Affaire Riza Et Autres c. Bulgarie

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QUATRIÈME SECTION AFFAIRE RIZA ET AUTRES c. BULGARIE (Requêtes n o 48555/10 et 48377/10) ARRÊT STRASBOURG 13 octobre 2015 Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à larticle 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

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QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE RIZA ET AUTRES c. BULGARIE

(Requêtes no 48555/10 et 48377/10)

ARRÊT

STRASBOURG

13 octobre 2015

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la

Convention. Il peut subir des retouches de forme.

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ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE 1

En l’affaire Riza et autres c. Bulgarie,

en une chambre composée de :

Guido Raimondi, président,

Päivi Hirvelä,

George Nicolaou,

Ledi Bianku,

Nona Tsotsoria,

Zdravka Kalaydjieva

Krzysztof Wojtyczek, juges,

et de Françoise Elens-Passos, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 8 septembre 2015,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouvent deux requêtes dirigées contre la

République de Bulgarie : la première, no 48555/10, introduite par un citoyen

bulgare, M. Rushen Mehmed Riza, et un parti politique bulgare, Dvizhenie

za Prava i Svobodi (Mouvement pour les droits et libertés – « le DPS ») et

la seconde, no 48377/10, introduite par 101 autres ressortissants bulgares,

dont les noms, dates de naissance et lieux de résidence figurent en annexe.

La Cour a été saisie de ces deux requêtes le 14 août 2010 en vertu de

l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des

libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Tous les requérants ont été représentés par Me S.O. Solakova, avocate

à Sofia. Le gouvernement bulgare (« le Gouvernement ») a été représenté

par ses agentes, Mmes N. Nikolova et A. Panova, du ministère de la Justice.

3. M. Riza et le DPS, d’une part, et les 101 autres requérants, d’autre

part, alléguaient en particulier que la décision de la Cour constitutionnelle

bulgare d’annuler les résultats électoraux dans 23 bureaux de vote ouverts à

l’étranger lors des élections législatives bulgares de 2009 avait porté une

atteinte injustifiée respectivement à leur droit de se porter candidat et à leur

droit de voter, droits garantis par l’article 3 du Protocole no 1 à la

Convention.

4. Le 4 avril 2011, la requête no 48555/10, introduite par M. Riza et le

DPS, a été communiquée au Gouvernement. Le 8 juillet 2014, la requête

no 48377/10, introduite par 101 ressortissants bulgares, a également été

communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la

Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en

même temps sur la recevabilité et sur le fond des requêtes.

5. Le 10 février 2015, la chambre a décidé de joindre les deux requêtes,

comme le lui permet l’article 42 § 1 du règlement de la Cour et d’inviter la

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juge élue au titre de la Bulgarie, Z. Kalaydjieva, de participer à l’examen

ultérieur de l’affaire en vertu de l’article 26 § 3 du règlement de la Cour.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

A. Le contexte général de l’affaire

6. Les 101 requérants, dont les noms figurent en annexe, sont des

ressortissants bulgares d’origine turque ou/et de confession musulmane qui

résident ou ont résidé en Turquie. Ils ont tous exercé leur droit de vote lors

des élections législatives bulgares de 2009 dans 17 des bureaux de vote

ouverts sur le territoire turc, pour lesquels les résultats électoraux ont par la

suite été contestés par le parti politique RZS et annulés par la Cour

constitutionnelle bulgare.

7. Selon les données officielles du dernier recensement de la population

effectué en Bulgarie en 2011, 588 318 personnes ont déclaré appartenir à

l’ethnie turque, soit 8,8 % des personnes ayant répondu à cette question, et

577 139 personnes ont déclaré être de confession musulmane. Depuis la fin

des années 1980, les membres de ces communautés ont été impliqués dans

d’importants mouvements migratoires à la suite desquels plusieurs d’entre

eux se sont installés en Turquie. La Cour ne dispose pas d’informations

provenant de sources officielles sur le nombre exact des citoyens bulgares

d’origine turque ou de confession musulmane résidant, de manière

temporaire ou permanente, en Turquie. Les estimations de ce nombre

varient considérablement et se situent, en général, entre 300 000 et

500 000 personnes, toutes classes d’âge confondues.

8. Le DPS fut fondé en 1990. Ses statuts le définissent comme un parti

politique libéral qui a pour but de contribuer à l’unité de tous les citoyens

bulgares et à la protection des droits et libertés des minorités en Bulgarie

tels que garantis par la Constitution et les lois nationales ainsi que par les

instruments internationaux ratifiés par la République bulgare.

9. Dès sa création, le DPS participa à toutes les élections législatives et

municipales en Bulgarie. Il fit élire des députés au Parlement national à

toutes les élections législatives organisées depuis 1990. Entre 2001 et 2009,

il participa à deux gouvernements de coalition successifs. Plusieurs de ses

dirigeants et adhérents appartiennent aux minorités turque et musulmane de

Bulgarie.

10. M. Riza est né en 1968 et réside à Sofia. Membre du DPS, il en est

également l’un des vice-présidents et il est membre du bureau exécutif

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central du parti. Il est actuellement député à l’Assemblée nationale, élu sur

la liste de son parti.

11. Ces deux requérants affirment que la majorité des citoyens bulgares

qui résident actuellement en Turquie ont voté pour le DPS aux élections

législatives organisées au cours des vingt dernières années.

B. Les élections législatives bulgares du 5 juillet 2009

12. Par un décret du 28 avril 2009, le président bulgare fixa au 5 juillet

2009 la date des élections de la 41e Assemblée nationale. La loi électorale

introduisit pour la première fois un système électoral mixte : 31 députés

devaient être désignés au scrutin majoritaire dans des circonscriptions

uninominales et 209 à la proportionnelle au niveau national dans

31 circonscriptions plurinominales.

13. Les citoyens bulgares résidant à l’étranger avaient le droit de voter

aux élections législatives, mais uniquement pour les partis et coalitions, et

leurs voix étaient prises en compte dans la répartition proportionnelle des

mandats entre les formations politiques au niveau national (paragraphe 64

ci-dessous). Après avoir reçu l’accord des autorités compétentes des pays

concernés, les représentations diplomatiques bulgares ouvrirent 274 bureaux

de vote dans 59 pays, dont 123 en Turquie.

14. Le 20 mai 2009, la commission électorale centrale enregistra le DPS

comme participant aux élections législatives. Le DPS présenta des listes de

candidats dans plusieurs circonscriptions plurinominales et uninominales. Il

fut également inclus dans le bulletin conçu pour le vote des citoyens

bulgares résidant à l’étranger. M. Riza fut placé en deuxième position sur la

liste des candidats de son parti pour la 8e circonscription plurinominale

(Dobrich).

15. Parmi les 101 requérants (voir la liste en annexe), 13 requérants

(nos1, 13, 17, 21, 26, 30, 39, 51, 59, 74, 75, 89 et 94) soutiennent qu’ils

avaient tous remis en personne des déclarations préalables d’intention de

vote dans les représentations diplomatiques bulgares en Turquie. Les

diplomates bulgares leur auraient demandé de participer à des commissions

électorales locales à Istanbul, Bursa, Çerkezköy, Çorlu et İzmir en tant que

présidents, secrétaires ou membres ordinaires, ce qu’ils auraient accepté. Ils

auraient été convoqués le 4 juillet 2009 dans les locaux des représentations

diplomatiques et consulaires bulgares, où des diplomates bulgares les

auraient renseignés sur les formalités à respecter au cours de la journée

électorale, notamment sur la manière de remplir les listes électorales.

Certains requérants affirment qu’ils n’ont reçu à ce sujet qu’une seule

instruction, qui serait la suivante : les personnes se présentant le jour du

scrutin sans être préinscrites devaient être inscrites sur les pages

additionnelles de la liste des électeurs et le dernier nom ajouté le jour du

scrutin devait être suivi d’un « Z ».

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16. Ces 13 requérants soutiennent que leur nom ne figurait pas sur la

liste du bureau de vote où ils devaient officier en tant que membre d’une

commission électorale. Ils indiquent tous avoir voté dans leurs bureaux de

vote respectifs en se faisant inscrire le jour du scrutin et en apposant leur

signature en face de leurs nom et prénom. Ils assurent en outre avoir

soigneusement marqué leur choix sur leur bulletin de vote sans y apposer

d’autres signes et avoir glissé celui-ci dans l’urne.

17. Les 13 requérants exposent par ailleurs que la journée électorale

s’est déroulée sans problème particulier. Ils indiquent que leurs

commissions respectives étaient composées de ressortissants bulgares

habitant leurs villes respectives et de représentants du ministère bulgare des

Affaires étrangères. Selon ces requérants, certains bureaux de vote ont reçu

la visite de l’ambassadeur et du consul général bulgare, d’autres ont fait

l’objet de reportages réalisés par des équipes de la télévision et de la radio

publiques bulgares, et aucune irrégularité n’a été constatée. À la fin de la

journée électorale, les commissions locales auraient procédé au

dépouillement, rempli les procès-verbaux nécessaires et remis les papiers

électoraux aux représentants diplomatiques bulgares.

18. Les 88 autres requérants affirment qu’à l’époque des faits ils

résidaient en Turquie. Quelques-uns d’entre eux auraient envoyé des

déclarations préalables d’intention de vote aux représentations

diplomatiques bulgares, mais on ne leur aurait pas indiqué en retour dans

quel bureau de vote ils pouvaient voter. Le jour du scrutin, tous ces

requérants se seraient ainsi présentés dans le bureau de vote le plus proche

dans leurs villes respectives. Leur nom aurait été ajouté de façon manuscrite

aux listes d’électeurs et, après avoir exercé leur droit de vote, ils auraient

apposé leur signature à côté de leur nom.

19. D’après les informations disponibles sur le site de la commission

électorale centrale (http://pi2009.cik.bg), à l’issue des élections du 5 juillet

2009, six partis et coalitions politiques ont dépassé le seuil de 4 % des votes

exprimés et ont été intégrés dans la répartition proportionnelle des mandats

à l’Assemblée nationale : le parti GERB, la Coalition pour la Bulgarie, le

parti DPS, le parti Ataka, la Coalition bleue et le parti RZS.

20. Le DPS totalisa 610 521 voix, soit 14,45 % des suffrages valides, ce

qui lui conféra la position de troisième parti politique du pays. Il obtint

61,18 % des votes à l’étranger, soit 93 926 voix, dont 88 238 dans les

bureaux ouverts sur le territoire turc. Il emporta largement les élections dans

les 17 bureaux de vote – à Istanbul, Bursa, Çerkezköy, Çorlu et İzmir – où

les 101 requérants avaient voté. Par une décision du 7 juillet 2009, la

commission électorale centrale attribua au DPS 33 mandats au Parlement en

application du système proportionnel de représentation, auxquels

s’ajoutèrent cinq mandats remportés dans les circonscriptions uninominales

au scrutin majoritaire.

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21. À la suite de la répartition des mandats obtenus par le DPS au niveau

national dans les 31 circonscriptions plurinominales, le parti fit élire un seul

député dans la 8e circonscription. Toutefois, à la suite d’un recours introduit

devant la Cour constitutionnelle par une autre formation politique, la

Coalition bleue, et d’un recomptage des voix dans un bureau de vote de la

19e circonscription, la commission électorale centrale procéda à une

nouvelle répartition entre les 31 circonscriptions plurinominales des

mandats obtenus par les partis politiques au niveau national. Le DPS obtint

alors un deuxième mandat dans la 8e circonscription, où M. Riza figurait en

deuxième position sur sa liste de candidats, et perdit un des deux mandats

initialement remportés dans la 19e circonscription plurinominale. Le

12 octobre 2009, M. Riza fut déclaré élu à l’Assemblée nationale. Il prêta

serment en tant que député et devint membre du groupe parlementaire de

son parti. Le 20 janvier 2010, il fut élu membre de la commission

parlementaire d’éthique et de lutte contre la corruption et les conflits

d’intérêts.

C. La procédure de contestation des résultats électoraux devant la

Cour constitutionnelle

1. L’introduction du recours par le parti RZS

22. Le 21 juillet 2009, le président et trois membres du parti politique

RZS (Red, Zakonnost, Spravedlivost – « le Parti de l’ordre, de la légalité et

de la justice »), tendance droite conservatrice, demandèrent au procureur

général d’introduire devant la Cour constitutionnelle le recours prévu par

l’article 112 de la loi électorale en vue de faire annuler l’élection de sept

députés du DPS, en raison de plusieurs irrégularités qui auraient eu lieu

dans les 123 bureaux de vote ouverts sur le territoire turc. Les quatre

demandeurs dénonçaient plusieurs violations de la législation électorale en

relation avec la constitution desdits bureaux de vote et le déroulement du

scrutin dans ceux-ci : la règle imposant l’ouverture d’un bureau de vote

pour chaque centaine de déclarations préalables d’intention de vote n’aurait

pas été respectée sur le territoire turc ; certains électeurs auraient exercé leur

droit de vote une fois sur le territoire national et une deuxième fois dans un

bureau de vote ouvert sur le territoire turc ; des données inexactes auraient

été consignées dans les procès-verbaux rédigés par les commissions

électorales concernant le nombre des votants dans les bureaux de vote en

question ; 23 de ces bureaux auraient accueilli plus de 1 000 électeurs, ce

qui aurait été impossible dans la pratique, compte tenu de la durée de la

journée électorale et du temps nécessaire pour l’accomplissement des

formalités nécessaires pour chaque électeur ; et les commissions électorales

de ces bureaux de vote auraient dans certains cas admis dans l’isoloir des

personnes sans pièce d’identité bulgare valide. Les demandeurs invitaient la

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Cour constitutionnelle à vérifier l’authenticité des demandes préalables de

vote émises sur le territoire turc, à effectuer des vérifications des listes

électorales établies sur le territoire bulgare où les personnes désirant voter

en Turquie avaient leur adresse permanente et à constater la nullité des

procès-verbaux rédigés par les commissions électorales responsables des

bureaux de vote ouverts sur le territoire turc. D’après les demandeurs, le

grand nombre d’irrégularités commises dans le processus électoral dans les

123 bureaux de vote en question imposait l’annulation des voix obtenues

dans ceux-ci, annulation qui aurait entraîné la modification des résultats

électoraux et le retrait des mandats à sept députés du DPS.

23. Le 22 juillet 2009, le procureur général transmit la demande du

dirigeant et des membres du parti RZS à la Cour constitutionnelle.

2. La phase initiale de la procédure devant la Cour constitutionnelle

24. Le 11 août 2009, la Cour constitutionnelle déclara ce recours

recevable et désigna comme parties à la procédure l’Assemblée nationale, le

Conseil des Ministres, le ministère des Affaires étrangères, la commission

électorale centrale, la direction nationale responsable des données

concernant l’état civil des citoyens et deux organisations non

gouvernementales. Elle adressa des copies de la demande et des documents

pertinents aux parties à la procédure et leur accorda vingt jours pour

présenter leurs observations sur le fond de l’affaire. Elle demanda à la

direction nationale responsable des données concernant l’état civil des

citoyens d’établir combien d’électeurs avaient voté une fois sur le territoire

national et une deuxième fois sur le territoire turc, et l’invita à présenter des

copies certifiées des listes des votants et des procès-verbaux de vote des

bureaux ouverts sur le territoire turc. Le président de la Cour

constitutionnelle, R.Y., et le juge B.P. signèrent la décision de recevabilité,

tout en exprimant une opinion séparée. Ils soutinrent que le procureur

général aurait dû saisir la juridiction constitutionnelle d’une demande

motivée et non pas simplement transmettre la demande d’annulation formée

par le parti politique RZS.

3. Les premières observations écrites du groupe parlementaire du DPS

25. Le 18 septembre 2009, le groupe parlementaire du DPS à

l’Assemblée nationale présenta ses observations écrites sur l’affaire. En

premier lieu, il contestait la recevabilité du recours formé par les quatre

demandeurs. Selon eux : le procureur général avait omis de procéder à une

appréciation préalable du bien-fondé de ladite demande et l’avait

simplement transmise à la Cour constitutionnelle ; le recours avait été

introduit tardivement, après la prestation de serment des députés visés ; les

sept députés du DPS mentionnés dans la demande avaient été désignés de

manière aléatoire puisque les votes à l’étranger auraient compté uniquement

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pour la répartition proportionnelle des mandats entre les différents partis au

niveau national et non pour telle ou telle liste de candidats. En second lieu,

le groupe parlementaire du DPS soutenait que la demande était mal fondée

pour les raisons suivantes : les conditions légales pour la constitution des

123 bureaux de vote en cause auraient été remplies ; les cas de double vote

auraient été très peu nombreux et, en raison du secret du scrutin, il aurait été

impossible de déterminer pour quel parti exactement ces personnes avaient

voté ; le nombre de personnes figurant sur les listes électorales

additionnelles établies le jour même du scrutin aurait été supérieur à celui

des électeurs préinscrits au motif que le nombre de personnes désirant

exercer leur droit de vote aurait largement dépassé le nombre d’électeurs

ayant manifesté préalablement leur intention de voter à l’étranger ; dans

plusieurs des bureaux de vote ouverts à l’étranger, le nombre de votants

aurait dépassé le millier de personnes et cela n’aurait pas été le cas

uniquement dans les bureaux de vote ouverts en Turquie.

4. Les rapports d’expertise recueillis par la Cour constitutionnelle

26. Le 6 octobre 2009, à la demande de RZS, la Cour constitutionnelle

ordonna une triple expertise qui devait permettre de répondre aux questions

suivantes : i) quel était le nombre de déclarations préalables d’intention de

vote soumises pour le territoire turc, de quelles villes provenaient-elles et

leur nombre correspondait-il au nombre des bureaux de vote constitués ?

ii) les pièces d’identité des électeurs ayant voté dans les 123 bureaux de

vote en question étaient-elles en cours de validité ? iii) les nombres de

votants consignés dans les procès-verbaux rédigés le jour des élections

correspondaient-ils au nombre total des électeurs préinscrits et des

personnes inscrites sur les listes le jour du vote, et y avait-il des bureaux de

vote où aucune des personnes préinscrites n’avait exercé son droit de vote ?

iv) quel était le nombre maximum de personnes qui pouvaient voter dans

un bureau de vote pendant la journée électorale ? Les trois experts furent

autorisés à consulter tous les documents relatifs aux élections sur le

territoire turc qui avaient été remis à la commission électorale centrale par le

service diplomatique du ministère des Affaires étrangères.

27. Le rapport initial d’expertise fut soumis à la Cour constitutionnelle

quelque temps après. Les experts y indiquaient qu’il y avait eu au total

27 235 déclarations préalables d’intention de vote pour le territoire turc :

5 127 de ces déclarations avaient été reçues à l’ambassade de Bulgarie à

Ankara, 15 556 au consulat général à Istanbul et 6 552 au consulat général à

Edirne. Les services diplomatiques bulgares avaient ouvert 28 bureaux de

vote dans la région d’Ankara, 72 dans la région d’Istanbul et 23 dans la

région d’Edirne. Les experts constataient que certains bureaux de vote

avaient été ouverts sans que le nombre minimum de 100 déclarations

d’intention de vote eût été atteint.

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28. Les experts ne furent pas en mesure de répondre à la deuxième

question, relative à la validité des pièces d’identité bulgares des votants en

Turquie. Ils indiquèrent que l’accomplissement de ces vérifications aurait

pris un temps considérable et aurait nécessité un accès à la base de données

de la population administrée par le ministère de l’Intérieur. Ils observèrent

de surcroît que, dans plusieurs cas, les commissions électorales locales

avaient simplement mentionné le type de document présenté, carte

d’identité ou passeport, sans en consigner le numéro.

29. Concernant la troisième question, les experts répondirent qu’il y

avait de très légères différences – entre une et cinq personnes – entre les

nombres de votants consignés dans les procès-verbaux de vote et les

nombres de votants inscrits sur les listes électorales. D’après les experts, il

pouvait s’agir d’omissions par inadvertance. Par ailleurs, toujours selon eux,

dans 116 bureaux de vote, les listes électorales additionnelles, dressées le

jour même du scrutin et contenant les données des personnes qui s’étaient

présentées ce jour-là sans avoir été préinscrites, ne portaient pas les

signatures du président et du secrétaire de la commission électorale locale.

Les experts notaient que les données personnelles des électeurs figurant sur

ces listes avaient été écrites à la main et apparemment sans précipitation, ce

qui aurait nécessité un temps considérable. Ils indiquent en outre que, dans

un certain nombre de bureaux de vote, aucune des personnes préinscrites

n’avait voté. Concernant quelques autres bureaux de vote, il n’y aurait pas

eu de procès-verbal archivé ou la première page de celui-ci aurait manqué.

30. Quant à la quatrième question posée par la Cour constitutionnelle,

les experts conclurent, sur la base d’une reconstitution des formalités

nécessaires pour accueillir un électeur et recueillir son bulletin, que le temps

minimum nécessaire pour voter était de l’ordre de cinquante secondes.

Compte tenu de la durée totale de la journée électorale, à savoir treize

heures, les experts estimaient qu’un bureau de vote pouvait accueillir au

maximum 936 électeurs. Le nombre maximum de votants ainsi établi avait

été dépassé dans 30 des bureaux de vote ouverts en Turquie.

31. La direction nationale responsable des données concernant l’état

civil des citoyens soumit à la Cour constitutionnelle les résultats de son

enquête sur les cas de double vote. Elle indiqua que 174 personnes avaient

voté plusieurs fois et que 79 doubles votes avaient été constatés sur le

territoire turc.

32. Le 27 janvier 2010, la Cour constitutionnelle décida d’interroger les

trois experts sur un point supplémentaire : elle leur demanda de recalculer

les résultats électoraux en supprimant la totalité des voix obtenues dans

23 bureaux de vote et une partie de celles recueillies dans un autre bureau,

tous sur le territoire turc. Il s’agissait notamment de : i) toutes les voix de

18 bureaux de vote où aucun des votants préinscrits n’avait voté et où les

listes additionnelles des votants ne portaient pas les signatures des membres

des commissions électorales locales et, de ce fait, n’avaient pas la force

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probante de documents officiels ; ii) toutes les voix d’un bureau où il

manquait le procès-verbal de vote ; iii) toutes les voix de deux autres

bureaux de vote où la première page des procès-verbaux était manquante ;

iv) toutes les voix d’un bureau où il manquait la liste des électeurs

préinscrits ; v) 86 voix pour le DPS de personnes figurant sur la liste

additionnelle non signée d’un autre bureau où ce parti avait recueilli toutes

les voix et où 124 personnes préinscrites avaient voté ; vi) toutes les voix

d’un autre bureau de vote où la liste des électeurs préinscrits n’avait pas été

archivée et où la liste électorale additionnelle n’avait pas été signée par les

membres de la commission électorale locale.

33. Le 2 février 2010, les experts présentèrent leurs conclusions

supplémentaires à la Cour constitutionnelle. Dans la partie introductive du

rapport, ils précisaient qu’ils étaient appelés à soustraire du résultat électoral

les voix obtenues dans les bureaux où : i) aucun des électeurs préinscrits

n’avait voté et la liste électorale additionnelle ne portait pas les signatures

des membres de la commission électorale locale ; ii) le procès-verbal de

vote n’avait pas été archivé ; iii) il manquait la première page du

procès-verbal de vote. Le rapport présentait les estimations concernant les

voix recueillies dans 23 bureaux de vote : i) dans 18 de ces bureaux, aucun

des électeurs préinscrits n’avait voté et la liste additionnelle des électeurs

n’était pas signée ; ii) pour un autre bureau de vote, il n’y avait pas de

procès-verbal archivé et la liste additionnelle des électeurs n’était pas

signée ; iii) pour trois autres bureaux, il manquait la première page du

procès-verbal et la liste additionnelle des électeurs n’était pas signée ; iv) le

procès-verbal d’un autre bureau de vote ne mentionnait pas sur sa première

page le nombre de personnes qui avaient voté et aucun des électeurs

préinscrits n’avait voté. Les experts estimèrent qu’il fallait exclure des

résultats électoraux un total de 18 351 voix, dont 18 140 pour le DPS. La

commission électorale centrale procéda à la nouvelle répartition provisoire

des mandats entre les partis politiques sur la base du rapport d’expertise.

5. Les autres observations et demandes écrites adressées à la Cour

constitutionnelle

34. Le 9 février 2010, le groupe parlementaire du DPS déposa des

observations supplémentaires dans lesquelles il contestait le choix des

critères définis par la Cour constitutionnelle pour exclure du comptage des

voix les votes des bureaux susmentionnés. Les députés du DPS indiquaient

que le résultat du vote était déterminé sur la base des données figurant dans

les procès-verbaux de vote et non sur celle des listes électorales. Ils

ajoutaient que la législation électorale n’imposait pas au président et au

secrétaire des commissions électorales locales constituées à l’étranger

d’apposer leur signature au bas des listes additionnelles des votants dressées

le jour du scrutin. En tout état de cause, d’après eux, les omissions des

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membres de l’administration électorale ne pouvaient pas entraîner

l’annulation des votes des électeurs.

35. Le 15 février 2010, la commission électorale centrale présenta ses

conclusions à la juridiction constitutionnelle. Elle y précisait que, selon les

projections mathématiques, l’annulation des voix recueillies dans les

23 bureaux de vote visés dans les conclusions supplémentaires des experts

entraînerait pour le DPS la perte d’un mandat qui serait attribué au parti

politique GERB et que, dans la 8e circonscription plurinominale, le candidat

du DPS placé en deuxième position sur la liste du parti, M. Riza, perdrait

son mandat de député.

36. La commission électorale centrale adressa à la Cour constitutionnelle

les observations formulées par cinq de ses 25 membres sur le fond de

l’affaire. Ces cinq membres y émettaient l’avis que les arguments mis en

avant par les demandeurs et les conclusions des experts ne pouvaient pas

justifier une éventuelle annulation des suffrages recueillis dans les bureaux

de vote en cause. Ils exposaient en particulier que les listes de votants pour

les bureaux ouverts à l’étranger avaient été dressées par les représentants

diplomatiques bulgares accrédités sur la base des déclarations préalables

d’intention de vote qu’ils auraient obtenues. Ils indiquaient que, cependant,

aucune information préalable n’avait été donnée quant à la répartition des

électeurs en question dans les bureaux de vote, les intéressés pouvant se

rendre dans tout bureau de vote ou choisir de ne pas voter du tout, ce qui

expliquait à leurs yeux pourquoi dans certains bureaux aucun électeur de la

liste principale n’avait voté. Les membres de la commission électorale

estimaient que cela ne devait pas entraîner l’invalidation des bulletins des

autres électeurs qui avaient voté dans le même bureau. Ils précisaient que,

selon la législation interne, les documents électoraux devaient être

empaquetés et scellés par les commissions électorales locales puis envoyés

à la commission électorale centrale. Toutefois, à la réception des documents

électoraux venant de Turquie, il aurait été constaté que les emballages

contenant les documents avaient déjà été ouverts puis scellés une deuxième

fois par les services diplomatiques du ministère des Affaires étrangères. En

tout état de cause, l’absence, par la faute des services diplomatiques

bulgares ou des membres des commissions électorales locales, de

documents électoraux provenant de l’étranger n’aurait pas été de nature à

justifier l’annulation des voix recueillies dans ces bureaux, étant donné que

les résultats électoraux venant de l’étranger se seraient basés sur les données

transmises par des télégrammes diplomatiques envoyés à la commission

électorale centrale. Enfin, les membres de la commission électorale, se

référant à la législation interne, estimaient que l’absence de la signature

d’un membre de la commission électorale sur un procès-verbal de vote ou

sur les documents l’accompagnant n’invalidait pas celui-ci et ne constituait

pas un motif d’annulation des votes du bureau concerné. D’après eux, le

nouveau calcul des résultats électoraux était fondé sur des arguments qui

Page 13: Affaire Riza Et Autres c. Bulgarie

ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE 11

n’avaient pas été invoqués dans la demande adressée à la Cour

constitutionnelle.

37. Le 15 février 2010, le DPS et six de ses députés demandèrent à la

Cour constitutionnelle l’autorisation de se constituer partie à la procédure en

cause. Dans cette demande, le DPS indiquait endosser entièrement les

observations soumises par son groupe parlementaire le 18 septembre 2009

et le 9 février 2010. Le 16 février 2010, M. Riza demanda l’autorisation de

se constituer partie à la procédure. Pour démontrer qu’il avait un intérêt à

participer à la procédure en cause, il se référait expressément à l’expertise

supplémentaire ordonnée par la haute juridiction et à la nouvelle répartition

des mandats effectuée par la commission électorale centrale sur la base des

conclusions des experts. Toutes ces demandes restèrent sans réponse.

6. L’arrêt de la Cour constitutionnelle du 16 février 2010

38. Le 16 février 2010, la Cour constitutionnelle, siégeant en chambre

du conseil, adopta sa décision dans l’affaire en cause. Elle prononça son

arrêt le même jour.

39. La Cour constitutionnelle rejeta les exceptions d’irrecevabilité

soulevées par le groupe parlementaire du DPS dans ses observations du

18 septembre 2009 (paragraphe 25 ci-dessus). Elle estimait en premier lieu

que la procédure de saisine avait été respectée. Elle observait ensuite qu’il

s’agissait d’un litige relatif à la contestation de résultats électoraux et non de

l’éligibilité d’un candidat, ce qui lui permettait d’examiner l’affaire même si

les députés concernés avaient prêté serment et exerçaient déjà leurs

fonctions. Elle joignit au fond de l’affaire la troisième exception

d’irrecevabilité tirée de l’absence de lien direct entre le vote à l’étranger et

l’élection des sept députés du DPS désignés dans la demande initiale. Les

juges R.N. et B.P. exprimèrent des opinions séparées quant à la recevabilité

de la demande d’annulation des résultats électoraux. Ils estimaient que le

procureur général s’était borné à transmettre la demande du parti RZS au

lieu de formuler lui-même une demande motivée d’annulation des élections.

40. Jugeant opportun de clarifier d’emblée la portée de l’affaire, la Cour

constitutionnelle précisa qu’elle était invitée à constater l’illégalité de

l’élection d’un certain nombre de députés du DPS en raison de plusieurs

irrégularités qui auraient été commises dans les bureaux de vote ouverts sur

le territoire turc. Selon elle, eu égard à la spécificité du système électoral

bulgare, où les voix des citoyens bulgares résidant à l’étranger étaient prises

en compte uniquement pour la répartition proportionnelle des mandats entre

les partis politiques au niveau national, il n’était pas possible de déterminer

par avance quels seraient les députés concernés par l’invalidation d’une

partie ou de la totalité des voix sur le territoire turc. Ainsi, dans le cadre de

cette affaire, la Cour constitutionnelle estima qu’elle était appelée à

déterminer s’il y avait eu des irrégularités sérieuses du processus électoral

dans les 123 bureaux de vote ouverts en Turquie. D’après elle, le constat de

Page 14: Affaire Riza Et Autres c. Bulgarie

12 ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE

telles irrégularités pouvait entraîner une modification des résultats

électoraux, une nouvelle répartition des mandats entre les partis politiques et

l’annulation du mandat des députés qui n’étaient pas expressément visés par

la demande initiale introduite par le dirigeant et quelques candidats du parti

RZS aux élections législatives.

41. La Cour constitutionnelle rejeta tous les arguments exposés dans la

demande introductive d’instance. Elle constata d’abord que l’article 41,

alinéa 8, point 3, de la loi électorale donnait carte blanche aux représentants

diplomatiques bulgares à l’étranger pour ouvrir autant de bureaux de vote

qu’ils le jugeaient nécessaire pour le bon déroulement des élections.

42. Elle estima de surcroît que le point de savoir si tel ou tel électeur

avait voté sans pièce d’identité bulgare en cours de validité était dépourvu

de pertinence pour l’issue de la procédure, le secret du vote ne permettant

pas d’établir pour quel parti exactement la personne concernée avait voté.

43. La Cour constitutionnelle indiqua que les experts avaient constaté

que dans certains bureaux de vote aucune personne de la liste électorale

principale n’avait voté, alors que dans d’autres bureaux seulement quelques

personnes de cette liste avaient voté. Elle précisa que, selon les experts, les

noms ajoutés le jour du scrutin étaient écrits lisiblement, apparemment sans

précipitation, ce qui semblait quelque peu douteux compte tenu de leur

grand nombre et de la pression à laquelle auraient été soumis les membres

des commissions électorales ce jour-là. Pour la Cour constitutionnelle, il

s’agissait cependant de simples soupçons qui n’auraient pas démontré de

manière catégorique que les résultats dans lesdits bureaux de vote avaient

été truqués.

44. La Cour constitutionnelle releva aussi que les experts étaient arrivés

à la conclusion que le nombre maximal de votants pour un bureau de vote

était de 936. Elle estima cependant que, en l’absence d’indications concrètes

sur des irrégularités qui auraient été commises lors du processus électoral

dans les bureaux où il y avait eu plus de 1 000 électeurs, ce n’était pas une

raison pour invalider les résultats électoraux. En tout état de cause, selon

elle, le secret du vote ne permettait pas de déterminer pour qui les personnes

inscrites après le numéro 936 sur la liste des électeurs avaient voté.

45. Pour ces motifs, la Cour constitutionnelle rejeta la demande

d’annulation des mandats des sept députés expressément visés dans la

demande initiale du dirigeant et des candidats du parti RZS.

46. Elle décida cependant de soustraire des résultats obtenus

respectivement par chacun des partis politiques tous les votes recueillis dans

23 bureaux ouverts en Turquie, soit un total de 18 358 voix, dont 18 140

pour le DPS. Elle indiqua que, dans ces bureaux de vote, aucun électeur

préinscrit sur les listes électorales principales n’avait voté, ou qu’il

manquait le procès-verbal de vote ou la première page de celui-ci, qui

certifiait que les personnes préinscrites avaient voté. Elle précisa que, dans

les 23 bureaux en question, les listes additionnelles d’électeurs établies le

Page 15: Affaire Riza Et Autres c. Bulgarie

ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE 13

jour du scrutin ne portaient pas la signature du président et du secrétaire de

la commission électorale locale, ce qui ne leur aurait pas conféré la force

probante d’un document officiel. Ainsi, pour la Cour constitutionnelle, elles

ne pouvaient pas servir de preuve démontrant que les personnes inscrites

avaient voté. Cette approche aurait également permis de déterminer

combien de voix devaient être soustraites du résultat électoral de chaque

parti ou coalition et de procéder à une redistribution des mandats des

députés à l’Assemblée nationale.

47. La Cour constitutionnelle rejeta les objections supplémentaires

soulevées par le groupe parlementaire du DPS le 9 février 2010

(paragraphe 34 ci-dessus). Elle estima que les irrégularités relevées dans les

listes électorales des différents bureaux de vote affectaient également la

régularité du procès-verbal rédigé par la commission électorale à l’issue du

scrutin puisque ce procès-verbal contenait les données relatives au nombre

exact des personnes qui avaient voté dans le bureau en question et que

c’était sur la base de ce document que les résultats électoraux avaient été

déterminés. S’il était vrai que la législation interne n’obligeait pas de

manière expresse les membres des commissions électorales locales

constituées à l’étranger à signer les listes électorales additionnelles, le

modèle de liste électorale additionnelle approuvé par le président de la

République en application de la loi électorale prévoyait ces signatures. Pour

la Cour constitutionnelle, il s’agissait donc d’une condition légale de

validité de ces documents officiels. En tout état de cause, la signature

constituait l’un des éléments essentiels et évidents de tout document officiel.

Ainsi, l’absence de ces signatures sur les listes électorales additionnelles

établies dans les 23 bureaux de vote privait ces documents de leur caractère

de preuve officielle de l’exercice du droit de vote des personnes inscrites.

48. La Cour constitutionnelle déclara que les votes en question étaient

valides au regard de la législation interne, mais qu’ils devaient être

soustraits des résultats électoraux en raison de l’irrégularité des listes

électorales et des procès-verbaux de vote. Elle estima qu’il fallait procéder à

une nouvelle répartition des sièges à l’Assemblée nationale. Pour ces

motifs, et après avoir pris en compte les calculs préalables présentés par la

commission électorale centrale, la Cour constitutionnelle révoqua les

mandats de trois députés au Parlement national, dont celui de M. Riza. Elle

enjoignit à la commission électorale centrale de procéder à une nouvelle

répartition des sièges à l’Assemblée nationale en soustrayant des résultats

électoraux les 18 358 votes émis dans les 23 bureaux de vote en question.

49. En exécution de l’arrêt de la Cour constitutionnelle, par une décision

du 19 février 2010, la commission électorale centrale déclara trois autres

candidats élus. En conséquence de cette nouvelle répartition des sièges, le

DPS fut le seul parti à perdre un siège de député et le parti GERB, qui avait

gagné les élections législatives, obtint un mandat supplémentaire.

Page 16: Affaire Riza Et Autres c. Bulgarie

14 ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE

D. Les recours introduits par M. Riza et le DPS

50. Le 4 mars 2010, le DPS et trois de ses députés à l’Assemblée

nationale introduisirent à leur tour le recours prévu par l’article 112 de la loi

électorale et contestèrent la légalité de l’élection des trois députés que la

commission électorale centrale avait déclarés élus par sa décision du

19 février 2010. M. Riza introduisit le même recours en son nom.

51. Les 31 mars et 27 avril 2010, la Cour constitutionnelle jugea les

deux recours irrecevables au motif que le litige en cause avait déjà fait

l’objet d’une procédure devant elle, qui avait abouti à son arrêt du 16 février

2010.

E. Autres circonstances pertinentes

52. La 41e Assemblée nationale, constituée après les élections

législatives du 5 juillet 2009, exerça ses fonctions jusqu’au 15 mars 2013,

date à laquelle elle fut dissoute par décret présidentiel.

53. Le 12 mai 2013 eurent lieu les élections pour la 42e Assemblée

nationale. Lors de ces élections, le DPS obtint 400 460 voix, soit 11,31 %

des suffrages valablement exprimés. Il obtint 51 784 voix sur le territoire de

la Turquie. Il fit élire 36 députés à l’Assemblée nationale et constitua le

troisième groupe parlementaire. M. Riza fut élu député de la

8e circonscription plurinominale, où il était tête de liste de son parti.

54. La légalité de ces élections législatives, concernant en particulier les

bureaux de vote ouverts sur le territoire de la Turquie, fut contestée devant

la Cour constitutionnelle par un groupe de 48 députés du parti GERB. Ces

députés demandèrent l’annulation des élections dans les 86 bureaux de vote

ouverts en Turquie en raison de plusieurs irrégularités alléguées du

processus électoral : selon eux, les bureaux de vote avaient été constitués

sur la base de déclarations préalables d’intention de vote qui auraient été

falsifiées ; ils avaient ouvert leurs portes en l’absence du nombre minimum

requis des membres des commissions électorales ; des personnes non

identifiées avaient sillonné les quartiers peuplés de citoyens bulgares en

Turquie, avaient obtenu les cartes d’identité bulgares de plusieurs électeurs

et les leur avaient restituées la veille des élections en leur disant qu’ils

avaient voté ; plusieurs électeurs n’avaient pas présenté de pièce d’identité

bulgare valide ; le nombre de votants dans un certain nombre de bureaux

avait dépassé 936, ce qui aurait été irréaliste compte tenu du temps

nécessaire pour l’accomplissement des formalités liées au processus

électoral ; il y avait eu plusieurs cas de double vote ; les listes des électeurs

inscrits le jour du scrutin n’avaient pas été correctement remplies et

n’avaient pas été signées par le président et les autres membres de la

commission électorale. La demande en cause se référait expressément à la

motivation de l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 16 février 2010.

Page 17: Affaire Riza Et Autres c. Bulgarie

ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE 15

55. Par un arrêt du 28 novembre 2013, la Cour constitutionnelle rejeta le

recours des 48 députés du parti GERB. Elle examina et rejeta, sur la base

des preuves recueillies, toutes les allégations de violation de la législation

électorale soulevées par les demandeurs. Elle constata, entre autres, que les

membres compétents de toutes les commissions électorales constituées sur

le territoire de la Turquie avaient apposé leur signature à la fin des listes des

électeurs ajoutés le jour du scrutin, ce qui conférait à ces documents la force

probante de documents officiels.

56. Au cours de la 42e législature, le DPS participa à la création d’un

gouvernement de coalition qui démissionna en juillet 2014. À la suite de ces

événements, la 42e Assemblée nationale fut dissoute le 6 août 2014 par

décret présidentiel.

57. Les élections pour la 43e Assemblée nationale eurent lieu le

5 octobre 2014. Le DPS obtint 487 134 voix, soit 14,84 % des votes

valablement exprimés, et fit élire 38 députés au Parlement. Aucun recours

recevable ne fut intenté devant la Cour constitutionnelle pour contester ces

résultats électoraux. Le DPS est actuellement le troisième parti politique du

pays et le deuxième parti d’opposition.

58. M. Riza fut élu député à la 8e circonscription où il était tête de liste

du DPS.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

A. La loi électorale de 2001

59. À l’époque des faits, l’élection des députés au Parlement national

était régie par la loi électorale de 2001, qui fut modifiée à plusieurs reprises.

60. L’article 5 de la loi autorisait le président à fixer la date des élections

législatives et à approuver les modèles des différents documents électoraux.

61. Par un décret du 7 mai 2009, paru au Journal officiel le lendemain, le

président bulgare a approuvé les modèles des différents documents

électoraux.

1. Le système électoral bulgare

62. Ladite loi, telle que modifiée en 2009, prévoyait la mise en place

d’un système électoral mixte : 31 députés étaient élus au scrutin majoritaire

dans des circonscriptions uninominales et 209 au scrutin proportionnel dans

31 circonscriptions plurinominales en fonction des votes obtenus par les

listes des candidats des partis politiques participant aux élections (article 6,

alinéas 1-3, de la loi).

63. Les 209 sièges obtenus selon le système proportionnel étaient

répartis d’après la méthode de Hare-Niemeyer (article 6, alinéa 5, de la loi)

en trois étapes successives : 1) répartition des sièges entre les partis

Page 18: Affaire Riza Et Autres c. Bulgarie

16 ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE

politiques au niveau national ; 2) répartition des sièges obtenus par chaque

parti dans les 31 circonscriptions plurinominales ; 3) répartition des sièges

entre les partis politiques dans chaque circonscription plurinominale.

64. Les calculs mathématiques de la première étape répartissaient les

209 mandats entre les partis politiques qui avaient dépassé le seuil de 4 %

de tous les votes valides. La somme de tous les votes valides obtenus sur le

territoire du pays et à l’étranger par les partis qualifiés était ensuite divisée

par 209 afin d’obtenir le quotient électoral nécessaire pour l’attribution d’un

siège au Parlement. Ensuite, les votes obtenus par chaque parti étaient

divisés par le quotient électoral ainsi obtenu afin de déterminer le nombre

de sièges attribués à chacun d’entre eux. Les quelques sièges non attribués à

l’issue de ces opérations étaient répartis suivant la méthode du plus fort

reste.

65. Les calculs de la deuxième étape répartissaient les mandats obtenus

par chaque parti à l’issue de la première étape parmi les 31 circonscriptions

électorales. À cette étape, les votes obtenus uniquement sur le territoire du

pays par chaque parti étaient divisés par le nombre de sièges attribués à ce

parti pour obtenir le quotient électoral nécessaire à l’attribution d’un siège

dans les circonscriptions. Ensuite, les votes obtenus par chaque parti dans

chaque circonscription étaient divisés par le quotient électoral du parti afin

de déterminer le nombre de sièges attribués à ce parti dans chaque

circonscription. Les quelques sièges non répartis à l’issue de ces opérations

étaient répartis suivant la méthode du plus fort reste. À l’issue de cette

deuxième étape, le nombre de mandats préalablement calculés pour les

circonscriptions en fonction de la population de celles-ci pouvait soit

correspondre au nombre de mandats attribués, soit le dépasser, soit être

inférieur. En cas de correspondance des deux nombres, la répartition des

mandats dans la circonscription en cause était définitive. L’étape suivante

concernait uniquement les circonscriptions où le nombre des mandats

répartis ne correspondait pas au nombre des mandats prédéterminés.

66. La troisième étape des calculs permettait d’ajuster le nombre des

mandats attribués dans chaque circonscription en fonction de la pondération

électorale des sièges obtenus par chaque parti, l’avantage revenant aux

sièges ayant le plus grand poids électoral. L’ajustement s’opérait dans les

limites du nombre des mandats attribués pour chaque parti au niveau

national et du nombre prédéterminé des mandats pour chaque

circonscription plurinominale. À l’issue de cette dernière étape de calculs et

d’ajustement, les 209 sièges au Parlement étaient répartis dans leur totalité

entre les partis politiques et dans les 31 circonscriptions plurinominales du

pays.

2. L’administration des élections

67. La loi prévoyait la mise en place d’une administration électorale

spécialisée à trois niveaux hiérarchiques : une commission électorale

Page 19: Affaire Riza Et Autres c. Bulgarie

ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE 17

centrale ; 31 commissions électorales régionales (районни избирателни

комисии) et des commissions électorales locales pour chaque bureau de

vote (секционни избирателни комисии). Les commissions locales

comprenaient un président, un vice-président, un secrétaire et des membres

ordinaires (article 14 de la loi). Elles étaient composées de représentants de

différents partis politiques et la loi interdisait qu’un parti politique fût

majoritaire dans la composition d’une commission locale (article 20,

alinéa 4, de la loi). Le président et le secrétaire de la commission locale

devaient représenter les intérêts des différents partis politiques (ibidem).

68. Les commissions locales étaient chargées de superviser le scrutin

dans leurs bureaux de vote respectifs, de procéder au comptage des voix, de

dresser un procès-verbal de vote, d’envoyer celui-ci aux commissions

régionales et de remettre les bulletins de vote et les autres documents

électoraux à l’administration municipale (article 25 de la loi).

3. Les listes électorales et les procès-verbaux de vote

69. Les listes électorales pour chaque bureau de vote ouvert sur le

territoire national étaient générées d’office par l’administration municipale

en fonction de l’adresse permanente de l’électeur et portaient les signatures

du maire et du secrétaire de mairie (article 26, alinéa 1, de la loi électorale).

La commission électorale locale était chargée de vérifier si les personnes

qui se présentaient pour voter étaient inscrites sur les listes électorales. En

vertu du décret présidentiel du 7 mai 2009 approuvant les modèles des

documents électoraux, l’administration municipale était obligée de tracer

une ligne après le dernier nom porté sur la liste des électeurs préinscrits. Le

jour du scrutin, la commission électorale locale avait le droit d’ajouter sous

cette ligne le nom de tout électeur qui aurait dû figurer sur la liste électorale

en question mais qui avait été omis par l’administration municipale. La liste

des électeurs ajoutés « sous ligne » devait être signée par le président et le

secrétaire de la commission électorale locale.

70. L’article 36, alinéa 9, de la loi prévoyait également une « liste

électorale additionnelle » sur laquelle les commissions électorales locales

inscrivaient, le jour du scrutin, tout votant qui ne figurait pas sur la liste des

préinscrits et qui était muni d’une autorisation de voter dans un lieu où il

n’avait pas son adresse permanente. Cette liste additionnelle devait être

signée par le président et le secrétaire de la commission électorale locale

(article 36, alinéa 9, de la loi). Le modèle de liste électorale additionnelle,

approuvé par le président, prévoyait également la signature du président et

du secrétaire de la commission électorale locale.

71. En vertu des articles 92 et 94 de la loi électorale, les commissions

locales devaient consigner les résultats du vote de leurs bureaux respectifs

dans un procès-verbal de vote établi en trois exemplaires. Celui-ci devait

être signé par tous les membres de la commission locale, mais le refus d’un

de ses membres de le signer n’en entraînait pas la nullité (article 95,

Page 20: Affaire Riza Et Autres c. Bulgarie

18 ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE

alinéas 1 et 5, de la loi). Avant d’ouvrir l’urne, les membres de la

commission locale devaient inscrire dans le procès-verbal les données

identifiant le bureau de vote, les heures d’ouverture et de fermeture de

celui-ci, le nombre de votants de la liste des électeurs préinscrits, le nombre

de personnes inscrites sur la liste additionnelle établie le jour du scrutin, le

nombre total des votants selon les listes, le nombre d’autorisations de vote

en dehors du lieu habituel de résidence (article 96 de la loi). Selon le modèle

de procès-verbal de vote approuvé par le président de la République, ces

données figuraient sur la première page du document. Le modèle de

formulaire prévoyait une case pour le nombre des votants de la « liste

principale », c’est-à-dire la liste des préinscrits, une autre case pour le

nombre des votants inscrits le jour du scrutin sur la feuille supplémentaire

de la « liste principale », c’est-à-dire sur la liste « sous ligne »

(paragraphe 69 ci-dessus, in fine) et une case pour la liste électorale

additionnelle, c’est-à-dire le nombre des votants qui avaient au préalable été

autorisés à voter dans un lieu autre que celui où ils avaient leur adresse

permanente (paragraphe 70 ci-dessus). Cette première page du

procès-verbal devait être signée par tous les membres de la commission

électorale locale.

72. Après le comptage des voix, la commission électorale locale devait

consigner les données suivantes dans le procès-verbal de vote : le nombre

de bulletins présents dans l’urne ; le nombre de bulletins nuls ; le nombre de

bulletins valables ; le nombre de voix pour chaque liste de parti ou

candidat ; le nombre de plaintes déposées et de décisions prises sur ces

plaintes (article 100 de la loi). Ces données figuraient sur la deuxième page

du modèle de procès-verbal approuvé par le président de la République.

Cette page devait également porter les signatures des membres de la

commission électorale locale.

73. Le président, le secrétaire et un membre de la commission électorale

locale devaient remettre ensemble deux exemplaires du procès-verbal ainsi

rédigé et signé à la commission électorale régionale. Tous les autres

documents électoraux – listes électorales, bulletins, autorisations de vote –

devaient être remis à l’administration municipale (article 101 de la loi

électorale).

4. Les élections législatives en dehors du territoire national

74. Les citoyens bulgares résidant à l’étranger ne perdent pas leur droit

de voter aux élections législatives et ils peuvent exercer leur droit sur le

territoire national ou dans les bureaux de vote ouverts à l’étranger.

75. L’article 41, alinéa 8, de la loi électorale autorisait les représentants

diplomatiques bulgares à l’étranger à ouvrir des bureaux de vote dans les

villes où se trouvaient les missions diplomatiques bulgares, dans les villes

pour lesquelles ils avaient reçu au moins cent déclarations préalables

d’intention de vote, ainsi que dans toute autre ville à leur discrétion. Ils

Page 21: Affaire Riza Et Autres c. Bulgarie

ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE 19

étaient également responsables de l’établissement des listes électorales sur

la base des déclarations préalables d’intention de vote soumises par les

citoyens bulgares résidant sur le territoire du pays concerné (article 37,

alinéa 1, de la loi). Le second alinéa de l’article 37 permettait aux citoyens

bulgares résidant à l’étranger de se faire inscrire sur les listes électorales par

les commissions électorales locales le jour du scrutin.

76. Dans un arrêté (решение) du 10 mai 2009, la commission électorale

centrale précisa les modalités d’organisation et de déroulement des scrutins

à l’étranger. Pour les bureaux de vote ouverts à l’étranger, les commissions

électorales locales étaient formées par décision du représentant

diplomatique bulgare compétent. Celui-ci était tenu de respecter les règles

de composition des commissions électorales prévues par la loi électorale.

Néanmoins, ces commissions électorales pouvaient inclure des

fonctionnaires de la représentation diplomatique bulgare et des

fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères.

77. À la fin de la journée électorale, les commissions locales procédaient

au comptage des voix et dressaient un procès-verbal qu’elles remettaient

avec tous les autres documents électoraux aux services diplomatiques

bulgares du pays concerné. Les résultats de chaque bureau de vote ouvert à

l’étranger étaient envoyés à la commission électorale centrale par un

télégramme diplomatique. Les procès-verbaux de vote ainsi que les autres

documents électoraux étaient adressés par les services diplomatiques

bulgares à la commission électorale centrale.

B. La contestation des résultats électoraux devant la Cour

constitutionnelle

78. En vertu de l’article 149, alinéa 1, point 7, de la Constitution, la

Cour constitutionnelle était habilitée à examiner les litiges portant sur la

légalité de l’élection des députés à l’Assemblée nationale. L’article 112 de

la loi électorale permettait aux candidats aux élections législatives et aux

partis politiques ayant participé au scrutin de contester devant la Cour

constitutionnelle l’élection d’un ou de plusieurs députés à l’Assemblée

nationale dans un délai de quatorze jours à compter de la date de

proclamation des résultats électoraux. Ce recours devait être introduit par

l’intermédiaire d’un des organes qui avaient le droit de saisir la Cour

constitutionnelle : le président, le Conseil des ministres, la Cour suprême de

cassation, la Cour suprême administrative, le procureur général ou un

cinquième des députés de l’Assemblée nationale.

79. La procédure suivie devant la Cour constitutionnelle est décrite dans

la loi sur la Cour constitutionnelle (« la loi ») et dans le règlement relatif à

l’organisation et au fonctionnement de la Cour constitutionnelle (« le

règlement »). Les deux textes ont été publiés au Journal officiel.

Page 22: Affaire Riza Et Autres c. Bulgarie

20 ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE

80. La Cour constitutionnelle dispose du pouvoir discrétionnaire de

constituer les parties à la procédure et elle informe celles-ci de

l’introduction d’un tel recours (article 21, alinéa 1, du règlement). Elle

accorde aux parties un délai pour la présentation des observations sur la

recevabilité et le fond de l’affaire (article 18, alinéa 2, de la loi).

81. La Cour constitutionnelle siège en formation de chambre en

l’absence des parties à la procédure, à moins qu’elle ne décide de tenir une

audience publique (article 21, alinéa 1, de la loi, et article 27, alinéas 1 et 2,

du règlement).

82. Elle peut demander la présentation de tout document ou élément de

preuve nécessaire à l’examen de l’affaire et peut ordonner des expertises

(article 20 de la loi et article 29, alinéas 2 et 3, du règlement). Les parties à

la procédure ont le droit de consulter les preuves recueillies par la Cour

constitutionnelle (article 29, alinéa 4, du règlement).

83. La procédure devant la Cour constitutionnelle se déroule en deux

phases : la première, consacrée à la recevabilité du recours, et la seconde,

concernant le fond de la demande (article 25, alinéa 1, du règlement).

Cependant, les questions portant sur la recevabilité du recours peuvent être

soulevées et débattues à tout moment de la procédure (alinéa 2 du même

article).

84. Les décisions d’irrecevabilité et les arrêts de la Cour

constitutionnelle sont définitifs (article 14, alinéa 5, de la loi, et article 33,

alinéa 4, du règlement). Quand la Cour constitutionnelle s’est déjà

prononcée par une décision ou par un arrêt sur un litige particulier, elle ne

peut plus être saisie d’un recours ayant le même objet (article 21, alinéa 5,

de la loi, et article 35, alinéa 2, du règlement).

85. La loi électorale de 2001 ne prévoyait pas la tenue de nouvelles

élections en cas d’annulation, par arrêt de la Cour constitutionnelle, du

scrutin dans un ou plusieurs bureaux de vote. Le code électoral de 2011, qui

a abrogé la loi électorale de 2001, prévoyait, dans son article 264, alinéa 5,

la tenue de nouvelles élections parlementaires uniquement en cas

d’annulation des résultats électoraux dans leur totalité. En cas d’annulation

partielle des résultats électoraux en raison d’une contestation réussie de

l’élection de députés individuels, la commission électorale centrale

procédait à une nouvelle répartition des sièges au Parlement sans la tenue de

nouvelles élections (article 264, alinéa 6, du même code). Cette dernière

approche a également été adoptée par le nouveau code électoral de 2014,

dans son article 306, alinéas 4 et 5.

C. La contestation des décisions de la commission électorale centrale

86. En vertu de l’article 23, alinéa 1, point 17, de la loi électorale, la

commission électorale centrale proclamait les résultats du scrutin et délivrait

les certificats nécessaires aux candidats élus à l’Assemblée nationale. Les

Page 23: Affaire Riza Et Autres c. Bulgarie

ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE 21

alinéas 3 et 4 du même article de la loi électorale énuméraient les décisions

de cette commission qui pouvaient être contestées devant la Cour

administrative suprême ; la décision de proclamation des résultats

électoraux n’en faisait pas partie.

87. Le 21 juillet 2009, la Cour administrative suprême fut saisie par un

candidat aux élections législatives d’un recours contre une décision de la

commission électorale centrale qui avait refusé de rectifier une erreur

manifeste de comptage des voix dans sa base de données électronique. Dans

un arrêt rendu le 23 juillet 2009 (Решение № 9976 от 23.07.2009г. по адм.

д. № 9830/09 на ВАС IV о.), la quatrième section de la haute juridiction

administrative observa que les décisions de la commission électorale

centrale concernant la rectification d’erreurs manifestes dans sa base de

données électronique ne figuraient pas parmi les décisions qui étaient

expressément soumises au contrôle de la Cour administrative suprême en

vertu de l’article 23, alinéas 3 et 4, de la loi électorale. Cependant, elle se

déclara compétente pour examiner l’affaire en question au motif que les

alinéas 3 et 4 de l’article 23 de la loi électorale ne créaient pas une

exception au principe établi à l’article 120 de la Constitution, selon lequel

les citoyens et les personnes morales ont le droit de contester les actes et

actions de l’administration qui les concernent. La Cour administrative

suprême se prononça ensuite en faveur du plaignant et renvoya le dossier à

la commission électorale centrale pour réexamen. Elle observa par ailleurs

que si la rectification subséquente du nombre des voix s’avérait décisive

pour le résultat final des élections, les personnes concernées pourraient

introduire devant la Cour constitutionnelle le recours prévu par l’article 112

de la loi électorale (paragraphe 78 ci-dessus).

D. La subvention de l’État accordée aux partis politiques

88. La loi de 2005 sur les partis politiques prévoit une subvention

étatique annuelle pour le fonctionnement des partis politiques qui sont

représentés au Parlement, ou qui ont obtenu au moins 1 % des voix aux

élections législatives précédentes (articles 25 et 26 de la loi).

89. En vertu de l’article 27, alinéa 1, de la loi, tel qu’il était en vigueur

en 2009, la subvention était calculée sur la base de 5 % du salaire minimum

brut pour chaque voix valable obtenue aux élections législatives

précédentes. À la date du 1er janvier 2010, le salaire minimum s’élevait à

240 levs bulgares (soit environ 122 euros (EUR)).

90. L’article 27, alinéa 1, de cette loi fut modifié le 1er janvier 2012 : la

subvention de l’État est toujours proportionnelle au nombre de voix valables

obtenues par le parti aux élections précédentes, mais la somme unitaire par

voix est désormais fixée annuellement dans le budget de l’État.

Page 24: Affaire Riza Et Autres c. Bulgarie

22 ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE

III. LES TRAVAUX PERTINENTS DE LA COMMISSION

EUROPÉENNE POUR LA DEMOCRATIE PAR LE DROIT

91. À ses 51e et 52e sessions des 5 et 6 juillet et 18 et 19 octobre 2002, la

Commission européenne pour la démocratie par le droit (dite Commission

de Venise) a adopté ses lignes directrices en matière électorale et un rapport

explicatif précisant celles-ci. Les deux documents susmentionnés

constituent ensemble le Code de bonne conduite en matière électorale de la

Commission de Venise, qui a été approuvé en 2003 par l’Assemblée

parlementaire et par le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil

de l’Europe.

92. Les parties pertinentes de ce code se lisent ainsi :

Lignes directrices

« 2. Le suffrage égal

Le suffrage égal comprend : (...) l’égalité de décompte (...) ; (...) l’égalité de la force

électorale (...) ; l’égalité des chances (...).

3.3. L’existence d’un système de recours efficace

a. L’instance de recours en matière électorale doit être soit une commission

électorale, soit un tribunal. Un recours devant le Parlement peut être prévu en

première instance en ce qui concerne les élections du Parlement. Dans tous les cas, un

recours devant un tribunal doit être possible en dernière instance.

b. La procédure doit être simple et dénuée de formalisme, en particulier en ce qui

concerne la recevabilité des recours.

c. Les dispositions en matière de recours, et notamment de compétences et de

responsabilités des diverses instances, doivent être clairement réglées par la loi, afin

d’éviter tout conflit de compétences positif ou négatif. Ni les requérants, ni les

autorités ne doivent pouvoir choisir l’instance de recours.

d. L’instance de recours doit être compétente notamment en ce qui concerne le droit

de vote – y compris les listes électorales – et l’éligibilité, la validité des candidatures,

le respect des règles de la campagne électorale et le résultat du scrutin.

e. L’instance de recours doit pouvoir annuler le scrutin si une irrégularité a pu

influencer le résultat. L’annulation doit être possible aussi bien pour l’ensemble de

l’élection qu’au niveau d’une circonscription ou au niveau d’un bureau de vote. En

cas d’annulation, un nouveau scrutin a lieu sur le territoire où l’élection a été annulée.

f. Tout candidat et tout électeur de la circonscription ont qualité pour recourir. Un

quorum raisonnable peut être imposé pour les recours des électeurs relatifs aux

résultats des élections.

g. Les délais de recours et les délais pour prendre une décision sur recours doivent

être courts (trois à cinq jours en première instance).

h. Le droit des requérants au contradictoire doit être sauvegardé.

i. Lorsque les commissions électorales supérieures sont instances de recours, elles

doivent pouvoir rectifier ou annuler d’office les décisions des commissions

inférieures. »

Page 25: Affaire Riza Et Autres c. Bulgarie

ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE 23

Rapport explicatif

« 2. Le suffrage égal

10. L’égalité en matière électorale comprend divers aspects. Certains relèvent de

l’égalité de suffrage, valeur commune au continent, d’autres vont plus loin et ne

peuvent pas être considérés comme la traduction d’une norme générale. Les principes

qui doivent être respectés dans tous les cas sont l’égalité de décompte, l’égalité de la

force électorale et l’égalité des chances. Par contre, l’égalité des résultats, par la

représentation proportionnelle des partis ou des sexes, par exemple, ne peut être

imposée. (...)

3.3. L’existence d’un système de recours efficace

92. Afin que les règles du droit électoral ne restent pas lettre morte, leur non-respect

doit pouvoir être contesté devant un organe de recours. Cela vaut en particulier du

résultat de l’élection, dont la contestation permet d’invoquer les irrégularités dans la

procédure de vote ; cela vaut aussi d’actes pris avant l’élection, en particulier en ce

qui concerne le droit de vote, les listes électorales et l’éligibilité, la validité des

candidatures, le respect des règles de la campagne électorale et l’accès aux médias ou

le financement des partis.

93. Deux solutions sont envisageables.

– Les recours sont traités par des tribunaux – ordinaires, spéciaux ou

constitutionnels.

– Les instances compétences sont des commissions électorales. Ce système présente

de réels avantages du fait que ces commissions sont très spécialisées et, donc, plus au

fait des questions électorales que les tribunaux. Il est néanmoins souhaitable, à titre de

précaution, de mettre en place une forme de contrôle juridictionnel. Dès lors, le

premier degré de recours sera la commission électorale supérieure, et le deuxième le

tribunal compétent.

94. Le recours devant le Parlement, comme juge de sa propre élection, est parfois

prévu, mais risque d’entraîner des décisions politiques. Il est admissible en première

instance là où il est connu de longue date, mais un recours judiciaire doit alors être

possible.

95. La procédure de recours devrait être la plus brève possible, en tout cas en ce qui

concerne les décisions à prendre avant l’élection. Sur ce point, il faut éviter deux

écueils : d’une part, que la procédure de recours retarde le processus électoral ; d’autre

part, que, faute d’effet suspensif, les décisions sur recours qui pouvaient être prises

avant ne soient prises après les élections. En outre, les décisions relatives aux résultats

de l’élection ne doivent pas tarder, surtout si le climat politique est tendu. Cela

implique à la fois des délais de recours très courts et que l’instance de recours soit

tenue de statuer aussitôt que possible. Les délais doivent cependant être assez longs

pour permettre un recours, pour garantir l’exercice des droits de la défense et une

décision réfléchie. Un délai de trois à cinq jours en première instance (aussi bien pour

recourir que pour statuer) paraît raisonnable pour les décisions à prendre avant les

élections. Il est toutefois admissible que les instances supérieures (Cours suprêmes,

Cours constitutionnelles) se voient accorder un peu plus de temps pour statuer.

96. Par ailleurs, la procédure doit être simple. La mise à la disposition des électeurs

désirant former un recours de formulaires spéciaux contribue à la simplification de la

procédure. Il est nécessaire d’écarter tout formalisme, afin d’éviter des décisions

d’irrecevabilité, notamment dans les affaires politiquement délicates.

Page 26: Affaire Riza Et Autres c. Bulgarie

24 ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE

97. En outre, il faut absolument que les dispositions en matière de recours, et

notamment de compétence et de responsabilités des diverses instances, soient

clairement réglées par la loi, afin d’éviter tout conflit de compétences positif ou

négatif. Ni les requérants, ni les autorités ne doivent pouvoir choisir l’instance de

recours. Le risque de déni de justice est en effet accru s’il est possible de recourir

alternativement auprès des tribunaux et des commissions électorales ou en l’absence

de délimitation claire des compétences entre plusieurs tribunaux – par exemple les

tribunaux ordinaires et la Cour constitutionnelle. (...)

98. Les litiges liés aux listes électorales, qui relèvent par exemple de la compétence

de l’administration locale agissant sous contrôle des commissions électorales ou en

collaboration avec elles, peuvent être traités par des tribunaux de première instance.

99. La qualité pour recourir doit être reconnue très largement. Le recours doit être

ouvert à tout électeur de la circonscription et à tout candidat qui se présente dans

celle-ci. Un quorum raisonnable peut toutefois être imposé pour les recours des

électeurs relatifs aux résultats des élections.

100. La procédure doit avoir un caractère judiciaire, en ce sens que le droit des

requérants au contradictoire doit être sauvegardé.

101. Les pouvoirs de l’instance de recours sont également importants. Il doit lui

être possible d’annuler le scrutin si une irrégularité a pu influencer le résultat, c’est-à-

dire modifier la répartition des sièges. Ce principe général doit être affiné, en ce sens

que le contentieux de l’annulation ne doit pas forcément porter sur l’ensemble du

territoire, voire l’ensemble de la circonscription ; au contraire, l’annulation doit être

possible par bureau de vote. Cela permettra à la fois d’éviter deux situations

extrêmes : l’annulation de la totalité d’un scrutin alors que les irrégularités sont

limitées géographiquement ; le refus d’annuler le scrutin si l’étendue géographique

des irrégularités est insuffisante. L’annulation du scrutin doit entraîner la répétition de

l’élection sur le territoire où l’élection a été annulée.

102. Lorsque les commissions électorales supérieures sont instances de recours,

elles doivent pouvoir rectifier ou annuler d’office les décisions des commissions

électorales supérieures. »

EN DROIT

I. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L’ARTICLE 3 DU

PROTOCOLE No 1 À LA CONVENTION

93. M. Riza et le DPS allèguent que l’annulation des résultats électoraux

dans 23 bureaux de vote a porté une atteinte injustifiée à leur droit de se

présenter aux élections garanti par l’article 3 du Protocole no 1 à la

Convention. Sous l’angle du même article, les 101 autres requérants (dont

les noms figurent en annexe) allèguent que l’annulation de leurs votes a

constitué une violation de leur droit électoral actif. Invoquant en outre

l’article 13 de la Convention, M. Riza et le DPS soutiennent que le droit

interne ne leur offrait aucune voie de recours susceptible de remédier à la

violation alléguée de leurs droits.

Page 27: Affaire Riza Et Autres c. Bulgarie

ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE 25

94. La Cour observe d’emblée qu’il y a lieu de distinguer la présente

espèce de l’affaire Grosaru c. Roumanie (no 78039/01, §§ 55-56,

CEDH 2010), dans laquelle le litige postélectoral impliquant le requérant

n’avait jamais fait l’objet d’un examen par une instance judiciaire. Dans

cette affaire, la Cour s’est livrée à un examen séparé du grief tiré de l’article

13. En revanche, dans des affaires concernant des litiges postélectoraux où

le droit national confiait l’examen de ces litiges aux juridictions judiciaires,

la Cour a choisi d’aborder la question uniquement sous l’angle de l’article 3

du Protocole no 1 (Kerimova c. Azerbaïdjan, no 20799/06, §§ 31-32,

30 septembre 2010, et Kerimli et Alibeyli c. Azerbaïdjan, nos 18475/06 et

22444/06, §§ 29 et 30, 10 janvier 2012).

95. Dans la présente affaire, l’examen du litige électoral a été confié à la

juridiction constitutionnelle, qui s’est prononcée par un arrêt définitif. À la

lumière des faits spécifiques de l’espèce, et à l’instar de sa position dans les

arrêts Kerimova et Kerimli et Alibeyli (précités), la Cour estime qu’aucune

question distincte ne se pose sous l’angle de l’article 13 de la Convention.

Elle prendra cependant en compte les spécificités de la procédure suivie

devant la Cour constitutionnelle bulgare aux fins de son analyse des griefs

tirés de l’article 3 du Protocole no 1, qui est ainsi libellé :

« Les Hautes Parties contractantes s’engagent à organiser, à des intervalles

raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la

libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif. »

A. Sur la recevabilité

1. Sur l’épuisement des voies de recours internes

a) Arguments des parties

96. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours

internes. Il indique que M. Riza et le DPS auraient pu introduire un recours

fondé sur l’article 112 de la loi électorale pour contester les nouveaux

résultats électoraux obtenus après l’arrêt de la Cour constitutionnelle qui

avait annulé le vote dans 23 bureaux ouverts en dehors du territoire national.

97. Le Gouvernement est d’avis qu’il existait par ailleurs un autre

recours interne effectif que ces requérants auraient pu exercer : selon lui, ils

auraient pu contester devant la Cour administrative suprême la décision de

la commission électorale centrale proclamant les nouveaux résultats des

élections législatives. Il renvoie à cet égard à un arrêt de la Cour

administrative suprême du 23 juillet 2009 (paragraphe 87 ci-dessus).

98. Ces deux requérants répondent qu’ils ont bien utilisé la première

voie de recours suggérée par le Gouvernement dès lors qu’ils auraient saisi

à leur tour la Cour constitutionnelle d’une demande de contestation des

nouveaux résultats électoraux découlant de la décision d’annuler le vote

dans 23 bureaux de vote ouverts en Turquie. Ils indiquent que la Cour

Page 28: Affaire Riza Et Autres c. Bulgarie

26 ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE

constitutionnelle a refusé de reconsidérer son précédent arrêt et qu’elle a

rejeté leurs recours comme irrecevables.

99. Quant au second recours évoqué par le Gouvernement, à savoir une

plainte devant la Cour administrative suprême, les deux requérants estiment

qu’il n’aurait pas été suffisamment effectif et disponible dans leur cas. Ils

exposent que le principe général d’un contrôle judiciaire des actes de

l’administration par les juridictions administratives, auquel le

Gouvernement se serait référé, trouve à s’appliquer seulement dans la

mesure où la législation interne ne prévoit pas une voie de recours spéciale

pour tel ou tel litige lié à un acte de l’administration. Or l’article 112 de la

loi électorale de 2001 aurait prévu un recours spécial pour contester la

légalité des résultats électoraux, à savoir le recours devant la Cour

constitutionnelle. Les intéressés concluent que les tribunaux administratifs

auraient déclaré irrecevable tout recours qu’ils auraient pu former contre la

décision de la commission électorale centrale.

100. Les deux requérants indiquent ensuite que la décision de la

commission électorale centrale du 19 février 2010 a été prise en exécution

de l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 16 février 2010. D’après eux, le

second recours suggéré par le Gouvernement aurait donc donné à la Cour

administrative suprême la possibilité d’invalider l’arrêt de la Cour

constitutionnelle, ce qui, à leurs yeux, aurait été difficilement conciliable

avec le principe fondamental de la prééminence du droit. Par ailleurs, les

intéressés indiquent que le Gouvernement n’a invoqué aucun arrêt de la

Cour administrative suprême qui eût été prononcé dans le cadre d’une

procédure de contestation d’une décision de la commission électorale

centrale rendue en application d’un arrêt de la Cour constitutionnelle. Selon

eux, le Gouvernement a ainsi failli à son obligation de démontrer

l’effectivité et la disponibilité de ce recours.

b) Appréciation de la Cour

101. La Cour rappelle que la règle énoncée à l’article 35 § 1 de la

Convention impose aux requérants l’obligation d’utiliser en premier lieu les

recours normalement disponibles et suffisants dans l’ordre juridique interne

de leur pays pour leur permettre d’obtenir réparation des violations qu’ils

allèguent. Lesdits recours doivent exister à un degré suffisant de certitude,

en pratique comme en théorie, sans quoi leur manquent l’effectivité et

l’accessibilité voulues (voir, parmi beaucoup d’autres, Salman c. Turquie

[GC], no 21986/93, § 81, CEDH 2000-VII, et İlhan c. Turquie [GC],

no 22277/93, § 58, CEDH 2000-VII).

102. Il incombe au Gouvernement excipant du non-épuisement de

convaincre la Cour que le recours qu’il suggère était effectif et disponible

tant en théorie qu’en pratique a l’époque des faits. Une fois cela démontré,

c’est au requérant qu’il revient d’établir que le recours évoqué par le

Gouvernement a bien été employé ou que, pour une raison quelconque, il

Page 29: Affaire Riza Et Autres c. Bulgarie

ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE 27

n’était ni adéquat ni effectif compte tenu des faits de la cause ou encore que

certaines circonstances particulières le dispensaient de l’obligation de

l’exercer (Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 68, Recueil

des arrêts et décisions 1996-IV). De surcroît, un requérant qui a utilisé une

voie de recours interne apparemment effective et suffisante ne saurait se

voir reprocher de ne pas avoir essayé d’en utiliser d’autres qui étaient

disponibles mais ne présentaient guère plus de chances de succès (Aquilina

c. Malte [GC], no 25642/94, § 39, CEDH 1999-III).

103. Se tournant vers les faits de l’espèce, la Cour observe que les deux

requérants ont introduit le premier recours invoqué par le Gouvernement, à

savoir celui prévu par l’article 112 de la loi électorale : en mars 2010, le

DPS et M. Riza ont contesté devant la Cour constitutionnelle l’élection des

trois députés visés par la décision de la commission électorale centrale du

19 février 2010 (paragraphe 50 ci-dessus). La juridiction constitutionnelle a

déclaré leurs plaintes irrecevables au motif qu’elles avaient le même objet

que l’affaire qui avait donné lieu à son arrêt du 16 février 2010

(paragraphe 51 ci-dessus). La Cour relève que la loi sur la Cour

constitutionnelle et le règlement relatif au fonctionnement de celle-ci

énoncent sans ambiguïté que la haute juridiction constitutionnelle ne peut

pas examiner un litige ayant le même objet qu’un autre litige déjà résolu par

elle (paragraphe 84 ci-dessus). Les plaintes des deux requérants étaient donc

d’emblée vouées à l’échec.

104. Dans ces circonstances, la Cour estime que le recours prévu à

l’article 112 de la loi électorale manquait de l’effectivité requise au regard

de l’article 35 § 1 de la Convention. Elle doit dès lors examiner la question

de savoir si l’autre recours invoqué par le Gouvernement, à savoir celui

devant la Cour administrative suprême, que les deux requérants n’ont pas

exercé, pouvait passer pour suffisamment établi et accessible au regard de

ce même article de la Convention.

105. Le Gouvernement suggère notamment que les requérants auraient

pu contester la décision de la commission électorale centrale du 19 février

2010 devant la Cour administrative suprême et obtenir ainsi le réexamen des

résultats électoraux. La Cour observe que la loi électorale énumérait en son

article 23, alinéas 3 et 4, les décisions de la commission électorale centrale

qui pouvaient être contestées devant la Cour administrative suprême et que

les décisions de proclamation de résultats électoraux n’en faisaient pas

partie (paragraphe 86 in fine ci-dessus).

106. Le Gouvernement se réfère à un arrêt de la Cour administrative

suprême du 23 juillet 2009 dans lequel la haute juridiction administrative a

cependant accepté d’examiner un litige qui portait sur une décision de la

commission électorale centrale qui n’était pas incluse dans la liste figurant à

l’article 23, alinéas 3 et 4, de la loi, au motif que ces dispositions

législatives ne créaient pas une exception à la règle constitutionnelle selon

laquelle les actes de l’administration pouvaient être contestés devant les

Page 30: Affaire Riza Et Autres c. Bulgarie

28 ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE

juridictions administratives. Il semble donc affirmer que ce recours était

suffisamment établi et accessible pour constituer une voie interne effective

que les requérants devaient utiliser, nonobstant le libellé de l’article 23,

alinéas 3 et 4, de la loi électorale.

107. La Cour observe quant à elle que le litige qui avait donné lieu à

l’arrêt de la Cour administrative suprême du 23 juillet 2009 avait pour objet

une allégation relative à une erreur manifeste dans la base de données

électronique de la commission électorale centrale (paragraphe 87 ci-dessus)

tandis que le litige concernant les requérants en l’espèce portait sur la

question de savoir si les voix de 23 bureaux de vote devaient être soustraites

du score électoral final en raison de certaines irrégularités commises le jour

du scrutin. S’il est vrai que le raisonnement de la Cour administrative

suprême dans cet arrêt semble suggérer que la liste des décisions de

l’administration électorale susceptibles de recours devant elle n’était pas

exhaustive, le Gouvernement n’a présenté aucun autre arrêt permettant à la

Cour de conclure que la Cour administrative suprême aurait accepté

d’examiner un éventuel recours introduit par les deux requérants contre la

décision du 19 février 2010 par laquelle la commission électorale centrale

avait proclamé les nouveaux résultats des élections législatives. La Cour

note par ailleurs que les motifs de ce même arrêt du 23 juillet 2009 semblent

suggérer le contraire : la Cour administrative suprême a affirmé que le

recours le plus approprié pour contester les résultats des élections

législatives était celui prévu à l’article 112 de la loi électorale, à introduire

devant la Cour constitutionnelle (paragraphe 87 ci-dessus, in fine). Dès lors,

la Cour estime qu’il n’a pas été prouvé que le recours devant la Cour

administrative suprême fût accessible et suffisamment établi en droit et en

pratique pour remédier aux violations de l’article 3 du Protocole no 1

alléguées par M. Riza et le DPS.

108. Au vu des motifs exposés ci-dessus, la Cour estime qu’il y a lieu de

rejeter l’exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée

par le Gouvernement en ce qui concerne M. Riza et le DPS.

2. Sur le respect des autres conditions de recevabilité

109. Le Gouvernement conteste la qualité de victime de M. Riza, du

DPS et des 101 autres requérants.

110. Il indique en particulier que M. Riza a participé aux élections

législatives de 2009 en tant que candidat de son parti dans une

circonscription plurinominale constituée sur le territoire bulgare où les

sièges auraient été répartis suivant le système proportionnel. Selon le

Gouvernement, les électeurs bulgares résidant à l’étranger, notamment en

Turquie, ont voté non pas pour les listes de candidats proposés par les partis,

mais pour les partis politiques eux-mêmes. Ainsi, les électeurs ayant voté

pour le DPS dans les bureaux en question n’auraient pas donné leurs voix

expressément à M. Riza. De ce fait, ce dernier n’aurait pas pu prétendre

Page 31: Affaire Riza Et Autres c. Bulgarie

ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE 29

valablement que la décision ayant abouti à l’invalidation des voix obtenues

par son parti dans 23 bureaux de vote ouverts en Turquie avait eu un impact

négatif direct sur son droit de participer aux élections législatives en tant

que candidat.

111. Le Gouvernement soutient que le DPS ne peut pas non plus se

prétendre victime d’une violation de son droit de se porter candidat aux

élections, au motif qu’il aurait participé au scrutin dans les mêmes

conditions que tous les autres partis et coalitions. En participant activement

à la vie politique du pays et aux élections, le parti aurait implicitement

accepté d’obéir aux règles de répartition des sièges et de ne pas tirer profit

d’éventuelles irrégularités commises dans le processus électoral. L’arrêt

litigieux de la Cour constitutionnelle aurait constaté de telles irrégularités et

y aurait remédié, et cette décision aurait abouti à l’annulation de l’élection

de candidats d’autres partis politiques. Ainsi, la mesure contestée n’aurait

pas visé exclusivement le DPS et n’aurait pas été appliquée de manière

disproportionnée et tendancieuse.

112. Pour ce qui est des 101 autres requérants ayant voté dans des

bureaux de vote pour lesquels les résultats ont été annulés par la Cour

constitutionnelle, le Gouvernement soutient que leur droit de vote n’a

nullement été atteint. Il indique en particulier que l’État avait mis sur pied

l’organisation nécessaire et qu’il a permis aux intéressés d’exercer leur droit

de vote dans leur pays de résidence. D’après le Gouvernement, les votes de

ces requérants n’ont pas été déclarés nuls par l’arrêt de la Cour

constitutionnelle : cet arrêt, adopté dans le cadre d’une procédure qui aurait

offert toutes les garanties contre l’arbitraire, aurait simplement fait

soustraire du résultat final des élections tous les votes exprimés dans les

bureaux où les 101 requérants auraient voté en raison du non-respect de

l’exigence légale imposant aux responsables de la commission électorale

d’apposer leur signature sur les listes additionnelles des électeurs. Dès lors,

l’arrêt de la Cour constitutionnelle n’aurait pas porté atteinte de manière

directe et suffisamment sérieuse au droit électoral actif de ces requérants.

113. Invoquant les mêmes arguments, le Gouvernement soutient, à titre

subsidiaire, que la requête des 101 électeurs doit être rejetée pour

incompatibilité ratione materiae, pour défaut manifeste de fondement,

voire, en application de l’article 35 § 3 b) de la Convention, pour absence de

préjudice important.

114. La Cour constate que toutes ces exceptions se fondent en une seule,

à savoir la contestation de la qualité de victime des requérants. Elle

considère que cette question est étroitement liée à la substance même des

griefs soulevés par les intéressés sous l’angle de l’article 3 du

Protocole no 1. Elle estime donc qu’il y lieu de joindre cette exception à

l’examen du fond des griefs de M. Riza, du DPS et des 101 autres

requérants.

Page 32: Affaire Riza Et Autres c. Bulgarie

30 ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE

115. Constatant que les griefs des requérants tirés de l’article 3 du

Protocole no 1 ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35

§ 3 a) de la Convention et qu’ils ne se heurtent à aucun autre motif

d’irrecevabilité, la Cour les déclare recevables.

B. Sur le fond

1. Arguments des parties

a) Les requérants

116. Les requérants allèguent que l’arrêt de la Cour constitutionnelle du

16 février 2010 a donné lieu à une atteinte injustifiée à leurs droits garantis

par l’article 3 du Protocole no1.

117. M. Riza aurait pris part au scrutin législatif de 2009 en tant que

candidat inscrit sur la liste du DPS dans la 8e circonscription plurinominale,

à Dobrich. À l’issue de ces élections, il aurait été déclaré élu à l’Assemblée

nationale et son parti, le DPS, aurait été représenté par 38 députés au

Parlement national, dont 33 en vertu de la répartition proportionnelle des

sièges. L’arrêt litigieux de la Cour constitutionnelle aurait par la suite

modifié les résultats électoraux : le DPS aurait vu son score électoral

diminuer de 18 140 voix, ce qui aurait abouti à la perte d’un de ses sièges au

Parlement national, à savoir celui de M. Riza. Pour M. Riza et le DPS, cette

situation s’analyse en une ingérence dans l’exercice de leur droit de

participer aux élections législatives en tant que candidats.

118. Les 101 autres requérants auraient exercé leur droit de vote aux

élections législatives bulgares. Ils auraient choisi de voter dans 17 des

bureaux de vote ouverts sur le territoire de la Turquie. Or, par son arrêt du

16 février 2010, la Cour constitutionnelle bulgare aurait invalidé les

élections dans 23 des bureaux de vote ouverts sur le territoire turc, dont

ceux où les intéressés avaient voté. Leurs votes auraient ainsi été annulés.

Les 101 requérants considèrent que cette situation s’analyse en une

ingérence dans l’exercice de leur droit de participer aux élections

législatives en tant qu’électeurs.

119. Les requérants soutiennent que le processus décisionnel qui a

abouti à la modification du résultat des élections n’était pas entouré de

garanties suffisantes contre l’arbitraire. La procédure suivie en l’espèce par

la Cour constitutionnelle aurait été conçue pour l’examen de la

constitutionnalité de la législation adoptée par le Parlement : elle aurait été

totalement inadaptée à l’examen d’un litige électoral et, de surcroît, elle

aurait été insuffisamment réglementée. Dans le cas d’espèce, l’objet exact

du litige n’aurait pas été déterminé dès le début de la procédure, mais il

l’aurait été seulement au moment du prononcé de l’arrêt de la Cour

constitutionnelle. Le fait que la Cour constitutionnelle a rejeté un à un tous

les arguments invoqués par les demandeurs, mais qu’elle a décidé d’annuler

Page 33: Affaire Riza Et Autres c. Bulgarie

ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE 31

les élections dans 23 bureaux de vote pour des vices de forme mentionnés

pour la première fois au cours de la procédure dans un rapport d’expertise,

et ce à l’initiative des experts, démontrerait une absence de clarté et de

prévisibilité à cet égard. Ainsi, les demandeurs auraient été exemptés de

l’obligation d’apporter la preuve des irrégularités prétendument commises

dans lesdits bureaux de vote. La Cour constitutionnelle se serait approprié le

pouvoir d’enquêter et de se prononcer d’office sur le respect de toutes les

conditions de régularité du scrutin dans tous les bureaux de vote dans

lesquels les citoyens bulgares résidant en Turquie avaient voté.

120. La procédure devant la juridiction constitutionnelle n’aurait pas un

caractère contradictoire. Ni le DPS ni M. Riza n’auraient été parties à la

procédure en dépit de leurs demandes expresses et malgré le fait que, selon

eux, le litige les concernait directement. Le seul document du dossier auquel

ils auraient eu accès aurait été la demande introductive d’instance qui leur

avait été transmise par les députés du DPS à l’Assemblée nationale. Ces

requérants n’auraient pas pu prendre connaissance des autres pièces versées

au dossier, des arguments additionnels exposés par les demandeurs, des

preuves recueillies au cours de la procédure et des questions factuelles et

juridiques s’étant posées devant la Cour constitutionnelle. Ils auraient été

privés de toute possibilité de défendre leurs droits et intérêts légitimes dans

le cadre de la procédure. De surcroît, le droit interne n’aurait prévu aucun

recours contre l’arrêt litigieux de la Cour constitutionnelle.

121. Le DPS, M. Riza et les 101 autres requérants allèguent que les

irrégularités du processus électoral constatées dans l’arrêt de la Cour

constitutionnelle étaient minimes et qu’elles ne pouvaient entraîner

l’invalidation ni des suffrages exprimés dans les bureaux de vote concernés

ni du processus électoral lui-même. Or la Cour constitutionnelle n’aurait pas

examiné la question de savoir si l’impact des irrégularités constatées était

suffisamment sérieux pour imposer l’invalidation des élections dans les

23 bureaux de vote en question.

122. Les requérants estiment qu’aucune de ces irrégularités n’était

indicative d’une fraude électorale. La loi électorale n’obligerait pas le

président et le secrétaire de la commission électorale locale responsable

d’un bureau de vote ouvert à l’étranger à apposer leur signature au bas de la

liste des électeurs inscrits le jour même du scrutin. Une telle exigence

existerait pour les « listes additionnelles » qui étaient dressées uniquement

dans les bureaux de vote ouverts sur le territoire national. Ce serait pour

cette raison que presque toutes les listes électorales constituées le jour du

scrutin dans les bureaux de vote en Turquie n’auraient pas porté ces

signatures. Par ailleurs, cette même exigence n’aurait pas été respectée dans

des bureaux de vote sur le territoire national, et ce, d’après eux, sans que la

validité du processus électoral dans ceux-ci en fût affectée. Dans ces

circonstances, l’affirmation de la Cour constitutionnelle selon laquelle les

Page 34: Affaire Riza Et Autres c. Bulgarie

32 ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE

signatures en cause étaient un élément essentiel et évident pour la validité

des listes électorales aurait été tout à fait arbitraire.

123. Les requérants soutiennent que les documents électoraux essentiels

pour le calcul des résultats électoraux à l’étranger étaient le procès-verbal de

vote signé par les membres de la commission électorale locale et le

télégramme diplomatique envoyé par les représentations bulgares dans le

pays concerné. Ils précisent que les deux documents contenaient les

informations sur le nombre de votants, le nombre de bulletins nuls et le

nombre de voix recueillies par chaque parti. Associés à la liste des électeurs

contenant les données d’identification et la signature de chaque votant, ainsi

qu’aux bulletins déposés dans l’urne, ces documents auraient été suffisants

pour détecter toute fraude électorale, quelle qu’elle fût. Tous ces documents

auraient été disponibles pour les 23 bureaux de vote et aucune fraude

électorale n’aurait été mise en évidence.

124. Les requérants ajoutent que la Cour constitutionnelle a retenu deux

autres irrégularités : l’absence de procès-verbal ou de sa première page. Or,

ce serait non pas la première mais la deuxième page du procès-verbal qui

contiendrait les informations essentielles pour le calcul des résultats, à

savoir le nombre de votants, celui des bulletins valides et celui des bulletins

nuls, et la répartition des suffrages entre les partis politiques. Dans les cas

où aucune des deux pages du procès-verbal n’aurait été archivée, il y aurait

toujours eu le télégramme diplomatique qui reproduisait ces mêmes

données. Ces documents auraient bien été conservés pour les 23 bureaux de

vote en question.

125. La Cour constitutionnelle elle-même aurait reconnu que les

suffrages recueillis dans les 23 bureaux de vote étaient valides, mais elle

aurait décidé de les soustraire du résultat électoral en raison d’omissions qui

n’auraient été imputables ni aux électeurs, dont les 101 requérants de la

présente affaire, ni à M. Riza ni au DPS. Par ailleurs, les médias auraient

rapporté de nombreux cas d’omissions similaires, comme la destruction par

inadvertance par le personnel d’entretien de l’ambassade de Bulgarie à

Washington de tous les documents électoraux des bureaux de vote ouverts

sur le territoire des États-Unis. Or la régularité du processus électoral sur le

territoire américain n’aurait jamais été remise en cause et les voix obtenues

dans ces bureaux de vote auraient été prises en compte pour la répartition

des sièges à l’Assemblée nationale.

126. Pour ces motifs, les requérants invitent la Cour à constater que

l’ingérence litigieuse dans l’exercice de leurs droits respectifs de participer

aux élections législatives en tant que candidats/en tant qu’électeurs ne

poursuivait aucun but légitime et qu’elle était totalement injustifiée au

regard de l’article 3 du Protocole no 1.

Page 35: Affaire Riza Et Autres c. Bulgarie

ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE 33

b) Le Gouvernement

127. Le Gouvernement conteste en premier lieu l’existence d’une

ingérence dans l’exercice par les requérants des droits garantis par l’article 3

du Protocole no 1.

128. Il indique que le DPS a participé aux élections législatives de 2009

en présentant de nombreux candidats dans les circonscriptions uninominales

et plurinominales, et que M. Riza figurait sur la liste des candidats de ce

parti dans la 8e circonscription plurinominale. Il nie l’existence d’un lien

direct entre l’invalidation du scrutin dans les 23 bureaux de vote sur le

territoire turc et l’annulation du mandat de député de M. Riza. Il estime que

cette décision n’a aucunement altéré le poids politique du DPS qui, précise-

t-il, est resté le troisième parti politique bulgare par le nombre de députés

élus à l’Assemblée nationale.

129. En ce qui concerne les 101 autres requérants, le Gouvernement est

d’avis qu’ils ont exercé leur droit de voter et que leurs votes n’ont pas été

déclarés nuls par la Cour constitutionnelle. Au contraire, selon le

Gouvernement, la juridiction constitutionnelle a expressément souligné

qu’il s’agissait de votes valides qui n’auraient toutefois pas pu être

comptabilisés en raison de manquements graves commis par les membres

des commissions électorales responsables des bureaux dans lesquels les

intéressés avaient voté.

130. À titre subsidiaire, le Gouvernement soutient que, même si l’on

admet l’existence d’une ingérence dans le droit électoral passif de M. Riza

et du DPS et dans le droit électoral actif des autres requérants, celle-ci était

justifiée eu égard aux arguments exposés ci-après.

131. Ainsi, le Gouvernement expose que le droit de voter et le droit de

se présenter aux élections sont garantis par la Constitution bulgare et que, à

l’époque des faits, le processus électoral était réglementé par la loi

électorale de 2001. La répartition des sièges à l’Assemblée nationale aurait

été effectuée sur la base de l’ensemble des suffrages valides. Dès lors, il

aurait été essentiel pour la régularité du scrutin de ne prendre en compte que

les votes valides pour la détermination des résultats électoraux. Pour le

Gouvernement, cela garantissait la protection tant du droit de voter que de

celui de se porter candidat dans la mesure où cela aurait permis d’assurer

que les députés au Parlement national fussent élus grâce au soutien véritable

des électeurs.

132. Le Gouvernement ajoute que la législation électorale bulgare avait

été appliquée de manière claire et prévisible par les juridictions internes.

D’après lui, l’arrêt de la Cour constitutionnelle contesté par les requérants

avait pour but d’assurer à la fois le respect de la législation électorale et

celui de la légalité du scrutin.

133. Le Gouvernement indique en outre que, d’après la loi électorale, la

Cour constitutionnelle était l’organe compétent pour examiner la légalité de

l’élection des députés. Dans le cadre de ses prérogatives et poursuivant les

Page 36: Affaire Riza Et Autres c. Bulgarie

34 ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE

buts légitimes susmentionnés, la juridiction constitutionnelle se serait livrée

à un examen minutieux des conditions de régularité du scrutin dans les

bureaux ouverts sur le territoire turc. Elle aurait ordonné deux expertises et

en aurait recueilli les résultats, et elle aurait reçu et pris en compte les

observations de tous les intéressés. Sur la base de toutes les preuves

rassemblées, elle aurait relevé des omissions graves dans les documents

électoraux, notamment dans les listes électorales et dans les procès-verbaux

de vote, qui, selon elle, avaient affecté la régularité du processus électoral et

imposaient l’exclusion des voix obtenues dans 23 bureaux de vote, dont les

17 bureaux où les 101 requérants en la présente affaire avaient voté. La

modification du résultat électoral aurait abouti à une nouvelle répartition

proportionnelle des sièges et à l’annulation des mandats de trois députés

appartenant à des formations politiques différentes, à savoir le DPS, le parti

RZS et la Coalition bleue. Ainsi, le poids de la modification des résultats

électoraux aurait été réparti entre plusieurs participants aux élections

législatives, et ni le DPS ni M. Riza ne pourraient prétendre valablement

que l’arrêt litigieux avait pour conséquence de porter atteinte exclusivement

à leurs droits et intérêts légitimes.

134. D’après le Gouvernement, il n’y a aucun indice d’arbitraire dans la

manière dont l’arrêt en question a été adopté et motivé. La Cour

constitutionnelle n’aurait fait qu’appliquer la législation électorale interne.

L’ingérence alléguée dans l’exercice des droits de se porter candidat et de

voter n’aurait pas porté atteinte à l’essence même de ces droits ; elle aurait

poursuivi un but légitime et aurait respecté une juste mesure de

proportionnalité entre l’intérêt commun et les droits des requérants.

135. Le Gouvernement ajoute que les autorités bulgares sont

déterminées à combattre les pratiques électorales qui seraient incompatibles

avec un régime démocratique et qui seraient poursuivies pénalement, telles

que l’achat de votes ou encore le « tourisme électoral », consistant à

organiser le déplacement à l’étranger d’un nombre considérable d’électeurs

pour altérer les résultats du scrutin.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux découlant de la jurisprudence de la Cour

136. La Cour rappelle que l’article 3 du Protocole no 1 consacre un

principe fondamental dans un régime politique véritablement démocratique

et revêt donc dans le système de la Convention une importance capitale

(Mathieu-Mohin et Clerfayt c. Belgique, 2 mars 1987, § 47, série A no 113 ;

Ždanoka c. Lettonie [GC], no 58278/00, § 103, CEDH 2006-IV). Le rôle de

l’État en tant qu’ultime garant du pluralisme implique l’adoption de

mesures positives pour « organiser » des élections démocratiques dans des

« conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple sur le

choix du corps législatif » (Mathieu-Mohin et Clerfayt, précité, § 54).

Page 37: Affaire Riza Et Autres c. Bulgarie

ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE 35

137. L’article 3 du Protocole no 1 n’engendre aucune obligation

d’introduire un système électoral déterminé tel que la proportionnelle ou le

vote majoritaire à un ou à deux tours. Les États contractants disposent d’une

large marge d’appréciation en la matière. Les systèmes électoraux cherchent

à répondre à des objectifs parfois peu compatibles entre eux : d’un côté,

refléter de manière à peu près fidèle les opinions du peuple, de l’autre

canaliser les courants de pensée pour favoriser la formation d’une volonté

politique d’une cohérence et d’une clarté suffisantes. Dès lors, la phrase

« conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple sur le

choix du corps législatif » implique pour l’essentiel le principe de l’égalité

de traitement de tous les citoyens dans l’exercice de leur droit de vote et de

leur droit de se présenter aux élections. Il ne s’ensuit pourtant pas que tous

les bulletins doivent avoir un poids égal quant au résultat, ni tout candidat

des chances égales de l’emporter. Ainsi, aucun système ne saurait éviter le

phénomène des « voix perdues » (Mathieu-Mohin et Clerfayt, précité, § 54).

138. En vertu de la jurisprudence de la Cour, les mots « libre expression

de l’opinion du peuple » signifient que les élections ne sauraient comporter

une quelconque pression sur le choix d’un ou de plusieurs candidats et que,

dans ce choix, l’électeur ne doit pas être indûment incité à voter pour un

parti ou pour un autre. Le mot « choix » implique qu’il faut assurer aux

différents partis politiques des possibilités raisonnables de présenter leurs

candidats aux élections (Yumak et Sadak c. Turquie [GC], no 10226/03,

§ 108, CEDH 2008). La Cour a jugé également que, une fois le choix du

peuple librement et démocratiquement exprimé, aucune modification

ultérieure dans l’organisation des élections ne saurait remettre en cause ce

choix, sauf en présence de motifs impérieux pour l’ordre démocratique

(Lykourezos c. Grèce, no 33554/03, § 52, CEDH 2006-VIII).

139. L’article 3 du Protocole no 1 implique également des droits

subjectifs, dont le droit de voter et celui de se porter candidat à des élections

(Mathieu-Mohin et Clerfayt, précité, §§ 46-51).

140. Le droit de voter, c’est-à-dire l’aspect « actif » des droits garantis

par l’article 3 du Protocole no 1, ne constitue pas un privilège. Au

XXIe siècle, dans un État démocratique, la présomption doit jouer en faveur

de l’octroi de ce droit au plus grand nombre (Hirst c. Royaume-Uni (no 2)

[GC], no 74025/01, § 59, CEDH 2005-IX). Certes, l’article 3 du

Protocole no 1 ne prévoit pas la mise en œuvre par les États contractants de

mesures favorisant l’exercice de ce droit par les expatriés depuis leur lieu de

résidence. Cependant, puisque dans un État démocratique la présomption

doit jouer en faveur de l’octroi du droit de vote au plus grand nombre, de

telles mesures cadrent avec cette disposition (Sitaropoulos et

Giakoumopoulos c. Grèce [GC], no 42202/07, § 71, CEDH 2012).

141. Quant au droit électoral passif, celui-ci ne se limite pas à la simple

possibilité de participer aux élections en tant que candidat. Une fois élue, la

personne concernée a également le droit d’exercer son mandat (Sadak et

Page 38: Affaire Riza Et Autres c. Bulgarie

36 ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE

autres c. Turquie (no 2), nos 25144/94, 26149/95 à 26154/95, 27100/95 et

27101/95, § 33, CEDH 2002-IV ; Lykourezos, précité, § 50, in fine). De

surcroît, la Cour a admis que, lorsque la législation électorale ou les

mesures prises par les autorités nationales restreignent le droit des candidats

pris individuellement de se présenter à une élection sur la liste d’un parti, le

parti concerné peut, en cette qualité, se prétendre victime d’une violation de

l’article 3 du Protocole no 1, indépendamment de ses candidats (Parti

travailliste géorgien c. Géorgie, no 9103/04, §§ 72-74, CEDH 2008).

142. La Cour rappelle ensuite que les droits garantis par l’article 3 du

Protocole no 1 ne sont pas absolus. Il y a place pour des « limitations

implicites », et les États contractants disposent d’une ample marge

d’appréciation en la matière (Mathieu-Mohin et Clerfayt, précité, § 52,

Ždanoka, précité, § 103, Podkolzina c. Lettonie, no 46726/99, § 33,

CEDH 2002-II). Il appartient cependant à la Cour de statuer en dernier

ressort sur l’observation des exigences de l’article 3 du Protocole no 1 ; il lui

faut s’assurer que les conditions auxquelles sont subordonnés le droit de

voter ou le droit de se porter candidat à des élections ne réduisent pas les

droits dont il s’agit au point de les atteindre dans leur substance même et de

les priver de leur effectivité, qu’elles poursuivent un but légitime et que les

moyens employés ne se révèlent pas disproportionnés (Mathieu-Mohin et

Clerfayt, précité, § 52, Ždanoka, précité, § 104).

143. La Cour doit veiller à ce que le processus décisionnel concernant

l’inéligibilité ou la contestation de résultats électoraux soit entouré d’un

minimum de garanties contre l’arbitraire. En particulier, les décisions en

cause doivent être prises par un organe présentant un minimum de garanties

d’impartialité. De même, le pouvoir autonome d’appréciation de cet organe

ne doit pas être excessif ; il doit être, à un niveau suffisant de précision,

circonscrit par les dispositions du droit interne. Enfin, la procédure doit être

de nature à garantir une décision équitable, objective et suffisamment

motivée, et à éviter tout abus de pouvoir de la part de l’autorité compétente

(Podkolzina, précité, § 35 ; Kovatch c. Ukraine, no 39424/02, §§ 54-55,

CEDH 2008 ; Kerimova, précité, §§ 44-45). La Cour rappelle également

qu’en vertu du principe de subsidiarité il ne lui appartient pas de se

substituer aux juridictions internes dans l’appréciation des faits ou dans

l’interprétation du droit interne. Dans le contexte particulier des litiges

électoraux, elle n’est pas appelée à déterminer si les irrégularités du

processus électoral alléguées par les parties représentent des violations de la

législation interne pertinente (Namat Aliyev c. Azerbaïdjan, no 18705/06,

§ 77, 8 avril 2010). Son rôle pour déterminer s’il y a eu une ingérence

injustifiée dans « la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du

corps législatif » se limite à établir si la décision rendue par l’organe interne

avait un caractère arbitraire ou manifestement déraisonnable (Babenko

c. Ukraine (déc.), no 43476/98, 4 mai 1999, Partija « Jaunie Demokrati » et

Page 39: Affaire Riza Et Autres c. Bulgarie

ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE 37

Partija « Musu Zeme » c. Lettonie (déc.), nos 10547/07 et 34049/07,

29 novembre 2007, et Kerimli et Alibeyli, précité, §§ 38-42).

b) Application de ces principes à la présente espèce

i. Sur l’existence d’une ingérence dans l’exercice des droits garantis par

l’article 3 du Protocole no 1

144. La Cour estime qu’il y lieu de répondre d’abord à la question de

savoir si la situation dont se plaignent les requérants s’analyse en une

ingérence dans l’exercice de leurs droits garantis par l’article 3 du

Protocole no 1.

- En ce qui concerne le droit électoral actif

145. La Cour observe que les 101 requérants, dont les noms figurent en

annexe, résidaient à l’époque des faits en Turquie. Ils ont voté aux élections

législatives du 5 juillet 2009 dans 17 des bureaux de vote ouverts sur le

territoire turc. Leurs votes ont été initialement pris en compte pour le calcul

du seuil électoral de 4 %. Les suffrages de ceux d’entre eux qui avaient voté

pour les six partis qualifiés ont ensuite été pris en compte dans la répartition

des mandats entre ces partis politiques au niveau national (paragraphe 64

ci-dessus).

146. Par son arrêt du 16 février 2010, qui fait l’objet de la présente

affaire, la Cour constitutionnelle bulgare a décidé d’annuler les élections

dans 23 bureaux de vote ouverts par les représentations diplomatiques

bulgares sur le territoire turc et de soustraire des résultats électoraux les

suffrages obtenus dans ces bureaux, soit au total 18 358 voix. Parmi ces

votes se trouvaient ceux des 101 requérants dont la liste figure en annexe,

les 17 bureaux de vote où ils avaient voté faisant partie des 23 bureaux où

les élections ont été annulées.

147. Le Gouvernement soutient que la situation en cause ne s’analyse

pas en une ingérence dans l’exercice du droit de voter garanti à ces

101 requérants : il argue que ceux-ci ont exercé leur droit de vote, mais que

leurs voix n’ont pas comptés dans la répartition des sièges à l’Assemblée

nationale au motif que le processus électoral dans leurs bureaux de vote

aurait été entaché de graves irrégularités. La Cour ne partage pas cet avis.

148. En effet, le droit électoral actif, tel qu’il est garanti par l’article 3 du

Protocole no 1, ne se limite pas uniquement aux actes consistant à choisir

ses candidats favoris dans le secret de l’isoloir et à glisser son bulletin de

vote dans l’urne. Il implique également la possibilité pour chaque votant de

voir son vote influer sur la composition du corps législatif, sous réserve du

respect des règles établies par la législation électorale. Admettre le contraire

reviendrait à vider de leur substance le droit de voter, le processus électoral

et, en fin de compte, l’ordre démocratique lui-même.

Page 40: Affaire Riza Et Autres c. Bulgarie

38 ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE

149. À partir de ces constats, la Cour relève que l’arrêt litigieux de la

Cour constitutionnelle a eu un impact direct sur le droit de voter des 101

requérants en question. Leurs votes ont été exclus des résultats électoraux :

ils n’ont pas été comptabilisés pour le calcul du seuil électoral de 4 %, et

celles des 101 voix qui avaient été en faveur des six premiers partis aux

élections n’ont pas été prises en compte pour la répartition des mandats

entre ces partis politiques au niveau national (paragraphe 64 ci-dessus).

- En ce qui concerne le droit électoral passif

150. La Cour observe que M. Riza et le DPS ont participé aux élections

législatives bulgares du 5 juillet 2009 : le DPS a été enregistré par la

commission électorale centrale en tant que parti prenant part au scrutin, il a

présenté plusieurs candidats dans les circonscriptions plurinominales et

uninominales constituées sur le territoire bulgare et il a été inclus dans le

bulletin de vote spécialement conçu pour le scrutin devant se dérouler en

dehors du territoire national ; M. Riza figurait en deuxième position sur la

liste des candidats de son parti dans la 8e circonscription plurinominale à

Dobrich (paragraphe 14 ci-dessus). Après la proclamation initiale des

résultats électoraux et une première répartition des sièges, le 7 juillet 2009,

le DPS a obtenu 33 sièges à l’Assemblée nationale en vertu du système

proportionnel et 5 autres en vertu du système majoritaire (paragraphe 20

ci-dessus). M. Riza n’a pas été élu au Parlement (paragraphe 21 ci-dessus).

Toutefois, à la suite d’un recours devant la Cour constitutionnelle introduit

par le candidat d’un autre parti politique et qui a finalement été couronné de

succès, une nouvelle répartition proportionnelle des sièges a eu lieu : le DPS

a perdu un de ses deux sièges dans la 19e circonscription plurinominale,

mais il a obtenu un deuxième mandat dans la 8e circonscription

plurinominale, qui est revenu à M. Riza en tant que numéro deux de la liste

des candidats de son parti dans cette dernière circonscription (ibidem).

Ainsi, à la date du 12 octobre 2009, le score électoral du DPS était de

610 521 voix, le parti comptait 38 députés au Parlement national, dont

M. Riza. Il a par la suite été élu membre d’une des commissions

permanentes de l’Assemblée nationale.

151. L’arrêt de la Cour constitutionnelle a affecté la situation de ces

deux requérants qui ont participé en tant que candidats aux élections en

question. Le DPS a vu son score électoral diminuer de 18 140 voix. La

nouvelle répartition des sièges qui s’en est suivie a entraîné des

changements dans la composition du Parlement national : le DPS a perdu un

siège au Parlement pourvu selon le système proportionnel au profit du parti

politique qui avait gagné les élections et M. Riza s’est vu retirer son mandat

de député (paragraphes 48 et 49 ci-dessus). Ainsi, le score électoral réalisé

par le parti requérant selon le système proportionnel a chuté d’environ 3 % ;

son groupe au Parlement est passé de 38 députés à 37 et M. Riza a été déchu

de ses fonctions de représentant à l’Assemblée nationale.

Page 41: Affaire Riza Et Autres c. Bulgarie

ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE 39

- Conclusion de la Cour

152. Au vu des circonstances susmentionnées, la Cour estime que la

situation dénoncée par les requérants s’analyse en une ingérence dans

l’exercice de leurs droits respectifs de voter et de se porter candidat aux

élections législatives garantis par l’article 3 du Protocole no 1. Elle

considère également que ces mêmes arguments lui imposent de rejeter

l’exception tirée par le Gouvernement du défaut de qualité de victime des

requérants (paragraphe 114 ci-dessus).

ii. Sur la justification de l’ingérence en cause

153. La Cour doit donc s’assurer que ladite ingérence n’a pas réduit les

droits électoraux actif et passif des requérants au point de les atteindre dans

leur substance même et de les priver de leur effectivité, qu’elle poursuivait

un but légitime et que les moyens employés ne se sont pas révélés

disproportionnés au but poursuivi.

154. La Cour constate que les parties sont en désaccord quant à la

finalité des mesures contestées. Les requérants estiment que l’annulation de

l’élection dans 23 bureaux de vote ouverts à l’étranger ne poursuivait aucun

but légitime, tandis que le Gouvernement soutient que le contrôle exercé par

la Cour constitutionnelle tendait à assurer le respect de la législation

électorale.

155. La Cour observe pour sa part que la procédure devant la Cour

constitutionnelle, qui a abouti à l’arrêt contesté par les requérants, était

fondée sur l’article 149, alinéa 1, point 7, de la Constitution et sur

l’article 112 de la loi électorale de 2001. Ces dispositions permettaient à

tout candidat aux élections législatives de contester la légalité de l’élection

des députés à l’Assemblée nationale (paragraphe 78 ci-dessus).

Concrètement, ce type de litige porte souvent sur le respect des règles

entourant le vote et son dépouillement dans un ou plusieurs bureaux de vote,

et peut aboutir à l’invalidation d’une partie du scrutin et à une modification

du score électoral de chaque candidat individuel ou parti politique. Or, dans

les systèmes électoraux proportionnels, la modification du score électoral

des formations politiques, parfois même dans un seul bureau de vote, peut

aboutir à une nouvelle répartition des sièges à la législature et avoir pour

résultat une augmentation ou une diminution du nombre des sièges attribués

aux différents partis ou coalitions. C’est exactement ce qui s’est produit en

l’espèce. La procédure litigieuse a été déclenchée par le président du parti

politique RZS et trois de ses candidats qui cherchaient à contester la légalité

de l’élection de sept députés du DPS au scrutin proportionnel dans le cadre

du système électoral bulgare. Les demandeurs ont dénoncé plusieurs

irrégularités du processus électoral commises dans les 123 bureaux de vote

où les citoyens bulgares résidant en Turquie avaient exercé leur droit

électoral (paragraphe 22 ci-dessus). Dès lors, la Cour accepte que la

procédure devant la Cour constitutionnelle avait pour but légitime d’assurer

Page 42: Affaire Riza Et Autres c. Bulgarie

40 ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE

le respect de la législation électorale et donc la régularité du scrutin et des

résultats des élections.

156. La Cour estime qu’il y a lieu d’établir ensuite si la procédure

décisionnelle a été entourée de suffisamment de garanties contre l’arbitraire.

Pour ce faire, elle doit établir si elle a satisfait aux exigences posées dans sa

jurisprudence constante (paragraphe 143 ci-dessus).

157. Les requérants soutiennent que la procédure suivie devant la Cour

constitutionnelle n’était pas adaptée à l’examen des litiges postélectoraux.

L’application des règles procédurales prévues par la loi sur la Cour

constitutionnelle et par son règlement a abouti, selon eux, à une procédure

sans objet clairement déterminé, qui serait restée inaccessible au DPS et à

M. Riza et qui aurait été insusceptible d’appel (paragraphes 119 et 120

ci-dessus). Le Gouvernement estime que ces deux requérants ont été

associés à la procédure dans la mesure nécessaire à la défense de leurs

intérêts dès lors que la Cour constitutionnelle aurait pris en compte leurs

observations et y aurait répondu dans son arrêt du 16 février 2010

(paragraphe 133 ci-dessus).

158. La Cour observe d’emblée que la partie requérante ne conteste ni

l’indépendance ni l’impartialité de la Cour constitutionnelle bulgare saisie

du litige postélectoral en cause. Elle n’aperçoit quant à elle aucune raison de

parvenir à une conclusion différente à cet égard.

159. La Cour constate ensuite que la loi sur la Cour constitutionnelle

bulgare et le règlement de celle-ci ne prévoient qu’un seul type de

procédure pour tous les litiges soumis à cette juridiction. Ainsi, les mêmes

règles procédurales trouvent à s’appliquer aux affaires portant sur la

compatibilité des dispositions législatives internes avec la Constitution et

aux contestations de la régularité d’élections législatives et de résultats

électoraux. La Cour n’est pas appelée dans la présente affaire à se prononcer

in abstracto sur la compatibilité de ce choix du législateur avec la

Convention ou ses Protocoles. Elle se bornera uniquement à examiner si, en

l’espèce, la procédure en cause a permis aux requérants de défendre de

manière effective leurs intérêts légitimes en tant que participants aux

élections législatives.

160. Dans la plainte initiale à l’origine de la procédure litigieuse, le

dirigeant du parti politique RZS et trois de ses membres ont contesté la

régularité de l’élection de sept députés du DPS, dénonçant des violations

graves de la législation électorale dans tous les bureaux de vote ouverts sur

le territoire turc (paragraphe 22 ci-dessus). La procédure s’est soldée par

l’annulation des élections dans 23 des 123 bureaux de vote visés et par le

retrait de son mandat à M. Riza, qui n’était pas concerné par la plainte

initiale. La Cour observe que cela résulte de l’effet cumulatif de trois

éléments spécifiques du système électoral bulgare : la répartition à la

proportionnelle au niveau national de 209 sièges de députés entre les partis

politiques ; la prise en compte des voix obtenues à l’étranger uniquement

Page 43: Affaire Riza Et Autres c. Bulgarie

ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE 41

dans cette répartition des sièges au niveau national ; la répartition ultérieure

des sièges obtenus par chaque parti dans les 31 circonscriptions

plurinominales constituées sur le territoire bulgare. Compte tenu de ces

particularités du système électoral bulgare, la décision de savoir s’il y avait

lieu d’annuler un ou plusieurs mandats de députés et précisément lesquels

dépendait du nombre de suffrages invalidés et de leur répartition entre les

différents partis. La Cour constitutionnelle devait donc établir d’abord si le

processus électoral avait été entaché de défauts suffisamment graves pour

entraîner l’annulation des résultats du scrutin. La juridiction

constitutionnelle a choisi de limiter la portée territoriale de son examen sur

l’observation de la législation électorale uniquement aux bureaux ouverts

sur le territoire turc parce que ces bureaux étaient expressément visés dans

la plainte initiale dont elle avait été saisie. La Cour ne saurait remettre en

question ce choix de la juridiction interne.

161. L’ensemble des observations des parties et tous les rapports

d’expertise présentés devant la Cour constitutionnelle concernaient la

question de savoir s’il y avait eu des irrégularités du processus électoral

dans les bureaux de vote ouverts en Turquie et, le cas échéant, si elles

étaient suffisamment graves pour justifier l’annulation des résultats

(paragraphes 22, 25-37 ci-dessus). Le raisonnement suivi par la Cour

constitutionnelle bulgare dans son arrêt du 16 février 2010 était axé sur ces

mêmes questions (paragraphes 38-48 ci-dessus). La Cour estime que ce sont

autant d’éléments qui démontrent que l’objet du litige devant la Cour

constitutionnelle, à savoir l’irrégularité alléguée du processus électoral dans

tous les bureaux de vote ouverts sur le territoire turc, était connu de tous les

participants à la procédure dès le début de celle-ci.

162. Le libellé de l’article 112 de la loi électorale de 2001 donnait à

penser qu’un litige portant sur l’irrégularité alléguée de l’élection d’un

député opposerait nécessairement ce dernier aux personnes physiques ou

morales contestant son élection (paragraphe 78 ci-dessus). La partie

requérante tire argument de cette disposition et semble affirmer que le DPS

et M. Riza auraient dû être parties à la procédure dès le début de celle-ci et,

en tout état de cause, après qu’ils en avaient expressément fait la demande

le 15 et le 16 février 2010. Force est de constater cependant que l’article 21,

alinéa 1, du règlement de la Cour constitutionnelle donne à la haute

juridiction le pouvoir discrétionnaire de déterminer les parties à la

procédure devant elle (paragraphe 80 ci-dessus). C’est dans l’exercice de ce

pouvoir que la juridiction constitutionnelle a désigné un certain nombre

d’institutions et d’organes étatiques et deux organisations non

gouvernementales comme parties à la procédure (paragraphe 24 ci-dessus).

163. Il est vrai que la Cour constitutionnelle n’a pas répondu à la

demande formulée par le DPS et par M. Riza d’être parties à la procédure.

En revanche, l’Assemblée nationale a été constituée partie à la procédure

dès le 11 août 2009 (paragraphe 24 ci-dessus). La Cour ne saurait remettre

Page 44: Affaire Riza Et Autres c. Bulgarie

42 ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE

en question ce choix de la haute juridiction constitutionnelle. En raison des

particularités du système électoral bulgare (paragraphes 62-66 ci-dessus), il

n’était pas possible d’établir par avance quel parti ou quel candidat

individuel serait affecté par la décision finale. Dans ce contexte, la

désignation de l’Assemblée nationale comme partie à la procédure devant la

Cour constitutionnelle paraissait une démarche logique puisque tous les

députés étaient potentiellement concernés par le futur arrêt de cette

juridiction et que tous les partis politiques qui avaient participé à la

répartition des sièges à la proportionnelle y étaient représentés.

164. À la date de la désignation formelle du Parlement comme partie à la

procédure, le DPS disposait d’un groupe parlementaire de 38 députés.

M. Riza, qui est vice-président du parti, a rejoint les rangs de son groupe

parlementaire en octobre 2009 (paragraphes 20 et 21 ci-dessus). Les deux

requérants reconnaissent que c’est par l’intermédiaire du groupe

parlementaire que les organes du parti et M. Riza ont obtenu copie de la

plainte introductive d’instance (paragraphe 120 ci-dessus). La Cour constate

que le groupe parlementaire du DPS a joué un rôle beaucoup plus actif dans

la procédure litigieuse devant la Cour constitutionnelle que ne l’admettent

les requérants. Par le biais du Parlement national, le groupe parlementaire

de ce parti a soumis des observations tant sur la recevabilité que sur le fond

de l’affaire, dans lesquelles il combattait les arguments exposés dans la

plainte des demandeurs (paragraphe 25 ci-dessus). La Cour constitutionnelle

a répondu à ces observations dans son arrêt du 16 février 2010

(paragraphes 39-48 ci-dessus). Le groupe parlementaire du DPS a

également pris position sur l’expertise complémentaire ordonnée par la

Cour constitutionnelle le 27 janvier 2010 en contestant les critères retenus

pour exclure des résultats électoraux les suffrages recueillis dans 23 bureaux

de vote ouverts sur le territoire turc (paragraphe 34 ci-dessus). Ces critères

se sont par la suite révélés décisifs pour l’issue du litige (paragraphes 46-48

ci-dessus).

165. À la lumière de ces éléments, la Cour relève qu’au cours de la

procédure devant la Cour constitutionnelle, le groupe parlementaire du DPS

a activement défendu les intérêts du parti politique qu’il représentait et de

M. Riza, qui en était membre. Qui plus est, il apparaît qu’au travers du

Parlement national, qui avait officiellement la qualité de partie à la

procédure, le groupe parlementaire et donc les deux requérants ont eu accès

à tous les documents versés au dossier et ont été régulièrement informés de

l’état de la procédure (voir en particulier le contenu de leurs demandes

individuelles d’autorisation de se constituer parties à la procédure,

paragraphe 37 ci-dessus). Au vu des circonstances de l’espèce, et

nonobstant le fait que les deux requérants n’ont pas été formellement partie

à la procédure litigieuse, la Cour estime qu’ils ont effectivement participé à

celle-ci par l’intermédiaire du groupe parlementaire du DPS et qu’ils ont eu

la possibilité d’exposer leurs arguments contre l’annulation des résultats

Page 45: Affaire Riza Et Autres c. Bulgarie

ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE 43

électoraux dans les bureaux de vote ouverts sur le territoire turc et de

contester de manière effective les arguments exposés par les demandeurs.

166. Le DPS et M. Riza se plaignent également que l’arrêt de la Cour

constitutionnelle était insusceptible de recours. La Cour observe à cet égard

qu’aucune disposition de la Convention ou de ses Protocoles n’oblige les

États contractants à mettre en place un double degré de juridiction pour les

litiges électoraux, et encore moins de prévoir un recours contre les arrêts des

juridictions constitutionnelles lorsqu’ils choisissent de confier à celles-ci

l’examen des litiges postélectoraux. Il y a lieu de préciser également que,

dans son code de bonne conduite en matière électorale, la Commission de

Venise préconise la mise en place d’une possibilité d’appel devant un

tribunal uniquement lorsque les décisions en première instance sont rendues

par des organes spécialisés tels que les commissions électorales

(paragraphe 92 ci-dessus).

167. Tous les requérants contestent les raisons retenues par la Cour

constitutionnelle pour annuler le scrutin dans 23 bureaux de vote. La Cour

rappelle qu’il ne lui appartient pas de se substituer aux juridictions

nationales dans l’appréciation des faits ou dans l’application du droit

interne, en l’occurrence le droit électoral bulgare. Elle doit cependant

s’assurer que la décision rendue par l’organe interne n’avait pas un caractère

arbitraire ou manifestement déraisonnable (paragraphe 143 ci-dessus).

168. La Cour observe que la juridiction constitutionnelle bulgare a

relevé les irrégularités suivantes dans les documents électoraux pour

justifier l’annulation du scrutin dans les 23 bureaux de vote en question :

l’absence de procès-verbal de vote archivé pour un bureau ; l’absence de la

première page du procès-verbal de vote ou l’absence d’information sur cette

même page concernant le nombre des votants ; l’absence des signatures du

président et du secrétaire de la commission électorale locale au bas de la

liste des électeurs inscrits le jour du scrutin (paragraphe 46 ci-dessus). La

Cour constitutionnelle bulgare a admis que le procès-verbal de vote

représentait le document essentiel pour l’établissement de la réalité du vote

dans tel ou tel bureau électoral et que l’absence de la première page de ce

document et des signatures au bas de la liste électorale additionnelle

affectait la force probante de ce document quant à la réalité du vote dans le

bureau en question (paragraphes 46 et 47 ci-dessus).

169. La Cour constate que le procès-verbal de vote, tel qu’il est conçu

par la législation bulgare, joue un rôle double dans le processus électoral : il

contient sur sa deuxième page les résultats du vote et c’est sur la base de ces

données que la commission électorale centrale détermine le résultat

électoral (paragraphe 72 ci-dessus) ; il consigne aussi, sur sa première page,

le nombre de personnes inscrites sur la liste électorale et le nombre de

personnes qui ont réellement voté le jour du scrutin (paragraphe 71

ci-dessus), et sert ainsi de base de comparaison avec les listes électorales

pour l’établissement de divers types de fraude électorale, par exemple le

Page 46: Affaire Riza Et Autres c. Bulgarie

44 ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE

bourrage d’urne ou encore l’ajout d’électeurs fictifs sur les listes des

votants. En l’occurrence, le procès-verbal archivé manquait pour un seul

bureau de vote sur le territoire turc ; pour trois autres bureaux, la première

page des procès-verbaux n’avait pas été conservée ; pour un autre bureau de

vote, le procès-verbal ne consignait pas le nombre de personnes qui avaient

voté le jour du scrutin (paragraphe 33 ci-dessus).

170. La Cour observe que c’est uniquement dans le dernier de ces cinq

bureaux de vote que l’irrégularité concernant le procès-verbal a, selon toute

probabilité, été commise le jour du scrutin par les membres de la

commission électorale locale et qu’elle peut dès lors être considérée comme

un indice de fraude électorale. Étant donné que les documents électoraux

provenant de l’étranger étaient d’abord remis aux représentants

diplomatiques bulgares à la fin de la journée électorale et seulement ensuite

envoyés à la commission électorale centrale en Bulgarie (paragraphe 77

ci-dessus), il n’est pas exclu que le procès-verbal du premier de ces bureaux

de vote et la première page des procès-verbaux des trois autres bureaux

aient été égarés à ce stade. Or la Cour constitutionnelle n’a pas exploré cette

éventualité, et ce malgré les informations fournies par quelques-uns des

membres de la commission électorale centrale qui avaient affirmé que les

documents électoraux provenant de Turquie avaient été préalablement

ouverts puis de nouveau scellés avant d’être envoyés à la commission

(paragraphe 36 ci-dessus).

171. Sans chercher à établir si les procès-verbaux de ces quatre bureaux

de vote avaient effectivement été complétés, signés et remis dans leur

intégralité aux services diplomatiques bulgares en Turquie par les

commissions électorales locales respectives, la Cour constitutionnelle s’est

contentée de constater leur absence, totale ou partielle, dans les archives des

organes étatiques compétents, ce qui a automatiquement entraîné

l’annulation des résultats dans ces quatre bureaux de vote. La haute

juridiction constitutionnelle a ainsi fondé cette partie de sa décision sur un

constat factuel qui ne démontrait pas à lui seul que le processus électoral

dans ces quatre bureaux avait été entaché d’une quelconque irrégularité.

172. La Cour constitutionnelle a décidé d’annuler les élections dans

18 autres bureaux de vote au motif que les listes des électeurs inscrits le jour

même du scrutin ne portaient ni la signature du président ni celle du

secrétaire de la commission électorale locale. Dans son arrêt, elle a reconnu

que la loi électorale ne l’imposait pas expressément. Elle a cependant

considéré que la signature était un élément essentiel et évident de tout

document officiel et que le modèle de « liste électorale additionnelle »

approuvé par un décret présidentiel prévoyait ces signatures (paragraphe 47

ci-dessus). La juridiction constitutionnelle a ainsi appliqué par analogie les

dispositions relatives aux « listes électorales additionnelles » et « aux listes

sous ligne » dressées dans les bureaux de vote ouverts sur le territoire

national (paragraphes 69 et 70 ci-dessus) au cas particulier des listes

Page 47: Affaire Riza Et Autres c. Bulgarie

ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE 45

d’électeurs non préinscrits établies le jour du scrutin dans les bureaux de

vote ouverts à l’étranger. Elle a annulé les élections dans les 18 bureaux de

vote au motif que les irrégularités constatées dans les listes électorales

avaient irrémédiablement affecté la force probante des procès-verbaux du

scrutin.

173. Il ressort des pièces du dossier que tous les documents électoraux

provenant de ces 18 bureaux de vote (bulletins, procès-verbaux, listes

électorales) avaient été conservés et mis à la disposition des experts et des

membres de la Cour constitutionnelle. La Cour observe que l’absence des

deux signatures est la seule irrégularité relevée dans ces documents

électoraux. Qui plus est, la Cour constitutionnelle a reconnu dans son arrêt

que l’absence des signatures des responsables de la commission électorale

locale mettait uniquement en cause la force probante des listes électorales

et, par conséquent, la véracité des données incluses dans les procès-verbaux

de vote, et non la validité des suffrages.

174. Certes, l’inobservation des exigences de forme concernant les listes

électorales peut indiquer une fraude touchant la composition du corps

électoral. La Cour considère cependant que tel n’était pas nécessairement le

cas dans le contexte spécifique de la présente affaire. Force est de constater

qu’à l’époque des faits, la législation électorale bulgare comportait des

lacunes quant aux formalités à respecter lorsque les commissions électorales

locales constituées à l’étranger inscrivaient des électeurs sur les listes

électorales le jour même du scrutin. La Cour constitutionnelle a été

confrontée à ce problème dans la présente affaire et elle a eu recours à une

application par analogie de la loi électorale pour combler le vide juridique

laissé par le législateur (paragraphes 47, 69 et 70 ci-dessus). Or les 18 listes

électorales en cause n’étaient pas les seules où il manquait les deux

signatures en question. Il s’agissait en effet d’une omission de forme

récurrente puisque les listes électorales additionnelles dressées dans 116 des

123 bureaux de vote ouverts sur le territoire turc n’avaient pas été signées

par les présidents et les secrétaires des commissions électorales

(paragraphe 29 ci-dessus), ce qui représentait environ 42 % de tous les

bureaux de vote ouverts à l’étranger (paragraphe 13 ci-dessus). La Cour

considère que ces données ne font que corroborer son constat selon lequel la

législation interne n’était pas suffisamment claire sur ce point particulier.

Dans ces circonstances, elle estime que cette omission, qui est de nature

purement technique, ne démontre pas à elle seule que le processus électoral

dans ces 18 bureaux de vote était entaché d’irrégularités qui justifiaient

l’annulation des résultats électoraux.

175. La Cour constitutionnelle a retenu un critère additionnel pour

annuler les résultats électoraux dans ces 18 bureaux, à savoir le fait

qu’aucun électeur préinscrit n’y avait exercé son droit de vote. La Cour

observe cependant que la législation interne n’oblige pas les citoyens

bulgares à voter le jour du scrutin, même s’ils avaient préalablement

Page 48: Affaire Riza Et Autres c. Bulgarie

46 ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE

exprimé leur intention d’exercer leur droit de vote. Il s’agissait donc d’un

critère supplémentaire qui en soi ne permettait pas de déceler une

irrégularité particulière du processus électoral. La Cour constitutionnelle l’a

utilisé pour éliminer les seuls votes des électeurs figurant sur les listes

additionnelles non signées.

176. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que le processus

décisionnel suivi par la Cour constitutionnelle bulgare n’était pas conforme

aux standards élaborés dans la jurisprudence de la Cour (paragraphe 143

ci-dessus). En particulier, la juridiction constitutionnelle a exposé des motifs

purement formels pour annuler l’élection dans 22 bureaux de vote. De plus,

les éléments retenus par cette juridiction pour motiver cette partie de sa

décision ne figuraient pas, de manière suffisamment claire et prévisible,

dans le droit interne et il n’a pas été démontré qu’elles eussent altéré le

choix des électeurs et faussé le résultat électoral.

177. En ce qui concerne le dernier bureau de vote, où les résultats ont été

annulés pour absence de mention du nombre des votants sur la première

page du procès-verbal (voir paragraphes 169 et 170 ci-dessus), la Cour

observe que la loi électorale bulgare en vigueur à l’époque des faits, faisant

abstraction des recommandations du Code de bonne conduite en matière

électorale de la Commission de Venise (paragraphe 92 ci-dessus), ne

prévoyait pas la possibilité d’organiser de nouvelles élections en cas

d’annulation du scrutin (paragraphe 85 ci-dessus). Une telle possibilité n’a

été introduite dans la législation interne qu’en 2011 et la règle ne trouvait à

s’appliquer que dans le cas où les résultats électoraux avaient été annulés

dans leur totalité (ibidem). Force est de constater que l’impossibilité

d’organiser de nouvelles élections n’a nullement été prise en considération

par la Cour constitutionnelle pour déterminer si l’annulation des résultats

électoraux, dans les circonstances spécifiques de l’espèce, serait une mesure

proportionnelle au regard de l’article 3 du Protocole no 1 dont le but est

d’assurer la libre expression de la volonté des électeurs.

178. La Cour ne perd pas de vue que l’organisation de nouvelles

élections sur le territoire d’un autre pays souverain, fût-ce dans un nombre

limité de bureaux de vote, est susceptible de se heurter à des obstacles

diplomatiques ou opérationnels importants et d’entraîner des coûts

supplémentaires. Elle estime cependant que la tenue de nouvelles élections

dans ce dernier bureau de vote, où il y avait de sérieux indices

d’irrégularités dans le processus électoral commises par la commission

électorale le jour du scrutin (voir paragraphe 170 ci-dessus), aurait permis

de concilier le but légitime de l’annulation des résultats électoraux, à savoir

la préservation de la légalité du processus électoral, avec les droits

subjectifs des électeurs et des candidats aux élections parlementaires. La

Cour observe que cet élément, non plus, n’a été pris en compte dans l’arrêt

de la Cour constitutionnelle bulgare.

Page 49: Affaire Riza Et Autres c. Bulgarie

ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE 47

179. Pour ces motifs, la Cour considère que l’annulation des résultats

électoraux dans les bureaux de vote en question par la Cour

constitutionnelle bulgare, le retrait à M. Riza de son mandat de député et la

perte pour le DPS d’un siège au Parlement attribué à la proportionnelle ont

constitué une ingérence dans l’exercice par les 101 requérants de leur droit

électoral actif et par M. Riza et le DPS de leur droit électoral passif. Compte

tenu des carences constatées du droit interne, et de l’absence de toute

possibilité d’organiser de nouvelles élections, l’arrêt litigieux, qui reposait

sur des arguments purement formels, a causé une atteinte injustifiée aux

droits des 101 requérants et de M. Riza et du DPS de participer aux

élections législatives respectivement en tant qu’électeurs et en tant que

candidats. Il y a donc eu deux violations distinctes de l’article 3 du

Protocole no 1.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA

CONVENTION

180. Le DPS allègue que la modification du résultat électoral lui a fait

perdre une partie de la subvention de l’État qui lui revenait en tant que parti

représenté au Parlement national. Étant donné qu’il n’a pas pu se constituer

partie à la procédure devant la Cour constitutionnelle et que le droit interne

ne prévoyait aucun autre recours judiciaire pour contester la réduction de

cette subvention, le DPS se plaint de n’avoir pas eu accès à un tribunal pour

défendre ce droit qu’il qualifie de « civil ». Il invoque l’article 6 § 1 de la

Convention, ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) par un tribunal

indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) des contestations sur ses

droits et obligations de caractère civil (...).».

181. Le Gouvernement combat cette thèse et conteste en particulier

l’applicabilité de l’article 6 de la Convention en l’espèce. Il soutient que le

droit des partis politiques d’obtenir ladite subvention n’est pas un « droit

civil » au regard de l’article 6, mais un droit de caractère politique. Par

ailleurs, la réduction alléguée de la subvention due au DPS serait résultée de

la modification apportée au résultat électoral du parti à la suite des

irrégularités constatées dans le processus de vote. Aussi s’agissait-il

clairement, pour le Gouvernement, d’un litige électoral et non d’un litige

portant sur un droit de caractère civil.

182. La Cour rappelle que l’article 6 de la Convention trouve à

s’appliquer seulement s’il y a « une contestation sur des droits et obligations

de caractère civil » ou « une accusation en matière pénale ». Dans la

présente affaire, le parti politique requérant, le DPS, se plaint de n’avoir pas

pu porter le litige qui aurait été déterminant pour le montant de sa

Page 50: Affaire Riza Et Autres c. Bulgarie

48 ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE

subvention de l’État devant un tribunal offrant toutes les garanties

procédurales consacrées à l’article 6.

183. La Cour observe que la subvention étatique en question était versée

aux partis politiques en fonction de leurs résultats électoraux aux élections

législatives précédentes et que son montant était proportionnel au nombre

de suffrages valides obtenus par les partis (paragraphes 88 et 89 ci-dessus).

En l’espèce, la réduction alléguée de la subvention étatique allouée au DPS

était la conséquence directe de l’annulation, pour des raisons d’irrégularités

constatées dans le processus électoral, des 18 140 voix obtenues par le parti

dans 23 bureaux de vote. Il s’agissait donc d’un litige électoral, dont l’issue

aurait produit des effets sur le patrimoine du requérant.

184. Selon la jurisprudence constante de la Cour, les litiges électoraux,

même s’ils ont un enjeu patrimonial pour les requérants, n’entrent pas dans

le champ d’application de l’article 6 de la Convention parce qu’ils n’ont

trait ni à une « contestation sur un droit de caractère civil » ni à « une

accusation en matière pénale » (Pierre-Bloch c. France, 21 octobre 1997,

§§ 51 et 53-59, Recueil 1997-VI ; Cheminade c. France (déc.), no 31599/96,

CEDH 1999-II). Il s’ensuit que ce grief est incompatible ratione materiae

avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 a) et doit

être rejeté en application de l’article 35 § 4.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

185. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et

si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer

qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie

lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. ».

A. Dommage

186. Le premier requérant, M. Riza, réclame 60 155 EUR pour préjudice

matériel, précisant que ce montant est l’équivalent du salaire de député au

Parlement national qu’il aurait perçu pendant quatre ans. Il demande

également 15 000 EUR pour préjudice moral.

187. Pour dommage matériel, le deuxième requérant, le DPS, demande

une somme égale au montant qu’il aurait perçu au titre de la subvention de

l’État pendant quatre ans si les 18 140 voix recueillies par le parti dans les

23 bureaux de vote en question n’avaient pas été exclues de son score

électoral. Il présente deux estimations de cette somme effectuées selon deux

méthodes de calcul différentes qui sont, à ses dires, fonction des

changements de la législation interne en matière de calcul et de paiement de

la subvention étatique versée aux partis politiques (paragraphes 88-90

Page 51: Affaire Riza Et Autres c. Bulgarie

ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE 49

ci-dessus) : 395 507 EUR, selon la première méthode ; 335 740 EUR, selon

la seconde.

188. Les 101 autres requérants estiment que le constat d’une violation de

leur droit garanti par l’article 3 du Protocole no 1 constituerait en soi une

satisfaction équitable suffisante.

189. Le Gouvernement s’oppose aux prétentions de M. Riza et du DPS.

Il invite la Cour à déclarer que le constat d’une violation fournirait une

satisfaction équitable suffisante. À titre subsidiaire, il soutient que les

revendications des deux premiers requérants sont excessives et non étayées.

190. Pour ce qui est du préjudice matériel, la Cour observe que M. Riza

et le DPS ont réclamé à ce titre des sommes représentant, selon eux, le

manque à gagner découlant de l’arrêt litigieux de la Cour constitutionnelle

bulgare pour une période de quatre ans, soit la totalité du mandat de la 41e

législature. La Cour estime que ces prétentions ne sont pas suffisamment

étayées en raison notamment des circonstances suivantes.

191. Elle observe, en premier lieu, que ces deux requérants ont fondé

leurs estimations sur la présomption que la 41e Assemblée nationale

fonctionnerait jusqu’à la fin de son mandat de quatre ans. Or cette

assemblée a été dissoute par décret présidentiel avant le terme de son

mandat (paragraphe 52 ci-dessus). Elle observe, en deuxième lieu, que

M. Riza, comme tout autre député au Parlement national, n’était pas assuré

d’aller au terme de son mandat de quatre ans et qu’il n’a pas précisé quel

était le montant de ses revenus substitutifs pendant la période comprise

entre le retrait de son mandat et la fin de la 41e législature. En troisième lieu,

la Cour note que le constat de violation dans la présente affaire découle non

seulement de l’annulation des élections dans les bureaux de vote en

question, mais également de l’absence de toute possibilité d’organiser de

nouvelles élections (paragraphes 176-178 ci-dessus). Ainsi, la Cour n’est

pas en mesure de calculer le manque à gagner du DPS en se fondant sur la

différence entre les votes annulés et les votes dont le parti aurait bénéficié à

l’issue d’éventuelles nouvelles élections.

192. La Cour estime, dès lors, qu’il y lieu de rejeter les prétentions de

ces deux requérants concernant le dédommagement d’un préjudice matériel.

193. En ce qui concerne le dédommagement du préjudice moral allégué,

compte tenu des circonstances spécifiques de l’espèce, la Cour estime que le

constat de violation du droit de voter des 101 requérants figurant en annexe

et le constat de violation du droit de M. Riza de participer aux élections en

tant que candidat constituent une satisfaction équitable suffisante pour le

dommage moral subi par eux.

B. Frais et dépens

194. Le DPS sollicite encore 5 300 EUR pour frais et dépens, somme

qui correspondrait aux honoraires de l’avocat engagé pour la procédure

Page 52: Affaire Riza Et Autres c. Bulgarie

50 ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE

devant la Cour. Les 101 autres requérants réclament 3 400 EUR pour frais

et dépens, somme correspondant, selon eux, aux honoraires de l’avocat

engagé pour la procédure devant la Cour.

195. Le Gouvernement est d’avis que les sommes demandées à ce titre

par les requérants sont excessives et non étayées.

196. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le

remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent

établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux.

197. En l’espèce, la Cour observe que tous les requérants ont été

représentés par le même avocat et que les arguments soulevés par ces

derniers sont, pour la plupart, identiques. Compte tenu de ces circonstances,

des documents présentés et de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime

raisonnable la somme de 6 000 EUR et l’accorde conjointement au DPS et

aux 101 autres requérants.

C. Intérêts moratoires

198. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires

sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale

européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1. Décide de joindre au fond l’exception du Gouvernement concernant la

qualité de victime des requérants au regard des griefs tirés de l’article 3

du Protocole no 1 à la Convention et la rejette ;

2. Déclare, à l’unanimité, la requête recevable quant aux griefs tirés de

l’article 3 du Protocole no 1 et irrecevable pour le surplus ;

3. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 3 du Protocole no 1

en ce qui concerne le droit de voter des 101 requérants dont les noms

figurent en annexe de l’arrêt ;

4. Dit, par six voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 3 du

Protocole no 1 en ce qui concerne le droit de se présenter aux élections

de M. Riza et du DPS ;

5. Dit à l’unanimité,

a) que le constat de violation constitue une satisfaction équitable

suffisante pour la violation du droit de voter des 101 requérants dont les

Page 53: Affaire Riza Et Autres c. Bulgarie

ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE 51

noms figurent en annexe et pour la violation du droit de se présenter aux

élections de M. Riza ;

b) que l’État défendeur doit verser, dans les trois mois à compter du

jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la

Convention, 6 000 EUR (six mille euros), conjointement au DPS et aux

101 requérants dont les noms figurent en annexe, plus tout montant

pouvant être dû à titre d’impôt par les requérants sur cette somme, pour

frais et dépens, à convertir en levs bulgares, au taux applicable à la date

du règlement ;

c) que, à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce

montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la

facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable

pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le

surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 13 octobre 2015, en

application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Françoise Elens-Passos Guido Raimondi

Greffière Président

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la

Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées

suivantes :

– opinion concordante du juge Wojtyczek ;

– opinion en partie dissidente de la juge Kalaydjieva.

G.R.A.

F.E.P.

Page 54: Affaire Riza Et Autres c. Bulgarie

52 ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE

ANNEXE

Liste des requérants en l’affaire no 48377/10

1. Emrula Fikret HASAN né en 1988, résidant à Kanyak

2. Fahrie Hasanova ABILOVA née en 1956, résidant à Cherkovna

3. Mehmed Mehmed ADEM né en 1970, résidant à Dropla

4. Ahmed Mustafa AHMED né en 1953, résidant à Osenovets

5. Beyzat Myustedzheb AHMED né en 1963, résidant à Golyam Porovets

6. Fatme Ismail AHMED née en 1938, résidant à Dzhebel

7. Hasan Sali AHMED né en 1936, résidant à Dzhebel

8. Niyazi Mehmedov AHMEDOV né en 1952, résidant à Gorna Hubavka

9. Ikbale Yumerova AHMEDOVA née en 1961, résidant à Pristoe

10. Fikri Mehmed ALI né en 1968, résidant à Guliyka

11. Esat Mustafa ALIOSMAN né en 1965, résidant à Balabanovo

12. Reshad Ferad ALIOSMAN né en 1956, résidant à Duhovets

13. Stefka Yulianova ANGELOVA née en 1978, résidant à Yakim Gruevo

14. Kalin Asenov ASENOV né en 1959, résidant à Yablanovo

15. Marin Asenov ASENOV né en 1954, résidant à Podayva

16. Velyo Zafirov AVRAMOV né en 1952, résidant à Kliment

17. Shaban Sali BALABAN né en 1961, résidant à Balabanovo

18. Mahir Muharem BILYAL né en 1961, résidant à Sredoseltsi

19. Emil Semov BONEV né en 1951, résidant à Vazovo

20. Mehmet BOYADZHA né en 1991, résidant à Zarnevo

21. Yakim Angelov DAMYANOV né en 1963, résidant à Duhovets

22. David Borisov DAVIDOV né en 1948, résidant à Todorovo

23. Remzi Ibryam DERVISH né en 1971, résidant à Bagriltsi

24. Ilyaz Myumyun DURMUSH né en 1937, résidant à Ptichar

25. Syuleyman Hyusein DZHELIL né en 1949, résidant à Duhovets

26. Nevin Yusnyu DZHINDZHI GERDZHIK née en 1977, résidant à Dulovo

27. Shevked Myumyun EMURLA né en 1955, résidant à Kardzhali

28. Zahari Minkov FIDANOV né en 1951, résidant à Duhovets

29. Yuliyan Zamfirov GAYGYOV né en 1956, résidant à Ratlina

30. Imren Sabri GORAL née en 1984, résidant à Semerdzhievo

31. Myumin GYULER né en 1990, résidant à Chernooki

32. Dincher Remzi HADZHIMEHMED né en 1974, résidant à Dzhebel

33. Myumyun Ahmed HADZHIMEHMED né en 1952, résidant à Balabanovo

34. Ismail Mehmed HALIM né en 1949, résidant à Pchelina

35. Shevked Ahmedov HALIMOV né en 1954, résidant à Izgrev

36. Ahmed Hyusein HAMZA né en 1950, résidant à Ratlina

37. Martin Martinov HARIZANOV né en 1947, résidant à Mortagonovo

Page 55: Affaire Riza Et Autres c. Bulgarie

ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE 53

38. Sami Shakirov HASANOV né en 1942, résidant à Yasenovets

39. Hikmet Kasim IBRYAM né en 1952, résidant à Kubrat

40. Ibryam Raim IBRYAM né en 1946, résidant à Bezmer

41. Mehmed Myumyun IBRYAM né en 1957, résidant à Chernooki

42. Filip Ivanov IGNATOV né en 1955, résidant à Orlyak

43. Iliya Mirchev ILIEV né en 1942, résidant à Sredkovets

44. Rumen Ananiev ILIEV né en 1954, résidant à s. Kliment

45. Ali Mustafa ISA né en 1954, résidant à Yablanovo

46. Ayshe Hamza ISA née en 1954, résidant à Yablanovo

47. Maya Martinova ISAYEVA née en 1952, résidant à Shumen

48. Ismail Adem ISMAIL né en 1946, résidant à Isperih

49. Emine Hyusein KARAMOLLA née en 1979, résidant à Benkovski

50. Nedko Filipov KARDZHIEV né en 1958, résidant à Venets

51. Aynur Ismail KASIM née en 1981, résidant à Zarnevo

52. Ahmed Shaban KUPLEDIN né en 1938, résidant à Mortagonovo

53. Emil Yordanov KYOSEV né en 1944, résidant à Provadiya

54. Mustafa Kyazamov KYUCHUKHASANOV né en 1949, résidant à

Yablanovo

55. Elif Ibryamova KYUCHYUKHASANOVA née en 1952, résidant à

Yablanovo

56. Emil Milkov MANOV né en 1953, résidant à Sredkovets

57. Beyram Kerim MEHMED né en 1955, résidant à Kitanchevo

58. Hyuray Mehmed MEHMED né en 1989, résidant à Dropla

59. Lyutfi Zakir MEHMEDEMIN né en 1951, résidant à Mortagonovo

60. Ahmed Karani MEHMEDOV né en 1963, résidant à Hitrino

61. Sali Ibryamov MEHMEDOV né en 1938, résidant à Veselina

62. Aygyul Mehmed MESRUR née en 1967, résidant à Boil

63. Genadiy Asenov METEV né en 1961, résidant à Beli Lom

64. Nikolay Marinov MIHAILOV né en 1961, résidant à Sokolartsi

65. Boyan Evgeniev MIHAYLOV né en 1957, résidant à Bistra

66. Snezhina Milanova MITEVA née en 1953, résidant à Ratlina

67. Stiliyan Mladenov MLADENOV né en 1947, résidant à Beli Lom

68. Redzheb Akif MUHAREM né en 1954, résidant à Kapinovtsi

69. Ema Asenova MURATOGLU née en 1970, résidant à Zarnevo

70. Sali Ahmedov MUSOV né en 1944, résidant à Ratlina

71. Ahmed Ibryam MUSTAFA né en 1950, résidant à Kardzhali

72. Efraim Dzhemail MUSTAFA né en 1939, résidant à Kliment

73. Mustafa Esat MUSTAFA né en 1989, résidant à Balabanovo

74. Mustafa Fikret MUSTAFA né en 1981, résidant à Targovishte

75. Ahmed Durmush MYUMYUN né en 1954, résidant à Kardzhali

76. Bayryam Beysim MYUMYUN né en 1963, résidant à s. Izgrev

77. Ismet Myumyunov MYUMYUNOV né en 1970, résidant à Spoluka

78. Lefter Marinov OGNYANOV né en 1952, résidant à Yablanovo

79. Mladen Slavov OGNYANOV né en 1951, résidant à Haskovo

80. Syuleyman Mustafa OSMAN né en 1956, résidant à Chernooki

81. Vadet Nazif OSMAN né en 1952, résidant à Duhovets

82. Miroslav Sabev PRESIYANOV né en 1951, résidant à Konop

83. Svetlin Naydenov RADEV né en 1957, résidant à Todorovo

Page 56: Affaire Riza Et Autres c. Bulgarie

54 ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE

84. Hyusein Hyusein REDZHEB né en 1949, résidant à s. Duhovets

85. Redzheb Shakir REDZHEB né en 1933, résidant à Takach

86. Nevise Hasan RUFAD née en 1971, résidant à Dzhebel

87. Ivaylo Nikiforov SABEV né en 1959, résidant à Nozharovo

88. Syuleyman Mehmed SADAK né en 1948, résidant à Kardzhali

89. Byulent Ahmed SADETIN né en 1985, résidant à Kitnitsa

90. Yakub Shaban SALI né en 1950, résidant à Isperih

91. Sali Salimehmed SALISH né en 1954, résidant à Aytos

92. Marko Minchev SEVDALINOV né en 1962, résidant à Ludogortsi

93. Ibryam Arifov SHAKIROV né en 1949, résidant à Ardino

94. Fari Redzheb SHEVKED né en 1960, résidant à Rani list

95. Mitko Andreev TODOROV né en 1933, résidant à Cherencha

96. Anton Asenov TSENKOV né en 1934, résidant à Kliment

97. Shamsidin Salim VELI né en 1951, résidant à Duhovets

98. Shefkie Shefket VELI née en 1965, résidant à Shumen

99. Nadzhi Samiev YAHOV né en 1954, résidant à Isperih

100. Mincho Adriyanov YOSIFOV né en 1960, résidant à Duhovets

101. Alben Varadinov YURUKOV né en 1955, résidant à Ratlina

Page 57: Affaire Riza Et Autres c. Bulgarie

ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE – OPINIONS SÉPARÉES 55

OPINION CONCORDANTE DU JUGE WOJTYCZEK

1. Dans la présente affaire, j’ai voté pour constater une violation de

l’article 3 du Protocole no 1, toutefois je ne suis pas convaincu par le

raisonnement développé par la majorité.

2. La majorité suit le schéma de raisonnement suivant : constatation de

l’existence d’une ingérence dans le droit protégé, puis examen de la

question de savoir si l’ingérence est justifiée. Cette façon de procéder

suscite en l’espèce un certain nombre d’interrogations.

Premièrement, la constatation d’une ingérence dans un droit présuppose

une définition précise du contenu du droit concerné et de son champ

d’application. En effet, le schéma fondé sur l’analyse de l’ingérence

comprend habituellement trois éléments : définition du contenu du droit en

question et de son champ d’application (en allemand : Schutzbereich),

établissement de l’existence d’une ingérence (Grundrechtseingriff) et

vérification de la légitimité de l’ingérence (Rechtfertigung). Or, dans la

présente affaire, le premier élément (définition du contenu du droit et du

champ d’application) fait partiellement défaut.

Deuxièmement, l’approche décrite, développée par la jurisprudence et la

science des droits fondamentaux allemandes, est très utile pour les droits qui

admettent des limitations. Un tel droit, tel que défini par la Convention, est

un droit prima facie qui protège son titulaire contre les ingérences

illégitimes, et dont le contenu définitif dépend en réalité de l’étendue des

limitations pouvant être imposées en conformité avec la Convention. Le

contenu spécifique de certains droits peut rendre le schéma exposé ci-dessus

inapplicable. Il en est ainsi en particulier dans le cas des droits pour lesquels

les limitations ne sont pas permises : pour ce type de droits, la constatation

d’une ingérence équivaut à une constatation de la violation du droit en

question sans qu’il y ait à s’interroger sur la légitimité de l’ingérence.

L’article 3 du Protocole no 1 tel qu’il est libellé met l’accent sur les

garanties objectives des élections libres plus que sur les droits subjectifs des

citoyens. Il permet néanmoins d’inférer de ces garanties objectives

l’existence de garanties des droits individuels de voter et de se porter

candidat aux élections parlementaires. Toutefois, le contenu exact de ces

droits subjectifs doit être établi à la lumière de la garantie objective

d’élections libres. Ainsi, le droit électoral actif est le droit de voter dans le

cadre d’élections libres et d’influer par le vote sur la composition du

parlement. Le droit électoral passif est le droit de concourir pour un siège au

parlement dans une élection libre. La notion même d’élections libres

présuppose un certain nombre d’éléments, parmi lesquels on peut citer à

titre d’exemple l’égalité des chances entre les candidats et les partis et une

procédure électorale qui aboutit à ce que le résultat officiel des élections

reflète fidèlement le vote des électeurs. Il découle aussi de l’article 3 que le

Page 58: Affaire Riza Et Autres c. Bulgarie

56 ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE – OPINIONS SÉPARÉES

suffrage universel et les limitations du champ personnel des droits

électoraux actif et passif peuvent s’analyser selon le schéma exposé

ci-dessus (champ d’application, ingérence, justification). Par contre, ce

schéma tripartite ne semble pas adéquat pour appréhender les irrégularités

de la procédure électorale qui remettent en cause la sincérité du scrutin.

Par ailleurs, il faut souligner que l’élection du corps législatif est une

procédure longue et compliquée qui démarre avec la convocation

d’élections et qui se termine avec les décisions de justice définitives statuant

sur les contestations éventuelles de l’issue du scrutin. Tant que le juge

électoral n’a pas statué, la procédure électorale n’est pas achevée. Les

résultats proclamés par une commission électorale et contestés devant un

juge électoral ne peuvent pas constituer le point de référence pour apprécier

les ingérences portées dans les droits protégés par l’article 3 du

Protocole no 1.

Si l’argumentation de la majorité ne commence pas avec la définition du

droit électoral actif, une telle définition est néanmoins formulée dans l’arrêt

avec une précision suffisante pour les besoins de l’examen de la présente

affaire : le droit électoral actif est le droit de voter et d’influer sur la

composition du corps législatif (paragraphe 148). Le fait que certains votes

émis de façon valide par les électeurs n’aient pas été comptabilisés peut

s’analyser en une ingérence dans l’exercice par ces personnes du droit

électoral actif.

Par contre, la motivation de l’arrêt ne propose pas de définition du droit

électoral passif et de ce fait la conceptualisation de l’ingérence à ce droit

semble défaillante. Pour la majorité, le fait que le score électoral du

Mouvement pour les droits et libertés ait été diminué et que M. Riza ait

perdu son siège par suite de la décision de la Cour constitutionnelle

constitue en soi une ingérence dans l’exercice par ces deux requérants de

leur droit électoral passif. Il est difficile de suivre cette partie du

raisonnement. La décision du juge de réviser les résultats d’un scrutin

proclamés par une commission nationale est un élément important de la

procédure électorale qui conduit à établir le résultat définitif des élections.

Le fait qu’un candidat perde son mandat ou qu’un parti perde des voix et

des sièges par rapport à une première proclamation officielle des résultats à

la suite de la décision d’une juridiction électorale ne constitue pas en soi une

ingérence dans l’exercice du droit électoral passif. Dans la présente affaire,

l’ingérence dans le droit électoral passif du Mouvement pour les droits et

libertés et de M. Riza ne consiste pas en une diminution d’un score électoral

par le juge par rapport au résultat officiel proclamé auparavant mais résulte

d’un certain nombre d’irrégularités commises au cours des élections, qui

débouchent sur une situation dans laquelle les résultats définitifs officiels ne

reflètent pas fidèlement la réalité du scrutin.

3. L’élection parlementaire tenue en 2009 en Bulgarie a été évaluée par

l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (Republic of

Page 59: Affaire Riza Et Autres c. Bulgarie

ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE – OPINIONS SÉPARÉES 57

Bulgaria Parliamentary Elections, 5 July 2009, OSCE/ODIHR, Limited

Election Observation Mission Final Report, Warsaw 30 September 2009) et

par le Conseil de l’Europe (Observation des élections législatives en

Bulgarie (5 juillet 2009), Commission ad hoc du Bureau de l’Assemblée,

16 septembre 2009, Doc. 12008). Selon les conclusions générales de ces

rapports, elle a respecté les principales normes internationales, toutefois un

certain nombre de difficultés ont été constatées. Le rapport de l’OSCE

indique notamment ceci : « According to the law, there is no obligation to

register to vote and therefore no formal voter list for voters abroad is

compiled. Thus, any citizen may vote at a PEC [Precinct Election

Commission] abroad upon presenting a Bulgarian passport or military

identification. This was perceived by some interlocutors as a possible

mechanism for multiple voting. Some 57,346 individuals pre-registered at

embassies and were then deleted from the domestic voter lists ». On y

trouve la recommandation suivante : « Out-of-country procedures should be

further regulated to include safeguards against possible multiple voting ».

Le Comité ad hoc du Bureau de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de

l’Europe estime quant à lui dans son rapport que « l’utilisation de bulletins

de vote par correspondance et le vote à l’étranger ont été largement

considérés comme des mécanismes possibles de vote multiple » (§ 28).

4. La présente affaire fait apparaître toute une série d’irrégularités liées

au vote à l’étranger qui ont abouti à un litige portant sur la validité et la

comptabilisation de 18 358 votes dans 23 bureaux électoraux de Turquie :

absence de procès-verbal, absence de première page du procès-verbal ou

absence de signature sur certains documents, au bas de la liste des électeurs

inscrits. La majorité relève aussi, à très juste titre, un certain nombre des

déficiences de la législation électorale en vigueur en 2009, notamment le

manque de précision de la loi électorale sur un certain nombre de points

ainsi que le fait que le juge électoral ne pouvait pas décider la tenue de

nouvelles élections.

Toutefois, la motivation de l’arrêt de la Cour repose sur l’idée que les

irrégularités du processus électoral avaient un caractère mineur et ne

justifiaient pas la décision de ne pas prendre en considération les 18 358

bulletins de votes en question. Selon la majorité, la Cour constitutionnelle

aurait dû décider de comptabiliser ces bulletins sauf pour un bureau de vote,

où il aurait été nécessaire d’organiser de nouvelles élections. Si l’on suit ce

raisonnement, la violation de l’article 3 du Protocole no 1 par la Bulgarie

résulte de l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle.

À mon avis, les problèmes du point de vue de l’article 3 du

Protocole no 1 ne commencent pas au stade du contrôle juridictionnel des

élections mais bien en amont. À la lumière des rapports de l’OSCE et du

Conseil de l’Europe, il faut se garder de sous-estimer le poids des

irrégularités commises pendant le vote et lors du décompte des voix dans les

bureaux électoraux en question. Ces irrégularités ont pu avoir un certain

Page 60: Affaire Riza Et Autres c. Bulgarie

58 ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE – OPINIONS SÉPARÉES

impact sur le résultat des élections. Il est difficile de déterminer avec

certitude quel était le nombre exact de suffrages obtenus réellement par les

différentes listes en compétition dans les bureaux de vote concernés et si les

18 358 bulletins provenant de ces bureaux correspondent à des votes valides

et reflètent fidèlement les résultats du scrutin. Il serait en tout cas plus

prudent de parler dans ce cas de « bulletins de vote » que de « votes ».

La Cour constitutionnelle bulgare, saisie par un parti politique, s’est

sentie dans l’obligation de réagir face aux irrégularités révélées. Il faut

souligner en même temps que, dans le contexte des différentes

imperfections de la loi électorale bulgare, la marge de manœuvre de la haute

juridiction était limitée. Elle se trouvait confrontée au choix suivant :

admettre la validité des bulletins des votes dans les bureaux en question,

annuler les élections dans ces bureaux, ou admettre la validité des bulletins

des votes dans certains de ces bureaux et annuler les élections dans d’autres.

Aucune de ces trois solutions ne semble pleinement satisfaisante, et de ce

fait le contrôle juridictionnel ne pouvait pas réparer les irrégularités

commises à des stades antérieurs de la procédure électorale.

Dans les conditions décrites ci-dessus, la violation de l’article 3 du

Protocole no 1 résulte des imperfections de la loi et des irrégularités qui ont

été commises lors des différentes étapes de la procédure électorale et qui

n’ont pas pu être réparées de façon satisfaisante au stade du contrôle

juridictionnel de l’élection. Ce n’est pas l’arrêt de la Cour constitutionnelle

considéré isolément mais le processus électoral dans son ensemble qui ne

répond pas complètement aux normes découlant de l’article 3 du

Protocole no 1 et qui justifie un constat de violation de cette disposition.

5. Le code de bonne conduite en matière électorale de la Commission de

Venise préconise la possibilité d’annuler en partie ou en totalité une élection

et de décider la tenue de nouvelles élections. Toutefois, cette solution n’est

pas exempte, elle non plus, d’un certain nombre d’inconvénients. Une

nouvelle élection présente nécessairement de nouveaux enjeux et de

nouveaux thèmes de campagne et elle induit des comportements électoraux

différents. Ces différences sont particulièrement aiguës si les suffrages

exprimés à des dates différentes sont comptabilisés ensemble au niveau

national dans le but de répartir des sièges entre les listes de candidats. De

plus, en cas de nouvelles élections organisées à l’étranger, il faut tenir

compte, outre les difficultés signalées à très juste titre au paragraphe 178 de

la motivation de l’arrêt, d’autres problèmes. La composition du corps

électoral à l’étranger peut varier rapidement en fonction des déplacements

des électeurs. Il faut prévoir aussi des mécanismes efficaces qui empêchent

les électeurs ayant déjà voté une première fois sur le territoire national ou à

l’étranger, dans des bureaux de vote où l’élection n’a pas été annulée, de

voter une deuxième fois.

Dans ces conditions, il est essentiel de mettre en place une législation

claire et précise, prévoyant des garanties efficaces de la régularité de toutes

Page 61: Affaire Riza Et Autres c. Bulgarie

ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE – OPINIONS SÉPARÉES 59

les étapes de la procédure électorale, de manière à réduire autant que

possible le risque qu’il soit nécessaire de contester les résultats des élections

devant le juge.

Page 62: Affaire Riza Et Autres c. Bulgarie

60 ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE – OPINIONS SÉPARÉES

OPINION EN PARTIE DISSIDENTE

DE LA JUGE KALAYDJIEVA

(Traduction)

Je suis d’accord avec la majorité pour dire que l’examen fait par la Cour

constitutionnelle bulgare de la régularité du scrutin constitue une ingérence

dans l’exercice par les requérants du droit à des élections démocratiques

garanti par l’article 3 du Protocole no 1 à la Convention. Cette ingérence

concernant un stade achevé du processus électoral, j’estime que, par

définition, elle était justifiée aux fins de faire en sorte que le processus

électoral respecte dûment toutes les procédures qui sont au cœur de

l’autorité dont les électeurs investissent les élus. La majorité n’a exprimé ni

doutes ni préoccupations à cet égard.

Toutefois, le fait même qu’il y ait eu « ingérence » dans, ou restriction

des droits individuels, ne suffit pas en lui-même à conclure qu’il y a

nécessairement eu violation de ces droits. Avant de parvenir à une telle

conclusion, il faut normalement vérifier la légalité de la mesure et son

caractère proportionné ou non au regard de l’objectif légitime poursuivi. À

cet égard, je ne suis toujours pas convaincue que l’exercice par une Cour

constitutionnelle de la compétence en question et/ou les droits garantis par

l’article 3 du Protocole 1 se prêtent à pareille analyse, analyse à laquelle, en

fait, la majorité n’a pas procédé.

Au lieu de cela, elle a estimé opportun (paragraphes 153 à 179), tout en

réaffirmant formellement le principe établi selon lequel les exigences de

l’article 6 ne sont pas applicables aux décisions des juridictions

constitutionnelles, d’apprécier au regard des critères inapplicables de cette

disposition la manière dont la Cour constitutionnelle avait exercé sa

compétence. Cette analyse qui s’arrête juste un pas avant de déclarer la

décision litigieuse arbitraire, commence par mettre en doute la nécessité

initiale d’accepter la demande d’examen de la régularité du processus

électoral, examine la portée de cet examen et le caractère suffisant ou non

du raisonnement de la Cour constitutionnelle, critique la procédure

appliquée par cette cour, et atteint son point culminant en rejetant

l’interprétation du droit interne faite par les juges nationaux, avant de

parvenir à la conclusion globale que cette « ingérence a emporté violation »

à l’égard de tous les requérants du droit à des élections démocratiques.

À mon avis, et si l’on suit la jurisprudence de notre Cour, chacune de ces

questions relève exclusivement de la compétence de la Cour

constitutionnelle et ne devrait pas y être soustraite. Je trouve d’une certaine

ironie le fait d’être obligée pour la première fois dans ma dernière opinion

dissidente de rappeler que la CEDH ne peut se substituer aux juridictions

nationales compétentes si elle veut demeurer fidèle au principe selon lequel

Page 63: Affaire Riza Et Autres c. Bulgarie

ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE – OPINIONS SÉPARÉES 61

son propre rôle est subsidiaire. Pourtant, s’il y a jamais eu lieu de le faire,

c’est bien aujourd’hui.

Comme mon éminent collègue le juge Wojtyczek, je considère que la

présente affaire ne concerne ni un « dysfonctionnement flagrant » de la

Cour constitutionnelle dans l’exercice qu’elle a fait de sa compétence pour

garantir le respect des règles électorales, ni une conclusion arbitraire ou

erronée portée par elle dans l’affaire dont elle était saisie. À cet égard, je

suis totalement d’accord avec la conclusion du juge Wojtyczek selon

laquelle « [c]e n’est pas l’arrêt de la Cour constitutionnelle (Решение № 2

от 16.02.2010 г. на КС по к. д. № 10/2009 г.) qui ne répond pas

complètement aux standards découlant de l’article 3 du Protocole no 1 ».

Pour moi, les aspects problématiques de la situation au regard des droits des

requérants garantis par l’article 3 du Protocole no 1 trouvent leur racine et

leur limite dans l’absence de possibilité d’organiser un nouveau scrutin. Je

n’ai aucun doute sur le fait qu’en l’espèce, la majorité serait parvenue à des

conclusions différentes s’il avait été possible pour les requérants de

participer à un nouveau scrutin organisé pour corriger les vices de procédure

constatés par la Cour constitutionnelle.

L’article 3 du Protocole no 1 prévoit d’abord et avant tout une

« obligation positive » pour les États d’« organiser des élections libres »

dans des « conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple

sur le choix du corps législatif », ce qui implique les droits subjectifs de

voter et de se porter candidat aux élections.

À mon regret, je ne peux suivre mes éminents collègues dans leur

conclusions en l’absence d’analyse appropriée de la portée de l’obligation

positive d’« organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au

scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de

l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif » et de la mesure dans

laquelle cette obligation a été respectée en l’espèce, des distinctions devant

être opérées dans la portée et la nature des droits individuels garantis par

cette disposition et de l’effet potentiel de la décision de la Cour

constitutionnelle prise seule ou combinée avec l’absence de possibilité

d’organiser un nouveau scrutin pour la mettre en œuvre.

J’ai voté en faveur du constat de violation des droits des 101 requérants

de la requête no 48377/10 pour des raisons reposant sur l’humble tentative

de procéder à cette analyse différente. Le dispositif de la décision de la Cour

constitutionnelle indique expressément (paragraphe 48 de l’arrêt) que « les

votes en question étaient valides au regard de la législation interne, mais

qu’ils devaient être soustraits des résultats électoraux en raison de

l’irrégularité des listes électorales et des procès-verbaux de vote ». La

manière dont je comprends cette décision au regard de la Convention est

que même si les votes étaient valides en eux-mêmes, ils n’avaient pas été

exprimés « dans les conditions qui assurent la libre expression de l’opinion

du peuple sur le choix du corps législatif » et qui permettent la vérification

Page 64: Affaire Riza Et Autres c. Bulgarie

62 ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE – OPINIONS SÉPARÉES

de la liberté de cette expression, et il fallait donc que l’intégralité du

processus soit écartée. Or, en l’absence de possibilité de procéder à une

nouvelle élection à même de redresser ces dysfonctionnements, il n’a pas

été envisagé de restaurer la possibilité pour les 101 requérants d’exercer leur

droit d’influer sur le choix du corps législatif. Ainsi, n’ayant pas répondu à

l’obligation positive d’« organiser [un nouveau tour d’]élections libres »

dans des « conditions qui assurent la libre expression de l’opinion [des

requérants et de plus de 18 000 autres électeurs] sur le choix du corps

législatif », la mise en œuvre de la décision de la Cour constitutionnelle a eu

pour effet définitif et direct d’ignorer totalement le droit des requérants de

voter.

L’article 3 du Protocole no 1 protège aussi le droit de M. Riza et du parti

DPS de se porter candidats aux élections, un droit qui diffère, de par sa

nature et sa portée, du droit électoral actif. Pour autant, cette disposition ne

garantit pas le droit d’obtenir un siège au Parlement comme ces deux

requérants semblent le prétendre. Il est à noter avant tout que l’on ne peut

pas dire dans les circonstances de l’espèce, où le scrutin était proportionnel,

que l’annulation de l’élection initialement annoncée de M. Riza et de son

siège de candidat du parti requérant aient été le résultat direct de

l’annulation du scrutin dans les circonscriptions concernées. La situation

aurait peut-être été différente si M. Riza avait gagné un siège pour le parti

requérant dans la circonscription concernée dans le cadre d’un scrutin

majoritaire.

Or la majorité semble baser son constat de violation des droits de ces

deux requérants sur la prémisse qu’en annulant le résultat qui était en leur

faveur, la Cour constitutionnelle a pris une décision qui a nui de manière

directe et injustifiée à leur droit de se porter candidats à des élections. Je ne

peux suivre mes collègues dans cette conclusion, car je ne vois pas de lien

de causalité entre la décision de la Cour constitutionnelle et le préjudice

subi par les requérants. M. Riza et son parti ne se trouvent pas dans la même

situation que les 101 requérants de la requête no 48377/10, dont le droit de

vote a été directement touché : l’article 3 du Protocole no 1 ne garantit pas

un droit à être élu, et la majorité n’a pas expliqué en quoi la décision de la

Cour constitutionnelle avait porté atteinte au droit d’être candidat à des

élections ou limité ce droit de telle sorte qu’elle aurait été contraire aux

exigences de l’article 3 du Protocole no 1. Pour les raisons exposées

ci-dessus, je ne peux me ranger à l’avis de la majorité à l’égard de cette

décision, et je partage au contraire celui du juge Wojtyczek, selon lequel

« [c]e n’est pas l’arrêt de la Cour constitutionnelle (...) qui ne répond pas

complètement aux standards découlant de l’article 3 du Protocole no 1 ».

S’il est vrai que le résultat de cette élection, qui avait été remportée par

les requérants, a été annulé, cette décision reposait sur des vices de

procédure établis et ne portait nullement atteinte au droit des deux

requérants de se porter candidats à des élections au niveau national ou

Page 65: Affaire Riza Et Autres c. Bulgarie

ARRÊT RIZA ET AUTRES c. BULGARIE – OPINIONS SÉPARÉES 63

local : par exemple, la validité de l’inscription du parti requérant et la place

de M. Riza sur la liste correspondante n’ont pas été remises en cause.

L’examen de la situation de ces deux requérants aurait dû à mon avis

porter, comme dans les requêtes des 101 électeurs, sur l’effet de la mise en

œuvre de la décision de la Cour constitutionnelle sur le droit des intéressés à

des élections libres, en l’occurrence le droit de se porter candidats dans les

mêmes conditions que les autres, et non sur leur situation d’anciens

gagnants ou de gagnants potentiels de l’élection. Alors que le respect de

l’engagement d’organiser des élections (ou de nouvelles élections) libres

aurait été apte à remédier à la situation des 101 électeurs en restaurant

directement leur possibilité effective de voter, on voit mal comment un

nouveau scrutin aurait eu pour résultat certain la réélection de M. Riza et

l’obtention par son parti du même nombre de sièges au parlement que lors

du premier scrutin. La Cour ne peut spéculer sur l’issue potentielle d’une

nouvelle élection dans les circonstances intrinsèquement aléatoires qui sont

celles d’un système électoral de scrutin proportionnel tel que celui en cause

en l’espèce. Les deux requérants candidats ne se plaignent pas d’avoir été

privés de la possibilité de se porter candidats aux élections dans le cadre

d’un deuxième tour, et la mesure dans laquelle leurs chances de remporter

un nouveau scrutin relèvent de la portée de l’article 3 du Protocole no 1 est

discutable.

En l’espèce, l’absence de possibilité d’organiser un nouveau scrutin pour

corriger les défaillances établies du premier scrutin a clairement porté aux

droits des 101 requérants électeurs une atteinte touchant l’essence même de

ces droits et les privant de toute effectivité. En revanche, il n’en va pas

nécessairement de même du droit des requérants Riza et DPS de se porter

candidats à une élection au scrutin proportionnel : l’article 3 du

Protocole no 1 garantit un droit individuel de se porter candidat aux

élections, mais non un droit à les remporter.