[Berger_Veronique]_Les_dependances_affectives__Aimer et être soi

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Véronique Berger affectives Les dépendances Aimer et être soi Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

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  • V r o n i q u e B e r g e r

    affectivesLes dpendances

    150 x 225 19 mm

    Aimer et tre soiLes

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    Libres daimer Tu es tout pour moi , je nai besoin de personne ,

    nous ne faisons quun , tre ensemble est insupportable mais nous quitter est impossible Angoisse dabandon, mcanismes disolement ou dsir de fusion lautre, sont divers visages dun mme phnomne : la dpendance a ective. Comment la reconnatre ? Do vient-elle ? Peut-on sen librer ?

    travers des tmoignages riches et clairants, ce livre met au jour les origines familiales et gnalogiques des dpendances a ectives : accaparement de lenfant par le parent, emprise, dsamour, violences et abus, traumatismes transmis de gnration en gnration... Surtout, il nous invite mobiliser les ressources dont nous disposons pour accder la libert dtre soi. Le choix dune vie non plus subie mais incarne, mme sil est di cile, nous appartient.

    Vronique Berger est psychanalyste, membre de la Fdration des ateliers de psychanalyse (FAP). Aprs plusieurs annes de pratique en milieu institutionnel, elle exerce aujourdhui en libral auprs dadultes et de couples.

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    Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

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  • Les dpendances affectives

    Aimer et tre soi

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  • Groupe Eyrolles61, bd Saint-Germain75240 Paris cedex 05

    www.editions-eyrolles.com

    Le Code de la proprit intellectuelle du 1

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    juillet 1992 interdit eneffet expressment la photocopie usage collectif sans autorisation desayants droit. Or, cette pratique sest gnralise notamment danslenseignement, provoquant une baisse brutale des achats de livres, aupoint que la possibilit mme pour les auteurs de crer des uvresnouvelles et de les faire diter correctement est aujourdhui menace.En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire

    intgralement ou partiellement le prsent ouvrage, sur quelque support que ce soit, sansautorisation de lditeur ou du Centre Franais dExploitation du Droit de copie, 20, ruedes Grands-Augustins, 75006 Paris.

    Groupe Eyrolles, 2007ISBN : 978-2-212-53861-8

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  • Vronique Berger

    Les dpendancesaffectives

    Aimer et tre soi

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  • Dans la collection Comprendre et agir ,chez le mme diteur :

    Juliette Allais,

    La psychognalogie

    Valrie Bergre,

    Moi ? Susceptible ? Jamais !

    Sophie Cadalen,

    Inventer son couple

    Marie-Joseph Chalvin,

    Lestime de soi

    Michle Declerck,

    Le malade malgr lui

    Michle Declerck,

    Peut-on changer ?

    Ann Demarais, Valerie White,

    Cest la premire impressionqui compte

    Jacques Hillion, Ifan Elix,

    Passer laction

    Lorne Ladner,

    Le bonheur passe par les autres

    Lubomir Lamy

    , Lamour ne doit rien au hasard

    Dr. Martin M. Antony, Dr. Richard P. Swinson,

    Timide ?Ne laissez plus la peur des autres vous gcher la vie

    Virginie Meggl,

    Couper le cordon

    Virginie Meggl,

    Face lanorexie

    Martine Mingant,

    Vivre pleinement linstant

    Ron et Pat Potter-Efron,

    Que dit votre colre ?

    Dans la srie Les chemins de linconscient ,dirige par Saverio Tomasella :

    Saverio Tomasella,

    Faire la paix avec soi-mme

    Catherine Podguszer, Saverio Tomasella,

    Personne nest parfait !

    Christine Hardy, Laurence Schifrine, Saverio Tomasella,

    Habiter son corps

    Gilles Pho, Saverio Tomasella,

    Vivre en relation

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    Remerciements

    Je souhaite tout dabord manifester ma trs grande reconnaissance Saverio Tomasella qui revient lide de ce livre pour son amiti,sa grande gnrosit, son fidle soutien ainsi que pour son accompa-gnement subtil, attentif et constant. Sans sa confiance et son appui,le projet de ce livre naurait pu parvenir ralisation.

    Je remercie avec sincrit et chaleur lensemble des patientes etpatients pour la confiance quils maccordent et le cheminement trsriche partag avec eux.

    Je dsire exprimer ma profonde gratitude celles et ceux dentre euxqui tmoignent, dans cet ouvrage, de leur vcu personnel et de leurexprience psychanalytique. Leur contribution gnreuse, confianteet courageuse participe grandement lme de ce livre. De mme,leurs prcieux tmoignages peuvent servir dautres et les clairerdans leur chemin de rflexion.

    Je sais gr Max Denes de notre discussion fructueuse sur le thtrede Don Juan, ainsi que de mavoir confi et donn de dcouvrir lesuvres de Lenau et Milosz qui ont nourri ma pense.

    Jadresse galement mes remerciements les plus cordiaux mes relec-trices et relecteurs : Francine Fbvre pour sa lecture de la premireheure ; Pomme Goldenberg et Gilles Berger pour leur concoursdvou et avis. Ils furent mes indispensables candides veillant la lisibilit et la clart de mes crits.

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    Enfin, jexprime un grand merci mon mari et mes enfants pourleur infinie patience et leur bienveillance ainsi qu tous mes prochespour leur constant soutien.

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  • Ce livre est ddi : ma famille,

    mes amis.

    Lindpendance fut toujours mon dsiret la dpendance ma destine

    Alfred de Vigny

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    Table des matires

    Prface ...................................................................................... XIIIAvant-propos ............................................................................. XVIntroduction................................................................................ 1

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    REMIRE

    PARTIE

    Les multiples visages des dpendances affectives

    Chapitre 1 Tout dpend de toi

    ......................................... 7Le sentiment de ne pas exister en dehors de lautre :tu es tout pour moi................................................................. 8Langoisse de la perte : jai trop peur de te perdre ................... 16Le manque : je suis accro .................................................. 21Le sentiment dabandon : je me sens tout(e) seul(e) ................... 30

    Chapitre 2 Je taime la folie pas du tout

    ................... 43La fusion lautre : nous ne faisons quun ............................... 44Lidalisation : je tadore ........................................................ 52La haine : je te hais mon amour ........................................ 64vitement du rapprochement et angoisse de sparation :tre ensemble est invivable, nous quitter est inconcevable .......... 73

    Chapitre 3 Je ne dpends de personne

    ............................ 83Lisolement et la coupure : besoin de personne......................... 84Lindiffrence et ses feintes : rien ne me touche......................... 92

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    Don Juan : je les aime toutes .................................................. 104Se protger du lien de dpendance......................................... 118Conclusion ............................................................................ 121

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    PARTIE

    Hritage des dpendancesaffectives : la part des autres

    Chapitre 1 Laccaparement

    ............................................... 133

    La mre symbiotique .............................................................. 134Quelques rflexions propos du pre ..................................... 138Le pre omnipotent ................................................................ 142Le parent fragile .................................................................... 149Parentification et emprise ....................................................... 153

    Chapitre 2 Le dsamour

    .................................................... 161

    Quand le parent disparat ...................................................... 162Quand le parent devient psychiquement absent ....................... 168Violences et abus................................................................... 182

    Chapitre 3 Les hritages familiaux

    .................................. 197

    Lhritage gnalogique et ses transmissions............................ 199La famille et le sacrifice .......................................................... 210

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    PARTIE

    Quand le Je persiste, de lobstination la persvrance

    Chapitre 1 Les coulisses de la dpendance

    ..................... 225

    Les bnfices inconscients....................................................... 227Lobstination et ses effets pernicieux ........................................ 239

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    Chapitre 2 la dcouverte dune terre nouvelleet trangement familire : le cheminde lanalyse

    ....................................................... 243Le changement, jy vais, jy vais pas ?vers le dsir dexister ............................................................. 244Le sentiment dtranget ......................................................... 248Le langage du corps .............................................................. 251Le langage des rves.............................................................. 255

    Chapitre 3 Vers une libert vraie

    ..................................... 265Accder soi ........................................................................ 265Souvrir linventivit et la crativit .................................... 272Parler vrai et tre vrai(e)......................................................... 276Se rconcilier avec soi et souvrir aux autres ............................ 286

    Conclusion ................................................................................. 295Bibliographie ............................................................................. 299

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    Prface

    Les livres de psychologie , ou de psychanalyse, destination dugrand public, sont maintenant lgion Comment choisir un ouvragequi puisse offrir la possibilit dune comprhension en profondeur,partant dune conscience plus claire et plus large, voire dune transfor-mation de son existence ?

    Bien sr, rien ne remplace lexprience durable, exigeante et rgu-lire dune psychanalyse. Pour autant, voici quels pourraient tre lescritres dun livre de dveloppement humain qui ne serait ni raco-leur, ni sducteur, ni trompeur :

    le choix dviter l

    idalisation

    : lexistence demande tre prsentedans lensemble de sa complexit, la fois au travers de ces aspectsfavorables et dfavorables, en ayant le courage dexprimer les limi-tations irrductibles qui caractrisent la vie ;

    le maintien de l

    exigence thique

    , du dbut la fin de louvrage, autravers des clairages conceptuels autant que des illustrations : ilest si facile de saccommoder de tel ou tel consensus, de sarrangeravec la ralit, de justifier ses propres garements mme lesauteurs faisant autorit , pour les mdias, sombrent frquem-ment dans la complaisance ;

    la

    rigueur du vocabulaire

    et de lexpos : le respect du lecteur passedabord par la prcision des termes utiliss, pour partager lexp-rience au plus fin et au plus juste de ce quelle cherche signifierhumainement.

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    De l, tout livre qui proposerait une lecture

    a priori

    des comporte-ments ou des vnements, ou qui fournirait des mthodes voire desrecettes serait forfaiture.

    En outre, aucun systme idologique ne saurait tmoigner de laglobalit et de la subtilit de la personne humaine. Lauteur, quelquil soit, ne peut que proposer le cheminement de ses mditationset de sa pense, partir de son exprience, et seulement partir delle,pour apporter une coopration honnte et sincre leffort humain decomprhension et de cration de la vie.

    Telle est notre responsabilit infinie, car sans cesse soutenir :

    faire reculer la bestialit et les dsesprances qui succdent auxmoments o elle est luvre ;

    lutter contre toute forme de barbarie (mme habilement masqueet pare datours sducteurs) ;

    transformer lanimalit instinctive en nergie inventive et en rela-tion authentique ;

    valoriser ds le berceau les originalits drangeantes, mais libra-trices, de lintuition et linventivit, etc.

    En quelques mots, humaniser ltre au jour le jour, jour aprs jour,du premier cri au dernier soupir

    Voil ce que serait un livre fiable, ncessaire et utile. De ce livre nousaurions grandement besoin, pour faire la lumire dans nos existences,cultiver la vie et grandir en sagesse. Ce livre, Vronique Berger, dansson humilit sensible, sa lumire subtile, son travail dun srieuxirrprochable, la crit et vous le tenez entre vos mains. Faites-en bonusage : je vous en souhaite une attentive et bonne lecture ainsi quede profitables relectures !

    Saverio TomasellaPsychanalyste

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    Avant-propos

    En crivant cet ouvrage, mon souhait nest pas dtablir un inventairedtaill des multiples formes de dpendances affectives. Ce ne seraitpas possible. Ce thme trs large peut toucher chacun(e) dentre nous un moment de sa vie. Mon vu est plutt dengager, partir demon exprience clinique, un ample tour dhorizon sur les liens dedpendance et une rflexion sur la libert.

    Seront en effet prsentes diffrentes manifestations de dpendancesaffectives, les sources auxquelles elles sabreuvent, mais aussi lespotentialits dont chacun dispose pour transformer ces entraves etsacheminer vers une plus grande libert dtre soi, en prsence et enlabsence de lautre.

    Au fil de ce livre, le lecteur pourra reconnatre des correspondancesavec lui-mme ou son entourage mais, peut-tre aussi, se sentirfrustr de ne pas y retrouver certaines manifestations qui pourraientsapparenter une forme de dpendance relationnelle, comme lajalousie.

    Bien quelle puisse tre signe dun rapport de dpendance affective,jai en effet volontairement choisi de ne pas la traiter ici. De fait, elleme semble bien plus en rapport avec la rivalit. Certes, jalousie etdpendances affectives ont galement trait la peur de la perte.Cependant, cette peur, du point de vue de la jalousie, se relie enpremier lieu la crainte dtre dpossd(e) par un(e) rival(e) alorsque, sous langle des dpendances affectives, elle fait surtout cho ausentiment dabandon.

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    Les contingentements lis tout ouvrage et lexigence de clart im-posaient donc de cerner et dajuster au mieux mon propos.

    Ces quelques prcisions donnes, je vous propose dentrer ds pr-sent dans le corps du livre, en souhaitant que cela soit pour vous, cherslectrices et lecteurs, clairant et fructueux.

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    Introduction

    La dpendance affective, thmatique vaste et sensible, fait rsonancechez beaucoup dentre nous : homme ou femme, enfant ou adulte,nourrisson ou vieillard. Cette particularit de toucher et de traverserle genre humain quelles que soient les diffrences de sexe, dge oude peau lui confre un caractre duniversalit.

    Au fond, rien de bien surprenant puisquil y est simplement questiondu cur et de lamour, cest--dire de ce qui constitue, nourrit etanime notre humanit.

    En ce sens, parler de dpendance affective sinscrit dans un processusnaturel. Le petit humain a tout autant besoin du lait que de la solli-citude maternelle, puis de la reconnaissance paternelle pour son bondveloppement. Plus tard, devenu adulte, aimer et tre aim demeu-reront une nourriture vitale au dveloppement de sa vie intrieureainsi que de sa relation aux autres et au monde.

    Dans le langage courant nous parlons de besoin daffection ou de besoins affectifs , pour traduire cette dimension ncessaire lexis-tence. Cela signifie-t-il que nous ne pouvons pas vivre sans amour alorsmme que beaucoup souffrent de carences affectives parfois graves ?

    Si le dfaut damour ne nous conduit pas physiologiquement droit la mort

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    , il porte incontestablement atteinte la dynamique vivante

    1. Encore quil est possible de mourir de chagrin ou de se laisser dprir.

    Introduction

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    qui habite et anime ltre humain, son souffle, sa psych, son cur,son me et jusque dans les confins de son corps. Comme la sous-alimentation cause des carences prjudiciables la sant de notrecorps, le manque daffection engendre lui aussi des effets carentielssur notre tre.

    Considrer lamour dans sa fonction vivante et humanisante1, cestidentifier et reconnatre lexistence indubitable et naturelle de notretat de dpendance y compris dans sa ralit positive2.

    Il ne sagit pas de faire lapologie de la dpendance, mais il me parais-sait nanmoins utile doprer ce recadrage avant danalyser lautreversant de la dpendance tel que nous lentendons dans lacceptioncourante celui de la soumission et de lassujettissement. De ce pointde vue, nous ne nous situons plus dans une dynamique vivante de larelation mais dans un rapport douloureux lautre qui dessche, vide,annihile et dshumanise.

    Qui dentre nous, dans sa vie personnelle ou dans son entourageproche, professionnel ou autre, na pas connu certaines manifestationsde cette souffrance ?

    Ma pratique de psychanalyste mamne bien entendu recevoir etaccompagner des personnes en grande carence affective, blesses dansleur cur et leur me, paralyses dans leurs motions et leurs penses,fermes aux sentiments, coupes du vivant et du subtil en elles,fches dans et avec leur corps, recroquevilles dans la plainte, lecynisme, lindiffrence, labsence ou le rejet, en rupture avec la vie,lamour, les autres et elles-mmes

    1. Dans ce sens, la loi dAmour est pose dans la religion chrtienne comme la Loientre toutes : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu (...) Tu aimeras ton prochain(...). Il ny a pas de commandement plus grand que ceux-l . (Marc 12/29-31).

    2. Cette ralit positive et vivante de la dpendance affective reste pour lessentielmconnue et mme mprise. Dans notre culture occidentale, o la performanceet lindividualisme outrance nient notre condition dhumains limits etdpendants y compris du point de vue affectif, on lui attribue souvent une cer-taine connotation ngative ou pathologique.

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    La liste est longue et les manifestations de dpendances affectivestout aussi diverses et multiples. Il ma alors sembl plus humble etplus juste de ne pas les rduire une nomenclature et de les abordersous leur angle pluriel. Pour cela, jai choisi de parler des (plutt quede la) dpendances affectives1 et den apprhender la multiplicit partir de diffrentes formes dexpression ou de figuration rencontresdans ma pratique.

    partir dexemples et de tmoignages, je vous propose dans unpremier temps de dcouvrir un nuancier, non exhaustif, mais jelespre suffisamment clairant, de manifestations affectives doulou-reuses.

    Nous pourrons dailleurs observer, au fil de la premire partie,combien certaines dentre elles, diamtralement opposes, comme Tout dpend de toi et Je ne dpends de personne , se teintentde la prsence commune dune souffrance relationnelle.

    Vient alors la question : pourquoi tant de souffrances ? Je tenterai dyapporter des lments de rponses partir de vcus trs diffrents,parfois mme contraires, mais qui convergent en un point, celui descarences affectives.

    Nous explorerons ainsi, dans la deuxime partie du livre, les originesfamiliales des dpendances affectives et leur part reue en hritage .

    Aprs en avoir sond les sources, nous aborderons, dans un troisimetemps, la question des destines des dpendances affectives. Intervientici notre part personnelle : que faisons-nous de ces hritages ? Dci-dons-nous de les transformer ? Persistons-nous au sens de lobstina-tion ou de la persvrance ?

    Nous dcouvrirons alors la part soi et ses diverses facettes : lesattentes et rsistances inconscientes, mais aussi les gisements fcondsde nos ressources intrieures.

    1. Cette terminologie permet aussi de les diffrencier de la dpendance affective entant que besoin affectif.

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    Les carences et vcus douloureux relatifs aux dpendances affectivesplacent souvent celui ou celle qui en souffre dans la position de subir.Cependant, en visitant les coulisses de la dpendance, nous cons-taterons que cette position qui occupe gnralement le premier rlesur la scne nest ni seule en jeu ni inluctable.

    Ds lors, sommes-nous prts nous engager vers plus de libert ?Cest dans cette voie/voix que je vous appelle oser sentir, rver,penser/panser et exister puis dire :

    Et par le pouvoir dun motJe recommence ma vieJe suis n pour te connatre,Pour te nommerLibert 1.

    1. Paul luard, Libert , 1942.

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  • PREMIRE PARTIE

    Les multiples visagesdes dpendances affectives

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    Lorsque la dpendance affective sinstalle dans un rapport lautredouloureux et annihilant, une forme de dpendance toxique apparatalors et agit comme un poison au cur de la personne et de la relation.Sy rvle galement une dimension captive : lindividu se trouve lafois captif car emprisonn dans des liens assujettissants et capt car saisi dans une fascination effrayante ou enchanteresse envers cetautre dont tout dpendrait.

    Ces caractres de toxicit et de captivit/captation sont rcurrents etcommuns toutes formes de dpendances affectives pathognes. Leursmanifestations sont varies, allant du surinvestissement extrme delautre au dtachement total. Sy conjugue une gamme bigarre desentiments allant de ladoration la haine, en passant par la panique,la terreur, la perdition ou la froideur et la dsaffection.

    Je propose dexplorer leurs multiples visages dont les diffrentes confi-gurations, isoles par chapitre pour plus de clart, peuvent nanmoinsdans la ralit sintriquer.

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    Chapitre 1

    Tout dpend de toi

    Une premire figuration de dpendances relationnelles est celle o lapersonne place un ou des tres aims au cur de son existence etpense y faire reposer ses sources vives et sa colonne vertbrale. Lautreest ici investi comme une entit indispensable pour maintenir la vieen soi, voire pour sa propre survie.

    De mon exprience clinique, jai dgag quatre modes dexpressionde ce type de dpendances qui ne sont pas exclusifs les uns des autreset peuvent mme coexister ou alterner.

    Quelle que soit lexpression prvalente, toutes portent en elles uneproblmatique dabandon, parfois au sens strict, mais le plus souventau sens dun abandon affectif et psychique1.

    1. Nanmoins, en raison de certaines caractristiques propres au sentiment daban-don, jai choisi de laborder de faon spcifique et spare.

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    Le sentiment de ne pas exister en dehors de lautre : tu es tout pour moiCatherine et Patrick, maris depuis huit ans, ont pris rendez-vouspour un entretien de couple.

    Catherine et Patrick : un couple en dpendance

    Ds notre premire rencontre, Catherine me transmet son sentimenttrs fort et angoissant de dpendance totale lautre investi commeun sauveur. Grande, le visage aux traits carrs, cette femme de 43 ansdgage dans sa physionomie une apparence de solidit. Cependant,son regard tourment, sa voix trangle, ses mains quelle ne cessedtreindre, lappel dsespr quelle madresse, me mettent encontact avec la petite fille en elle perdue et en pleine dtresse. Ds sespremires paroles, Catherine me dit combien elle se sent noye etdmunie et combien elle mise tout espoir de salut sur lautre :lanalyste, le mari, le mdecin, ou sur un appui externe : le travail, lesmdicaments

    Au secours, sauvez-nous ! Vous tes notre boue de secours ! Il ny aplus de communication entre nous. Patrick est trs pris par son travail. Jesuis seule la maison avec les enfants. Je voudrais reprendre un travail,mais toutes les dmarches que jentreprends se soldent par des checs.Je le vis trs mal. Je suis alle consulter hier un neurologue qui ma prescritdu Prozac.

    Patrick, de son ct, confirme ce rapport de dpendance qui lui est insup-portable et met leur couple en grande difficult :

    Aprs la naissance de notre fille ane, ma femme a arrt de travailler.Elle sinvestit beaucoup auprs des enfants et mme trop. Son horizon defemme au foyer est trop limit. Elle attend beaucoup de moi et elle ne sup-porte pas mes absences. Vous comprenez, je suis trs pris par mon travailet souvent en dplacements professionnels. Il faudrait quelle retrouve untravail, a la sortirait de lenfermement de la maison.

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    Pour Catherine, le problme nest pas vraiment la prsence oulabsence de son mari, mais labsence de soutien dont elle souffre.Selon elle, Patrick est devenu trs distant, vite les contacts physi-ques : il a mme voulu faire chambre part.

    En retour, Patrick exprime sa peur dun lien de dpendance danslequel il craint, dtre absorb et auquel il tente dchapper parune mise distance physique. Or, celle-ci accentue la dtresse deCatherine ainsi que ses demandes dtre entoure et rassure. PlusCatherine est demandeuse, plus Patrick prend la fuite ; et plus ilsenfuit, plus elle le poursuit de ses plaintes.

    Ce mode invivable de relation place leur couple dans une impasse.Chacun se voit attribuer les traits dune figure tyrannique et mena-ante pour lautre. Dans cette configuration, le ou la partenaire nestplus lalter ego des premires annes, mais un personnage tout puis-sant et dshumanis. Pour Patrick, lpouse prend le visage dunemante dvoreuse ; pour Catherine, le mari, de sauveur, est devenulhomme au cur de pierre qui la fait sombrer.

    Quelle que soit la facette salut ou perdition projete sur ltrecher, lautre (le partenaire amoureux, lenfant, le parent, lanalyste)est investi comme le grand tout qui est octroy fantasmatiquementun pouvoir de vie ou de mort, que dans la ralit il ne possde pas.

    Catherine, enferme dans cette construction psychique, est habitepar le sentiment profond de ne pouvoir exister sans le soutien dePatrick. Elle pense que tout dpend de lui, notamment la facult deranimer ou dteindre sa capacit rester vivante. Ce surinvestisse-ment de lautre dshumanise la relation et la personne qui nest plusreconnue ni dans sa ralit ni dans sa singularit.

    De la mme faon, le psychanalyste devient pour elle une bouede secours (ou, de faon moins flatteuse, un outil ou une rustine ). travers ces mots, Catherine rsume sa manire depercevoir et dinvestir la psychanalyse comme une rdemption, et lapsychanalyste que je suis sous les traits de la divinit et de la chose,mais aucunement dans sa ralit humaine.

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    Lclairage orient plus particulirement sur Catherine, alors engrande dpendance son mari, ne doit pas pour autant mettre danslombre la part du conjoint dans ce mode de relation. En effet, mmesi Patrick nexprime pas explicitement une souffrance de cet ordre,son attrait des premiers temps pour cette femme, alors clibataire etindpendante, ainsi que son vitement quasi phobique de toutrapprochement davec elle, devenue si fragile et dpendante, laissesupposer la prsence en lui dune fragilit semblable, dont sa femmeest la fois le prcieux dpositaire et linsupportable reflet.

    Marthe ou langoisse de la dpendance :ni avec toi, ni sans toi

    Se vivre comme dpossd(e) de soi et sen remettre entirement lautre pour le meilleur et pour le pire sont des constantes que lonretrouve aussi chez Marthe, envahie et paralyse par un sentimenttrs ancr dassujettissement aux personnes chres.

    Marthe est une jolie femme de la cinquantaine, vive, trs active, etdont mane une distinction naturelle. De brillantes tudes commer-ciales lont amene des postes responsabilit, et elle sest engagede surcrot dans la dfense des droits de lHomme. Aprs denombreuses annes comme cadre suprieur dans un groupe pharma-ceutique, elle a accept une proposition de prretraite, et saisi cetteoccasion pour sengager dans le tissu associatif de son dpartement.Elle se consacre alors lintgration sociale et culturelle des trangersen grande difficult. Comme dans tout ce quelle entreprend, Marthesengage corps et me dans sa nouvelle activit qui la touche et lapassionne. Cependant, face la rcurrence de cas familiaux lourds,elle a le sentiment, malgr son ardeur et son dvouement, de labourer dans le sable . Elle se ressent de plus en plus fragiliseet dprime . Sur le conseil dune amie, elle prend alors contact avecmoi.

    Malgr sa vivacit et sa finesse desprit, Marthe reste confuse dansla demande quelle madresse : elle souhaite la fois soigner desblessures anciennes et profondes toujours prsentes et investir ses

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    sances comme outil danalyse des familles en difficult qui lui sontconfies.

    Marthe communique une immense attente lgard de lanalyste quise double, dans les sances suivantes, dune angoisse norme dedpendance totale lautre.

    Jtais bouleverse aprs notre premier rendez-vous. Jai ressenti unegrande peur. Jai pens ma mre qui est devenue alzheimer. Jai peurde devenir comme elle, jai peur de perdre la tte (elle pleure). Et puis,jai repens lorsque javais une vingtaine dannes, javais envisagdaller voir quelquun, mais je nai pas pu. Javais trop peur de tomberdans une relation de dpendance, ou dtre entre les mains de quelquundincomptent. Jai prfr ne pas donner suite.

    Finalement, lors de notre troisime rencontre, Marthe me dit en riant :

    Jai rflchi, je suis prte mengager dans une analyse. Je me suis ditque de toute faon, rien ne mempche de menfuir toutes jambes sincessaire.

    Pendant de longs mois, Marthe est hante par ses peurs et revit trsintensment dans son analyse sa terreur de lemprise1 en cho songrand sentiment de dpendance. Dans certaines sances, elle osesabandonner ses motions et son chagrin. Arrivent alors en retourun tat dintense agitation et un vritable sentiment de panique.

    Ainsi se relve-t-elle brutalement du divan, spouvante lide de neplus retrouver son agenda ou encore dtre sujette des oublis.

    Ces ractions et agissements incontrls, pidermiques et hors duchamp de la pense et de la parole, me communiquent son effroi et

    1. Relation demprise : relation dassujettissement o lun cherche exercer unemainmise sur la pense et les dsirs dun(e) autre qui, ds lors, se trouve ni(e)dans sa ralit et sa singularit de sujet part entire.

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    sa hantise de perdre la tte . Ce que Marthe exprime l traduit enimage la prsence intriorise dun tat dalination au sein de la rela-tion1.

    En corollaire cette reprsentation, se profile la figure inquitante dela toute-puissance attribue ceux dont elle se sent dpendre. Auplus profond delle-mme, cette figure possderait un pouvoir de vieet de mort sur elle : sa vie, son existence, son sort seraient intime-ment conditionns et lis au bon vouloir de ces autres.

    Les deux versants vie/mort dans lesquels la relation est circonscriteenferment Marthe dans une intime et confuse conviction de ne pou-voir exister ni avec ni sans lautre.

    Cette reprsentation de la relation, inscrite dans les trfonds de sontre et rapparue dans la relation analytique2, tait depuis longtempsomniprsente dans sa vie amoureuse.

    la suite dun premier mariage dsastreux qui sest sold par undivorce, Marthe a travers une longue priode de dsert affectif avantde rencontrer ltre cher. Lattachement profond et sincre qui les

    1. La psychanalyste Marie-Claude Defores souligne limportance de laccueil, delcoute et de la mise en sens des images, notamment celles utilisant le corpscomme support (perdre la tte, avoir un cur de pierre, lavoir en travers de lagorge, se sentir vide, etc.) : Limage est loccasion de reprendre, pour la remettreen symbole et en sens, une information traumatique qui a imprgn fortementltre, mais qui a t nie. , in La croissance humaine est une lente incarnation :limage inconsciente du corps peut-elle en rendre compte ? Gallimard, 1999. SaverioTomasella se rfre galement aux images du corps dans Faire la paix avec soi-mme, Eyrolles, 2004.

    2. Rapparition par la voie du transfert, qui dans le langage psychanalytique dsi-gne le processus par lequel se rptent dans la relation patient/analyste desdsirs, scnarii et vcus infantiles inconscients. Cette rptition inconsciente ose rejouent pour le patient, de manire trs actualise, danciens conflits encoreactifs, est un processus fondamental et prcieux. Il permet en effet lanalysteet lanalysant de peu peu les reprer et les identifier, de saisir comment etcombien ils se rincarnent, pour le patient, dans ses relations daujourdhui etaux autres, ainsi que dexprimenter un dnouement nouveau et vivant de ce quijusqualors ntait pour lui quun perptuel et dsesprant recommencement.

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    unit amne un nouveau souffle dans sa vie et dans son cur, maisrveille tout aussi fort les grondements inquitants de la dpendance.

    Ainsi Marthe rsiste pendant plusieurs annes la demande demariage de son compagnon chez qui, pourtant, elle peroit une fid-lit et une sincrit vraies qui, en retour, nourrissent en elle un senti-ment dattachement de plus en plus fort. Tiraille entre ses craintesdtre pige dans les liens du mariage et sa frayeur de perdre soncompagnon lass par ses refus, Marthe finit par prendre une dcision.

    Je me suis rsigne au mariage la mort dans lme. Nous nous sommesmaris dans la plus stricte intimit. Jtais trs angoisse, je tremblais detous mes membres, je narrtais pas de me tromper dans les formulaires remplir et, pendant la crmonie, jai clat en sanglots. Vous compre-nez, me marier ctait comme signer mon arrt de mort !

    En coutant Marthe, son angoisse dun lien mortel lautre, sa voixeffraye et trangle par les pleurs, je mesure lampleur de sa dtresseet de sa terreur face tout ce qui voque pour elle un lien de dpen-dance affective.

    Si Marthe associe son union un arrt de mort , lide de perdreB., son conjoint de onze ans son an, lui est tout aussi insupportable.Envisager leur diffrence dge, franchir le cap dune nouvelle anne,percevoir une fragilit ou une dfaillance chez son mari suscitent enelle une grande anxit.

    Cette anxit est son comble lorsque, la suite dexamens mdi-caux, on dcouvre chez lui un dbut de cancer. Durant les quelquesmois du traitement, Marthe vit un vritable tat de panique et dedsarroi.

    Sil mourait, ce serait pour moi basculer dans un gouffre, dans la mort.Jai fait un rve, je ne me souviens que de quelques bribes : B. et moi som-mes attirs dans un fond, B. meurt, puis je meurs mon tour.

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    Marthe exprime son sentiment terrifiant de ne pouvoir vivre sansltre cher ni lui survivre. Lide dtre spare de lui veille des sensa-tions de vertige et de glissement dans les abmes du nant. Pour cettefemme, sengager avec son compagnon ou le perdre sont commelavers et le revers dune mme pice, dont la tranche commune lesrelie en un point : dpendre de lautre au point de ne plus exister.

    Cest vrai je suis dpendante affectivement de ceux que jaime. Ils don-nent des couleurs ma vie. Sans eux, je ne suis plus rien, je ne suis plusquun mannequin ou une morte-vivante.

    Pour lutter contre langoisse quun tel sentiment de dpendance faitnatre en elle, Marthe met en place des stratgies de protection :sassurer une indpendance matrielle solide, se surcharger dacti-vits, tenter de garder le contrle sur ce qui pourrait motionnelle-ment la dborder ou encore mettre distance ce qui peut aviver sonsentiment dinscurit.

    Pendant les deux premires annes de sa psychanalyse, Marthe revittrs intensment dans la relation analytique son sentiment et sonangoisse dune dpendance totale moi, investie comme une figuresalvatrice mais tout aussi inquitante.

    Marthe si attachante par sa noblesse dme et sa vitalit, si corchevive et si effraye, sollicite lanalyste au plus profond de ses ressourcesdcoute, de prsence vivante elle, denveloppement, de patience, dedouceur et dinventivit, jusqu enfin stablir dans un sentiment descurit et de confiance plus assur.

    Des femmes sous influence

    Ni Catherine ni Marthe ne manquent de ressources ni de capacits sassumer. La ralit de leurs richesses intrieures est incontestable ;pourtant, cette ralit en elles reste dserte et mme rcuse.

    Profondment fragilises dans leur identit de sujet part entire etatteintes dans leurs sentiments de scurit intrieure et de confiance,

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    elles sont sans cesse sur le qui-vive, doutent delles-mmes, de lafiabilit des autres et de la vie.

    Envahies par un sentiment prgnant dimpuissance et de perdition,elles se vivent comme incapables de faire face ; mais de faire face quoi ? Toutes deux sont pourtant en mesure de se confronter auxdifficults de la ralit extrieure !

    lcoute de leurs peurs et de leurs douleurs, cest limmense etterrible dtresse du petit enfant en chacune delles que jentends. Cenest pas en effet la ralit extrieure et actuelle dont il est vritable-ment question, mais de ce quelles ont intrioris au plus profond deleur tre de la relation premire leur environnement proche, dontelles taient alors comme tout nourrisson ou petit enfant trsdpendantes. Cest bien de cette relation originaire, vitale et si doulou-reuse dont il sagit rellement, avec tout son cortge de carences et deterreurs qui imprgnent en profondeur un monde intrieur dans lequelelles se sentent noyes ou englouties.

    Leur vcu des temps jadis demeure prsent en elles, tapi dans lombreet comme intact. la faveur dune rencontre, dun vnement, dunesensation ou dune motion trangement familiers, la mmoireinconsciente des expriences anciennes refait surface de faon diffuseet opaque. Tels des bancs de brouillard qui recouvrent le paysage eten transforment la perception, la mmoire inconsciente des originesse superpose lexprience actuelle et nouvelle, trouble son appr-hension et parfois sy substitue1.

    Que Catherine ou Marthe sagrippent dsesprment ltre cher, ouquelles se sentent submerges par la terreur dun vide abyssal, cest,en toile de fond, ce douloureux pass encore vif et brusquementrveill qui fait cho. Rest omniprsent car jamais vraiment reconnu

    1. Cette mmoire inconsciente des origines sinscrit au plus profond de notre psy-ch mais aussi de notre corps qui est notre mmoire premire. Dans cette voie,F. Dolto parle de limage inconsciente du corps comme la trace structuralede lhistoire motionnelle dun tre humain . F. Dolto, Limage inconsciente ducorps, Seuil, 1984.

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    1. Ce constat nest pas exclusif ce premier mode de dpendances affectives, maisse recoupe avec dautres manifestations prsentes plus loin.

    ni cout, y compris par le sujet lui-mme devenu adulte, le petitenfant en lui pleure, crie, appelle au secours et rclame le droit dtreentendu.

    En cela, une psychanalyse est prcieuse car lanalysant(e) (re)donne laparole cet enfant fantomatique, revisite et resitue peu peu lesdiffrents temps et lieux intrieurs de sa vie, dcouvre et exprimentedans la relation analytique un mode nouveau et plus vrai de relationaux autres et au monde, et peut ainsi prendre place dans sa vie dau-jourdhui.

    Tu es tout pour moi exprime une forme de dpendance affectiveo, comme Catherine et Marthe le communiquent si intensment, lapersonne se sent incapable de vivre sans lappui et la prsence ind-fectibles de ltre cher.

    Tout se passe comme si le sujet ressentait ses ressources proprescomme inexistantes ou bien trop insuffisantes pour pouvoir accder sa propre autonomie. Ce dfaut de reconnaissance et dancrage qui-vaut psychiquement chez la personne un danger de mort, en cho son monde intrieur ressenti comme vide, inconsistant, teint. Seprofile ici limage, exprime par Marthe, de mort-vivant .

    Je constate dailleurs dans ma pratique que ces personnes ont souventt, ds les dbuts de la vie, en contact avec la mort physique et/oupsychique, soit lors de la vie ftale soit la naissance1. Lenjeu fonda-mental pour elles est alors de (re)trouver et dintgrer lexistence rellede leurs propres sources vives dans lesquelles sancrer. Dans le cadredune psychanalyse, lexprimentation dune relation humaine, denseet vraie, peut constituer le socle sur lequel arrimer et riger cet ancrage.

    Langoisse de la perte : jai trop peur de te perdretre hant(e) par langoisse de perdre lautre, envers qui on se sent trsli, constitue une autre forme de dpendance captive et toxique. Sous

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    certains aspects, elle se rapproche du sentiment de ne pas exister endehors de lautre, mais sen diffrencie radicalement sur deux plansessentiels.

    Tout dabord, la personne nest pas tant aux prises avec le sentimentde linexistence de ses sources vives quavec un interdit souverain etinconscient dy accder et de sen nourrir. Tout se passe comme si elletait coupable, non dune attente ou dune aspiration illgitimes,mais dun droit tre1. Cest le dsir mme, en tant qunergie vitaleet cratrice de ltre, qui se trouve ici frapp dinterdit2.

    La seconde diffrence, troitement lie la premire, tient au modemme de la relation. On ne se situe plus ici dans une relation bilat-rale de lun et lautre (toi et moi), mais dans un rapport unilatral delun ou lautre (toi ou moi).

    La construction psychique inconsciente qui prvaut est celle dunecoexistence impossible et inconciliable : lexistence vivante de luncondamne celle de lautre, ou, en dautres termes, la vie de lun supposela non-vie de lautre.

    Les origines de cette inscription psychique semblent, l aussi, senra-ciner dans les premiers temps de la vie ftale ou natale. Ainsi, cela apu rsulter dune mise en danger de la vie soit de la mre soit delenfant (parfois des deux) ou de la grossesse vcue par la mre commecatastrophique (parce que, par exemple, honteuse). Cela peut enfin serelier un contexte trs douloureux tel que la mort dun proche plon-geant la mre dans une dpression profonde.

    Quelles que soient les causes ou les circonstances, elles ont pour traitcommun le tlescopage du jaillissement de la vie avec le souffle de lamort3. Le sujet associe ainsi, au plus profond de son tre, ces deux

    1. Voir A. Green, Narcissisme de vie. Narcissisme de mort, ditions de Minuit, 1983.2. S. Tomasella offre une dfinition clairante de la notion de dsir dans son

    ouvrage Faire la paix avec soi-mme, op. cit.3. Mort physiologique mais aussi mort psychique au sens de la disparition de la

    prsence vivante de la mre son bb, devenue une figure lointaine, atone,quasi inanime , A. Green, op. cit.

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    reprsentations. Ds lors, garder ltre cher reste toujours incertain,de mme que simpose limprieuse ncessit de ntre point tropvivant pour prserver ltre aim et, surtout, ne pas le perdre.

    Jeanne ou le fantme de la perte

    Voici lhistoire de Jeanne, femme aux contrastes saisissants. De petitetaille, elle nen impose pas moins par sa grande intelligence. Sa viva-cit et sa perspicacit desprit ne cessent de surprendre, voire de trou-bler son entourage et cela depuis sa plus tendre enfance.

    Sa physionomie frle et limpression de fracheur qui mane de sapersonne laissent poindre, en contrepoint ladulte quelle est, uneimage denfant alerte, espigle et sagace.

    Femme de temprament, Jeanne a dvelopp trs tt le sens desresponsabilits. Jeune adolescente, cest elle qui est en charge dediffrentes dmarches administratives pour le compte de la famille. 20 ans, suite au dcs rapproch de ses deux parents, elle prend lerelais auprs de ses deux jeunes surs. La mme anne, elle se marieavec douard, rencontr un an auparavant, et pour qui elle prouveun grand attachement. Paralllement, Jeanne poursuit ses tudes etobtient son diplme dorthophoniste, puis sinstalle son compte.Quelle nergie et quelle force de caractre !

    Pourtant sa dtermination et sa tnacit sont la mesure de son man-que de confiance et dassurance en elle et en ses ralisations. Derrireles apparences, ce petit bout de femme si forte est habite par un dsarroiindicible, envahie par le sentiment de son incapacit absolue vivresans la prsence de ltre cher : sa mre ds son plus jeune ge ; puis,jeune adulte, son compagnon.

    Jeanne est littralement hante par la peur de perdre ltre aim.Cette peur se manifeste tout particulirement lorsquelle nest plusen prsence de ce dernier. Son absence physique fait natre en elle toutun cortge de sentiments de panique et de dtresse.

    Tout au long de son enfance, la sparation prolonge ou simplementmomentane davec sa mre veille chez Jeanne une norme angoisse

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    de perte. Ce vcu se reproduit plus tard dans son couple. Grandementfragilise par la mort de ses parents et surtout de sa mre, Jeanne vittrs difficilement les absences de son conjoint.

    Durant les premiers mois de sa psychanalyse, Jeanne revient souventsur sa grande difficult vivre dabord labsence de sa mre, puis cellede son mari et combien leur absence, pour elle, se plaait sous lesfunestes augures de leur disparition. Cest limage dun gouffre, dunnant dans lequel ltre aim est aval.

    Perte et absence

    Le lien indissociable entre absence et disparition tabli par Jeanne auplus profond de sa psych trouve son origine dans le contexte de saconception et de sa venue au monde.

    Enceinte de Jeanne, sa mre est depuis plusieurs mois absorbe etaccable par la leucmie de sa fille ane. Elle se consacre tout entire cette enfant dont elle sait lissue fatale proche.

    Lane dcde trois mois aprs la naissance de Jeanne. Celle-cigrandit au sein dune famille profondment affecte par ce drame etauprs dune mre brise par ce deuil indpassable, mais que toustaisent pendant de longues annes. Jeanne, en contact avec cette surdans les premiers temps de sa vie, nen entendra pas parler jusqu ses8 ans, o le secret lui sera rvl.

    Au cours de sances dune grande intensit, Jeanne, allonge sur ledivan, retrouve des sensations et des images trs anciennes au traversdesquelles elle ressent la prsence de sa sur auprs delle nourrisson.

    Jai limpression que ma sur me prenait dans ses bras, jai mme lasensation quelle me parlait. Elle tait l avec moi et puis elle a disparu.Plus personne ne me parlait delle (silence). Cest, comme si sa mort etson existence mme avaient t nies !

    Dans les premiers temps de sa vie, Jeanne a ainsi expriment laprsence accaparante dun tre proche (sa sur malade), qui a soudai-

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    nement disparu de ses sens et de son environnement, et a laiss place une inconcevable absence, un vide sans nom : le vide de la surdisparue, de la mre endeuille et de la parole tue.

    De cette sur connue mais reste inconnue, apparue et disparue,Jeanne portera longtemps le fantme. Au cours de sa thrapie, elle enidentifie le spectre et donne sens des sensations anciennes etrcurrentes : celles dune dualit en elle, de faire comme un robot , dtre dans un brouillard ou encore de ne pouvoir sappartenirpleinement.

    Mais, pour Jeanne, cette premire perte se prolonge dans une autretout aussi insaisissable : la prsence absente de sa mre accable demalheur et de chagrin. Ainsi parle-t-elle dune photo de sa mre,penche sur son berceau :

    Quand je regarde cette photo, je ressens un chagrin incommensurable.Je la vois comme une toile perdue au loin, inaccessible. Cest comme sielle tait l et en mme temps ailleurs, et que je ne pouvais ni la capterni la rparer.

    Trs tt, Jeanne est aux prises avec le terrible dilemme immortalispar Shakespeare : tre ou ne pas tre ? Telle est la question.

    En effet, comment laisser sa propre richesse, sa vitalit et ses res-sources incontestables se librer et prendre leur essor au regard decette sur modle qui navait pu lui survivre, et aux cts dune mrefragile et malheureuse sur laquelle elle veillait sans cesse de peur dela perdre ? Jeanne oscille sans cesse entre donner vie et corps sessources vives ou les condamner la rclusion. En miroir cetteoscillation se profile son tiraillement entre le droit et linterdit dtreet, en cho, le sentiment, jusqualors inconscient, dune coexistenceimpossible avec ltre cher : la vivacit de lun(e) refltant le sursis delautre, ou pire, sa disparition.

    de nombreuses reprises, elle voque sa sensation de dualit inconci-liable. En voici une illustration.

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    1. Dans ce sens, pour celui ou celle qui a fait trs tt lexprience traumatiquedune mre psychiquement morte, Andr Green souligne combien il lui estessentiel dprouver la capacit de son thrapeute dtre toujours vivant, int-ress, veill par son analysant et [de lui tmoigner] de sa vitalit , op. cit.

    Je me souviens de moments de vraies joies avec mes grands-parents ouavec ma meilleure amie dcole ; et puis, brutalement, je pensais mamre. Alors ma joie svanouissait brusquement, je men voulais dtre heu-reuse sans elle et langoisse me prenait quil lui soit arriv quelque chose.

    Durant une grande partie de sa vie, Jeanne sera en lutte entre donnerlibre accs ses forces vives, au risque de perdre lautre, et le devoir deprserver cet autre au risque de sasphyxier. Elle tentera de concilier cesdeux voies soit sous la forme de dfis (mettre en jeu ses talents en sexpo-sant de vrais risques), soit sous forme de compromis. Ainsi en est-il desa vie professionnelle, o elle a fait le choix dune spcialit sans pour-tant aller jusquau bout de son vrai dsir et de ses comptences.

    Grce sa psychanalyse, Jeanne a pu exprimenter une relation ochacun des protagonistes est et reste vivant quoi quil en soit et, plusencore, o la vitalit de lune, loin de la mettre en danger, dynamisecelle de lautre1.

    Si la perte recle une dimension de radicalit et dirrversibilit plusextrme que le manque, les effets nocifs de ce dernier nen sont pasmoins destructeurs, et parfois mme pervers lorsquil est de lordredune privation carentielle grave. Se profile ici une nouvelle facette dedpendance affective lautre, considr comme indispensable aupoint de ne pouvoir sen passer.

    Le manque : je suis accro Le manque est intimement li au vivant. Il se fait connatre ds notrevenue au monde et nous accompagne jusqu notre dernier souffle.Jamais pleinement ni dfinitivement combls, nous sommes tous enmanque de quelque chose ou de quelquun.

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    Du manque fondateur

    Cette absence de compltude totale ouvre une brche et cre unespace conqurir, tel un territoire vierge. Le manque quand sonintensit reste tolrable et ne nous met pas en danger vivifie notredsir et agit en nous comme moteur de nos recherches. Il nous meten route dans une qute dapaisement de nos faims et soifs de vie,damour, de joies, de connaissances, de croissance, dessor.

    Ainsi en est-il de lespace-temps cr entre la faim de lait ou de bras dunourrisson et la rponse de son entourage ni prmature ni troptardive qui ouvre un entre-deux partir duquel le bb va mettre enmarche ses propres ressources. Il va pouvoir, peu peu, recourir desmoyens de substitution lui permettant de pallier en partie lattente,ainsi que de trouver et de dvelopper en lui de nouvelles facults : cher-cher son pouce, crer son doudou , explorer les diffrents registresde sa voix et la gamme des sensations et motions qui laccompagne ;ou encore recrer en lui limage connue et apaisante de la mre.

    Cest prcisment grce cet entre-deux, dont le manque a ouvert lavoie, que peuvent advenir les dcouvertes et expriences nouvellesqui, leur tour, participent au dveloppement moteur, psychique etaffectif du petit humain. Toutefois, laccs cette voie cratrice etstructurante passe par une condition sine qua non, celle dun manquesupportable1.

    au manque destructeur

    Or, si le bb na pu exprimenter une prsence suffisamment satis-faisante de sa mre ou de son entourage, il lui sera bien plus difficilede faire face au manque et daccder aux bnfices qui peuvent enrsulter.

    Lorsque la rponse de lenvironnement est trop inadquate, tardiveou brutale, le manque ne donne plus accs cette dynamique vivante

    1. En cela, Winnicott parle de mre suffisamment bonne , capable de rpondrede faon suffisamment aimante et adapte aux besoins et attentes de son bb.

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    et peut basculer dans un versant violent et traumatique. Nous rejoi-gnons ici lacception courante : tre en manque de au sens de nepouvoir se passer de . Cette expression donne entendre un besoinjamais assouvi, par dfaut dintriorisation, de ce quelque chose ou cequelquun qui vient manquer.

    Ce vide dabsence place la personne dans un tat douloureux de dnue-ment et de dtresse et, bien souvent, suscite en elle des comporte-ments compulsifs destins apaiser les effets douloureux du manque.

    Nous savons combien certaines formes daddiction sont lourdes, etcombien ceux et celles qui en souffrent sont accros aux drogues,au tabac, lalcool, la nourriture, aux antidpresseurs et autre phar-macope. Mais ce peut tre galement une addiction une personne,lue entre toutes : un parent, un enfant, un(e) amant(e) ou un(e) ami(e)dont on ne peut se passer.

    Ainsi en est-il de cette jeune femme accro sa mre, et qui la metau centre de sa vie au point de mettre en pril son couple. WoodyAllen, de son ct, nous conte dans Match Point lhistoire de Christo-pher, accro la belle Nola, dont il naura de cesse de solliciter lesfaveurs, puis quil consommera chaque jour, comme le toxico-mane prend sa dose, jusqu ce que mort sen suive. Dans cette logiquedu manque, il nest dailleurs pas surprenant que cette mort soit fina-lement mise au compte dun drogu en tat de manque1 !

    Iris : la peur dtre accro

    Iris, allonge sur le divan, tmoigne elle aussi de ce lien de dpen-dance captif et toxique :

    Ce dont jai peur cest dtre accro dtre comme ces personnes souslemprise de lalcool, de la drogue ou du tabac et pour qui, mme si ellesont dcroch, la tentation reste forte. Mme si cest fini entre Alexandreet moi, jai peur de rester accro.

    1. W. Allen, 2005.

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    Sensible, dlicate, lgante et gnreuse, Iris est une femme de 42 ansqui ne manque pas dattraits. Pourtant, ses diffrentes expriencesamoureuses depuis sa jeunesse furent toutes douloureuses et, pourcertaines, dsastreuses au point de la laisser dans un profond senti-ment de solitude abandonnique et de dsesprance.

    limage de Jeanne, Iris semble poursuivie par un interdit tre et,plus particulirement exister, non pas comme mre, sur, collgueou amie, mais en tant que femme rellement aime dun homme avecqui partager sa vie.

    Comme Jeanne, elle semble sous le coup dune impossible et incon-ciliable coexistence avec ltre cher.

    Toutefois, mme si Iris a connu galement trs tt langoisse deperdre sa mre, puis, la pubert, a t confronte cette tragique etcruelle ralit, lenjeu de la coexistence pour elle se situe diffrem-ment. Il semble en effet quil sagisse surtout et avant tout, pour Iris,dassurer sa propre survie au sein de la relation amoureuse.

    Dans mon coute et mon accompagnement, ce qui me frappe en elleest lexistence dune empreinte puissante, inscrite au plus profond desa psych, et reposant sur une conviction insistante que survivre passepar ltre aim et ce quil consent lui accorder.

    La force de cette empreinte semble senraciner dans les tout premierstemps de sa vie intra-utrine et lorsquelle en parle, ce nest pas uni-quement au travers des mots, mais avec tout son corps qui se raidit,se vrille et se recroqueville.

    Ma mre ma dit que, lorsquelle tait enceinte de moi, elle avait alorsdcid davorter. Mon pre tait fou de rage et laccusait de lavoirtromp. Je suppose que pour ma mre se retrouver enceinte tardivement,alors que ses fils ans entraient dans la vie adulte, tait une catastrophe,un fardeau lourd et honteux. Selon ma tante, cest mon pre finalementqui na pas voulu quelle avorte Je lai chapp belle ! Je suis sre quejai eu trs peur, je le sens.

    En disant ces mots, Iris pleure ; tout son corps est en tension et en torsion.

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    1. Ce tmoignage nous donne saisir la puissance des motions et des sensationssur nos vcus psychiques et corporels troitement imbriqus.

    Lorsque je lui demande de prciser ses ressentis, elle reprend :

    Je sens que jai cherch me faufiler le plus loin possible et me rduireau point de disparatre. Je le sens dans mon corps je me sens rtrciret me recroqueviller.

    Ce vcu des temps anciens reste ainsi omniprsent et toujours actif ; lafin de la sance, Iris note :

    Cest fou, je me suis tellement ratatine dans mon corps que je flotte lit-tralement dans mes vtements1 ! .

    Ainsi, ds les premires semaines de sa vie ftale, Iris a enregistr auplus profond de ses cellules une image-sensation la fois terrifianteet paradoxale des figures parentales qui peuvent tout autant donnerque retirer la vie.

    Paralllement, Iris a bti une construction psychique inconsciente la mesure de sa terreur originelle, et dont elle prend conscience peu peu. Au fil de ses sances, elle en explore lomniprsence et la pro-fondeur :

    Il y a toujours eu entre ma mre et moi une sorte de contrat. Je crois bienquil sest mis en place lorsque jtais dans son ventre. Jai promis dtresage, de ne pas la dranger, de me faire toute petite en change de lavie. Comme un pacte Oui, a ressemble un pacte. Cest lhistoire deFaust, nest-ce pas, qui conclut un pacte avec le diable ?

    La diffrenciation qui merge ici nest pas des moindres, car avec ellecommence poindre la reprsentation dune figure diabolique. Aucours de son analyse, Iris voque et dlaisse alternativement cettenotion de pacte, dont il lui est difficile daccepter la connotationdmoniaque au regard dune mre prmaturment perdue. Lentre-voir ainsi sous un visage monstrueux et agressif est douloureusementpensable.

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    Malgr ses craintes et ses rticences explorer cette voie, Iris ose peu peu contester limage de sainte dcerne sa mre par ses tantes.Elle nomme et mme dnonce les manques dont elle a profondmentsouffert ; elle identifie des communauts de souffrances dans ses diff-rentes relations amoureuses, petit petit relies son propre vcuinfantile, et dont elle repre un dnominateur commun : le manque.

    Ce long cheminement sancre tout dabord dans la prise de consciencedun tat omniprsent dattente douloureuse.

    Ma mre tait enferme dans sa bulle, la fois tout le temps l et jamaisdisponible. Lorsque javais besoin delle ou que je lui demandais quelquechose, je devais attendre, toujours attendre Elle tait l mais tout letemps absorbe, et moi je me retrouvais en permanence suspendue danscette attente de ma mre Cest cette position constante dattente qui merendait dpendante delle (silence). Finalement, cest ce que jai revcuavec mon ex-mari, puis avec Alexandre : tre toujours dans lattente etdpendante de leur bon vouloir, de leurs rponses, de leur attentionCest terrible, cest comme si dans cet tat dattente, je ne mappartenaisplus et que je devenais la possession de lautre !

    Pour Iris, prendre conscience de ce lien entre la mise en attente etltat de dpendance est quelque chose de trs important : cestcomme avoir la cl dun mystre.

    Ce vcu dattente renvoie un tat de manque qui dshumanise, vide,dsertifie. Il y est bien entendu question du dfaut de rponse uneattente ou un besoin, mais aussi, et de faon prgnante, de labsencede reconnaissance et dattention envers sa personne vritable, de sujet part entire et diffrent de lautre avec qui elle faisait couple : samre puis ses partenaires amoureux.

    Iris a souffert de la prsence absente de sa mre, de rponsessouvent inadquates, trop tardives ou brutales de son entourage, etsurtout du manque damour vrai.

    La dficience damour place lenfant dans un tat de manque et le laisse [] dans une situation dhmorragie psychique constante,

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    dans lattente inassouvissable dune rponse mieux adapte sesattentes, ses besoins1.

    Lenfant devient alors accro et naura de cesse de remettre en jeules retrouvailles avec ltre manquant, mu par le dsir trs cherdtablir et vivre avec lui un lien damour.

    Au fil de son cheminement, Iris identifie ce dfaut damour vrai.

    Tous les hommes que jai aims taient des hommes au cur de pierre.Cest ce que jai de nouveau vcu avec Alexandre. Je laimais, mais luirestait enferm dans son cur de pierre. Je laime toujours (silence).

    Je dis que je laime, mais je ne sais pas si cest vraiment de lamour jecrois que cest plutt une attirance trs forte de la fascination. Cest lecur de pierre qui me fascine et que je tente par tous les moyens de ra-nimer, pour y insuffler de la chaleur et de lamour. Quand je pense marelation avec Alexandre, je vois un tas de pierres auquel jessayais dinsuf-fler de la vie (silence).

    Tout au fond, je crois que cest toujours de moi enfant dont il est questionet de mon dsir si fort de redonner vie et humanit ma mre et monpre !

    Rompre le pacte

    Dans la suite de ces sances, Iris discerne amour et attrait, et en vientau terrible constat dtre accro .

    Je sais maintenant quAlexandre mest nocif et que reprendre une rela-tion avec lui me ferait du mal. Pourtant, je me surprends attendre quilmappelle. Parfois, je suis tente de lappeler cest comme la tentationde replonger du toxico ou de lalcoolique. Jai honte. Cest comme tretente par la bouteille planque dans le placard.

    1. M. Berger, Violence et chec de lemprise , revue Dialogue, n 117.

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    Iris a accompli de grandes avances mais reste encore en partiecaptive. Un lien mortifre nest pas encore dissous : celui du pacte et,probablement, dun double pacte.

    Il sagit tout dabord du pacte fantasmatique qui la lie au monstre qui elle a livr ses parts vivantes en change de sa survie. Pour passerde la survie la vie, il faut rompre avec le pacte et, de ce fait, sexposer la terreur des reprsailles. Cet obstacle nest pas des moindres, car,dimaginaire, cette terreur est venue se tlescoper avec la ralit,notamment avec les colres violentes et terrorisantes de son pre durantsa prime enfance, puis avec la mort de sa mre survenue une priodeo Iris commenait se rebeller, et, en quelque sorte, sopposer au contrat . Cest comme si Iris avait inconsciemment interprt laperte de sa mre comme la sanction suprme sa dsobissance.

    Cette construction psychique vcue au pied de la lettre a longtempspoursuivi Iris pour qui, adolescente puis adulte, toute manifestationde bonheur, notamment amoureux, devenait annonciatrice de catas-trophes. Ds lors, choisir inconsciemment pour partenaires deshommes au cur de pierre tait en quelque sorte faire allgeance,se mettre labri des reprsailles et prserver sa survie.

    Toutefois et heureusement, Iris est dtentrice de vraies et solidesressources vivantes. Aprs avoir pendant longtemps us de subter-fuges pour tenter de sen dgager, elle lutte dsormais pour se dfairede ce pacte mortifre.

    Au fond, ce contrat nest sign que de moi et je veux dsormais ledchirer.

    La jouissance en change de la libert

    Au cours dune sance, Iris raconte un rve dans lequel, elle sintro-duit par la ruse dans un chteau ferm et bien gard et comparableau chteau de Versailles , pour y drober une enveloppe.

    Dans ses associations, elle imagine que lenveloppe contient le fameuxcontrat, quelle veut reprendre afin de retrouver sa libert. Mais comme

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    le rve lindique, elle ne pourra la recouvrer pleinement quaprs avoirquitt ce lieu sduisant par ses fastes, mais ressemblant un universclos dont elle risque de se retrouver prisonnire. Nous retrouvons laquestion de lalination et, par analogie, du pacte alinant.

    Ce lieu la fois si royal et si risqu apparat alors comme le royaumede la jouissance qui enivre par son clat mais asservit tout autant. Eneffet, la jouissance produit le soulagement dune tension trs forte enmme temps quun plaisir intense par lobtention dune satisfactiondirecte et immdiate dune puissante envie. Cependant, lintensit dela satisfaction est la mesure de sa brivet, ses dlices appartiennentau rgne de lphmre et ne peuvent tre convoqus nouveau quauprix de lasservissement. Cest ici, comme je le suggre plus haut, quese situe lautre volet du double pacte, celui de la jouissance en changede la libert.

    Comme lindique le rve dIris, retrouver sa libert passe par se dli-vrer de cette gele dore. Cela implique le rude et difficile renonce-ment cette jouissance compulsive comme seule voie daccs unesatisfaction vraie et profonde.

    Enfin, il nest pas neutre que lobjet du rve soit une enveloppe : aufil de sa psychanalyse, Iris rcupre son enveloppe psychique, perforepar le manque. Elle la rtablit dans sa fonction contenante et protec-trice1 afin dy faire circuler des contenus plus vivants et dun autreordre que ceux rgis par la tyrannie du pacte.

    Pour cela, elle prend appui sur le cadre et la relation psychanalytiquesqui constituent, eux aussi, une enveloppe contenante et protectricedont Iris teste et exprimente la fiabilit. La qualit de cette enve-loppe passe par la capacit de son parent analyste accueillir,supporter et contenir les diffrentes formes dagressivit quelle luiadresse, souvent de manire inconsciente.

    1. Lenveloppe psychique a des fonctions comparables celles de la peau, notreenveloppe corporelle : contenante et protectrice, assurant et rgulant les changesentre intrieur et extrieur. Cf. D. Anzieu, Le moi-peau, Dunod, 1995.

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    1. D. Winnicott, in La haine dans la position dpressive ,C. Podguszer, www.psychanalyse-in-situ.fr, novembre 2005.

    Ainsi vais-je, par exemple, me trouver convoque en rle et place de mauvais parent qui malmne son enfant/patient : Iris revit alors travers moi une duret, une scheresse ou une incrdulit quiremettent en scne dans le transfert la figure du monstre . Cesttoutefois en accueillant cette figure peu gratifiante quelle peut, petit petit, en transformer les reprsentations massives et accder uneralit plus juste et partage.

    Winnicott parle ici dutilisation par le patient de son psychana-lyste et de limportance que ce dernier survive aux attaques , cest--dire quil reste ancr dans une dynamique vivante et nexerce pas de reprsailles 1. Cette utilisation de son thrapeute est fondatricedans la mesure o elle offre la possibilit Iris de dcouvrir chez lautre son analyste en loccurrence une substance, non plus dltre, maissuffisamment saine et nourrissante dont elle tait en manque, ainsique dexprimenter de nouvelles voies relationnelles.

    Accueil, contenance, accompagnement, prsence vraie et vivante auxcts dIris sont aussi des rponses son attente si grande de ntreplus, cette fois, abandonne par le parent sous les traits de lana-lyste.

    Le sentiment dabandon : je me sens tout(e) seul(e)Labandon reste une problmatique de fond pour toutes les relationsde dpendances douloureuses. Ainsi en va-t-il des tats de dpen-dance reconnus par les personnes qui en souffrent, mais aussi pourdautres o le lien de dpendance est ignor ou ni, comme lisole-ment ou lindiffrence.

    Le sentiment dabandon

    Lorsquon parle du sentiment dabandon, il peut sagir de labandonstricto sensu (naissance sous X, par exemple), mais galement le cas de

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    labandon psychique et affectif. Il sagit ici dun tat de dlaissement,dindiffrence, de carence, voire de maltraitance, inflig la personnepar son entourage. Cette forme insidieuse dabandon devient parti-culirement douloureuse quand rien de matriellement reprable nevient signifier la ralit de labandon.

    Le film Virgin suicides illustre admirablement cette situation. SofiaCoppola prsente ici lhistoire de cinq surs, menant une vie reclusemais en apparence heureuse, entoures dun pre quelque peu absentmais finalement assez sympathique et dune mre possessive et coer-citive, mais agissant par amour de ses filles et dans le souci de lesprotger.

    Tout au long du film, le spectateur assiste dsespr et impuissant limplacable agonie psychique et affective des cinq jeunes filles. Igno-res dans leur ralit profonde dtres vivants et dsirants, clotresdans lunivers familial asphyxi et asphyxiant, livres la dsolationde cet intrieur vide et dessch ; chacune, rapidement ou petit feu,se meurt de ntre rellement ni reconnue ni aime1.

    Dans de telles situations, les apparences trompeuses et labsencedlments tangibles masquent lexistence dun vritable abandon. Ladifficult est alors grande pour lenfant et son environnement pluslarge didentifier la ralit de cet tat. Dans ce dsert sans relsrepres, lenfant est profondment seul et aux prises avec un doubleabandon, celui des siens et celui de lentourage ignorant ou sourd.

    De ces diffrents vcus rsultent des angoisses et ressentis multiples etdouloureux comme la perdition, la dtresse, la dsolation, le chagrin,la colre, la rancur, lisolement et la solitude abandonnique2.

    1. Virgin suicides, S. Coppola, 1999.2. Parler ici de solitude renvoie une solitude vide, froide, inanime, la diffrence

    dune solitude qualifie par Didier Anzieu de peuple o la personne, physi-quement seule, reste intrieurement habite et anime. Cette solitude paisible estprcieuse et fconde. Elle permet de prserver et de dvelopper en nous une inti-mit structurante et favorise llaboration dun travail crateur. Cf. D. Anzieu, Les antinomies de la solitude , Revue franaise de psychanalyse, n 36.

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    Antoine ou lenfant radi

    Le vcu dabandon, prsent dans toutes formes de dpendances affec-tives, traduit un dfaut de reconnaissance de la personne aban-donne . Ce peut tre une absence manifeste de reconnaissance.Mais le dni peut aussi sexercer soit sous la forme dune indiffrence,dune ignorance ou dun mpris marqus envers ce que la personneest et vit rellement, soit en linvestissant comme une partie de soi ce qui peut tre le cas dans lamour possessif dun parent ou dunconjoint par exemple.

    Quelles que soient les formes de ngation de son altrit, le sujet nestni accept dans ses diffrences, ni reconnu dans sa qualit de sem-blable part entire.

    Lhistoire dAntoine illustre particulirement cette souffrance. Jeunearchitecte de 28 ans, Antoine a le sentiment depuis longtemps de nepas vivre rellement sa vie ni de se raliser tant sur les plans personnelquamoureux. Aprs une longue priode dhsitation, il se dcide consulter un psychanalyste.

    Lorsque je rencontre Antoine, je perois chez lui beaucoup de charme,desprit et de cur, mais aussi la prsence diffuse dune tristesse inson-dable. Il nen exprime rien ouvertement et semble mme sen dfen-dre. Pourtant, jen devine lexistence dans son regard ou ses sourires,qui veillent en moi limage dun enfant malheureux et seul, nayanttrouv comme unique et solide rempart contre leffondrement quecelui dignorer son chagrin.

    Au fil de ses vocations, Antoine exprime combien, enfant, il futplac au centre de la msentente parentale et, tout la fois, ternel-lement oubli.

    Lorsque mes parents vivaient encore ensemble, ctait lenfer les dispu-tes, la violence, les plaintes de ma mre. Quand elle a dcid de quittermon pre, elle ma demand de choisir entre les deux. Jtais incapablede rpondre. Plus tard, quand elle est partie memmenant avec elle, ils sesont livrs une vritable guerre pour obtenir la garde parentale, comme si

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    lenjeu tait de remporter une victoire sur lautre en le dpossdant de mapersonne. Aprs le divorce, je leur ai servi dintermdiaire et dexutoire leur rancur.

    Durant une grande partie de sa psychanalyse, Antoine tmoigne delabsence de reconnaissance de ses parents lgard de lenfant puisde ladolescent quil fut. Peu ou pas mnag lors des scnes conju-gales, il ne le sera pas plus aprs le divorce de ses parents. De plus,ses rares tentatives de manifester son dsaccord et de se rebeller sesoldent par de terribles fins de non-recevoir.

    Jen avais tellement marre de leurs rglements de comptes par moi inter-pos, quun jour jai clat de colre et jai dit mon pre que, si acontinuait, je prfrais ne plus le voir

    Il ma ramen au pied de limmeuble o jhabitais avec ma mre, et je nelai plus revu. Il a pris au mot les paroles du gamin de 11 ans que jtais !Il ne sest plus jamais manifest auprs de moi et, plus tard, il a refustoute reprise de contact

    Jai vu chez un de mes oncles paternels un arbre gnalogique fait parmon pre il y a deux ou trois ans : je ny figure pas, et ma mre non plus.Comme si cette partie de sa vie et moi navions jamais exist ! Sur lemoment, je suis rest sidr. Ctait vraiment violent de visualiser concr-tement sa haine et son reniement.

    Une telle haine et un tel dni portent en eux une dimension meur-trire ; elles constituent une destruction active de lexistence mmeet de lidentit de la personne1.

    1. J. Cooren, Linconscient et la chose meurtrire , in La contrainte : une criturede linsolvable ? dition personnelle ; je remercie Karin Trystram de mavoir faitconnatre ces textes.

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    Chantage maternel

    Reni par son pre, Antoine a t linverse grandement sollicit parsa mre ; mais, dans les faits, celle-ci la tout autant ignor dans saralit dtre vivant, pensant et diffrent.

    Durant toute son enfance, Antoine se montre dvou et loyal enversses attentes dmesures. Il est lenfant lisse, sage, obissant et surtoutle fils qui console et soutient sa mre. Lessentiel pour lui est dvitertout risque dun nouvel abandon. Pour cela, il se plie sans mot direaux exigences maternelles, et rpond fidlement la demande impli-cite de se comporter en parent de sa mre malheureuse. Ce mode derelation fonctionnera tout au long de lenfance dAntoine.

    Jaimais ma mre plus que tout et javais terriblement peur de la perdre.Je ne lui disais rien de mes peines ni de ma dtresse. La prserver impor-tait par-dessus tout. Jtais interne dans un pensionnat. Cest une priodede ma vie o je me sentais trs seul et malheureux. L encore, je nendisais rien pour ne pas limportuner. Tous les dimanches en fin daprs-midi, la tristesse me gagnait lide de retourner l-bas. Je faisais sem-blant daller rejoindre des camarades au pied de limmeuble et je me rfu-giais dans un petit recoin du local vlos. L, je pouvais pleurer labrides regards. Elle ne sen est jamais rendu compte.

    Au cours de son adolescence, Antoine ressent de plus en plus un vraidsir de vivre. Le monde clos de son enfance docile et soumise luidevient insupportable. Il cherche et trouve son oxygne auprs de sescopains et de ses petites amies. Il revendique son propre espace de vieet de libert. Ses rapports avec sa mre prennent alors une tonalit deplus en plus conflictuelle.

    Elle attendait de moi que je reste le petit garon bien polic, aux ordresde Sa Majest, mais au fond, ce ntait pas mon vrai temprament.Jtouffais, je me sentais ligot et billonn. Je crois quelle nacceptaitpas que je sorte de sa mainmise.

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    Ce quAntoine exprime ici a trait lemprise exerce par sa mre surlui. Le terme de Sa Majest claire ce mode de relation o lun,ici la mre, tente de rgner sur les dsirs, les penses et les comporte-ments de lautre. Dans cette configuration, celui sous emprise setrouve ni dans sa vritable personne ; ainsi, la relation dassujettis-sement dun enfant par un de ses parents quivaut pour lui un relvcu dabandon.

    Ce pan de la relation mre-fils, silencieusement luvre durantlenfance docile dAntoine, se manifeste dans toute sa brutalit et satyrannie au cours de son adolescence.

    Peu peu, en grandissant, je me suis rendu compte que quelque choseclochait dans sa faon dtre avec moi. Elle disait souvent se sacrifier pourmoi, mais ce que je constatais dans les faits tait tout autre Je devais sanscesse rogner sur moi, mes dsirs, mes projets pour prserver sa tranquillit :ne pas sortir pour ne pas la laisser seule, ne pas choisir selon mes gotspour ne pas la contrarier, ne rien exprimer ou dfendre qui soit en opposi-tion avec ses opinions ou ses dsirs. mon insu, elle fouillait dans mesaffaires et lisait mes courriers. Je ne sais pas comment, mais elle savait enson absence quelle heure je rentrais et qui jinvitais. La moindre incartadetournait au scandale et les accusations pleuvaient. Ctait dlirant et infer-nal. Je devenais le fils mauvais et ingrat qui rendait sa mre malheureuse.Jai fini par comprendre quelle manipulait la vrit pour exercer un vrita-ble chantage affectif, et que des deux ce ntait pas elle la plus sacrifie.

    Face linterdit dtre qui lui est signifi, Antoine se rebiffe , triche,cache, ment, mais aussi se fait prendre. Les reprsailles sont alors lamesure de linterdit transgress : privations, isolement, enfermementet menaces lourdes.

    Un soir o jtais seul la maison, jai rejoint ma petite copine. Quandje suis rentr, ma grande surprise, ma mre tait dj l, blme de rage.Elle mest tombe dessus. Le lendemain soir, nous tions invits dnerchez un de ses frres. De toute la journe elle ne ma pas adress un mot ;et puis brusquement, alors que nous tions en route, elle a arrt la voituresur le bas-ct et ma ordonn de sortir. Nous tions en plein bois, il devait

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    tre sept ou huit heures du soir. La nuit tombait. Jtais stupfait, je necomprenais pas comment elle pouvait mabandonner l sans se soucier dece qui pouvait marriver. Bien sr, jai refus de descendre, mais elle nendmordait pas. Jtais terrifi. Heureusement, au bout dun moment, unevoiture de flics est passe et sest arrte pour nous demander sil y avaitun problme. Moi jtais muet de stupeur ; ma mre leur a rpondu quetout allait bien et nous sommes repartis.

    Cette scne dune grande violence rvle la dmesure des reprsailles,le lien de coercition et de servitude implacable dans lequel Antoinetait enserr ainsi que laveuglement et le dni maternels meurtriers.

    Antoine parle de stupeur et de terreur face cette scne, olabandon psychique et affectif, voil jusqualors, tait ainsi brutale-ment matrialis. Ignor et mpris dans sa qualit dtre humain,expos au danger, Antoine sest trouv confront une violenceimpensable, celle dun abus de pouvoir exerc par sa mre chez qui ildcouvrait avec effroi un visage dune violence inoue.

    Une relation dltre

    Plus Antoine grandit et prtend une autonomie, plus il se heurte linterdit et aux reproches maternels. Le climat dhostilit, de chan-tage et de reprsailles sintensifie au long de ses annes dadolescence.

    Vers 16 ans, il cherchera une autre issue en reprenant contact avec sonpre. De nouveau, la riposte cette fois paternelle sera sans appelet dune grande violence. Empoign et ject manu militari par sonpre chez qui il stait rendu, Antoine se retrouve hagard et honteuxsur le trottoir, abasourdi par les accusations insenses et le rejethaineux reus de plein fouet lors de cette brve entrevue.

    Meurtri, bless, ni, envahi par un sentiment dinjustice et un chagrinincommensurable, Antoine surnage dans sa dtresse.

    Enfant, jaimais ma mre plus que tout au monde. Jtais prt tout pourelle. Elle a dtruit cet amour inconditionnel que je lui portais. Mon ado-lescence a t un enfer. Ctait fou.

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    Ctait une relation compltement destructrice comme si lun ou lautredevait y laisser sa peau. Jai dcid de sauver la mienne ; ds que jaipu, je suis parti.

    Grce un puissant instinct de survie et un solide bon sens,Antoine ne renonce pas sa libert dtre et de vivre et se saisit delopportunit de sa majorit pour quitter, baccalaurat en poche, ledomicile maternel. Dbrouillard et courageux, il poursuit ses tudestout en travaillant comme gardien de nuit dans un parking jusqulobtention de son diplme darchitecte.

    Il traverse alors une longue priode derrance intrieure, de solitudeaffective et de tristesse sans nom. Ses expriences sentimentales, peuconcluantes, rveillent en lui, chacune leur manire, son sentimentde solitude et dabandon. Enfin, la rencontre dAnnabelle va trans-former sa vie.

    Ce fut un vrai coup de foudre. Je lai tout de suite aime et jai senti quectait rciproque. Pour la premire fois de ma vie, je rencontrais unefemme que jaimais et qui maimait vraiment, quelquun sur qui compter etavec qui partager ma vie. Ctait comme si javais enfin trouv mon portdattache. Je ntais plus tout seul et je pouvais enfin poser mes valises pourminstaller dans une vraie relation !

    Un pass prgnant

    Pour autant les expriences douloureuses du pass ont laiss destraces, et malgr la prsence dun vritable amour, Antoine nen estjamais suffisamment convaincu. Il na de cesse de tester, de faonenvahissante et despotique, la fiabilit de lamour dAnnabelle aupoint de lui rendre la vie difficile. Il se montre jaloux, suspicieux,exigeant et capricieux.

    son insu, il reproduit la relation demprise dont il a souffert. Cettefois, il occupe le rle du parent tyrannique et donne vivre sacompagne sa souffrance denfant ni et maltrait.

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  • L E S D P E N D A N C E S A F F E C T I V E S

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    Cependant, et en cho aux contestations dAnnabelle, Antoine sentquil joue un jeu malsain et dangereux qui le mne vers une impasse.De plus en plus conscient du mal-tre profond qui lhabite, il dcidede franchir le pas. Cest ce moment de sa vie quil sengage dans sapsychanalyse.

    Antoine y revisite les lieux de dsolation de son enfance, dnonce lesliens mortifres dans lesquels il tait ligot, identifie la ralit delabandon et de la violence subis et mesure lampleur de sa solitudeabandonnique ainsi que limmense tristesse dont il a d se couperpour se prserver. Il sabandonne son cur denfant empli dechagrin. Il pleure le flot intarissable de ses larmes. Il reconnat etaccueille en lui lenfant malheureux, en manque damour et de recon-naissance. Il repre son angoisse dabandon, ses stratgies de dfen