CEDH_Ghedir Et Autres c. France

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du Greffier de la Cour CEDH 246 (2015) 16.07.2015 Arrestation dans une gare par des agents de surveillance de la SNCF : défaut d’explication satisfaisante et convaincante à l’origine des blessures constatées La Cour européenne des droits de l’homme a rendu ce jour son arrêt de chambre 1 dans l’affaire Ghedir et autres c. France (requête n o 20579/12). Cette affaire concerne des allégations de mauvais traitements lors d’une interpellation dans une gare par des agents de surveillance de la SNCF (société nationale des chemins de fer français) et des policiers. La Cour dit, à l’unanimité, qu’il y a eu : Violation de l’article 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) de la Convention européenne des droits de l’homme en raison du défaut d’explication satisfaisante par les autorités s’agissant des lésions du requérant. Non-violation de l’article 3 concernant la façon dont les investigations ont été menées. La Cour, relevant que les investigations ont conduit à la réunion d’éléments contradictoires et troublants, estime que les autorités françaises n’ont pas fourni d’explication satisfaisante et convaincante sur les lésions du requérant, dont les symptômes se sont manifestés alors qu’il se trouvait entre les mains des fonctionnaires de police, et conclut qu’il existe un faisceau d’indices suffisant pour retenir une violation de l’article 3. Elle estime en revanche que le requérant n’a pas démontré en quoi les investigations n’auraient pas été conformes aux exigences d’une enquête effective. Principaux faits Les requérants sont deux ressortissants français, MM. Abdelkader Ghedir et Houcine Ghedir, et deux ressortissants algériens, M. Abbas Ghedir et M me Fatiha Ghedir, nés respectivement en 1983, 1985, 1937 et 1947. Ils résident à Villepinte (France), à l’exception d’Houcine Ghedir qui réside à Drancy (France). Houcine Ghedir, Abbas Ghedir et Fatiha Ghedir sont respectivement le frère, le père et la mère d’Abdelkader Ghedir. Ce dernier fut interpellé le 30 novembre 2004 au soir à la gare de Mitry-Villeparisis par des agents du service de surveillance générale (« SUGE ») de la SNCF, le suspectant à tort d’avoir jeté des cailloux sur les trains. Cinq fonctionnaires du SUGE procédèrent à son interpellation, en particulier les agents L.P., Y.F. et O.D.B., le mettant au sol et lui menottant les mains dans le dos, avant de procéder à une palpation de sécurité. Il fut ensuite confié à des policiers qui s’étaient rendus sur place, et conduit au commissariat dans un véhicule de police. Arrivé dans les locaux de garde à vue, Abdelkader Ghedir perdit connaissance, tomba dans le coma et fut emmené à l’hôpital. 1 Conformément aux dispositions des articles 43 et 44 de la Convention, cet arrêt de chambre n’est pas définitif. Dans un délai de trois mois à compter de la date de son prononcé, toute partie peut demander le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre de la Cour. En pareil cas, un collège de cinq juges détermine si l’affaire mérite plus ample examen. Si tel est le cas, la Grande Chambre se saisira de l’affaire et rendra un arrêt définitif. Si la demande de renvoi est rejetée, l’arrêt de chambre deviendra définitif à la date de ce rejet. Dès qu’un arrêt devient définitif, il est transmis au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe qui en surveille l’exécution. Des renseignements supplémentaires sur le processus d’exécution sont consultables à l’adresse suivante : http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/execution.

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Violation de l’article 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) de la CESDH

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  • du Greffier de la Cour

    CEDH 246 (2015)16.07.2015

    Arrestation dans une gare par des agents de surveillance de la SNCF : dfaut dexplication satisfaisante et convaincante

    lorigine des blessures constates

    La Cour europenne des droits de lhomme a rendu ce jour son arrt de chambre1 dans laffaire Ghedir et autres c. France (requte no 20579/12).

    Cette affaire concerne des allgations de mauvais traitements lors dune interpellation dans une gare par des agents de surveillance de la SNCF (socit nationale des chemins de fer franais) et des policiers.

    La Cour dit, lunanimit, quil y a eu :

    Violation de larticle 3 (interdiction des traitements inhumains ou dgradants) de la Convention europenne des droits de lhomme en raison du dfaut dexplication satisfaisante par les autorits sagissant des lsions du requrant.

    Non-violation de larticle 3 concernant la faon dont les investigations ont t menes.

    La Cour, relevant que les investigations ont conduit la runion dlments contradictoires et troublants, estime que les autorits franaises nont pas fourni dexplication satisfaisante et convaincante sur les lsions du requrant, dont les symptmes se sont manifests alors quil se trouvait entre les mains des fonctionnaires de police, et conclut quil existe un faisceau dindices suffisant pour retenir une violation de larticle 3.

    Elle estime en revanche que le requrant na pas dmontr en quoi les investigations nauraient pas t conformes aux exigences dune enqute effective.

    Principaux faitsLes requrants sont deux ressortissants franais, MM. Abdelkader Ghedir et Houcine Ghedir, et deux ressortissants algriens, M. Abbas Ghedir et Mme Fatiha Ghedir, ns respectivement en 1983, 1985, 1937 et 1947. Ils rsident Villepinte (France), lexception dHoucine Ghedir qui rside Drancy (France). Houcine Ghedir, Abbas Ghedir et Fatiha Ghedir sont respectivement le frre, le pre et la mre dAbdelkader Ghedir.

    Ce dernier fut interpell le 30 novembre 2004 au soir la gare de Mitry-Villeparisis par des agents du service de surveillance gnrale ( SUGE ) de la SNCF, le suspectant tort davoir jet des cailloux sur les trains. Cinq fonctionnaires du SUGE procdrent son interpellation, en particulier les agents L.P., Y.F. et O.D.B., le mettant au sol et lui menottant les mains dans le dos, avant de procder une palpation de scurit. Il fut ensuite confi des policiers qui staient rendus sur place, et conduit au commissariat dans un vhicule de police. Arriv dans les locaux de garde vue, Abdelkader Ghedir perdit connaissance, tomba dans le coma et fut emmen lhpital.

    1 Conformment aux dispositions des articles 43 et 44 de la Convention, cet arrt de chambre nest pas dfinitif. Dans un dlai de trois mois compter de la date de son prononc, toute partie peut demander le renvoi de laffaire devant la Grande Chambre de la Cour. En pareil cas, un collge de cinq juges dtermine si laffaire mrite plus ample examen. Si tel est le cas, la Grande Chambre se saisira de laffaire et rendra un arrt dfinitif. Si la demande de renvoi est rejete, larrt de chambre deviendra dfinitif la date de ce rejet. Ds quun arrt devient dfinitif, il est transmis au Comit des Ministres du Conseil de lEurope qui en surveille lexcution. Des renseignements supplmentaires sur le processus dexcution sont consultables ladresse suivante : http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/execution.

  • 2Une enqute de flagrance2 fut ouverte dans la soire. Interrogs, les agents L.P., Y.F. et O.D.B. dcrivirent une interpellation modle, alors que les fonctionnaires de police y ayant assist la qualifirent de muscle . Certains policiers dirent avoir vu lagent du SUGE Y.F. donner un coup de genou au visage Abdelkader Ghedir, alors quil tait maintenu au sol.

    Le 2 dcembre 2004, les trois agents du SUGE ayant procd linterpellation furent placs en garde vue. Le lendemain, le procureur de la Rpublique de Meaux requit louverture dune information judiciaire contre L.P., Y.F. et O.D.B. De nombreux tmoignages furent recueillis. Notamment, en 2006, une agente de la SNCF dclara avoir appris quAbdelkader Ghedir stait battu laprs-midi des faits et quune bouteille lui avait t casse sur la tte.

    En dcembre 2005, le bilan de sant dAbdelkader Ghedir faisait tat de nombreuses squelles neurologiques, dont une perte partielle des capacits motrices actives des quatre membres, ainsi que des troubles cognitifs et comportementaux graves. En 2008, son incapacit partielle permanente (IPP) fut estime 95 % : confin dans un fauteuil, Abdelkader Ghedir navait aucune autonomie pour tous les gestes lmentaires de la vie quotidienne.

    Quatre expertises furent verses au dossier. La troisime dentre elles (date du 19 octobre 2006) indiquait notamment que les conditions darrestation en gare taient trs vraisemblablement lorigine des lsions constates sur Abdelkader Ghedir alors que la quatrime (date du 9 mars 2009) indiquait que cette hypothse ne pouvait tre retenue. Dans ce dernier rapport toutefois, les experts concluaient quaucun lment ntayait lhypothse selon laquelle le requrant aurait pu tre victime dun coup de bouteille au cours dune bagarre dans laprs-midi prcdant son interpellation.

    Le 15 fvrier 2010, la juge dinstruction du tribunal de grande instance de Meaux rendit une ordonnance de non-lieu, estimant notamment quAbdelkader Ghedir avait eu un comportement outrageant et violent face auquel Y.F. stait limit un geste relevant dune technique dintervention. Par un arrt du 3 septembre 2010, la chambre de linstruction de la cour dappel de Paris rejeta le recours des requrants. Elle retint un comportement violent de la part dAbdelkader Ghedir mais aussi une opration du SUGE probablement plus muscle que dans la description des agents, pour conclure quune incertitude demeurait tant quant la ralit du coup prtendument port par Y.F. qu son caractre volontaire. Elle releva par ailleurs que le requrant avait t, de lavis gnral, charg en bon tat dans le vhicule de police aprs son menottage et que ni sa position dans le vhicule, ni la rapidit du trajet ne permettaient de retenir lventualit dune quelconque violence son gard lors de cette phase des vnements. Elle observa que lexistence dun traumatisme antrieur, dont les manifestations auraient mis du temps apparatre, semblait plausible. La chambre de linstruction en conclut que linformation navait pas permis de runir contre quiconque des charges suffisantes davoir commis une infraction.

    La Cour de cassation rejeta le pourvoi des requrants le 27 septembre 2011.

    Griefs, procdure et composition de la CourInvoquant en particulier larticle 3 (interdiction des traitements inhumains ou dgradants), les requrants se plaignaient des conditions dinterpellation dAbdelkader Ghedir. Ils allguaient en outre que lordonnance de non-lieu, en reprenant lidentique le rquisitoire dfinitif du procureur, avait constitu une violation de larticle 6 (droit un procs quitable).

    La requte a t introduite devant la Cour europenne des droits de lhomme le 23 mars 2012.

    2Lenqute de flagrance est lenqute mene par les officiers de police judiciaire concernant une infraction en train de se commettre ou qui vient de se commettre. Leurs pouvoirs sont plus tendus dans le cadre de lenqute de flagrance que dans celui de lenqute prliminaire en raison du constat d'un trouble l'ordre public et de lactualit de linfraction.

  • 3Larrt a t rendu par une chambre de sept juges compose de :

    Angelika Nuberger (Allemagne), prsidente,Botjan M. Zupani (Slovnie),Ganna Yudkivska (Ukraine),Vincent A. de Gaetano (Malte),Andr Potocki (France),Helena Jderblom (Sude),Ale Pejchal (Rpublique Tchque),

    ainsi que de Claudia Westerdiek, greffire de section.

    Dcision de la Cour

    Recevabilit

    Sagissant des allgations de mauvais traitement, la Cour considre quHoucine Ghedir, Abbas Ghedir et Fatiha Ghedir ne justifient pas tre directement victimes des faits reprochs aux autorits franaises. Pour autant quil est soulev par eux, le grief tir des articles 3, 5 et 13 de la Convention est donc rejet.

    Article 3 (interdiction des traitements inhumains ou dgradants)

    La Cour estime que laffaire doit tre analyse la lumire du seul article 3 les requrants invoquaient galement les articles 5 (droit la libert et la sret) et 13 (droit un recours effectif).

    Mauvais traitements

    Les juridictions franaises ont considr que lenqute avait permis dattribuer lorigine des lsions constates sur Abdelkader Ghedir des vnements antrieurs son interpellation. La Cour observe cependant que les experts ont indiqu ne pas avoir dlments pouvant tayer lhypothse dun coup de bouteille sur la tte reu par le requrant laprs-midi prcdant son interpellation et que le seul tmoignage recueilli dans ce sens correspondait des propos rapports au tmoin.

    Concernant les expertises mdicales, la Cour observe que les conclusions des diffrents rapports taient contradictoires. La troisime dentre elles (date du 19 octobre 2006) indiquait notamment que les conditions darrestation en gare taient trs vraisemblablement lorigine des lsions constates alors que la quatrime (date du 9 mars 2009) concluait que cette hypothse ne pouvait tre retenue.

    Quant aux tmoignages, la Cour relve des contradictions, concernant notamment la violence dont Abdelkader Ghedir aurait ou non fait preuve lors de larrestation et celle dont il aurait t victime, ainsi que des variations dans les dclarations de certains fonctionnaires de police.

    La Cour en conclut que les investigations ont conduit la runion dlments contradictoires et troublants et considre que lhypothse de violences subies par Abdelkader Ghedir avant son interpellation napparat pas suffisamment taye pour tre convaincante. Par consquent, la Cour estime quil existe un faisceau dindices suffisant pour retenir une violation de larticle 3 de la Convention, les autorits franaises nayant pas fourni dexplication satisfaisante et convaincante lorigine des lsions du requrant dont les symptmes se sont manifests alors quil se trouvait entre les mains des fonctionnaires de police.

    Enqute

    La Cour relve quune enqute de flagrance a t ouverte ds la dcouverte des faits, qui a permis laudition de plusieurs tmoins, trois agents du SUGE ayant par ailleurs t placs en garde vue.

  • 4La Cour constate ensuite quune instruction a t rapidement ouverte et quau cours de celle-ci, de nombreux actes ont t raliss (notamment mises en examen). La dure de linstruction na pas t excessive, au regard de lampleur des investigations, des nombreuses auditions et des quatre expertises effectues, dont la dernire en parallle dune reconstitution.

    Enfin, la Cour relve que le requrant, qui stait constitu partie civile et tait reprsent par un avocat, disposait de la possibilit de formuler des demandes dactes et de faire valoir ses intrts.

    La Cour conclut quil ny a pas eu violation de larticle 3 sous son volet procdural, Abdelkader Ghedir ne dmontrant pas que les investigations nauraient pas t conformes aux exigences dune enqute effective.

    Article 6 (droit un procs quitable)

    La Cour constate que les requrants ont interjet appel de lordonnance de non-lieu et que la chambre de linstruction de la cour dappel de Paris a procd un nouvel examen du dossier et rpondu en dtail leurs arguments. Par consquent, supposer que les requrants puissent encore se prtendre victimes de la violation quils invoquent, il y a lieu de dclarer ce grief manifestement mal fond et de le rejeter.

    Satisfaction quitable (article 41)

    La Cour dit que la question de lapplication de larticle 41 ne se trouve pas en tat et la rserve pour une dcision une date ultrieure.

    Larrt nexiste quen franais.

    Rdig par le greffe, le prsent communiqu ne lie pas la Cour. Les dcisions et arrts rendus par la Cour, ainsi que des informations complmentaires au sujet de celle-ci, peuvent tre obtenus sur www.echr.coe.int . Pour sabonner aux communiqus de presse de la Cour, merci de sinscrire ici : www.echr.coe.int/RSS/fr ou de nous suivre sur Twitter @ECHRpress.

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    La Cour europenne des droits de lhomme a t cre Strasbourg par les tats membres du Conseil de lEurope en 1959 pour connatre des allgations de violation de la Convention europenne des droits de lhomme de 1950.