Estime de soi, locus de contrôle et performances scolaires ...
Estime de soi, adolescence et...
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Estime de soi, définitions « L’estime de soi est l’évaluation positive de soi-même, fondée sur la conscience de sa propre valeur
et de son importance inaliénable en temps qu’être humain »1.
Avoir une bonne estime de soi, c’est se connaître, reconnaître ses qualités, ses ressources, ses
talents, ses dons…. Et ses faiblesses.
S’estimer, ce n’est pas « se croire » le plus intelligent, le plus créatif, le plus aimable…. Ce n’est pas
être vaniteux, avoir un ego surdimensionné ou « se la jouer », comme disent les enfants. C’est
pouvoir énoncer que l’on est intelligent, créatif, aimable et dans un même temps admettre en toute
tranquillité que son voisin est doué des mêmes qualités, ou de bien davantage.
L’estime de soi permet d’être accepté dans le groupe parce qu’on s’accepte soi-même.
Avoir une bonne estime de soi, c’est avoir une vision juste, équilibrée et apaisée de soi-même : ni
admirative, ni dévalorisante. L’estime de soi, c’est l’amour raisonné de soi-même.
L’estime de soi concerne à la fois l’être et l’agir.
Trop de personnes pensent que leur valeur réside dans la quantité d’actions qu’ils mènent, et
pensent obtenir l’amour des autres uniquement par leurs actes. A l’opposé, certains personnes très
choyées n’ont pas été valorisées pour leurs réalisations et risquent de se décourager facilement.
L’estime de soi et l’être : je suis aimable
L’estime de soi à l’égard de son être passe par la manière :
- De se voir : quelle image j’ai de moi ? Comment est ce que je me vois dans les yeux des
autres ?
- De se parler : quels commentaires je fais sur ma personne, quels jugements est-ce que je me
porte ? Comment est-ce que je réagis aux critiques des autres ?
- De ressentir et gérer ses émotions, négatives et positives, qui sont souvent le fruit de mon
dialogue intérieur.
L’estime de soi et l’agir : je suis capable
L’estime de soi à l’égard de l’agir passe par la manière :
- De se projeter positivement : comment je me vois réussir mon projet ?
- De parler positivement de ses capacités à faire : voilà les capacités, les stratégies que je vais
mettre en œuvre…..
- D’évaluer les résultats de ses actes aussi en fonction de la qualité de ses efforts, d’apprendre
à apprécier ses performances, si petites soient-elles.
1 « Estime de soi, confiance en soi », Josiane de Saint Paul, Interéditions
Rencontre CPE – AROEVEN 10 février 2011, Limoges
Estime de soi, adolescence et communication…..
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Confiance en soi et/ou affirmation de soi : je donne à voir
Confiance en soi et/ou affirmation de soi sont les manifestations extérieures de l’estime de soi que
l’on éprouve dans son for intérieur. C’est ce que les autres peuvent observer : la posture dans le
groupe, la manière de communiquer, de donner son avis, de partager ses idées, d’exprimer ses
émotions, de gérer pacifiquement un conflit.
Trop d’estime de soi ?
Une « trop haute » estime de soi est souvent révélatrice d’un défaut d’appréciation globale, d’une
faille dans l’évaluation de l’estime de soi.
- Une bonne estime de soi n’est pas le narcissisme, l’égotisme ou le culte de soi
- Une bonne estime de soi n’est pas une surestimation
- Une bonne estime de soi est différente de la vanité ou de l’orgueil
Ressentir une satisfaction personnelle, pour ce que l’on pense, ce que l’on est ou ce que l’on fait ne
nécessite pas de se vanter, de se comparer aux autres ou de les « écraser ». Ce type de
comportement traduit plutôt une mauvaise estime de soi.
La personne « sûre d’elle « n’est ni dévalorisante ni arrogante. Elle est « juste » avec les autres
comme avec elle-même. Elle connaît ses forces ET ses faiblesses.
« Je suis moi et cela me suffit si je le suis ouvertement »
Carl ROGERS
Pas assez d’estime de soi ?
Les symptômes d’une faible estime de soi sont légion :
- sentiment d’incompétence,
- tendance à se dévaloriser ou au contraire, se protéger en se survalorisant,
- « s’écraser » et avoir l’impression de ne pas être respecté,
- au contraire être agressif pour démontrer son point de vue,
- difficultés à se présenter, à parler de soi en termes positifs,
- manque d’ambitions,
- tendance à généraliser les situations d’échec : je n’y arriverai jamais, c’est toujours à moi que
cela arrive, …
Une bonne estime de soi.
Classiquement, les personnes qui ont une bonne estime d’elles-mêmes :
- se respectent et respectent les autres,
- se jugent égales aux autres, simplement en tant qu’être humain,
- connaissent et reconnaissent leurs qualités et leurs limites,
- élaborent leur opinion à partir des faits, des situations, de ce qu’elles vérifient et non à partir de
on-dit et de poncifs,
- ont le sens de l’humour,
- sont centrées sur les objectifs à atteindre plus que sur elles-mêmes.
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Estime de soi, origines et construction, rôles
Origines William James et Charles Cooley sont les deux « pères » de la notion d’estime de soi.
William James, psychologue, définit en 1890 l’estime de soi comme le rapport entre ses ambitions et
ses réussites. Plus les ambitions sont hautes, plus il est difficile d’avoir une bonne estime de soi.
Cette approche met l’accent sur l’abord très individuel de l’estime de soi. « Vérité en deçà des
Pyrénées, erreur au delà », disait Pascal. Il n’y a pas de norme, il ne faut pas être ceci ou cela pour
avoir une bonne estime de soi ; sa définition est personnelle, elle a une valence interne forte.
On peut avoir des mauvaises notes ET une bonne estime de soi si on est un travailleur manuel habile
de ses mains, ou un artiste, et que ces valeurs sont reconnues dans notre milieu d’origine.
Charles Colley, sociologue, évoque le « miroir social ». « Ce qui nous incite à la honte ou à la fierté
n’est pas le simple reflet de notre apparence, mais un sentiment associé, l’effet imaginé de ce reflet
dans l’esprit d’un autre ».
L’estime que nous avons de nous-mêmes est aussi le reflet de notre image dans les yeux des autres.
Nous intériorisons leurs jugements positifs ou négatifs.
Au 20ème siècle, Susan Harter est la référence sur la thématique de l’estime de soi.
Elle confirme James « l’estime de soi est directement influencée par la manière dont les enfants et les
adolescents perçoivent leurs compétences dans des domaines où la réussite est importante pour
eux ». Elle conforte Cooley : « le regard positif des autres est un déterminant important de l’estime de
soi… ». Si on réussit dans les domaines jugés importants, on aura une bonne estime de soi.
Cette déclinaison met en valeur, comme celle de James, l’importance :
- des valeurs du milieu familial d’origine
- des valeurs de la société
Harter met en évidence l’importance vitale de l’approbation et des renforcements positifs pour le
développement de l’estime de soi
Par ailleurs, Harter est adepte du fait que l’estime de soi peut s’apprécier à la fois sur un plan global
et sur un plan sectoriel. Chez les enfants et les adolescents, elle a mis en évidence que ces
« domaines d’importance » pour l’estime de soi étaient :
- la compétence scolaire, la compétence sportive, l’apparence physique, l’acceptation par les
pairs, le comportement (la manière de se conduire, d’agir, de réagir)
Construction L’attachement/ John Bolwby
Ce psychiatre anglais a démontré la nécessité absolue d’un lien affectif pour l’enfant, qu’il a appelé
« attachement ». Le besoin d’attachement est primaire, inné.
Les comportements de la figure d’attachement envers l’enfant, « l’accordage affectif » qui existe
entre mère et enfant donnent à ce dernier une conscience de sa valeur, de son importance, et l’aident
à construire une « base de sécurité pour explorer le monde ».
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Le style relationnel mère/enfant est une forme de « grammaire relationnelle », qui va servir de
modèle à l’enfant pour les relations futures.
SECURE, l’enfant évolue sereinement entre sa figure d’attachement et le monde environnant.
INSECURE, l’enfant n’a pas acquis de confiance dans les réactions qu’il peut espérer de son
environnement et en éprouve de l’anxiété.
On peut dire de l’attachement qu’il est la base de la confiance en soi.
Nourrissage affectif et miroir social
La nourriture de l’estime de soi reste l’attention, le regard de l’autre.
Le « nourrissage affectif » continue pour l’enfant qui grandit via les réactions et commentaires de la
famille à ses faits et gestes. Il est facile d’envisager qu’un enfant à qui l’on dit « tu es joli, tu te tiens
bien à table, tu es souriant, tu es drôle »…. Acquerra plus de confiance en lui que celui à qui l’on
répète « tu te tiens mal, tu casses tout, tu es sale »… La façon dont on s’adresse à lui va forger
l’image qu’il a de lui. Et cette image sera confortée, affinée par les réactions de ses pairs quand son
cercle de rencontres s’élargira, à l’école par exemple.
Si l’estime de soi se construit majoritairement dans l’enfance, elle continue d’évoluer tout au long
des confrontations aux autres, via « le miroir social ».
L’auto-efficacité
Le psychologue Albert Bandura met en évidence scientifiquement le fait que croire en soi augmente
ses chances de réussite.
« La notion d’efficacité personnelle se ramène à une idée très simple mais très éclairante, issue de la
réflexion sur la pratique des théories comportementales : la capacité d’une personne à entreprendre
certaines actions dépend largement de sa croyance en cette capacité. …. La croyance dans sa propre
capacité apparaît dès lors comme un phénomène fondamental dans l’ensemble des processus qui
assurent l’adaptation, la santé et le bien-être psychique »2
L’impact de cette notion développée par Bandura, utilisée dans le cadre des thérapies
comportementales et cognitives, est aujourd’hui reconnu pour ses implications larges dans le
domaine de la psychologie, qu’il s’agisse des compétences parentales éducatives, de la réussite
sociale, de la capacité à suivre un régime ou à s’arrêter de fumer…
Pour Bandura, si une personne estime ne pas pouvoir produire des résultats satisfaisants dans un
domaine, elle ne tentera même pas de s’y employer. Les croyances des individus en leur efficacité
influent sur pratiquement toutes leurs activités : comment ils pensent, agissent, se motivent et se
comportent. Certains échouent à obtenir des résultats alors même qu’ils savent très bien ce qu’ils
doivent faire et qu’ils possèdent les aptitudes requises. En d’autres termes, le sentiment d’efficacité
personnelle ne repose pas sur le nombre et la qualité des aptitudes que possède un individu, mais
sur ce qu’il croit pouvoir en faire.
L’adolescence est la période où les changements de rythme scolaire, passant de la personnalisation
avec un enseignant à la dépersonnalisation du collège, l’ambition croissante pour l’enfant d’être
autonome induisent l’autoévaluation répétée de ses capacités à faire (seul) et à réussir.
L’enseignement lui permet la plupart du temps de faire seulement l’évaluation de ses capacités
2 « L’intérêt clinique du concept d’efficacité personnelle », De Almeida Carapato & Petot, De l’apprentissage social au
sentiment d’efficacité personnelle, Editions L’Harmattan, 2009
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cognitives. Il doit compter avec elles, avec les influences diverses de son environnement dont les
« prophéties » (« tu n’y arriveras jamais », « dans la famille on est nuls en maths ») peuvent avoir un
effet insidieusement délétère sur sa réussite. (surtout si elles s’accompagnent d’un « je te l’avais bien
dit » qui clôture la séquence !).
Cette période est privilégiée pour œuvrer sur l’auto-efficacité des jeunes. Albert BANDURA précise :
« des modèles efficaces de changement personnel reposent sur des expériences de maîtrise guidée en
gérant des situations à problèmes comme principal véhicule de changement »3
L’auto-efficacité repose principalement sur le fait de vivre des expériences réussies, si petites soient-
elles. Chaque expérience réussie augmente le sentiment de maîtrise personnelle. Cette observation a
des répercussions essentielles sur la manière de construire ses objectifs et ses progrès : les objectifs
seront bien évidemment réalistes, atteignables et concrets, et surtout ils seront « découpés » en
petites étapes dont la réussite assurée sera autant d’encouragements pour la suite.
La résilience
En physique, la résilience décrit la capacité de résistance aux chocs.
Progressivement, ce concept a été étendu au domaine psychosocial, pour évoquer les enfants ou les
adultes qui se développent positivement dans les conditions les plus difficiles, qu’il s’agisse de
guerre, de maltraitance physique ou psychologique,…
La psychologue américaine Emmy WERNER a suivi (pendant 20 ans !) l’évolution de 200 enfants nés
dans les « bas fonds » d’une petite île de l’archipel d’Hawaï, qui, à 2 ans, présentent toutes les
« chances » de mal finir: misère, maltraitance, familles cassées, psychiatrisées, alcool….
Et elle va démontrer que 30% de ces enfants, sans intervention extérieure, ont une vie « pleine de
sens », qu’ils sont épanouis, intégrés, heureux : elle les baptise « résilients ».
Boris Cyrulnik est en France le génial promoteur de ce concept, qui définit la capacité d’un individu à
rebondir, à se reconstruire malgré des traumatismes physiques ou psychiques.
Si elle n’est pas à proprement parler base de l’estime de soi, la résilience est un formidable espoir,
une révolution de la pensée. Comme le parent « mise » sur les capacités de son enfant et lui accorde
sa confiance d’emblée, le « tuteur de résilience »4 peut offrir à son voisin ce regard de solidarité
affective qui lui rend sa compétence et l’aide à se voir différemment, humain lui aussi aimable et
capable….
La résilience permet l’ouverture des perspectives, l’espoir d’une évolution favorable. Elle évite la
stigmatisation systématique, et invite à la créativité, à l’ouverture de possibles.
Facteurs externes favorisant la résilience
- l’acceptation inconditionnelle de la personne par quelqu’un : famille ou adulte de substitut,
- la solidarité, le groupe, un réseau de contacts informel : famille, amis, voisins,
- responsabilisation
Facteurs internes favorisant la résilience
- avoir son propre projet de vie, capacité à donner un sens à sa vie,
- estime de soi,
- humour
3 « Auto-efficacité », Albert BANDURA, éditions De Boeck, 2007
4 Expression due à Boris Cyrulnik
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Rôles La conscience de sa valeur personnelle, de ses compétences permet de faire face aux situations les
plus diverses, de s’engager sereinement dans l’action. Le pédopsychiatre Jean-Philippe JEAMMET dit
que « les enfants fragiles sont en insécurité intérieure ». Il résume ainsi l’effet provoqué par un
manque de confiance en soi, ce trouble qui vous saisit au moment d’agir, quand vos ressources se
cachent ou se dérobent et vous laissent inefficace ou impuissant. Acquérir une bonne confiance en
soi, c’est avoir identifié ses ressources, pouvoir en toutes circonstances se reposer sur ce matelas
rassurant, savoir que l’on va pouvoir piocher dans un inventaire de talents pour faire face aux petits
et grands défis de la vie.
Le sentiment de sécurité intérieure permet de s’ouvrir aux autres, d’être avec les autres. Pour
aimer les autres, il faut d’abord s’aimer soi-même. On est différents, mais à égalité ; on ne se sent
pas remis en cause à chaque mot ou geste de l’autre. On se sent, on se sait à la fois aimable et
capable. On se nourrit assez de ses réussites pour éviter la frustration, la jalousie.
Le manque de confiance en soi brime l’individu, l’enferme dans un fonctionnement a minima.
Comme le dit le psychothérapeute Carl Rogers : « Si je devais chercher le cœur même de la difficulté
chez les gens tels que j’ai appris à les connaître, c’est que, dans la grande majorité des cas, ils se
méprisent et se considèrent comme sans valeur et indignes d’être aimés »5
On considère aujourd’hui l’estime de soi comme un facteur protecteur, élément de l’équilibre
psychique et émotionnel, qui intervient autant dans la réussite scolaire, l’aisance relationnelle que
dans la prévention des conduites à risques.
L’estime de soi est un facteur salutogène6 et un mécanisme de défense :
- Cela a été démontré avec les comportements de santé : être conscient de sa valeur, c’est
choisir de se protéger, aller vers les comportements favorables à la santé, savoir résister,
savoir dire non
- Une estime de soi élevée donne un regard positif sur les aléas de la vie, elle augmente la
capacité à mettre en place des stratégies adaptées pour faire face aux situations du
quotidien, elle augmente la capacité à ressentir du bien-être et à être capable de résilience
En résumé, une bonne estime de soi permet à la personne d’être consciente de sa valeur
personnelle et de se faire respecter. Dans l’action, elle prendra plus de risques intelligemment
envisagés et saura persévérer même en cas de difficultés pour atteindre ses objectifs. Avoir une
bonne estime de soi, c’est tout mettre en œuvre pour réussir et savoir en même temps se dire :
« voilà ce que je ferai si ça ne marche pas ».
Une faible estime de soi amène à se dévaloriser en permanence, à trouver aux autres les qualités
qu’on aimerait posséder, à douter de ses compétences et à trop attendre l’avis des autres pour
avancer. Elle amène à une projection mal assurée de ses projets et à un manque de persévérance
pour les atteindre. Avoir une faible estime de soi c’est s’engager à reculons dans un projet en
pensant « ce n’est pas pour moi », et après coup en cas d’échec « je l’avais bien dit ».
5 « Le développement de la personne », Carl.R. Rogers, Interéditions
6 salutogène = générateur de santé. Salutogène est l’inverse de pathogène
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Adolescence Malgré un aspect ou des comportements qui pourraient nous égarer, l’adolescent est, avant tout, un
être humain…. On peut aussi dire de lui qu’il est « attachiant »….
Il faut se faire à l’idée que l’adolescent n’est plus :
• Un enfant qui ne sait pas ; il a appris (nous lui avons appris) à penser par lui-même….
• Une cire molle, malléable où nous avions l’habitude d’imprimer notre marque…
L’adolescent est :
• Un être pensant, en mesure d’organiser ses connaissances et qui éprouve le besoin de
soumettre à l’épreuve de son propre jugement les idées des autres, celles de ses aînés
surtout
• Un être doté d’intelligence, c’est-à-dire capable d’une énergie mentale qui s’exprime sous
diverses formes: relationnelle, verbale, manuelle, pratique, abstraite
• Un être de son temps, de son époque.
Et que lui propose notre société? Consumérisme, compétition, individualisme, exclusion, téléréalité,
remise en cause de toutes les autorités, pessimisme, incapacité à se réjouir, à relativiser….
Rien ne pénètre aussi doucement et aussi profondément que l’influence de l’exemple John LOCKE, Pensées sur l’éducation
Les adolescents suscitent bien des intérêts et des pensées sombres…. Les jeunes gens en ont suscité
de tous temps, ainsi que le révèle cette phrase de Socrate : “Nos jeunes aiment le luxe, ont de
mauvaises manières, se moquent de l'autorité et n'ont aucun respect pour l'âge. À notre époque, les
enfants sont des tyrans.”
Ou encore celle-ci : « Je n’ai plus d’espoir pour l’avenir de notre pays si la jeunesse d’aujourd’hui
prend le commandement demain. Parce que cette jeunesse est insupportable, sans retenue,
simplement terrible… Notre monde atteint un stade critique. Les enfants n’écoutent plus leurs
parents. La fin du monde ne peut être loin ». Elle est d’Hésiode, 8 siècles avant JC…
Pourtant, sans le nom des auteurs, combien trouveraient ces « sentences » terriblement d’actualité ?
Toute discussion de notre parole (notre autorité ?) ne peut-elle être vécue que comme indiscipline et
rébellion ?
L’ensemble des études qui parlent de la santé des jeunes, de leur bien-être montrent qu’ils vont
globalement très bien, pour 85% d’entre eux. Bien évidemment, 15% de jeunes qui vont mal est un
chiffre énorme, et l’on pourrait légitimement attendre un chiffre proche de 100%. Mais 85%, c’est un
chiffre colossal, que bien des sondages divers souhaiteraient atteindre !
Pourtant malgré ces résultats itératifs, dans le Baromètre santé, dans l’enquête HBSC7 ainsi que dans
les “baromètres du bien-être adolescent »8 réitérés par IPSOS chaque année, l’écart entre les
réponses des adolescents et des adultes aux mêmes questions concernant les adolescents est tout
simplement hallucinant….
7 Health Behavior in School age Children Enquête internationale sous l’égide de l’OMS, chez les 11, 13 et 15 ans
8 http://www.ipsos.fr/CanalIpsos/articles/2563.asp
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Vrai pour les ados Vrai pour les adultes
Les ados communiquent facilement avec leurs parents 82% 50%
Les ados ressentent du bien-être à l’école 78% 47%
Les ados sont sous pression 39% 81%
Les ados ressentent du mal-être 18% 72%
Baromètre IPSOS Pourquoi nos représentations de la jeunesse sont-elles à ce point décalées? Sommes-nous davantage
dans la projection de nos ressentis que dans l’acceptation de ceux des autres ?
Nos représentations sociales ont pour fonction d’organiser notre réalité, de donner une cohérence à
notre vision du monde ; elles orientent nos communications et nos conduites.
La démocratie (le pire des régimes à l’exclusion de tous les autres, disait Churchill), a fort
heureusement envahi notre société et nos familles.
Nos modèles éducatifs ont évolué, aux aussi, de l’autoritarisme à la démocratie. Le but de l’éducation
n’est-il pas la liberté et l’autonomie ? Voici ces modèles résumés par le sociologue Michel Fize9 :
Système traditionnel AUTORITARISTE
Système moderne Personnaliste
Méthodes Autorité, discipline Ordre Domination, punition
Méthodes Démocratie, dialogue Coopération Respect, réparation
Objectifs/visée Obéissance, soumission Conformisme Devoirs, obligations
Objectifs/visée Respect Distinction Responsabilité/respect de la loi
Il appert de ces réflexions et définitions que notre représentation de l’adolescence est peut-être à
adoucir, amender, modifier pour faciliter notre « entrée en relation » avec eux.
Communication Si l’on se réfère aux racines latines du mot, « communiquer » veut dire « entrer en relation
avec ». Et pourtant ce verbe est trop souvent confondu avec « transmettre de l’information », bien
plus limité dans sa portée.
La communication, si prisée aujourd’hui dans tous ses atours, ne se limite pas à un échange
neutre de données. C’est la relation interpersonnelle toute entière qui y est impliquée, avec la
volonté, implicite ou explicite, consciente ou inconsciente, d’avoir un impact sur son interlocuteur. Si
cette démarche est identique pour les deux parties d’un binôme de personnes qui communiquent,
alors il est évident que chacun cherchera à influencer l’autre.
Si une écoute respectueuse (et silencieuse !) pouvait être offerte à nos aînés, chez qui la valeur
de l’antériorité et de l’expérience était sans doute plus naturellement remarquée, nous sommes
maintenant à l’ère du dialogue, dont la définition dans le Petit Robert est : « contact et discussion
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entre deux parties à la recherche d’un accord ». Le dialogue comporte au minimum un émetteur et
un récepteur, une donnée émise (le message), un code (le langage employé), et un objectif : c'est le
but du message.
Accepter de communiquer signifie donc prendre en compte l’autre, ses différences, ses avis et
ses opinions, et prendre le risque de voir les siens discutés, remis en cause. La communication « à
sens unique » semble avoir fait long feu. Communiquer, c’est s’exposer.
A côté de ces définitions liminaires, on sait aussi aujourd’hui qu’on ne peut pas ne pas
communiquer ; tel est l’enseignement de l’école de Palo-Alto, en Californie, qui a révolutionné dans
les années 1950 les théories de l’information et de la communication, avec des auteurs comme Paul
Watzlawick10, Grégoire Bateson11 ou Edouard Hall12.
Tout est langage : les mots interviennent finalement pour peu dans le message, quand les
silences, les gestes, les postures, les mimiques sont signifiants. La « carte » n’est pas « le territoire » :
ce que l’on dit, ce que l’on décrit n’est que la partie immergée de l’iceberg (la carte). Le langage (le
code) permet d’avoir une idée du « territoire » : ce que l’on donne à voir et à entendre en dit plus
long que ce qui est dit ou montré.
Notre réalité n’est pas celle de notre interlocuteur. Ceci nous incite à être avant tout
observateurs de l’autre si nous souhaitons communiquer, c’est-à-dire, pour revenir à l’origine latine
du mot « être en lien ».
La communication est le reflet de la relation interpersonnelle.
Entrer en relation avec, créer des liens, c’est reconnaître l’autre dans sa spécificité et son
individualité. C’est regarder, écouter, questionner avant de parler, d’analyser, de proposer.
Entrer en relation, c’est être ouvert et accepter les différences.
C’est être curieux sans juger.
C’est être congruent, c'est-à-dire exprimer avec le non-verbal la même chose que les mots que
l’on prononce, avec le risque de ne pas être crédible si l’on n’est pas congruent.
On pourrait peut-être, déjà, résumer la communication par la magnifique phrase de Boris
Cyrulnik dans l’introduction de son livre sur « La Honte » :
« les mots sont des morceaux d’affection qui transportent, parfois, un peu d’information ».
Alors : que dit-on à un adolescent quand on lui parle ? Quel message veut-on lui passer ? Que lui
dit-on de nous, que lui dit-on de lui ?
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« Une logique de la communication » 11
« Vers une écologie de l’esprit » 12
« La dimension cachée »
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Communiquer avec les adolescents Yes we can !
Philippe Jeammet13 expose que les adolescents oscillent « entre le besoin d’être compris et la
nécessité d’échapper ».
Le « climat » mis en place est un élément essentiel de la communication. La « posture »,
l’engagement dans la relation est un élément essentiel de la valorisation de l’estime de soi. Elle
précède et prévaut sur n’importe quel « outil » si subtil soit-il.
L’attitude, c'est-à-dire la position du corps, la gestuelle, le regard, le ton de la voix sont les effecteurs
relationnels les plus importants. Ce comportement d’ouverture et d’empathie est servi par un mode
de communication préférentiel qui privilégie la centration sur l’autre, et une attention toute
particulière au langage employé.
Etre chaleureux, être à l’écoute
« Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des gestes d’amour », disait Cocteau. Un regard, un sourire, un mot
gentil, une main sur l’épaule, sont autant de signes de reconnaissance « positifs » dont nous nous
nourrissons chaque jour et qui sont indispensables à notre bonheur.
Etre à l’écoute, cela signifie …. écouter, sans donner son avis ! Etre à l’écoute, c’est éviter de
répondre aux questions qu’on ne vous a pas posées. C’est aider l’autre à s’exprimer, en reformulant
ce qu’il a dit pour être sûr d’avoir compris, en posant des questions.
Si vous souhaitez qu’on vous parle, commencez par vous taire…
Veiller à la manière dont on s’exprime, utiliser un langage positif et valorisant
Utiliser un langage « positif », cela veut tout d’abord dire, très simplement, oublier les négations.
Notre cerveau est ainsi fait qu’il ne les conçoit pas. Si l’on dit, par exemple : « ne pensez pas à un
éléphant rose ! », vous aurez d’abord pensé à l’éléphant avant de le rayer de votre imagination.
Un enfant à qui sa maman dit « attention à ne pas renverser ton verre ! » a deux fois plus de chances
de le renverser que celui à qui elle dit « attention, tiens ton verre bien droit ! ».
Plutôt que de dire « nous allons essayer de résoudre ce problème », qui focalise sur le problème, il
vaut mieux dire « nous allons trouver une solution », qui annonce une échappatoire dynamique.
Eviter de dire Préférer
C'est pas mal ce que tu as fait. C'est bien ce que tu as fait.
Pas mauvais ton gâteau. Bon ton gâteau.
Ce n'est pas désagréable. C'est agréable.
Valoriser, cela veut dire réviser les adjectifs qualificatifs à notre portée et les utiliser de manière
authentique pour diversifier nos appréciations. Adroit, actif, courageux, élégant, énergique,
lumineux, prudent, rapide, adaptable, affectueux, attachant, attentionné, autonome, battant,
bienveillant, chaleureux, constant, créatif, drôle, entier, équitable, fiable, fidèle, fin, franc, généreux,
honnête, humain, intelligent, intègre, intuitif, juste, malin, mesuré, noble, opiniâtre, optimiste,
original, ouvert, pacifique, paisible, travailleur,…… A vous de choisir !
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« Antimanuel d’adolescence » 13
« Adolescences, Repères pour les parents et les professionnels »
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Différencier l’individu et son comportement
Ce n’est pas parce qu’on a une mauvaise note qu’on est nul, ou parce qu’on casse un vase qu’on est
violent. On peut légitimement montrer de la colère face à un comportement décevant, mais il faut à
tout prix cesser de confondre la personne et son comportement. Eviter de dire « tu es nul, maladroit,
décevant », et préférer « ton comportement est nul, maladroit, décevant ».
La confusion entre les deux aboutit à « coller des étiquettes » généralisatrices et envahissantes. Elles
se substituent parfois à l’identité de l’individu qui devient « le nul, le lèche-bottes, l’agité, le
colérique, le menteur, le destructeur, le timide,…. », images dont il est très difficile de se départir.
Etablir des règles stables, sécurisantes et claires : les exprimer et s’y tenir. Savoir dire oui,
savoir dire non. Etre soi-même fiable et constant
Eduquer c’est fixer des caps et protéger en limitant le champ d’expérience d’enfants ou
d’adolescents qui n’ont pas encore les capacités pour le faire.
L’absence de constance peut favoriser l’angoisse et miner la crédibilité.
Favoriser l’échange, l’expression des émotions
Une règle de base est bien évidemment de privilégier les questions et formulations ouvertes
(comment, pourquoi, alors, je t’écoute,…..), aux questions fermées qui aboutissent rapidement à un
échange de style interrogatoire.
Multiplier les moments d’échange est une autre piste : s’intéresser authentiquement à des modes,
des musiques, des habitudes qui nous sont étrangères pour en comprendre l’intérêt pour les ados.
On peut accepter d’apprendre de ses enfants ; cela peut même être une ressource aujourd’hui face
aux nouvelles technologies qu’ils maîtrisent mieux que leurs aînés..
Favoriser l’échange, c’est aussi faciliter l’expression des émotions et des sentiments, les accepter, les
accueillir. Qui mieux que soi-même peut dire ce qu’il ressent ? Surtout si l’on sollicite son expression.
Ne pas être autorisé à exprimer ses émotions amène à les enfouir, puis à les méconnaître, ce qui est
source d’angoisse. Toutes les émotions sont utiles, elles ont un rôle. Les exprimer, c’est atténuer les
plus douloureuses, comme la colère ou la tristesse, ou les augmenter, comme la joie.
Emotion Rôles
Colère
Préparer à se défendre Intimider = éviter le combat
Peur
Prévenir d’un danger, préparer à s’en protéger
Joie
Ressentir du bonheur, partager, aller vers autrui, être plus créatif, plus compétent, aider à la prise de décision,….
Tristesse « Digérer la perte », se replier pour réfléchir, provoquer de l’empathie, le soutien, la compassion, éviter l’affrontement
Honte Rester dans la norme, dans le groupe, provoquer l’empathie
Respecter, même dans les difficultés Le respect et la reconnaissance sont fondamentaux : on ne peut pas exiger d’être respecté si on ne le
fait pas soi-même.
Respecter c’est accepter les différences, c’est respecter les motivations, même si toutes deux nous
semblent « difficiles à avaler ».
Dr Corinne ROEHRIG Page 12
Respecter, c’est oublier les mots vexants, humiliants : nul, incapable, imbécile,….
C’est éviter de généraliser le comportement d’un individu à partir d’une situation : « Avec toi c’est
toujours la même chose, je sais que je ne peux pas te faire confiance. Si tu continues à ne pas
m’écouter, tu n’arriveras jamais à rien en maths ».
Cette rubrique est particulièrement pertinente pour les « défauts » des individus, qui, répétés à
l’envi, deviennent les étiquettes dont il est question plus haut.
Donner envie, montrer qu’on est disponible
Utiliser un langage valorisant, souligner les qualités, les ressources. Souvent les choses qui sont faites
avec facilité sont déconsidérées. Les adultes à qui l’on demande « quelles sont vos réussites ? »
demeurent muets ; notre société valorise les héros « exceptionnels » et oublie tous ceux qui font
face avec dignité à leurs responsabilités de tous les jours.
Pourtant il bon de dire, de souligner d’un mot, d’une phrase, ce que l’on juge positivement.
Se donner et donner le droit à l’erreur
L’homme (et même la femme…) qui sait tout n’existe pas ! Accepter de ne pas savoir, chercher
ensemble la réponse, reconnaître ses torts sont autant d’actions qui rendent crédibles. Et tolérants.
Respecter les motivations
Il est important de porter une oreille attentive aux choix de l’enfant, de respecter ses choix et ses
motivations, d’éviter de projeter nos propres désirs non réalisés sur son avenir.
Négocier et responsabiliser, encourager à faire des choix, à prendre des initiatives
Donner des responsabilités, c’est dire je te fais confiance. Faire tout à la place de l’enfant, de l’ado,
c’est implicitement lui signifier qu’il est incapable.
La croyance en sa réussite se nourrit d’expériences réussies.
Ne pas attendre les difficultés pour communiquer
On ne nait pas adolescent, on le devient
Faire confiance ! S’engager à voir, d’abord, l’autre sous l’angle de ses qualités et de ses
capacités.
En conclusion, il n’y a pas de conclusion, peut-être simplement deux évidences :
1. La communication est un lien, une mise en relation
2. « les mots sont des morceaux d’affection qui transportent, parfois, un peu d’information »
Dr Corinne ROEHRIG Page 13
Bibliographie • L’estime de soi, un passeport pour la vie, Germain DUCLOS, éditions de l’Hôpital Sainte Justine, Montréal, 2000. • L'estime de soi : S'aimer pour mieux vivre avec les autres, Christophe ANDRE et François LELORD, éditions Odile Jacob, 2008. • Repères pour une attitude éducative : guide à l’usage de tous les parents, Association PHARE ENFANTS PARENTS (www.phare.org) • La résilience, le réalisme de l’espérance, ouvrage collectif de la Fondation pour l’Enfance, éditions Ères • Référentiel de bonnes pratiques. Comportements à risque et santé : agir en milieu scolaire, INPES, Sous la direction de Martine BANTUELLE et René DEMEULEMEESTER, 2008. • Que se passe-t-il en moi ?, Isabelle FILLIOZAT, éditions Jean Claude Lattès, 2008 • De l’apprentissage social au sentiment d’efficacité personnelle, Hors série Savoirs, éditions L’Harmattan, 2004.