BURKINABE ET SES IMPACTS - burkinadiaspora.org de... · National de la Population (CONAPO) pour...
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Mémoire
Pour l’obtention du diplôme
de Conseiller des Affaires Etrangères
Présenté et soutenu publiquement par :
Antoine SANGA
Mention : Bien
Jury :
Docteur Jean Paul KABORE : Président Enseignant vacataire Monsieur Laurentin SOMDA : Directeur de mémoire Ministre Plénipotentiaire Ousman NACAMBO : Membre
Juin 2011
ENAM 03 BP 7024 Ouagadougou 03 E-mail: [email protected]
Téléphone : (226) 50.31.42.64/65 Télécopie : (226) 50 30 66 11
L’EMIGRATION BURKINABE ET SES IMPACTS
SUR LE BURKINA FASO
BURKINA FASO
Unité-Progrès-Justice
ECOLE NATIONALE D’ADMINISTRATION ET DE MAGISTRATURE DEPARTEMENT DIPLOMATIE
ii
AVERTISSEMENT
L’ECOLE NATIONALE D’ADMINISTRATION ET DE MAGISTRATURE
N’ENTEND DONNER AUCUNE APPROBATION NI IMPROBATION AUX
IDEES EMISES DANS CE MEMOIRE.
iii
DEDICACE
A
Tous mes parents rappelés à Dieu,
particulièrement
A maman Thérèse BAGAYA et à mes
beaux -parents.
A Mon papa Michel SANGA,
A mon épouse Mme SANGA/ZOUNDI
Carole,
Aux familles SANGA et BAGAYA
Je dédie ce mémoire.
iv
REMERCIEMENTS
Ce travail est le couronnement de deux années d’études à l’Ecole Nationale
d’Administration et de Magistrature (ENAM). C’est l’occasion pour moi de remercier
l’administration, le personnel et le corps professoral de l’ENAM pour l’encadrement
reçu.
Mes remerciements vont au Secrétaire Permanent du Conseil Supérieur des
Burkinabé de l’Etranger (CSBE) et au personnel de cette structure pour leurs soutiens.
Je tiens aussi à remercier la secrétaire Permanente et le personnel du Conseil
National de la Population (CONAPO) pour nous avoir accordé le stage et facilité les
recherches.
Je tiens particulièrement à remercier Monsieur Laurentin SOMDA, mon
directeur de mémoire pour sa disponibilité, ses conseils et la qualité de son
encadrement.
A tous les parents et amis qui m’ont apporté leurs appuis multiformes, je
témoigne ma profonde gratitude.
En particulier, à mon épouse Mme SANGA/ZOUNDI Carole, à mon papa Michel
SANGA et à mon ami Seydou DAVOU dont les soutiens ont été inestimables durant
ces deux années de formation et particulièrement dans la rédaction de ce mémoire.
Que tous ceux qui ont contribué de près ou de loin à la réalisation de ce travail
soient récompensés à la hauteur de leur mérite.
v
SIGLES ET ABREVIATIONS
ARBI : Association des Ressortissants de Béguédo en Italie
ARNI : Association des Ressortissants de Niaogho en Italie
BA-BF : Banque Atlantique du Burkina Faso
BACB : Banque Agricole et Commerciale du Burkina
BAD : Banque Africaine de Développement
BCB : Banque Commerciale du Burkina
BCEAO : Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest
BHB : Banque de l’Habitat du Burkina
BIB : Banque Internationale du Burkina
BICIA-B : Banque Internationale pour le Commerce, l’Industrie et l’Artisanat du
Burkina
BOA : Bank of Africa
BRS : Banque Régionale de Solidarité
BSIC : Banque Sahélo-saharienne pour l’Investissement et le Commerce
BTP : Bâtiment et Travaux Publics
CEDEAO : Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest
CFA : Communauté Financière Africaine
CMA : Centre Médical avec Antenne chirurgicale
CONAPO : Conseil National de la Population
CSBE : Conseil supérieur des Burkinabé de l’Etranger
CSPS : Centre de Santé et de Promotion Sociale
CTI : Central Transport International
DCM : Division du contrôle de la Migration
vi
FF : Franc Français
MIDA : Migration pour le Développement en Afrique
N D : Non Déclaré
OIT : Organisation Internationale du Travail
ONEA : Office National de l’Eau et de l’Assainissement
PIB : Produit Intérieur Brut
PME/PMI : Petite et Moyenne Entreprise/ Petite et Moyenne Industrie
RCPB : Réseau des Caisses Populaires du Burkina
RGPH : Recensement Général de la Population et de l’Habitat
SGBB : Société Générale de Banques au Burkina
SIAMO : Syndicat Interprofessionnel pour l’Acheminement de la Main-d’œuvre
SONAPOST : Société Nationale des Postes
STAF : Société de Transport Aorêma et Frères
TSR : Transport Sana Rasmané
UEMOA : Union Economique et Monétaire Ouest Africaine
1
SOMMAIRE
Mémoire................................................................................................................... i
AVERTISSEMENT ....................................................................................................... ii
DEDICACE .................................................................................................................. iii
REMERCIEMENTS ..................................................................................................... iv
SIGLES ET ABREVIATIONS ....................................................................................... v
SOMMAIRE .................................................................................................................. 1
INTRODUCTION GENERALE ..................................................................................... 2
PARTIE I : HISTORIQUE DE L’EMIGRATION AU BURKINA FASO ........................ 10
Chapitre I : Les caractéristiques et parcours des émigrés burkinabè ............. 11
Section I : Les caractéristiques de l’émigration burkinabè ................................... 12 Section II : Les parcours migratoires des Burkinabè ........................................... 16
CHAPITRE II : Les raisons et cadres de gestion de l’émigration ...................... 20 Section I : Les raisons de l’émigration ................................................................. 20 Section II : Les cadres de gestion de l’émigration ............................................... 27
PARTIE II : IMPACTS DE L’EMIGRATION SUR LE BURKINA FASO ..................... 32
Chapitre I : Les impacts positifs .......................................................................... 33 Section I : Sur les plans politique et socio-culturel ............................................... 33 Section II : Sur le plan économique ..................................................................... 35
Chapitre II : Les impacts négatifs ........................................................................ 44
Section I : Les bouleversements sociaux ............................................................ 44 Section II : Les retours forcés et le désintérêt pour les études ............................ 48
CONCLUSION PARTIELLE ....................................................................................... 53
CONCLUSION GENERALE ....................................................................................... 54
BIBLIOGRAPHIE ....................................................................................................... 58
TABLE DES MATIERES ............................................................................................ 61
ANNEXES .................................................................................................................. vii
ANNEXE I : Traités, conventions et accords en matière de migrations auxquels le Burkina Faso est partie. .......................................................................................viii
ANNEXE II : Arrêté n°1014/FPT/ONPE du 15 novembre 1974 portant règlementation sur les modalités de recrutement des travailleurs voltaïques à destination de l’étranger dans le cadre des conventions de main-d’œuvre. ..... x
ANNEXE III: Estimations du nombre de Burkinabè de l’étranger par pays...... xii
ANNEXE IV : Evolution des transferts de fonds des Burkinabè de l’étranger de 1980 à 2010 (sans 2009) ........................................................................................xiii
ANNEXE V : Fiche d’enquête ...............................................................................xiv
2
INTRODUCTION GENERALE
Les migrations sont un phénomène aussi vieux que l’humanité. En effet,
l’homme a toujours migré à la recherche de meilleures conditions de vie. Pour ce qui
est de l’ancienne Haute-Volta (actuelle Burkina Faso), l’on apprend de son histoire
qu’elle a été peuplée par vagues successives de populations venues d’horizons divers
à partir du Xème siècle1.Ces brassages de populations ont été surtout favorisés par la
position géographique de la colonie qui est en quelque sorte un espace de transit
entre l’Afrique subsaharienne et les pays côtiers, reliés par d’importants échanges
commerciaux.
Les Mossi (ethnie majoritaire au Burkina Faso) par exemple, seraient
originaires du Lac Tchad et se seraient installés d’abord à Gambaga au Ghana, avant
d’envahir l’actuel Plateau Central du Burkina Faso vers le milieu du XVème siècle, après
de multiples guerres contre les autochtones Bissa, Gourmantché et Gourounsi2.
La position stratégique de la colonie de Haute-Volta et surtout la bravoure de
ses fils ont fait d’elle une pourvoyeuse de main-d’œuvre docile et courageuse au profit
d’autres colonies. Elle a donc connu une migration essentiellement internationale,
même si au niveau interne, le phénomène a aussi existé. Créée en 1919 et
initialement reliée au Haut Sénégal-Niger, la colonie a connu une forte émigration
dans le temps et dans l’espace. Les raisons sont toutes aussi variées que les
destinations des émigrants.
Mais, l’on pourrait affirmer avec M.D. SAGNON que c’est la colonisation qui a
constitué le facteur essentiel de l’émigration voltaïque car « avec ses diverses formes
d’exploitations, elle aura contribué plus que tout autre facteur aux déplacements
massifs des Voltaïques à l’étranger. Le travail forcé, le système d’exploitation des
importantes concessions détenues par les sociétés privées, les grands travaux
d’infrastructures entrepris par le colonisateur, l’enrôlement sous les drapeaux, le
système de volontariat, les motivations économiques enfin, ont provoqué une
émigration massive vers presque tous les pays de l’Afrique de l’Ouest : le Mali, le
Sénégal, le Ghana, la Côte d’Ivoire3». Il convient toutefois de souligner qu’en dépit des
1 M.D SAGNON : L’état de la migration burkinabé, communication au Forum national sur les migrations, 2001. 2Bilan global des migrations au Burkina Faso : Panorama rétrospectif et tendances actuelles, rapport final juillet 2006, p.13 3SONGRE A. « l’émigration massive des voltaïques : réalité et effet.» Revue internationale du travail, vol 108, n 2-3 p 22.
3
nombreuses tentatives de retenir la population sur place, aucune mesure n’a pu
véritablement décourager la fuite des bras valides burkinabè dans leur quête de
mieux-être. L’indépendance acquise en 1960 sonne l’ère d’une émigration voltaïque
plus régulée en lieu et place de l’émigration forcée, jadis imposée par les colons.
Convaincues des intérêts que le pays pourrait tirer de la « vente » de ses fils, les
nouvelles autorités voltaïques régulent l’émigration, afin de la rendre bénéfique aussi
bien au pays de départ, aux pays de destination, qu’aux émigrants eux-mêmes. La
période des années 1980 a, elle, été marquée par une tentative de freiner l’élan des
émigrants par la mise en place de mesures incitatives (aménagement des vallées des
voltas, des vallées du Kou, du Sourou) et par le contrôle de sortie du territoire
(instauration de laissez-passer sous le régime du Conseil Militaire de Redressement
pour le Progrès National : CMRPN) pour maintenir les populations sur place. Mais, ces
tentatives s’étant soldées par des échecs, la Côte d’Ivoire et le Ghana deviennent les
principales destinations des Voltaïques. Ainsi, entre 1919 (année de la création de la
colonie de Haute-Volta) et 1960 (année de son accession à l’indépendance), on
estime officiellement à 1 765 000 et 780 000 les effectifs de Voltaïques ayant émigré
respectivement en Côte d’Ivoire et au Ghana4.
Mais, à partir des années 1990, les Burkinabè affluent surtout vers la France,
l’Italie, l’Espagne, les Etats-Unis, le Canada et aussi vers d’autres pays comme
l’Arabie Saoudite, l’Algérie, la Libye, le Soudan, le Gabon et plus récemment vers la
Guinée Equatoriale. L’Europe, et de plus en plus les Etats-Unis deviennent un
eldorado pour certains candidats à l’émigration. Ainsi, d’une migration jadis Sud-Sud,
le Burkina Faso5 connaît désormais un autre type de migration : les migrations Sud-
Nord.
Aujourd’hui encore, on est en droit de penser que la récession économique, la
crise ivoirienne (ayant occasionné l’expulsion massive de Burkinabé en 1999, 2002 et
2003), la crise financière internationale intervenue en 2008 et dont les effets sont
toujours ressentis, la montée de la xénophobie dans certains pays d’accueil, les
rapatriements forcés et autres tracasseries n’ont pas découragé l’émigration
burkinabè. Selon les statistiques disponibles à ce jour, on estime à douze millions
4 SAWADOGO Ram Christophe, communication sur l’intégration de l’émigration au processus de développement au Burkina Faso, Assemblée générale du CSBE du 8 au 10 décembre 1998, rapport final, Ministère des Affaires étrangères et de la Coopération régionale. 5 C’est à partir de 1984 que la Haute volta devient Burkina Faso.
4
(12 000 000) le nombre de Burkinabè à l’étranger6. Un tel chiffre ne peut laisser
indifférent, d’où le choix de notre thème : « L’émigration burkinabè et ses impacts
sur le Burkina Faso ». En clair, il s’agira pour nous, au cours de cette réflexion,
d’appréhender l’émigration au Burkina Faso à deux niveaux :
- Premièrement, quels sont les facteurs qui ont favorisé cette hémorragie humaine ?
Quelle en sont les raisons et quels sont les efforts de l’Etat dans la gestion de
l’émigration ?
- Deuxièmement, quels sont les impacts de ce phénomène sur notre pays : Quels sont
ses avantages et ses inconvénients ? En un mot, peut-il être un levier ou un obstacle
au développement de notre pays ? Cette problématique nous amène à situer le
contexte et à justifier l’étude.
6 Statistiques du CSBE 2008. En réalité, le CSBE ne dispose pas de statistiques sur certains pays
comme la Sierra Leone, l’Espagne et bien d’autres pays qui pourraient avoir beaucoup de Burkinabè. De même, la plupart des données sont approximatives, voire discutables.
5
Contexte et justification de l’étude
Face aux nombreux problèmes liés notamment au manque d’emplois et à la
crise économique que traversent beaucoup de pays, les migrants sont de plus en plus
confrontés à des difficultés de cohabitation, d’intégration, voire d’établissement dans
les pays d’accueil. Ces problèmes se résument notamment à la xénophobie et à la
fermeture du marché de l’emploi.
Les Etats africains, déjà éprouvés par les problèmes sociopolitiques et surtout
économiques, rencontrent d’énormes difficultés pour juguler les problèmes liés à la
migration dans des pays où le taux de chômage est déjà élevé. Dépassés par le flot
des migrants, certains pays africains n’ont pas hésité à expulser les étrangers de leur
territoire, comme ce fut le cas du Ghana (1969) et du Nigéria (1985). De plus,
certaines autorités politiques à l’image du Président Omar Bongo ont tenu des propos
très hostiles à l’égard des étrangers : « La gendarmerie doit aller de boutique en
boutique, surtout lorsqu’elles ne sont pas tenues par des Gabonais. Tous ceux qui ont
pour noms libanais, etc…nous volent ; ils assassinent l’économie gabonaise. Alors, je
vous demande d’entreprendre des contrôles. La gendarmerie sera récompensée :
Tout ce que vous trouverez, vous aurez 10% sur le bénéfice. Au Gabon, il n’y a pas de
mendiants…qui sont ces mendiants ? Ce sont des gens que nous hébergeons…Le
soir, ces femmes aux figures fardées de mille couleurs avec le sac au dos comme si
elles étaient à Pigalle ou à St Denis…Tous ces gens ne sont que des étrangers, une
fois de plus…messieurs les officiers, vous prenez le camion, vous les embarquez, et
après les avoir examinées, allez en faire « la proie » des soldats. Comme cela au
moins, quand il y aura cinq, six soldats qui passeront dessus, elles comprendront que
l’on ne doit pas faire la rue au Gabon» (Yamba, 1987 : p. 27)7.
L’Europe non plus n’est pas à l’abri de la politique de fermeture des frontières.
A ce propos, l’ancien ministre de l’intérieur belge Tobback affirmait : « Le salon
européen est plein8». Pour Ouédraogo D. (1997), l’Union européenne tente de réduire
le flux des étrangers sur son espace à travers les accords de Trévi en 1995, de
Schengen en 1985, de Dublin en 1990 et de Maastrich en 1991. Les problèmes liés à
l’immigration massive des populations issues des pays pauvres vers l’Europe ont
soulevé des vagues de protestations dans les sphères politiques. Dans cette
7 Ces propos ont été extraits par Gilbert Yamba du discours d’Omar Bongo à la gendarmerie le 25 janvier 1985, paru dans l’hebdomadaire « AFRIQUE NOUVELLE » du 12 février 1985. 8 In Mayoyo B.T. (1994 :5)
6
perspective, Michel Rocard, ex Premier ministre français déclarait lui aussi en
substance que l’Europe ne pouvait accueillir toute la misère du monde.
Mais, en dépit de toutes ces mesures restrictives et dissuasives, les candidats à
l’émigration ne désarment pas. Bien au contraire, ils multiplient les stratégies pour
atteindre leurs objectifs. On est donc tenté de se demander « pourquoi les
mouvements migratoires se perpétuent ou s’accroissent malgré les conditions
économiques défavorables dans les pays d’accueil, malgré les politiques restrictives et
malgré la montée des xénophobies. » (Lalou, 1996 : p. 350).
Le Burkina Faso, qui est réputé pays d’émigration par excellence, n’échappe pas non
plus au phénomène de l’émigration, d’où l’intérêt de notre étude.
Ainsi présenté, l’intérêt de notre étude est de nous interroger sur le phénomène
de l’émigration au Burkina Faso. Dans un pays dont l’économie repose en grande
partie sur l’agriculture, il est plus que nécessaire de poser le diagnostic sur le
phénomène de l’émigration et d’analyser ses impacts sur le pays. En outre, dans un
contexte mondial marqué par des crises à répétition (crise économique et financière,
conflits armés, montée de la xénophobie, racisme…) dans les pays d’accueil, il n’est
pas évident qu’aller à l’étranger soit aussi profitable aux émigrants, comme on pourrait
le penser. Par ailleurs, la gestion des migrants est aujourd’hui si complexe que tous
les Etats se doivent d’en tenir compte dans le cadre de leur politique étrangère à
travers des accords internationaux tant bilatéraux que multilatéraux. C’est sans doute
ce qui explique la signature d’un accord entre notre pays et la France en 2008 pour
une gestion concertée des flux migratoires.
Notre étude a pour objectif d’attirer l’attention des pouvoirs publics, des
décideurs ainsi que des migrants eux-mêmes sur la nécessité de mettre un bémol sur
les avantages de l’émigration, qui, en réalité, dépendent fortement de la stabilité des
pays d’accueil dont la plupart sont encore à la phase du renforcement de leur
démocratie. Dans notre démarche, nous privilégierons l’analyse documentaire, les
enquêtes et entretiens avec des structures en charge des questions migratoires.
Par ailleurs, cette étude vise à montrer que les départs massifs des Burkinabè à
l’extérieur a été le fait de plusieurs facteurs dont le plus important est essentiellement
historique (la colonisation). Mais, la persistance du phénomène aujourd’hui ne saurait
être justifiée par la même raison. Dans tous les cas, ses impacts sur le Burkina Faso
sont indéniables et ont déjà fait l’objet de plusieurs études. Il convient tout de même
de signaler que les différents apports des Burkinabè de l’étranger ne sauraient être
7
bénéfiques pour le pays que si cela passait par une politique bien définie et axée sur
une migration de développement. Ces départs massifs de populations ne sont pas
sans conséquences pour le pays, mais ne semblent pas être pris au sérieux par la
plupart des acteurs du domaine, d’où l’importance de la deuxième partie de notre
réflexion. Nous y montrerons les avantages déjà engrangés par le Burkina Faso et la
nécessité d’une bonne gestion des questions migratoires d’une part et les effets
négatifs et pervers occasionnés par l’émigration d’autre part. Mais auparavant, il
convient de définir les concepts.
8
Définition des concepts
Migration : Pour le dictionnaire Le petit Larousse illustré, édition 2009, le mot
migration vient du latin migratio, qui signifie entre autres le « déplacement de
population d’un pays dans un autre, pour s’y établir ».Il désigne aussi le
« déplacement quotidien ou saisonnier de populations entières de certaines espèces
animales, entre deux zones géographiques distinctes, ou deux habitats différents
propres à une même espèce.9 » Selon le recensement général de la population et de
l’habitat (RGPH) de 2006, la migration suppose un changement de résidence avec
une durée effective de six mois ou avec l’intention de résider à l’extérieur pendant ce
délai.10.
Ces définitions mettent en relief les notions de déplacement (distance), de
résidence (habitat) et de durée (temps). Lorsque des migrations ont lieu entre entités
territoriales, elles sont qualifiées de migrations internationales ou externes. Celles qui
ont lieu essentiellement à l’intérieur d’une même entité administrative de référence
sont dites migrations internes. Ainsi, selon le sens dans lequel a lieu la migration, on
parle d’émigration ou d’immigration.
Emigration : « action d’émigrer » ; et émigrer vient du latin emigrare qui signifie
« migrer hors de ; quitter son pays pour s’établir dans un autre, s’expatrier11».
Partant de cette définition, et en prenant comme entité de référence le pays, nous
entendrons par émigration dans le cadre de notre travail, les migrations hors des
frontières du Burkina Faso. Nous emploierons également le terme migration externe
pour désigner l’émigration.
Immigration : «Entrée dans un pays d’étrangers venus s’y installer12». Il s’agira ici
des mouvements de populations entrant sur le territoire national.
Immigrer : Ce mot vient du latin immigrare qui signifie « venir se fixer dans un pays
étranger au sien13».
Burkinabè de l’étranger : Il est question ici des Burkinabè établis hors du pays.
Solde migratoire : C’est la différence entre l’immigration et l’émigration. En d’autres
termes, il s’agit de la différence entre les entrées et les sorties de populations. Le
solde est dit positif lorsqu’il y a plus d’entrées que de sorties et à l’inverse il est dit
négatif.
9 Dictionnaire le petit Larousse illustré, édition 2009 p. 646
10 INSD, Analyse des résultats du recensement général de la population et de l’habitat 2006 11 Le dictionnaire Larousse, op.cit. p. 361 12 Le dictionnaire Larousse, op.cit. p. 520 13 Le dictionnaire Larousse, ibidem
9
Rapport de masculinité : il s’agit ici du ratio hommes-femmes
Impact : «Effet produit par quelque chose ; influence qui en résulte14».
Diaspora : On pourrait définir la diaspora comme étant l’«ensemble des membres
d’un peuple dispersés à travers le monde mais restant en relation.15»
Nous emploierons indistinctement Burkinabè de l’étranger et émigrés pour
désigner la même réalité. Dans notre démarche, nous ferons dans un premier temps,
le point sur le contexte historique de l’émigration au Burkina Faso en y présentant les
caractéristiques de la population émigrante, les raisons et cadres de gestion de
l’émigration (Partie I) avant de nous interroger sur ses impacts sur le Burkina
Faso (Partie II).
14 Le dictionnaire Larousse, op.cit.p. 522 15Le dictionnaire Larousse, op.cit.p. 319
10
PARTIE I : HISTORIQUE DE L’EMIGRATION AU BURKINA FASO
Dans cette première partie, il sera question pour nous de présenter le contexte
historique et l’évolution de l’émigration au Burkina Faso. Nous y donnerons les raisons
ainsi que les cadres de gestion mis en place par les autorités burkinabè. Mais,
auparavant, une brève présentation du Burkina Faso s’impose.
En 1984, la Haute-Volta est rebaptisée Burkina Faso. Très peu nanti en
ressources naturelles, c’est un pays pauvre classé parmi les moins avancés de la
planète. Situé dans la boucle du Niger avec une superficie de 274 122 km², il est
délimité au Nord et à l’Ouest par le Mali, à l’Est par le Niger et au Sud par le Bénin, le
Togo, le Ghana et la Côte d’Ivoire. Le 05 août 1960, le pays accède à la souveraineté
internationale. Son économie repose essentiellement sur l’agriculture et l’élevage,
deux secteurs qui occupent plus de ¾ de la population active, mais qui ne
contribuaient que pour 37,2 % du produit intérieur brut (PIB) du pays en 1998 (INSD,
EDS03, p.1)16. Quant à son histoire, elle est fortement marquée par des mouvements
perpétuels de populations depuis les temps coloniaux. Aujourd’hui encore, le
phénomène persiste et une bonne partie de la population en est touchée. Les raisons
de l’émigration varient d’un migrant à un autre et son ampleur d’une région à une
autre, modifiant ainsi sans cesse la physionomie de la population burkinabè. La
présente partie nous permettra d’étudier les caractéristiques des émigrés burkinabè et
leurs parcours migratoires (Chapitre I). De même, nous verrons les principales
raisons de départ ainsi que les cadres de gestion (Chapitre II).
16 Analyse des résultats définitifs du RGPH de 2006, p.34
11
Chapitre I : Les caractéristiques et parcours des émigrés burkinabè
L’analyse des caractéristiques et parcours des émigrés burkinabè passe par la
présentation de la population émigrante. Mais, avant d’y arriver, il convient de
présenter d’abord la population burkinabè en général.
La population était évaluée à 2.135.000 en 1890. Elle a augmenté lentement jusqu’au
milieu du XXème siècle, avant d’entrer dans un cycle de croissance accélérée. Depuis
lors, la population augmente de manière considérable et selon les statistiques, elle
pourrait atteindre 22 à 23 millions en 2025 comme l’indique le graphique ci-dessous.
Graphique 1 : Evolution de la population burkinabè de 1890 à 2025
Sources : INSD et http://www.library.uu.nl/wesp/populstat/Africa/burkinft.htm
Dès son accession à l’indépendance, le Burkina Faso a effectué des opérations
de recensements qui ont permis de connaitre le nombre d’habitants de 1960 à 2006.
Ainsi, l’enquête de 1960-1961 a donné 4.342.647 habitants ; celle de 1975 a donné
5.638.203. Dix ans plus tard, c’est-à-dire en 1985, on a enregistré 7.964.705
habitants. L’opération de 1991 a donné 9.190.791 habitants. En 1996 on en a
enregistré 10.312.609 et 14.017.262 habitants au dernier recensement général de la
population et de l’habitat en 2006. Le taux d’accroissement annuel moyen est de
l’ordre de 7,1% avec une densité moyenne nationale de 51,4 habitants au km². Les
hommes sont au nombre de 6 768 739, soit 48,3% et les femmes 7 248 523 soit
51,7%17. Cela traduit un déficit d’hommes qui s’exprime par un effectif relatif de 93
hommes pour 100 femmes. Quant à l’émigration, elle est caractérisée par les
17
Analyse des résultats définitifs du RGPH 2006, p. 22
12
mouvements de la jeunesse, la ruralité et la masculinité (Section I). Les parcours
migratoires, eux, se font essentiellement dans la sous-région. Mais, ils tendent à se
réorienter vers d’autres cieux (Section II).
Section I : Les caractéristiques de l’émigration burkinabè
Le recensement général de la population et de l’habitat de 2006 indique que la
population burkinabè est en majeure partie rurale et jeune. Le milieu urbain compte
3 181 967 résidents (soit 22,7% de la population totale) contre 10 835 295 (soit 77,3%
de la population totale) pour le milieu rural18. Ces statistiques parlent d’elles mêmes
quant à la ruralité de la population burkinabè. En plus d’être rurale, elle est jeune.
Selon ce même recensement, plus de 30% de la population ont moins de 10 ans,
tandis que celle de moins de 15 ans représente 46,6%. La tranche de 15 à 64 ans
représente 50% et la population ayant 65 ans et plus seulement 3,4%. L’âge moyen
est de 21,8 ans pour l’ensemble de la population. En plus d’avoir une origine
essentiellement rurale, l’émigration concerne les jeunes et surtout les hommes.
Paragraphe I : Une émigration essentiellement d’origine rurale
Les données des différents recensements et enquêtes effectués à ce jour
attestent que l’émigration revêt un caractère essentiellement rural au Burkina Faso.
Ainsi, l’étude sur les mouvements migratoires en Haute-Volta de 1969 à 1975 indique
que « presque 70% des migrations ont comme origine la zone rurale dont plus de 40%
ont une origine rurale mossi19.»
Selon le recensement général de la population de 1985, les dix premières
provinces en matière d’émigration sont le Yatenga (14%), le Bulkiemdé (8%), le
Passoré (7%), le Boulgou (5,4%), l’Oubritenga (5%), le Sanmatenga (4,6%), le Poni
(4,6%), le Kouritenga (4%), la Comoé (3,9%) et le Sanguié (3,8%). Les soldes
migratoires les plus élevés viennent respectivement du Yatenga, du Passoré, du
Bulkiemdé, de l’Oubritenga et du Sanmatenga. Par ailleurs, cette tendance sera de
nouveau confirmée par l’enquête démographique de 1991 qui révèle aussi que le
milieu rural est la principale aire de départ des émigrés. En effet, sur les 293 870
émigrés de 1985 à 1991, 225 143 soit 86,8% de l’effectif total viennent du milieu rural.
Cette enquête montre que les principaux points de départs sont le Bulkiemdé (7,5%),
18
Analyse des résultats définitifs du RGPH 2006 op.cit. 19
Der Laurent DABIRE ; émigration internationale des Burkinabè, p. 23
13
le Houet (7,2%), le Bazèga (6,5%), le Sourou (6,5%), le Boulgou (5,5%), le Yatenga
(4,7%), le Mouhoun (4,5%), la Bougouriba (4,3%), l’Oubritenga (4,3%), le Passoré
(4,2%) et le Kadiogo (4,2%).
L’enquête migration et urbanisation de 1993 atteste également que les émigrés
burkinabè proviennent en grande partie du milieu rural. En effet, 93,8% des 121 931
émigrés de la période concernée sont issus du milieu rural. Les provinces les plus
touchées alors étaient le Yatenga (5,7%), le Bulkiemdé (5,5%), le Sanmatenga (4,8%),
le Passoré (4,3%), le Poni (4,1%), la Bougouriba (2,5%) et le Noumbiel (2,4%)20.
Le recensement général de la population et de l’habitation de 1996 fait état de
372 284 émigrés dont 356 442 soit 95,7% sont des ruraux contre seulement 4,3%
pour le milieu urbain. Les six provinces les plus concernées sont le Yatenga (7%), le
Bulkiemdé (6,8%), le Boulgou (6,5%), le Poni (5,5%), le Sanguié (4,6%) et le
Sanmatenga (4,1%).
Jusqu’à présent, les différentes réflexions menées sur les mouvements de
populations soulignent la ruralité et la jeunesse de l’émigration au Burkina Faso.
Quant aux enquêtes issues du recensement général de la population et de l’habitat de
2006, elles révèlent qu’entre 2002 et 2006, plus de 60 000 personnes, en majorité
d’origine rurale ont émigré. Les principales zones de départ sont essentiellement le
Centre-Ouest avec 15,7%, suivi du Sud-Ouest et du Centre-Est avec 12,3% chacun,
de la Boucle du Mouhoun avec 11,2%. Par contre, des régions comme celles des
Cascades, du Centre-Sud et du Centre ont un faible taux d’émigration avec
respectivement 3,1%, 3,9% et 4%. Par ailleurs, cette population émigrante reste
dominée par les hommes.
20
Der Laurent DABIRE, op.cit. p. 24
14
Paragraphe II : Une émigration principalement masculine et jeune
Les recensements et enquêtes réalisés indiquent pratiquement les mêmes
tendances quant au genre et à la tranche d’âge de la population émigrante.
Déjà, des données des enquêtes de 1960, il ressort que 76,1% des émigrés ont l’âge
compris entre 10 et 29 ans. Le recensement de 1975 quant à lui, précisait qu’en
décembre 1975, 334 715 individus dont 235 778 hommes et 98 937 femmes,
résidaient à l’étranger. Les hommes représentent 70,4% de l’effectif total des émigrés
de cette période et la tranche d’âge de 15 à 39 ans représente 69%, tandis que celle
comprise entre 20 et 29 ans y représente 38,6%.21 Le recensement général de 1985
quant à lui, confirme la jeunesse des migrants externes. En effet, sur les 83 475
émigrés des douze derniers mois qui ont précédé le recensement de 1985, 45,7%
sont des personnes dont l’âge se situe entre 20 et 29 ans22.
L’enquête démographique de 1991 atteste également la prédominance des
bras valides. Pour la période allant de 1985 à 1991, elle a enregistré 293 870 émigrés
dont 208 452 de sexe masculin et 85 418 de sexe féminin. La tranche d’âge de 15 à
30 ans y représente à elle seule 63,8% de l’effectif total.
Le recensement de 1996 ressort aussi pratiquement les mêmes tendances. Pour la
période allant de 1985 à 1996, plus de 70% des émigrés des douze derniers mois
précédant ledit recensement sont des jeunes dont l’âge varie entre 15 et 30 ans et on
y compte 84,4% d’hommes.23
Le recensement de 2006, révèle que durant la période 2002-2006, 292 013
migrants externes ont été enregistrés avec 83,7% d’hommes contre 16,3% de
femmes. De plus, la tranche d’âge comprise entre 15 et 29 ans représente 64,3% de
la population ayant émigré dans cette période. Le graphique ci-dessous montre
justement l’évolution de l’émigration de 2002 à 2006.
21
Cf. INSD : Recensement général de la population, décembre 1975, volume 1, pages 42 ; 100 et 102. 22
Cf. INSD : Recensement général de la population du Burkina Faso 1985, Analyse des résultats définitifs, pages 84, 95. 23
Der Laurent DABIRE, op.cit. p. 21
15
Graphique 2 : Evolution de l’émigration burkinabè de 2002 à 2006
Source : Produit par l’auteur sur la base des résultats définitifs du RGPH 2006.
A l’analyse du graphique, nous pouvons dire que les mouvements de
population vers l’extérieur du pays sont en grande partie effectués par les hommes,
avec au moins quatre fois plus d’émigrés de sexe masculin que de sexe féminin.
Toutefois, l’on constate que durant la période 2002-2006, l’écart entre les émigrés des
deux sexes a considérablement baissé avec un rapport de masculinité passant de
521% en 2002 à 489% en 2006. Cela s’explique par l’augmentation de l’émigration
féminine passée de 6 168 en 2002 à 10 260 en 2006, soit une croissance annuelle
moyenne de 9,2%.
Ces variables que sont la ruralité, la jeunesse et la masculinité de la population
émigrante nous permettent de cerner les caractéristiques essentielles de l’émigration
au Burkina Faso. Cependant, les multiples péripéties qu’a connues le pays
(colonisation, suppression de la colonie etc.), vont déterminer fortement les parcours
migratoires burkinabè.
16
Section II : Les parcours migratoires des Burkinabè
S’il est connu que le Burkina Faso est un pays d’émigration, il convient aussi de
préciser que les migrants suivent un itinéraire qui varie en fonction de leurs intérêts.
Initialement « intéressés24 » par la sous-région (paragraphe I), ceux- ci vont, au début
des années 1990, s’orienter vers d’autres destinations en Afrique, mais aussi vers
l’Europe et l’Amérique (paragraphe II).
Paragraphe I : Le parcours sous- régional
Face aux nombreux besoins d’une population sans cesse croissante, aggravés
en cela par les effets néfastes de la colonisation, les migrants vont tenter leur chance
sous d’autres cieux. Cet état de fait se renforcera à la suite des vicissitudes que va
connaître la colonie de la Haute-Volta à partir de 1919, année de sa création par le
pouvoir colonial. Réputée colonie « non viable », elle sera supprimée et partagée
entre les colonies de Côte d’Ivoire, du Soudan français (actuel Mali) et du Niger.
Dès lors, le mouvement d’émigration de la Haute-Volta vers les pays de la côte, en
particulier la Côte d’Ivoire et le Ghana, va s’amplifier considérablement, faisant de ce
pays un réservoir de main d’œuvre pour les pays du littoral. C’est ainsi que pendant la
période 1922-1939, il était exigé de la Haute-Volta « 6000 travailleurs, renouvelés tous
les six mois, pour l’achèvement du chemin de fer Thiès-Kayes (…), 2200 pour le
chemin de fer de Côte d’Ivoire »25.
L’enquête démographique par sondage de 1961 fait état de 47 748 Voltaïques
au Ghana et de 86 266 en Côte d’Ivoire à cette période. Pendant ce temps, des
sources officielles ivoiriennes et ghanéennes comptaient pour la même période
195 157 Voltaïques au Ghana et 489 000 en Côte d’Ivoire26.
Ces deux pays en particulier, et l’Afrique de l’Ouest en général, se présentent comme
étant les premières destinations des émigrants voltaïques. Cette tendance est
confirmée par l’étude sur les mouvements migratoires en Haute-Volta réalisée entre
1969 et 1973 qui révèle que « le flux le plus important, sans l’ombre d’un doute, est
celui de la Côte-d’Ivoire en provenance de la zone rurale mossi (…) »27. En effet, sur
24
De gré ou de force 25
Jean Suret-Canale : Afrique noire occidentale et centrale, l’ère coloniale, Editions Sociales, Paris, 1964 p.319 26
Der Laurent DABIRE, op.cit. p. 26 27
Victor PICHE, Joël GREGORY, Sidiki COULIBALY: vers une explication des courants migratoires voltaïques, in Travail, Capital et Société, Université de Montréal, volume 13, N° 1, avril 1980, p. 87
17
un total de 336 022 émigrés pendant cette période, 298 656, soit près de 88,9% ont
eu pour destination la Côte d’Ivoire. Quant à l’enquête ivoirienne sur les migrations et
l’urbanisation de 1993, elle révèle qu’en 1975, 1988 et 1993, les Burkinabè vivant en
Côte d’Ivoire représentaient respectivement 52,5% des 1.474.000 étrangers, 51% des
3.039.000 étrangers et 52,9% des 3.310.000 étrangers vivant sur le sol ivoirien. En
outre, l’enquête migration et urbanisation au Burkina Faso de 1993 montre que les
émigrés burkinabè choisissaient la Côte d’Ivoire comme premier pays de destination
(38,4%), suivie du Mali (7,3%), de la Gambie (5,6%), du Ghana (5,2%), du Niger (4%),
de la Mauritanie (3,9%), du Gabon (3,7%), du Togo (3,3%), des autres pays africains
(16,3%) et de l’occident (12,5%). Cette tendance à une destination sous-régionale des
émigrés burkinabè est confirmée aussi par les données du réseau migration et
urbanisation en Afrique de l’Ouest (REMUAO) de la même année concernant huit
pays de la sous-région (Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée, Mali, Mauritanie, Niger,
Nigéria, Sénégal). Cette étude indique qu’entre 1975 et 1993, la principale destination
des émigrés burkinabè était la Côte d’Ivoire (91,5%) suivie du Niger (4,1%) et du Mali
(2,8%) comme l’illustre le graphique ci-dessous.
Graphique 3 : Destinations des émigrés burkinabè de 2002 à 2006
Source : Produit par l’auteur sur la base du RGPH 2006
On s’aperçoit que les émigrés restent dans leur grande majorité dans la sous-
région en dépit de la crise qui la secoue actuellement, faisant de l’Afrique de l’Ouest la
principale destination de l’émigration burkinabè. Mais déjà, depuis les années 1990,
18
les Burkinabè vont se diriger vers d’autres régions d’Afrique et de plus en plus vers
l’Europe, l’Asie et l’Amérique. On est même tenté de se demander si la tendance ne
sera pas inversée, au regard de la crise qui secoue le Côte d’ivoire, principale
destination des émigrants.
Paragraphe II : Le parcours international
Pendant la période coloniale et même après les indépendances, les émigrés
burkinabè ont privilégié la sous-région comme destination, notamment la Côte d’Ivoire
et le Ghana. Mais, le Ghana sera moins attrayant à cause de la détérioration de son
économie due à la chute des prix de ses matières premières agricoles (café, cacao)
sur le marché international dans les années 1970. Au niveau de la Côte d’Ivoire, la
mise en place des politiques d’exclusion et l’instauration de la carte de séjour en 1991
qui devait renflouer les caisses de l’Etat ivoirien, vont provoquer des mouvements de
retour de certains émigrés au pays. D’autres par contre, préfèrent s’orienter vers
l’occident. Ainsi, à la migration Sud-Sud, s’ajoute la migration Sud-Nord. Par exemple,
la présence remarquable des Burkinabè en Arabie Saoudite pourrait s’expliquer par le
pèlerinage musulman organisé chaque année dans ce pays et auquel de nombreux
Burkinabè prennent part. En effet, beaucoup d’entre eux auraient profité du temps où
le droit de résidence ou d’établissement était reconnu aux étrangers pour s’y
installer28. D’autres profitaient des opportunités offertes par ce pays, pour développer
leurs affaires et finissaient par s’y établir. En Europe, l’Italie constitue la première
destination des Burkinabè. Ce pays a commencé à attirer surtout les Bissa à partir des
années 1970. En effet, plusieurs entreprises en Côte d’Ivoire détenues par des Italiens
ayant fermé suite aux difficultés économiques, certains employeurs ont décidé
d’emmener avec eux des ouvriers. A partir de cet instant, des réseaux familiaux se
sont développés et déjà en 1994, on dénombrait près de 3000 Bissa en Italie, y
compris les clandestins29.
Mais, l’arbre ne saurait cacher la forêt ; ces statistiques sont largement
discutables, car le Conseil Supérieur des Burkinabè de l’Etranger (CSBE) ne dispose
pas de données concernant un bon nombre de pays. Cette situation est encore
aggravée par l’existence de l’émigration clandestine. Cet état de fait limite d’ailleurs
notre étude et biaise quelque peu nos données. Pourtant, des statistiques plus fiables
28 Der Laurent DABIRE, op.cit. p. 29 29 Les migrants en situation irrégulière.
19
nous auraient permis d’appréhender l’importance et l’évolution de l’émigration
burkinabè vers l’occident. Néanmoins, l’état des lieux (voir annexe III) nous donne une
idée approximative du nombre des Burkinabè vivant hors d’Afrique. Dans tous les cas,
le Burkina Faso présente un solde migratoire négatif avec l’étranger selon les
différentes opérations de recensement.
A titre indicatif, nous avons pu recueillir les statistiques de l’année 2010 à
l’aéroport international de Ouagadougou, concernant les migrations.
Tableau 1 : Sorties et entrées à l’aéroport international de Ouagadougou en 2010.
Périodes Sorties Entrées Solde migratoire
1er trimestre 12 492 9 323 - 3169
2ème trimestre 13 751 13 209 - 542
3ème trimestre 18 373 18 998 625
4ème trimestre 13 878 15 756 1878
Total 58 494 57 286 -1028
Source : Produit par l’auteur sur la base des données de la police de l’aéroport
Il convient tout de même de préciser que ces données sont très minimes, car
elles ne concernent que les émigrés passant par l’aéroport dont le nombre est en
réalité très insignifiant par rapport aux autres. Malheureusement, nous n’avons pas pu
avoir de statistiques concernant ces derniers cas. Selon le Commissaire de police de
la Division de la Migration, les fiches de bord qui servaient à identifier les passagers et
leurs différentes destinations ont été supprimées sous la pression30 des organisations
de la société civile. Cela ne permet plus d’avoir une idée précise sur le nombre de
personnes qui quittent le pays.
En résumé, nous disons que l’émigration au Burkina Faso est d’origine
principalement rurale. Elle est aussi le fait des hommes, surtout des jeunes.
Initialement dirigés vers la sous-région, les mouvements de population s’orientent de
plus en plus vers d’autres cieux. Mais, l’ampleur et la nature de l’émigration suscitent
de nombreuses questions dont la principale est celle de savoir les facteurs qui
motivent de tels départs à l’étranger et les efforts de l’Etat dans sa gestion, objet de
notre chapitre II.
30
En effet, les organisations de la société civile, en l’occurrence les syndicats, ont estimé que la fiche de bord exigée aux chauffeurs constituait une entrave à la liberté d’aller et de venir des personnes.
20
Chapitre II : Les raisons et cadres de gestion de l’émigration
L’émigration est un phénomène ancien au Burkina Faso. En effet, si elle date
des temps coloniaux, force est de constater que ses raisons, au départ historiques,
vont se muer en raisons économiques et sociales (section I). Par ailleurs, les autorités
ne sont pas restées indifférentes face à la fuite de la population. Elles ont mis en place
des cadres pour gérer l’émigration (section II).
Section I : Les raisons de l’émigration
Plusieurs facteurs expliquent l’émigration dans notre pays. Mais, dans le cadre
de notre étude, nous en retiendrons les plus pertinents à savoir les raisons historiques
et celles socio-économiques.
Paragraphe I : Les raisons historiques
Historiquement, l’émigration ne saurait être dissociée de la colonisation.
Conquise par la France en 1896, la colonie de Haute-Volta subit en toute logique les
idéaux capitalistes au détriment de ses structures sociales. Pour R. Luxembourg « le
capitalisme a effectivement besoin pour son développement et son existence de
formes de production non capitalistes auprès de lui. Mais, cela ne veut pas dire que
n’importe laquelle de ces formes puisse lui être utile. Il lui faut des couches sociales
non capitalistes comme débouchés pour sa plus-value, comme source de moyens de
production et comme réservoir de main-d’œuvre pour son système de salariat.»31
Cette situation va désintégrer la société voltaïque surtout avec l’instauration de
l’impôt de capitation, des recrutements et des travaux forcés.
A. L’impôt de capitation
En dehors des droits de douane, l’impôt représentait la seule poche de recettes
des colonies françaises. Hormis les personnes invalides, les militaires et leurs familles,
tout membre de ménage était tenu de payer annuellement ses impôts. L’âge minimal
était de huit ans en 1896 ; il a été relevé à quatorze ans en 193732.Initialement payé
par village, puis par famille, l’impôt est par la suite appliqué par individu. Au départ, il
était payé en nature (mil, poulet, autres produits vivriers). Par la suite, il sera payé en 31 Yamba Mamadou MOYENGA, la signification de l’émigration rurale mossi vers la Cote d’Ivoire, Mémoire de maîtrise en philosophie, Université de Dakar 1982-1983, p.17 32
Cf. Sidiki COULIBALY : Les migrations voltaïques : les origines, les motifs et les perceptions des politiques, Thèse de doctorat, Université de Montréal, 1978, p. 47
21
franc français, devenant ainsi une grosse charge pour les populations. La valeur de
l’impôt de capitation variait de 0,25 à 11 francs par tête avant 1924, avant d’atteindre
12 francs partout en 1928.33 Cette charge que constitue l’impôt est confirmée par
l’Administrateur français de Ouahigouya, dans son rapport annuel de 1909 : « Les
indigènes ont fait preuve d’une réelle bonne volonté à s’acquitter rapidement de leur
contribution. D’ailleurs, il faut le reconnaître, l’impôt pèse sur les habitants du Yatenga
(138 000 F pour 250 000 habitants).»34
Mais, contrairement à l’avis de l’Administrateur, l’entrée de l’impôt n’est pas due à
un quelconque civisme fiscal de la part des populations du Yatenga et dans une large
mesure, à celui de toute la colonie. Elle est plutôt due aux mesures coercitives en
vigueur, car il fallait le payer nécessairement pour éviter les humiliations.
Au fil du temps, les besoins croissants de l’administration coloniale vont faire grimper
les impôts. Les délais de perception étaient assez brefs et les impôts de plus en plus
élevés. Par exemple, à Ouagadougou, l’impôt est passé de trois cent onze mille
(311 000) en 1906 à six cent cinquante six mille (656 000) francs français en 1910. Au
niveau de Ouahigouya, il est passé de douze mille cent cinquante (12.150) en 1899 à
trois millions cinq cent mille (3.500.000) FF en 192935. Les cauris (monnaie locale)
cèdent la place à la monnaie coloniale, obligeant du même coup les populations à
travailler sur les chantiers de l’administration coloniale. Dans cette optique, on pourrait
convenir avec S. COULIBALY que « le mouvement hors du territoire voltaïque fut
avant tout un mouvement de protestation, de révolte contre l’autorité coloniale, un
mouvement de fuite qui désavouait la pratique coloniale36». En plus de l’impôt de
capitation, on note aussi les recrutements et travaux forcés.
B. Les recrutements et travaux forcés
En 1919, la colonie de Haute-Volta devenait une entité qu’il fallait développer et
rendre « viable ». Mais, la nouvelle colonie ne disposant d’aucune ressource naturelle,
le Gouverneur Hesling mit l’accent sur la culture du coton. Pendant huit ans (de 1919
à 1927), il s’efforce de rendre « viable » la colonie qu’il administre. Mais, l’échec de
cette politique cotonnière se manifeste par une crise alimentaire en 192737. Suite à la
désillusion née du faible essor de la production cotonnière, la nécessité de rendre utile
33
Victor PICHE, Joel GREGORY, Sidiki COULIBALY : op. cit. p. 79 34
Yamba Mamadou MOYENGA, op.cit p.18 35
Sidiki COULIBALY, op. cit p. 48 36
Sidiki COULIBALY, op. cit p. 52 37
J. Y Marchal ; chronique d’un cercle de l’AOF ; édit. Minuit-Paris 1978-p 6
22
la colonie par d’autres moyens s’imposa : faute de pouvoir produire du coton, la
colonie devait produire des hommes. En 1931, le bilan de la nouvelle politique se
présentait comme suit : « En Haute-Volta, colonie de trois millions de paysans, la
gouverneur général de l’AOF (Afrique occidentale française) a levé 25 276
manœuvres de 1920 à 1924 pour des travaux du chemin de fer de Thiès (Sénégal) ;
42 830 de 1921 à 1930 pour le chemin de fer Abidjan-Ferkéssédougou et il y a levé
16 451 manœuvres de 1920 à 1930 pour les coupes de bois et les plantations38». On
peut retenir à travers ce bilan que 84 557 personnes ont été arrachées à leur terre
natale en l’espace de dix ans.
La suppression de la colonie en 1932 va accélérer cette hémorragie humaine
favorisée par des mesures administratives rendues plus souples. En 1936, soit quatre
ans plus tard, on recensait déjà 20 000 ouvriers voltaïques en Côte d’Ivoire dont 50%
recrutés de force39. En plus des recrutements pour les travaux forcés, on notait
l’enrôlement militaire pour les deux guerres mondiales.
A propos des recrutements forcés, le gouverneur colonial du Yatenga donnait
les précisions suivantes en 1916 : « La population résiste de plus en plus au
recrutement. Pourtant tout à été fait pour désarmer les hostilités. 3 500 F de menus
objets (mouchoirs de couleur, pipes, tabac, couteaux, glaces etc.) ont été achetés et
distribués aux travailleurs, quelques-uns aux chefs40… ». Le tableau ci-dessous
illustre l’ampleur des recrutements forcés et des migrants volontaires.
Tableau 2: Travailleurs recrutés de force et migrants volontaires entre 1940 et 1944
Conditions d’émigration
Année de recrutement
Recrutés de
force
Migrants
volontaires
Total
1940 6 228 3 021 9 249
1941 14 897 24 669 39 566
1942 36 300 78 860 115 160
1943 55 000 - 55 000
1944 58 555 - 58 555
Source : Songré A. SAWADOGO J.M, SANOGOH G. : Réalités et effets de l’émigration massive des Voltaïques dans le contexte de l’Afrique occidentale française, international african institute 1974, p. 38.
38
J. Y. Marchal ; op.cit p.26 39
Y. M. MOYENGA ; op.cit p.21 40
J. Y. Marchal ; op.cit p.86
23
Ces milliers de départs et la culture du coton rendue obligatoire vont
bouleverser profondément la société traditionnelle voltaïque, ainsi que son système de
production. Les populations n’ont plus le temps de pratiquer la culture vivrière. De
plus, les milliers de bras valides arrachés des villages sans tenir compte du calendrier
agricole auront un impact négatif sur les récoltes, déjà mises à mal par l’archaïsme
des moyens de production et les aléas climatiques.
Inévitablement, la famine s’installe et oblige le gouverneur de Ouahigouya à
admettre la situation dans son rapport annuel de 1914 : « La situation politique est
bonne, la population est tranquille. Malheureusement, la situation économique est très
mauvaise. Le mil est rare, les indigènes cherchent des racines de nénuphars dans les
mares desséchées et les femmes les feuilles des arbres dans la brousse. J’ai trouvé
pendant cette année 23 villages. Ces villages comprenaient l’année dernière une
population de 13 495 imposables. 3354 sont morts de famine. »41
En fait, les victimes sont plus nombreuses, si on y ajoute les vieillards, les enfants et
les impotents qui sont en réalité les plus vulnérables.
C’est à partir de ce moment que l’on assiste à des départs massifs vers des
colonies plus prospères. Ainsi, en 1914, le seul cercle de Ouahigouya enregistrait
12 000 départs vers le Ghana. Entre 1927 et 1928, ce chiffre passe à 60 000. En
1932, une grave famine éclate et provoque plus de 34 000 nouveaux départs dans le
plateau mossi. Selon le Consulat français à Accra, il y avait 80 000 à 100 000
ressortissants « français » se trouvant en Côte de l’or.
Mais, aux raisons historiques vont se substituer des raisons socio-économiques.
Paragraphe II : Les raisons socio-économiques
Dans ce paragraphe, nous avons retenu deux variables qui traduisent bien les
raisons évoquées par les migrants pour justifier leur départ. La variable économique
renvoie ici à la motivation économique c’est-à-dire la nécessité de se procurer de
l’argent afin de faire face aux différents besoins de la famille (nourriture, vêtements
etc.). La variable sociale correspond à la motivation sociale c’est-à-dire à l’ensemble
des autres facteurs sociaux pouvant influencer l’émigrant et conditionner son départ.
41
J. Y. Marchal ; op.cit p.86
24
A. Les raisons économiques
L’idée la plus avancée pour justifier la migration est d’ordre économique. Les
hommes vont là où ils peuvent espérer améliorer leurs conditions de vie. En général,
les migrants se déplacent des zones à faibles revenus vers les zones où la
rémunération des travailleurs est plus élevée. La loi Houphouët Boigny du 11 avril
1946 mettant fin aux travaux forcés n’a fait que favoriser les mouvements d’émigration
des Voltaïques vers la Côte d’Ivoire, avec des conditions attrayantes (instauration d’un
salaire minimum, prime de rendement, congés et gratuité du transport par le train…).
Dans ce contexte, les mouvements migratoires changèrent de nature.
Initialement collectifs et forcés, ils prirent la forme d’actes individuels et volontaires. De
même, les raisons qui, au départ, étaient purement coloniales, devinrent sociales et
économiques. L’économie paysanne étant une économie de subsistance, l’agriculture
tient une place importante dans le pays. Mais, elle connait de graves difficultés en
raison des multiples déficits céréaliers dus aux aléas climatiques. Cette économie est
aussi dominée par les méthodes rudimentaires. S’en suivent alors des famines
comme le confirme un migrant de retour cité par Eric P. BANGRE « Vous savez ici au
Burkina, ça ne va pas. Il nous manque beaucoup de choses. La nourriture manque, il
n’y a pas de sous pour pouvoir se nourrir. Il ya beaucoup de choses qui manquent ici.
Donc c’est la souffrance qui fait qu’on se déplace, on sort. Il faut sortir sinon, ça ne
peut pas aller, sortir et libérer ceux qui sont restés ici » (B.H. migrant de
retour/Béguédo)42. A la question de savoir pourquoi les gens partaient à l’étranger, le
chef d’un canton de Boromo a répondu ainsi au moment de la sécheresse « faites
pleuvoir de l’argent et de la pluie et les gens n’iront nulle part »43.Dans cette même
optique, une étude réalisée sur les mouvements migratoires en Haute-Volta (1969-
1973), concernant les motifs de départ, a révélé ce qui suit : à la question de savoir si
avant leur départ, ils avaient besoin d’argent pour réaliser quelque chose d’important,
64% des émigrés ont répondu par l’affirmative. A celle de savoir si c’est le besoin
d’argent qui les a poussés à émigrer, 90% ont dit oui et 33,3% ont besoin d’argent
pour s’acheter des moyens de déplacement (mobylette, vélo) ou des biens de loisirs
(poste radio). En plus des raisons économiques, il convient de souligner également les
raisons sociales.
42
Eric B. P. BANGRE, les migrations internationales des Bissa en Italie : réseaux, stratégies et parcours migratoires, mémoire de maîtrise en sociologie, 2004-2005 p. 50. 43
Victor PICHE, Joël GREGOGRY, Sidiki COULIBALY, op.cit p. 77
25
B. Les raisons sociales
Au plan social, plusieurs raisons justifient les départs à l’étranger. Il s’agit
d’abord de la migration réussie. Cette réussite se lit à travers les signes extérieurs que
le migrant présente de deux manières : soit à travers ses photos qu’il envoie, ses
transferts d’argent et ses cadeaux aux parents et amis restés au pays ; soit à travers
les signes extérieurs de richesse qui témoignent de la métamorphose de l’enfant
devenu adulte.44
Aussi, les contraintes sociales comme les conflits de générations, le poids des
us et coutumes constituent –ils des facteurs d’émigration chez certains jeunes. A ce
sujet, Y. M. MOYENGA, en parlant de la signification de l’émigration mossi en Côte
d’Ivoire, affirme que « les difficultés de l’autonomie sociale et économique sont
contraignantes pour les jeunes. Ainsi, il est difficile pour le jeune Mossi de s’émanciper
dans son milieu d’origine. Le départ du village lui permet de satisfaire ce besoin
d’indépendance. »45 En effet, la fortune ramenée par le migrant de retour lui permet
de gravir une échelle sociale, en faisant montre de ses capacités financières, de son
savoir, d’où l’importance de la distribution de beaucoup de cadeaux et de l’exhibition
des beaux vêtements. On assiste alors à un processus de séduction et à la naissance
d’un mythe total chez certains jeunes du village, au regard du nouveau statut social
acquis par le migrant du fait de sa fortune. « Cette vision d’un ailleurs idyllique se voit
renforcée par les vantardises des migrants revenus de leurs premiers
déplacements46». Chez les Bissa, les migrants de retour sont également le reflet d’une
ascension sociale de sorte à aiguiser une envie de migrer chez les jeunes restés au
village. Le phénomène est d’une telle ampleur qu’ « il faut avoir un projet migratoire ou
appartenir à une famille de migrant pour prétendre à une fiancée dans la zone de
Béguédo et de Niaogho 47».
Chez certains peuples du Burkina Faso comme les Lobi48, une enquête a
révélé que ceux-ci se déplacent pour des raisons de manque de terre, l’épuisement et
l’insuffisance des terres et les querelles foncières.
44
MAYOYO B. TIPO TIPO, Migration Nord-sud : Levier ou obstacle au développement des pays d’origine : cas des migrants zaïrois en Belgique, mémoire de maîtrise, Faculté des sciences sociales et économiques ; section des sciences sociales, université libre de Bruxelles 1993- 1994 p. 70 45
Y. M. MOYENGA ; op.cit p.76 46
Y. M. MOYENGA ; op.cit p.77 47
BAZIE Hervé, la contribution des Burkinabè de l’étranger au développement local : les cas des communes de Béguédo et de Niaogho dans la province du Boulgou, mémoire de fin de cycle de l’IDRI, 2009, p.16 48
Ethnie du Sud-ouest du Burkina Faso.
26
Au cours de l’enquête de 1974-1975, 17% des émigrés ont reconnu s’être
déplacés à cause de la sécheresse et de la famine49. De même, à l’appauvrissement
des sols, déjà mis à mal par la rareté des pluies, le manque de jachère, l’érosion et les
pratiques culturales traditionnelles telles que l’agriculture itinérante sur brûlis, s’ajoute
une croissance rapide de la population burkinabè. Estimée à 4.349.000 habitants en
1960-1961, la population burkinabè est passée à 14.017.262 habitants au dernier
recensement de 2006. La population burkinabè étant à 85% agricole, nous convenons
avec Der Laurent DABIRE que « la croissance démographique accélérée entraîne
l’augmentation et la surexploitation des surfaces cultivables, la dégradation de
l’environnement et du cadre de vie »50. Cette situation entraine souvent des conflits et
l’émigration apparait pour certains comme une soupape de sécurité. Une autre raison
de l’émigration est qu’elle était assimilée à un moment donné de l’histoire du pays à
un effet de mode présenté comme « une initiation et un baptême réussi de celui qui
connaît le monde, de celui qui a fait ses preuves d’homme mûr, de celui qui a su
réussir dans des activités lucratives de Côte d’Ivoire, de celui qui a vu et vécu dans les
grandes villes et les régions côtières tous les mirages, de celui qui, en raison de tout
ceci, lorsqu’il est de retour dans son village d’origine, fait l’objet des regards préférés
des jeunes filles, etc.51»
Face à cette hémorragie humaine, les autorités ont toujours tenté d’apporter
des solutions. Certains régimes ont signé des accords et conventions avec d’autres
Etats dans ce sens, d’autres ont tenté de freiner l’émigration. D’autres par contre, ont
décidé de mettre en place des structures de contrôle et de gestion. Dans tous les cas,
cela n’a pas changé la donne quant à l’ampleur de l’émigration burkinabè.
49 Der Laurent DABIRE, op.cit. p.51 50 Der Laurent DABIRE, op.cit. p.52 51
SP/CONAPO, étude dans le secteur de la population, rapport sectoriel « migrations internationales et transferts de fonds », février 1995, p.9
27
Section II : Les cadres de gestion de l’émigration
Face à un phénomène aussi complexe que l’émigration, les nouvelles autorités
voltaïques ont, dès le lendemain des indépendances, pris un certain nombre de
mesures pour contrôler les sorties massives des populations du territoire qui, sans
doute, pouvaient compromettre les objectifs de développement du nouvel Etat. Dans
cette perspective, des cadres de gestion ont été institués : le cadre juridique
(Paragraphe I) et le cadre institutionnel (Paragraphe II).
Paragraphe I : Le cadre juridique
Dans le souci de gérer l’émigration, la Haute-Volta a signé des conventions
bilatérales avec la Côte d’Ivoire (9 Mars 1960), le Mali (30 Septembre 1969) et avec le
Gabon (13 Août 1973). La convention avec la Côte d’Ivoire se voulait un cadre légal
de protection des migrants après la suppression du SIAMO52. Mais, dans la pratique,
elle n’a pu maîtriser les flux migratoires, à cause des émigrations clandestines. Elle
n’a pu non plus survivre à cause du non- respect des clauses de ladite convention par
les parties. En 1981, le Comité Militaire de Redressement pour le Progrès National
(CMRPN) arrive au pouvoir. « L’instauration d’un laissez-passer vers la Côte d’Ivoire
marqua une volonté réelle de contrôler voire de freiner l’émigration vers ce pays de
destination des forces vives du Burkina53 ». Cette mesure sera abrogée avec l’arrivée
au pouvoir en novembre 1982 du Conseil de Salut du Peuple (CSP).
La convention signée avec le Mali autorisait la liberté de circulation entre les
deux pays d’une part et garantissait un accès équitable aux emplois publics des
ressortissants de chacun des deux pays d’autre part. Cependant, elle ne produisit pas
non plus les résultats escomptés.
Quant à la convention entre la Haute-Volta et le Gabon, elle était relative à une
coopération technique en matière de main d’œuvre. Elle visait la gestion des
mouvements des travailleurs voltaïques au Gabon, assortie d’un certain nombre de
dispositions en faveur de la protection des travailleurs et d’un mécanisme de suivi de
sa mise en œuvre. Mais, toutes ces conventions bilatérales se sont soldées par des
.52Syndicat interprofessionnel pour l’acheminement de la main-d’œuvre. 53Rapport sur les migrations ; gestion des migrations internes et externes : quelle politique migratoire en vue de la réduction de la pauvreté au Burkina Faso ? Rapport introductif, mai 2006, p.12
28
échecs et le Burkina Faso a opté pour l’approche multilatérale, facilitée en cela par la
création de la CEDEAO et de l’UEMOA dont le crédo est la libre circulation des
personnes et des biens dans le but de favoriser l’intégration sous-régionale.
Le Burkina Faso a également signé des accords bilatéraux relatifs à la migration avec
des Etats non africains comme l’Italie.
L’accord relatif au régime des visas entre la Haute-Volta et l’Italie signé le 8
juillet 1968 et ratifié le 5 août 1968 disposait en son article premier que « les
ressortissants voltaïques titulaires d’un passeport en cours de validité pourront se
rendre en Italie pour une durée maximum de 90 jours, par toutes voies et quel que soit
le pays de départ, sans être astreints à l’obtention préalable d’un visa d’entrée54. » Les
migrants burkinabè avaient d’autres faveurs selon les dispositions de l’article 3 du
même accord «les ressortissants voltaïques désirant séjourner en Italie pendant une
période supérieure à 90 jours ou pour y exercer une activité rémunérée, devront
obtenir un visa qui sera délivré gratuitement et conformément aux règlements en
vigueur par les autorités diplomatiques ou consulaires italiennes compétentes, avant
leur départ pour l’Italie. 55» Ce type d’accord a été signé avec les pays du Benelux56,
Cuba, l’Allemagne et la France. Mais ces accords ont été dénoncés par les pays du
Benelux et la France respectivement en mars 1993 et novembre 1978. Il convient tout
de même de signaler qu’en 2008, notre pays a signé un accord avec la France relatif à
la gestion concertée des flux migratoires et au développement solidaire. Cet accord
vise à encourager une migration professionnelle temporaire et comporte des
dispositions relatives à la réadmission et à la lutte contre l’immigration irrégulière.
Dans le cadre du développement solidaire, cet accord prévoit la mobilisation des
compétences et des ressources des migrants burkinabè, afin de favoriser le
développement et l’enrichissement du Burkina Faso. De plus, cet accord prévoit la
mise en œuvre de mesures concertées en vue de faciliter la réinsertion des migrants
dans leur pays d’origine.
Sur le plan multilatéral, le Burkina Faso a ratifié plusieurs instruments
internationaux pour gérer les questions migratoires. On pourrait citer par exemple la
Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations Unies de 1948, complétée
par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et le
Pacte international relatif aux droits civiques et politiques, en son article 13. Cette 54
BITIE Yaya, diaspora burkinabè et mécanismes de transferts monétaires pour un développement national, mémoire de fin de cycle, IDRI 2007, p. 25 55
BITIE Yaya, ibidem 56
Les Pays-Bas, la Belgique et le Grand Duché du Luxembourg.
29
Déclaration, ratifiée par le Burkina Faso, entérine la liberté de circuler et de résider à
l’intérieur des frontières d’un Etat, de même que le droit de quitter son pays.
La création plusieurs années plus tard des structures en charge des questions
migratoires accrédite la thèse selon laquelle la question migratoire n’aurait pas été
prise très au sérieux par les autorités voltaïques.
Paragraphe II : Le cadre institutionnel
Le cadre institutionnel renvoie aux structures ayant en charge des questions
touchant à l’émigration au Burkina Faso. On pourrait citer tout d’abord le Secrétariat
permanent du Conseil Supérieur des Burkinabè de l’Etranger (SP/ CSBE).
Rattaché au Ministère des Affaires étrangères et de la Coopération régionale, ses
missions sont définies par l’article 2 du décret N° 2007-308/PRES/PM/MAECR du 24
mai 2007. Ainsi, il est chargé :
de rassembler tous les Burkinabè de l’étranger sans distinction aucune ;
d’assurer leur pleine participation au développement économique, social et
culturel du Burkina Faso ;
de faciliter leur réinsertion dans la vie nationale ;
de participer à la promotion et au rayonnement du Burkina Faso dans le
monde ;
de faire mieux connaître et respecter les conventions, lois et règlements des
pays d’accueil ;
de susciter des actions sociales susceptibles d’améliorer les conditions de vie
des Burkinabè à l’étranger ;
d’apporter toute assistance aux structures associatives burkinabè dans la
mesure des moyens disponibles ;
de promouvoir des activités culturelles et sportives au sein des communautés
burkinabè à l’étranger.
Le CSBE est la structure en charge de la mise en œuvre de la politique du
gouvernement en matière de gestion des Burkinabè de l’étranger. C’est donc le canal
par lequel l’Etat assure le suivi, l’information, l’intégration et l’épanouissement des
compatriotes à l’extérieur en synergie avec les représentations diplomatiques du
Burkina Faso à l’étranger. Pour permettre aux Burkinabè de l’extérieur d’être en règle
vis-à-vis de leur pays d’accueil, le CSBE organise chaque année, en collaboration
avec d’autres ministères techniques, des missions consulaires hors du pays. Au cours
30
de ces missions conduites par le CSBE, des documents administratifs (passeports,
carnets de voyage CEDEAO57, jugements supplétifs d’acte de naissance, certificats de
nationalité…) sont établis au profit de nos compatriotes à l’étranger. On peut citer
ensuite d’autres structures qui constituent des maillons dans la gestion des questions
migratoires au Burkina Faso. Il s’agit du Secrétariat Permanent du Conseil National de
la Population (SP/CONAPO), rattaché au Ministère de l’Economie et des Finances. Il
est chargé d’élaborer, d’actualiser et d’assurer la mise en œuvre de la politique
nationale de population. Il s’agit aussi de la Division du Contrôle de la Migration (DCM)
et de la Division de la Police des Frontières (DPF). Elles relèvent toutes les deux de la
Direction Générale de la Police Nationale, qui relève à son tour du ministère en
charge de la sécurité. La DCM assure la police des étrangers, établit et contrôle les
titres de voyage. Quant à la DPF, elle est chargée du contrôle de la circulation
transfrontalière et de la sécurité aux frontières.
Le Conseil National de Secours d’Urgence et de Réhabilitation (CONASUR) est
rattaché au Ministère de l’Action Sociale et de la Solidarité Nationale. Il est chargé,
entre autres, d’élaborer et de mettre en œuvre, en collaboration avec les
départements ministériels compétents, le plan national de secours d’urgence et de
réhabilitation en cas de catastrophes naturelles ; de définir, planifier et coordonner les
activités et tâches ayant pour objectif de réduire les effets des calamités naturelles sur
le territoire national.
Le CONASUR a été cité dans notre travail, car il intervient en aval de l’émigration
pour assurer aux rapatriés des secours humanitaires d’urgence, et créer les
conditions nécessaires à leur réinsertion socio-économique.
Enfin, il y a certaines organisations de la société civile comme le TOCSIN58 qui
interviennent dans une certaine mesure dans la défense des droits et la protection des
Burkinabè de l’étranger.
L’on constate néanmoins que malgré tous ces efforts de la part des autorités
pour gérer les questions migratoires, le nombre de Burkinabè à l ’étranger reste difficile
à déterminer. En effet, toutes les structures rencontrées dans le cadre de cette étude
reconnaissent unanimement la difficulté majeure, quant à la détermination du nombre
de Burkinabè à l’étranger. En effet, selon le CSBE, seule structure à nous donner des
statistiques en la matière, nombreux sont nos compatriotes qui ne sont pas
57
Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest. 58
Tous pour le Combat de la Solidarité et de l’Intégration.
31
immatriculés59 dans les missions diplomatiques et Consulaires du Burkina Faso à
l’étranger. Cet état de fait rend difficile leur identification et surtout la défense de leurs
droits en raison de la clandestinité et de la méfiance à l’égard des missions
diplomatiques.
Tous ces facteurs ne favorisent pas un décompte exact des Burkinabè de
l’étranger. Néanmoins, les statistiques disponibles font état de douze millions onze
mille quatre cent quatre vingt onze (12.011.491) compatriotes à l’extérieur60 dont neuf
millions (9.000.000), soit près de 88% dans la sous- région (voir annexe III).)
CONCLUSION PARTIELLE
Cette première partie de notre étude nous a permis de cerner le phénomène
migratoire au Burkina Faso. L’analyse de l’émigration a révélé les caractéristiques de
celle-ci. Elle est rurale, masculine et jeune. Quant aux parcours migratoires, ils sont
concentrés dans la sous-région. Mais, on assiste à un changement de destination. Les
émigrants se dirigent de plus en plus vers l’Europe, les Etats-Unis, la Guinée
Equatoriale, le Gabon et le Soudan. Les raisons justifiant les départs étaient
essentiellement liées à la colonisation. L’indépendance acquise et les différentes
politiques mises en place ne pourront pas freiner les départs. Bien au contraire, les
statistiques parlent d’elles-mêmes et suscitent de nombreuses interrogations, dont la
plus pertinente est sans doute celle de savoir quel est l’impact de ces départs massifs
sur notre pays : c’est l’objet de notre deuxième partie.
59
Ceux qui se sont présentés à l’Ambassade pour se faire enregistrer. 60
Statistiques 2008 du CSBE
32
PARTIE II : IMPACTS DE L’EMIGRATION SUR LE BURKINA FASO
Les impacts des migrations internationales peuvent être analysés sous divers
angles, selon qu’il s’agisse d’un pays de départ ou de destination. De toute évidence,
l’on ne peut avoir les mêmes effets induits. Si pour les pays d’accueil, l’immigration
permet de combler le déficit de main d’œuvre, elle est de plus en plus source
d’insécurité et de problèmes socio-politiques, d’où les politiques restrictives. Quant au
pays de départ, il peut percevoir l’émigration comme une réponse aux nombreux
problèmes d’emplois et de pauvreté. Dans cette seconde partie consacrée aux
impacts de l’émigration sur notre pays, il s’agira pour nous d’appréhender les impacts
positifs (Chapitre I) et les impacts négatifs (Chapitre II).
33
Chapitre I : Les impacts positifs
Ils peuvent être analysés sous divers plans. Ainsi, que ce soit sur les plans
politique, socio-culturel ou économique, les départs des compatriotes pour l’étranger
ont des impacts positifs pour le Burkina Faso.
Section I : Sur les plans politique et socio-culturel
Le nombre impressionnant de Burkinabè à l’étranger est un facteur
déterminant dans les relations politiques entre le Burkina Faso et le reste du monde
(paragraphe I). En outre, le pays tire d’autres avantages socio-culturels de sa diaspora
(paragraphe II).
Paragraphe I : Sur le plan politique
Les caractéristiques spécifiques de l’émigration burkinabè sont des variables
dont les décideurs doivent tenir compte, dans le cadre de la politique étrangère du
pays. En rappel, notre pays compte plus de douze millions de ses fils à l’extérieur.
Dans ce cadre et comme le dit Der Laurent DABIRE, « le melting- pot peut constituer
un facteur d’échanges et d’enrichissements mutuels, tout comme il peut être source
de tensions vives entre autochtones et étrangers61.» A ce titre, le Burkina Faso dont la
population connait une mobilité permanente et importante, est amené à intensifier sa
coopération avec les Etats accueillant un nombre important de Burkinabè. Cette
coopération bilatérale a pour avantage d’éviter les remous sociaux et d’assurer une
bonne cohabitation entre les populations respectives. Par ailleurs, la création des
ensembles régionaux et sous- régionaux marque une volonté manifeste des décideurs
politiques de favoriser l’intégration régionale et sous-régionale, seul instrument
efficace pour lutter contre les effets transversaux de la migration tels que les réfugiés
et autres déplacés de guerre. La création de la CEDEAO et de l’UEMOA s’inscrit
justement dans ce sens. Dans cette situation, tout Etat qui envisage des mesures de
répression à l’encontre d’un autre Etat doit s’assurer qu’il ne compte pas un nombre
important de ses ressortissants sur le territoire de ce dernier. L’exemple le plus
pertinent en la matière reste l’attitude « diplomatique » des autorités burkinabè dans la
conduite des relations ivoiro-burkinabè depuis les évènements du 19 septembre 2002.
61 Der Laurent DABIRE, op.cit. p. 63
34
En tout état de cause, la présence massive de compatriotes en Côte d’Ivoire
constitue un facteur dont le autorités ivoiriennes se doivent d’en tenir compte dans la
mise en œuvre de leur politique à l’égard des étrangers.
En plus des avantages sur le plan politique, on peut noter ceux socio-culturels.
Paragraphe II : Sur le plan socio-culturel
Face à la pression démographique et au taux de chômage de plus en plus
élevés, l’émigration permet de contenir, ne serait-ce qu’à moyen terme, les pressions
sociales. L’Etat n’étant pas à même de répondre aux préoccupations sans cesse
croissantes des populations, quoi de plus normal que de permettre à un compatriote
dont on ne peut satisfaire les besoins d’aller tenter sa chance ailleurs ! En effet,
l’émigration permet de maintenir le contact entre parents ou amis déjà à l’extérieur
favorisant ainsi les échanges familiaux et amicaux. En outre, elle permet de
développer des échanges commerciaux.
Sur le plan culturel, on peut dire que les brassages des populations favorisent
la diversité culturelle dont peut profiter notre pays. Comme le disait l’écrivain Antoine
de Saint Exupéry « Si tu diffères de moi, loin de me léser, tu m’enrichis ». Par
exemple, à la faveur de la migration de retour, le pays s’enrichit grâce aux nouvelles
cultures et au savoir-faire acquis par les émigrés. A titre illustratif, on note dans le
domaine culinaire, une modification des mets burkinabè avec la production et la
commercialisation de « placali et d’attiéké »62 sur place, de foutou, de poissons fumés
et bien d’autres mets des pays côtiers. Au niveau musical également, certains
musiciens ont adopté le style musical ivoirien comme le coupé-décalé (groupe AS DJ).
D’autres ont renoué avec la musique du terroir (SANA Bob). Des thèmes de chansons
portent sur la paix (AS DJ et Yeelen). Certains entonnent des chants patriotiques
(Bezou)63 et d’autres fustigent la xénophobie (Dondossi). En plus de ces avantages
combien irréfutables, il convient de souligner que l’émigration a aussi et surtout des
avantages sur plan économique.
62Plats à base de manioc 63BATENGA M. Willy, communication sur les causes de l’émigration et leurs impacts sur la société burkinabè, 2006, p.12
35
Section II : Sur le plan économique
Sur le plan économique, il s’agit essentiellement des transferts de fonds des
émigrés (paragraphe I) dont l’impact reste indéniable pour les Burkinabè (paragraphe II).
Paragraphe I : Les transferts de fonds
Les transferts de fonds des émigrés burkinabè suivent des circuits différents (A)
et évoluent dans le temps (B).
A. Les circuits de transferts
Ils sont de deux types : le circuit formel et le circuit informel. Le circuit formel
renvoie aux structures bancaires ou de transferts d’argent officiellement reconnues.
Ces structures sont beaucoup plus rapides et plus fiables. On pourrait citer parmi elles
la Société Nationale des Postes (SONAPOST) pour les transferts effectués sous-
forme de mandats. Les autres types de transferts sont l’œuvre des institutions
bancaires et des organismes de micro-finances dont le plus connu reste le Réseau
des Caisses Populaires du Burkina (RCPB). Concernant les institutions bancaires, il
s’agit, entre autres, des établissements tels que la Banque Internationale du Burkina
(BIB), la Banque Internationale pour le Commerce, l’Industrie et l’Artisanat du Burkina
(BICIA-B), la Banque Agricole et Commerciale du Burkina (BACB), la Banque
Commerciale du Burkina (BCB), la Bank of Africa (BOA), ECOBANK, la Société
Générale de Banques au Burkina (SGBB), la Banque Sahélo-saharienne pour
l’Investissement et le Commerce (BSIC), la Banque Régionale de Solidarité (BRS), la
Banque Atlantique du Burkina Faso (BA-BF), la Banque de l’Habitat du Burkina (BHB),
Coris Bank International et la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest
(BCEAO). Quant au circuit informel, il n’est pas moins important en raison de la
méfiance de nos compatriotes vis-à-vis du circuit formel dont les rouages ne sont pas
toujours maîtrisés par ces derniers. A ce propos, le rapport 2005 de la Commission
mondiale sur les migrations internationales révèle que seule la moitié des fonds
transférés passe par les voies bancaires officielles.
Dans la pratique, les émigrés rentrent eux-mêmes avec leur argent, ou le
confient à un ami ou un frère qui rentre au pays. Ils le font également soit à travers les
convoyeurs ou transporteurs, soit par des agents privés connus des migrants mais
exerçant dans l’illégalité. Peu fiable, ce circuit est le plus souvent source de conflits à
36
cause des détournements de fonds et des pertes d’argent. Nous avons tenté de
vérifier l’importance du circuit informel dans les transferts de fonds dans le cadre de
nos recherches. Il en ressort que sur 100 personnes interrogées, 62 reçoivent les
fonds via le circuit formel, tandis que 38 les reçoivent par le circuit informel. En tout
état de cause, les données recueillies dans le cadre de ce mémoire sont celles issues
du circuit formel.
B. L’évolution des transferts de fonds
Les transferts de fonds de ces vingt dernières années évoluent en dents de scie
et restent totalement dominés par ceux provenant de la Côte d’Ivoire. En effet, avant
la crise politico-militaire survenue en 2002, la Côte d’Ivoire était de loin le principal
pays qui alimentait l’épargne rapatriée par les Burkinabè de l’étranger, avec plus de
90% des transferts. En moyenne, les montants annuellement transférés sont de 38,58
milliards de FCFA sur cette période, avec cependant des variations dont les plus
basses se situent en 2004 et 2005 (voir annexe IV) et les pics de 1996 à 1999 où on a
enregistré en moyenne 53,06 milliards de FCFA. On comprend donc aisément que
l’évolution de la courbe en dents de scie est essentiellement due à la crise ivoirienne
qui a durement frappé nos compatriotes et joué sur les transferts.
Graphique 4 : Evolution des transferts de fonds de 1990 à 2001 (en milliards de FCFA).
Source : Produit par l’auteur sur la base des données de la DGEP/DPAM
Il est évident que le volume des transferts de fonds dépend de la stabilité
politique. La crise ivoirienne a sûrement joué sur les transferts de fonds. C’est
d’ailleurs pourquoi il est difficile d’établir les statistiques à partir de 2002, année à
partir de laquelle les transferts de fonds ont amorcé une chute spectaculaire pour ne
37
plus atteindre leur niveau d’antant (voir annexe IV). Mais au fait, quel est l’impact de
ces fonds sur notre pays ?
Paragraphe II : L’impact des transferts de fonds
Les fonds transférés par les migrants sont d’une importance capitale. Au total,
le Burkina Faso a reçu de sa diaspora plus de 1200 milliards de FCFA entre 1980 et
201064. Ces fonds ont un impact tant sur la consommation et l’équipement (A) que
dans l’investissement au niveau des secteurs privé et public (B).
A. L’impact sur la consommation et l’équipement
Les émigrés burkinabè appuient énormément leur famille restée au pays grâce
à leurs transferts de fonds. Dans le but de mieux cerner l’impact des transferts, nous
avons interrogé 145 personnes rencontrées dans la ville de Ouagadougou. A la
question de savoir si oui ou non ils bénéficiaient de soutiens financiers et/ou matériels
de leurs parents émigrés, les réponses sont celles contenues dans le tableau ci-
dessous :
Tableau 3 : Répartition des personnes bénéficiant des fonds de leurs parents émigrés
Oui % Non % Sans réponse % Total
102 70,4 38 26,2 5 3,4 145 100%
On s’aperçoit que sur les 145 personnes concernées par l’étude, 102
bénéficient de soutiens de la part de leurs parents émigrés. Seules 38 n’en bénéficient
pas. Ces fonds sont jugés indispensables par la plupart des interviewés. Par ailleurs,
les fonds sont en grande partie affectés à la consommation, mais aussi à
l’équipement. En effet, ils servent à assurer l’achat des céréales et autres besoins en
nourriture pour les périodes de soudure. Ils sont également utilisés pour la
modernisation des moyens agricoles (achat de charrues, de motopompes etc.), les
questions de santé, de scolarité et d’obligations socio- religieuses (mariage, baptême,
funérailles, pèlerinage à la Mecque…). Selon l’Enquête burkinabè sur les conditions
de vie des ménages (EBCVM) de 200365, plus de 80% des revenus financiers servent
à couvrir les besoins de consommation courante de la famille. L’alimentation occupe
64 DGEP/DPAM (Ministère de l’Economie et des Finances) 65 INSD, Analyse des résultats de l’Enquête burkinabè sur les conditions de vie des ménages, rapport final, Ouagadougou, INSD, 2003, 223 p.
38
42,6% des revenus dont l’utilisation varie en fonction des régions. Au Nord et au
Centre-Sud par exemple, la couverture des besoins alimentaires occupe
respectivement 61% et 76% des revenus des ménages. Les besoins en construction
et en scolarisation se manifestent beaucoup plus dans le Plateau central (21,9% des
revenus pour la construction) et dans les Hauts-bassins (2,2%) sont investis dans
l’enseignement.
Notons aussi qu’à la faveur de la crise ivoirienne, les difficultés rencontrées par
les migrants de retour leur ont fait prendre conscience de la nécessité d’avoir un toit
chez eux. On assiste donc peu à peu à une réorientation de l’utilisation des fonds des
émigrés vers l’acquisition de logements, ce qui a créé un boom de l’immobilier dans la
ville de Ouagadougou et favorisé les spéculations foncières. Dans la région du Centre-
Est par exemple, l’habitat traditionnel fait de cases rondes en toit de paille est
remplacé par des habitations modernes. Selon cet enseignant de Béguédo interrogé
par Eric B. P. BANGRE, « les cours sans ’’en dur’’ ou les maisons en pailles, c’est
chez ceux qui n’ont personne en Italie, ou dont les enfants en Italie ne sont pas encore
en situation régulière et attendent de pouvoir revenir pour construire». Les photos ci-
dessous nous montrent justement la modernisation de l’habitat à Béguédo et Niaogho.
Photo 1 : L’habitat traditionnel
Source : Zedem 2008
Dans certaines familles, les cases rondes ont fini par céder la place aux
maisons construites en matériaux définitifs grâce aux fonds des émigrés.
39
Photo 2 : Habitats entièrement modernisés dans certaines familles à Béguédo
Source : Zedem 2008
Certains émigrés ont construit des maisons à niveaux qui forcent l’admiration.
Photo 3 : Une maison à niveau à Béguédo qualifiée de « duplex »
Source : Zedem 2008
Cette métamorphose de l’habitat à Béguédo lui a conféré un nouveau visage
qui attire les institutions bancaires et établissements financiers dont le souci est de
favoriser les transferts de fonds des « Italiens ». Aujourd’hui, on en compte 5 (BACB,
Banque Atlantique, SONAPOST, Caisse Populaire, Caisse des producteurs) et une
agence de transfert d’argent (Western Union).
40
Photo 4 : Un panneau publicitaire à l’entrée de la ville
Source : Zedem 2008
Les fonds jouent également un rôle de premier plan dans l’économie locale. En
effet, aux investissements dans l’immobilier s’ajoute le développement des
commerces (marchés et yaar, magasins et autres petits business center) qui confère à
l’ensemble de la zone, mais surtout Béguédo, un rôle économique important dans la
région du Centre-Est. C’est donc à juste titre que certains n’hésitent plus à vanter les
effets positifs de l’émigration : « Si ce n’est pas grâce à l’étranger, qu’est ce que je
peux réaliser ici ? Regardez ces deux maisons, j’ai construit tout ça la semaine
passée, j’ai deux tracteurs et un camion benne. Qu’est ce que je peux faire ici pour
trouver tout cela ? L’an passé, j’ai envoyé douze laboureuses que j’ai vendues66».
(G.M. migrant de retour/ Niaogho).
A Niaogho, justement, la modernisation de l’habitat est également une réalité, comme
l’illustre la photo ci-dessous.
Photo 5 : Maisons d’émigrés en finition à Niaogho
Source : Zedem 2008
66Eric B.P. BANGRE, op.cit. p. 90
41
Au- delà de la consommation, les fonds servent aussi à des investissements.
B. L’impact sur l’investissement
L’on pourrait définir ici l’investissement comme « une acquisition d’un capital en
vue d’en percevoir ou d’en consommer le revenu67». Ainsi défini, l’impact des
transferts de fonds des émigrés sur l’investissement est perçu à deux niveaux que
sont le secteur privé et le secteur public.
Au niveau du secteur privé, on note la création d’emplois à travers les
investissements dans les grandes, petites et moyennes entreprises et industries
(PME/PMI), dans les activités génératrices de revenu, dans la restauration, dans le
bâtiment et les travaux publics, dans le petit commerce (boutiques, quincailleries…), la
soudure, la menuiserie et la gestion de stations-services. Comme grandes entreprises
appartenant à des émigrés, on peut citer la société WATAM KAIZER, concessionnaire
de cycles et motocycles de Pathé OUEDRAOGO résidant en Côte d’Ivoire. On peut
citer aussi la société BTP d’Henriette KABORE, entreprise spécialisée dans les
bâtiments qui a exécuté les deux amphithéâtres de 1000 places de l’Université de
Ouagadougou et le siège de l’Office National de l’Eau et de l’Assainissement (ONEA)
au quartier Pissy de Ouagadougou. On note également les compagnies de transport
Société de Transport Aorêma et Frères (STAF), Central Transport International (CTI)
et Transport Sana Rasmané (TSR) qui sont des propriétés d’émigrés. De même, de
nombreux immeubles et cours communes à Ouagadougou, communément appelées
« célibatorium », sont des propriétés d’émigrés.
Au niveau du secteur public, l’impact des fonds se ressent particulièrement
dans les services sociaux de base tels que les écoles, les hôpitaux, les infrastructures
routières etc. En effet, les émigrés burkinabè appuient l’Etat par la construction ou
l’équipement de centres de santé et de promotion sociale (CSPS), de maternités,
d’écoles, de lycées et collèges, dans le but d’améliorer les conditions de vie des
populations dans les zones de départ. Par exemple, dans le souci de fédérer leurs
actions communautaires, les ressortissants de Béguédo et de Niaogho en Italie ont
créé respectivement l’Association des Ressortissants de Béguédo en Italie (ARBI) et
l’Association des Ressortissants de Niaogho en Italie (ARNI). Ces associations
travaillent avec les associations locales dont elles ont souvent suscité la création.
Grâce à celles-ci, Béguédo a bénéficié d’investissements importants. On peut citer la
67 Edouard BOUDA, op.cit. p. 45
42
rénovation du CSPS, la construction d’une maternité (5.700.000 F CFA), de salles
d’hospitalisation (500.000 F CFA), la dotation du CSPS en ambulances (voir photo 6),
un don de lits d’hospitalisation, de médicaments, etc. On note aussi le don d’un
électrocardiogramme, la constitution d’un fonds de 200.000.000 de F CFA pour
transformer le CSPS en Centre Médical avec Antenne Chirurgicale (CMA) etc.
Dans le domaine scolaire, on enregistre la construction d’un Collège d’enseignement
général, d’écoles primaires ainsi que le service de l’inspection. Il y a aussi la
construction en 1991 du commissariat de police estimé à 12.000.000 de F CFA, la
contribution au lotissement de la ville (15.000.000 de F CFA), à son électrification
(5.500.000 F CFA), à la réfection de la route Béguédo-Fingla et la construction d’un
pont (4.850.000 F CFA), à la réalisation d’un château d’eau (649.500 F CFA), de sept
mosquées, et d’un don de quatre ambulances.
Photo 6 : L’une des ambulances offertes par l’ARBI au dispensaire
Source: Eric B. P. BANGRE
Quant à Niaogho, ses émigrés ont également contribué à la rénovation du
CSPS, à sa dotation en 2 ambulances, à son équipement en lits d’hospitalisation et à
un soutien de 500.000 F CFA à la pharmacie. Ils ont également construit un Collège
d’Enseignement Général (CEG) avec des logements d’enseignants, des écoles
primaires, la gendarmerie, quatre mosquées, rénové la préfecture, lancé la
construction d’un hôtel, etc.
En résumé, les fonds transférés au pays par les migrants externes burkinabè
suivent deux canaux (formel et informel) et servent d’une part à la consommation et
d’autre part à l’investissement. Ainsi, au regard de ces avantages, on serait tenté
d’affirmer sans réserve que l’émigration peut constituer une bouffée d’oxygène pour
notre jeunesse confrontée à un chômage grandissant. Cependant, il convient de
43
relativiser cette perception des choses, car elle a aussi des impacts négatifs, objet de
notre chapitre II.
44
Chapitre II : Les impacts négatifs
Dans le présent chapitre, nous analyserons les impacts négatifs de l’émigration.
Il s’agit, entre autres, des bouleversements sociaux (section I), des retours forcés et
du désintérêt pour l’école dans certaines zones (section II).
Section I : Les bouleversements sociaux
Les retombées positives de l’émigration constituent d’une manière ou d’une
autre des facteurs de bouleversement de la société dans les zones de départ. De par
sa réussite et sa participation au développement de la communauté, le migrant
bouscule la hiérarchie et accède rapidement au statut de notable, statut qui ne
s’acquérait auparavant que de manière graduelle et en fonction de l’âge68. En effet,
l’émigration favorise les dissensions sociales (paragraphe I), et entraîne la fuite des
ressources humaines, de même qu’elle augmente le coût de la vie dans certaines
zones (paragraphe II).
Paragraphe I : Les dissensions sociales
Il s’agit ici des désaccords dus à la diversité des sentiments, des opinions et des
intérêts69. L’émigration provoque beaucoup de problèmes au sein de la société. Elle
fragilise les liens familiaux (A) et met à mal la solidarité au sein des villages (B).
A. La fragilisation des liens familiaux
Dans la plupart des zones où l’émigration a eu des retombées positives
significatives, le partage « du butin » est souvent source de conflits au sein des
familles, notamment entre coépouses dans les familles polygames d’une part et entre
les femmes des migrants restées au pays et leurs belles-mères d’autre part. Par
ailleurs, les destinataires des transferts ont des soucis avec les autres membres de la
famille, surtout lorsqu’après vérification, il s’avère que les règles de partage n’ont pas
été respectées. En outre, la mauvaise utilisation des fonds suscitent des tensions au
sein des familles. Si certains ont le courage de la dénoncer, ce n’est pas le cas pour
d’autres qui préfèrent privilégier la cohésion familiale : « Les frères que tu vois là, ils
m’ont trop bouffé. (…) C’est un peu compliqué mon type. Ça là, ça y est dans le sang.
Dès que tu bouges, tout le monde devient vampire. Si je veux t’expliquer là, on ne va
68 BITIE Yaya, op.cit p. 60 69
Dictionnaire Hachette, Edition 2007 p. 480
45
plus causer. Si tu ne fais pas attention avec ta famille, tu vas avoir des problèmes à
tout moment. Dès ton absence, les gens font ce qu’ils veulent. Eux ils disent que tu es
là-bas, tu as des millions. Tu peux envoyer de l’argent quelqu’un va prendre bouffer.
Tu laisses ta femme, l’autre récupère. On récupère tout. Donc les gens gèrent tous
nos biens. » (G.K. migrant/Niaogho).70
En plus des conflits familiaux, les femmes des migrants restées au pays vivent
une forme de célibat qui peut durer plusieurs années, en raison de l’absence
prolongée de leurs maris. Celles-ci sont alors confiées aux parents du marié. Les
soupçons d’infidélité ne tardent pas à fuser et dans ce cas, on assiste à des divorces
et répudiations. Toujours dans le Boulgou, on note un fractionnement social qui se
traduit par la cohabitation entre vieilles cases et maisons en « dur » comme l’attestent
les propos de Mme T : « Les cases rondes qui côtoient les grosses villas, ce sont les
cases des femmes qui n’ont pas d’enfants ou leur mari à l’extérieur. Dans certains
cas, ces gens-là crèvent de faim pendant que les mères et les femmes d’italien
mangent et jettent. C’est pourquoi chacune se bât pour que son mari ou son enfant
aille aussi en Italie».
B. Le déclin de la solidarité
L’une des vertus si chères à la société africaine et plus particulièrement au Burkina
Faso est sans doute la solidarité. Malheureusement, celle-ci fait de plus en plus place
à l’individualisme. Les journées d’entraides dans les travaux champêtres disparaissent
progressivement à cause de la modernisation de l’agriculture, de l’apparition d’un
salariat agricole, ainsi que de la faible implication des jeunes hommes valides dans
l’agriculture. Même les événements sociaux heureux et malheureux ne mobilisent de
plus en plus que les parents et alliés directs comme le témoigne ce récit d’une dame
fonctionnaire dans la localité «rien que la semaine dernière, il y a eu un décès dans
notre quartier. Un jeune, un Bara. Pendant que le corps était encore dans la cour et
les parents au cimetière, les commerces aux alentours sont restés ouverts : des
boutiquiers vendaient, des femmes continuaient de frire leurs poissons et de vendre
leur attiéké. Ici, c’est de plus en plus comme ça. Chacun s’occupe de ce qui le
regarde. Voir quelqu’un peiné à la tâche et aller lui porter secours spontanément !
C’est rare». Même les emprunts d’argent sont subordonnés soit à la présence d’un
parent du demandeur en Italie ou à sa possession d’animaux : «Si tu n’as personne à
70
Eric B. P. BANGRE, op. cit. p. 90
46
l’extérieur, ni d’animaux et tu veux emprunter de l’argent ou prendre quelque chose à
crédit, on ne te donne pas, parce qu’on n’est pas sûr que tu puisses rembourser». Par
ailleurs, en dehors de la perte de ces vertus cardinales qui caractérisent nos villages,
on note la fuite des ressources humaines et le renchérissement du coût de la vie dans
certaines zones.
Paragraphe II : La fuite des ressources humaines et le
renchérissement du coût de la vie
L’exode des compétences et celui des bras valides constituent à coup sûr une
perte majeure pour le Burkina Faso (A). En plus, des zones sont devenues
« invivables » pour certaines couches de la société à cause du coût élevé de la vie et
des spéculations sur les prix (B).
A. La fuite des ressources humaines
La perte de ressources humaines se manifeste par l’exode des compétences et
celui des bras valides. D’une manière générale, il n’existe pas de statistiques
concernant l’exode des compétences, mais il est évident qu’il est une réalité au
Burkina Faso. Certains pays comme les Etats-Unis et le Canada ont mis en place des
programmes comme la « green card » et « Access Canada » qui favorisent
l’émigration des jeunes burkinabè. Par ailleurs, une étude menée à l’Université de
Ouagadougou au cours de l’année 2000 a révélé que quatre (4) enseignants de
l’UFR/SEG71 ainsi que deux (2) de l’Institut Universitaire de Technologie sont partis
vers des organismes internationaux72.Quant à la fuite des bras valides, piliers sur
lesquels reposent l’agriculture et l’économie villageoises, elle est aussi préjudiciable
au développement du pays. Cette émigration porte atteinte à toutes les composantes
de la société, à commencer par la famille où certains chefs de famille sont mécontents
des inconvénients de ce phénomène. Pour eux, le départ des bras valides entraine
une pénurie de main-d’œuvre et donc une réduction des productions agricoles. Les
activités sont confiées aux femmes et aux enfants. « Je pense que la migration n’est
pas bien, car si mes enfants étaient là, ils feraient des choses ici chez moi qui te
permettront de savoir que j’ai du monde chez moi. Par exemple, vous êtes venus là, si
c’était pour me tuer, vous l’auriez fait et repartir sans même que personne ne vous
71
Unité de Formation et de Recherche en Sciences Economiques et de Gestion. 72
Taladidia Thiombiano, l’exode des compétences au Burkina Faso, Conférence régionale sur l’exode des compétences et le Développement des capacités en Afrique, du 22- 24/2000, Addis-Abeba.
47
voie. Mais, s’ils étaient là, peut-être qu’ils seraient avec moi ici ; et voilà que je suis
seul. Je veux même aller au dispensaire mais je suis seul, en quoi est-ce que leur
argent peut vraiment me satisfaire ?73» (C.B. famille de migrants/Niaogho). On assiste
ainsi à l’apparition du phénomène de femme chef de ménage. Désormais, il
appartient à la femme de travailler pour satisfaire aux besoins de toute la famille
(besoins alimentaires, vestimentaires, sanitaires etc.). Selon l’enquête sur les
migrations et l’urbanisation au Burkina Faso 1992-1993, « 7% des ménages burkinabè
sont dirigés par des femmes. Comparé au niveau observé en 1991, il apparaît que le
pourcentage de femmes chefs de ménage est en augmentation au Burkina Faso74».
Avec un tel phénomène, on comprend donc la persistance des disettes et famines
dans certaines zones de départ.
La responsabilité de la femme est d’autant plus grande qu’en plus de subvenir
aux besoins de la famille, elle doit assurer toute seule l’autorité parentale. En effet,
« c’est l’occasion pour les adolescents de s’émanciper prématurément de la tutelle
parentale. En l’absence du père pour contenir les fougues des enfants, ceux-ci
empruntent très facilement le chemin de la délinquance juvénile75.» Par ailleurs, on
assiste à un renchérissement du coût de la vie dans certaines zones de départ.
B. Le renchérissement du coût de la vie
Sur le plan économique, les plaintes sont assez fréquentes sur la cherté de la
vie dans la province du Boulgou, surtout lors des vacances des migrants. A Béguédo
et Niaogho par exemple, le phénomène des « italiens » a provoqué une inflation que
les fonctionnaires de la zone dénoncent. Les prix des produits de consommation
courante (riz, viande, sucre, légume, etc.) sont largement supérieurs à la moyenne
nationale et connaît une forte augmentation pendant les périodes de retour des
« italiens ».Il apparaît à ces périodes ce qui est communément appelé le « prix des
italiens ». Le marchandage est banni des transactions, du moins avec les
fonctionnaires. Le principe est « si tu ne peux pas, laisse !» Cette situation est
difficilement vécue par les fonctionnaires de la région qui trouvent que la vie à
Ouagadougou est beaucoup moins chère qu’à Béguédo et Niaogho. « Sincèrement, la
vie de Béguédo, c’est comme on l’a dit, c’est une vie réservée aux Italiens. On ne peut
73
Eric B. P. BANGRE, op. cit p. 101 74
REMUAO: Enquête sur les migrations et l’urbanisation au Burkina Faso (EMUBF) 1992-1993, rapport national descriptif, CERPOD, Bamako, 1997, p. 122. 75
Der Laurent DABIRE, ibidem.
48
rien faire. Le fonctionnaire qui vient pour payer quelque chose, on te vend au prix des
Italiens. Et toi tu n’as pas cette possibilité. Qu’est ce que tu vas faire ? Il va te dire que
si tu ne peux pas, il faut continuer ta route. Il ne tarde pas à dire ça, si tu ne peux pas,
tu laisses76.» (B. T. un fonctionnaire à Béguédo).
Ce renchérissement de la vie et le déclin de la solidarité accélèrent la
paupérisation des catégories vulnérables composées de vieillards qui n’ont aucun
parent en Italie. Pour survivre, certains d’entre eux sont obligés de vendre des
gravillons, comme l’illustre la photo ci-dessous.
Photo 7 : Vieilles « sans italiens » vivant de la vente des gravillons
Source : Zedem 2008
Outre ces problèmes, on note les retours forcés et le désintérêt pour les études.
Section II : Les retours forcés et le désintérêt pour les études
Les retours forcés sont le plus souvent des rapatriements. Généralement, les
émigrés n’y sont pas préparés et cela est source d’angoisse pour eux, pour leurs
familles et pour l’Etat (Paragraphe I). En outre, les retombées de l’émigration ont
ébloui les populations dans certaines zones et fait naître chez les élèves l’envie
d’émigrer, entrainant du coup un désintérêt pour les études (Paragraphe II).
Paragraphe I : Les retours forcés
L’un des phénomènes qui se développe de plus en plus en Afrique et
particulièrement au Burkina Faso est l’émigration clandestine. Les jeunes tentent de
se rendre en Europe le plus souvent dans des embarcations de fortune et au péril de
76
Eric B. P. BANGRE, op. cit. p. 98
49
leur vie. Les exemples en la matière sont légion et continuent de faire couler
beaucoup d’ancre et de salive. On pouvait lire par exemple dans le journal
l’Observateur Paalga du lundi 12 septembre 2005 « Immigration clandestine : Plus de
80 Burkinabè sauvés d’un naufrage au Cameroun ». Les enclaves espagnoles de
Ceuta et Melilla sont surtout les principaux points de passage des clandestins vers
l’Europe, malgré les conditions sécuritaires extrêmement renforcées. L’inconvénient
majeur dans ces pratiques est le rapatriement forcé. Ces retours involontaires au pays
sont très mal vécus par les migrants, car ceux-ci et leur famille voient tous leurs
projets s’écrouler.
Les irrégularités observées sur les documents de voyage comme l’expiration de
la validité du visa ou du permis de séjour, la falsification de certains documents de
voyage comme les passeports par exemple ou même l’incompréhension et les
malentendus avec les agents de la police de l’aéroport sont les principaux motifs
d’expulsion. Cet état de fait nous a été confirmé par le Commissaire de la Division de
la Migration pour qui cette pratique est devenue monnaie courante. Dans la plupart
des cas, les faussaires, une fois démasqués, prennent la clé des champs. Et lorsqu’ils
arrivent à passer entre les mailles des filets au Burkina Faso, ils sont rapatriés dès les
premiers contrôles aéroportuaires de l’Europe. Le tableau ci-dessous indique la
situation des émigrés rapatriés au cours de l’année 2010.
Tableau 4: Emigrés burkinabè en situation irrégulière rapatriés en 2010
Pays Nombre de rapatriés
Allemagne 2
Angola 5
Arabie Saoudite 164
Egypte 3
France 9
Gabon 5
Israël 12
Italie 4
Libye 158
Total 362
Source : Produit par l’auteur sur la base des données de la police de l’aéroport
Ce sombre tableau qui n’honore guère notre pays illustre la ferme volonté des
migrants de quitter leur patrie par tous les moyens, y compris ceux illégaux. En tout
état de cause, les rapatriements constituent un choc pour les migrants, mais aussi une
sérieuse angoisse pour les autorités burkinabè surtout lorsqu’ils sont fréquents et
massifs. A ce propos et à la faveur de la crise libyenne, près de deux mille de nos
50
compatriotes devaient être rapatriés au Burkina77. Au moment où nous bouclons ce
travail, on enregistrait déjà 671 rapatriés de Libye à la date du 1er avril 2011.Quant à
l’Observateur Paalga, il titrait à sa Une du 21 mars 2011, « Burkinabè rapatriés de
Libye : “Dieu merci, nous sommes en vie !” »
Photo 8 : L’un des vols qui ont ramené nos compatriotes de Libye
Source : L’observateur Paalga du lundi 21 mars 2011
Pourtant, les cas d’expulsion ne se comptent plus au Burkina Faso. Le
Ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation donne les chiffres de
463 expulsés de la Libye entre le 31 juillet et le 7 août 2002 ; 68 expulsés du Gabon le
10 juin 2002 et 276 000 rapatriés de la Côte d’Ivoire entre le 19 septembre 2002 et le
30 avril 200378. Concernant ce dernier cas, le gouvernement a été obligé de mettre en
place une opération dénommée « opération bayiri » et un dispositif d’accueil. En vue
de permettre une réinsertion socio-économique des ces rapatriés79, l’Etat, avec l’appui
de ses partenaires au développement, s’est engagé à les appuyer à hauteur de
quarante huit milliards quatre cent soixante millions cinq cent quatre vingt cinq mille
cinq cent douze (48. 460.585.512) francs CFA. Dans l’incapacité de réunir un tel
montant face à l’urgence du problème, un plan opérationnel80 a été adopté en Conseil
des ministres du 23 juillet 2003. Le plan opérationnel vise à redéployer les actions des
politiques, plans et programmes nationaux de développement, pour prendre en
compte les nouvelles préoccupations issues de l’arrivée massive des rapatriés. Les
77Cette information a été donnée par le Secrétaire Permanent du CSBE lors d’une interview accordée à l’observateur Paalga paru le 13 mars 2011. 78
Der Laurent DABIRE, op.cit p. 72 79
Cf. Dieudonné KINI : Présentation du plan d’appui à la réinsertion socio-économique des rapatriés, Atelier de formation sur la gestion des situations d’urgence humanitaire, 26-28 août 2003, Ministère de l’Action sociale et de la Solidarité nationale. 80
Cf. Dieudonné KINI : ibidem
51
activités à mener dans le cadre de ce plan sont évaluées à dix sept milliards quatre
vingt dix-neuf millions huit cent quatre vingt treize mille six cent trente sept (17. 099.
893. 637) francs CFA, étalés sur une période de trois ans81.
Malheureusement, nous ne connaissons pas le sort réservé à ce plan, car notre
demande d’entretien avec le CONASUR pour avoir de plus amples informations sur ce
sujet est restée lettre morte.
Certains émigrés reviennent très épuisés par les rudes travaux et le poids de
l’âge, constituant du même coup une charge pour le pays. En plus de la prise en
charge socio-économique, l’arrivée massive et imprévue des migrants de retour
grossit l’effectif des chômeurs et autres désœuvrés. On assiste à une insécurité
grandissante et à des problèmes de santé publique. Selon S. COULIBALY, « le centre
de psychiatrie de Bobo-Dioulasso par exemple traite plusieurs centaines de cas de
malades mentaux venant directement de la Côte d’Ivoire. Dans la plupart des cas,
l’échec, la drogue ou le surmenage sont les principales causes de leur maladie82».
Plus récemment encore, à la faveur de la crise post-électorale en Côte d’Ivoire, 83 241
compatriotes83 ont regagné le pays à la date du 26 mars 2011. Bien entendu, un
dispositif est mis en place pour leur accueil aux frais de l’Etat. En plus des
rapatriements, l’émigration a provoqué dans certaines zones d’autres effets pervers en
milieu scolaire.
Paragraphe II : Le désintérêt pour les études
L’émigration ayant occasionné une ascension sociale chez les migrants, cela
fait tache d’huile. Dans certaines zones comme la province du Boulgou, émigrer
devient l’objectif premier de la plupart des populations. Le milieu scolaire y est très
touché. On assiste donc à un désintérêt des élèves pour les études et à une
indiscipline grandissante au sein des établissements. De nombreux enfants sont
enlevés en cours d’année scolaire pour aller en Italie. S’en suivent alors des absences
répétées des classes, des taux élevés d’échec aux examens (primaires et
secondaires) etc.
81
Cf. CONASUR : Présentation des activités du CONASUR, Atelier de la Croix-Rouge, septembre 2003, Ministère de l’Action sociale et de la Solidarité nationale. 82
Sidiki COULIBALY : Migrations internationales et développement : Le cas de la Haute-Volta, INSD, Ouagadougou, 1982, p. 25. 83
CSBE
52
A ce titre, une étude de 2008 du Département de sociologie de l’Université de
Ouagadougou dans la localité de Béguédo a noté 30 cas d’abandon au premier cycle
du secondaire (de la classe de 6éme à celle de 3ème) pour la seule année scolaire
2007-2008. Il y a aussi de nombreuses exclusions dues à des résultats médiocres.
Selon le surveillant général du Lycée de Béguédo, 144 élèves (sur un effectif total de
600 élèves inscrits) ont été exclus en fin d’année scolaire 2006 – 2007. Les élèves
originaires de Béguédo atteignent rarement la classe de 3ème .Selon un agent d’une
inspection de cette localité, «c’est en 2007 qu’on a enregistré le plus grand nombre
d’enfants de Béguédo en classe de 3ème .Ils étaient quatre ; deux ont eu leur BEPC et
parmi eux, il y a un qui est parti en Italie». Par ailleurs, les différentes promesses
(d’aller en Italie) des parents aux élèves cultivent en eux l’indiscipline et le désintérêt
pour l’école. « La plupart des enfants qui sont là, même l’enfant du pauvre pense qu’il
peut aller en Italie. L’école n’est pas leur problème. Vous rentrez, vous posez la
question aux enfants là tout de suite, chacun veut aller en Italie. On a vu ici une
situation où un enfant a manqué de respect au maître. Alors, le maître a voulu lui faire
une leçon de morale, l’enfant a dit de toutes les façons CEPE ou pas CEPE, l’Italie est
garantie. On appelle le père de l’enfant, il vient dire que l’enfant a dit la vérité, mais
que l’enfant ne sait pas que toutes les vérités ne se disent pas. » (L.E, fonctionnaire
de Béguédo). Ce désintérêt pour l’école se traduit également par la primauté de la
langue locale qui est de plus en plus utilisée d ans les conversations entre élèves au
détriment de la langue française. Dans le corps enseignant aussi, on assiste à des
désertions, des abandons et des demandes de disponibilité pour émigrer. L’un des
derniers cas fut celui du directeur de l’école D de Béguédo. Le désintérêt pour l’école
est d’ autant plus important que les parents la résument à « savoir lire et écrire son
nom » pour échapper aux escroqueries pendant l’établissement des documents de
voyage. En outre, envoyer une fille à l’école lui donne plus de chance d’épouser
un « italien » car prendre une fille de niveau Cours moyen est un phénomène de mode
apprécié des migrants.
53
CONCLUSION PARTIELLE
Cette deuxième partie nous a permis d’appréhender les impacts de l’émigration sur
notre pays. On y retiendra deux aspects : l’émigration est bénéfique sur les plans
politique, socio-culturel et économique. Sur le plan politique, l’émigration impose une
entente et une diplomatie dans les rapports entre notre pays et ceux accueillant
beaucoup de nos compatriotes. Au niveau culturel, l’émigration permet une diversité
culturelle. Au plan économique, les fonds transférés sont affectés à la consommation
et à l’investissement. Les impacts positifs sont indéniables. Ils prennent la forme
d’achat de biens de consommation pour les familles restées au village, de construction
de logements et de bâtiments à usage commercial. Ils servent aussi à la construction
d’infrastructures sociales de bases comme les CSPS, les maternités, les écoles et
autres dons d’équipements techniques aux structures étatiques.
Cependant, les inconvénients de l’émigration sont loin d’être négligeables. La perte
des ressources humaines que sont les compétences et les bras valides constitue un
frein aux efforts de développement du pays qui aura payé le coût de leur formation. Le
départ des bras valides des villages vers l’étranger provoque des déficits céréaliers et
une pénurie de main-d’œuvre et responsabilise un peu trop les femmes des émigrés.
On assiste par ailleurs à une fracture du tissu social qui se manifeste par le déclin de
la solidarité, la fragilisation des liens de famille due au partage des retombées de
l’émigration et aussi la paupérisation et la vulnérabilité des vieillards. En outre, les
rapatriements et autres retours imprévus sont des sources d’angoisse à tous les
niveaux et surtout pour l’Etat, obligé de gérer des situations complexes comme celle
issue de « l’opération Bayiri » et plus récemment, celle née de la crise libyenne et
celle postélectorale en Côte d’Ivoire. Dans certaines zones, l’émigration a eu pour
effet de reléguer l’école à l’arrière plan ou du moins, de la réduire à savoir lire et écrire
son nom.
54
CONCLUSION GENERALE
L’analyse de l’émigration burkinabè et de ses impacts sur le Burkina Faso nous
a permis d’appréhender l’évolution de la population burkinabè en général et de celle
émigrante en particulier, depuis 1919, année de la création de la colonie de Haute-
Volta, jusqu’à nos jours. Ainsi, nous avons pu percevoir les éléments suivants :
Le contexte historique de l’émigration burkinabè
Au Burkina Faso, l’émigration est vieille et caractérisée par sa jeunesse, sa
ruralité et sa masculinité. De plus, la sous-région est la principale destination (plus de
94% de l’émigration totale). On peut donc conclure que dans leur grande majorité, les
émigrants burkinabè ne s’éloignent pas de leur patrie, même si à la faveur des
différentes crises qui secouent cette région, les migrants s’orientent de plus en plus
vers d’autres cieux.
Quant aux raisons de l’émigration, leur analyse nous a permis d’en déceler
deux principales : les raisons historiques et celles socio-économiques.
Les raisons historiques sont essentiellement le fait de la colonisation qui, en réalité, a
été la cause première de l’émigration burkinabè. Mais, à ces causes se sont ajoutées
celles purement économiques, dues à la recherche du bien- être.
Les raisons économiques sont les plus avancées dans le cadre de l’émigration. Les
problèmes liés au manque d’opportunités, à la faiblesse des rémunérations et à la
pauvreté en sont très souvent les raisons et en la matière l’homme part là où il espère
trouver mieux. Il convient de préciser aussi que certains départs sont dus à des
raisons purement sociales.
Les cadres juridico-institutionnels mis en place par les autorités peinent à
produire les résultats escomptés. En effet, les conventions bilatérales signées et
ratifiées par notre pays en matière de migration sont dénoncées, voire caduques. Il
convient de garder l’espoir que celui signé tout récemment avec la France en 2008
concernant la gestion concertée des flux migratoires et le développement solidaire ne
subisse pas le même sort que les premiers. Au sein de l’espace sous-régional, les
textes régissant la libre circulation des personnes et des biens ne sont que l’ombre
d’eux –mêmes, en témoignent les nombreuses expulsions et autres tracasseries
routières vécues par nos compatriotes. Sur le plan international, l’existence de
plusieurs conventions relatives à la protection du migrant n’ont pas connu meilleur
55
sort. On cite pour preuve les nombreux rapatriements et expulsions massifs. Au
niveau local, les structures en charge des questions migratoires sont confrontées à
d’énormes difficultés matérielles et financières pour mener à bien leurs missions. De
plus, il existe peu de synergie entre ces structures, au point que certaines se
retrouvent à faire le même travail, alors qu’un cadre de concertation de ces différentes
structures aurait permis de mieux fédérer les énergies. En tout état de cause, l’état
des lieux montre une estimation de plus de douze millions (12 000 000) de Burkinabè
à l’étranger.
Les impacts sur le Burkina Faso
Pour mesurer les impacts de l’émigration sur le Burkina Faso, il nous est
apparu nécessaire de les appréhender sous deux angles : Les impacts positifs d’une
part et ceux négatifs d’autre part.
Les impacts positifs
Ils sont de divers ordres : politique, social, culturel et économique. Au plan
politique, l’émigration permet une bonne orientation de la politique extérieure du pays,
prenant en compte la diaspora. Au niveau social et culturel, notons que les brassages
de populations créent une diversité culturelle. Sur le plan économique, les impacts
positifs de l’émigration se manifestent par les transferts de fonds destinés à la
consommation et aux investissements.
Par ailleurs, l’émigration permet de résorber les questions d’emploi et les
pressions sociales auxquelles l’Etat n’arrive pas à donner entière satisfaction.
Les impacts négatifs
Ils se traduisent par la fuite des ressources humaines. Il s’agit d’une part de la
fuite des compétences qui constitue un manque à gagner pour le pays et d’autre part
par le départ des bras valides qui provoque les déficits alimentaires, et le phénomène
des femmes chefs de ménages. Par ailleurs, l’émigration est devenue pour certaines
régions un signe de courage et de bravoure, voire une condition sine qua non de la
réussite sociale, à telle enseigne que l’école est reléguée au second plan.
En outre, dans plusieurs cas, les effets de l’émigration se traduisent par une
fracture sociale, un déclin de la solidarité et une aliénation de la part des émigrés. Le
retour devient extrêmement difficile, voire impossible pour d’autres migrants, et même
lorsqu’ils arrivent à revenir, ils sont fatigués, dépaysés et difficiles à intégrer. C’est
56
d’ailleurs ce qui explique qu’un grand nombre de rapatriés de l’ « opération bayiri »
soient repartis en Côte d’Ivoire.
L’émigration, levier de développement ?
Il est clair qu’une telle question mérite d’être posée au regard de l’importance de la
diaspora burkinabè. Ainsi, nous pensons que la réponse à cette question dépend
fortement des décideurs politiques à qui incombe l’organisation de la diaspora
burkinabè. Cela passe inéluctablement par un encadrement des Burkinabè de
l’étranger et une gestion plus efficace de l’émigration au Burkina Faso.
L’encadrement des Burkinabè de l’étranger
Au regard de l’importance des transferts de fonds et autres apports de la
diaspora burkinabè à sa patrie, un meilleur encadrement s’impose. Les autorités
doivent s’investir davantage dans la gestion des migrants qui, pour la plupart, restent
méfiants vis-à-vis de nos missions diplomatiques et consulaires à l’étranger.
L’ignorance et l’analphabétisme y sont pour beaucoup. Il est donc nécessaire de
sensibiliser les compatriotes, et de revaloriser le statut de l’émigré afin qu’ils prennent
davantage conscience de leur place dans le développement du pays. Déjà, les
initiatives du CSBE sont à encourager, sauf que celui-ci reste très limité dans son plan
d’action. Les contraintes budgétaires ne lui permettent pas de bien remplir ses
missions. Seules quelques84 missions consulaires et de sensibilisation lui permettent
d’entrer en contact avec la diaspora. Les assemblées générales du CSBE, tribunes
d’échanges entre diaspora et autorités politiques n’arrivent pas à se tenir
régulièrement.
Pour éviter tous ces soucis, il est souhaitable que les autorités envisagent la
création d’une institution qui regrouperait tous les acteurs du domaine et qui serait
dotée de moyens conséquents. D’aucuns proposent un ministère des Burkinabè de
l’étranger. Cette institution pourrait assurer le suivi des accords et conventions
internationaux qui tombent généralement en désuétude. Une chose est sûre, nul ne
peut rester indifférent face au chiffre de douze millions de compatriotes à l’étranger.
Qu’adviendra-t-il si on envisageait le retour de tous ces Burkinabè ? Cette question
nous amène à suggérer une meilleure gestion de l’émigration.
84Généralement deux missions consulaires et deux missions de sensibilisation au maximum par an.
57
Une meilleure gestion de l’émigration
L’émigration peut à la fois être un levier et un obstacle au développement d’un
pays selon la gestion qu’on en fait. Pour qu’il soit un levier de développement, il faut
mettre en place une politique migratoire clairement définie et axée sur la capitalisation
des retombées positives de l’émigration d’une part et la réduction de ses effets
pervers d’autre part. Cette politique devra intégrer tous les acteurs de la vie nationale
à savoir les émigrés, les organisations de la société civile et toutes les structures en
charge des questions migratoires. Cela permettra de donner une plus-value au
migrant burkinabè. Déjà, le projet Migration pour le Développement en Afrique (MIDA)
est une belle initiative qui pourrait contribuer à valoriser davantage les émigrés
burkinabè.
Mais, il est clair qu’il ne faut pas se laisser obnubiler par les avantages de
l’émigration au point de l’encourager. Il convient de savoir la canaliser pour en faire un
levier de développement tout en prenant des mesures incitatives de nature à maintenir
les populations sur place.
58
BIBLIOGRAPHIE
I- OUVRAGES
Deniel, R., 1968, De la savane à la ville, essai sur les migrations des Mossi vers
Abidjan et sa région. Collection Tiers monde et développement. Paris, Aubier, 185
pages ;
Der Laurent DABIRE ; 2009, Emigration internationale des Burkinabè, 104 pages ;
Dictionnaire Le petit Larousse illustré, édition 2009 ;
J. Y. MARCHAL ; chronique d’un cercle de l’AOF ; édition Minuit-Paris 1978-page 6 ;
Jean Suret-CANALE : Afrique noire occidentale et centrale, l’ère coloniale, Editions
Sociales, Paris, 1964 page 319 ;
Smouts M.C., Battistella D., Vennesson P., Dictionnaire des relations
internationales, 2ème édition, Paris, Dalloz, 2006, page 133 ;
Victor PICHE, Joël GREGORY, Sidiki COULIBALY: Vers une explication des
courants migratoires voltaïques, in Travail, Capital et Société, Université de Montréal,
volume 13, N° 1, Avril 1980, page 87 ;
SONGRE A. SAWADOGO J.M, SANOGOH G. : Réalités et effets de l’émigration
massive des Voltaïques dans le contexte de l’Afrique occidentale française,
international african institute 1974, page 38 ;
Sidiki COULIBALY : Migrations internationales et développement : le cas de la
Haute-Volta, INSD, Ouagadougou, 1982, page 25.
II- ARTICLES ET COMMUNICATIONS
A SONGRE. « L’émigration massive des voltaïques : réalité et effet.» Revue
internationale du travail, vol 108, n 2-3 page 22 ;
D OUEDRAOGO,., 1997, « Les migrations afro-européennes : L’indispensable
cogestion », in Revue du Tiers Monde, volume 38, n°150, pp. 347-357;
LALOU, R., 1996 « Les migrations internationales en Afrique de l’Ouest face à la crise
», in COUSSY, J, et VALLIN, J., (dir.), Crise et population en Afrique : crises
économiques, politiques d’ajustement et dynamiques démographiques. Paris, CEPED,
pp 345-373 ;
M.D SAGNON : L’état de la migration burkinabé, communication au Forum national
sur les migrations, 2001 ;
59
Mahamadou ZONGO, l’italian dream : Communication sur l’impact des transferts
financiers des émigrés bissa en Italie sur les villages de départ dans la province du
Boulgou au Burkina Faso, Département de Sociologie, UFR/SH, université de
Ouagadougou 2008, 27 pages ;
Ram Christophe SAWADOGO, communication sur l’intégration de l’émigration au
processus de développement au Burkina Faso, Assemblée générale du CSBE du 8 au
10 décembre 1998, rapport final, Ministère des Affaires étrangères et de la
Coopération régionale ;
Taladidia THIOMBIANO, l’exode des compétences au Burkina Faso, Conférence
régionale sur l’exode des compétences et le Développement des capacités en Afrique,
du 22- 24/2000 Addis-Abeba, Ethiopie, 10 pages.
III- THESE ET MEMOIRES
Edouard BOUDA : Le rattachement des Burkinabè à leur pays d’origine et leur apport
au développement, mémoire de fin de cycle de l’ENAM, département de Diplomatie,
année scolaire 2008-2009 ; 72 pages ;
Eric Bertrand P. BANGRE : Les migrations internationales des Bissa en Italie :
Réseaux, stratégie et parcours migratoires, UFR/SH, Département de Sociologie,
mémoire de maîtrise 2004-2005 ; 117 pages ;
Hervé BAZIE : La contribution des Burkinabè de l’étranger au développement local :
les cas des communes de Béguédo et de Niaogho dans la province du Boulgou,
mémoire de fin de cycle de l’IDRI, 2009, 65 pages ;
Mayoyo B. TIPO TIPO, Migration Nord-sud : Levier ou obstacle au développement
des pays d’origine : cas des migrants zaïrois en Belgique, mémoire de maîtrise,
Faculté des sciences sociales et économiques ; section des sciences sociales,
Université libre de Bruxelles 1993- 1994 page 70.
Sidiki COULIBALY : Les migrations voltaïques : Les origines, les motifs et les
perceptions des politiques, Thèse de doctorat, Université de Montréal, 1978, page 47
YAMBA MAMADOU MOYENGA : La signification de l’émigration rurale mossi vers
la Côte d’Ivoire, mémoire de maîtrise en philosophie, Université de Dakar 1982-1983.
Yaya BITIE : Diaspora burkinabè et mécanismes de transferts monétaires pour un
développement national, mémoire de fin de cycle, option Histoire et politique
internationale, IDRI, 2007, 79 pages.
60
IV- COMMUNICATIONS ET PUBLICATIONS D’INSTITUTIONS
Bonayi DABIRE, Hamidou KONE, Siaka LOUGUE : Analyse des résultats du
recensement général de la population et de l’habitat 2006 ; mai 2009, 122 pages ;
Dieudonné KINI : Présentation du plan d’appui à la réinsertion socio-économique des
rapatriés, Atelier de formation sur la gestion des situations d’urgence humanitaire, 26-
28 août 2003, Ministère de l’Action sociale et de la Solidarité nationale.
I.N.S.D (1985), Recensement général de la population du Burkina, analyse des
résultats définitifs, Ouagadougou, 318 pages;
I.N.S.D (1995), Analyse des résultats de l'enquête démographique de 1991, deuxième
édition, Ouagadougou, 358 pages ;
SP/ CONAPO : Bilan global des migrations au Burkina Faso : panorama rétrospectif et
tendances actuelles, rapport final du symposium national sur les migrations,
SP/CONAPO, 2005, 43 pages ;
SP/CONAPO, Actes des travaux du symposium national sur les migrations au Burkina
Faso, Ouagadougou, SP/CONAPO, 2006, 105 pages ;
SP/CONAPO, Etude dans le secteur de la population : migrations internationales et
transferts de fonds, rapport sectoriel, Ouagadougou, SP/CONAPO, 1995, 45 pages ;
SP/CONAPO, Les conventions et les législations migratoires dans la sous région
ouest-africaine : le droit et les pratiques, rapport Symposium sur les migrations,
Ouagadougou, SP/CONAPO, 2006, 44 pages ;
SP/CONAPO, Migrations internationales, intégration sous régionale et économie
extra-territoriale, rapport final Symposium sur les migrations au Burkina Faso,
Ouagadougou, SP/CONAPO, 2006, 30 pages ;
SP/CSBE, Troisième Assemblée générale du Conseil Supérieur des Burkinabé de
l’Etranger : Contribution de la diaspora burkinabé au développement et au
rayonnement international du Burkina Faso, document de travail, Ouagadougou,
CSBE, 2008, 108 pages ;
SP/CSBE, Troisième Assemblée générale du Conseil Supérieur des Burkinabé de
l’Etranger : Contribution de la diaspora burkinabé au développement et au
rayonnement international du Burkina Faso, document final, Ouagadougou, CSBE,
2009, 46 pages.
VI- SITES WEB : http://www.library.uu.nl/wesp/populstat/Africa/burkinft.htm
www.faso.net
61
TABLE DES MATIERES
Mémoire .......................................................................................................................... i
AVERTISSEMENT ........................................................................................................ ii
DEDICACE ................................................................................................................... iii
REMERCIEMENTS ...................................................................................................... iv
SIGLES ET ABREVIATIONS ......................................................................................... v
SOMMAIRE .................................................................................................................. 1
INTRODUCTION GENERALE ...................................................................................... 2
PARTIE I : HISTORIQUE DE L’EMIGRATION AU BURKINA FASO .......................... 10
Chapitre I : Les caractéristiques et parcours des émigrés burkinabè ...................... 11
Section I : Les caractéristiques de l’émigration burkinabè ................................... 12
Paragraphe I : Une émigration essentiellement d’origine rurale ......................... 12
Paragraphe II : Une émigration principalement masculine et jeune ................... 14
Section II : Les parcours migratoires des Burkinabè ........................................... 16
Paragraphe I : Le parcours sous- régional............................................................ 16
Paragraphe II : Le parcours international ............................................................... 18
CHAPITRE II : Les raisons et cadres de gestion de l’émigration ............................ 20
Section I : Les raisons de l’émigration ................................................................. 20
Paragraphe I : Les raisons historiques ................................................................... 20
A. L’impôt de capitation ................................................................................ 20
B. Les recrutements et travaux forcés .......................................................... 21
Paragraphe II : Les raisons socio-économiques ................................................... 23
A. Les raisons économiques ........................................................................ 24
B. Les raisons sociales ................................................................................. 25
Section II : Les cadres de gestion de l’émigration ............................................... 27
Paragraphe I : Le cadre juridique............................................................................ 27
Paragraphe II : Le cadre institutionnel .................................................................... 29
PARTIE II : IMPACTS DE L’EMIGRATION SUR LE BURKINA FASO ....................... 32
Chapitre I : Les impacts positifs .............................................................................. 33
Section I : Sur les plans politique et socio-culturel ............................................... 33
Paragraphe I : Sur le plan politique ........................................................................ 33
Paragraphe II : Sur le plan socio-culturel ............................................................... 34
Section II : Sur le plan économique ..................................................................... 35
Paragraphe I : Les transferts de fonds ................................................................... 35
62
A. Les circuits de transferts .......................................................................... 35
B. L’évolution des transferts de fonds .......................................................... 36
Paragraphe II : L’impact des transferts de fonds................................................... 37
A. L’impact sur la consommation et l’équipement ........................................ 37
B. L’impact sur l’investissement ................................................................... 41
Chapitre II : Les impacts négatifs ............................................................................ 44
Section I : Les bouleversements sociaux ............................................................ 44
Paragraphe I : Les dissensions sociales ................................................................ 44
A. La fragilisation des liens familiaux ............................................................ 44
B. Le déclin de la solidarité ........................................................................... 45
Paragraphe II : La fuite des ressources humaines et le renchérissement du coût
de la vie ..................................................................................................................... 46
A. La perte des ressources humaines .......................................................... 46
B. Le renchérissement du coût de la vie....................................................... 47
Section II : Les retours forcés et le désintérêt pour les études ............................ 48
Paragraphe I : Les retours forcés ........................................................................... 48
Paragraphe II : Le désintérêt pour les études ....................................................... 51
CONCLUSION PARTIELLE ....................................................................................... 53
CONCLUSION GENERALE ....................................................................................... 54
BIBLIOGRAPHIE ........................................................................................................ 58
TABLE DES MATIERES ............................................................................................. 61
ANNEXES ................................................................................................................... vii
ANNEXE I : Traités, conventions et accords en matière de migrations auxquels le
Burkina Faso est partie. .............................................................................................. viii
ANNEXE II : Arrêté n°1014/FPT/ONPE du 15 novembre 1974 portant
réglementation sur les modalités de recrutement des travailleurs voltaïques à
destination de l’étranger dans le cadre des conventions de main-d’œuvre ................ x
ANNEXE III: Estimations des Burkinabè de l’étranger ............................................. xii
ANNEXE IV : Evolution des transferts de fonds des Burkinabè de l’étranger de 1980
à 2010 ..................................................................................................................... xiii
ANNEXE V : Fiche d’enquête.................................................................................. xiv
viii
ANNEXE I : Traités, conventions et accords en matière de migrations auxquels
le Burkina Faso est partie.
1. Les conventions internationales
La déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 ;
La convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs
migrants et des membres de leur famille adoptée en 1990, entrée en vigueur le
1er juillet 2003, ratifiée par le Burkina Faso le 26 novembre 2003 ;
Les instruments de l’OIT :
La Convention n°97 et la recommandation n°86 de 1949 sur les travailleurs
migrants, ratifiées par le Burkina Faso en 1961 ;
La Convention n°143 et la recommandation n°151 de 1975 sur les travailleurs
migrants, ratifiées par le Burkina Faso en 1977 ;
La déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail
adoptée en 1998.
L’Accord de partenariat entre les membres du groupe des Etats d’Afrique, des
Caraïbes et du Pacifique (pays ACP) et l’Union européenne, signé le 23 juin
2000, ratifié par le Burkina Faso le 6 mai 2002 et entré en vigueur le 1er avril
2003.
2. Les accords régionaux
L’Acte constitutif de l’Union africaine du 11 juillet 2001, le Traité d’Abuja de 1991
instituant la Communauté économique africaine (CEA), la Charte africaine des
droits de l’homme et des peuples de 1981 ont tous été ratifiés par le Burkina
Faso dans le cadre de l’intégration africaine.
Le traité relatif à l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des
affaires (OHADA), signé le 17 octobre 1993 ;
Le Traité de la Conférence interafricaine de la prévoyance sociale (CIPRES)
signé le 21 septembre 1993.
ix
3. Les accords sous- régionaux
Le Traité de Lagos du 28 mai 1975 (révisé en 1993) portant création de la
Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ;
Le Traité de Dakar du 10 janvier 1994 portant création de l’Union Economique et
monétaire Ouest Africaine (UEMOA).
4. Les accords bilatéraux
La Convention relative aux conditions d’engagement et d’emploi des travailleurs
voltaïques en Côte d’Ivoire du 9 mars 1960 entre la Haute- Volta et la Côte
d’Ivoire ;
La Convention d’établissement et de circulation des personnes entre la Haute-
Volta et le Mali du 30 septembre 1969 ;
La Convention entre le gouvernement de la République de Haute-Volta et le
gouvernement de la République du Gabon relative à la coopération technique en
matière de main d’œuvre du 13 août 1973 ;
La Convention de sécurité sociale entre le Burkina Faso et la République du Mali
du 14 novembre 1992 ;
L’Accord entre le gouvernement du Burkina Faso et le gouvernement de la
République française relatif à la gestion concertée des flux migratoires et au
développement solitaire du 10 janvier 2009.
x
ANNEXE II : Arrêté n°1014/FPT/ONPE du 15 novembre 1974 portant
règlementation sur les modalités de recrutement des travailleurs voltaïques à
destination de l’étranger dans le cadre des conventions de main-d’œuvre.
ARTICLE 1er : Tout employeur désirant engager des travailleurs en vue de leur emploi
en dehors du territoire de la République, devra adresser sa demande en besoin de
main-d’œuvre aux services chargés de l’emploi.
Ces derniers, avant de procéder aux opérations de recrutements, devront s’assurer :
Qu’il existe une main-d’œuvre disponible et libre de tout engagement ;
Que les conditions d’emploi proposées par les employeurs sont conformes à la
législation et à la réglementation du lieu d’emploi et que les travailleurs
bénéficient de tous les avantages de sécurité sociale dont jouissent les
travailleurs nationaux ;
Que le logement est assuré aux travailleurs et à leurs familles et répond aux
normes d’hygiène, de salubrité et de confort minima prévus par la
règlementation du lieu d’emploi ;
Qu’au cas où le logement ne serait pas garanti au travailleur, une indemnité
compensatrice lui sera accordée conformément au taux de loyer pratiqué dans
le pays d’accueil ;
Que les possibilités de transferts des économies des travailleurs sont garanties,
Que le transport aller et retour des travailleurs et de leur famille est assuré par
l’employeur ;
Que les travailleurs ainsi que leurs familles sont reconnus aptes à se rendre sur
les lieux d’emploi ;
Que le travailleur bénéficie d’une indemnité d’expatriation conformément à la
législation en vigueur.
ARTICLE 2 : Les contrats des travailleurs recrutés pour servir en dehors du territoire
de la République sont passés par écrit et conclus pour une durée déterminée. Les
services chargés de l’emploi tiennent à jour les dossiers des travailleurs et suivent les
opérations de rapatriement de la main-d’œuvre.
xi
ARTICLE 3 : La Commission nationale permanente pour les problèmes de migrations,
instituée par décret N° 74-350/PRES/FPT du 14 septembre 1974, fixe à l’occasion de
chaque convention de main-d’œuvre conclue entre la Haute-Volta et tout autre pays
un taux d’épargne obligatoire proportionnel au salaire et transférable en Haute-Volta.
ARTICLE 4 : Lors de la conclusion de chaque contrat de travail, il est fait
expressément mention du taux d’épargne ainsi fixé. Cette épargne est transférée dans
les établissements financiers ou à la Caisse nationale de Sécurité sociale de Haute-
Volta.
Les servies chargés de l’emploi sont informés des transferts opérés et contrôlent la
régularité des virements.
ARTICLE 5 : Il sera ouvert, au profit de chaque travailleur envoyé à l’étranger, un
compte productif d’intérêts. Ce compte est géré par l’établissement financier auprès
duquel sont réalisés les transferts de fonds.
ARTICLE 6 : Les retraits de fonds sont opérés par les titulaires des comptes.
ARTICLE 7 : Les frais engagés par les services chargés de l’emploi dans les
opérations de recrutement, notamment les frais de fonctionnement, de vaccination, de
visite médicale, d’acheminement ainsi que les indemnités de subsistance et tous
autres frais, sont à la charge des employeurs et versés à l’Office national pour la
Promotion de l’Emploi, à titre de « redevance pour le recrutement à l’acheminement
de la main-d’œuvre migrante ».
Ce taux est spécifique pour chaque convention de main-d’œuvre.
ARTICLE 8: Les services chargés de l’emploi contrôlent la régularité du recouvrement
des redevances qui, en tout état de cause, doivent être versées au plus tard un
trimestre après la prestation de services.
ARTICLE 9 : L’Office National de la Promotion de l’Emploi, la Direction du Travail et
des Lois sociales, sont chargés chacun, en ce qui le concerne, de l’application du
présent arrêté, qui sera enregistré, publié et communiqué partout où besoin sera.
xii
ANNEXE III: Estimations du nombre de Burkinabè de l’étranger par pays
Pays Estimations
Afrique du Sud 50
Algérie 167
Allemagne 700
Angola 100
Arabie Saoudite 1 500 000
Autriche 100
Belgique 750
Bénin 500 000
Cameroun 400
Canada 200
Cap Vert 12
Congo Brazzaville 300
Côte d’Ivoire 3 500 000
Cuba 21
Danemark 20
Egypte 100
Etats-Unis 6 000
Ethiopie 30
France 4 500
Gabon 11 700
Gambie 30
Ghana 3 000 000
Grande Bretagne 200
Guinée Bissau 8
Guinée Conakry 300
Guinée Equatoriale 4 000
Iles Comores 3
Israël 80
Italie 30 000
Japon 15
Libéria 200
Libye 500
Mali 1 000 000
Maroc 300
Mauritanie 200
Niger 350 000
Pays-Bas 450
République démocratique du Congo 15
Sénégal 400 000
Soudan 1200 000
Suède 5
Taiwan 16
Togo 500 000
Tunisie 19
Total général85 12.011.491
Source : Statistiques 2008 du CSBE.
85 Conclusion personnelle
xiii
ANNEXE IV : Evolution des transferts de fonds des Burkinabè de l’étranger de
1980 à 2010 (sans 2009)
Années Côte d’Ivoire Reste du monde Total Montant pourcentage Montant pourcentage
1980 30,34 95.2 1,52 4.8 31,86
1981 37,01 88.8 4,65 11.2 41,66
1982 32,92 90.8 3,32 9.2 36,24
1983 40,16 93.1 2,96 6.9 43,12
1984 35,87 91.0 3,54 9.0 39,41
1985 52,82 93.2 3,83 6.8 56,65
1986 63,40 95.5 2,96 4.5 66,36
1987 47,46 91.1 4,61 8.9 52,08
1988 50,66 90.9 5,05 9.1 55,71
1989 44,63 90.1 4,90 9.9 49,53
1990 34,95 91.9 3,08 8.1 38,03
1991 29,29 91.9 2,58 8.1 31,87
1992 30,70 90.0 3,39 10 34,10
1993 30,50 91.9 2,69 8.1 33,19
1994 41,00 91.9 3,61 8.1 44,61
1995 43,18 91.9 3,81 8.1 46,98
1996 51,87 91.9 4,57 8.1 56,44
1997 46,98 91.9 4,14 8.1 51,12
1998 50,3 91.9 4,41 8.1 54,43
1999 43,28 86.1 7,00 13.9 50,28
2000 38,29 86.1 6,19 13.9 44,48
2001 27,52 86.1 4,45 13.9 31,97
2002 - - - - 36,60
2003 - - - - 26,50
2004 - - - - 21,10
2005 - - - - 26,10
2006 - - - - 31,7
2007 - - - - 35,6
2008 - - - - 38,1
2009 - - - - -
2010 - - - - 5,6
TOTAL 1211,42
Source : Produit par l’auteur avec les statistiques de la DGEP/DPAM
xiv
ANNEXE V : Fiche d’enquête
I- IDENTIFICATION DE L’ENQUETE
1-Nom………………………… Prénom(s) ……………………………………….(Facultatif)
2- Age……………………………Sexe………………………….......................
3- Statut matrimonial ………………………nombre d’enfants……………
4- Profession …………………………………………………………………….
5- Lieu de résidence (ville, secteur)……………………………………………
II- RAPPORT ENTRE L’ENQUETE ET L’EMIGRATION
6- Avez-vous déjà vécu à l’étranger ? OUI..................NON si oui, précisez la
durée.................................................................................................................................
7- Quelle en est la raison ?.................................................................................................
……………………………………………………………………………(naissance, étude etc)
………………………………………………………………………………………………………
8- Y exerciez-vous un métier ?……OUI……………………NON…………
9- Si oui, lequel ?......................................................................................................................
10- Qu’est ce que cette aventure vous a apporté ?..................................................................
………………………………………………………………………………………………………….
11- Etes vous tenté (à nouveau ou pour la première fois) par l’émigration ?
.OUI………………NON………
Pourquoi ?………………………………………………………………………………………….
12- Si oui, quel pays vous attire le plus ? …………………………………………………...
Pourquoi ?…………………………………………………………………………………………………
……………………………………………………………………………………………………..…
xv
II. RELATION AVEC L’EMIGRE
1) Avez-vous au moins un parent à l’étranger ?............. OUI..............NON
2) Dans quel pays est-il établi et depuis combien de temps ?.....................................
………………………………………………………………………………………………….
3) a) Bénéficiez vous souvent d’appuis matériels et/ou financiers de sa part ?
OUI NON
b) Si oui, quelle en est la fréquence ? (par exemple tous les 3 mois, une fois par an)………
……………………………………………………………………………………………………………
4) Par quel circuit vous envoie t-il l’argent ? (choisissez la bonne réponse)
Par le circuit formel par le circuit informel
NB : Circuit formel = par les opérateurs de transferts d’argent comme Western Union,
TELIMAN etc.………..
Circuit informel = les autres canaux comme (par des parents, amis et/ou connaissances de
retour au pays.)..........
5) Pensez-vous que son apport est important dans votre vie quotidienne ?.............................
………………………………………………………………………………………………………….
……………………………………………………………………………………………………….…
6) Quel lien entretient-il avec la famille restée au pays ?…………………………………….…
………………………………………………………………………………………………………..
7) Rentre-t-il souvent au Burkina Faso ? …………………………………………………….
8) Quelles sont ses réalisations ici au Burkina ?......................................................................
…………………………………………………………………………………………………..
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N.B. : Cette fiche est purement académique et n’a donc aucune valeur politique ou
administrative.
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