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BLACK OPS – 1

Impitoyable

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CINDY

GERARDBLACK OPS – 1

Impitoyable

Traduit de l’anglais (États-Unis)par Sylvie Del Cotto

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Titre originalSHOW NO MERCY

Pocket Star Books,a division of Simon & Schuster, Inc.

© Cindy Gerard, 2008

Pour la traduction française :© Éditions J’ai lu, 2013

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Ce livre est dédié à tous les militairesde l’armée américaine,

hommes et femmes, d’hier comme d’aujourd’hui.Aucun mot n’est assez fort pour décrire ma gratitude

et le respect que j’éprouve pour les sacrificesque vous faites, vous et vos familles,

et pour tout ce que la plupart d’entre vous ont perduen tentant de protéger et défendre notre nation

et notre civilisation.

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La seule chose nécessairepour le triomphe du mal

est que les gens de bien ne fassent rien.

Edmund BURKE (1729-1797)

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Remerciements

Mille mercis aux habituels témoins qui ont donnésans compter leurs avis d’experts, leur soutien et leurenthousiasme avec une immense générosité. Maria,Donna, Joe, Glenna, Susan, Leanne, vous savez à quelpoint je vous apprécie. Des remerciements particuliersvont à ma camarade Carol Bryant, pour sa brillantesuggestion qui m’a permis de trouver le lien manquantentre tous les « gars ».

À Maggie Crawford, mon extraordinaire éditrice,merci pour son brillant travail de relecture, mercid’aimer ce livre, et merci de m’avoir invitée à rejoindrela famille des livres de poche.

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Prologue

Banlieue de FreetownSierra Leone, Afrique de l’Ouest1999

Des balles traçantes filèrent dans la nuit opaque,zébrant l’obscurité d’éclairs rouges, jaunes et verts.À leur passage, Gabe Jones pensa aux feux d’artifice dela Fête Nationale. Ou à de mauvais effets spéciaux d’unfilm d’horreur.

Il s’accroupit au moment où un tir de mortier dessi-nait un arc dans le ciel, ajoutant un flash de lumière, dela fumée et des boums cinglants au tableau surréalistequ’il avait sous les yeux. Ce spectacle surgissait trop fré-quemment ces derniers temps. Derrière lui, les arbrestremblèrent sous les tirs de shrapnel et de Kalachni-kov. La graisse des armes, la sueur, et l’odeur du sang etde la mort se mêlaient aux relents aigres de la pourri-ture tropicale. La chaleur étouffante grimpa encore dequelques degrés quand il songea à ce qui arriverait si unmortier de 60 mm atterrissait sur ses cuisses. Voilà quiserait un moyen infaillible de boucler cette journée parfai-tement merdique.

La Fête Nationale, les films d’horreur, et la moisissuretropicale. Le trio de dingue, se dit Gabe en survolant des

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yeux les visages moites et barrés de salissures deshommes accroupis autour de lui, terrés dans des tran-chées creusées à la hâte par les Rangers. Après tout,cette guerre entière était dingue. Rectification : ce« conflit » était dingue. Toujours respecter le jargonpolitique à la lettre. Aucune nation, souveraine ou non,ne devait s’imaginer que les États-Unis étaient venus auSierra Leone faire la guerre – même si cette ordure deFoday Sankoh, leader du Front Révolutionnaire Uni, etsa milice meurtrière du FRU devaient être évincés dupouvoir.

Donc, non. Les Américains n’étaient pas là pour fairela guerre. Oncle Sam, œuvrer pour le bien ? Sûrementpas ! Si quelqu’un s’aventurait à poser la question, leGroupe d’Intervention d’Urgence n’existait même pas.En théorie, la petite unité intégrée des forces d’Opéra-tions Spéciales aurait dû autant subir les attaques desFRU que les fantômes.

Ça tombait bien, se dit Gabe, parce qu’avant le leverdu soleil, chacun risquait d’être réduit à l’état de fan-tôme. N’importe lequel d’entre eux pouvait mourir dansce trou perdu et étouffant, où la vie avait moins devaleur qu’un bout de charbon poli qui finirait à l’annu-laire d’une quelconque starlette. Où la pitié était unconcept aussi étranger aux autochtones que la paix et lasatiété.

De l’avant-bras, il essuya la sueur qui ruisselait surson visage au moment où un tir de mortier projetaitune nouvelle série d’éclairs aveuglants. Leur lueur illu-mina les visages familiers des hommes plaqués au sol,qui venaient d’échapper de justesse à une patrouille-surprise des FRU.

L’équipe était censée mener l’assaut. Aucune milicen’aurait dû se trouver à moins de deux kilomètres deleur position actuelle, et pourtant ils se faisaient canar-der par une troupe du FRU à grand renfort de tirs. Cequi signifiait que quelqu’un avait royalement foiré.

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Quelqu’un qui était tranquillement assis au quartiergénéral, totalement hors d’atteinte, et qui se servait del’imagerie par satellite à infrarouge pour transmettredes informations erronées.

Quelqu’un qui n’appartenait pas aux Opérations Spé-ciales mais qui avait obtenu cette place de régisseur.Quelqu’un qui avait mal saisi les raisons pour lesquellesles membres du Groupe d’Intervention d’Urgenceavaient besoin d’agir avec la précision chirurgicale d’unscalpel, et pas à coups de massue.

Quelqu’un, se dit Gabe, qui était bien à l’abri tandisque la boue et les débris d’un tir proche lui retom-baient dessus, et qui, de toute évidence, n’y connaissaitque dalle. Sans quoi l’unité ne se serait jamais retrouvéecoincée dans cette embuscade.

Le cliquetis reconnaissable entre mille d’un M-60,une mitrailleuse à chargement par bandes, vint s’ajou-ter aux bruits ambiants tandis qu’il scrutait les visagesqui l’entouraient. Malgré leurs peintures de camou-flage, il pouvait mettre un nom sur chacun d’eux.

Moins de deux mètres à droite de Gabe, l’adjudantSam Lang, Delta, allongé sur le ventre, son fusil àlunette M-24 prêt à tirer. Son visage n’exprimait absolu-ment rien, mais Gabe savait malgré tout ce que Langpensait. La même chose que Gabe : Arrêtons de faire lesmarioles.

Lang était le sang-froid incarné. Formé à l’école dessoldats Teddy Roosevelt, il marchait en affichant un airdissuasif. Sous les tirs, il restait de marbre et agissaitmécaniquement. Une vraie machine. Et comme à tousles hommes de l’unité, Gabe faisait confiance à Langpour l’accompagner en enfer, et en revenir. Car c’étaitprécisément là que les menait cette nuit.

Allongé à côté de Lang, leurs hanches se touchant pres-que, l’observateur de Lang, Johnny Duane Reed. Marineconfirmé et orgueilleux, le cow-boy avait rejoint l’unitéaprès avoir été viré de son groupe de reconnaissance.

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Mais comme tout bon Marine, il avait encaissé – bienqu’il soit resté prétentieux et aussi insolent qu’un coqdans une basse-cour pleine de jeunes poulettes.

Le regard de Gabe passa à Mendoza, Ranger de laCompagnie Aéroportée ; à Colter, soldat de la MarineAméricaine ; à Tompkins, également membre de l’éliteet à une demi-douzaine d’autres. Pris individuellement,ils étaient tous des spécialistes dans leurs domaines,que ce soit les explosifs, le tir d’élite, la démolition, lalogistique, la radio et la communication, la médecine,ou la reconnaissance. Dans le cas de Gabe, c’était lecouteau. Son Arc Angel Butterfly en acier ne le quittaitjamais, à moins que quelqu’un soit en danger de mort.

D’un point de vue collectif, ils composaient une forcequi dépassait l’entendement. L’éventail complet desarts militaires, des guerriers super entraînés dans cha-que branche du service, auxquels venaient s’ajouterdeux agents de la CIA, Savage et Green.

Ils représentaient la crème de la crème. Un entraîne-ment intense associé aux missions des trois dernièresannées avait mis fin à une rivalité naturelle entre diffé-rentes spécialités pour faire d’eux une équipe soudée.Ils étaient bien plus que les membres d’une mêmeéquipe. Ils avaient dépassé ce stade. Ils avaient traversétrop de moments cruciaux pour en arriver là.

Il aventura ses yeux vers Bryan Tompkins et sa tête degamin. Comme si Bry avait lu dans ses pensées, il luirendit son regard en secouant la tête, semblant dire ilsont encore merdé, puis fit sa fameuse moue de bébé, etils s’en retournèrent à leurs préoccupations respectivesqui consistaient à rester en vie.

Non, se dit Gabe en tournant la tête vers la source destirs de mitrailleuse. Ils n’avaient rien d’une banaleéquipe. Ils étaient frères. Dans l’âme. Dans les faits.Pour de bon.

Il y avait cependant un problème de taille : le Grouped’Intervention d’Urgence n’existait pas. Pas pour

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l’administration. Dans aucun fichier, dossier ou rap-port, sur aucun bureau, CD-ROM ou disque dur duPentagone.

En dehors du cercle intime du président, des chefs etdu personnel concerné, le GIU était une non-entité. Ausein de l’équipe, les informations étaient confiden-tielles et divulguées au compte-gouttes. L’homme quis’entretenait directement avec le commandant en chefdes opérations était l’officier commandant de Gabe, leCapitaine Nathan Louis Black, du Corps des Marinesdes États-Unis.

Gabe rechercha son oreillette dans le noir et espéraentendre l’ordre qu’ils attendaient tous. Black était unvétéran, et il avait plus de conflits à son actif que lesSaoudiens ne possédaient de puits de pétrole. Sur sonuniforme, il arborait plus de décorations qu’un sapin deNoël. Cet homme était né pour combattre. Il donnaitses ordres au front, sans jamais hésiter. Le grouped’intervention aurait été prêt à ramper, à saigner et àmourir pour lui.

Cela dépassait ses fonctions de commandant. C’étaitune question de confiance, de loyauté, et même d’affec-tion entre lui et ces hommes de combat, souvent desrenégats, qu’un opposant au groupe d’interventionavait un jour appelés les Monstrueux Crétins de Black.

La remarque était censée les mettre en pétard. Maisau bout du compte, cette mauvaise boutade avaitcimenté leurs liens, faisant de ces coéquipiers desfrères. Depuis ce jour, les Monstrueux Crétins de Blackse faisaient fièrement appeler les MCB.

Un tir de Kalachnikov siffla juste au-dessus de la têtede Gabe avant de s’écraser contre un arbre. Il se pen-cha au moment où une branche cédait et s’écrasait. Cesabrutis se rapprochent.

S’ils n’éliminaient pas la grosse artillerie qui leurenvoyait des mortiers aussi facilement que des bombesà eau, ça allait mal finir.

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Du milieu du rang, Gabe repéra Black, juste avantd’entendre sa voix rugir dans son oreillette.

— Attendez… attendez…Enfin les prémices de l’ordre tant attendu. Le

moment de se débarrasser de cette coriace poche derésistance n’allait plus tarder.

Le moment était venu pour eux de mériter leursalaire.

À la gauche de Gabe, Mendoza se signa puis plaquason crucifix en or sur ses lèvres avant de le ranger sousle plastron de sa veste en Kevlar.

Gabe s’accroupit et épaula son M-16.— Fais-en une pour moi, l’enfant de chœur, murmura-

t-il.— Tous les « Je vous salue Marie » du monde ne suf-

firaient pas à sauver ta peau, Lieutenant Jones. Mon-sieur, ajouta Mendoza avec un bref sourire, ses dentsblanches luisant dans l’obscurité. Même Saint Jude alâché l’affaire avec toi, mi hermano.

Saint Jude, le patron des causes perdues. Qui, dépité,avait laissé tomber Gabe. Autant dire que je suis perdu,songea Gabe en sentant l’adrénaline envahir son orga-nisme à la vitesse d’une torpille.

Le « allez-y » calme de Black retentit enfin dans lesoreilles de Gabe.

L’équipe tira sans attendre, exécutant l’ordre tran-quille et serein de Black.

Le temps, comme la réalité, se fondit dans le noir, lerouge et le blanc de la flambée d’étoiles provoquée parles tirs des armes automatiques. Gabe s’élança en cou-rant, roula sur lui-même et rampa tout en ripostant auxattaques à l’aide de son M-16 alors qu’ils progressaienten direction du bastion des FRU.

Ayant une idée générale de la position de chaquemembre de l’équipe du groupe d’intervention, il avança,ignorant les hurlements et la terreur des FRU qui, stu-péfaits, tombaient comme des mouches.

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Tout en les évitant, Gabe vida son chargeur de trenteballes. Il venait de se retrancher derrière un arbre, enappui sur un genou, pour réapprovisionner son armequand il entendit le cri de guerre de Reed.

Il jeta un coup d’œil vers le mur de sable d’où s’échap-pait de la fumée. Lang avait éliminé les artilleurs demortier qui leur avaient donné du fil à retordre. Sams’empara du fusil mitrailleur. En plein dans le mille.Le tireur gardait le doigt bloqué sur la gâchette, etenvoyait des balles traçantes dans les airs. Sans laisserle temps à ses coéquipiers de prendre la relève, Gabeévalua la cible, tira trois rafales brèves et l’élimina.

La grosse artillerie était hors service, et la résistanceperdit rapidement de sa force.

— Maintenez le feu ! (Si Black devait connaître lamême montée d’adrénaline que toute l’équipe, sa voixsemblait calme dans l’oreillette.) Mendoza. Tompkins.Rapport de situation.

Le protocole exigeait d’annoncer clairement ce queles hommes savaient déjà. La patrouille des FRU avaitété réduite à néant. Ceux qui ne s’étaient pas enfuis àtoutes jambes étaient morts ou agonisants. Et pourtantl’équipe restait sur ses gardes, à la recherche d’éven-tuels résistants tandis que Mendoza rampait prudem-ment vers ce qui avait été la base des FRU afin dedresser le bilan de la situation.

— Dégagé.Le compte-rendu de Mendoza fut bref et attendrissant.— Tompkins ? Black appela le sergent de la force

d’élite.Pas de réponse.Le visage maculé de peinture de camouflage et

de sueur, l’équipe fouilla la zone à la recherche deTompkins.

Gabe fut le premier à le repérer.— Doc ! (Il s’élança vers le soldat à terre.) Doc !

répéta-t-il en tombant à genoux à ses côtés.

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Il lâcha son M-16 et pressa de la paume de ses mainsla plaie béante qu’il découvrit à l’intérieur de la cuissede Tompkins.

Les mains de Gabe étaient visqueuses de sang quandle médecin, Luke Colter, alias Doc Holliday, vint lerejoindre auprès de Bry. Le médecin jura à voix bassetout en installant un garrot aussi habile que rapide.Derrière eux, des lumières s’allumèrent pour permettreà Colter de mieux y voir.

— Tiens ça. Bien serré ! (L’air sombre, Colter tenditles lanières du garrot à Gabe, et ouvrit rapidement samallette de secours.) Et maintiens la pression sur lazone touchée.

— F… froid.Les lèvres de Tompkins étaient bleues, et il claquait

des dents tout en s’efforçant d’ouvrir les yeux.— Nous sommes en Afrique, espèce d’andouille, fit

remarquer Gabe d’un ton bourru.Il sentait littéralement la vie de Bry s’échapper et lui

glisser entre les doigts.Les membres de l’équipe se rassemblèrent autour

d’eux. Colter installa une perfusion de sang, tendit lapoche à Mendoza pour qu’il la tienne en l’air, puis sepencha de nouveau sur la plaie, décidé à contenir lessaignements.

Il empila des linges sur la blessure. Comprima direc-tement l’artère.

— C’est… vraiment grave ? demanda Bry dans unsouffle.

Tous les yeux se tournèrent vers Colter. Le visage cou-vert de sueur, il s’appliquait à épancher l’écoulement desang.

— C’est l’artère fémorale, répondit-il en secouant latête.

Vraiment très grave, songea Gabe. Il n’y avait qu’à voirtout ce sang. Ils n’avaient mis que trois minutes pourtrouver Tompkins et lui porter secours. Il fallait entre

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trois et cinq minutes pour se vider de son sang lorsquel’hémorragie était aussi importante.

— Une vilaine égratignure, mon gars, dit Colter,d’une voix qui se voulait légère, bien que sa tristesse fûtperceptible. Tu pourras t’estimer chanceux si ta cica-trice est assez grosse pour que tu mérites une médaille.

— Dis… dis à ma… mère…— Va te faire voir ! (La voix de Reed était chargée de

colère. Il alla s’agenouiller derrière les épaules deBryan, et prit délicatement la tête de Tompkins entreses mains.) Tu as quelque chose à lui dire ? Tu lui dirastoi-même. (Lorsque Reed baissa la tête vers son frèred’armes, les larmes inondaient ses joues.) Tu lui dirastoi-même, putain ! cria-t-il quand Bry ferma les yeux, etque sa tête roula sur le côté.

Colter s’assit à terre. Il passa le plat de sa main ensan-glantée sur sa joue.

Gabe croisa son regard.Colter secoua la tête.— Nom de Dieu ! hurla Reed en martelant ses cuisses

de coups de poing.Lang posa une main apaisante sur son épaule. Il

les apaisa tous tandis qu’ils se relevaient, ou s’agenouil-laient, le regard fixe.

Mort.Leur frère était mort.Gabe serra les dents et ravala les émotions qui mena-

çaient de le submerger, et qui ne lui apporteraient riende bon.

Bryan Tompkins, avec sa tête de bébé, son regardfranc, ses convictions religieuses et patriotiques, avaitété l’un des meilleurs hommes et l’un des plus vaillantssoldats avec lequel Gabe ait jamais servi. Et il venait dese vider de son sang à cause d’un shrapnel qui avaitcreusé dans sa cuisse un trou assez gros pour y enfon-cer le poing.

Tout ça pour quoi ?

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— Pourquoi ? rugit Gabe, en fermant les yeux. À quoibon ?

Ce n’était pas la première fois qu’il se posait cettequestion.

Il se releva lentement. L’adrénaline était dissipéedepuis un bon moment et laissait place au désarroi, àun chagrin d’une rare intensité. Il marcha en directionde la jungle.

Là, dans l’obscurité, il brailla comme un bébé.

Richmond, VirginieUn mois plus tard

Un portrait à l’huile grandeur nature du sergent-major Bryan Tompkins en uniforme bleu était accro-ché au-dessus d’une cheminée en marbre blanc danslaquelle Gabe aurait pu tenir debout. À plus de quatremètres du sol, le plafond à corniche dominait unegrande salle ornée de boiseries qui mesurait au mini-mum six mètres sur dix.

En dépit de ses dimensions et de la décoration élé-gante, la pièce était chaleureuse et intime, confortableet informelle. C’était une pièce familiale dans le sens leplus authentique. Une famille vivait ici. Dans l’amour.

À présent, ils étaient en deuil.Qui aurait pu deviner ? se demandait Gabe, sans cesser

de s’étonner de la richesse de la famille de Tompkins. Quiaurait pu deviner que le père de Tompkins n’était autreque Robert Tompkins, ami de confiance et conseiller duprésident des États-Unis, ce qui faisait de lui un autre desrares membres de l’élite à connaître l’existence duGroupe d’Intervention d’Urgence.

Tompkins, quel cachottier. Gabe salua intérieure-ment le soldat qui leur avait fait croire qu’il était d’ori-gine modeste, et qui reposait désormais dans le sol ducimetière d’Arlington.

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— C’est bizarre, marmonna Reed du coin de la bou-che tandis que Gabe, Lang et une douzaine de mem-bres de l’unité se tenaient debout dans le salon desTompkins, après un service funéraire d’une heure quiavait rendu hommage à la vie et à la bravoure de leurfrère tombé au combat.

» Il y a de quoi se poser des questions, poursuivitReed, suffisamment bas pour que Gabe et Sam soientles seuls à entendre, alors qu’Ann et Robert Tompkins,les parents de Bryan, traversaient la pièce pour saluerchaque membre de l’équipe, en s’efforçant de mettretout le monde à l’aise malgré leur immense chagrin.

» Ouais, on peut se poser des questions, reprit-il envoyant que ni Gabe ni Sam n’osaient répondre. Pour-quoi a-t-il fait ça ? Pourquoi est-il devenu troufion ?Enfin quoi, Tompkins avait tout d’un mec normal. Maisla vache, regardez cette maison. Il était riche quandmême. Il aurait pu devenir tout ce qu’il voulait, fairetout ce qui lui plaisait. Pourquoi choisir l’armée quandon a tout ça ?

Gabe connaissait suffisamment l’histoire de JohnnyDuane Reed pour comprendre sa stupéfaction. Si Reeds’exprimait volontiers sur tous les sujets, il restait secretsur sa propre vie de sorte que Gabe n’en savait presquerien. Toutefois, il était parvenu à saisir que Reed n’avaitpas eu une enfance facile. Et sa jeunesse chaotiquel’avait amené à s’attirer des ennuis, ennuis qui l’avaientcontraint à choisir entre une vie désordonnée et lesMarines. Alors non, Reed ne pouvait pas concevoirqu’un homme qui avait apparemment tout ait décidé defaire un sale boulot.

Gabe le comprenait. De l’intérieur. Il était issu d’unefamille aussi aisée que Bry, mais en rencontrant Ann etRobert Tompkins, il avait compris que la ressemblances’arrêtait là.

Les Tompkins étaient de vrais parents. Aimants,généreux, fiers, et tolérants face à leur enfant et ses

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choix. Les parents de Gabe étaient plutôt du genre…absent. Cela résumait bien sa famille.

Un psy dirait certainement que Gabe était entré dansl’armée pour attirer l’attention du sénateur Clayton etde madame la juge Miriam Jones. En vérité, il avaitessentiellement pris cette décision pour les agacer,puisque c’était à peu près la seule réaction qu’il aitjamais obtenue d’eux, quand ils se donnaient la peinede s’intéresser à ce qu’il faisait.

Il regarda à la dérobée une jeune femme qui n’avaitpas quitté Mme Tompkins depuis l’arrivée de l’équipe.La jolie brune au regard sombre et intelligent était lapetite sœur de Bryan. « La gamine » comme Bryanl’appelait quand il parlait de sa finesse d’esprit, de soncharme, et quand il ajoutait qu’il était content qu’aucungars de la bande n’ait jamais l’occasion de l’approcher.Pas même le temps d’une nuit.

À vingt et un ans, ce n’était plus exactement une« gamine », et en voyant Stephanie Tompkins, aucunhomme n’aurait eu envie de l’appeler ainsi, mais à encroire l’expression sur le visage de Reed, Bryan avait euraison de se méfier de ses coéquipiers.

— Douze, dit Reed en jaugeant Stephanie. Sur uneéchelle de zéro à dix, la petite sœur de Bry mérite undouze.

— Ouais. Une vraie beauté.Comme ses parents, elle était en deuil, ce qui mainte-

nait Reed et le reste de l’équipe à distance, par respect.— Vous devez être Gabriel.Ann Tompkins s’approcha de Gabe en souriant, ses

mains fines et délicates tendues vers lui.— Mes condoléances, madame.Gabe recouvrit ses petites mains froides de ses

grosses pattes. Il se sentit gauche. Autant de grâce lemettait mal à l’aise. Autant de chaleur humaine éveil-lait sa modestie. Et les tristes yeux bruns de Stephanie

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Tompkins provoquaient en lui des sentiments qu’ils’autorisait rarement.

— Bry parlait souvent de vous quand il avait l’occa-sion de nous appeler. Il vous appelait l’Ange, reprit Ann.(Robert Tompkins surgit derrière sa femme et sa fille,et passa ses bras autour de leurs épaules.) Il disait quevous étiez le soldat le plus dévoué de l’équipe.

Cette fois-ci, Gabe se sentit profondément gêné.Ann sourit avec douceur, elle continua :— Il disait aussi que vous réagissiez toujours de cette

façon lorsqu’on vous faisait un compliment.Gabe déglutit malgré la boule qui lui barrait la gorge.— C’était quelqu’un de bien. Et un bon soldat.Aux yeux de Gabe, c’était le plus beau des compli-

ments. Mais un compliment complètement déplacé.Stephanie accueillit sa marque de sympathie d’un

signe de tête. Ann pressa une dernière fois ses mainsavant qu’elle et sa fille, suivies de près par Robert, nes’approchent de Reed, qui contrairement à son habi-tude, n’avait rien à dire. C’était une bonne chose, car s’ilavait retrouvé sa langue, il aurait été capable de tentersa chance avec la sœur de Bryan.

Les Tompkins s’adressèrent aux autres membres del’équipe, et après avoir échangé quelques paroles dis-crètes avec les commandants, retournèrent dans lagrande salle.

— Messieurs. (Robert Tompkins souriait courageu-sement.) Bry aurait été extrêmement heureux de savoirque vous êtes venus si nombreux pour vous joindre ànous. Il vous aimait comme des frères. Chacun d’entrevous. (Quand sa voix se brisa, il se tut, et détourna leregard le temps de se ressaisir.) À travers ses lettres etses appels téléphoniques, nous avons appris à vousconnaître et à vous aimer, nous aussi. Ça ne lui plairaitpas de savoir que vous pleurez aujourd’hui.

Les yeux d’Ann s’emplirent de larmes.

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» Il voudrait que vous célébriez les liens qui vousunissent tous, la vie que vous menez. Alors je ne veuxplus voir de tristesse sur vos visages. (Robert écarta lesbras, en s’efforçant de sourire.) Il y a à manger. Il y a dela bière. (Il sourit plus largement.) Et je sais combienvous aimez ça.

Des sourires réticents apparurent çà et là dans la salle.— Derrière cette double porte, vous trouverez une

salle de jeux. N’hésitez pas à vous y rendre. Je pensequ’il y a de quoi vous distraire toute la journée. Allez-y.Décompressez. Profitez-en. Vous avez besoin de faireune pause, alors ne vous gênez surtout pas.

Deux heures plus tard, les MCB s’amusaient commedes enfants autour du billard, du jeu d’arcades, de latable de poker où Gabe devait cinquante dollars à Luke« Doc Holliday » Colter, et ils étaient parvenus à sedétendre au point de passer un bon moment.

Quand l’heure de quitter les lieux sonna, Gabe crai-gnit de s’en aller, autant qu’il avait redouté de venir.Tout comme ses coéquipiers.

Cependant, les Tompkins n’en avaient pas fini aveceux.

— N’oubliez pas, vous êtes les frères de Bry, leur rap-pela Robert au moment où ils se rassemblaient près desvoitures de location qui allaient leur permettre derejoindre l’aéroport. Cela fait de vous nos fils. Et en tantque fils, nous voulons que vous considériez désormaiscette maison comme la vôtre.

Ann souriait avec autant de courage que son mari.— Voyez-nous comme une deuxième famille. Quand

vous aurez besoin de reprendre des forces. Quand vousaurez besoin de faire une pause dans la douceur.Quand vous aurez besoin de quoi que ce soit… vousserez ici chez vous.

À la maison. Une famille. Cela aurait pu passer pourde la mièvrerie, des sentiments pour lesquels Gaben’avait jamais eu de temps. Et pourtant, lorsqu’il monta

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à l’arrière de la voiture qui s’éloigna, ces mots réson-naient dans sa tête. Et ils y tournèrent en boucle avantde s’installer dans sa poitrine. Où, bizarrement, ils trou-vèrent leur place.

Par la fenêtre, il regarda les véhicules défiler. Il sedemanda si les autres MCB s’étaient sentis aussi pro-ches des Tompkins que lui.

Peut-être qu’il était juste fatigué. Peut-être qu’il étaitprofondément las de se battre pour les autres, etd’enterrer ses frères. Restait l’idée d’avoir une maison,une famille. C’était plus que tentant. Quelle surprise.

La deuxième surprise eut lieu à l’aéroport quand ilsapprirent que l’avion qui devait les ramener au quar-tier général allait avoir une heure de retard et que Blackannonça :

— Et merde. Allons au bar.Tous les regards s’arrêtèrent sur Nathan Black.

Aucun d’entre eux ne l’avait jamais vu boire. Cela ne lesempêcha pas de le suivre en direction du premier barvenu. La salle était vide, et Black choisit deux tablesdans un coin reculé avant de commander un doublescotch.

Gabe était devant sa bière mousseuse quand Blackreprit la parole.

— J’avais prévu d’attendre d’être rentré pour vous enparler, mais pourquoi ne pas le faire maintenant,commença-t-il à voix basse, afin qu’aucun inconnu nepuisse l’entendre.

Leur prochaine mission. Gabe se dit que Black allaitleur annoncer que dans moins de vingt-quatre heures,ils passeraient de nouveau à l’action, dans un autreenfer du tiers-monde, pour faire ce qui devait être fait àcelui qui ne méritait que ça.

Dans quel but ?Comme souvent depuis plus d’un mois, la question fit

écho dans la tête de Gabe alors qu’il revoyait Bryan

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Tompkins se vider de son sang. Il comprit que la pro-chaine fois, ça pourrait être lui.

— J’arrête.La déclaration de Black retentit comme un coup de

feu. Elle fut accueillie par un silence pesant. Personnene s’aventura à bredouiller vous rigolez avec un rire ner-veux. Ils savaient tous que Nathan Black ne blaguaitjamais.

Ils attendirent. Comme ils auraient attendu une mis-sion. La gorge serrée. Envahis par l’adrénaline.

Black ne quittait pas son verre des yeux.— Il y a trois ans, quand on m’a confié ce boulot, j’ai

sauté sur la chance de diriger le Groupe d’Interventiond’Urgence. J’ai applaudi la prévoyance du président etchéri son engagement envers la mission et les besoinsde l’équipe. J’ai fêté nos victoires. Pleuré chacune denos pertes. (Il releva la tête, et les survola du regard.) Etj’ai été honoré et fier de commander chacun d’entrevous.

— Alors pourquoi ?Reed osa poser la question que la surprise les empê-

chait de formuler.Ses yeux noirs mi-clos, Black semblait las et grave.— Je ne manque pas de raisons. La bureaucratie. Les

guerriers de salon du Pentagone. Les mauvaises déci-sions qui conduisent des hommes de bien à leur perte.

Toutes les pensées se tournèrent vers Bryan.— Et la nouvelle administration qui va bientôt être

mise en place, qui parle déjà de faire disparaître leGroupe d’Intervention d’Urgence, et qui prend enmême temps des pincettes avec l’ennemi, reprit Blacken secouant la tête d’un air dégoûté. L’essentiel, c’estque certains œuvrent déjà à nous réintégrer sous lacoupe des Opérations Spéciales. Et le service des ren-seignements qui a merdé en Sierra Leone. Ça prouveautre chose. On peut se passer de nous.

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— Comme ils se sont passés de Bry, ajouta Reed avecamertume.

Black se frotta le visage. Acquiesça.— Je suis sous contrat jusqu’à la fin du mois pro-

chain. Je ne vais pas rempiler.Ce qui voulait dire que si le Groupe d’Intervention

d’Urgence restait intact, ils auraient un nouveaucommandant.

Les coups d’œil rapides qu’ils échangèrent en disaientlong. Ils ne voulaient pas d’un autre commandant.

— Donc, poursuivit Black, il va arriver un drôle detruc quand je rentrerai à la maison. Je vais passer dansle privé, les gars, déclara-t-il en les regardant dans lesyeux. Je vais monter ma boîte.

— Dans le privé ? Comment ça ? demanda Mendoza.Pour la première fois, un léger sourire fit redresser un

coin de la bouche de Black.— Privé dans le sens où, là-haut, on m’a proposé de

me payer au tarif de mon choix pour faire le même bou-lot que maintenant.

— Mais sans culpabilité de la part du gouvernementaméricain, conclut Sam avec clairvoyance.

— Vous voyez comme tout s’est bien goupillé ? (Lavoix de Black comportait autant de sarcasme que decynisme.) Le Groupe d’Intervention d’Urgence dispa-raît, mais l’agence Opérations Black sera là pour pren-dre la relève quand ça chauffera un peu trop.

— C’est des conneries, vociféra Gabe en songeant àtout ce que l’équipe avait accompli.

— C’est de la politique, corrigea Black avec gravité.Mais si je peux continuer à faire mon boulot en étantpayé au prix fort, et en faisant les choses comme j’en aienvie ? (Il haussa les épaules.) Alors, quoi ? Je dis oui !

Autour de la table, il rencontra des visages fermés.— Au fait, je recrute. Ça intéresse quelqu’un ?

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Landers, WyomingNeuf ans plus tard

— Allez, petit rebelle. Retourne avec les autres, mur-mura Jenna McMillan à un veau à tête blanche qui ten-tait de s’échapper du troupeau.

Puis elle attendit et lâcha la bride de l’alezan robustequ’elle montait.

Une semaine plus tôt, quand ils avaient commencé àdéplacer le bétail de son père au pied de la montagne,Jenna avait compris que le hongre n’avait pas besoin deson aide. Le cheval savait exactement ce qu’il faisait etcomme toujours, il bloqua le passage du petit animal.

Il n’y avait pas si longtemps que ça, Jenna savait cequ’elle faisait, elle aussi. Et maintenant ? Pas vraiment,se dit-elle.

Dewey Gleason approcha son cheval du sien, et luioffrit son franc sourire si contagieux.

— Qu’est-ce qui te fait sourire, vieux malin ?Si elle s’efforçait de paraître contrariée face à

l’homme qui était le bras droit de son père depuis uneéternité, elle eut du mal à ne pas lui rendre son sourire.

— Toi, ma petite. Je te souris à toi, c’est tout.

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Dewey était un cow-boy né dans un ranch, qui avaittoujours travaillé dans un ranch et qui vivrait dans unranch jusqu’à la fin de ses jours. Un authentiquemeneur de troupeau. Il travaillait avec son père depuisprès de trente ans. Dewey était aussi à l’aise sur uneselle qu’un train sur des rails. Jenna le soupçonnait for-tement de se moquer de ses talents de cavalière quiétaient quelque peu rouillés.

— Alors je te fais rire, c’est ça ? Toi et les autres gars,vous riiez moins hier soir, quand j’ai tout raflé à la tablede poker, reprit Jenna.

Elle avait tout remporté, les onze dollars et vingt-trois cents de mise. De gros dépensiers, se dit-elle enrevoyant Dewey compter ses dernières pièces de mon-naie pour décider s’il devait suivre.

— Je ne me moque pas, Jenna Rose. Je réfléchis.— C’est encore pire.— Je me disais qu’avant que tu t’en ailles voir le vaste

monde et écrire tes articles, tu étais une vraie cow-girl,expliqua-t-il sans méchanceté.

— Je suis d’accord avec toi, concéda-t-elle, en soule-vant ses fesses ankylosées de la selle pour soulager ladouleur qui grondait.

Ouais, avant, elle était une vraie cow-girl. Et mainte-nant, elle n’était plus qu’une petite joueuse. Elle faisaitdes efforts et tuait le temps en chevauchant en compa-gnie de vrais cavaliers. Toutefois, sa fierté en prenait uncoup.

— Est-ce que je monte vraiment comme unedébutante ?

Dewey fit passer ses rênes en cuir d’une main noueuseà l’autre.

— Pour moi, tu es toujours aussi belle, Jenna Rose,dit-il avant de prendre conscience de ce qu’il venaitd’admettre, et que c’était trop sentimental.

Dewey rougit jusqu’aux oreilles.— Tu as gardé ton cœur tendre, Dewey Gleason.

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Jenna aurait toujours de l’affection pour lui. Aprèstout, il lui avait appris à monter à cheval. À se servird’un lasso. Il lui avait appris que la valeur d’un hommene se mesure pas à son éducation, ou à sa fortune.

Oui, Dewey avait les pieds sur terre. Et c’était unequalité qu’elle appréciait.

En bon gentleman, quand un autre veau tenta des’échapper, Dewey toucha du bout des doigts le bordde son vieux Stetson taché, avant de donner un coupde talon à sa monture et de partir à la poursuite del’animal.

Le cheval de Jenna décida de suivre le mouvement.Il se précipita et fit un petit saut qui manqua la fairetomber.

Elle évita la chute de peu.Tu vois, Dewey, se dit-elle avec une pointe de fierté. Je

tiens toujours aussi bien en selle.— Pas la peine de prendre cet air satisfait, ma petite

demoiselle.La voix de son père était teintée d’amusement, et son

avertissement se perdit dans la fraîcheur de l’automneet la poussière que deux cents têtes d’Angus soulevaienten dévalant le sentier serpenté qui menait des hautesplaines, où elles passaient l’été, aux pâturages du Sudoù elles allaient rester tout l’hiver.

— Ce jeune alezan a du cran. (Il refréna sa monturecouleur sable pour adopter la même allure qu’elle.) Maisil pourrait te faire tomber si tu ne fais pas attention.

Elle sourit pour lui faire plaisir, et lui signifia qu’elleavait reçu le message.

Contrairement à Dewey dont la peau tannée ressem-blait à du cuir usé, son père était resté séduisant malgréles rides profondes qui entouraient ses yeux, nées dusoleil, du temps et des sourires. Mais comme Dewey, sonpère avait raison de s’inquiéter pour elle. Ses talents decavalière n’étaient plus qu’un souvenir, et tout le mondesavait qu’elle était tombée de cheval à plusieurs reprises.

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Une radio de son bras gauche révélerait clairement unelongue fêlure, rappel de l’une de ces chutes.

Ça remonte à loin, songea-t-elle en fermant le dernierbouton de sa veste en daim, et en remontant le col rouléen laine pour se protéger du froid.

Il y avait peu, elle était une fois de plus tombée dehaut, mais d’une autre manière, songea-t-elle dansle silence qui accompagnait leur balade à cheval. Celatenait plus du rejet que de la chute. Mais pour elle,cela revenait globalement au même.

Gabriel Jones l’avait méprisée dès le premier regard,juste par principe et parce que c’était un chef de meutesans cœur et borné. Elle s’était éloignée de lui et del’Argentine neuf mois plus tôt. Et elle n’avait toujourspas réussi à le chasser de sa tête.

Cela la mettait en rogne.Tout comme sa réaction quand elle avait reçu un mot

que Hank Emerson, son rédacteur en chef à Newsday,lui avait envoyé deux jours plus tôt. De la culpabilité.Hank avait réussi à provoquer en elle un sentiment deculpabilité. Il voulait qu’elle revienne travailler pour lui.

J’ai besoin de toi ici, Jenna. Tu es la seule qui puissecouvrir cette affaire. Maxim t’a demandée expressément.Il a dit qu’il ne ferait confiance à personne d’autre. Sanscompter que tu connais bien le terrain.

Ça oui. Jenna connaissait bien les lieux, aucun doutesur ce point. C’était pour cette raison que l’idée deretourner en Argentine la terrifiait.

Et en même temps, le projet la séduisait.Hank avait raison, Emilio Maxim était un gros coup.

Il y avait de quoi faire un bel article. Voire un beaureportage. Elle en était capable, si seulement elle trou-vait le courage d’y retourner et d’affronter une cargai-son de démons.

— Pendant combien de temps vas-tu continuer à tetenir à l’écart des gros sujets pour me balancer desbroutilles comme tu le fais toujours, Jen ? lui avait

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demandé Hank la veille, quand il avait fait suivre sone-mail d’un coup de téléphone. Je ne veux pas que tu meparles du sort des caribous en Alaska. Je ne veux riensavoir de la disparition des abeilles et de la fin du miel !Je veux un article signé Jenna McMillan. Quelque chosequi ait du nerf. Du chien.

Puis il s’était radouci, et Jenna l’avait aisément ima-giné en train de passer une main dans sa cheveluregrisonnante.

— Jenna, je me demande bien ce qui a pu t’arriverlà-bas.

Ce qui s’était passé en Argentine, elle n’en avaitjamais parlé à personne. Et ce n’était pas près de chan-ger. Hank ne saurait jamais. Pas plus que ses propresparents.

Comment pourrait-elle leur dire qu’à Buenos Aires,alors qu’elle cherchait un homme nommé EdwardWalker, on l’avait enlevée avant de lui bander les yeux,et de la conduire dans un village fait de poussière et depisé, au milieu de nulle part, pour l’enfermer dans unecellule de deux mètres sur deux, infestée de vermine,sans nourriture ni eau pendant plusieurs jours ?

Comment pourrait-elle raconter qu’au moment oùelle se disait qu’elle allait pourrir là, elle avait subite-ment été emmenée par des voyous armés qui l’avaientjetée à l’arrière d’un pick-up cabossé avant de laconduire dans un camp plein de porcs dans leur genre ?

Elle frissonna. Les ordures avaient eu toutes sortesd’abominables gestes avant qu’on la sorte de là.

Gabriel Jones.Ensuite, le vrai cauchemar avait commencé.But don’t cry for me, Argentina1, pensa-t-elle avec

amertume.

1. « Ne pleure pas pour moi, Argentine », célèbre chanson reprise parMadonna. (N.d.T.)

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Elle avait versé suffisamment de larmes, merci bien.Toutes ces pleurnicheries et cet auto-apitoiementl’avaient transformée en écervelée guidée par la lâcheté.

Cette constatation la rongeait car, au plus profondd’elle-même, l’ancienne Jenna McMillan était toujoursvivante. Et elle ne baissait pas les bras. Sa mère aimait àraconter que Jenna n’avait que deux ans quand son pèrel’avait assise sur le dos d’un cheval. Elle avait immédia-tement su galoper.

S’il lui arrivait de tomber – et elle avait encaissé plu-sieurs chutes dans sa vie professionnelle et person-nelle – elle remontait toujours en selle.

Où est passée cette femme ? se demanda-t-elle avectristesse. Quand l’ancienne Jenna McMillan va-t-ellereprendre du service ?

En s’apercevant que son père l’observait en fronçantles sourcils, elle s’efforça de sourire de toutes ses dents.

— Alors, raconte-moi comment tu vas ? demanda-t-elle avant qu’il lui pose la même question.

Elle connaissait la réponse. Il prenait de l’âge, voilàcomment il se portait. Tout comme sa mère. Jennas’inquiétait pour eux. Les hivers rudes du Wyoming etle travail intense commençaient à laisser des marques.De nombreuses années s’étaient écoulées depuis qu’elleétait partie suivre des études d’infirmière, avant dechanger de domaine. Une place de stagiaire pour lejournal du campus l’avait menée au journalisme, et à laquête sans fin du scoop à travers le monde.

Pas trouvé beaucoup de bons sujets depuis un petitmoment, tout de même, hein, la journaliste ?

Non, pas beaucoup, admit-elle avec déception.Hank avait raison. Elle avait disparu. En liberté

conditionnelle. Et maintenant elle se cachait.— Je vais très bien, Jenny. J’allais te poser la même

question.Elle lui offrit un large sourire.— Moi ? Tout va très bien.

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10203CompositionFACOMPO

Achevé d’imprimer en Espagne (Barcelone)par GRAFICA VENETA

le 16 décembre 2012.

Dépôt légal : décembre 2012.EAN 9782290067277

L21EPSN000897N001

ÉDITIONS J’AI LU87, quai Panhard-et-Levassor, 75013 Paris

Diffusion France et étranger : Flammarion