CHAPITRE III METHODES D’ANALYSE

41
CHAPITRE III METHODES D’ANALYSE Figure 33 - dessin technique de pierre taillée [in Laming-Emperaire 1967].

Transcript of CHAPITRE III METHODES D’ANALYSE

Page 1: CHAPITRE III METHODES D’ANALYSE

CHAPITRE III

METHODES D’ANALYSE

Figure 33 - dessin technique de pierre taillée [in Laming-Emperaire 1967].

Page 2: CHAPITRE III METHODES D’ANALYSE

Chapitre III - Méthodes d'Analyse des industries lithiques

Toutes les collections du bassin du Peruaçu étudiées de facto, sont l'objet du même type de description et de classement, à savoir le classement morpho-technologique, en considérant bien sûr les différentes évolutions (dans le temps et dans l’espace) de chacune des industries (fig. 33). Pour les collections déjà analysées par d'autres chercheurs, et pour lesquelles nous n'avons pas eu accès aux pièces, nous avons dû nous contenter, en général, des informations publiées. Néanmoins, nous avons parfois été obligée de les adapter à notre méthode de classement. Dans ce cas, les données sont moins précises, comme par exemple, pour le niveau VIII de Boquete, dont la méthode de classement adoptée pour les éclats de débitage, de façonnage et de retouche, est différente de la nôtre. Nous avons donc, dans un premier temps, présenté de manière succincte le travail déjà réalisé, suivi de notre reclassement. Malgré les imprécisions, il nous a paru important d'intégrer ces données pour compléter les analyses des séries. En fait, les industries peuvent être présentées de différentes façons. Au Brésil, aujourd'hui, il n'y a pas d'accord sur un choix méthodologique pour analyser une collection. Celui-ci dépend des chercheurs et des régions, mais surtout de l'influence des "écoles". Notre classement est entièrement adapté de la méthodologie d'analyse technologique [Tixier 1978, 1982 ; Inizan et al. 1995 ; Pelegrin 1995b, 2005a, 2005b]. Pour organiser la collection, notre démarche tente de restituer les pièces dans leur place au sein d'une chaîne opératoire [Leroi-Gourhan 1966, 1972 ; Balfet 1991 ; Karlin et al. 1991 ; Pelegrin et al. 1988 ; Inizan et al. 1995] en utilisant un classement morpho-technologique. Pour cela, notre référentiel est celui de l'Ecole Française classique, qui développe des concepts et des procédures de classement pour l'outillage et les restes bruts de débitage, et qui offre un niveau hiérarchisé pour chaque élément, ce qui permet de juger de l'homogénéité technique de la collection. Seuls les croisements de données observées sur les supports de l'outillage, sur les nucléus et sur les bruts de débitage pourront contribuer à isoler les grandes tendances des séries étudiées [Tixier 1980 ; Tixier et al. 1980 ; Perlès 1987, 1991 ; Geneste 1991a, 1991b ; Inizan et al. 1995 ; Pelegrin 1995, 1997, 2001]. Dans notre protocole, la description de l'outillage prend une place particulière avec le souci de créer une base de données qui puisse être comparée à d'autres collections brésiliennes, afin d'entamer un travail d'homogénéisation descriptive des séries. Aujourd'hui, il manque une systématisation descriptive et terminologique, ce qui génère une certaine confusion par rapport à l’outillage. Par exemple, malgré l’imprécision du terme plan-convexe, celui-ci doit être retenu car la même pièce peut être appelée ”limace” par certains chercheurs et “grattoir ” par d’autres, sans qu’on sache vraiment de quel type de pièce il s’agit. 3.1 - La base de données : protocole descriptif L'ensemble des observations collectées sur les pièces, a été enregistré sur une base de données (26 rubriques). Les séries, dans la mesure du possible, ont fait l'objet d'une même description détaillée à partir de paramètres désignés (tabl. 1), ce qui représente un grand nombre d'heures de travail. Les industries, qui ont servi de comparaison, telles que celles de Buritizeiro, pour une question de temps, ont été décrites selon une procédure allégée, en exploitant les points les plus significatifs des pièces : certains critères n'ont pas été pris en compte (les mesures, la

60

Page 3: CHAPITRE III METHODES D’ANALYSE

Chapitre III - Méthodes d'Analyse des industries lithiques

présence ou l'absence d'abrasion, la présence ou l'absence de bulbes, …). Seules quelques pièces ont été dessinées et/ou photographiées. Nous nous sommes concentrée sur les observations concernant les matières premières, la présence de retouche ainsi que sur les macro-traces d'utilisation.

Matière Première d- outrepassage Tracéologie 1 – Origine e-cassures languette proximale 1- Macro-traces a- silex/silexite f- cassures autres a- présence/absence b- grès 6 – Taphonomie b- égratignure c- calcaire a- feu c- mâchuré d- quartz b- cassure d- émoussé e- granitoïde c- piétinement e- restes incrustés f- indéterminé d- patine 2- Micro-traces 2 – Cortex e- observations générales a- localisation de vestiges a- localisation b- émoussé b- proportion L'outillage c- lustre 3– Texture de la roche 1– Type de support d- poli a- jaspoïde a- grand éclat (10-12 cm) e- observations générales b- fin b- éclat moyen (5 - 8 cm) c- moyen c- éclat petit (environ 4 cm) Classement Technologique d- grossier d- galet 1 - Catégories 4 – Homogénéité de la roche e- plaquette Classe 1- bloc a- homogène f- débris/casson Classe 2- outil/ nucleus b- hétérogène g- observations générales Classe 3- éclat d'entame/sous entame 5 – Nature du support 2 – Type de retouche Classe 4- éclat début débitage: a- bloc a- absent nettoyage(reste de cortex/impuretés) b- nodule b- écailleux Classe 5- éclat avec vestiges de cortex c- galet c- scalariforme (localisé dans des secteurs spécifiques) d- plaquette d- subparallèle Classe 6- éclat de début de plein débitage/sans

e- parallèle cortex Technologie f- encoche Classe 7- éclat plein débitage

1 – Talon 3– Etendue de la retouche Classe 8- éclat façonnage a- indéterminé/inexistant a- courte Classe 10- éclat retouché et/ou entretien b- cortical b- marginale Classe 11- fragment d'outil c- lisse c- longue Classe 12- feu/ débris/casson d- facetté/dièdre d- envahissante Classe 13 - indéterminé e- punctiforme e- couvrante Observations générales f- linéaire f- localisation de la retouche 2 – Mesures 2 – Abrasion 4– Type d'outil a- longueur a- abrasé a- unifacial robuste (type plan-convexe) b- largeur b- non abrasé b- unifacial peu épais (type plan-convexe) c- épaisseur 3 – Bulbe c- unifacial aplati 3 – Face supérieure a- marqué d- pièce retouchée bifacialement a- négatifs avant détachement P/Ab. b- diffus e- outil simple b- nombre d'enlèvements d- indéterminé f- outil sur brut de débitage c- direction des enlèvements 4 – Lèvre 5 - Nucléus d- rasants a- présente a - mesure e- profonds b- absente b- description f- accidents c- bien marquée c- nombre de négatifs g- observations générales 5 – Accident d- présence/absence accident a- absent e- abrasion de bords b- rebroussé f- observations c- Siret

Tableau 1 - Protocole d'enregistrement de données Avant tout, chaque pièce, chaque fois que nécessaire, a été lavée puis marquée : nom du site, année de fouille, position stratigraphique, numéro de la pièce.

Sans entrer dans le détail de l'analyse ou des termes technologiques empruntés (nous renvoyons aux travaux traitant ce sujet), quelques points de notre grille méritent d'être commentés. 3.1.1 - Matière première Les méthodes de caractérisation de la matière première peuvent être d'ordre quantitatif et/ou qualitatif. Notre choix est guidé principalement par les critères qualitatifs, car plus utilisés en

61

Page 4: CHAPITRE III METHODES D’ANALYSE

Chapitre III - Méthodes d'Analyse des industries lithiques

raison de leur simplicité et de leur facilité d'application, d'autant plus qu'ils ne nécessitent pas une analyse lourde. Ainsi, l'identification pétrographique (observation macroscopique et/ou microscopique) est appliquée à chaque pièce qu'on attribue à une catégorie de roches. L'état général de la surface informe si la pièce est entière ou fragmentée, si l’on trouve des traces de feu ou de piétinements, et enfin, si l’on peut remarquer des patines différenciées qui pourraient indiquer une éventuelle reprise de la pièce. De rares fois, nous avons utilisé une analyse de lame mince, pour définir certains types de roches siliceuses. Cette étude est empruntée à certains auteurs : Perlès 1980, 1990 ; Geneste 1991a ; Pelegrin 1995a ; Féblot-Augustins 1997 ; Pelegrin et Riche 1999 ; Bressy 2003. 3.1.2 - Classification technologique Dans cette rubrique, est réunie une série d'observations visant à classer la pièce dans la chaîne opératoire : il s'agit de rechercher des indices des grandes phases techniques. La confrontation entre les données déduites par remontage mental et celles observées empiriquement sur le matériel analysé, permet de suggérer des hypothèses basées sur la présence/absence des produits [Tixier 1978 ; Cahen et al. 1980 ; Pelegrin 1995, 2005a, 2005b ; Pelegrin et al. 1986 ; Karlin et al. 1991 ; Boëda 1990, 1994 ; Geneste 1991b ; Inizan et al. 1995 ; Bodu 1990, 1998]. La question est de savoir si l’on peut noter une/plusieurs chaîne(s) opératoire(s) et quelles séquences sont représentées, dans chaque portion fouillée du site. Pour essayer de répondre à ces questions, une classification a été définie pour les produits, en utilisant les principes de classement proposés par ces auteurs : - par rapport à la présence et à l'extention du cortex ou néo-cortex ou faces de fracture naturelle ; - par rapport au schéma diacritique présent sur la face supérieure : quantification et ordre chronologique des enlèvements, orientation, dimension, accidents, observation des orientations dominantes, par exemple parallèles, sub-parallèles, parallèle/transversale ; - en accord avec le profil de l'éclat (et le schéma diacritique) ; - en accord avec le type de talon (cortical, lisse, facetté, dièdre, ...) et la présence/absence d'abrasion et de lèvre, tous les trois indicateurs des techniques et des méthodes de taille utilisées. Les accidents de percussion sont eux-aussi des indicateurs du niveau de savoir-faire et du type de percussion. Enfin, il est fondamental de créer une classe pour les produits indéterminés. 3.1.3 - L'outillage : données morphologiques Les outils sont les objets les plus importants de la collection, car ils sont l'objectif de ceux qui taillent. Aussi, les analyses doivent-elles, la plupart du temps, commencer par ces objets [Pelegrin 1995]. Avant d'entrer dans les principes de leur classification, il est important d'expliciter la notion d'instrument utilisé. Au Brésil, jusqu'à récemment, la notion d'outil était liée principalement aux objets retouchés et/ou polis. Ces dernières années, ce concept a évolué et des travaux font référence à des instruments "bruts de débitage", "d'occasion", … Aussi, il nous paraît important de signaler que la définition d'outil, utilisée dans ce travail, couvre tous les objets intentionnellement fabriqués (débitage, façonnage, polissage, …) et tous les objets naturels (galets, blocs, …) et bruts de débitage (débités mais non retouchés) qui portent des traces d'utilisation macro ou microscopiques [Karlin et Pelegrin 1997 : 823].

62

Page 5: CHAPITRE III METHODES D’ANALYSE

Chapitre III - Méthodes d'Analyse des industries lithiques

Nous avons donc trois grandes catégories, voir quatre (éventuellement avec des sous-catégories) : 1) les outils retouchés unifacialement et bifacialement, plus ou moins épais, plus ou moins soignés. Ces outils représentent les éléments les plus spécifiques, les plus élaborés des industries, auxquels s'oppose le groupe suivant ; 2) les outils marginalement transformés, que nous appelons "outil simple". Pour ceux-ci, il n'y a pas de grand investissement technique, ni de systématisation : seulement quelques enlèvements sur des secteurs spécifiques. Toutes les catégories définies ont servi de support à ce type d'outil. Il faut préciser que les outils simples méritent un travail d'analyse plus fin, avec une présentation par catégories et sous-catégories, que nous n’avons pas réalisé ici. Ce travail a été fait pour les sites de Terra Brava analysés pendant notre maîtrise [M.J. Rodet 1999]. 3) les supports bruts de débitage, utilisés directement, désignés comme "outil (sur) brut de débitage". Pour ceux-ci, on note une recherche de tranchant abrupt ou aigu. La tracéologie des bords permet de définir cette classe : égratignures, mâchures et émoussés (macro-traces). Elle permet aussi de révéler des micro-traces (lustré, poli) ; 4) les outils polis : ils ne font pas vraiment partie du corpus de cette étude. Ils sont seulement situés stratigraphiquement, et dans la mesure du possible, décrits. Il est important d’observer que nous utilisons le terme "façonnage" dans le sens brésilien, c’est-à-dire comme une opération de taille réalisée sur les outils unifaciaux ou bifaciaux en général. J. Pelegrin précise : "En France, ou selon la terminologie française, « façonnage » désigne une opération de taille qui consiste à tailler un outil "sur masse" par l’enlèvement d’éclats conçus comme des déchets, comme dans la sculpture. Par extension, un support débité (un gros éclat, par exemple), peut être transformé en une pièce façonnée –et donc faire l’objet d’un façonnage-, si la morphologie du support brut de débitage est nettement transformée en une forme nouvelle déterminée (et répétée) par le tailleur. C’est toute la différence entre "biface sur éclat" et "éclat à retouche biface". La vraie difficulté, à ne pas occulter, consiste à distinguer des outils façonnés sur éclat dont la forme façonnée spécifiée a été recherchée d’emblée telle (façonnage), d’outils confectionnés sur éclat et ravivés itérativement et dont la forme répétitive à l’état d’exhaustion résulte non pas d’une intention initiale en tant que telle, mais de ses ravivages successifs (certaines limaces qui ont pu être d’abord de larges racloirs doubles de morphologie variable, peu à peu rétrécis par le ravivage répété de leurs bords, par exemple). Une autre difficulté du même ordre est celle de distinguer certaines pièces grossièrement façonnées de certains nucléus, en sachant que des nucléus peuvent être ultimement transformés en pièces façonnées, et que des pièces façonnées peuvent également être reprises en nucléus. C’est la lecture technologique fine de l’ensemble du matériel ; nucléus, pièces plus ou moins retouchées et façonnées sur tel ou tel support, restes de taille correspondants, via la reconnaissance de la ou des chaînes opératoires en présence, confirmées par des régularités (répétition de séquences similaires, ainsi non anecdotiques ou aléatoires), qui permet généralement de lever ces difficultés”. Il faut encore mentionner une autre catégorie d'outils que, malheureusement, pour une question de temps, nous n'avons pas pu analyser : les quebra-côcos, outils généralement réalisés sur des blocs bruts de calcaire, légèrement régularisés dans les coins, utilisés pour casser les petites noix de palmier. Les secteurs légèrement incurvés de l'enclume et les taches d'huile laissées par les végétaux suggèrent cette interprétation [Prous 1992b]. Tous les niveaux de Boquete renferment ce type de pièces. Plus récemment, les collections provenant de Bahia (collection Heredia) ont apporté de nouveaux éléments, car on y observe les enclumes accompagnées de leurs percuteurs. Si l'on oppose les deux éléments, les marques se

63

Page 6: CHAPITRE III METHODES D’ANALYSE

Chapitre III - Méthodes d'Analyse des industries lithiques

superposent : dans le milieu des pièces, des petites zones approfondies et noircies sont entourées de secteurs "piquetés" qui résultent du contact entre les deux pierres. Ces pièces permettent de comprendre les morphologies du couple "enclume et percuteur" et renforcent l'idée que les pièces ont été utilisées dans ce but. 3.1.4 - Quelques définitions terminologiques Avant de rentrer dans les classements des pièces, nous voudrions mettre en évidence quelques problèmes d’ordre terminologique. En effet, on constate qu’il n’existe pas, au Brésil, une nomenclature complètement établie concernant l’industrie lithique. Ainsi, on n’observe pas de consensus pour définir de manière stricte les termes qui correspondent à certains outils car il n’y a pas une préoccupation préalable de décrire ou de définir les outils, les pièces ou les techniques avant l’utilisation des termes tels que unifacial, limace, percussion tendre, ou percussion sur enclume, qui est parfois appelée percussion bipolaire. Comme le signale J. Pelegrin, “le problème est en fait triple : -1° il faut préciser la terminologie descriptive (bulbe proéminent correspond à ... , etc.), -2° il faut décrire les pièces (et les dessiner) avant de les désigner, -3° il faut définir précisément ce que l’on désigne, d'où une terminologie typologique (limace, grattoir, pièce bifaciale, etc). De plus, la terminologie descriptive peut être universelle, mais la terminologie typologique certainement pas, puisqu’il n’y a pas partout et toujours exactement les mêmes types d’outils". Quelques exemples peuvent illustrer ces difficultés : - "pièce bifaciale" : il est courant, dans la littérature brésilienne, que les pièces à retouche biface soient en général citées comme de vrais "bifaces". Il n'y a pas la préoccupation d'une description détaillée de la pièce qui permette par la suite une définition du terme. Soulignons, cependant, que A. Laming-Emperaire [1967] a créé un guide pour l'étude des industries lithiques de l'Amérique du Sud, guide qui tente, à partir de la typologie, d'instituer un vocabulaire propre à l'archéologie brésilienne, avec une description détaillée des pièces et des illustrations auxquelles s’ajoute un glossaire qui définit les termes utilisés dans l'étude du lithique. Malgré ses limites, ce livre reste aujourd'hui unique dans le genre au Brésil. Plus récemment, quelques chercheurs ont proposé des démarches techno-morphologiques d'étude de collections et de termes [Dias et Hoeltz 1997 ; Hameister et al. 1997], mais il s'agit de démarches trop isolées et sporadiques pour être acceptées et utilisées par l'ensemble de la communauté scientifique. Dans le cadre de cette thèse, nous utiliserons le terme général de "outil unifacial" pour ce qui est cité dans la littérature brésilienne comme "limace, unifacial, raspador, plaina, …" accompagné d'une description détaillée. En ce qui concerne les pièces travaillées sur les deux faces, nous emploierons le terme "pièce à retouche biface" ou "à retouche bifaciale". Nous avons pu isoler trois groupes : -1) les pièces façonnées grossières, dont seulement les secteurs marginaux des bords sont transformés par des enlèvements assez profonds, par percussion directe dure. -2) les pièces transformées de façon plus intense, moyennement épaisses, et très probablement par percussion directe tendre. -3) les pièces foliacées minces, complètement transformées par percussion directe tendre et par pression.

64

Page 7: CHAPITRE III METHODES D’ANALYSE

Chapitre III - Méthodes d'Analyse des industries lithiques

Figure 34 - nucléus sur enclume : le stigmate de la partie inférieure de la pièce détachée (réfléchissement) sera plus ou moins marqué selon la matière de l'enclume. Plus marqué s'il est en pierre, moins marqué s'il est en bois. - "nucléus sur enclume" : nous utiliserons cette terminologie pour désigner des pièces fracturées sur une enclume (fig. 34). Au Brésil, les nucléus fracturés sur enclume sont souvent dénommés "nucléus bipolaire".

- "nucléus bipolaire" : ce terme sera utilisé dans le sens de Inizan et al. [1995], nucléus à récurrence bipolaire provenant de deux plans de frappe préférentiels. Figure 35 - nucléus bipolaire : deux plans de frappe préférentiels (dessin A. Prous). Enfin, un dernier problème doit être soulevé : il s'agit de l'adoption ou non du terme "Tradition" pour l'industrie lithique. Nous avons opté pour leur non-utilisation dans le cadre de cette thèse car, à notre avis, il manque des précisions dans les définitions de ces industries, précisions qui permettraient une comparaison fine entre les industries des différents sites (et des différentes régions) et en conséquence une approche chrono-culturelle. Cependant, à plusieurs reprises, il nous a été possible d'utiliser les données publiées (Traditions Itaparica et Tupiguarani) pour les rapprocher des industries lithiques du nord de Minas Gerais. Il est clair que les industries regroupées dans la Tradition "Itaparica", repérées à Goiás, à Bahia et au Piauí, entre autres, ont un fond commun avec les industries les plus anciennes du Peruaçu. A notre avis, il manque aux premières, une étude plus approfondie (morpho-technologique et stratigraphique) pour valider leurs caractères technologiques, qui d'ailleurs sont, en grande partie, déjà mis en évidence [Schmitz et al. 1996, 2004]. C'est pourquoi nous reconnaissons les efforts et l'importance des définitions de ces grandes lignes de l'évolution des industries (divisions par Tradition), mais notre but est de tenter de dépasser ces premières classifications et d’approcher l’industrie lithique dans la perspective de l’Ecole Française, c’est-à-dire à partir de la technologie lithique. Pour répondre à la question des aspects morphologiques et techniques des pièces, nous nous sommes inspirée des travaux anciens et actuels, notamment ceux de Binder et al. [1990], Boëda [1990, 1994], Inizan et al. [1995], Valentin [1995], Pelegrin [1995, 2001, 2005a], Honegger [2001]. Nous avons pris en compte la morphologie et l'étendue générale de la retouche, pour évaluer l'investissement mis en œuvre sur chaque pièce et ainsi pouvoir faire une comparaison inter-niveaux. La localisation et la délinéation des retouches ont aussi été prises en compte dans les descriptions des outils. Une évaluation du degré d'investissement technique nécessaire à la réalisation de l'outillage a été tentée pour rendre compte des tendances des industries. La mensuration et la description du support sont importants pour définir les classes d'outils : unifacial sur grand éclat, sur éclat moyen, sur petit éclat. Les données concernant les traces d'usure telles que les égratignures, les écrasements, les lustrés et les émoussés, ou encore les taches colorées ou noircies, les zones amincies, etc.,

65

Page 8: CHAPITRE III METHODES D’ANALYSE

Chapitre III - Méthodes d'Analyse des industries lithiques

tous ces éléments ont été observés et introduits dans notre base de données, car ces informations permettent d'aborder des questions comme l'emmanchement ou les fonctions des outils. Enfin, une série de pièces a été analysée en tracéologie [Semenov 1981, Mansur 1986, 1986/1990 ; Lima et Mansur 1986/1990 ; Alonso 1994 ; M. Christensen 1998], principalement au Brésil, en grande partie sous la responsabilité de M. Alonso (MHN-UFMG). Finalement, une rubrique "observation" permet d'enregistrer des informations particulières. 3.1.5 - Classement des restes bruts de débitage Chaque produit est classé dans une des catégories créées, dans le but de reconstruire les chaînes opératoires. Une rubrique accueille les produits indéterminés. Ce classement répond bien à nos besoins, car les séries analysées n’offrent pas une grande diversité d’objets recherchés. Néanmoins, il est important de souligner que cette classification est adaptée aux séries étudiées ; si, dans d’autres cas, les industries présentent des évolutions différentes de celles exposées ici, il faudra adapter les listes de caractères et de modalités aux nécessités. Dans les séries étudiées, les distinctions les plus marquantes sont par rapport au type de site : abri ou plein air. Dans ce cas, les dimensions sont différentes et les catégories présentes peuvent l’être aussi. 13 classes ont été conçues, mais la classe 9 a finalement été fusionnée avec la classe 8 car nous n’avons pas pu différencier ces deux phases dans le façonnage : Classe 1 - blocs et/ou galets (entiers ou fragmentés). Critères descriptifs : en général, de dimension petite à moyenne, environ 4 à 8 cm. Les galets peuvent atteindre des dimensions plus importantes, environ 20 cm. Classe 2 - outils et/ou nucléus. Classe 3 – éclats de tout début de débitage. Critères distinctifs : éclats d’entame et sous-entame totalement ou très corticaux, détachés à la percussion directe dure. Ce groupe correspond essentiellement au début de débitage des nucléus (petits à moyens) retrouvés dans les abris. Mais de petits éclats très corticaux à talon lisse peuvent provenir du tout début du façonnage (ou confection) de gros unifaces de section plan-convexe sur grand éclat cortical ou semi-cortical en "calotte". Classe 4 – éclats de début de débitage. Critères distinctifs : il s’agit des éclats de début de débitage détachés à la percussion directe dure. Les faces supérieures présentent encore du cortex (environ 40-50 %). Des irrégularités et des impuretés liées à la matière première sont fréquentes ("nettoyage" des impuretés, des restes de cortex, etc.). Ce groupe renvoie au débitage des nucléus retrouvés dans les abris. Les éclats de grande dimension peuvent correspondre au début de débitage des grands nucléus qui coïncident avec les supports d’outils unifaciaux de dimension moyenne à grande. Classe 5 – éclats avec cortex résiduel. Critères distinctifs : le cortex est discret, situé généralement dans un seul secteur de la pièce (distal ou latéral). Les éclats sont détachés à la percussion directe dure. Ce groupe peut faire partie du débitage des nucléus à séquence unipolaire, retrouvés dans les abris. Cependant, pour les plus petits éclats, il est possible qu’ils fassent partie de la retouche des outils unifaciaux à support cortical.

66

Page 9: CHAPITRE III METHODES D’ANALYSE

Chapitre III - Méthodes d'Analyse des industries lithiques

Classe 6 – éclats de plein débitage. Critères distinctifs : éclats sans cortex. C’est l’absence de cortex, l’organisation des enlèvements dans la face supérieure et l’épaisseur qui permettent de les classer en plein débitage. Les éclats portent, sur la face supérieure, des négatifs multidirectionnels (ou bidirectionnels) indiquant un débitage à partir de plusieurs plans de frappe. Les négatifs peuvent être unidirectionnels, ce qui correspond à des nucléus à séquences unipolaires. Cette classe peut contenir des éclats de plusieurs moments de la chaîne sans qu’on puisse vraiment les distinguer. Cependant, dans la grande majorité de cas, ils sont facilement rapprochés des nucléus présents dans le niveau ainsi que des supports d’outils. Les pièces techniques du type "crête" et "tablette" sont réunies dans cette catégorie. Les éclats sont détachés à la percussion directe dure. Classe 7 – éclats sans cortex, peu épais. Critères distinctifs : il s’agit de pièces souvent minces, toujours avec abrasion insistée de la corniche. Les éclats sont détachés à la percussion directe dure et à la percussion directe tendre. Les négatifs de la face supérieure sont souvent dans le sens du débitage (séquences unipolaires) et rarement sub-parallèles. Quelquefois, on note un négatif distal opposé ou orthogonal à l’axe de débitage. La percussion est, dans la grande majorité des cas, directe dure, mais la percussion directe tendre (bois végétaux) est observable. Au début de notre étude, les pièces (assez rares) réunies dans cette catégorie, du fait qu’elles sont beaucoup plus soignées que les autres, nous ont fait envisager une chaîne opératoire à part. Au terme de cette étude, nous n’avons pas réussi à individualiser une chaîne spécifique dans laquelle on puisse les situer. De fait, elles peuvent être rapprochées d’une production d’éclats à partir de nucléus principalement à séquence unipolaire ; ou alors ces éclats font partie du schéma classique de façonnage d’objets plan-convexe (les plus élaborés), éventuellement d’outils plus épais, car cette catégorie peut atteindre des longueurs importantes. Dans ce cas, il ne s’agit pas de plein débitage, mais d’éclats de façonnage. Cependant, ils diffèrent des pièces de la classe 8 de par leur longueur et le soin insisté de l’abrasion. Classe 8 – éclats de façonnage. Critères distinctifs : les éclats sont de petite dimension, peu épais avec talon lisse, linéaire ou dièdre (en rapport avec les couches). Le profil peut être rectiligne ou arqué. L’abrasion peut être fréquente. La percussion peut être directe dure ou directe tendre. La majorité des éclats de cette classe ne portent pas de cortex, mais il est fréquent d’observer des éclats portant des résidus de cortex dans les parties distale ou latérales. Ceci correspond bien au façonnage d’unifaciaux sur support cortical. Nous avons défini ces éclats “de façonnage” d’outil, à partir de l’examen des pièces archéologiques, mais aussi à partir des remontages archéologiques et des expérimentations menées sur les silex brésiliens. La référence de ces expérimentations est l’outillage du Peruaçu. Ces expérimentations ont été pratiquées notamment par Miguel Biard (silex, silexite, calcaire), Marcio Alonso (silexite, silex, grès) et plus récemment par Jacques Pelegrin qui a réalisé une pièce unifaciale du type plan-convexe (silex français et percuteur tendre en bois animal), qui complète notre référentiel expérimental. La réalisation de ce travail a beaucoup aidé à la reconstitution de la chaîne opératoire des outils unifaciaux du type plan-convexe. Lors des dernières expérimentations, réalisées au MHN-UFMG avec M. Alonso, nous avons utilisé uniquement des matières premières provenant du Peruaçu (silexite, silex, grès, bois

67

Page 10: CHAPITRE III METHODES D’ANALYSE

Chapitre III - Méthodes d'Analyse des industries lithiques

végétaux). Les percuteurs tendres ont été réalisés avec des bois de densité différente. Pour une question de temps, les résultats détaillés ne sont pas présentés. Classe 10 – éclats de retouche ou d’entretien de plan de frappe. Critères distinctifs : petits éclats, majoritairement rectilignes, de faible épaisseur (quelques millimètres). Les talons sont lisses ou linéaires, parfois dièdres. La corniche est souvent abrasée. La percussion peut être directe dure ou directe tendre. Ce groupe est proche de la retouche d’outil unifacial, bifacial et outil simple. Cependant, une part de ces plus petits éclats peut provenir de gestes d’aménagement du plan de frappe : facettage (vers le plan de frappe) ou réduction de corniche (vers la surface de débitage) Classe 11 – fragments d’outil : sont réunis sous cette rubrique les outils fragmentés par cassure ou brûlure, principalement les petits fragments dont on ne peut préciser autre chose que leur valeur de fragment d’outil, selon une portion de bord retouchée ou macro-utilisée. Classe 12 : fragments thermiques, débris, cassons. Classe 13 : pièces indéterminées. 3.1.6 - Les mesures Les mesures des pièces sont toujours prises et données dans l'ordre suivant : longueur à partir de l’axe de débitage de la pièce, puis la largeur suivie de l’épaisseur (ex. 5 x 3 x 1 cm). Si, à un moment donné, nous n’utilisons plus l’axe de débitage, mais l’axe morphologique, ceci est indiqué. Par ailleurs, il est important de signaler que les dénominations «grand, moyen et petit», largement utilisées dans les analyses des sites, ont une définition générale, pour les outils : - grand = longueur comprise entre 8 et 12 cm (voire plus) ; - moyen = longueur comprise entre 5 et 8 cm ; - petit = longueur inférieure à 5 cm. L’épaisseur : - épais : de 2,5 à 4 cm, voire plus ; - moyennement épais : entre 2 et 2,5 cm ; - peu épais : moins de 2 cm. La réalisation d’une base de données informatisée, très longue à établir, permet ensuite un traitement rapide des informations. Elle reste cependant un outil pour l’analyse d’une collection, qui prend sa vraie dimension quand elle s’appuie sur l’analyse qualitative et de facto de la collection. Quelques précisions méritent d’être évoquées avant de clore ce chapitre : - Lors de la présentation graphique de l’outillage [Laurent 1970 ; Dauvois 1976 ; Inizan et al. 1995], les outils ne sont pas toujours présentés dans leur axe, orientés talon vers le bas, mais parfois partie active vers le haut, ou selon leur propre axe de symétrie [Bordes 2002]. Normalement, quand l’axe de débitage n’est pas évident, il est indiqué par une flèche. - Les éclats bruts de débitage sont toujours présentés dans leur axe technologique, les exceptions étant précisées dans la légende.

68

Page 11: CHAPITRE III METHODES D’ANALYSE

Chapitre III - Méthodes d'Analyse des industries lithiques

Soulignons enfin que nous avons largement utilisé la photographie et le scanner pour présenter les pièces. 3.2 – Le choix du corpus L’idée était d’appréhender l’occupation du bassin du Peruaçu (fig. 36). Aussi, notre choix fut-il porté sur le maximum de sites fouillés qui ont livré i) des collections abondantes, ii) des séquences longues ou, iii) des phases stratigraphiques spécifiques, telles que le passage Pleistocène/Holocène, ou le passage chasseur-cueilleur/chasseur-cueilleur-horticulteur, ou encore le moment du contact avec les néo-brésiliens. De ce fait, notre sélection inclut la plupart des sites fouillés dans la vallée du Peruaçu depuis le début des années 1980, complétée par des sites de surface trouvés pendant nos prospections, soit un total de 7 gisements. Par ailleurs, nous avons étudié un autre site, choisi pour compléter notre vision régionale. Il se situe à environ 200 km en amont de la confluence de la rivière Peruaçu (Buritizeiro). Il n’était pas question d’appliquer à ce gisement la même démarche méthodologique, exhaustive. D’autre part, faute de temps, nous nous sommes contentée d’intégrer deux collections importantes partiellement publiées, celle du site de Malhador [Schlobach 2000], située dans le compartiment du canyon et celle du site de Russinhos [Koole et Prous 2000] au bord du fleuve São Francisco. Enfin, d’autres sites comme la Lapa da Hora, ou Caboclo…, n’ont pas été inclus dans l’analyse. Nous avons estimé que les sites sous abri étaient bien représentés par des gisements à longues stratigraphies, tels que Boquete ou Bichos. Cependant, quelquefois nous utilisons certaines données publiées sur ces sites. Par exemple : sur les peintures, sur les silos, etc. En conséquence, l’échantillon analysé peut être considéré comme représentatif des industries du nord de Minas Gerais, au moins pour certaines périodes. Les 10 sites sélectionnés permettent d’isoler environ 60 séries lithiques, pour leur grande majorité en stratigraphie et bien datées. Une grande partie de ces collections vient des abris, les autres sont des sites de plein air (en stratigraphie et en surface). Un des sites (Boquete Externe), peut être défini comme "mixte" [M.J. Rodet et J. Rodet 2004] : installé devant l’abri de Boquete mais hors protection, il a sûrement joué un rôle dans l’occupation de l’abri lui-même. Concernant le nombre de sites étudiés, deux points méritent d'être soulevés : 1- leur nombre est réduit par rapport à la centaine de sites du bassin qui contiennent des vestiges. Ceci peut correspondre à une grande mobilité dans le secteur. En conséquence, plus on étudie de sites, plus on se rapproche de la réalité des occupations. 2- dix sites constituent un ensemble important qui correspond globalement à 10 % de l'ensemble recensé. De plus, ils occupent des situations géographiques stratégiques. En conséquence, on peut penser qu'ils sont représentatifs de la réalité des occupations.

Figure 36a - légende de la carte de situation des sites archéologiques du compartiment du canyon du Peruaçu.

69

Page 12: CHAPITRE III METHODES D’ANALYSE

Chapitre III - Méthodes d'Analyse des industries lithiques

Figure 36b - carte de localisation des sites archéologiques du compartiment du canyon du Peruaçu (d'après Piló 1989 ; Isnardis 2004, modifié J. Rodet 2005). Les sites étudiés sont indiqués en vert.

70

Page 13: CHAPITRE III METHODES D’ANALYSE

Chapitre III - Méthodes d'Analyse des industries lithiques

Figure 36c - Liste des sites archéologiques indiqués sur la carte du compartiment du canyon du Peruaçu.

3.2.1 – Critique de l'échantillon étudié Les dépôts archéologiques sont souvent plus ou moins remaniés, et doivent donc toujours être soupçonnés de l’être. Il faut, de ce fait, s’intéresser, dès la fouille ou au vu des documents de fouille, aux mécanismes de formation et d’évolution post-dépositionnels des gisements. Des actions naturelles (sédimentation, érosion) et/ou anthropiques préhistoriques ou récentes (structure, élévation, construction, …) ou encore la présence d’animaux (terrier, nid, …), sont

71

Page 14: CHAPITRE III METHODES D’ANALYSE

Chapitre III - Méthodes d'Analyse des industries lithiques

susceptibles d’intervenir à n’importe quel moment. Il est donc fondamental, dans un premier temps, de contrôler strictement la stratigraphie : faire la part entre les facteurs qui perturbent les sols d’occupation, et les occupations préhistoriques elles-mêmes. Deux critères doivent être pris en compte pour évaluer les séries à étudier : - Le degré d’homogénéité technique et chronologique : les séries ne doivent pas présenter de mélange avec les matériaux d’autres niveaux. Dans la mesure du possible, il faut donc isoler les éléments jugés intrusifs. Dans un premier temps, une approche renvoyant aux états de surface des pièces, est nécessaire : les différents états de surface peuvent indiquer des groupes techniques et/ou chronologiques différents (certains produits présentent une désilicification opposée à des états de surface très frais, ou à d’autres légèrement fossilisés, etc.) Ensuite, l’analyse des caractères morpho-techniques peut elle-aussi permettre d’attribuer des pièces à certaines périodes. - Le degré de représentativité de la collection : la représentativité est liée, bien entendu, à la dimension de la série mais aussi à la place qu’elle occupe dans la topographie du site, sans oublier l’état de conservation du gisement et les méthodes de fouilles employées. L’échantillon doit être représentatif du site, au moins du secteur fouillé. Il faut donc s’interroger sur la valeur de la surface fouillée par rapport à la dimension spatiale du site : illustre-elle une certaine réalité préhistorique ? Quelques approches sont fondamentales pour une bonne évaluation des ensembles archéologiques : les surfaces fouillées et leur localisation dans la topographie du site, la présence ou l’absence d’un type spécifique de matière première ou d’un élément technique ? Les raccords et les remontages sont aussi de bons marqueurs d’homogénéité, mais il faut évaluer le temps nécessaire à cette tâche. L’évaluation du degré de conservation d’un gisement peut s’avérer délicat. Il est, néanmoins possible de tenter, dans un premier temps une comparaison entre collections archéologiques des niveaux différents ou inter-sites. La comparaison inter-sites, dans un même secteur, appuyée sur des datations absolues, peut permettre la construction d’une chronologie, au moins de valeur régionale. Dans un deuxième temps, pour valider cette chronologie dans un espace élargi, il est nécessaire de réaliser un parallèle inter-régional. En conséquence, les techniques de fouilles sont importantes : la pratique du tamisage, les dimensions de mailles du tamis, le décapage par niveau naturel, permettent d’estimer la perte d’informations due à l’utilisation ou non de certaines méthodes. L’ensemble de ces éléments permet de traiter ces deux questions fondamentales avec rigueur, ce qui autorise de débuter une évaluation globale des séries à analyser. Cependant, il est illusoire de penser qu’il est possible d’obtenir une reconstitution chronologique et homogène pure, principalement quand il s’agit de sites occupés à plusieurs reprises (cas de la majorité des gisements). Plus il y a d’occupations, plus difficile est l’identification de moments spécifiques. Dans le cas du Peruaçu, où il n’y a pas encore de vraie définition d’ensembles technologiques, et où la vision du passé est plutôt limitée aux fouilles d’abris, cette tâche est assez délicate. Pour cela, il est plus raisonnable d’envisager les tendances des industries.

Quoi qu’il en soit, seule une étude globale des productions permet de restituer mentalement les pièces dans leur place au sein des chaînes opératoires et ainsi de contribuer à la compréhension de l’homogénéité technique des séries. Dans l’échantillon sélectionné, plusieurs aspects limitent l’étude :

72

Page 15: CHAPITRE III METHODES D’ANALYSE

Chapitre III - Méthodes d'Analyse des industries lithiques

- la plus importante des limites de l’étude est sans doute le fait que la majorité des séries provient d’abris : la plupart des gisements en stratigraphie et bien datés viennent d’abris. Très peu de sites de plein air ont fait l’objet d’une fouille. En général, les collections résultent d’un ramassage de surface, et donc, les méthodes d’approche et les conclusions qu’elles apportent doivent être abordées autrement. Dans l’échantillon étudié, seuls quatre sites de plein air ont été fouillés et présentent une stratigraphie exploitable (Terra Brava, Boquete externe, Russinhos et Buritizeiro). La vision très parcellaire du passé, car très distante de la réalité préhistorique, se trouve renforcée car réduite principalement à un type de site, les abris. Pour réduire cette distorsion, nous avons exploité au maximum toutes les informations provenant des sites de plein air. Le matériel résultant des ramassages de surface a été étudié avec le même soin que celui prélevé en stratigraphie, pour permettre leur comparaison. - la deuxième limite de ce travail vient de ce que la majorité des sites étudiés représente le compartiment du canyon. La plaine alluviale, en raison des richesses singulières et propres à son compartiment, est probablement un secteur très important dans la compréhension du "système Peruaçu", car zone de liaison entre la rivière et le fleuve. Pour une question de temps, elle n’a pas pu être l’objet d’une analyse approfondie. La zone de transition qui, elle aussi, a dû jouer un rôle-clé dans cette compréhension, n’a pas pu être analysée sous tous ses aspects. Des sites archéologiques y ont été repérés, et l’un d’eux a fait l’objet d’un ramassage de surface mais, pour des questions administratives, il nous a été impossible de le fouiller. Enfin, une des collections analysées est peut-être trop petite (Antônio Cardoso, site de surface). Cette série n’a pas fait l’objet d’une étude très approfondie : nous avons exploité les éléments les plus significatifs tels que son outillage et sa localisation géographique (près d’autres sites). L’insertion du site dans le paysage et dans le contexte archéologique a contribué à une perception plus globale des industries lithiques de surface. 3.2.2 – Le corpus choisi Il paraît clair que les paramètres tels que la taille de l'échantillon, les techniques des fouilles utilisées, l'état de conservation des sites et en conséquence le degré de déformation de l'information archéologique, ainsi que la fonction du site, les niveaux de documentation des sites, les chronologies plus ou moins continues, sont des éléments potentiels pour définir la portée et les limites des séries sélectionnées. Dix sites ont été choisis (tabl. 2). En site d'abri, sont étudiés : Lapa do Boquete, Lapa dos Bichos, Lapa do Indio ; en site de plein air : Terra Brava, Antonio Cardoso, Olha Aqui, Buritizeiro ; en site mixte (de plein air associé à un abri) Boquete Externe. En complément, sont adjoints les données publiées de Russinhos et Malhador.

3.2.2.1 – L'ensemble de référence L’ensemble choisi comme référence répond relativement bien aux critères définis dans les chapitres précédents : homogénéité et représentativité. La principale réserve, déjà soulignée, est que les longues stratigraphies proviennent des abris, ce qui réduit davantage la perception du passé, car les sites d’abri ne sont qu’une fraction d’une réalité plus ample qui englobe aussi les sites de plein air. Pour essayer de rendre compte de l’industrie du bassin du Peruaçu, nous avons choisi comme support principal de l’étude, le site de Boquete, qui a bénéficié de fouilles récentes et soigneuses par A. Prous et ses collaborateurs. Ce site, de par sa longue occupation depuis le passage Pléistocène/Holocène jusqu’à l’Actuel, de par la dimension de la fouille qui couvre une partie importante de la surface utilisable de l’abri, de par la localisation dans la topographie de l’espace fouillé, mais aussi en raison du grand nombre de datations absolues

73

Page 16: CHAPITRE III METHODES D’ANALYSE

Chapitre III - Méthodes d'Analyse des industries lithiques

réalisées et de la richesse des analyses de plusieurs types de vestiges, rassemble les éléments le définissant comme le site référence de cette étude. Les points évoqués montrent que ce site est le seul dans l’ensemble du bassin qui permette une appréhension globale des occupations et, dans la majorité des cas, un rapprochement des séries non datées.

3.2.2.2 – Les autres échantillons Les autres échantillons (9 sites) sont pris en compte hiérarchiquement. Les sites du Peruaçu complètent, d'une manière ou d'une autre, la stratigraphie de la Lapa do Boquete (tabl. 2).

Type de site Nom du site

Abris

Lapa do Boquete

Lapa do Índio - Lapa dos Bichos Abrigo do Malhador

Externe à l'abri (dépendant), en stratigraphie

Boquete Externe

Plein air, stratigraphie

Terra Brava - Russinhos - Buritizeiro

Plein air, surface

Antônio Cardoso - Olha Aqui

Tableau 2 - le corpus choisi : l'ensemble est composé des sites de plein air et d'abri en stratigraphie et en surface. A titre d’exemple, les occupations du site Terra Brava, de plein air, correspondent aux moments les plus bouleversés (présence de plusieurs structures) dans Boquete. Les niveaux archéologiques de la Lapa do Índio correspondent à la même époque (niveaux les plus récents, horticulteurs/céramistes), mais il s’agit d’un abri dont les niveaux ne sont pas atteints par les structures du type silo ou enterrement. Les autres échantillons, hors bassin (Buritizeiro et Russinhos), n’ont pas fait l’objet d’une étude approfondie. Leur intérêt demeure dans le fait qu’ils sont dans une situation géographique stratégique, au sud du Peruaçu mais dans l’axe majeur du fleuve São Francisco, ce qui permet une comparaison de deux espaces géographiques différents (opposition grande vallée/petit bassin) et une mise en évidence de leur complémentarité.

74

Page 17: CHAPITRE III METHODES D’ANALYSE

CHAPITRE IV

L'ETUDE TECHNOLOGIQUE :

CHAINES OPERATOIRES, METHODES DE DEBITAGE,

TECHNIQUES DE TAILLE, GROUPES D'OUTILS.

Figure 37 - Terminologie lithique [in A. Laming-Emperaire 1967]

Page 18: CHAPITRE III METHODES D’ANALYSE

Chapitre IV - L'Etude Technologique

L'étude technologique de l'ensemble choisi a permis de distinguer des caractères techniques et différentes composantes dont nous verrons ultérieurement, dans la discussion, la répartition d’une part selon les sites et d’autre part selon le temps (ch. V). Concernant le débitage, le façonnage et la retouche, quelques possibilités techniques ont été utilisées durant la préhistoire du Peruaçu. Elles sont maîtrisées différemment selon la période considérée. Par ailleurs, il est fréquent de voir coexister deux ou trois techniques de taille au sein de la même industrie. Examinons donc les caractères distingués. 4.1 – Les matières premières : origine, acquisition et stockage L’essentiel de la matière première utilisée dans l’ensemble des sites et des niveaux étudiés provient d’une origine locale (rayon d’environ 5 km autour du site), en général en position secondaire :

- Silex et silexite de couleur et de granulométrie variées, présents dans différents contextes : en position primaire (in situ en stratigraphie), en position secondaire (à proximité de la matrice) dans les buttes résiduelles, sur les plateaux. En position secondaire éloignée (loin de son gîte d'origine), dans la rivière Peruaçu et dans les vieilles terrasses, piégés dans les dolines et/ou dans les ravines, ou dans les remplissages de grottes, sous forme de blocs petits à grands, de galets de rivière.

- Grès silicifié, de couleur rosâtre ou grisâtre, retrouvé dans la rivière à l’état de galets ou sur les plateaux encadrant la vallée du Peruaçu sous forme de petits à grands blocs. Elle est aussi retrouvée en place dans certains secteurs proches du fleuve São Francisco, près du site de Buritizeiro.

- Le quartz hyalin, transparent ou fumé, provient de gîtes un peu plus éloignés du compartiment du canyon, à environ 15 km au nord, dans la zone de transition. Dans ce secteur, le quartz est retrouvé sous forme de petits prismes de quelques centimètres de longueur. Plus proche du canyon, on le retrouve sur le plateau à environ 4 km à l’est dans le site de Judas, mais sous forme de tous petits fragments.

- Les "granitoïdes" sont retrouvés dans la zone de transition et plus loin, dans la vallée du Burrachudo, à proximité du compartiment de la haute vallée, soit à environ 40 km.

- Le calcaire encaissant des abris est omniprésent dans le compartiment du canyon et de la plaine alluviale.

- Les galets en quartz, de dimensions et de formes variées, sont présents dans le lit du São Francisco et dans ses vieilles terrasses.

Enfin, les marcassites, retrouvées dans certains horizons ferralitiques et présentes dans les différents compartiments, ont aussi été utilisées. Ces matériaux ont été plutôt débités dans les sites de plein air, probablement sur les gîtes de matières premières. Les sites d’abris témoignent de très peu d’éclats corticaux. Aucune "économie des matières premières" [Inizan 1980 ; Perlès 1980, 1991] n'a pu être identifiée dans les divers matériaux utilisés, exception faite, bien entendu, des outils polis qui ne sont pas étudiés dans le cadre de cette thèse. Pendant toute la période étudiée, le comportement des groupes humains repose globalement sur l'utilisation de toutes les matières présentes dans le bassin, pour confectionner tous les types d'outils. Cette souplesse dans le

76

Page 19: CHAPITRE III METHODES D’ANALYSE

Chapitre IV - L'Etude Technologique

choix des matières est d'autant plus compréhensible qu’on observe l'omniprésence, à proximité des sites, de la majorité des roches utilisées dans l'industrie. Un cas particulier est peut-être l'utilisation du quartz hyalin. Faute d'un nombre suffisant de pièces qui autoriserait une analyse, nous ne pouvons pas définir sa place réelle dans ces industries. Il reste toutefois la possibilité d'une utilisation distincte, mais celle-ci n'est pas confirmée. Une autre exception est l'utilisation du silex et de la silexite dans le site de Buritizeiro (hors bassin Peruaçu), où l’on note un contraste entre l'outillage réalisé sur galet de quartz, matière première locale très sommairement débitée et retouchée au percuteur dur, et celui réalisé sur silex, silexite (roches exogènes, très homogènes) et quartzite (aussi local), pour lequel on note un fort investissement technologique. Bien que Buritizeiro ait été utilisé comparativement et bien que seules quelques pièces aient été analysées, ce qui limite nos conclusions, nous pensons qu’il est possible d’envisager un traitement différencié pour ces matières premières, principalement les matières allochtones. En l'absence d'une économie de la matière première évidente, il apparaît temporairement des préférences dans le choix de la matière première. Pour les premières populations (12000-10000 BP), une industrie plus élaborée accompagne le choix de silexite de grain fin, homogène, plus apte à la taille. Cette sélection doit résulter de la place de l'industrie lithique au sein de ces premières sociétés (cf. ch. VI). Aux alentours de 9000/8000 BP, une silexite de granulométrie moyenne, moins homogène, devient d'usage majoritaire dans les sites d'abri du bassin, jusqu’à la fin de l’Holocène moyen (environ 4000 BP), malgré la persistance de la silexite à grains fins. La présence du quartz hyalin devient systématique jusqu’aux dernières occupations. Les roches tenaces apparaissent dans les niveaux de sub-surface (environ 500 BP) et de surface. Le grés silicifié, présent tout au long de la stratigraphie, est moins visible autour de 9000 BP (pour la période antérieure nous n’avons pas d’informations). Son usage augmente jusque vers 7000 BP, puis se fait de plus en plus discret. Le calcaire est aussi présent, avec des moments de plus grande fréquence, notamment pendant les premières périodes (12000-10000 BP), puis aux alentours de 7000 BP et enfin dans les occupations horticultrices (environ 2000/1600 BP). Concernant les morphologies des blocs, on note une utilisation plus importante des rognons de surface, suivie des galets de rivière, et d'une façon moindre des plaquettes et du quartz sous forme de veine ou de cristaux. Le comportement d'approvisionnement sur lequel repose la production lithique, dans le Peruaçu, souligne une grande flexibilité, qu’il s’agisse des blocs roulés en surface ou piégés dans les vieux remplissages, des galets de rivière ou des rares rognons de silex diagénétiques présents dans le calcaire Bambuí, ou encore du quartz hyalin et même des petits blocs de marcassite utilisés (cf. Boquete externe) : tout est bon à l'emploi, mais tout n'est pas utilisé à chaque période. L'agencement du stockage de ce matériel est cependant très difficile à saisir. Il est plausible qu'il n'y ait pas eu de grande préoccupation de stock, si la matière est omniprésente, mais un minimum de "stratégie de stockage" a dû être assuré. Malgré les rares informations obtenues sur cette question, on peut penser, dans un des sites (Boquete externe), que le secteur a été utilisé comme "dépotoir" de galets supports, ou peut-être de galets de second choix qui ont été apportés et finalement abandonnés sans être exploités. Par ailleurs, les nucléus moyens à petits, présents dans les sites en quantité assez remarquable, peuvent être envisagés comme étant un type de provision pour l'enlèvement d'éclats simples, utilisables tout de suite. Cette souplesse laisse penser à des groupes dont l’approvisionnement en matière première accompagne l’exploitation générale du territoire fréquenté. Cette notion de territoire varie : il

77

Page 20: CHAPITRE III METHODES D’ANALYSE

Chapitre IV - L'Etude Technologique

est très grand pour les chasseurs-cueilleurs, restreint pour les agriculteurs. On part pour faire la chasse ou la cueillette, pour chercher de l’eau, pour se rendre dans certains sites rituels ou encore pour se promener ; en même temps, on passe dans certains endroits afin de prendre de la matière première, par exemple. Dans cette perspective, les matériaux ne sont pas indicateurs d’une "stratégie d’acquisition" ou de choix, mais d’un approvisionnement intégré à des déplacements dans les territoires pour des motifs variés [J. Féblot-Augustins 1997]. 4.2 - Les chaînes opératoires La notion de chaîne opératoire [M. Mauss, A. Leroi-Gourhan in Balfet 1991] permet d’ordonner l’ensemble lithique. Elle correspond à l’ensemble des actions effectuées depuis la collecte du matériel brut, jusqu’à l’abandon, en passant par toutes les phases de débitage, façonnage, retouche et ravivage. Dans le bassin du Peruaçu, les sites d'abri et les sites de plein air ont contribué à cette compréhension, chacun avec ses spécificités (tabl. 3). Il faut savoir que la majorité de l'information archéologique provient des abris (secteurs plus connus et mieux étudiés). Les sites de plein air, plus récemment exploités, viennent compléter les informations fournies par les premiers. Le fait que l'industrie soit peu, voire très peu caractéristique, renforce la difficulté de l'entreprise. On peut néanmoins se faire une idée de ce qui s'est passé, dans ces secteurs, en prenant en considération à la fois les outils (retouchés ou utilisés bruts de débitage) et les supports utilisés pour les confectionner, les matières premières, les nucléus, ainsi que les restes bruts de débitage résultant de ces processus, présents en partie ou en totalité dans certains sites. Les restes bruts de débitage permettent de percevoir les outils "absents" : par exemple, l’éclat de coup de tranchet sur outil bifacial, l’éclat de flanc d’unifacial ou encore l’éclat de front de grattoir etc., qui indiquent la réalisation ou le ravivage de l’outil correspondant malgré son absence. Ensuite, il faut vérifier les diverses séquences de ces chaînes présentes dans les séries et les classer hiérarchiquement.

Tableau 3 - la position chronologique de sites du nord de Minas Gerais.

Dans le Peruaçu, la présence ou l'absence de phases de ces chaînes varie en fonction de la période considérée et du type de site ; sous abri ou en plein air. Les vestiges des abris du Peruaçu montrent quelques points fondamentaux : i) l'absence ou la rareté d'outils caractéristiques ; ii) la présence importante d'outils simples et d'outils sur bruts de débitage ; iii) l'absence ou la rareté d'éclats d'entame ou de sous-entame ; iv) la présence

78

Page 21: CHAPITRE III METHODES D’ANALYSE

Chapitre IV - L'Etude Technologique

importante des phases finales des chaînes opératoires (façonnage et retouche) ; v) l'unique type de nucléus présent, peu élaboré, sans morphologie spécifique, sans préparation spéciale. En général, celui-ci correspond bien à un certain nombre d'éclats visibles dans les niveaux. Ces observations sont valides pour toutes les périodes étudiées. Cependant, d'après le matériel de surface observé, il y a un changement dans les comportements des dernières occupations, et il est possible d’observer alors, dans les sites en général (abris et plein air) une augmentation du nombre d’outils lithiques. Ceci souligne peut-être l’arrivée de nouvelles populations. L'absence de pièces de début de débitage, comme les éclats d'entame ou de sous-entame, et de blocs plus ou moins entamés, indique que les premières phases de l’exploitation des (grands ? et moyens ?) nucléus sont réalisées hors abri. Même les phases intermédiaires ne sont guère représentées. Par exemple, des préformes d'outils ou des éclats de correction de certains défauts, ou des éclats visant à équilibrer les volumes (qui peuvent être plus épais mais en gardant toujours un certain soin), ne sont pas ou rarement observés. Ce qui existe dans les abris sont les éclats de façonnage, principalement ceux d'objets unifaciaux (les façonnages de bifaciaux sont observés plutôt dans des intervalles plus spécifiques de la stratigraphie, cf. Boquete - couche Ø/I et VIII ; cf. Buritizeiro, couche la plus profonde fouillée ; les sites de plein air tels que Olha Aqui, Antônio Cardoso) et les petits éclats de retouche et/ou d'entretien des bords. Ces observations, faites à partir des abris, précisent un cadre très classique pour le Peruaçu (tabl. 4). Ce cadre se complexifie à partir de l'introduction des vestiges de plein air.

Hors abri Dans l'abri - les premières phases du débitage - phase de façonnage - les phases intermédiaires (préformes, p. ex.) - phase de retouche et/ou d'entretien - le stockage de l'approvisionnement lithique - petits nucléus de type peu élaboré - plus de nucléus (avec méthode variée) - petits éclats utilisés bruts de débitage - abondance d’outillage en général - rareté d’outillage plus élaboré/abondance d’outils

simples Tableau 4 - les éléments présents et absents des abris : tableau classiquement observé au Peruaçu, réalisé à partir de la présence ou l'absence de produits dans les abris. Ces observations sont valables pour chaque période définie. Un seul changement vient perturber cette monotonie, quand on observe une plus grande quantité d'outils unifaciaux et bifaciaux en surface des sites. Néanmoins, cet outillage est toujours accompagné des dernières phases du débitage. L'étude des sites de plein air vient compléter les informations, mais certaines phases des chaînes opératoires de composantes plus élaborées demeurent encore mal documentées.

Enfin, un autre élément, très visible dans les sites et qui peut être confondu avec les éclats de façonnage, est une certaine classe d'éclats de petite dimension qui ont pu être produits pour être utilisés bruts de débitage. Il est parfois difficile de l’affirmer car les caractères de ces éclats débités sont presque les mêmes que ceux des éclats de façonnage. C'est d'abord la présence de nucléus permettant un rapprochement avec ce type d'éclat, parfois alliée à une absence totale d'un outillage plus caractéristique (par exemple, les outils plans-convexes épais), qui laisse penser à une production spécifique. C'est l'analyse des micro et macro-traces sur les bords qui confirme leur utilisation en tant qu'outil.

Ainsi, les abris, principalement ceux à la stratigraphie longue (Boquete, Bichos, Malhador - tabl. 3) et durant presque toute leur chronologie, présentent toujours les mêmes phases des chaînes opératoires lithiques, en général le façonnage et la retouche, principalement des unifaciaux. Le changement s'opère au moment du contact avec les Européens, quand on observe dans les sites, en abri et en plein air, une quantité importante de grands outils unifaciaux et bifaciaux.

79

Page 22: CHAPITRE III METHODES D’ANALYSE

Chapitre IV - L'Etude Technologique

Dans les sites de plein air, dont ceux associés à un abri (ch. 3, tabl. 2), la réalité est plus diversifiée : chaque site étudié offre une réalité différente des autres. Ceux en stratigraphie, tels Boquete externe (élément du complexe du Boquete) et Terra Brava, montrent un travail plus spécifique et des phases différentes de celles observées dans les abris. Dans les niveaux les plus profonds de Boquete externe (environ 9500 BP), par exemple, il a été possible de saisir les premières phases de la production des grands unifaciaux, et de noter l'absence des derniers moments. Une partie des outils façonnés ou retouchés est laissée sur place, mais comme le secteur semble être utilisé préférentiellement comme lieu de leur production, les pièces rejetées et effectivement exhumées ne correspondent pas forcément aux objets recherchés ou aux plus réussis ou aux mieux finis. Au contraire, cet outillage peut correspondre aux objets ratés, déviants [au sens de C. Chauchat 1991]. Il est donc important de garder une vision critique sur ces objets, qui donnent cependant des informations complétant celles des collections d'abri. Le deuxième site, Terra Brava, situé dans l’Holocène récent (environ 3700 BP, niveau le plus ancien), présente une toute autre réalité. On y retrouve, entre autres, une production de tous petits éclats coupants débités à partir de l'exploitation de nucléus également présents (cf. Livre B – Terra Brava). Ces pièces sont produits et utilisés sur place. Dans ce cas, nous avons une grande partie, voire l’ensemble de la production. Par ailleurs, en face de Terra Brava, dans le site d'abri Lapa do Índio (même période), la même production a été retrouvée. Les sites de surface (Olha Aqui et Antônio Cardoso) livrent d'autres informations, malgré les limites d'étude de ce type de sites (cf. livre B) : il est très probable que le matériel corresponde à un palimpseste [Gallay 1986]. Olha Aqui est ainsi un site sans doute répétitivement visité pour ses affleurements de silexite de bonne qualité. L'étude du site a permis l'analyse et la description de plusieurs types d'outils et de nucléus, ainsi que l'utilisation avérée de la percussion tendre. Dans Antônio Cardoso, la présence d'un outillage bifacial et poli est en accord avec celui retrouvé dans l'ensemble des sites de surface du compartiment du canyon, ce qui permet de renforcer et de compléter les connaissances sur les dernières populations qui ont fréquenté le secteur. Dans la plaine alluviale, les deux sites étudiés (Buritizeiro et Russinhos) laissent penser à des lieux "d'habitation", au moins comme lieu de campement saisonnier à l'Holocène moyen et supérieur : proximité du fleuve (position stratégique pour la pêche, carrefour nord-sud et est-ouest), richesse d'outillage (lithique, céramique, osseux), foyers avec restes alimentaires, abondance d'enterrements … Il reste donc à se prononcer sur quelques sites récents de plein air situés dans la zone de transition, sites visités mais non étudiés. Ces sites (Virgulino et Campo de Futebol), offrent peut-être une partie de la clé des occupations du bassin. Nous avons pu y observer des pièces bifaciales et des percuteurs, au sein d’une quantité importante de céramique peinte (Tupiguarani). Surtout, nous avons observé des restes de grands foyers de plus de 10 m. Ces sites sont dans un secteur stratégique, à mi-chemin entre la haute vallée et le canyon. Les vestiges du premier se retrouvent sur une aire assez plane (actuellement terrain de football) et ceux du second à mi-pente du versant d'une colline située en face. Ces deux sites sont à proximité de la rivière, et entourés de divers biomes (forêt-galerie, forêt de palmiers/Buritizeiro, lambeaux de caatinga et de cerrado). Cette zone est l’une des plus riches en matière lithique. La question est de savoir s'il s'agit de hameaux permanents (aldeias) ou de simples campements. La réponse dépend bien entendu des fouilles. A partir des résultats obtenus dans chaque type de site, il est possible de suggérer que pour toutes(s) les période(s) étudiées, les outils unifaciaux et bifaciaux sont apportés déjà débités dans les sites d'abri. Seules les phases de retouche et de façonnage sont réalisées dans les abris. Puis cet outillage "lourd" est emporté ailleurs, probablement dans les sites d'habitat. Les

80

Page 23: CHAPITRE III METHODES D’ANALYSE

Chapitre IV - L'Etude Technologique

premières phases de débitage sont réalisés sur les gîtes de matière première, en général des sites de plein air. On peut envisager : - une première phase, rapide, sur l'affleurement ou dans les gîtes : tests de blocs, débitage à la percussion directe dure et choix de grands éclats plus ou moins corticaux qui serviront de support à de grands outils, et peut-être aussi de nucléus petits à moyens. Peut-être y effectue-t-on aussi les premières phases de mise en forme de l'outillage (enlèvements partiels du cortex …) - une deuxième phase, plus longue, se déroule dans les abris ou dans d'autres types de sites de plein air, comme les campements prolongés. Il s'agit de donner le volume désiré aux objets (phases de façonnage et de retouche) : séries d'éclats plus ou moins longs, peu épais, réalisés au percuteur dur ou tendre, généralement à talon lisse pour ceux qui proviennent d’outils unifaciaux. Les premiers éclats peuvent présenter une face supérieure complètement corticale (sauf le talon), mais la majorité est sans cortex. En général, l'outillage analysé comporte principalement ces deux phases. - une troisième et une quatrième phases peuvent être envisagées pour les pièces plus élaborées telles certaines pièces foliacées. Pour amincir la pièce, de petits éclats fins, envahissants et/ou couvrants, sont détachés avec un percuteur tendre. Une finition est réalisée à la pression. Ces opérations, très longues, sont réalisées éventuellement dans les abris ou dans des aires spécifiques des sites d’habitat (nous n’avons pas encore retrouvé ces dernières). Enfin, l'unique type de nucléus présent dans les abris (toutes périodes confondues) est celui correspondant à une recherche rapide de produits simples, utilisables immédiatement. Ceci correspond bien aux produits retrouvés sur place : des éclats petits à moyens devant être utilisés bruts de débitage ou légèrement transformés en outil simple. Les nucléus plus complexes sont en général dans les sites de production lithique (cf. Olha Aqui, livret B). 4.3 - Les méthodes de débitage La méthode désigne le mode d’agencement des enlèvements dans l’espace et dans le temps, selon une démarche systématisée et plus ou moins raisonnée [Pelegrin 2005a]. Les méthodes de débitage mises en œuvre dans l'ensemble des sites étudiés nous échappent en partie, car pour certaines classes d'objets (pointes de jet ou unifaciaux plats, par exemple), les chaînes opératoires sont incomplètes : absence des nucléus (tout au moins à ce stade d’exploitation), manque des premières phases, pièces apportées dans les sites déjà achevées ou presque. Cependant, ces manques de certaines séquences n’empêchent pas de les reconstituer, plus ou moins précisément. L'observation approfondie des nucléus disponibles et des différents éclats bruts et supports, montre la dominance d’une méthode de taille unipolaire, uni-séquentielle (à partir du même plan de frappe) ou pluri-séquentielle (en plusieurs séquences marquées d’un changement du plan de frappe). D'autres méthodes identifiées viennent compléter cette principale. Les méthodes les plus courantes sont : - ouverture d'un plan de frappe large, lisse ou ravivé, pour enlever des séquences unipolaires longues et/ou courtes, larges ou étroites, rendant compte d'éclats allongés, étroits ou plus larges, qui peuvent être peu épais, face supérieure à négatifs dans le sens du débitage, semi-

81

Page 24: CHAPITRE III METHODES D’ANALYSE

Chapitre IV - L'Etude Technologique

corticaux ou non (dans le cas de supports de grands unifaciaux, il s'agit de gros éclats d'entame) – fig. 38a.

Figure 38 – les méthodes de débitage.

Les nucléus qui correspondent à ce type de débitage sont retrouvés dans les niveaux profonds de Boquete externe (environ 9500 BP), ainsi qu’en surface à l’exemple du site de Olha Aqui. Cependant, si l’enlèvement d’éclats épais (transformés ensuite en unifaciaux) peut être observé dans les deux sites, les éclats minces et allongés ne sont observés que dans Olha Aqui. Ces éclats sont ensuite utilisés bruts de débitage. - ouverture de deux plans de frappe opposés (nucléus bipolaire – fig. 38b) pour enlever des produits courts, plus rarement longs, principalement larges, qui rendent compte d'éclats dont la face supérieure présente des négatifs dans des sens opposés (semi-cortical ou non). Quelquefois on observe des plans de frappe périphériques. Les surfaces de percussion sont assez plates.

82

Page 25: CHAPITRE III METHODES D’ANALYSE

Chapitre IV - L'Etude Technologique

Malgré l’absence des nucléus mêmes, les éclats sont là pour attester que ce type de méthode était présent tout au long de la stratigraphie du bassin. - ouverture d'un plan de frappe large, lisse (plus rarement ravivé) à partir duquel s'organisent des séries d'enlèvements unipolaires, ainsi que quelques épisodes successifs à partir des plans de frappe périphériques, qui rendent compte de nucléus qui, au moment de l'abandon, tendent aux formes sub-circulaires ou encore informe (fig. 38c). Leurs produits sont des éclats non stéréotypés plus ou moins larges, semi-corticaux ou non, avec des négatifs en plusieurs sens sur la face supérieure : unipolaire "bombé", évoluant en nucléus centripète. Ce sont les plus courants dans les sites d’abris. Ils sont présents tout au long de la stratigraphie. Ce type de nucléus correspond aux éclats de petite à moyenne dimensions utilisés bruts de débitage ou légèrement transformés. En général, le cortex présent sur les nucléus (partie distale, flanc) démontre que ces derniers n’ont pas été beaucoup plus grands. Cependant, certains, sans cortex, ont pu être bien plus grands et avoir une morphologie différente. Ceux-ci ont pu être à l'origine d'éclats de dimensions plus importantes. Certaines méthodes, plus particulières, observées à l'Holocène supérieur (Terra Brava), rendent compte de petits éclats sub-circulaires à tranchants aigus très coupants (fig. 38d). A partir de l'installation d'un plan de frappe préférentiel, une série d'enlèvements unipolaires courts est réalisée sur le front et sur les flancs du nucléus. Puis, des plans de frappe périphériques sont aménagés. Une variante dans cette production présente un "procédé" spécifique : il s'agit d'un détachement d'un ou deux petits éclats sur le même secteur, l'un après l'autre, avant le débitage de l'éclat support lui-même. Le résultat est un talon en aile d'oiseau, des éclats arrondis avec une partie proximale en "creux" (cf. Livret B, Terra Brava, fig. 187). D'autres méthodes ont été utilisées à l'Holocène moyen et supérieur, pour débiter les galets et produire des éclats à flancs corticaux et coupants à partir d'une exploitation d'un "front de production" (cf. Buritizeiro – fig. 38f, 38g), ou encore en surface, pour débiter le quartz hyalin (cf. Olha Aqui – fig. 38e). Les méthodes observées peuvent être intégrées dans des productions plus ou moins élaborées. On peut les classer en 3 grandes catégories : Non élaborée - les nucléus n’ont pas de morphologie spécifique, de préparation spéciale ou de hiérarchie de surface ; - choix du plan de frappe en rapport avec la morphologie du bloc. Il n'y a pas de contrôle géométrique ; - absence d'enlèvements prédéterminés ou prédéterminants, même si l’on reconnaît des séquences unipolaires longues, courtes ou centripètes ; - l’accident rebroussé est fréquent. Peu élaborée - hiérarchisation des surfaces de débitage et organisation d’enlèvements non retrouvés sur l'ensemble précédent ; - les éclats peuvent être plus normalisés (la majorité ne le sont pas), sans accidents ou peu d’accident ; Ceci peut traduire une volonté de produire des éclats avec une certaine "prédétermination", c’est-à-dire une recherche spécifique et non un débitage aléatoire, au moins pour certains

83

Page 26: CHAPITRE III METHODES D’ANALYSE

Chapitre IV - L'Etude Technologique

d’entre eux (plutôt allongés pour les nucléus unipolaires longs, plutôt larges et courts pour les unipolaires courts et les bipolaires, plutôt minces pour les nucléus faciaux) ; Plus élaborée (peut-être) - production d'éclats avec une prédétermination et dans un but spécifique de les transformer en un certain type d'objet, lui-aussi plus élaboré (pointe de jet transformée par pression, unifacial plat ou plan-convexe transformés par percussion directe tendre). Ces méthodes sont mal documentées : au vu des supports, on peut inférer par exemple un début de débitage unipolaire long tournant sur gros bloc pour la production de supports à outils plans-convexes épais. Mais il peut s’agir aussi de simples débuts de débitage non élaborés ; juste 2 ou 3 larges éclats ensuite essentiellement façonnés. - production d'éclats plus stéréotypés : sub-circulaires et peu épais, à tranchant coupant périphérique utilisés bruts de débitage. En général, le niveau de prédétermination du débitage reste faible. La transformation des supports est également très simple. Globalement : les produits finaux ne sont pas très éloignés des supports de départ. Cependant, on verra ultérieurement (cf. 4.5) qu’il y a une recherche de produits spécifiques qui serviront de support à certains types d’outils. 4.4 - Les techniques de débitage La principale technique de débitage observée dans les séries analysées est la percussion directe dure, dans quasiment toutes les phases des chaînes opératoires. Le but essentiel de la production est le détachement d'éclats, de loin ce qui se pratique le plus souvent dans les sites étudiés, quelle que soit la période. Les stigmates les plus communs relevés sur les pièces sont un talon épais et large, avec point d'impact bien concentré au vu d’une fissuration souvent complète de petit diamètre, bulbe bien marqué parfois avec sillons latéraux (bulbe plus ou moins détouré ; cf. Inizan et al. 1995). Les percuteurs les plus utilisés, à toutes les périodes, sont principalement les galets de rivière à néo-cortex peu épais, les blocs décortiqués et les nucléus en fin d'exploitation. Le grès et le calcaire sont aussi utilisés, mais il est délicat de différencier l'utilisation de la pierre dure de celle de la pierre tendre. Cette voie reste à développer. Un deuxième type de percussion a été observé : la percussion directe tendre, très probablement végétale. Les grandes quantités et variétés de bois végétaux disponibles, avec plusieurs degrés de dureté et densité, font soupçonner leur utilisation plutôt que celle d'un bois animal, c’est-à-dire de cervidé comme cela est attesté au cours du Paléolithique et du Néolithique en Europe. De plus, l'expérimentation réalisée avec les roches et les bois végétaux du Peruaçu a autorisé la comparaison et a soutenu la lecture technologique. Il est clair que le bois animal a pu éventuellement être utilisé sans qu'on puisse l'identifier, mais il ne faut pas oublier que les cervidés du cerrado n'offrent généralement pas de grands bois comme les cervidés d'Europe. D'ailleurs, les pointes et les spatules organiques exhumées sont toutes réalisées en os, aucune en bois animal, ce qui suggère que ce dernier matériau a été généralement négligé. La percussion tendre intervient durant certaines phases de façonnage et de retouche. Parmi les stigmates définis par Pelegrin [1997, 2001, 2005a], les plus fréquents dans les séries analysées sont un talon peu épais, avec point d'impact diffus sans fissuration concentrée, bulbe diffus ou peu proéminent sans cône de percussion, l'abrasion fréquente et persistante, la lèvre régulière en arrière du talon, la minceur des éclats.

84

Page 27: CHAPITRE III METHODES D’ANALYSE

Chapitre IV - L'Etude Technologique

Une troisième technique de détachement de petits éclats a pu être observée : il s'agit de la pression, utilisée pendant la phase de façonnage/retouche de pointes de jet, retrouvées dans les sites de Boquete (cf. Boquete niveau VIII, début de l'Holocène) et de Buritizeiro (cf. Buritizeiro, Holocène moyen). Une quatrième technique est la percussion appuyée sur enclume, bien présente dans les sites plus récents de l’Holocène (Terra Brava, Índio, …), mais aussi mise en évidence dans les niveaux de l’Holocène moyen de l’Abri de Malhador [Schlobach 2000]. Il s’agit d’une fracture conchoïdale par percussion oblique, sur pièces posées sur enclume. Les stigmates laissés sur les pièces sont une surface dont on remarque assez fréquemment le point d'impact, et surtout le négatif d'un réfléchissement sur la partie distale de la surface d'éclatement. Ce dernier correspond à l'opposition créée par l'enclume qui contrarie la force exercée par la frappe. Eventuellement, selon J. Pelegrin (comm. pers.) l’appui peut être en bois : dans ce cas, le stigmate de contact distal est plus discret. Cette technique est utilisée pour détacher des éclats « en tranches » de nodules ou galets allongés de section circulaire, éclats dont le ou les bords abrupts (90°) sont utilisables à l’état brut pour racler efficacement des matières organiques. Par ailleurs, certaines pièces de Terra Brava résultent d’une percussion verticale sur enclume déterminant une fracture en split", selon le mécanisme de l’esquillement. Pour résumer, la percussion directe dure est la technique la plus utilisée tout au long de la stratigraphie du nord de Minas Gerais. Dans les chaînes opératoires plus simples, elle est utilisée dans toutes les phases. Dans les chaînes plus élaborées, on peut observer un changement technique au sein des dernières phases, de façonnage et/ou de retouche. Dans les abris, la percussion directe tendre est assez souvent utilisée pendant les premières occupations (environ 12000-10000), avant de se faire plus rare. En revanche, dans les sites de plein air, on l’observe à partir de 6000 BP et jusqu’aux industries de surface. La retouche par pression est notée pendant les premières occupations (abri de Boquete) et plus tard à environ 6000 BP (site de Buritizeiro). La percussion sur enclume est observée à partir de Holocène moyen et jusqu’aux dernières populations. 4.5 - Les transformation de certains supports en certains outils Y-a-t-il eu une sélection de certains supports pour les transformer en certains outils ? Quels sont les degrés de transformation de ces supports ? Les préhistoriques du Peruaçu ont utilisé différents supports pour réaliser leur outillage (tabl. 5) : i) des supports débités, tels que les lames, les éclats et leurs fragments, les débris de débitage ; ii) des supports bruts, tels que les plaquettes, les galets, les cristaux de quartz ou les blocs . Ces choix de support ont changés de manière plus ou moins évidente au long des occupations. Ces changements sont des indices pour caractériser les industries et les classer dans des ensembles techno-morphologiques. Globalement, les grands éclats épais, détachés de blocs roulés en surface ou de grands galets de rivière, sont observés durant toute la colonne stratigraphique (fig. 26). Quand l’objet lui-même est absent, l'identification de phases de façonnage ou de retouche prouve sa réalisation. Les éclats peu épais, avec un certain degré de pré-détermination, transformés en unifaciaux,

85

Page 28: CHAPITRE III METHODES D’ANALYSE

Chapitre IV - L'Etude Technologique

sont bien individualisés pendant les premières occupations (Pléistocène/Holocène). Les supports de bifaciaux foliacés, sont identifiés à des moments précis pendant l’Holocène ancien, moyen et en surface. Les lames ou les éclats allongés peu épais, assez normalisés, utilisés bruts de débitage, sont observés seulement en surface. En revanche, l’outillage simple, taillé sur n’importe quel produit de la chaîne opératoire, et qui accompagne cet outillage plus "élaboré", est remarqué toute au long de la stratigraphie et dans tous les sites étudiés.

Supports débités Supports bruts

Grands éclats épais de début de débitage

(avec ou sans cortex)

Unifacaux plus ou moins

épais. Eventuellement pièces à

retouche bifacial

Galets ovoïdes (moyen à grand)

Pièce à retouche bifaciale peu transformée

sur les bords

Eclat peu épais, plein débitage

avec une certaine pré-détermination

Unifaciaux aplatis ;

Unifaciaux peu épais à section plan-convexe

Plaquettes

Pièce à retouche biface peu épaisse ;

Eclats allongés

de plein-débitage ( ?) (épaisseur ?)

Pointe de jet foliacée

(bifaciale)

éventuellement pièce unifaciale

Eclat petit à moyen de

début ou de plein débitage, dimensions

diverses ; Leurs fragments ;

Débris de débitage ; Cassons

Outil simple

Bloc en calcaire

Quebra-côco

Petit à moyen éclat début ou plein débitage (éventuellement grand) plus au moins normalisé

Outil utilisé

brut de débitage

Cristaux de

quartz

Petits éclats probablement utilisés

bruts de débitage ; Grands éclats supports

de point de jet ( ?)

Lames ;

Moyen à grand éclat allongé

(peut épais, plein débitage, normalisé)

Outil utilisé brut de débitage (couteau allongé)

Tableau 5 - les choix de supports pour réaliser l’outillage dans le nord de Minas Gerais : une grande variété de supports a servi de base aux industries de la région. Il faut ajouter à cette liste les supports de lames polies de hache. Concernant les supports bruts, les plaquettes transformées bifacialement n'ont été observées qu'en surface des sites de plein-air. Cependant, il est possible que de nouvelles fouilles dans ce type de site, démontre une utilisation plus ancienne. Les galets transformés directement en pièces à retouche biface, sont observés en sub-surface et en surface. Les blocs calcaires sommairement transformés en quebra-côco, sont présent depuis les premières occupations jusqu’aux dernières.

86

Page 29: CHAPITRE III METHODES D’ANALYSE

Chapitre IV - L'Etude Technologique

Les pièces polies sont observées en sub-surface et en surface. Elles ne sont pas traitées dans cette thèse. Malgré cette diversité, il est clair que le support le plus souvent utilisé, pendant toute les périodes, est, de loin, l'éclat de débitage, de dimension et de forme variées. Globalement, deux classes d’éclats peuvent être distinguées : ceux qui ont servi de supports aux grands bifaciaux et unifaciaux longuement ravivés et les simples éclats peu retouchés ou utilisés bruts de débitage. Si pour les premiers, les supports ont une tendance allongée, pour les outils peu retouchés, les supports offrent des formes très variées. On observe une recherche, dans les outils simples ou bruts de débitage, d'un angle abrupt formant un dos, naturel ou brut de débitage, opposé à un angle aigu. Ces formes renvoient volontiers au travail de grattage et de coupe du bois et de fibres végétales, ce que les résultats des analyses tracéologiques confirment. C'est d'ailleurs l'étude tracéologique qui est à la base de la détermination de l'outillage sur support brut de débitage (traces et/ou macro-traces distinguées sur les bords). Pour illustrer cette utilisation, citons le travail de A. Laming-Emperaire et J. Loureiro sur les Xétas [Loureiro 1963 ; A. Laming-Emperaire 1964] : chez les derniers Indiens du Paraná rencontrés par ces auteurs, on observe une utilisation de petits éclats à tranchant aigu utilisés pour couper et régulariser des bandes de feuilles de palmier pendant la confection de vanneries. Une observation concernant les transformations réalisées sur les pièces, mérite d’être évoquée. On distingue deux degrés de transformation des pièces façonnées: - a) d’une part, i) les unifaciaux plus ou moins épais, plus grossièrement façonnés et ii) les unifaciaux, moins épais, plus façonnés ; - b) d’autre part, i) les pièces bifaciales épaisses plus grossières, peu retouchées et ii) les pièces foliacées longuement façonnées et transformées en point de jet. L’examen de plusieurs outils unifaciaux permet une réflexion sur les différentes morphologies de ces objets. La lecture technologique montre qu’il ne s’agit pas toujours d’exemplaires normalisés d’un modèle défini : face inférieure incomplète, parfois très réduite, sans la convexité qui rejoint les bords de l’objet, bords très abrupt, nombreux accidents sur la face supérieure, etc. De fait, ces pièces correspondent à des stades différents de leur utilisation et de leur restructuration : elles sont l’expression de différentes étapes d’une stratégie globale de gestion ou d’utilisation de l’objet. Il en résulte, comme cela fut déjà souligné, des outils plus ou moins grands, plus ou moins larges, à bords de plus en plus abrupts jusqu’à l’abandon, quand il n’y a plus d’angle pour un ravivage ou pour une utilisation adéquate. On peut intégrer à cette discussion, la notion de "pièce déviante" [Chauchat 1991], c’est-à-dire de certaines pièces, retrouvées dans les sites, qui ne correspondent pas au modèle mental pré-défini. C'est le cas, par exemple à Boquete externe, des pièces qui, malgré des caractères les situant dans un modèle unifacial plan-convexe, présentent un taux trop élevé de rebroussés qui les écarte de la norme établie et en conséquence, elles sont abandonnées. S’agit-il d’un processus d’apprentissage ? Il faut toujours penser qu’autour des tailleurs, il devait y avoir des enfants ou des adolescents avec l’envie d'apprendre. Dans le cadre de cet apprentissage, il était nécessaire de répéter le geste dans le but d’acquérir l’habilité motrice, ce qui devait produire des pièces déviantes. Trois points méritent d’être rappelés : - Sur quelques outils, il a été possible d'établir une recherche spécifique du support. Des préférences apparaissent : certains outils ont été fabriqués à partir d'éclats aux caractéristiques plus ou moins précises (allongés, plus ou moins épais, éclats de début de débitage …).

87

Page 30: CHAPITRE III METHODES D’ANALYSE

Chapitre IV - L'Etude Technologique

Cependant, ces particularités ou ces règles de choix observées ne constituent qu’une "économie du débitage" assez floue. - Ces supports sont transformés à différents degrés, en caractérisant des ensembles morpho-technologiques distincts, et à des périodes différentes. Parfois ils s’agit de deux ou trois phases pour mettre en forme une morphologie et un volume désirés. D’autres fois les transformations sont réduites à quelques secteurs et d’autres fois encore, ils sont utilisés sans aucune modification. - Dans l’ensemble, les pièces unifaciales sont dans des états techniques différents ; il faut donc les regarder avec une vision critique pour tenter de discerner qu’est-ce qu’une pièce "déviante", une pièce abandonnée par manque de possibilités techniques, une pièce correspondant au modèle désiré à une "forme acceptable" ? 4.5.1 – Des tailleurs spécialisés ? On observe, dans l’ensemble des site étudiés, deux voire trois niveaux de savoir-faire qui, quand ils sont identifiés dans une même période, conduisent à certaines réflexions. Ces niveaux peuvent être identifiés dans : 1) la réalisation de pièces simples, utilisées bruts de débitage ou sommairement travaillées pour créer un bord abrupt ou plus aigu. Ce type d’outil ne demande pas une connaissance importante de la taille. Il résulte de solutions simples pour l’obtention d’un outillage peu systématisé, qui doit répondre aux besoins quotidiens ou diligents. D’ailleurs ils correspondent en partie aux nucléus peu élaborés, retrouvés dans les abris. La matière première est de qualité très variable pour la taille, de bonne à mauvaise. Ces outils sont présents tout au long de la stratigraphie, dans chaque niveau fouillé ; 2) une chaîne opératoire un peu plus élaborée que la première, avec deux voire trois changements d’opérations (débitage, façonnage, retouche) pour l’obtention d’outils unifaciaux, généralement de section plan-convexe. Le choix de la matière première est assez variable. Les pièces sont réalisées sur des roches plus ou moins homogènes ; 3) et une chaîne opératoire, particulièrement coûteuse, avec deux, voire trois changements de techniques (percussions dure, tendre et pression) pour réaliser des pointes de jet, sur une matière première très homogène, parfois exogène et apte à la taille. Cette industrie, à certaines périodes de la stratigraphie (Holocène ancien et moyen), est suivie d’une production d’unifaciaux aussi élaborés, avec façonnage et/ou retouche à la percussion tendre. Ces observations suggèrent des chaînes opératoires qui se côtoient et s'opposent. La réalisation d’un outillage simple, non-élaboré, doit répondre aux besoins quotidiens ou immédiats, et, principalement, il doit être réalisable par n’importe quel membre de la communauté. Les chaînes opératoires non-élaborées sont réductibles à des formules simples. D’après Pelegrin [2005b], leur registre d'action élémentaire est pauvre, sans savoir-faire ni possibilités de choix. Elles ne présentent pas de prédétermination. Parallèlement, il existe une industrie moyennement élaborée, comme certains unifaciaux ou bifaciaux, ou encore très élaborée, telles les pointes de jet. Ces dernières indiquent un haut niveau de savoir-faire, demandant un travail coûteux à plusieurs étapes, dont le produit final est morphologiquement distinct des supports de départ. Ceci demande, en revanche, des tailleurs entraînés, donc spécialisés. D’après Pelegrin [2005b], les chaînes opératoires élaborées comprennent généralement de nombreux enlèvements, réalisés par une succession d'étapes avec des changements d’opération (débitage, façonnage, retouche, etc) et/ou de technique (percussion dure, tendre, pression). Chaque étape correspond à une intention, liée à

88

Page 31: CHAPITRE III METHODES D’ANALYSE

Chapitre IV - L'Etude Technologique

des formes idéales, estimées souhaitables ou correctes, ce qui correspond explicitement au stockage d’images mentales, en absence du modèle physique lui-même. Il s’agit d’un savoir-faire "idéatoire", pour associer les actions élémentaires, analyser la situation et adoptées des suites possibles, mais aussi d’un savoir-faire sensorio-moteur, lié à l’exécution de gestes. La taille est faite de successions de gestes rapides qui ne sont pas contrôlables par la vue. En conséquence, il faut que les gestes soient programmés, ce qui permet d’ajuster les mouvements du tailleur. Ceci nécessite un long apprentissage pour devenir essentiellement inconscient, mais pas automatique, car il y a toujours besoin d’une appréciation visuelle extérieure. Il s’agit donc d’une part, de connaissances, d’autre part de savoir-faire. L’acquisition naturelle par observation de formes et d'actions d’autres tailleurs expérimentés, correspond à la connaissance visible et transmissible. Le savoir-faire, quant à lui, est implicite, pas imitable et correspond à une pratique personnelle. Ces constats amènent à imaginer la présence d’individus plus spécialisés au centre de la communauté. Nous sommes tentée d'évoquer une "division sociale du travail". On peut envisager un groupe spécialisé dans la production d'un outillage élaboré à un excellent niveau de savoir-faire (sans qu'on sache pour autant à quelle échelle : moyenne ou grande production), en opposition aux autres tailleurs non spécialisés, qui résolvent leurs besoins quotidiens à partir d’un débitage simple et peu sophistiqué, immédiatement utilisable, sans adéquation du support à des concepts prédéterminants. Ces conclusions peuvent paraître fragiles, et méritent sûrement d’être soutenues par une vision plus régionale qui permettrait sans doute une caractérisation des industries à partir de collections plus grandes, telles celles de Serranópolis. Néanmoins, il nous semble important de les proposer pour pouvoir réfléchir et ainsi apporter quelques éléments à la compréhension de ce problème. Nous sommes consciente que pour évaluer des savoir-faire, une comparaison entre collections archéologiques ou une série d'expérimentation par comparaison du corpus à un ensemble archéologique, sont des démarches bienvenues.

4.5.2 - Les modalités de la retouche Contrairement aux méthodes de débitage, les techniques de retouche ne sont pas très variées : tout au long de la stratigraphie, on observe la percussion directe dure et la percussion directe tendre. Cependant, comme nous l’avons vu plus haut (cf. 4.4), pendant les premières occupations (début de l’Holocène) et pour certains objets plus élaborés tels que les unifaciaux plats et peu épais par exemple, on observe une utilisation plus fréquente de la percussion tendre. Du fait que l'utilisation de la pression reste très rare, il est difficile de saisir sa place dans ces industries et au long de la stratigraphie. On note cependant que les rares exemplaires (pointes de jets de Boquete et de Buritizeiro) qui présentent ce type de retouche sont des pièces foliacées. Ils sont présents dans les premiers moments d’occupation, puis à l’Holocène moyen (environ 6000 BP), ainsi qu’en surface. L'emploi des deux premières techniques au sein de l'outillage permet de dégager quelques tendances : plus particulièrement la morphologie, le plus souvent écailleuse et scalariforme, plus rarement semi-parallèle. Les objets unifaciaux moins épais et/ou aplatis (début de l’Holocène), sont ceux qui portent le plus souvent les retouches sub-parallèles, installées dans des secteurs réduits (tels que les extrémités) ou sur toute la longueur d'un des bords latéraux. Les pièces foliacées portent des retouches couvrantes, rasantes. Cependant, dans la majorité des cas (au long de la stratigraphie), les pièces sont délinéées par une retouche courte, plus rarement envahissante, essentiellement directe, abrupte ou semi-abrupte, plus rarement rasante, réalisée par percussion directe dure, mais probablement aussi

89

Page 32: CHAPITRE III METHODES D’ANALYSE

Chapitre IV - L'Etude Technologique

(et moins fréquemment) par percussion directe tendre. Cependant, la régularité de certains bords [Binder 1987] évoque un soin plus important (pièces plus élaborées du début de l’Holocène, ainsi que l’unifacial de Buritizeiro à l’Holocène moyen), avec probablement une abrasion systématique et un contrôle de l'inclinaison et de la délinéation du bord transformé. Les unifaciaux les plus épais, présents tout au long de la stratigraphie, sont affectés principalement de retouches écailleuses et/ou scalariformes, plus rarement semi-parallèles, courtes ou plus longues, plutôt profondes, directes, parfois inverses, probablement réalisées par percussion directe dure. La régularité des bords est moins évidente sur ces pièces : certaines sont assez régulières et d'autres beaucoup moins, avec une délinéation plus "denticulée" des bords. Il arrive que la face inférieure de certains unifaciaux soit aménagée par quelques retouches inverses, principalement dans les secteurs "actifs" de l'outil. Cette opération limitée est interprétée comme un aménagement ou une rectification du bord ou de la face inférieure, qui ne suffit pas à classer l'objet dans une catégorie d'outils à retouche bifaciale, l’intention restant d'aménager légèrement ou de régulariser la face plane. Les plaquettes, plutôt rares dans cette industrie, présentes en surface ou sub-surface, n'ont pas fait l'objet d'un grand investissement dans la retouche. Généralement, les pièces présentent quelques enlèvements courts, abrupts ou rasants, souvent discontinus. Une seule fois, une plaquette a été travaillée sur les deux faces alternativement : l'investissement technique a donc été légèrement plus important. Quant aux outils simples, les plus courants dans toutes les séries étudiées quelque soit le moment de la stratigraphie, ils portent des retouches scalariformes ou écailleuses, rarement semi-parallèles, directes ou inverses. Les secteurs choisis dépendent assez souvent de l'inclinaison recherchée : abrupte, semi-abrupte ou rasante, probablement liée à l'utilisation de l'objet. Quelques encoches et denticulés (plus ou moins réguliers) peuvent être observés dans ce groupe. En général, l'accident le plus commun sur les négatifs est le rebroussé plus ou moins profond. Plus rarement, on note des stigmates de l'accident en Siret. Quelques paramètres expliquent les rebroussés : une force de frappe mal contrôlée, un coup porté trop profondément, un mauvais contact sur le bord mal préparé ou par le percuteur dégradé, ou encore à cause d'une surface de détachement irrégulière [Tixier 1978 ; Roche et Tixier 1982 ; Inizan et al. 1995 ; Pelegrin 2004], mais on ne peut attribuer cette fréquence d'accidents aux percuteurs seuls. La grande richesse de matière première dans les compartiments est applicable aussi aux percuteurs. Les pièces à retouche bifaciale, grossièrement façonnées (fig. 39, groupe 4), sont transformées par percussion directe dure et aussi, probablement, par percussion directe tendre. La phase de retouche vient clore le travail de façonnage de la pièce. En général, la retouche est courte, écailleuse ou scalariforme, beaucoup plus rarement semi-parallèle, assez souvent avec rebroussé bien marqué (l'accident Siret est plus rare). Les tranchants peuvent être plus ou moins abrupts. Cette variation peut être liée à la fonctionnalité des différentes parties de l'objet. Les parties supposées actives, situées fréquemment dans le secteur distal de la pièce, présentent plutôt une inclinaison rasante ou semi-abrupte (couper, trancher). Les parties mésiale et proximale sont plutôt abruptes (ou semi-abruptes), peut-être à cause de l'emmanchement (probablement sur un support en bois, comme pour les lames polies). La fracture en languette supérieure est plus fréquente sur les éclats minces détachés à la percussion directe tendre (on l'identifie assez fréquemment sur les éclats du début de l’Holocène). Il s'agit d'une fracture proximale, réalisée au moment du détachement : l'éclat subit une contrainte de flexion relativement importante dans la partie proximale. Le fait qu'il

90

Page 33: CHAPITRE III METHODES D’ANALYSE

Chapitre IV - L'Etude Technologique

soit mince facilite la cassure. La compression axiale détermine l’allongement de la languette [Pelegrin 2005a]. Un deuxième type d'accident en languette supérieure concerne les outils unifaciaux cassés en flexion dorsale (assez fréquent en sub-surface et en surface). Cet accident peut se produire pendant le ravivage direct du front ou à la rigueur pendant l'utilisation : la direction de la force imprimée par un certain type de mouvement (grattage ou plutôt frappe) vient étirer la face inférieure et comprimer la face supérieure, provoquant la cassure en languette supérieure [Pelegrin 2005a]. On note une relation, même ténue, entre quelques types d'outils recherchés et quelques supports ayant pu servir de base pour leur réalisation : tous les grands unifaciaux sont confectionnés sur des éclats épais de début de débitage avec plus ou moins de cortex. Les unifaciaux d'épaisseur moyenne peuvent aussi être rapprochés d'éclats de début de débitage. Les unifaciaux, minces, allongés, bien réguliers, et ceux peu épais de section plan-convexe sont réalisés sur des éclats allongés de plein débitage. Les pointes foliacées sont réalisées, très probablement, sur de grands éclats (les volumes de départ nous sont inconnus). Les outils bifaciaux épais proviennent de supports plus diversifiés mais toujours allongés : des blocs, des galets, des plaquettes ou des éclats, plutôt de début de débitage. 4.5.3 - Les groupes d'outils Tous ces caractères distinctifs permettent de définir différentes composantes lithiques présentes tout au long de la stratigraphie du bassin. Malgré la simplicité des industries du Peruaçu, comme nous l’avons vu, certaines pièces sont plus spécifiques, plus choisies et parfois avec une certaine prédétermination dans les gestes techniques. De ce fait, elles ont le poids le plus lourd d'intention (consistance, spécificité) et donc elles sont les plus chargées de valeur distinctive culturelle [Pelegrin, 1995]. Cependant, globalement, il est délicat de parler d'industrie complexe [Tixier 1967 ; Pelegrin 2004, 2005a] et de la charge des composants culturels au Peruaçu. Les industries sont plutôt simples : en général l'outil fini ne s'éloigne pas beaucoup de la forme initiale, sauf, bien sûr, à de rares exceptions telles les pointes et, d'une manière moins évidente, les outils unifaciaux du tout début de l'occupation (unifaciaux aplatis). Les étapes des chaînes opératoires sont marquées par peu de/aucun changement technique. En général, les pièces ne comprennent pas beaucoup d'enlèvements et les produits finaux sont lisibles directement, donc très proches du produit de départ. C'est le cas de la majorité des unifaciaux présents dans les séries étudiées. Les "concepts" [Pelegrin 1995, 2004 ; Inizan et al. 1995] de l'outillage sont fréquemment très sommaires : il y a une sélection des supports, puis une "gestion" de l’outillage qui reste toujours élémentaire. Le choix n'atteint pas un degré technique ou technologique très fin. La majorité des nucléus confirme largement la question, car ils n'ont pas de caractères très organisés, et c'est souvent la morphologie du bloc qui guide le débitage. On note par exemple, sur de la matière de très bonne qualité pour la taille, des traces de maladresse : plusieurs marques de coups ratés sur quelques centimètres autour d'un point d'impact. On observe aussi, sur les éclats, des signes de négligence et d'insuffisance dans la préparation : il y a de l'abrasion, mais pas suffisamment, et en conséquence l'accident rebroussé est assez souvent présent. D'ailleurs, cet accident est répété constamment dans les industries en général, et sur certaines pièces en particulier, ce qui indique un manque de patience, une persistance dans l'erreur et l'absence de préoccupation pour la corriger [Pelegrin 2005a]. En partie il est possible de penser que nous sommes devant des apprentis. Cependant, il nous paraît difficile, qu'à certaines périodes, la grande majorité des vestiges laissés sur place corresponde au travail de jeunes apprentis. Ces observations nous amènent plutôt à penser à la

91

Page 34: CHAPITRE III METHODES D’ANALYSE

Chapitre IV - L'Etude Technologique

question de l'habileté des tailleurs. L'habileté est soulignée par des réactions adaptées à l'accident de taille, pour ne pas l'aggraver (ce qui n'est pas toujours le cas au Peruaçu). Ces observations nous semblent donc plutôt propres à discuter la question du degré de spécialisation des tailleurs, et plus globalement de la place et de l'évolution de l'industrie lithique au sein de ces sociétés (cf. ch. VI - 6.2). Comme nous l'avons vu dans le chapitre précédent, globalement, les niveaux de savoir-faire observés dans la stratigraphie culturelle du nord de Minas Gerais, semble démontrer une division entre des tailleurs spécialisés et d'autres non spécialisés (cf. 4.5.1). Enfin, l'industrie analysée est principalement élémentaire : il s'agit d'images mentales de formes très simples, et donc peu spécifiées, ou "floues" [Pelegrin 1995, 2004]. De plus, le choix de matière première est vaste, le débitage est peu ou pas prédéterminé, le tri d'éclats est sommaire, la transformation de l'outil est réalisée en quelques étapes. Tous ces éléments sont visibles quand on observe, dans chacune des séries, une répétition monotone : quasiment toujours les mêmes phases sont laissées dans les sites d'abri, quelle que soit l’époque (quelques pièces de début de débitage, d'autres de plein débitage et la majorité correspondant à des phases finales des objets). En réalité, nous avons une sur-représentation de ces dernières phases, moment le plus intense de transformation des supports. Ensuite, la question est celle de la fonction des sites. C'est ce à quoi nous tenterons de répondre dans le chapitre suivant. Enfin, même si la majorité de l'industrie présente des productions simples (une, deux ou trois phases), quelques pièces sont plus systématisées et leurs chaînes opératoires sont plus longues et plus complexes. Pour essayer de saisir, au moins partiellement, l'évolution de l'outillage au long des occupations, nous avons dégagé les tendances des industries et leurs généralités. Pour cela nous distinguons différentes composantes. Huit groupes d’outils sont observés. Il s’agit d’un premier stade de classement et non d’une typologie, d’autant que certaines pièces de section plan-convexe semblent dans des états techniques différents. Dans ce premier stade de classement (fig. 39), les plus caractéristiques sont les unifaciaux (groupes 1 à 3) et les bifaciaux (groupes 4 à 6). Les Pièces Unifaciales Cette dénomination est adoptée par opposition aux pièces bifaciales. Il s’agit de pièces allongées (plus longues que larges), réalisées sur éclat, sur bloc ou éventuellement sur plaquette. Elles sont façonnées sur l’ensemble du volume ou presque ; retouchées le long des tranchants par des enlèvements qui peuvent être courts, profonds et rebroussés ou plus étendus et réguliers quand l’outil est plus soigné. Les transformations affectent en général une seule face du support en lui donnant une section plano-convexe épaisse, trapézoidale, ou aplaties (plus mince). Trois groupes ont été individualisés (fig. 39) : Gros unifacial (Groupe 1) Unifacial épais, trapu, façonné par grands enlèvements, suivis d’une série de retouches plus courtes, assez souvent profondes et réfléchies, localisées sur certaines parties du tranchant. Il s'agit de grands outils (8-12 cm de longueur, voire plus) robustes (environ 3 à 4 cm d’épaisseur), de section trapézoidale (outil usuellement désigné au Brésil comme plan-

92

Page 35: CHAPITRE III METHODES D’ANALYSE

Chapitre IV - L'Etude Technologique

convexe, limace, racloir ou grattoir épais), réalisés sur éclat fréquemment de début de débitage.

Figure 39 - Groupes d'outils : les groupes les plus caractéristiques de la stratigraphie. Les figures Serranópolis et Bahia sont d'après Schmitz et al. 2004 et 1996. Ces grands outils ont comme support de grands éclats d'entame ou de sous-entame, plus ou moins transformés. La configuration de l'outil est donnée à partir d'une ou deux phases de transformation : i) d'abord, une phase de façonnage met en place rapidement la forme désirée,

93

Page 36: CHAPITRE III METHODES D’ANALYSE

Chapitre IV - L'Etude Technologique

ii) puis, la dernière phase, celle de retouche précise les tranchants (latéraux et distal, plus rarement proximal) et éventuellement corrige ou équilibre les bords. Les parties "actives" peuvent être l'extrémité de la pièce (la retouche renforce la forme arrondie), mais ce sont principalement les bords latéraux qui peuvent être plus ou moins rectilignes ou légèrement convexes. On peut noter parfois un léger contraste entre les bords latéraux : un abrupt et l'autre semi-abrupt. D’après nos observations, ces gros outils sont présents dans les niveaux des premières occupations (12000-10000 BP), puis en surface. Cependant, à plusieurs reprises au long de la stratigraphie, certains éclats, en petit nombre, pourraient être rapprochés de la phase de façonnage de ce type d’outil. Deux caractères de ces outils sont à souligner : i) la nécessité d’une matière première d’assez gros volume, car un grand éclat signifie un grand bloc. Ceci peut être une contrainte, principalement pour les blocs de matière homogène, fine, de bonne qualité pour la taille, assez rares au Peruaçu ; ii) en raison de leurs dimensions, les supports sous-tendent une dépense importante d'énergie pour les détacher. Leurs grandes dimensions peuvent vouloir indiquer la longue durée d'utilisation de ces outils. Ces caractéristiques, spécifiques à ce groupe, définissent une recherche particulière qui les distingue des unifaciaux de section plus mince et un peu plus petits. Concernant l'évolution de l'outil, l'objet rétrécit par utilisation ou par ravivage des bords qui deviennent de plus en plus abrupts. Ces outils épais et lourds sont supposés fonctionner plutôt par frottement, tenus en main, et utilisés pour gratter le bois, ce qu’indiquent les microtraces d'utilisation. Unifacial plan-convexe (Groupe 2) La section est plan-convexe. L’extrémité apicale peut être pointue ou arrondie. Elle est la plus éloignée de la largeur maximale de l’objet. La partie basale (souvent la partie proximale du support débité) est fréquemment amincie. Le façonnage et la retouche peuvent être soignés et réguliers. Malgré des morphologies apparentées, il s’agit d'outils à différents stades de leur fabrication et/ou de leur utilisation : le ravivage des bords latéraux a pour effet de rétrécir la silhouette tout en rendant les bords de plus en plus abrupts, et d’accentuer le cintrage des extrémités. Comme pour le premier groupe, ce type d'outil est usuellement désigné au Brésil comme "plan-convexe", limace, racloir ou grattoir. Les pièces sont réalisées sur éclat allongé (près de 8 cm), d’épaisseur moyenne (environ 2 à 2,5 cm), plus ou moins larges, de début de débitage (parfois présence de cortex). Les transformations sont réalisées principalement en deux phases : i) façonnage le long des bords plus ou moins rectilignes, envahissant et/ou couvrant, en général à négatifs profonds, fréquemment rebroussés ; ii) retouche qui délinée/renforce un bord longitudinal arrondi ou plus pointu. Il est possible de voir, à cet endroit précis, un travail de retouche un peu plus intense. On peut retrouver, dans ce groupe, des pièces plus soignées qui indiquent une préoccupation évidente en ce qui concerne la régularité des bords : ces outils ont une basse incidence de rebroussé. Parmi ces unifaciaux, quelques rares pièces présentent des vestiges de cortex au centre de la face supérieure, ce qui démontre ainsi que l’épaisseur initiale de la pièce n’a pas changé au cours des ravivages. Dans ce cas, il s’agit de supports de début de débitage, moins épais que dans le premier groupe. En conséquence il est impossible qu’il s’agisse d’une évolution du premier groupe. Cependant, pour les autres outils dont la face supérieure est couverte de négatifs convergents depuis les bords latéraux (majorité des pièces), la question posée est de

94

Page 37: CHAPITRE III METHODES D’ANALYSE

Chapitre IV - L'Etude Technologique

savoir s’il ne s’agit pas d’une évolution des outils du premier groupe qui, au départ, étaient plus épais et plus larges, et qui, ensuite, par ravivages ou finitions, deviennent moins épais et plus rétrécis. Ces outils ont connu une longue évolution quant à leurs formes et à leurs dimensions : les éclats de départ étaient sûrement plus grands car ils sont incomplets. Les transformations par utilisation et ravivage ont rendu les bords plus abrupts avec le rétrécissement en largeur et en longueur. Soulignons que quelquefois nous avons pu observer une utilisation intense de ces objets. C’est le cas, par exemple, des outils de Buritizeiro (cf. Livre B - Buritizeiro), très rétrécis avec des bords latéraux assez abrupts et des extrémités pointues. L'étude tracéologique indique une utilisation pour gratter le bois. Un certain type de fracture est notable : on retrouve quelques pièces fracturées dans leurs parties mésio-distales. Il s’agit d’une fracture en languette supérieure, parfois bien marquée, qui correspond très probablement à une cassure durant l’utilisation : languette toujours sur la face comprimée de l’outil. Par ailleurs, à Serranópolis, Goiás [Schmitz et al. 2004], un emmanchement axial des pièces, couvrant de la partie proximale jusqu’à la moitié ou plus, de l’objet, a été mis en évidence (cf. Lapa do Boquete, Livret B). Malgré le manque de précision dans leur description morphotechnologique, nous sommes tentée de rapprocher les outils de forme ovoïde et de section plan-convexe, retrouvés à Serranópolis, de ce groupe (fig. 39, groupe 2). Unifacial aplati (Groupe 3) Unifacial dont la retouche, réalisée autour d’un (ou plusieurs) négatif central plan ou légèrement concave, préalablement installé, est soigneuse et régulière, assez souvent réalisée par percussion tendre. L’extrémité distale de l’objet sera de profil arrondi/courbe. A l’opposé, sur la partie proximale, le bord sera plus abrupt, avec un amincissement en forme de "palier". Outil unifacial allongé (environ 8 à 10 cm), de profil rectiligne, mince (< 2 cm) et plat, réalisé sur éclat de plein débitage, allongé, peu épais. Les supports dénotent une certaine pré-détermination, par la présence d'un négatif (ou plusieurs), plus ou moins central, antérieur au débitage de l'éclat, autour duquel une série d'enlèvements habituellement sub-parallèles, réguliers, délinéent des tranchants latéraux rectilignes ou légèrement convexes. Fréquemment, l’aménagement de la partie apicale (extrémité de l'axe longitudinal technologique de la pièce) est plus distinctif : enlèvements allongés, fins, rasants qui donnent (ou renforcent) une forme arrondie (plus rarement affilée) à cette extrémité. Une seule pièce a montré un bord effilé (Malhador). Soulignons qu’une série d’éclats enlevés à la percussion tendre provenant d’un niveau profond du site de Bichos, a pu être rapprochée de ce type d’outil, présent dans le site de Boquete (cf. Ch. IV). Opposée à ce bord arrondi distal, la partie basale de l’outil présente un bord plus abrupt et fréquemment aminci par une série d'enlèvements qui évoque son emmanchement. Cette catégorie d'outils est beaucoup plus fine et élancée que la première décrite (Groupe 1) : l'épaisseur du support et le soin du travail sont bien plus remarquables. L'examen tracéologique montre une utilisation concentrée sur les parties mésio-distales. Cette utilisation correspond au grattage du bois. D’après nos observations, l'usure de ces outils se fait principalement par frottement. En général, ils ont été retrouvés fragmentés par le feu, dans ou à proximité de foyers.

95

Page 38: CHAPITRE III METHODES D’ANALYSE

Chapitre IV - L'Etude Technologique

Au Peruaçu, ces outils sont observés dans les niveaux les plus profonds (12000-10000 BP), où ils constituent un ensemble très caractéristique. Ensuite et jusque vers 9000-8000 BP, on note une évolution de cet outillage : des outils présentent le savoir-faire élaboré (percussion tendre, bas taux d’accident, bords réguliers), mais se transforment petit à petit (choix de matière première, moins d’insistance dans l’abrasion), et deviennent plus rares jusqu’à disparaître. On ne les retrouve plus dans les autres couches stratigraphiques. Par ailleurs, ces types de pièces sont en accord avec certains outils (fig. 39, groupe 3) présents dans les niveaux anciens (environ 10000 BP) de Serranópolis, Goiás [Schmitz et al. 2004]. Les Pièces Bifaciales Comme le nom l’indique, il s’agit de pièces travaillées sur les deux faces. Les supports toujours allongés présentent un profil hexagonal, en amande ou foliacé. Ces outils sont réalisés sur éclat, bloc, plaquette ou galet. Le façonnage et la retouche sont très sommaires pour les pièces les plus grossières et épaisses (percussion dure), plus soignés pour les pièces en amande (percussion dure et/ou tendre) et très soignés pour les pièces foliacées (percussion tendre et pression). Trois groupes ont été individualisés (fig. 39) : Pièce bifaciale grossièrement façonnée (Groupe 4) Bifacial (souvent partiel) de profil hexagonal, plutôt épais, réalisé sur éclat, bloc, plaquette ou galet. Les transformations, en général peu intenses, sont réalisées à partir d’une série, voire plusieurs, d’enlèvements courts, plus rarement longs, profonds, larges, concentrés principalement autour des parties mésio-distales de l’outil. Les pièces sont partiellement façonnées, de façon grossière, sur les deux faces de supports grands à moyens. Ce sont des blocs, des galets, des plaquettes ou des éclats plutôt de début de débitage, allongés (environ 10 cm) et assez souvent épais (environ 3 cm). Ces supports ont très probablement la forme désirée plus ou moins inscrite dès le départ (plusieurs galets en "amande" sont observés dans le rio Peruaçu). Le travail consiste à réduire la largeur, et parfois l’épaisseur, d’une façon plus ou moins intense, de certains secteurs, en créant un ou plusieurs bords rectilignes, à partir de successions d’enlèvements alternants sur les deux faces. On aboutit à un volume plus ou moins symétrique. Les bords sont abrupts ou semi-abrupts. Une partie proximale, plus étroite, s’oppose à une autre distale, plus ouverte et moins abrupte, arrondie ou rectiligne (partie active). Les transformations sont réalisées essentiellement en deux phases : i) d’abord des enlèvements de façonnage, plutôt courts, plus rarement couvrants, parfois larges, et fréquemment rebroussés, sur les bords latéraux, pour retirer, au moins partiellement, le cortex et donner le volume désiré ; ii) puis un rang, peut-être deux, d’enlèvements de retouche, renforce(nt) la forme rectiligne des tranchants latéraux et la forme arrondie ou rectiligne de la partie distale. Il est courant d’observer du bouchardage, dans la partie mésio-proximale, interprété comme technique pour améliorer l’adhérence de l’emmanchement. Morphologiquement, ces pièces rappellent certaines lames de haches polies (cf. Boquete – couche Ø/I). Leur évolution peuvent être envisagée à partir de ravivages de bords cassés ou réaffûtés. Dans le nord de Minas Gerais, ces outils sont observés dans les niveaux sub-superficiels et en surface. Pièce bifaciale peu épaisse en section d’amande (Groupe 5) Assez large, façonné par grands enlèvements (percussion dure/tendre ?), dont les bords sont retouchés totalement ou partiellement par des séries courtes, plutôt larges.

96

Page 39: CHAPITRE III METHODES D’ANALYSE

Chapitre IV - L'Etude Technologique

Il s’agit de pièces de forme arrondies ou en amande, de dimensions qui peuvent varier de 6 à 10 cm environ, peu épaisses (environ 2 à 2,5 cm). Les transformations se font en une ou deux étapes par des enlèvements rasants ou plus profonds, plus ou moins longs, autour des enlèvements centraux ou autour d’un secteur cortical. Les pièces retrouvées dans le site Olha Aqui (gîte de matière première), sont les plus grandes (10 cm dans l’axe morphologique), avec des bords rasants ou semi-abrupts. On note que certains objets ont été beaucoup plus grands (enlèvement central incomplet). Le même type de pièces est observé dans d’autres sites (Campo de Futebal, Casinha da Liasa, etc.), toutefois de dimension un peu plus petite (environ 6 cm) et souvent avec un tranchant plus abrupt. Dans ce cas, il est possible qu’il s’agisse de l’évolution de l’objet, dont les ravivages rétrécissent les pièces, en leur donnant des tranchants de plus en plus abrupts. Ces outils sont observés en surface. Cependant, dans le site de Terra Brava, dans les niveaux de l’Holocène récent (environ 3700 BP), malgré l’absence de l’outil, on retrouve des restes bruts qui confirment sa présence. Dans l'abri de Boquete, vers 2000 BP, on retrouve une pièce de ce type ; et enfin, dans les niveaux anciens de Boquete Externe (environ 10000/9000 BP), un objet bifacial est à noter, mais il est cependant possible qu’il s’agisse d’un nucléus. Pièce bifaciale foliacée (Groupe 6) Il s’agit de pointes de trait, unique type d’objet sur lesquels on a pu identifier l’utilisation de la pression (façonnage/retouche). Cette technique produit un bord à sinuosité fine dû à la succession de contre-bulbes crée sur chaque face. Les enlèvements sont rasants, courts ou longs, envahissants ou couvrants. Il s’agit d'armatures ou de probables armatures foliacées pointues. L’aménagement est constitué de deux rangs d’enlèvements : le premier façonne et donne le volume, le deuxième, envahissant, parfois couvrant, complète le travail. Les bords sont bien réguliers, grâce à la technique de pression. Deux exemplaires seulement ont été observés dans les séries étudiées, dont un est en dehors du bassin (cf. Buritizeiro) : 1- Fragment distale de pointe de jet (Boquete) : classé dans une forme triangulaire, légèrement dissymétrique, façonné/retouché à la pression. 2 - Pointe de jet à pédoncule (Buritizeiro) : forme triangulaire, base en aileron et pédoncule fin et dégagé. L’extrémité est pointue, abrupte. Les enlèvements sont rasants, longs, couvrants ou envahissants, réalisés très probablement par percussion tendre. Le pédoncule est réalisé par pression : il serait difficile de le dégager autrement. Deux autres pièces ont pu être intégrées, à partir d'informations d’autres chercheurs : une pointe retrouvée dans le site de plein air de Porteira et un fragment dans un abri de la fazenda Minara, tous les deux dans la vallée du Peruaçu et en surface. Ces pièces sont réalisées sur éclats de silex, silexite et grès silicifié. Dans les séries étudiées, ce type d’outils est retrouvé dans les niveaux du début de l’Holocène (environ 10000 BP), puis dans l’Holocène moyen (environ 6000 BP) et finalement en surface. En résumé, parmi ces groupes les plus caractéristiques, on note que quelques uns s’opposent à d’autres. Le groupe des unifaciaux robustes (Groupe 1) s’oppose aux groupes d’outils plus fins et plus délicats (Groupes 2 et 3). La dépense d’énergie pour la réalisation, les dimensions des blocs de départ, la succession des phases de construction et le concept de ces objets, ne sont pas du même ordre.

97

Page 40: CHAPITRE III METHODES D’ANALYSE

Chapitre IV - L'Etude Technologique

Un autre outil, la pointe de jet, permet d’introduire sans ambiguïté, dans la discussion sur l’outillage, la notion d’économie de débitage et d’image mentale précise [Pelegrin 1995, 2004 ; Inizan et al. 1995]. On note la recherche d’un objet spécifique, démarche qui conduit à un produit systématisé et soigné, résultant d’un comportement suivi, d’une image mentale complexe déjà établie dès le début pour aboutir au produit final. Les unifaciaux aplatis peuvent aussi entrer dans cette discussion, car, malgré l’absence de nucléus, une prédétermination nous paraît évidente : les supports doivent présenter, au centre de la face supérieure, une surface plane ou légèrement concave, détachée au préalable (question d’emmanchement ?), entourée de retouches qui forment fréquemment un bord bien régulier. Un troisième outil peut être associé : l’unifacial peu épais du Groupe 2. Dans le Peruaçu, ce type d'outil est rencontré assez souvent dans le même niveau que ceux du Groupe 3 (cela semble être le cas aussi à Serranópolis). Même s’il est moins évident de le classer avec les outils les plus caractéristiques, il est clair que pour obtenir cette morphologie finale, convexe, peu épaisse, un effort mental et technique précis est nécessaire. Les pointes sont peut-être les outils les plus chargés en poids culturel, et elles sont probablement le marqueur culturel le plus important de ces industries. Néanmoins, elles sont trop isolées dans les séries pour qu’on puisse saisir leur place réelle dans l’industrie. Au Peruaçu, on note une première période sans pointe connue (12000-11000 BP), suivie d’une autre avec pointe bifaciale (environ 10000 BP), mais cette observation doit être prise avec précaution car seuls deux sites d’abri (Boquete et Bichos) ont livré des occupations anciennes, peu riches, ce qui limite sérieusement la portée de cette observation. Nous avons aussi mis en évidence deux autres groupes d’outils plus simples et moins caractéristiques, mais très présents : Outil simple (Groupe 7) Outils à enlèvements sommaires, sur une ou deux faces, qui peuvent résulter soit de retouches, soit d’utilisation. Les supports sont les éclats, les débris ou n’importe quel élément de la chaîne opératoire. Ils représentent les outils les moins chargés de poids culturel. Il s’agit d’objets sans complexité technologique, sans sophistication. D’ailleurs, toutes les catégories définies dans les chaînes opératoires ont servi comme support. Ces objets évoquent la nécessité permanente d’un outillage peu systématisé qui couvre les besoins simples et immédiats. Aucune prédétermination n’a pu être observée. Outil sur brut de débitage (Groupe 8) Outils dont un ou plusieurs bords, tranchants ou abrupts, ont subi une usure qui a provoqué la formation d’une macro ou micro-trace d’utilisation. Les supports sont principalement des éclats et fragments, plus rarement les débris. Il s’agit de supports utilisés bruts de débitage : éclats, fragments d’éclat, voire débris, sans aucune transformation postérieure à l’enlèvement. La remarque la plus importante concerne la recherche évidente de tranchants plutôt aigus d’une part, ou plutôt abrupts d’autre part. Cependant, éventuellement, ces outils peuvent être plus chargés culturellement si l’on dégage un procédé spécifique pour leur élaboration. C’est peut-être le cas, à Terra Brava, d’une série de petits éclats arrondis à tranchants très coupants. Mais il reste très délicat de définir le poids culturel de ces objets.

98

Page 41: CHAPITRE III METHODES D’ANALYSE

Chapitre IV - L'Etude Technologique

Avant de clore ce chapitre, il est important de faire une liaison entre l’outillage en pierre et les traces d’utilisation retrouvées sur leurs tranchants. La grande majorité des pièces examinées présente des micro-polis résultant du travail sur le bois végétal. Ceci souligne une utilisation importante du bois, malgré l'absence d'instruments en matière végétale ligneuse, non conservée. Il ne faut pas oublier qu'au Brésil, l'exubérance du "monde végétal" a dû beaucoup influencer la culture matérielle. Une industrie sur bois végétal peut être toute aussi pertinente et efficace qu'une en pierre (au moins pour une partie des tâches), avec un atout qui est la profusion de bois de bonne qualité, de différente densité, dureté, caractère fibreux, etc. D’ailleurs, les textes et les dessins qui rapportent sur les objets des indiens font référence toujours à des pointes de flèche en bois végétal, ou en épine (esporão) de poisson, jamais en pierre. Cette remarque en amène une autre : la réalisation d'une industrie sur bois sous-tend la coupe du support, la préparation, le façonnage et la finition de l'outil. Dans cette chaîne opératoire, a dû intervenir, du moins pour partie, un support lithique. Il est donc tentant de penser à une industrie lithique spécifique pour la production de certains objets en bois, eux-mêmes très spécialisés, tel que l’arc. A. Laming-Emperaire [1978] a observé et décrit, en 1955, l’utilisation d’un certain type d’outil en pierre pour la production d'un arc : " ...quand l’arc est plus ou moins affiné, Ayatukã choisit un objet en forme de limace dans sa trousse de pierres taillées. Cet objet, court et sans manche, est pris des deux mains à la manière d’un rabot, ce qui force les deux poignets de Ayatukã à se rapprocher sur le dos de l’objet. Pour éviter de se blesser sur les arêtes de la pierre, des écailles de bois, disposées de chaque côté de la limace, se substituent au manche. [...] Pour raviver son objet dont le tranchant est usé, il tape à coups délicats sur la face inférieure plane et d'un coup maladroit il casse l’objet en deux. [...] Il prend une deuxième limace dans sa trousse (il en a plusieurs), examine avec soin son tranchant, l’aiguise avec un percuteur, enlève un éclat avec son ongle et poursuit le rabotage du bois. [...] Les pieds tiennent un rôle important dans ce travail qui dure plusieurs heures. Pendant presque tout le temps, ils sont positionnés symétriquement d’un côté et de l’autre du bois de l'arc, sur lequel Ayatukã est asymétriquement assis. [...] La majorité des outils de pierre de sa trousse, n'a pas été utilisée, mais ceux qu'il a utilisés, sont complètement jaunis par le travail". Cette étude technologique ouvre sur l'évolution des industries lithiques du nord de Minas Gerais, avec l'objectif de resituer chaque élément dans son contexte chronologique. C'est l'objet du prochain chapitre.

99