou des humains, ou un mélange des deux. Les humains, ca donne les réseaux sociaux et c’est une belle pagaille. Les algorithmes ont prouvé leur valeur sur la recherche, mais la recherche est limitée. L’initiative du web sémantique, de donner un sens au web, est réalisable en mélangeant des algorithmes et des humains. Utiliser les algorithmes pour aider les humains à faire un boulot de curation, donner du sens et du contenu, permettra de donner une réponse à l’intention du web sémantique. Sur Scoop.it, on met en œuvre le humanrithm, mélange d’algorithme et d’humain. On a un algorithme sémantique, qui crawle plus de 10 millions de pages web par jour et qui fait des recommandations aux utilisateurs pour qu’ils puissent faire de la curation plus facilement et plus rapidement. On automatise toute la veille et la recherche, mais ce sont les humains qui décident de publier et qui donnent du contexte.