CHAPITRE 7 COMPORTEMENT DIFFERE

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Chapitre 7. Comportement différé 203 CHAPITRE 7 COMPORTEMENT DIFFERE Comme cela a été mentionné au Chapitre 2, § 2.1.2.3, dans bien des applications techniques, la modélisation élastique se révèle insuffisante pour rendre compte du comportement mécanique observé. Par exemple en génie civil, il est classique de choisir, pour le béton une valeur du module d'Young plus élevée pour des temps d'application des charges courts, et des valeurs plus faibles lorsque les charges sont appliquées pendant des temps très longs. Il s'agit là d'un artifice pratique pour rendre compte d'une manifestation de comportement différé (fluage ou relaxation) au moyen d'un modèle qui, dans son principe, exclut la possibilité d'existence de deux états de déformations associés au même état de contrainte. Le béton, le bois, les aciers eux-mêmes sous certaines conditions d'environnement, sont susceptibles de présenter des effets de fluage. L'état de déformation évolue dans le temps sous un chargement maintenu constant. Pour de nombreux matériaux, il est possible d'estimer un niveau de contrainte en deçà duquel les déformations en fluage évoluent vers une valeur limite finie. Les modèles de comportement développés dans ce cadre relèvent de la théorie de la viscoélasticité. Dans le cas particulier de l’EUROCODE 5, relatif à l'utilisation structurale de poutres en bois, les flèches tenant compte du fluage doivent être évaluées à partir des flèches élastiques instantanées, calculées avec des modules d'Elasticité moyens (longitudinal ou transverse) ou du module de cisaillement. Ces flèches sont ensuite corrigées par un facteur multiplicatif de fluage (K creep ). Pour les résineux, ce facteur de fluage est compris entre 1 et 3, suivant le temps d'application des charges et la classe de taux d'humidité du bois mis en œuvre (Tableau n° 7.1). Notons que les valeurs indiquées ne correspondent à aucune expérimentation de qualification préalable, en particulier pour les bois français. Elles ne sont pas indiquées en ce qui concerne les bois feuillus. S'agit-il de valeurs optimistes ? Et dans ce cas, les risques conséquents sont sous-évalués.

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Chapitre 7. Comportement différé

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CHAPITRE 7

COMPORTEMENT DIFFERE

Comme cela a été mentionné au Chapitre 2, § 2.1.2.3, dans bien desapplications techniques, la modélisation élastique se révèle insuffisante pourrendre compte du comportement mécanique observé. Par exemple en génie civil,il est classique de choisir, pour le béton une valeur du module d'Young plusélevée pour des temps d'application des charges courts, et des valeurs plusfaibles lorsque les charges sont appliquées pendant des temps très longs. Il s'agitlà d'un artifice pratique pour rendre compte d'une manifestation decomportement différé (fluage ou relaxation) au moyen d'un modèle qui, dans sonprincipe, exclut la possibilité d'existence de deux états de déformations associésau même état de contrainte.

Le béton, le bois, les aciers eux-mêmes sous certaines conditionsd'environnement, sont susceptibles de présenter des effets de fluage. L'état dedéformation évolue dans le temps sous un chargement maintenu constant. Pourde nombreux matériaux, il est possible d'estimer un niveau de contrainte en deçàduquel les déformations en fluage évoluent vers une valeur limite finie. Lesmodèles de comportement développés dans ce cadre relèvent de la théorie de laviscoélasticité.

Dans le cas particulier de l’EUROCODE 5, relatif à l'utilisationstructurale de poutres en bois, les flèches tenant compte du fluage doivent êtreévaluées à partir des flèches élastiques instantanées, calculées avec des modulesd'Elasticité moyens (longitudinal ou transverse) ou du module de cisaillement.Ces flèches sont ensuite corrigées par un facteur multiplicatif de fluage (Kcreep).Pour les résineux, ce facteur de fluage est compris entre 1 et 3, suivant le tempsd'application des charges et la classe de taux d'humidité du bois mis en œuvre(Tableau n° 7.1).

Notons que les valeurs indiquées ne correspondent à aucuneexpérimentation de qualification préalable, en particulier pour les bois français.Elles ne sont pas indiquées en ce qui concerne les bois feuillus.

S'agit-il de valeurs optimistes ? Et dans ce cas, les risques conséquentssont sous-évalués.

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S'agit-il de valeurs pessimistes? Alors la compétitivité du bois par rapportà d'autres matériaux se trouve amputée.

Tableau n° 7.1: Coefficient multiplicatif de la déformation instantanée pour tenircompte du fluage. HR et T sont respectivement l'humidité relative et la

température de l'air environnant.Facteur de fluage (Kcreep)

Classe de taux d'humidité

1T = 20°C

HR = 65%

2T = 20°C

HR = 80%

3T = 20°C

HR = 100%Classe de durée de chargelongue (10 ans)moyenne (6 mois)courte (1 semaine)

1,51,21,0

1,81,31,1

3,02,01,5

Le comportement différé et, plus particulièrement, la viscoélasticité dumatériau bois retiendront par la suite notre attention. Parmi les approchesexpérimentales classiques, la littérature abonde en ce qui concerne :

• le fluage des déformations à contrainte imposée constante ;• la relaxation des contraintes à déformation imposée constante.

Dans ces deux types d'essais, la température et le taux d'humidité deséchantillons sont, autant que possible, maintenus à des niveaux constants.

Le module dynamique et le frottement intérieur caractérisent la partieréelle et la partie imaginaire de la rigidité complexe. Lors de sollicitationsimposées variant périodiquement dans le temps, on mesure ces grandeurs dansdes conditions stationnaires de paramètres tels que la fréquence, la températureet le taux d'humidité.

A partir de certaines évidences expérimentales, désormais disponibles,extraites de la littérature internationale, il est possible de dégager certainesinterprétations explicatives du comportement différé du matériau bois.

7.1. APPROCHE QUALITATIVE DU COMPORTEMENT DIFFERE.

La caractérisation expérimentale et la modélisation du comportementdifféré du matériau bois sont particulièrement complexes. On ne peut ignorer latrès forte anisotropie du comportement différé de ce matériau. Les cinétiques defluage apparaissent comme très sensibles à la température. La question est alors

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posée d'une possible activation thermique des processus de relaxation mis encause. De plus, le bois est fortement hygroscopique : son taux d'humidité internes'équilibre donc en fonction des conditions climatiques de l'environnement(température et humidité relative de l'air). L'eau adsorbée sous forme d'eau libredans les lumens n'a probablement pas une influence notoire sur le comportementmécanique en petites déformations. Par contre, la partie de l'eau adsorbée, dite"liée", interagit au niveau de la paroi cellulaire avec les polymères constitutifs dela matière ligneuse. Cette hydrolyse partielle occasionne des modifications decomportement mécanique se manifestant pendant les essais de fluages par deseffets dits "mécanosorptifs".

Aborder l'étude du comportement différé du matériau bois constitue, pourle rhéologue, un objectif scientifique ambitieux et particulièrement délicat. Dufait de la multiplicité des paramètres mécano-physiques, évoqués ci-dessus,susceptibles d'interagir pendant la réalisation d'une expérimentation. Lacompréhension des observations est incertaine, faute d'une modélisationphénoménologique établie. Les modèles théoriques existants sont nombreux,d'une nécessaire complexité, mais non encore calés sur l'expérience et restentdonc encore des guides incertains à la mise en œuvre d'une expérimentationsoignée de qualification des phénomènes viscoélastiques.

Les différentes manifestations de comportement différé du matériau boisont fait l'objet d'investigations expérimentales, principalement à l'étranger[ECHENIQUE-MANRIQUE R.] [BHATNAGAR N.S. and GUPTA R.P.] et, cesdernières années, en France.

Le modèle de loi du comportement purement élastique, utilisé dans leschapitres 3 à 6, fournit une relation biunivoque entre les états actuels descontraintes et des déformations. Le paramètre temps t n'apparaît donc pas defaçon explicite dans la loi de comportement qui ne peut alors pas rendre comptedes manifestations différées du type fluage de déformation, relaxation descontraintes, frottement intérieur, etc.

En guise d'illustration, nous allons envisager différents types desollicitations suivant des lois connues en fonction du temps et en considérer leseffets au cours du temps. Le caractère descriptif de cette partie vise en premierlieu à introduire un vocabulaire classique de rhéologie.

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Figure n° 7.1:Schéma de fluage de la déformation.

Figure n° 7.2: Flèche en fonction du temps pour différents niveaux de contrainte (en % dela charge de rupture) pour un Sapelli à 15% de taux d'humidité selon [FOUDJET].

Figure n° 7.3 : Complaisances en fluage pour différents niveaux de contrainte (en % de lacharge de rupture) pour un Sapelli à 15% de taux d'humidité, d’après [FOUDJET]

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7.1.1. Fluage de la déformation.

Un essai de fluage consiste à imposer, à un instant initial t = 0, un effortqui est maintenu constant et à observer l'évolution au cours du temps de ladéformation résultante.

Pour fixer les idées, on supposera dans ce cas que l'essai considéré est unessai de traction et imaginerons alors que le champ de contrainte uniformeimposé est de la forme suivante :(7.1) σ(t) = σ0 H(t-t0)σ0 : est le module de la contrainte imposée, paramètre de l'essaiH (t) : est la fonction échelon de Heaviside, telle queH(t- t0) = 1 pour t > t0 et H(t-t0) = 0 pour t < t0

La déformation résultante ε (t) est enregistrée au cours du temps. Enrapportant cette grandeur au module σ0 de la contrainte imposée, on définit lacomplaisance en fluage, notée J(t)(7.2)

0

)t(σε = J(t)

Pour le matériau bois, comme pour de nombreux autres matériaux tels queles polymères et polymères renforcés, la complaisance en fluage J(t) est unefonction croissante du temps.

Deux types d'évolution de la complaisance en fluage sont schématisés surla figure n° 7.1.

Lorsque la contrainte imposée σ0 reste inférieure à une certaine contraintecritique σc ( σ0< σc), on observe généralement une valeur limite lorsque t → ∞ ;on parle alors de complaisance instantanée Ji et de complaisance relaxée Jr .

(7.3) Ji = J(0) Complaisance instantanée ; Jr = J(∞) Complaisance relaxée

La part de fluage total sera évaluée par le taux de fluage ∆J

(7.4) ∆J = J(0)

J(0) - )J( ∞

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Figure n°7.4: Illustration de la recouvrance.

Figure n° 7.5: illustration de la relaxation.

Figure n° 7.6a: Accommodation dela déformation lors d'un essaicyclique à niveaux de contraintesimposés

Figure n° 7.6b: Accommodation dela contrainte lors d'un essai cycliqueà niveaux de déformation imposés.

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Lorsque, la contrainte imposée est supérieure à une certaine valeurcritique σc (σ'0 > σc ), alors la complaisance ne présente plus de valeur limiterelaxée et l’essai conduit à la rupture si la charge est maintenue. Lecomportement s'apparente à celui d’un écoulement de matière fluide.

Pour illustrer l'influence du niveau de sollicitation sur la linéarité ducomportement différé, la figure n° 7.2 donne sur une échelle linéaire des temps,les évolutions des déformations (flèches) en fluage d'un Sapelli [FOUDJET].Ces mesures ont été obtenues sur des éprouvettes (cantilever) isocontraintes,stabilisées à 12% de taux d'humidité et sollicitées en flexion suivant l'axe L

r à

différents niveaux de contraintes imposées (respectivement 25, 30, 35 et 42% dela contrainte de rupture).

La figure n° 7.3 représente les mêmes résultats en termes decomplaisances, après division de la flèche par la charge appliquée, sur uneéchelle graduée en logarithme décimal du temps. Il est important de noter queles mesures de la complaisance en fluage longitudinal se superposent de façontrès satisfaisante pour des charges allant jusqu'à 35% de la charge de rupture.Au-delà, l'hypothèse de linéarité de comportement ne peut être retenue. Desessais de recouvrance permettent de confirmer l'existence d'un domaine decomportement de type viscoélastique.

7.1.2. Recouvrance de la déformation

Lors de la suppression de la contrainte imposée, après un temps de fluaget, on observe une variation immédiate de la déformation. C'est la recouvranceinstantanée. Si, ultérieurement, il y a restitution d'une partie de déformationcomplémentaire, on parle de recouvrance différée. Il peut se faire qu'au boutd'un temps très long, il subsiste une déformation résiduelle plus ou moinsimportante. Cet aspect de la suppression de la charge est illustréschématiquement sur la figure n° 7.4.

7.1.3. Relaxation de la contrainte

Un essai de relaxation consiste à imposer à partir d'un instant initial t = 0,une déformation qui est maintenue constante.(7.5) ε(t) = ε0 H(t)εo : amplitude de la déformation imposée, (paramètre de l'essai)H (t) : fonction de Heaviside.

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La contrainte résultante σ(t) est enregistrée au cours du temps. Enreportant cette grandeur au module εo de la déformation imposée, on définit lemodule en relaxation ou fonction relaxation noté M(t) :(7.6)

0

)t(ε

σ = M(t)

La fonction de relaxation est une fonction décroissante du temps,schématisée sur la figure n° 7.5.

Lorsque la déformation imposée εo est suffisamment faible pour ne pasentraîner une rupture pendant l'essai, on détermine alors un module instantanéMi, et un module relaxé Mr.(7.7) Mi = M(0) Module instantané; Mr = M(∞) Module relaxé.

La part totale de relaxation sera évaluée par le taux de relaxation ∆M.

(7.8) ∆M = i

ri

MMM −

= M(0)

) M(- M(0) ∞

Il faut noter que pour ramener la déformation à zéro, il est nécessaired'appliquer un niveau de contrainte négatif.

7.1.4. Sollicitations cycliques - frottement interne

Lorsque l'on procède à une succession de charges et de décharges entredeux niveaux de contrainte, ou entre deux niveaux de déformation de façonpériodique, on est en mesure d'analyser les évolutions résultantes dans le plancontrainte-déformation.

La figure n° 7.6a illustre un enregistrement effort-déformation àcontrainte périodique imposée entre deux niveaux fixés σ1 et σ2.

L'évolution des premiers cycles résulte du fluage moyen de ladéformation.

Lorsque la contrainte maximum imposée σ2 est inférieure à une certainevaleur critique, on observe une stabilisation ou accommodation du cycle entreles déformations limites εm et εM. On note que l'aire du cycle accommodé est unemesure de l'énergie mécanique dissipée au cours de chaque période parfrottement intérieur.

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La figure n° 7.6b illustre un enregistrement effort-déformation àdéformation périodique imposée entre deux niveaux fixés ε1 et ε2. L'évolutiondes premiers cycles résulte de la relaxation moyenne de la contrainte. Le cycles'accommode entre deux valeurs de contrainte limites σm et σM.

7.1.5. Importance du comportement différé pour le bois

Dans le cas du matériau bois, les manifestations de comportement différésont importantes; en effet, il n'est pas rare d'observer des taux de fluage ∆J de 50à 100 %, des taux de relaxation ∆M de 50 à 70 %, de plus les frottementsinternes sont très supérieurs à ceux observés pour les matériaux métalliques parexemple.

Comme nous le verrons plus loin les mécanismes physico-chimiques misen cause lors de la manifestation du comportement différé agissent sur deséchelles de temps très différentes. Certains processus sont la cause detransformations dont les cinétiques sont de l'ordre de la seconde, de la journée,ou de l'année; ils se manifesteront donc différemment suivant la base de tempsdes observations. De plus, les effets de comportement différé seront fortementliés aux conditions de densité, d’humidité et de température des échantillons.

7.2. LE MODELE DE VISCOELASTICITE LINEAIRE

Il s'agit de rappeler ici des notions classiques de viscoélasticité linéaire[MANDEL][FERRY]. Pour de faibles niveaux de sollicitation, il est légitimed'envisager un comportement différé linéaire. Ceci suppose que de lacombinaison linéaire des sollicitations résulte une combinaison linéaire deseffets.

7.2.1.Comportement monodimensionnel différé linéaire

Soit alors J(t) la fonction fluage et M(t) la fonction relaxation quicaractérisent le comportement monodimensionnel différé d'un échantillon testéen fluage ou en relaxation. Si σo et εo considérés sont suffisamment faibles, leprincipe de superposition de Boltzmann est accepté. Alors, les relations entrel'état de contrainte actuel σ(t) et l'histoire des déformations ε(τ), ou entre l'étatde déformation actuel ε(t) et l'histoire de la contrainte σ(τ), s'écrivent sous lesdeux formes :

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(7.9) ε(t) = J(t) σ0 + ∫0

)()−t

τσdτt(J (7.10) σ(t) = M(t) ε0 + ∫0

()−t

)τεdτt(M

On dit que l'état actuel résulte de l'effet de la sollicitation initiale (t=0) etde la somme des effets résultants des accroissements successifs de la cause entreles instants τ et τ + dτ, avec 0 < τ < t. Si la contrainte σ(τ) ou la déformation ε(τ) sont des fonctions dérivables de τ, dσ = )(τσ

o

dτ, dε = )t(o

ε dτ , il vient :

(7.11) ε(t) = J(t) σ0 + ∫ ττστ−t

0

d)()t(Jo

(7.12) σ(t) = M(t)ε0+ ∫ ττετ−t

0

d)()t(Mo

Une autre forme est souvent donnée à la loi de comportement, enprocédant à une intégration par partie :

(7.13) ε(t)= J(0) σ(t) + ∫ τ)τ(σ)τ−t

0

dt(Jo

(7.14) σ(t)= M(0)ε(t) + ∫ ττετ−t

0

d)()t(Mo

Dans ce cas, apparaissent o

J eto

M , dérivées par rapport au temps de lacomplaisance en fluage J(t) et du module en relaxation M(t) que l'on désignerespectivement par :

o

J (t) : fonction mémoire en fluageo

M (t): fonction mémoire en relaxation.

7.2.2. Complaisance et module opérationnels

La loi de comportement peut encore se mettre sous la forme de la dérivéepar rapport au temps d'un produit de convolution.

(7.15) ε(t) =

σ−∫

t

0

dt)t()tt(Jdtd , (7.16) σ(t) =

ε−∫

t

0

dt)t()tt(Mdtd

Dans ce cas, il est intéressant de passer par les transformations de Laplace,ou de Carson-Laplace [KAUFMANN]. Soit f*(p) la transformée de Carson-Laplace d'une fonction f(t) définie par :

f*(p) = p ∫∞

0

e-pt f(t) dt

Un résultat intéressant de la transformée d'une convolution conduit àécrire les transformées de (7.15.) et (7.16.). Avec les transformées σ*(p), ε*(p),J*(p), M*(p) respectivement de σ(t), ε(t), J(t), M(t), il vient :(7.17) ε*(p) = J*(p) σ*(p) et (7.18) σ*(p) = M*(p) ε*(p)

J*(p) est la complaisance opérationnelleM*(p) : est le module opérationnel.

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Remarque: Une première conséquence de l'hypothèse de linéarité ducomportement différé est la dépendance théorique entre les fonctions fluage etrelaxation ; en effet : J*(p) . M*(p) = 1

Soit encore :

1 =

τ)τ(Μ)τ−∫

0

t

dt(Jdtd =

τ)τ()τ−∫

0

t

dJt(Mdtd

Remarque: On notera avec certains auteurs [MANDEL] que la forme de laloi de comportement, en terme de transformées de Carson-Laplace, est similaireà la loi de Hooke, et donc que les résultats acquis en élasticité sont transposablesà la viscoélasticité en passant par les transformées.

7.2.3. Complaisance et module complexes

- Module dynamique et frottement interneLe système considéré étant linéaire, une sollicitation harmonique conduit

à un effet harmonique avec un éventuel déphasage.Posons σ(t) = σ0 cos(ωt) = Re ( 0σ e

jωt) et ε(t) = ε0 cos(ωt - δ) = Re( 0ε e

jωt)

où 0σ et 0ε sont les amplitudes complexes de la contrainte et de la déformation.En posant p = jω, on définit :

J*(jω) = 0

0

σε : complaisance complexe ; M*(jω) =

0

0

εσ : module complexe

Le module dynamique est le module du module complexe(7.19) M(ω) = |M*(jω)|

Le frottement intérieur est la tangente de l'argument du module complexe(7.20) tg(δ) =

)]ωj(*M[Re)]ωj(*MIm[

7.2.4. Le solide viscoélastique linéaire idéal

Le modèle de loi de comportement monodimensionnel le plus simple quirend compte du fluage, de la relaxation et du frottement interne, est le modèle dusolide de Zener [Persoz], dit solide viscoélastique linéaire idéal.

La loi de comportement peut s'écrire sous forme différentielle

(7.21) σ(t) + τε dt)t(dσ = Mr

ε

τ+ε σ dt)t(d)t(

)t(o

ε et )t(o

σ sont respectivement les vitesses de déformation et de contrainte àl'instant t.

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Rhéologie et Mécanique du bois.

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Figure n° 7.7a : Fluage exponentiel sur une échelle linéaire du temps

Figure n° 7.7b : Fluage exponentiel sur une échelle logarithmique du temps

Figure n° 7.7c : Evolution du module dynamique M(ω) et du frottementintérieur tg(δ) en fonction de la pulsation ω.

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Chapitre 7 : Comportement différé

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La fonction fluage J (t) associée à (7.21) schématisé sur les figures n°7.7.a et b s'écrit :

(7.22) J(t) = Ji [ 1 + ∆J (1 - e-(t/τσ)

)

Tandis que la fonction relaxation M(t) associée à (7.21) s'écrit :

(7.23) M(t) = Mi [ 1 - ∆M (1 - e-(t/τε))

Les différents paramètres introduits dans (7.22.) et (7.23.) s'exprimenten fonction des trois constantes caractéristiques utilisées dans (7.21.).

τε : temps de relaxation à déformation constanteτσ : temps de fluage à contrainte constanteMr : module relaxé.

En revenant aux définitions du § 7.1. :Jr =

rM1 : Complaisance relaxée.

Mi = Mr ε

σ

ττ : Module instantané.

Ji = Jr σ

ε

ττ : complaisance instantanée.

L'expérience donne, en principe, une constante de temps de fluage τσ

supérieure à la constante de temps de relaxation τε de la contrainte. De larelation d'ordre : τσ > τε , il résulte que Mi > Mr et Ji < Jr

Les taux de fluage ∆J défini en (7.4.) et de relaxation ∆M défini en(7.8.) deviennent :

∆J = i

ir

JJJ −

= ε

εσ

ττ−τ

, ∆M = i

ri

MMM −

= σ

εσ

ττ−τ

La complaisance J*(p) et le module M*(p) opérationnels définis en (7.17)et (7.18) donnent:

(7.24) J*(p) = σ

ε

τ+τ+

p1p1

M1

r

, (7.25) M*(p) = Mr ε

σ

τ+τ+

p1p1

et la complaisance J*(jω) et le module M*(jω) complexes

(7.26) J*(jω) = 0

0

σε =

σ

ε

ωτ+ωτ+

j1j1

M1

r

M*(jω) =0

0

εσ = Mr

ε

σ

ωτ+ωτ+j1j1

La complaisance J(ω) et le module dynamique M(ω)

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Rhéologie et Mécanique du bois.

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(7. 27) M(ω) = )(J

= Mr 2

2

11

ε

σ

ωτ+ωτ+

Le frottement interne tg δ:

(7.28) tg(δ) = εσ

εσ

ττω+τ−τω

21)(

Le graphique n° 7.7c illustre la réponse en fréquence du modèleviscoélastique linéaire avec les valeurs suivantes des paramètres :Modèle (1) : τσ = τ∗σ, τε = 0,8 τ∗σ et Ji =1 où τ∗σ est pris comme base de temps.

Il convient de noter que le modèle (cinétique du premier ordre) est tel quel'essentiel de la transition décrite se produit en deux décades.

Remarque : Les notions de complaisance et de module opérationnels oucomplexes, sont à rapprocher des considérations générales utilisées en théoriedes asservissements linéaires. Il s'agit tout simplement de la notion de fonctionde transfert avec gain et phase d'un système dont contrainte et déformation sontles variables d'entrée et de sortie, dans un sens comme dans l'autre.

En particulier, il est d'usage de représenter le module dynamique M(ω) etle frottement interne tg δ(ω) sur une échelle logarithmique de la pulsation(figure n° 7.7c). On notera que la transition donnée par le modèle s’étale sur unintervalle fréquentiel de l’ordre de 2 à 3 décades.

7.3. PROCESSUS PHYSICO-CHIMIQUES SOURCES DECOMPORTEMENT DIFFERE

L'approche du comportement mécanique différé présentée au paragrapheprécédent est descriptive ; il s'agit d'un modèle phénoménologique. L'apparitionde sollicitations mécaniques déséquilibre certains états physico-chimiquesinternes et le retour à l'équilibre se réalise avec des cinétiques propres à chacundes mécanismes mis en jeu. Les processus sources de relaxation, dans le cas dubois, sont nombreux, encore insuffisamment identifiés et sont l'objet d'études encours. Certains aspects seront évoqués au chapitre suivant. Les macromoléculesde lignine, hémicellulose et la part de cellulose amorphe contribuentcertainement aux manifestations de comportement différé. Leurs contributionssont certainement influencées par des interactions avec les molécules d'eauadsorbées dans la paroi cellulaire. Il sera ici montré comment certaines

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Chapitre 7 : Comportement différé

217

modélisations constituent des généralisations du solide viscoélastique idéal deZener.

7.3.1. Variable cachée associée à un processus de relaxation

Désignons par χ(t) une variable caractéristique du déséquilibre d'unprocessus physico-chimique provoqué par l'apparition d'un état de déformation.Il n'est pas nécessaire de préciser la nature physique ou chimique, voirbiologique de cette variable, il suffira d'en choisir une loi d'apparition et lacinétique associée. L'état actuel de contrainte σ(t) est lié élastiquement à l'étatactuel de déformation ε(t) et supposé linéairement dépendant de la variablecachée χ(t) de déséquilibre, fonction caractéristique du processus de relaxationmis en cause :(7.29) σ(t) = Me ε(t) + χ(t)où Me est un module élastique et χ(t) est la variable cachée,

Formulons des hypothèses sur les lois de variations de χ(t):La vitesse de variation de χ est pour partie une apparition fonction linéaire

de la vitesse de déformation (apparition du déséquilibre).

dt)t(d

dt)t(d ε

λ=

χ

χ

La vitesse de disparition du déséquilibre tend d'autre part à ramener χ(t)vers une valeur nulle correspondant à l'équilibre avec une vitesse proportionnelleau déséquilibre (cinétique du premier ordre).

)t(1dt

)t(dχ

τ−=

χ

ε

D'où la cinétique de la variable cachée:

(7.30)dt

)t(dχ = εχ

χ

+

χ

dt)t(d

dt)t(d = λ

dt)t(dε -

τ1

χ(t)

λ et τ sont des caractéristiques du processus de relaxation.

En éliminant χ(t) et dχ/dt entre (7.29.) et (7.30.), il vient :

(7.31) σ(τ) + τ dt

)t(dσ = Me

ε

λ+τ+ε

dt)t(d

M1)t(

e

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Rhéologie et Mécanique du bois.

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Figure n° 7.8a : Frottement intérieur tg(δ), en fonction de la pulsationω, à deux températures T0<T1.

Figure n° 7.8b : Module dynamique M(ω) en fonction de la pulsationω, à deux températures T0 < T1.

Figure n° 7.8c : Evolution du temps caractéristique de fluage τ enfonction de la température T et approximation d’un ensemble de

points expérimentaux par deux modèles : loi d’Arrhénius ou modèle(W.L.F .)

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Chapitre 7 : Comportement différé

219

Remarque : La loi de comportement (7.31) est analogue à (7.21). Laconstante de temps τ caractéristique de la cinétique de retour à l'équilibre duprocessus est l'équivalent de la constante de temps de relaxation τε àdéformation constante. La constante de temps de fluage à contrainte constanteτσ s'exprime par

τσ = τ

λ+

eM1 avec Me = Mr .

7.3.2 Activation thermique. Principe d'équivalence temps-température.

Certains des mécanismes physiques ou chimiques susceptibles deprovoquer un effet différé ont une cinétique qui est souvent activéethermiquement. Une élévation de la température accélère le retour à l'équilibre.Pour décrire cette activation thermique, il est d'usage d'utiliser la notion defacteur de glissement a(T, To) multiplicatif, tel que : τ = τ0 a(T, T0)

Ceci revient à considérer que la constante de temps τ, observée à latempérature absolue T, se déduit de la constante de temps τo, elle mêmeobservée à la température To, en la multipliant par un coefficient fonction desdeux températures.

Un modèle simple consiste à définir le facteur de glissement, suivant uneloi d'Arrhénius, comme fonction exponentielle de l’inverse de la température 1/Tcaractérisée par une énergie d'activation ∆W telle que :

(7.32) τ = τ0 exp

∆−

T1

T1

RW

0

∆W : énergie d'activation, caractérisant le processusR : constante des gaz parfaits.

Dans le cas des polymères, il semblerait que la caractérisation du facteurde glissement par une telle loi, ne faisant intervenir qu'une seule constante ∆W,soit difficile à réaliser. Certains auteurs [VAUTRIN] ont alors recours à desmodélisations à deux ou trois paramètres. Un exemple est donné par l'expressiondite (W.L.F.) proposée par WILLIAMS,LANDEL et FERRY, formule (7.33).

(7.33) a(T,T0) = - [ ]002

001

TT)T(CTT)T(C

−−

Page 18: CHAPITRE 7 COMPORTEMENT DIFFERE

Rhéologie et Mécanique du bois.

220

où C1(T0) et C2(T0) sont des paramètres positifs spécifiques, évalués pour latempérature de référence T0.

Principe d'équivalence temps-température.Admettre, en première approximation, qu'un changement de la

température d'expérimentation modifie essentiellement la cinétique de certainsphénomènes de comportement différé permet d'appliquer le principed'équivalence temps-température.

Dans la mesure où une telle hypothèse est acceptable, il est possible deconclure que les observations réalisées à la température To, pendant unintervalle de temps (t1, t2) sont un bon indicateur des observations qui auraientété réalisées à la température T, pendant un intervalle de temps (t*1, t*2) tel que:

t*1 = t1 a(T,T0) et t*2 = t2 a(T,T0)

De même, au cours d'essais menés en sollicitations cycliques, un effetobservé à la température T0, pour une fréquence No, devrait être prévisible à latempérature T, pour la fréquence N = N0/a(T,T0).

L'expérimentateur trouve dans cette démarche un puissant moyend'investigation, comme le montre l'exemple ci-dessous.

Les graphiques n° 7.8 a et b illustrent la réponse en fréquence du modèleviscoélastique linéaire pour les valeurs suivantes des paramètres:Modèle (1) à la température T1 : τσ = 3 τ*

σ , τε = 2 τ*σ et Ji = 0,5

Modèle (2) à la température T0<T1 : τσ = 15 τ*σ , τε = 10 τ*

σ et Ji = 0,5Ceci schématise l'effet d'un changement de la température T1 à To qui

provoquerait un facteur de glissement a(To,T1) = 5.La figure n° 7.8c illustre l’exploitation qui peut être faite de résultats

expérimentaux ayant permis de déterminer, par exemple, le tempscaractéristique de fluage τ à différentes températures T. L’un ou l’autre desmodèles, Arrhénius (7.32) ou W.L.F.(7.33) peuvent être calés, afin dedéterminer l’énergie d’activation ∆W, dans le premier cas, les constantes C1 etC2 dans le second cas.

7.3.3. Prise en compte de plusieurs processus de relaxation

Page 19: CHAPITRE 7 COMPORTEMENT DIFFERE

Chapitre 7 : Comportement différé

221

Pour de nombreux matériaux, métaux, polymères de synthèse ou naturelscomme le bois, les mécanismes physico-chimiques, source de relaxation sontnombreux et mal connus (diffusion thermique, diffusion de l'humidité, liaisonsatomiques, réarrangements de chaînes moléculaires…). Il est alors licited'envisager la possibilité d'interférence des différents mécanismes sur lecomportement global observé. Désignons par χi(t) la variable cachée,caractéristique du déséquilibre de l'un des processus de rang (i), provoquée parla déformation ε(t). En généralisant le modèle précédant, l'état actuel decontrainte s'écrit :(7.34) σ(t) = Me ε(t) + ∑

ii )t(χ

En admettant que pour chaque processus les variations dans le tempssatisfont à une cinétique du premier ordre (7.30) :

(7.35)dt

)t(d iχ= λi dt

)t(dε - i

χi(t)

λi : est caractéristique de l'apparition de χi avec ε(t)τi : est une constante de temps associée au processus de rang (i).

L'élimination entre les (i+1) équations de χi(t) et leurs dérivées premières,conduit à une équation différentielle linéaire à coefficients constants de degré(i), entre contrainte σ(t) et déformation ε(t) ; dont on déduit aisément la réponseen fluage ou en relaxation.

A déformation imposée constante, ε(t) = ε0 H(t), la fonction de relaxations'évalue immédiatement et prend la forme suivante :

(7.36) M(t) = 0

)t(ε

σ = Me + ∑i

λi exp(- i

)

Sous ces hypothèses, la relaxation et les phénomènes différés apparaissentcomme superposition de relaxations élémentaires liées chacune à un processusd'indice (i).

En guise d'illustration, envisageons le cas où deux mécanismes derelaxation coexistent.

σ(t) = Me ε(t) + χ1(t) + χ2(t)avec les cinétiques d'évolutions de χ1(t) et χ2(t)

dt)t(d 1χ = λ1 dt

)t(εd - 1τ

1 χ1(t), dt)t(d 2χ = λ2 dt

)t(dε - 2τ

1 χ2(t)

Page 20: CHAPITRE 7 COMPORTEMENT DIFFERE

Rhéologie et Mécanique du bois.

222

Figure n° 7.9a : Module dynamique M(ω) résultant de la superposition de deuxmécanismes observés à la température T1. (M1(ω) et M2(ω) sont les composantes

additives supposées, non visibles, de M(ω))

Figure n°7.9b : Frottement interne tg(δ)observé à la température T1 résultant dela superposition de deux mécanismes [tg(δ1) et tg(δ2)].

Figure n° 7.10 : Frottement interne résultant de la superposition des deux mêmemécanismes observés cette fois à la température T0 < T1

Page 21: CHAPITRE 7 COMPORTEMENT DIFFERE

Chapitre 7 : Comportement différé

223

En éliminant χ1(t) et χ2(t), il vient pour la loi de comportement uneéquation différentielle linéaire du second ordre à coefficients constants :

(7.37) τ1τ2 2

2

dt)t(d σ +(τ1+τ2) dt

)t(dσ + σ =

Me

ε

λ

+ττ+ε

λ+τ+

λ+τ+ε 2

2

e

2

e

121

e

22

e

11 dt

)t(dMM

1dt

)t(dM

1M

1

La présence simultanée de plusieurs processus de relaxation dans unemême fenêtre expérimentale (intervalles de temps et de température) lorsqu'ilssont thermiquement activés, est susceptible de gêner l'interprétation des résultatsexpérimentaux. L'activation thermique est a priori différente pour chacun desmécanismes physiques d'où la difficulté de lire des réseaux de caractéristiquesisothermes, enregistrés à différents paliers de température. C'est pour cela que denombreux auteurs utilisent la notion de facteur de glissement pour caractériserl'activation thermique, lequel facteur donne une vision globale de l'influence duniveau de température, sans différencier les processus de relaxation actifs.

Sur les graphiques n° 7.9a et b sont reportées les évolutions du moduledynamique M(ω) et du frottement intérieur tg(δ) qui résultent de lasuperposition des deux modèles envisagés ci-dessus à la température T1, qui sontdéfinis par les paramètres suivants:

Modèle (1) à température T1: τσ = 1 τ∗σ, τε = 0,8 τ∗

σ et Ji =1

Modèle (2) à température T1: τσ = 3 τ∗σ , τε = 2 τ∗

σ et Ji =0,5

On constate qu'il est difficile, sur les seules enveloppes visibles,correspondant à la superposition, de distinguer la présence de deux mécanismessupposés. Seule une observation attentive permet de discerner que la transitionglobale du modèle avec superposition se produit sur un intervalle de fréquenceplus large que celui d'une transition du modèle simple. Une façon de procéderest d'évaluer par exemple la largeur du pic de frottement intérieur à mi-amplitude.

Le graphique n° 7.10 représente de même la superposition des deuxmécanismes observés cette fois à une température T0< T1 en admettant que lesfacteurs de glissement correspondant à chaque mécanisme soient différents:

Page 22: CHAPITRE 7 COMPORTEMENT DIFFERE

Rhéologie et Mécanique du bois.

224

Figure n° 7.11a: Frottement interne superposé des modèles (1) et (2)aux températures To et T1.

Figure n° 7.11b : Module dynamique résultant de la superposition desdeux mêmes mécanismes des modèles (1) et (2) observé aux températuresT0 et T1, avec la relation (T0 < T1))

Figure n° 7.12 : Modèle viscoélastique linéaire à n éléments en série.

Page 23: CHAPITRE 7 COMPORTEMENT DIFFERE

Chapitre 7 : Comportement différé

225

Modèle (1) : le passage de la température T1 à la température T0 estenvisagé avec le facteur de glissement a1(T0,T1) = 1,2, soit alors les paramètres :

τσ = 1,2 τ∗σ, τε = 0,96 τ∗

σ et Ji =1

Modèle (2) : le passage de la température T1 à la température T0 estenvisagé avec le facteur de glissement a2(T0,T1) = 5, soit alors les paramètres :

τσ = 15 τ∗σ, τε = 10 τ∗

σ et Ji =0,5

A la température d'essai T0, l'enveloppe de tgδ, figure n° 7.10, laisse plusclairement entrevoir la présence de deux mécanismes par la présence d'unedouble bosse. Le changement de température permet de séparer les effets. Lechercheur trouvera ici une démarche expérimentale lui permettant d'étayerl'hypothèse d'existence de plusieurs mécanismes sources de comportementdifféré.

Les figures n° 7.11-a et b illustrent les réponses globales en frottementintérieur et en module dynamique de la superposition des modèles (1) et (2) ci-dessus définis aux températures T0 et T1. A la température T1, les réponses sontéquivoques quant à la présence de deux mécanismes. Le doute est levé à latempérature T0. On notera que, sur la courbe d'évolution des modulesdynamiques, une rupture de pente indique l'effet du modèle (1).

Sur le plan expérimental, lorsque l'objectif est de procéder àl'identification du comportement différé, l'une des difficultés majeures résidedans le fait que les moyens techniques disponibles n’autorisent en généralqu’une fenêtre expérimentale donnée. Les intervalles de température, defréquence ou de temps accessibles sont donc des données technologiques desdispositifs expérimentaux utilisés, non nécessairement cadrés sur lesmécanismes dont on souhaite analyser les effets.

7.3.4. Approche statistique de la viscoélasticité, (spectres de temps derelaxation)

Une autre approche de l'élasticité différée consiste à considérer unereprésentation distribuée des mécanismes de relaxation. Les processus derelaxation (i) ne sont plus représentés par une amplitude λi et une constante detemps τi, mais par un spectre de temps de relaxation D(τ).

Page 24: CHAPITRE 7 COMPORTEMENT DIFFERE

Rhéologie et Mécanique du bois.

226

La formule (7.36) exprimant la fonction relaxation par une série setranspose en la relation :

(7.38) M(t) = 0

)t(ε

σ = Me + ∫∞

0

t/t τde)τ(D

où D(τ)dτ est le spectre de temps de relaxation représentant la part derelaxation due aux mécanismes dont les constantes de temps sont comprisesentre τ et τ+dτ.

Le choix d'un spectre de relaxation continu ou discret, à une ou plusieursraies spectrales, permet donc de couvrir l'ensemble des cas envisageables.

La figure n° 7.12 illustre le cas d’un spectre discrets à n raies. Le modèleest constitué d’un assemblage série de n éléments viscoélastiques associés à uneélément élastique de rigidité M0.

L’élément de rang i est un assemblage parallèle d’une rigidité Mi et d’uneviscosité µi qui sous l’action d’un effort σ0 subit une déformation εi (t).

L’effort total σ0 est la somme de l’effort transmis par la branche élastiqueproportionnelle à la déformation Mi εi(t) et de l’effort transmis par la branchevisqueuse proportionnel à la vitesse de déformation µi dt

)t(εd i

σ0 = Mi εi(t) + µi dt)t(εd i = Mi (εi(t) + τi dt

)t(εd i ) avec τi= i

i

7.3.5. Fluage à température linéairement croissante.

L’ensemble de ces observations ont inspiré la démarche suivie parGENEVAUX consistant à mettre en place un essai de fluage à températurelinéairement croissante.

Sans réduire la généralité du propos, considérons un mécanismes de rang« i » source de fluage dont la cinétique de fluage, activée thermiquement, seraitdécrite par les relations (7.39) et (7.32) du §7.3.2. ci-dessus :

(7.39) dt

d iε = ( ))t()(1ii

0i

ε−∞ετ

avec (7.32) τi = τi0 exp

∆−

T1

T1

RW

0

i

Soit alors un essai de fluage au cours duquel la température d'essaiinitialeT0 est élevée à T(t), avec une vitesse constante A, depuis un instant initialt0.(7.40) T(t) = T0+ A (t-t0)

Page 25: CHAPITRE 7 COMPORTEMENT DIFFERE

Chapitre 7 : Comportement différé

227

A tout instant t, pendant l'élévation de la température, l'accélération defluage est donnée par (7.41).

(7.41) 2i

2

dtd ε = - [ ]

∆−

τ∆−ε−∞ε

τ T1

T1

RW

expRT

AW1)t()(1

0

i2

0iiii2

i

La vitesse de fluage passera par un maximum à l'instant t1,correspondant à la température T1, qui annule le dernier terme du secondmembre de 7.41 soit :

(7.42)

∆−

τ∆=

10

i2

1

0ii

T1

T1

RW

expRT

AW1

La figure n°7.13a simule le fluage du mécanisme « i » sousdifférentes conditions. Les évolutions de εi(t) sont portées en fonction du temps.

L’évolution la plus lente correspond à un fluage isotherme à 20°C avecune constante de temps de fluage choisie à τ0 = 300 mn.

Les autres courbes correspondent à des fluages à température linéairementcroissante avec un taux de 1°C/mn. Le paramètre caractéristique de chaquecourbe est l’énergie d’activation rapportée à la constante des gaz parfaits ∆W/R.

Dans sa thèse, J.M. GENEVAUX suggère d’identifier un mécanisme derang « i » par la constante de temps à partir de trois paramètres caractéristiquesd’un pic de vitesse de fluage correspondant, en évaluant la position, l’amplitudeet l’étalement du pic de vitesse considéré.

7.3.6. En conclusion

Il convient d'avoir présent à l'esprit que de nombreux processus physico-chimiques sont susceptibles de contribuer au comportement différé observable.

Les ordres de grandeurs des constantes de temps qui caractérisent leurseffets mécaniques à une température de référence donnée peuvent être trèsdifférents (la seconde, l'heure, le mois, etc …).

De plus, l'activation thermique qui est susceptible de modifier la cinétiquede certains de ces processus est elle-même une caractéristique du processus.

Page 26: CHAPITRE 7 COMPORTEMENT DIFFERE

Rhéologie et Mécanique du bois.

228

Figure 7.13a : Fluage isotherme d’un mécanisme de rang i (τ0 = 300 mn)confronté aux réponses en fluage à température linéairement croissante

(1°C/mn). Le paramètre est l’énergie d’activation ∆W/R

Figure n°7.13b : évolution de la vitesse de fluage en isotherme et à températurecroissante, sensibilité au niveau du paramètre énergie d’activation ∆W/R.

Page 27: CHAPITRE 7 COMPORTEMENT DIFFERE

Chapitre 7 : Comportement différé

229

Notons enfin que dans le cas d’un bois donné, le taux d'humidité est selontoutes probabilité un paramètre sensible susceptible de modifier très fortementles caractéristiques du comportement différé.

Quelques illustrations expérimentales seront données en fin de chapitre. Onconstatera que le champ d'analyse et de modélisation du comportement différé dumatériau bois reste très largement inexploré, mal compris et donc considérécomme complexe.

7.4. VISCOELASTICITE TRIDIMENSIONNELLE

Dans ce qui précède, seul le comportement différé monodimensionnel dumatériau a été considéré. Comme pour le comportement élastique, lesmanifestations de viscoélasticité de nombreux matériaux sont fortementanisotropes.

7.4.1 Généralisation au tridimensionnel

Dans le cas d'un matériau anisotrope, on peut généraliser la loi decomportement viscoélastique (7.9.) ou (7.10.) en introduisant le tenseur descomplaisances viscoélasiques Sijkl(t), qui relie les composantes du tenseur descontraintes σkl(t) aux composantes du tenseur des déformations εij(t) par unproduit de convolution :

(7.39) εij(t) = ∫∞−

ττ

τστ−

tkl

ijkl dd

)(d)t(S

Les composantes Sijkl(t) du tenseur des complaisances viscoélastiquessatisfont à certaines propriétés de symétrie :(7.40) Sijkl (t) = Sjikl(t) , Sijkl (t) = Sijlk (t)

Elles résultent d'une part, comme en élasticité, de la symétrie du tenseurdes déformations (par définition même du tenseur des déformations) et de lasymétrie du tenseur des contraintes (en absence de moments induits par lesforces de volume considérées). D'autre part, des hypothèses thermodynamiques,portant sur la convexité supposée de la fonction dissipation (Onsager), induisentles possibilités de permutation sur les groupes d'indices comme indiqué ici.(7.41) Sijkl (t) = Sklij (t)

Ceci ramène à 21 le nombre des fonctions caractéristiques viscoélastiquesindépendantes, pour un solide viscoélastique anisotropes.

Page 28: CHAPITRE 7 COMPORTEMENT DIFFERE

Rhéologie et Mécanique du bois.

230

7.4.2 Symétries matérielles en viscoélasticité.

Si maintenant, on admet, pour la viscoélasticité, l'existence de plans desymétries matérielles, comme cela a été envisagé en élasticité (§3.1.3.), lenombre des fonctions fluage caractéristiques indépendantes se trouve réduit. Parexemple, la loi de comportement à contraintes imposées constantes, dansl'hypothèse d'orthotropie cartésienne définie dans la base orthonormée (1

r, 2r

, 3r

)peut se présenter sous la forme matricielle (7.43), moyennant des conventions decontraction d'indice identiques à celles envisagées au chapitre 3.

Les fonctions fluages Sij(t) sont les réponses en déformation dans le tempsrésultant d'échelons de contrainte imposés à l'instant t = 0.(Noter la contraction d'indices de 4 à 2 , ijkl → ij )(7.42) σi(t) = σi° H(t)où H(t) est la fonction de Heaviside.

(7.43)

γγγεεε

)t()t()t()t()t()t(

6

5

4

3

2

1

=

σσσσσσ

06

05

04

03

02

01

66

55

44

332313

232212

131211

)t(S000000)t(S000000)t(S000000)t(S)t(S)t(S000)t(S)t(S)t(S000)t(S)t(S)t(S

Il faut noter que l'inversion de la loi de comportement, pour passer descaractéristiques de fluage Sij(t) aux caractéristiques de relaxation Cij(t) impliquede connaître l'ensemble des fonctions fluage pour un matériau donné.

En effet, d'après les remarques du paragraphe § 7.2.2 qui sont àgénéraliser, les relations entre ces deux tenseurs caractérisant le mêmecomportement s'écrivent:

(7.44) δij =

τττ−∫ d)(C)t(S

dtd

kj

t

0ik

L'ensemble des notions, relatives au comportement différé en général, et àla viscoélasticité en particulier, va être repris à propos du matériau bois.

Page 29: CHAPITRE 7 COMPORTEMENT DIFFERE

Chapitre 7 : Comportement différé

231

7.5. COMPORTEMENT DIFFERE DU MATERIAU BOIS Qu'en est-il de nos connaissances à propos du comportement différé du

matériau Bois ?Pour de faibles niveaux de contrainte, à des températures constantes

voisines de l'ambiante et à des taux d'humidité d'équilibre du bois sec à l'air,nous adoptons [SCHNIEWIND], une loi de comportement linéaire, qui rendcompte de la linéarité et de la très forte anisotropie du matériau bois.

7.5.1 Fluage longitudinal isotherme sous climat constant

En vue d’illustrer le comportement en fluage longitudinal du bois, nousavons choisi de nous appuyer sur d’intéressants résultats expérimentaux obtenuspar l’équipe du Prof. A. FOUDJET au Laboratoire de Mécanique de l’ENSPYau Cameroun [NGOUAGOUM].

7.5.1.1 Contrainte limite de comportement linéaire.Un jeu d’éprouvettes isocontraintes [FOUDJET], prélevées dans un

échantillonnage de bois tropicaux (Movingui, Sapelli, Tali, Azobe) couvrant uneassez large plage de masse volumique (respectivement 0.62, 0.63, 0.95 et 1.03g.cm-3), est soumis à un essai de fluage de moyenne durée (400 heures) enchargement « cantilever », dans des conditions climatiques ambiantes (humiditérelative HR = 63% et température moyenne T = 25 °C.). Les niveaux dechargements imposés correspondent à des pourcentages (25, 30, 35 et 40%) dela charge de rupture, estimée pour chaque essence par des essais préalable derupture, réalisés sur le même dispositif expérimental.

La figure n° 7.2, en début de chapitre 7, illustre certains de ces résultatsrelatifs au Sapelli. Les évolutions du taux de fluage sont reproduites sur la figuren° 7.3 sur une échelle logarithmique du temps. On constate que les courbesrelatives aux taux de chargement de 25, 30 et 35% restent proches les unes desautres, tandis que l’essai réalisé à 40 % de la charge de rupture décroche trèsnettement vers des amplitudes plus grandes. Cette quatrième courbe ne sesuperpose pas aux trois précédentes, la limite de linéarité du comportementlongitudinal du bois a donc été franchie. Le résultat, rapporté ici à propos duSapelli, est analogue pour les trois autres essences analysées dans cette étude ; ilconfirme un acquis en ce domaine : « le comportement mécaniquelongitudinal du matériau bois est sensiblement linéaire pour des taux dechargements inférieurs au tiers de la charge de rupture »

Page 30: CHAPITRE 7 COMPORTEMENT DIFFERE

Rhéologie et Mécanique du bois.

232

Figure n° 7.14 a : Lissage d’une courbe expérimentale de fluage de Sapelli par trois modèlesde types exponentiels à 1.2 et 3 raies. (représentation sur une échelle linéaire du temps)

Figure n° 7.14 b : Lissage d’une courbe expérimentale de fluage de Sapelli par trois modèlesde types exponentiels à 1.2 et 3 raies. (représentation sur une échelle logarithmique du temps)

Figure n° 7.15 : Ecart relatif entre mesure de flèche fi lue à l’instant ti et la flèche f(ti) donnéeà l’instant ti par les trois modèles optimisés

Page 31: CHAPITRE 7 COMPORTEMENT DIFFERE

Chapitre 7 : Comportement différé

233

7.5.1.2 Identification de la fonction fluageS’agissant d’un comportement en fluage linéaire, il convient de

déterminer la forme du modèle mathématique la plus simple susceptible derendre compte des observations expérimentales. On se place ici dans le contextedu § 7.3.4. en envisageant un spectre discret de fluages élémentaires de typeexponentiel. Les figures n° 7.14a et 7.14b illustrent la démarche d’identificationdu modèle en s’appuyant sur les résultats expérimentaux du fluage d’uneéprouvette de Sapelli (S25) sollicitée à 25% de la charge de rupture.

Le modèle adopté, généralisation de (7.22), est un spectre discret àn éléments exponentiels de temps de fluages τι, donc à (2n + 1) paramètres :

(7.45) J(t) = J(0) [1 + ∑=

τ−

−∆−n

1i

)t

(

i )e1(J1( i ]

Chacun des trois modèles illustrés sur les figures n° 7.14 a et 7.14best obtenu par optimisation des paramètres J(0), ∆Ji et τi , avec une méthode dugradient minimisant l’écart quadratique moyen de la courbe optimisée auxrésultats expérimentaux. Les paramètres sont reproduits dans le tableau 7.2.

Tableau n° 7.2 : Tableau des paramètres optimisés des trois modèles sur lesrésultats Sapelli S25.

Nombre deparamètres J(0) ∆J1 τ1 ∆J2 τ2 ∆J3 τ3 Ecart

mm % h % h % h %3 3.53 20.7 72.5 1.85 3.44 18.0 147 8.4 2.78 0.567 3.35 18.3 167 7.73 5.32 4.10 0.118 0.19

Le modèle à trois paramètres (une seule exponentielle) biaiseindiscutablement les résultats expérimentaux. Il s’agit d’un résultatgénéralisable, « le fluage du bois observé sur un intervalle de temps deplusieurs dizaines d’heures est imparfaitement décrit par un fluageexponentiel à trois paramètres ».

Le modèle à 5 paramètres (deux exponentielles) rend correctementcompte des mesures avec une précision technologique très satisfaisante, enregard de l’incertitude avec laquelle les résultats expérimentaux sont acquis.

Sur la base de ces résultats expérimentaux, nous avons optimisé lesparamètres du modèle à 7 paramètres (3 exponentielles).

Page 32: CHAPITRE 7 COMPORTEMENT DIFFERE

Rhéologie et Mécanique du bois.

234

Figure n° 7.14a : Taux de fluages expérimentaux de Sapelli obtenus à 3 niveaux dechargement comparés au modèle optimisé sur les résultats expérimentaux S25.(échellelinéaire des temps)

Figure n° 7.14b : Taux de fluages expérimentaux de Sapelli obtenus à 3 niveaux dechargement comparés au modèle optimisé sur les résultats expérimentaux S25.(échelle log dutemps)

Figure n° 7.15 : Fluages isothermes de quatre essence tropicales (Sapelli, Movingui, Azobé etTali) (selon NGUOAGOUM et FOUDJET) et les lissages associés. (échelle linéaire destemps)

Page 33: CHAPITRE 7 COMPORTEMENT DIFFERE

Chapitre 7 : Comportement différé

235

(7.46) )0(f

)0(f)t(f − = a1 [1-exp(-1

)] + a2 [1-exp(-2

)] + a3 [1-exp(-3

)]

Le gain de cette complexité accrue n’est observable que sur la figure n°7.14b qui présente les mêmes résultats que la figure n° 7.14a sur une échellelogarithmique du temps. Ce modèle rend compte des mesures à très court terme,mieux que le précédent. On constate naturellement qu’en augmentant le nombredes paramètres d’un modèle, les données expérimentales sont approchées aumieux. Le critère de complexité acceptable pour un lissage de pointsexpérimentaux est à rechercher dans l’estimation de la précision des mesuresannoncée par l’expérimentateur. En l’occurrence, les auteurs estimentl’incertitude de mesure de la flèche à 1%.

En conséquence, les écarts entre points expérimentaux et modèles, évalués

dans le tableau n°7.2 par l’écart quadratique moyen et illustré par l’écart relatifsur la figure n° 7.15, permettent de conclure que le modèle à 3 paramètres nerend pas compte des résultats expérimentaux avec un niveau de précisionacceptable ; il en est de même du modèle à trois paramètres en loi puissance dutemps, f(t) = a + b tc usuellement utilisé, notamment en Génie Civil [CARIOU].Notons que selon le critère de la précision expérimentale, la complexité dumodèle à 7 paramètres ne se justifie ; c’est le modèle à 5 paramètres qui est ici leplus pertinent.

Les figures n° 7.14a (échelle linéaire du temps) et 7.14b (logarithme dutemps) représentent les évolutions du taux de fluage du Sapelli obtenues pourtrois niveaux de sollicitations (25, 30 et 35% de la charge de rupture), et ceci surtrois éprouvettes distinctes, comparées à la réponse du modèle optimisé sur S25.

« Le comportement mécanique différé longitudinal linéaire dumatériau bois, isotherme à humidité constante, observé sur plusieurscentaines d’heures est correctement décrit par un modèle à spectre discretde temps de fluages exponentiels. Un modèle à une seule raie étantinsuffisant ».

Des résultats analogues de fluages isothermes obtenus sur quatre essencestropicales (Sapelli, Movingui, Azobe et Tali) et observés sur quelques centainesd’heures sont présentées sur les figures n° 7.15 et 7.16 , tandis que les figures n°7.17 et 7.18 illustrent les taux de fluage des mêmes expériences. Ces deuxdernières représentations supposent que les flèches à l’instant origine deschargements a pu être correctement évaluée, ce qui est difficilement réalisable.

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Rhéologie et Mécanique du bois.

236

Figure n° 16 : Fluages isothermes de quatre essence tropicales (Sapelli, Movingui, Azobé etTali) (selon NGUOAGOUM et FOUDJET) et les lissages associés. (échelle logarithme dutemps)

Figure n°7.17 : Taux de fluage pour les quatre essences (la flèche initiale doit être estimée)

Figure n°7.18 : Taux de fluage pour les quatre essences (échelle logarithmique du temps), enregard du modèle de fluage standard.

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Chapitre 7 : Comportement différé

237

On utilise le plus souvent une extrapolation asymptotique de la flèche vers lestemps courts dans la représentation sur une échelle logarithmique du temps(Figure n° 7.16).

Le tableau 7.3 donne les paramètres des modèles de lissages à troisexponentielles optimisés sur les données expérimentales relatives aux quatreessences, la dernière ligne est le modèle de fluage standard à court terme(quelques centaines d’heures) déduit des résultats précédents en moyennantchaque paramètre. La pertinence du modèle de taux de fluage standard estillustrée sur la figure n° 7.18.

Tableau n° 7.3 : Modèles de taux de fluages optimisés pour les quatre essenceset modèle de fluage standard à court terme.

essence densitég cm-3

a1

%τ1

ha2

%τ2

ha3

%τ3

hSapelli 0.63 4.1 .118 7.73 5.32 18.3 167

Movingui 0.62 5.5 .43 9.0 14 19.0 150Azobé 1.03 5.1 .41 6.0 15 17 270Tali .95 5.8 .52 9.3 12.5 20.5 320

Standard 5.0 .40 8.0 12.0 19.0 230

7.5.2 Anisotropie viscoélastique du bois

Dans un premier temps, certains auteurs [BHATNAGAR et autres] ont,basé leur démarche sur des développements inspirés de la théorie de la plasticité,où il est admis que le fluage se produit à volume constant et que la cinétique defluage est la même pour toutes les composantes de la matrice des complaisances.L'exploration expérimentale de l'ensemble des neuf termes de la matrice descomplaisances viscoélastiques du bois, n'a été réalisée qu'en de rares occasions.Ces quelques travaux ont permis de conclure que l'hypothèse simplificatrice defluage isovolume n'était pas à retenir, car peu réaliste [SCHNIEWIND andBARRETT ]. Plus récemment, certains chercheurs de l'équipe bordelaise du G.S."Rhéologie du bois " ont identifié expérimentalement la matrice descomplaisances viscoélastiques pour le Pin maritime. Les observations faites surquelques dizaines d'heures, à température ambiante, pour différents tauxd'humidité, vont être utilisées pour illustrer le caractère fortement anisotrope ducomportement différé du matériau bois.

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Rhéologie et Mécanique du bois.

238

Figure n° 7.19 : Courbes de complaisances en fluage du Pin Maritime selon les directionslongitudinale, radiale et tangentielle, d’après [CARIOU], bien noter que les complaisancesSRR et STT ont été divisées par 10

Figure n° 7.20 : Taux et Vitesse de fluage à 10 minutes pour le Pin maritime, d'après[CARIOU]. Bien noter que la vitesse de fluage a été multipliée par 40.

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Chapitre 7 : Comportement différé

239

La figure n° 7.19 illustre les évolutions des complaisances en fluageSij(ti) mesurées en traction sur un Pin Maritime. Elles montrent clairement laforte anisotropie du fluage de laquelle se dégage une relation d’ordrecomparable à celle notée à propos des complaisances élastiques : SLL(t) << SRR(t) <STT(t).

Les résultats expérimentaux, évoqués ici, correspondent malheureusementà des observations de trop courte durée, une vingtaine d’heures. Néanmoins,pour exploiter de telles courbes de fluage, tronquées vers les temps longs,CARIOU identifie les paramètres de lois de lissage en puissance du temps, dutype :(7.47) Sij( t ) = Sij(0) ( 1 + M N

0

)t(τ

)

dans lesquelles, Sij(0), M et N sont trois paramètres à identifier à partir despoints expérimentaux. La constante τ0 est un temps de référence choisiarbitrairement, lequel a été fixé dans les commentaires qui suivent à , τ0 = 10minutes.

La figure n°7.20 indique les taux de fluage et les vitesses de fluageobservés 10 minutes après la mise en charge. Ces grandeurs sont exprimées enpourcentages de la complaisance instantanée correspondante Sij(0),conformément aux définitions :

(7.48) Taux de fluage à 10 minutes = )0(S

)0(S)10(S

ij

ijij −x 100

Vitesse de fluage à 10 minutes = 100xdt

)10(dS)0(S

1 ij

ij

Compte tenu de la forme (7.47) et d'après les définitions de (7.48), le tauxde fluage à t = τ0 est égal à 100*M ; tandis que la vitesse de fluage au mêmeinstant est égale à 100*M*N /τ0 .

Ces résultats confirment la très forte anisotropie du fluage évoquée ci-dessus. Nous retiendrons :

• Lorsque l'effort est imposé suivant la direction générale des fibres 3r

, S33, S13

et S23 correspondent aux élongations dans les trois directions matérielles 1r

radiale, 2r

tangentielle et 3r

longitudinale, qui résultent d'une contrainte unitéappliquée suivant l'axe 3

r. A 10 minutes, le taux de fluage estimé reste

inférieur à 4%, la vitesse de fluage est déjà inférieure à 0,06 % mn-1.

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Rhéologie et Mécanique du bois.

240

• Les sollicitations imposées perpendiculairement au fil du bois (radiale1r

outangentielle 2

r) donnent, pour les complaisances S11, S22 et S12 , des taux de

fluage 2 à 3 fois supérieurs et des vitesses près de 5 fois plus élevées quedans le cas évoqué ci-dessus (axe 3

r).

• L'anisotropie viscoélastique est différente (moins prononcée) de l'anisotropieinstantanée ou élastique, dans l’exemple choisi, bien sûr !.

Un premier commentaire sur l'anisotropie viscoélastique du matériau boispeut être avancé : Le bois massif sans défaut (nœud) est assimilable à unmatériau composite à renfort filamentaire tridimensionnel .

Les éléments de renforcement sont constitués pour l'essentiel par lesenveloppes tubulaires que forme la paroi S2 des fibres. Ces "renforts" ont uneforte rigidité axiale essentiellement liée à la présence et à l'orientation decristallites de cellulose ou microfibrilles. Le renforcement qu'elles occasionnentest, pour l'essentiel, suivant la direction longitudinale 3

r de la matière ligneuse.

Pour une part, elles contribuent à un renforcement dans la direction radiale 1r

dela grume, du fait de leur présence dans les rayons ligneux, elles participent, ainsipour partie, à l'anisotropie viscoélastique constatée dans le plan transverse )2,1(

rr.

Les éléments de renfort sont susceptibles d'un comportement viscoélastiquepropre, plus probablement associé à la partie amorphe de la cellulose située enliaison de deux cristallites au sein des microfibrilles.

Une "matrice" polymérique assure la cohésion entre les éléments derenforcement. Cette matrice est constituée pour l'essentiel de la lamellemitoyenne, de la paroi primaire et éventuellement de la paroi S1. Les polymèresamorphes sont de la lignine et des hémicelluloses. Ils ont des comportements, detype thermoplastique, fortement viscoélastiques qui influent grandement sur lecomportement macroscopique transverse observé pour le bois massif Lesmicrofibrilles de cellulose sont orientées de façon plus aléatoire dans ces souscouches.

Ce simple commentaire induit déjà l'idée de considérer que les sources decomportement différé dans le matériau bois sont multiples. D’autre part, ilapparaît que les cinétiques de fluage observables sont différentes selon lesdirections de sollicitation. Taux de fluages et cinétiques de fluages sontanisotropes.

Page 39: CHAPITRE 7 COMPORTEMENT DIFFERE

Chapitre 7 : Comportement différé

241

7.5.3 Influence de la température sur la rhéologie du bois

Du fait des remarques ci-dessus, il est à prévoir que le comportement doitêtre extrêmement sensible à la température à laquelle sont menées lesexpérimentations. Retenons simplement que le comportement en fluage, dans ladirection longitudinale, apparaît comme thermiquement activé. La cinétique defluage est modifiée par un changement de la température d'expérimentation.Dans le cadre des modèles du § 7.3.2, il vient par exemple :

(7.49) dtdε = ( ))t()(1

ε−∞ετ

avec (7.32) τ = τ0 exp

∆−

T1

T1

RW

0

Les constantes de temps τ peuvent être reliées à la température d'essai, parune loi d'Arrhénius (7.32), caractérisée par l'énergie d'activation ∆W duprocessus de fluage observé.

On notera que pour un spécialiste des polyméres, c'est la valeur trouvéepour cette caractéristique qui identifie clairement le mécanisme source deviscoélasticité mis en cause. Les essais rapportés dans la littérature [LE GOVICet autres] sont relatifs à un épicéa et ont donné une énergie d'activation ∆W =160 kjoules.mole-1. Il est ici légitime de se demander si le principe d'équivalencetemps-température, ci-dessus évoqué, reste applicable directement pour toutesles directions matérielles et si le processus d'activation est unique.

Notons que la formulation (7.49) adoptée, ici, pour décrire la cinétiqueest en accord avec le développement du § 7.3.2, et n'est pas conforme à celle quise déduirait de la loi puissance présentée en (7.47). Ceci illustre la souplessequ'il y a dans le choix d'une modélisation adaptée aux informationsexpérimentales disponibles, lorsque la démarche est phénoménologique.

Parallèlement aux essais de fluage, la mesure des évolutions du moduledynamique et du frottement intérieur donne une analyse complémentaire ducomportement viscoélastique (c.f. § 7.2.4). Une campagne de mesure a étéréalisée sur des échantillons de Douglas sollicités à basse fréquence (N=1Hz), aumoyen d'un pendule de flexion [GUERRIN]. Les familles d'éprouvettesprismatiques étaient soigneusement taillées avec leur grand axe respectivementparallèle aux trois directions de symétrie radiale1

r, tangentielle 2

ret

longitudinale 3r

. La rigidité apparente (module), et la tangente de l'angle de pertetg(δ) sont enregistrées pour chaque niveau de température qui estprogressivement élevée de 20 à 75°c.

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Rhéologie et Mécanique du bois.

242

Figure n° 7.21 : Module dynamique longitudinal, radial et tangentiel mesuré à 1Hz enfonction de la température sur un Douglas, selon [GUERRIN].

Figure n°7.22 : Frottement intérieur tg(δ) longitudinal, radial et tangentiel mesuré à 1Hz en fonction de la température sur un Douglas, selon [GUERRIN].

Page 41: CHAPITRE 7 COMPORTEMENT DIFFERE

Chapitre 7 : Comportement différé

243

Les éprouvettes étaient conditionnées préalablement à un taux d'humiditéd'équilibre de 12%. La figure n° 7.21 illustre les évolutions des modulesdynamiques M(ω) (c.f. §7.2.4 formule (7.27)) qui apparaissent pour les troisorientations comme fonctions décroissantes de la température. Pour les besoinsde la représentation graphique, les mesures du module radial sont multipliées par5, tandis que les mesures du module tangentiel sont multipliées par 20. Larigidité tangentielle est de loin la plus affectée par l'élévation de température. Onconstate une perte du module dynamique tangentiel voisine de 35% pour uneélévation de température de 30°C.

Sur la figure n° 7.22 ont été reportées les évolutions correspondantes dufrottement intérieur tg(δ) (c.f. §7.2.4 formule (7.28)) qui sont cette foisnettement différenciées en fonction de l’orientation des éprouvettes. Cesrésultats sont à rapprocher de ceux rapportés par SALMEN sur Picea Abies[SALMEN].

Le frottement intérieur longitudinal, correspondant à des sollicitationssuivant la direction des fibres du bois, est d'un niveau relativement faible (del'ordre de 1%) et continûment croissant dans la plage de température explorée.Dans la plage de température balayée (20 - 75°C.), il n'apparaît pas de maximumde frottement intérieur. Une éventuelle transition serait à rechercher vers destempératures plus élevées.

Le frottement intérieur radial est sensiblement intermédiaire en niveau (del'ordre de 3,5%) et présente une très légère courbure vers de bas, pasfranchement significative.

Le frottement intérieur tangentiel, quant à lui, est d'un niveau moyenbeaucoup plus important. Il présente un maximum marqué de l'ordre de 9% auvoisinage de θ = 43°C. On peut voir, ici, en sollicitation tangentielle, lasignature d'une transition de comportement différé qui n'est pas décelée ensollicitation longitudinale ou radiale.

Remarque : En référence au § 7.2.4. et la figure n°7.7c, le maximum de frottement intérieur dumodèle « élémentaire » associé correspond sensiblement à une constante de temps de fluage τσ

liée à la pulsation de sollicitation ω = 2πN0 de telle sorte que log(ωτσ) = 0. En conséquence, lemécanisme viscoélastique soupçonné ici est caractérisé par un temps de fluage τσ = ½ π sdéterminée à la température absolue T0= 316°K. Pour être plus complète la caractérisationimpliquerait de connaître l’énergie d’activation thermique ∆W associée (§7.3.2).

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Rhéologie et Mécanique du bois.

244

Figure n° 7.23 : Module dynamique d’un Spruce, mesuré à 1 Hz en fonction de latempérature, pour différents niveaux de taux d'humidité, selon [KELLEY]

Figure n° 7.24 : Frottement intérieur d’un Spruce, mesuré à 1 Hz en fonction de latempérature, pour différents niveaux de taux d'humidité, selon [KELLEY]

Page 43: CHAPITRE 7 COMPORTEMENT DIFFERE

Chapitre 7 : Comportement différé

245

Une interprétation complémentaire quant au comportement viscoélastiquedu matériau bois peut être avancée. Un spécialiste des polymères est en droit desuspecter des manifestations différenciées, suivant les directions de sollicitation,associées à des transitions vitreuse ou secondaire des polymères constitutifs dubois. Compte tenu des conclusions du § 7.5.1, les manifestations deviscoélasticité observées ici n’ont pas une origine unique ; elles trouvent leurssources dans les polymères constitutifs de la "matrice", hémicelluloses oulignine, et des microfibrilles cellulosiques de renforcement.

En conclusion, Il apparaît clairement que l’explication du comportementdifféré du matériau bois doit être recherchée, moins au niveau de la structureanatomique des arrangements cellulaires des différentes essences, mais plutôt àl’échelle plus fine des agencements macromoléculaires à l’intérieur des paroiscellulaires. On rejoint ici les propositions déjà anciennes de certains auteurs[GROSSMAN et autres]. Il est alors naturel d'envisager pour le matériau bois demultiples sources de comportement différé, pour le moins, les contributions despolymères constitutifs hémicelluloses , lignine, cellulose amorphe et cellulosecristalline ainsi que les effets éventuels de couplage, notamment avec l'eau, dontles manifestations sont susceptibles d’activations thermiques différentiées.

7.5.4 Influence du taux d'humidité en rhéologie du bois

Dans le présent exposé, l'auteur a, jusqu'ici, pudiquement négligé de parlerdu rôle du taux d'humidité sur le comportement différé observable. La raisonmajeure est que celui-ci est, à notre avis, encore mal compris en l'état de larecherche.

En présence de variations du taux d'humidité, le comportement souscharge est complexe. Les évolutions de déformations constatées, difficilementinterprétées, sont désignées sous le vocable "effets mécanosorptifs". La théoriede l'hygro-viscoélasticité proposée par RANTA-MAUNUS envisage l'influencesimultanée et couplée de l'état de contrainte, de la température et du tauxd'humidité. D'importants travaux visent à la mise en place d'un modèle cohérentde la mécanosorption.[GRIL].

L'interprétation d'essais de qualification du comportement différé, réalisésà différents niveaux du taux d'humidité, lequel est maintenu constant pendantl'essai, est semble-t-il un peu plus aisée. Il est légitime de considérer [BACK etSALMEN] que l'eau adsorbée au sein des polymères constitutifs agit sur latempérature de transition vitreuse Tg du polymère considéré. Il en résulterait

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Rhéologie et Mécanique du bois.

246

donc, pour les transitions vitreuses et pour les éventuelles transitionssecondaires, un effet d'activation lié à une augmentation du niveau du tauxd'humidité. Ce mécanisme d’activation hydrique peut être modélisé de façoncomparable au phénomène d'activation thermique. L'effet plastifiant de l'eau estnettement différencié selon les polymères considérés.

L'idée d'une pluralité des mécanismes sources de relaxation est confirméepar l'Analyse Mécanique Thermique et Dynamique (DMTA: DynamicMechanical Thermal Analyser), réalisée sur un épicéa [RIALS] [KELLEY].

Les figures n° 7.23 et n° 7.24 représentent respectivement les évolutionsdu module dynamique M(ω) et le frottement intérieur tg(δ), d'éprouvettesd'épicéa sollicitées en flexion à basse fréquence 1 Hz, mesurés en fonction de latempérature comprise entre -150 et +150°C. Les taux d'humidité sont maintenusconstants à différents niveaux, 5, 10, 20 et 30%, au cours des différentesmesures.

Au delà de 60% C, une transition de comportement est nettement visiblesur l'évolution des modules dynamiques figure n° 7.23, pour les taux d'humiditésupérieurs à H=5%. Les signatures de transitions secondaires sont perceptiblessur cette même figure par un œil expérimenté dans les évolutions aux bassestempératures.

Les évolutions du frottement intérieur, figure n° 7.24, présentent surl’ensemble de la fenêtre expérimentale (-150,+150 %C) trois pics distincts. Lesauteurs [RIALS et autres] leur attribuent une origine chimique, en relation avecles polymères constitutifs ou l'eau adsorbée. Ces précisions ne seront pasdiscutées ici. Nous retiendrons toutefois que dans ces conditions expérimentalestrois transitions de comportement différé sont mises en évidence pour dessollicitations imposées suivant une même direction matérielle.

En cours d'expérience, le niveau du taux d'humidité conditionne lespositions de chaque transition sur l’échelle des températures, repérées sur lafigure n° 7.24 par des traits verticaux. L’échelonnement judicieux des niveauxde taux d’humidité explorés, allant d’un bois très sec (H=5%) jusqu’à un boispratiquement au point de saturation des fibres (H= 30 %), permet de suivre sansambiguïté le déplacement de chacun des pics de frottement intérieur sur l’échelledes températures, en fonction du taux d’humidité (c.f. Tableau 7.4)

Un accroissement du taux d'humidité global du bois se traduit par leglissement d’un pic donné vers les basses températures. Le taux d’humidité

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Chapitre 7 : Comportement différé

247

influe sur la constante de temps caractéristique τ du processus viscoélastiqueconsidéré.

Tableau n° 7.4 : Température en °K d’apparition des pics de frottement intérieur de troisprocessus Pi observés en température pour quatre niveaux de taux d’humidité

Pic H=5% H=10% H=20% H=30%P1 199 191 176 170P2 337 298 289 266P3 387 362 346 340

Chacun des trois processus Pi de comportement différé mis en évidencepar ces résultats expérimentaux apparaît comme susceptible d’une activationhydrique. Le grand intérêt des résultats rapportés ici, quant à la compréhensiondes micromécanismes qui régissent le comportement différé du bois, nous aconduit à demander des informations complémentaires à l'un des auteurs[RIALS]. Le point essentiel à retenir dans le cadre du présent exposé est que leséprouvettes soumises à l'essai DMTA ont leur grand axe orienté dans ladirection tangentielle. Le lecteur se référera valablement sur ce point, auxcommentaires § 7.5.3. relatifs aux figures n° 7.21 et 7.22, selon [GUERRIN].

7.6 DIVERSITE DES SOURCES DE COMPORTEMENT DIFFERE

En assimilant la matière ligneuse à un composite, assemblage de plusieursconstituants polymèriques, il est normal de chercher à retrouver dans lecomportement macroscopique du composite les signatures des matériauxviscoélastiques constitutifs, comme cela a pu être montré par l'auteur à propos dematériaux composites de synthèse [Guitard].

Nous avons vu au paragraphe § 7.5.1. que les courbes de fluage obtenuesà température et taux d'humidité constants se prêtent mal à l'identification de lamultiplicité des sources possibles d'élasticité différée. Elles impliquent dediscriminer les contributions élémentaires dans des évolutions monotonescroissantes. Les essais en sollicitations ondulées, commentés ci-dessus au§7.5.3. et § 7.5.4., sont en général plus révélateurs, notamment les courbes defrottement intérieur (cf. figure n° 7.22 et 7.24 ). Dans celles-ci, les mécanismesse traduisent par des pics, plus ou moins marqués, selon qu'à l'intérieur d'unefenêtre expérimentale (plage de température, de fréquence et d'humidité) semanifestent un ou plusieurs mécanismes élémentaires.

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Rhéologie et Mécanique du bois.

248

Figure n° 7.25: Evolution de la vitesse de fluage de torsion pour un pin radiata ; températurecroissant linéairement dans le temps, selon [HILLIS]___ : Eprouvette sans traitement. ---- : Eprouvette portée à 100°C pendant 2 heures.

Figure n° 7.26 : Taux de fluage du Mélenthiéra, (flèche relative ) à deux températures 20 et90°C, et lors du passage de 20 à 90°C.selon [JOUVE]

Figure n° 7.27 : Taux de fluage du Wapa,(flèche relative) à deux températures 20 et 90°C, etlors du passage de 20 à 90°C. selon [jouve]

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Chapitre 7 : Comportement différé

249

Les essais mettant en évidence les effets mécanosorptifs sont le plussouvent des expériences de type fluage, sous chargement constant, conduitessous climat variable. La température étant maintenue constante, des variationstemporelles du taux d’humidité sont imposées aux éprouvettes [HUNT].

Dans le même esprit, il est montré que des essais de fluage, à tauxd'humidité constant, conduits sous une température régulièrement variable sontriches en informations sur les sources de comportement différé.

7.6.1. Fluage à température variable.

Certains chercheurs [HILLIS et ROZSA] ont envisagé un essai de fluageen torsion, à couple imposé constant. La température est élevée à vitesseconstante de 20 à 120°C. La vitesse de fluage est présentée en fonction de latempérature.

La figure n° 7.25 illustre la démarche pour un Pin Radiata. Le maximumde vitesse observé à 80°C est attribué par Hillis aux hémicelluloses, et lemaximum qui apparaît à 100°C attribué aux lignines ceci pour l’essai réalisé surune éprouvette non traitée. Il convient de noter que le mode de sollicitation est,dans cet exemple, une torsion autour de l'axe longitudinal 3

r. La figure montre

qu’un traitement thermique préalable consistant à porter l’éprouvette à 100°Cpendant 2 heures déplace les deux pics vers des températures plus basses,respectivement 60 et 85°C.

Les techniques d'analyse des températures de ramollissement sontmultiples et peuvent être mises à profit pour ce genre d'investigations [CHOW etautres][BIRKINSHAW et autres].

Le suivi de la vitesse de fluage, lorsque la température de l'essai estcontinûment variable et le taux d'humidité maintenu constant, est susceptible defournir des informations précieuses sur les mécanismes sources decomportement différé. L'équipe du CTFT (actuel CIRAD Forêt), [JOUVE etSALES], apporte sur ce point un intéressant indice de pertinence de tels essais.Les figures n° 7.26 et n°7.27 sont relatives respectivement à deux essencestropicales, Melenthiera et Wapa, testées en flexion trois points à des tauxd'humidité supérieurs au point de saturation des fibres. Elles représentent, lesévolutions du taux de fluage en fonction du temps. La référence de flèche fθ(0)étant celle mesurée pour chaque essai 15 secondes après l'instant de mise encharge, à la température θ.

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Rhéologie et Mécanique du bois.

250

Figure n° 7.28: Vitesse relative de fluage d'un peuplier à 8% de taux d'humidité, suivantles trois directions d'orthotropie en fonction de la température qui évolue linéairementen fonction du temps, selon [GENEVAUX].

Figure n° 7.29 : Positionnement des constantes de temps identifiées τσ en fonction del’inverse de la température Absolue T

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Chapitre 7 : Comportement différé

251

Sur chacune des figures sont reportés les points expérimentauxcorrespondant à trois essais menés respectivement à une température constantede 20°C, à une température constante de 90°C et à température continûmentvariable entre 20 et 90°C. Cette troisième courbe de taux de fluage, obtenue àtempérature croissante, présente deux particularités ; d’une part, le taux defluage total est apparemment plus grand que celui observé à 90°C, d’autre partla vitesse de fluage observée est non monotone.

L’importance apparente du taux de fluage total résulte des valeurs de ladéformée fθ(0) de référence. La déformée de référence f90(0) de l'essai conduit à90°C, est plus importante que la flèche de référence f20(0) de l'essai mené àtempérature variable de 20 à 90°C. En effet, f90(0) >f20 (0).

La non monotonie de la vitesse de fluage observée lors d’essais menés àtempérature croissante est imputable aux manifestations différentiés demécanismes élémentaires sources de comportement différé.

7.6.2. Fluage à température linéairement croissante.

L’ensemble de ces observations ont inspiré la démarche suivie parGENEVAUX consistant à mettre en place un essai de fluage à températurelinéairement croissante, dont le développement théorique est évoqué ci-dessus.(c.f. 7.3.5).

Sur cette base, le LEMTA [GENEVAUX] a entrepris d'évaluer le fluagetridimensionnel de certains bois. Les complaisances longitudinale, radiale ettangentielle, sont mesurées sur des éprouvettes isocontraintes [FOUDJET]. Latempérature de l'enceinte est progressivement augmentée à la vitesse de 0,2°C.mn-1. L'humidité relative de l'enceinte est ajustée, pas à pas, de façon àcorrespondre à un taux d'humidité d'équilibre du bois constant.

La vitesse de fluage est évaluée par l'approximation (7.53).

(7.53) vitesse relative =mn5

)t(f)mn5t(f ii −+

fi (t) est la flèche mesurée au cours de l'essai de fluage en flexion, pour chacunedes directions i.

La figure n° 7.28 illustre les évolutions de la vitesse relative de fluage enfonction de la température, (ou du temps.). Pour les trois directions de

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Rhéologie et Mécanique du bois.

252

sollicitation des maxima significatifs sont observés et les niveaux de vitesse dedéformation sont très nettement différents.

Une multiplicité de pics de vitesse est observable sur la figure n° 7.28. Lesmaxima (1) et (4) sont significatifs simultanément suivant les directions desollicitation tangentielle et radiale. Le pic (2) n'est sensible qu'en radial etlongitudinal, tandis que (3) et (5) sont observables suivant les trois directions.

Des essais répétés à différents taux d'humidité permettent de suivre ledéplacement des pics sur l'échelle des températures, ce qui laisse présager lapossibilité de chiffrer le rôle joué par ce paramètre physique sur les cinétiques defluage.

7.6.3. Temps de fluage, énergie d’activation.

L’identification des processus élémentaires sources du comportementdifféré tridimensionnel du matériau bois est de toute évidence une tacheconsidérable. Des progrès sensibles ont été réalisés [BARDET], beaucoup resteà faire dans un contexte de recherche scientifique interdisciplinaire.mécaniciens, physiciens et chimistes et même biologistes doivent collaborerpour accéder à un « Pourquoi » en s’appuyant sur un « Comment » encorefragile du comportement différé.

Nous venons de voir qu’une manière de qualifier mécaniquement unprocessus de comportement différé élémentaire de rang « i » était d’évaluer sacontribution au fluage total εi(∞)= ∆Ji Ji0σ0, le temps τi0 caractéristique de lacinétique déterminé à la température T0. Dans l’hypothèse d’une activationthermique la donnée de l’Energie d’activation associée ∆Wi permettra d’estimerle temps caractéristique τi à une température T.

7.7. CONCLUSION.

Il apparaît très clairement que la compréhension des mécanismes qui sontà l'origine du comportement différé du matériau bois est rendue particulièrementdifficile du fait de la multiplicité des transitions vitreuses ou secondaires quemanifestent les polymères constitutifs de la matière ligneuse.

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Chapitre 7 : Comportement différé

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Le fait d'une participation différenciée des transitions observables suivantles directions anatomiques sollicitées peut être un guide précieux pourl'identification des polymères concernés.

Les essais de fluage à température croissante réalisés au LEMTA[GENEVAUX] constituent un nouvel outil d'analyse du comportement différé.Les premiers résultats montrent que des constantes de temps et des températurescaractéristiques peuvent être associées à chacun des effets viscoélastiquesobservés.

Il semble très probable que les sources de comportement différé soient àrechercher au niveau de l'ultrastructure de la matière ligneuse, au niveaumoléculaire plutôt qu'au niveau de la macrostructure. Si cette hypothèse seconfirmait, compte tenu de la relative stabilité de la composition chimique de lamatière ligneuse, il n'est pas exclu d'aboutir à terme, à une modélisationcohérente du comportement différé, applicable à quelques classes d'essences. Detels modèles seraient alors de puissants outils technologiques de prévision ducomportement viscoélastique des bois dans des conditions variéesd'environnement climatique.

Le développement de programmes d'études visant à l'identification et,donc, à la compréhension des mécanismes physico-chimiques sources ducomportement différé du matériau bois, doit nécessairement s'inscrire dans unedémarche pluridisciplinaire.