Borie - L'Analyste Accueille La Disparité

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cpct.lyon.online.fr http://cpct.lyon.online.fr/web/?page_id=87 L’analyste accueille la disparité Je suis impressionné. « Conclure », je ne sais pas si c’est le mot juste mais « ponctuer » peut-être ce qui a pu se dire dans cette journée, et ce que nous essayons d’élaborer au jour le jour au CPCT avec ce qui s’y dépose c’est- à-dire, un savoir inédit. Par Jacques Borie Pour tous ceux qui ont une pratique de la psychanalyse depuis un certain temps comme moi et comme quelques autres, je dois dire que chaque fois que nous travaillons au CPCT nous avons l’impression d’avoir affaire à quelque chose de nouveau. Certes on peut le dire de chaque cas, c’est ce que disait Freud : voir chaque cas comme si c’était le premier. Mais enfin là il y a des faits nouveaux plus radicaux. Ce qui est nouveau c’est aussi cette journée c’est-à-dire pour une première fois une rencontre, un événement, entre des psychanalystes, des travailleurs sociaux, des élus, des responsables administratifs et autres. Cet échange, cette rencontre, il a fallu longtemps pour qu’on en arrive là alors qu’au fond cela aurait dû nous paraître depuis longtemps plus évident. Si cela ne se fait que maintenant c’est que sans doute il y a les contingences de la vie. Notre collègue de Madrid, mon amie Carmen a bien rappelé ça. Il a fallu le traumatisme de l’attentat d’Atocha et des dizaines de morts pour que l’on se dise « mais qu’est-ce que c’est que ça ? Qu’avons-nous à dire ? A faire ? A répondre ? ». Eh bien la réponse c’était le CPCT, sortir de son cabinet pour voir dans la cité ce qui pouvait se faire entendre de notre pratique apparemment un peu hors de la cité. S’il faut des histoires comme ça, c’est-à-dire un événement qui vient briser quelque chose, sans doute est-ce parce que du coté des psychanalystes, il y a une part de rêverie qui leur a fait depuis longtemps imaginer qu’ils pouvaient être un peu à l’abri de tout cela, à l’abri du monde tel qu’il va. Ce rêve de l’extraterritorialité, on pourrait l’appuyer sur la pratique même de l’analyse : il s’agit de l’intime, où chacun est invité à dire le profond de son être, son intériorité la plus ineffable. Et bien pourtan si les psychanalystes suivaient simplement leur maître Freud d’abord, ils pourraient penser le contraire. Mais s’il y a une tendance à la rêverie c’est parce que le psychanalyste a affaire au réel le plus brutal, l’insupportable pour chacun de quelque chose, et qu’il tente de le traiter d’une façon dont le moins qu’on puisse dire c’est qu’elle n’est pas facile. Freud en effet parlait de l’inconscient comme de l’Autre scène, la scène de l’Autre. Autrement dit il supposait au cœur même du sujet une extériorité fondamentale, c’est ça l’inconscient. Il est fondé sur le fait qu’au cœur même du sujet, dans le plus intime, ce n’est pas une profondeur c’est au contraire une extériorité qui nous gouverne. « Je ne sais pas pourquoi je fais ça mais je ne peux pas m’en empêcher. » Lacan lui radicalisera la question en disant d’une part que l’inconscient c’est le discours de l’Autre tout simplement et d’autre part en mettant l’accent sur l’homologie entre l’individuel et le collectif. Il n’y a pas d’un côté l’individuel, de l’autre le collectif, les deux ne sont pensables qu’ensemble. C’est donc bien ici ce que nous essayons de faire. Trouver le joint entre le social et l’intime à partir d’un point précis qui s’appelle le symptôme. Tel est notre pari. Cependant nous sommes en 2008, nous ne sommes plus à l’époque de Freud. Quelque chose sous nos yeux se brise avec ce signifiant même de précarité. Ce qui se brise c’est l’idée que chacun naissait dans un monde où c’est l’Autre qui lui donnait sa place : la filiation, la famille, l’école, l’église, l’armée, les institutions… Tout cela devient de plus en plus inconsistant. Et la conséquence c’est que le sujet se retrouve en quelque sorte avec un corps sans mode d’emploi. Que faire avec les autres, avec ce corps dont j’ai hérité sans l’avoir voulu ? Ce qui est frappant c’est que la mondialisation dont nous sommes les objets aujourd’hui, la globalisation du monde n’a pas crée plus de communication comme on le croit. Elle a crée plus d’individualisation. Nous sommes à l’époque de l’individualisme de masse, chacun est prolétarisé, c’est-à-dire doit faire avec le peu qu’il a sans les ressources symboliques héritées de la transmission traditionnelle. Donc le sujet moderne est un sujet plus ou moins errant. Il tombe dans un monde d’objets sans Autre, c’est-à-dire que la connexion entre l’objet et l’Autre tend à se défaire. C’est pourquoi nous sommes à l’époque de la consommation, envahis d’objets sans savoir quoi

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Clinique du Cpct

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  • cpct.lyon.online.fr http://cpct.lyon.online.fr/web/?page_id=87

    Lanalyste accueille la disparit

    Je suis impressionn. Conclure , je ne sais pas si cest le mot juste mais ponctuer peut-tre ce qui a pu sedire dans cette journe, et ce que nous essayons dlaborer au jour le jour au CPCT avec ce qui sy dpose cest--dire, un savoir indit.

    Par Jacques Borie

    Pour tous ceux qui ont une pratique de la psychanalyse depuis un certain temps comme moi et comme quelquesautres, je dois dire que chaque fois que nous travaillons au CPCT nous avons limpression davoir affaire quelque chose de nouveau. Certes on peut le dire de chaque cas, cest ce que disait Freud : voir chaque cascomme si ctait le premier. Mais enfin l il y a des faits nouveaux plus radicaux. Ce qui est nouveau cest aussicette journe cest--dire pour une premire fois une rencontre, un vnement, entre des psychanalystes, destravailleurs sociaux, des lus, des responsables administratifs et autres. Cet change, cette rencontre, il a fallulongtemps pour quon en arrive l alors quau fond cela aurait d nous paratre depuis longtemps plus vident. Sicela ne se fait que maintenant cest que sans doute il y a les contingences de la vie.

    Notre collgue de Madrid, mon amie Carmen a bien rappel a. Il a fallu le traumatisme de lattentat dAtocha etdes dizaines de morts pour que lon se dise mais quest-ce que cest que a ? Quavons-nous dire ? A faire ?A rpondre ? . Eh bien la rponse ctait le CPCT, sortir de son cabinet pour voir dans la cit ce qui pouvait sefaire entendre de notre pratique apparemment un peu hors de la cit. Sil faut des histoires comme a, cest--direun vnement qui vient briser quelque chose, sans doute est-ce parce que du cot des psychanalystes, il y a unepart de rverie qui leur a fait depuis longtemps imaginer quils pouvaient tre un peu labri de tout cela, labridu monde tel quil va. Ce rve de lextraterritorialit, on pourrait lappuyer sur la pratique mme de lanalyse : ilsagit de lintime, o chacun est invit dire le profond de son tre, son intriorit la plus ineffable. Et bien pourtantsi les psychanalystes suivaient simplement leur matre Freud dabord, ils pourraient penser le contraire. Mais sil ya une tendance la rverie cest parce que le psychanalyste a affaire au rel le plus brutal, linsupportable pourchacun de quelque chose, et quil tente de le traiter dune faon dont le moins quon puisse dire cest quelle nestpas facile.Freud en effet parlait de linconscient comme de lAutre scne, la scne de lAutre. Autrement dit il supposait aucur mme du sujet une extriorit fondamentale, cest a linconscient. Il est fond sur le fait quau cur mmedu sujet, dans le plus intime, ce nest pas une profondeur cest au contraire une extriorit qui nous gouverne. Je ne sais pas pourquoi je fais a mais je ne peux pas men empcher. Lacan lui radicalisera la question endisant dune part que linconscient cest le discours de lAutre tout simplement et dautre part en mettant laccentsur lhomologie entre lindividuel et le collectif. Il ny a pas dun ct lindividuel, de lautre le collectif, les deux nesont pensables quensemble. Cest donc bien ici ce que nous essayons de faire. Trouver le joint entre le social etlintime partir dun point prcis qui sappelle le symptme. Tel est notre pari.

    Cependant nous sommes en 2008, nous ne sommes plus lpoque de Freud. Quelque chose sous nos yeux sebrise avec ce signifiant mme de prcarit. Ce qui se brise cest lide que chacun naissait dans un monde ocest lAutre qui lui donnait sa place : la filiation, la famille, lcole, lglise, larme, les institutions Tout celadevient de plus en plus inconsistant. Et la consquence cest que le sujet se retrouve en quelque sorte avec uncorps sans mode demploi. Que faire avec les autres, avec ce corps dont jai hrit sans lavoir voulu ?

    Ce qui est frappant cest que la mondialisation dont nous sommes les objets aujourdhui, la globalisation dumonde na pas cre plus de communication comme on le croit. Elle a cre plus dindividualisation. Nous sommes lpoque de lindividualisme de masse, chacun est proltaris, cest--dire doit faire avec le peu quil a sans lesressources symboliques hrites de la transmission traditionnelle. Donc le sujet moderne est un sujet plus oumoins errant. Il tombe dans un monde dobjets sans Autre, cest--dire que la connexion entre lobjet et lAutretend se dfaire. Cest pourquoi nous sommes lpoque de la consommation, envahis dobjets sans savoir quoi

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  • en faire, sinon en jouir seul dans son coin. Ces objets font objection au lien social.

    Autrement dit, la prcarit nest pas ce que lon peut rserver au public que nous appelons prcaire , certes ilsle sont plus que la moyenne, mais elle est tendanciellement pour tous, cest--dire pour chacun. Ce qui est illustrpar la gnralisation des emplois prcaires, aujourdhui 30% des salaris. Nous ne pouvons donc pas constituerlensemble des gens qui seraient insrs avec de lautre ct lensemble des exclus ou des prcaires. Ce qui sedveloppe tendanciellement cest prcaire pour tous . Il faut manier avec prcaution ce terme de prcarit.Nous ne proposons pas une nouvelle identification qui supplerait au dfaut symbolique du sujet moderne. AuCPCT que faisons-nous de cela ? Nous nous servons de ces signifiants-l de lpoque : prcaire dpression isolement etc. Si les gens sy reconnaissent, cest bien que a parle de quelque chose. Et a parle aussiaux politiques puisquils dfinissent des actions, des dispositifs par rapport ce ciblage des populations censesreprsenter la chose. Vous avez entendu dans les exposs cliniques lart du singulier, cest--dire lart de fairesurgir pour chacun son mode de prcarit et sa faon dy rpondre. Nous y reconnaissons un trait du mal-tre dechacun, tout en faisant aussitt d consister lpaisseur de ce signifiant, car il collectivise au lieu de singulariser.

    Notre hypothse de fond serait celle-ci : le lien social se construit non pas par identification, par un pour tous, parune adaptation la norme mais par un nouveau savoir-y-faire avec ce qui pour chacun ne va pas. Nous essayonsdaccueillir ce qui est propre chacun, le symptme. Une statistique ma frapp dans ce qui a t ramen parnotre directrice : sept-cent-cinquante personnes prennent rendez-vous, cinq cents seulement viennent au premierrendez-vous. Il y a une norme perte entre les deux. Vous prenez rendez-vous et vous ne vous prsentez pas aurendez-vous. Dans la pratique librale nous ne voyons pas du tout cela, au moins pas dans cette proportion. Doncil faut entendre que pour certains sujets, ne serait-ce que rencontrer quelquun pour parler est dj trop. Cest ceque Jean Furtos appelle trs justement lauto exclusion , le degr zro du sujet je dirais. Pour lui, prendre laparole nest pas accessible ce moment-l de sa vie.

    Le CPCT est-il un lieu dcoute ? Je ne vais pas vous dire le contraire puisque nous ne faisons que a. Nous nedonnons pas des conseils, nous ne disons pas ce quil faut faire, cependant est-ce un lieu uniquement dcoute ?Quest-ce que nous accueillons ? Le sujet ai-je dit. Le sujet nest pas la personne ni lindividu. La personne estencombre de ses images, de ses identifications, de ses rles. Lindividu cest celui qui est tout seul, qui nest pasdivis, individere. Nous accueillons le sujet cest--dire celui qui a un inconscient suppos, cest--dire quilsuppose quil fait les choses sans trop savoir pourquoi. Il ne sait pas la cause de ce qui lanime. Ce qui est doncspcifique lcoute et au travail sur la parole, cest que la formation analytique mne cette chose-l un peutrange, savoir que parler nest pas toujours un bien. A la fois nous ne sommes que des praticiens de la paroleet pourtant nous savons que pour certains il convient de trouver le mode singulier de parole. Autrement dit il nesagit pas de sexprimer, de tout dballer, de tout dire. Pourtant chez certains sujets cest ce que lon pourraitcroire qui est utile. Raconter ses traumatismes et souvent les histoires des sujets que nous avons rencontrs sontfaites de traumatismes et de situations terribles. Bien entendu quil est possible de parler de cela, cependant ilconvient de voir que ceci nest pas toujours la bonne faon de faire.Je pense lexemple de cette dame qui racontait comme elle dit ses traumatismes et chaque sance elleen avait toujours un nouveau. Elle racontait ses bourreaux, la faon dont les personnes quelle rencontrait dans savie la traitaient aussi mal. Au bout de quelques temps de ce rgime elle vient la sance suivante en disant quecette semaine a t vraiment trs dure pour elle, elle tait puise. Voyez que de raconter tout a lavait puiseplus que soulage car parler peut donner consistance ce qui est intraitable, alors quil sagit de sen sparerplutt que de sy coller. Il convient avec cette dame, non pas de refuser ses traumatismes, mais de savoir quunautre mode de la parole existe qui nest pas forcment une exhibition. Nous savons aussi que trop parler peutfaire dlirer. Nous le savons avec les psychotiques. Il sagit donc de se mfier de linterprtation tout va qui peutpousser dlirer beaucoup plus quil ne serait raisonnable de faire. Nous savons aussi quil ne sagit pas deprendre le sujet du ct dtre la victime, non pas quils ne le soient pas, cela arrive, il ne sagit pas de dire quil avoulu tre maltrait. Il sagit de penser que mettre laccent sur cette dimension du sujet est aussi ly fixer plutt quelui permettre de trouver la voie dchappatoire de ce trop de rel.

    Alors que cherchons-nous faire ? Lorsque nous parlons il y a un brouhaha de la parole, nous racontons, nousdversons et ce que nous disons alors est souvent dun intrt plutt limit, pas toujours essentiel. Mais il faut quil

  • y ait cela, pour saisir au milieu de ce brouhaha, le trsor de la singularit. Comment trouver cette ppite dumoment o le sujet peut dire son pas pareil, sa disparit, sa bizarrerie travers un mot qui lui sera propre, le petitdtail sur lequel sa singularit va sappuyer. Lanalyste se rgle sur lirrgulier, le odd anglais, limpair, cestpourquoi linconscient fait appel limpair. Ce nest pas un usage de la parole pour se rconcilier avec le senscommun. Par exemple le sens commun dit pour tre comme tout le monde il faut avoir un travail . Non pas quenous ne voulions pas que les gens aient un travail bien sr, mais il sagit de chercher lusage unique de la languequi permettra cette dame aprs quelques sances de dire finalement ma manire dtre dans ce monde cestde rester sur la marge. Cette formule entendons-l bien. Elle dfinit un style de vie, le sien, cela suppose unchoix, une thique, un jugement port sur sa propre conduite. Le sujet nest pas lobjet de lAutre, il peut poser lerapport son tre comme un jugement. Cest ce que nous visons dgager lorsque cest possible et cela ne lestpas toujours, ce moment o le sujet peut, de son style de vie, trouver une adquation avec son rapport lautre. Ilsagit de relier le plus intime lautre selon un nouveau lien, par un dire qui implique deux dimensions. Le direnest pas la parole. Le dire cest ce qui fait vnement, cest ce qui fait quaprs ce nest pas comme avant, alorsque dans la parole on met laccent sur parler, parler, parler cest--dire, jouir encore plus du blabla. Dans le dire,on cherche au contraire ce qui fait coupure. Le dire implique un moins. Il est une perte de jouissance et lacondition du lien social. Pour construire un lien lautre, il faut quon manque de quelque chose. Cest pourquoilautiste a tant de peine avec le lien social puisquil semble ne manquer de rien. Je dis bien il semble . Il y a unmoins mais il y a aussi un plus, comment faire de son symptme un nouvel usage ?

    Notre politique est donc une politique de la rencontre. Elle ne peut se mesurer quavec chaque cas. Cest unepratique qui vise la singularit mais qui ne se fait pas dans le vide. Le CPCT est une institution. On y rencontredes sujets certes un par un, des psychanalystes un par un, mme sil y en a deux. Quest-ce quune institution ?Cest ce qui a des rgles, cest ce qui institue quelque chose. Il y a des rgles au CPCT, comme tout dispositif dela sant, du social, du RMI La politique cest inventer des dispositifs pour traiter des points dimpossible. Onessaye malgr tout de bricoler quelque chose avec des points dintraitable. Par exemple il y a une rgle qui dit auCPCT, cest seize sances. Voil une absurdit incroyable, pourquoi seize plutt que quatorze, treize ou vingt-deux ? Ne croyez pas que cela veut dire quon sait quil faille seize sances pour rgler les problmes des gens.Cela montre plutt larbitraire propre au signifiant. Ds lors que lon instaure une rgle, elle a un ct arbitraire. Leproblme nest pas sa justification sur le fond, cest lusage quon en fait. Autrement dit, si nous disons letraitement cest seize sances , ce nest pas que nous sachions que le symptme mrite seize sances pour tretrait. Dautres pensent que cest comme a que a marche. Dans les thrapies comportementales on vousindique un rapport entre tel symptme et le nombre de sances. Vous avez peur des araignes, dix sances, vousavez une phobie sociale, quinze sances, et lon considre que si la gurison ne vient pas cest que soitlindication a t mal pose soit que vous tes spcialement rsistant. Nous ne raisonnons pas comme cela.Les seize sances introduisent une prcarit pour le psychanalyste qui se trouve en quelque sorte dans desconditions bien plus prcaires que ce quil fait dans son cabinet o comme vous le savez, on a toujours tendanceun peu penser mais on verra a la prochaine sance . L au contraire il y a un effet de prcarit etdurgence qui exige une prsence en acte beaucoup plus radicale.Ce dispositif est donc fait non pas pour normer quelque chose dun point de vue du matre, mais pour sen servir.

    Je vais vous donner un exemple clinique qui ma beaucoup frapp dans les groupes de contrle que janime. Ilsagit dune dame dune trentaine dannes qui vient au CPCT, qui vit de faon trs prcaire avec des petitsboulots. Pendant longtemps elle a vcu dans des squattes, dans des conditions qui sont celles de notre poque,extrmement instables. Elle raconte comment tout ceci sest construit dans son histoire : une mre schizophrneavec laquelle elle navait aucun lien affectif, un pre violent qui la battait. Elle arrive isoler un vnement trsprcis de son enfance. A huit ans mon pre ma battue dune faon particulirement violente. Je me suis dit tupeux me tuer mais tu ne changeras jamais ce que je suis . Voil ce que cette dame peut dire aprs-coup de cequelle a fait huit ans. A quinze ans elle dcide de quitter sa famille. Elle part seule dans la socit, dans une viemarginale. Elle raconte comment sa mre la regarde partir sans dire un mot, ni faire un geste. Voil donc unsujet la fois laiss tomber par lAutre maternel et violent par le pre. Cependant elle a forg sa rponse tupeux me tuer, tu ne changeras pas ce que je suis . Nous en dduisons que ce sujet a pu rpondre ce moment-l et construire son existence partir de ce choix de se fonder sur elle-mme, ce qui nest pas sans inconvnient.Alors au CPCT quest-ce qui se passe de si bizarre ? Cette dame, aprs quelques sances, commence ne pasvenir. Elle manque une sance mais elle appelle soit au moment de la sance soit une heure plus tard pour dire

  • quelle a t empche. La sance daprs elle revient, la sance daprs elle sabsente et nouveau jai tempche . Ceci va se rpter plusieurs fois. Cette dame a une particularit ; elle refuse toutes les aidessociales, elle ne veut pas dpendre du RMI, Je ne veux rien devoir lautre dit-elle. Entendez cetteproposition et lcho quil y a dans cet nonc avec son histoire personnelle.Alors que se passe-t-il quand elle vient au CPCT et quelle manque une sance sur deux. Nous avons faitlhypothse quelle est en train de construire un Autre sa faon, un Autre qui puisse manquer, qui puisse reveniret qui nest pas lAutre qui la laisse tomber ou qui la violentait. Il nous a fallu poser la question de lusage dessances que cette dame fait et on peut dire que ces sances manques en alternance avec des prsences taitune faon de construire un Autre qui puisse la fois manquer et tre l, cest--dire un Autre symbolique, cequelle navait pas pu faire dans son enfance. Cela se payait du fait que sa vie ntait quune vie derrance parceque sa vie dit-elle, est une vie de nomade. Elle aime les nomades, ceux sur qui on ne peut pas mettre la main, quisont toujours ailleurs. Il est probable que cette dame va rester nomade mais sans doute que ce qui sest passpour elle au CPCT lui permettra de construire aussi un certain commerce avec lautre, savoir quon peut aussiattendre, esprer, donner, changer, et non pas forcment ne vivre quen nomade sans rapport lAutre. Cetexemple est trs frappant quant la manire dont le sujet peut se servir de la rencontre et de linstitution. Cestaussi une connexion entre clinique et politique.

    Au CPCT on fait foule dune certaine faon (500 personnes reues en un an) pas comme un ensemble, mais partir du un par un. Le un qui nest pas le tous pareils, mais celui o chacun peut connecter son symptme unnouveau rapport lAutre. Ce nest pas glorieux. En psychanalyse nous vantons dabord les vertus du ratage condition quon sen serve, de la bonne faon. Cela est une contribution modeste mais relle une politique decivilisation. Pouvons-nous dire quau CPCT nous proposons un nouveau mode de lien social lpoque olangoisse et le dlitement du lien dominent ? Sans doute modestement pouvons-nous le dire mais ce que cettejourne fait entendre cest que ce qui est accueilli du plus singulier du sujet ne peut tenir que si, ct, les sujetssont pris dans un discours qui tient la route. Cest--dire quil est aussi ncessaire quil y ait des travailleurssociaux qui travaillent, des politiques qui fassent des choix et des gestionnaires qui mettent en place des dispositifsqui permettent de rpondre la singularit de chacun.

    Lanalyste accueille la disparit