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La Lettre d'Oto-Rhino-Laryngologie • N° 343 - octobre-novembre-décembre 2015 | 21 CAS CLINIQUE Figure 1. Orifice d’entrée de la balle. Mots-clés Traumatisme balistique – Face – Cou – Examen tomodensitométrique Keywords Ballistic trauma – Face – Neck – CT scan Traumatisme cervico-facial par arme à feu avec un trajet balistique atypique Cervico-facial trauma by firearm with an atypical bullet trajectory K.V. N’gattia*, M. Yoda* * , B.T.S Vroh*, J. Kouassi-Ndjeundo*, N.B. Kacouchia* * Service ORL et chirurgie cervico-faciale, CHU de Bouaké (Côte d’Ivoire). ** Service ORL et chirurgie cervico-faciale, CHU de Yopougon (Côte d’Ivoire). L es traumatismes balistiques cervico-faciaux sont une urgence vitale du fait de l’anatomie complexe de cette région (1, 2). Ceux liés au fusil AK-47 constituent des facteurs de morbidité et de mortalité parmi les civils en Afrique subsaharienne (3). Ce fut le cas dans le conflit de type guérilla urbaine lors de la crise postélectorale de 2011 à Abidjan, en Côte d’Ivoire. Nous rapportons un cas de traumatisme cervico-facial par balle de AK-47 avec un orifice d’entrée temporal et une balle logée sous le cartilage thyroïde sans lésions engageant le pronostic vital. Observation Un patient, âgé de 20 ans, est admis dans le service d’ORL du CHU de Yopougon en 2011, pendant la crise postélectorale à Abidjan, pour un traumatisme cervico-facial par arme à feu. Le patient aurait été victime, à domicile, d’une balle perdue. La découverte d’une plaie punctiforme de la région temporale gauche (figure 1), sans orifice de sortie, lors de son admission aux urgences chirurgicales motive un avis neurochirurgical. Le patient ne présente aucun trouble neurologique. La radio- graphie standard du crâne et du rachis cervical (face et profil) met en évidence de façon fortuite un corps étranger métal- lique cervical en regard de C4-C5 (figure 2, p. 22). L’examen tomodensitométrique cranio-facial confirme la présence de la balle au niveau du cartilage thyroïde (figure 3, p. 22) sans atteinte encéphalique, ni lésion osseuse cranio-faciale. Le patient est dysphonique. À l’examen, on note, outre l’orifice d’entrée cutané, des traces de sang sur la paroi pharyngée postérieure, une stase salivaire dans le sinus piriforme gauche, des cordes vocales mobiles et une douleur à la palpation du bord antérieur du sterno-cléido-mastoïdien gauche.

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La Lettre d'Oto-Rhino-Laryngologie • N° 343 - octobre-novembre-décembre 2015 | 21

CAS CLINIQUE

▲ Figure 1. Orifice d’entrée de la balle.

Mots-clésTraumatisme balistique – Face – Cou – Examen tomodensitométrique

KeywordsBallistic trauma – Face – Neck – CT scan

Traumatisme cervico-facial par arme à feu avec un trajet balistique atypiqueCervico -facial trauma by f irearm with an atypical bullet trajectory

K.V. N’gattia*, M. Yoda**, B.T.S Vroh*, J. Kouassi-Ndjeundo*, N.B. Kacouchia*

* Service ORL et chirurgie cervico-faciale, CHU de Bouaké (Côte d’Ivoire).

** Service ORL et chirurgie cervico-faciale, CHU de Yopougon (Côte d’Ivoire).

Les traumatismes balistiques cervico-faciaux sont une urgence vitale du fait de l’anatomie complexe de cette région (1, 2). Ceux liés au fusil AK-47 constituent

des facteurs de morbidité et de mortalité parmi les civils en Afrique subsaharienne (3). Ce fut le cas dans le conflit de type guérilla urbaine lors de la crise postélectorale de 2011 à Abidjan, en Côte d’Ivoire. Nous rapportons un cas de traumatisme cervico-facial par balle de AK-47 avec un orifice d’entrée temporal et une balle logée sous le cartilage thyroïde sans lésions engageant le pronostic vital.

O b s e r v a t i o n

Un patient, âgé de 20 ans, est admis dans le service d’ORL du CHU de Yopougon en 2011, pendant la crise postélectorale à Abidjan, pour un traumatisme cervico-facial par arme à feu. Le patient aurait été victime, à domicile, d’une balle perdue. La découverte d’une plaie punctiforme de la région temporale gauche (figure 1), sans orifice de sortie, lors de son admission aux urgences chirurgicales motive un avis neurochirurgical. Le patient ne présente aucun trouble neurologique. La radio-graphie standard du crâne et du rachis cervical (face et profil) met en évidence de façon fortuite un corps étranger métal-lique cervical en regard de C4-C5 (figure 2, p. 22). L’examen tomodensitométrique cranio-facial confirme la présence de la balle au niveau du cartilage thyroïde (figure 3, p. 22) sans atteinte encéphalique, ni lésion osseuse cranio-faciale. Le patient est dysphonique. À l’examen, on note, outre l’orifice d’entrée cutané, des traces de sang sur la paroi pharyngée postérieure, une stase salivaire dans le sinus piriforme gauche, des cordes vocales mobiles et une douleur à la palpation du bord antérieur du sterno-cléido-mastoïdien gauche.

0021_LOR 21 08/12/2015 10:19:35

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CAS CLINIQUE

▼ Figure 3. Examen tomodensitométrique en coupe sagittale montrant la balle au niveau du cartilage thyroïde.

▲ Figure 2. Radiographie standard du rachis cervical montrant la balle en regard de C4-C5.

La cervicotomie latérale gauche, réalisée sous anesthésie générale, est blanche. C’est la radioscopie peropératoire qui permet de localiser la balle sous l’aile gauche du cartilage thyroïde. Une thyrotomie latérale gauche est réalisée permettant de voir une balle encastrée sous l’aile gauche du cartilage thyroïde (figure 4), elle est extraite (balle de fusil AK-47), et il n’y a pas de lésion de l’endolarynx. Après suture du cartilage au Vicryl 2/0, la fermeture est faite en 3 plans. Un traitement parentéral postopératoire par amoxi-cilline-acide clavulanique (1 g × 2/j en IVD), hémisuccinate d’hydrocortisone (100 mg × 2/j en IVD) est prescrit pendant 4 jours, avec un relais per os pendant 8 jours. Les suites opéra-toires sont simples avec une normalisation de la voix après de 3 semaines. Le patient est perdu de vue après 3 ans de suivi sans complications.

D i s c u s s i o n

Aucune théorie physique ne permet de prévoir avec certitude le comportement d’un projectile dans le corps humain (2, 4). Cependant, il est important pour tout chirurgien de comprendre les principes de base de la balistique. En effet, la connaissance de la trajectoire de la balle et de sa localisation finale permet d’envisager les lésions potentielles et d’évaluer la gestion du patient (1). La trajectoire balistique est parfois difficile à déterminer (2, 3). La première particularité du cas que nous rapportons réside dans cette trajectoire atypique de la balle : après un ricochet sur l’os temporal gauche, elle a migré de la face au cou. Cela pourrait être lié à une grande distance du tir, à la trajectoire de la balle avec une faible vitesse relative du projectile lors du contact avec le patient. En effet, la vitesse du projectile décroît avec la distance du fait de la résistance de l’air à sa progression (4). La seconde particularité est l’absence de lésions engageant le pronostic vital au cours de la migration de la balle chez ce patient. Les lésions par arme à feu varient en fonction de la nature du projectile, de la vitesse initiale, de la distance et de la partie du corps concernée (1, 2). Les axes vasculaires du cou sont intéressés dans 5 % des plaies balistiques de guerre (5). Le fusil AK-47 Kalashnikov tire une balle de 7,62 mm à vitesse supersonique avec une portée maximale de 200 m. Son pouvoir vulnérant est important, potentiellement mortel (3, 4). Comme dans notre observation, N. Sonkhya a également rapporté un cas de balle logée dans l’espace parapharyngé sans lésions vasculo-nerveuses (1), sans doute parce que les nerfs et les gros vaisseaux du cou ont une certaine tendance à se dérober devant le projectile blindé ou peu déformable (5). Notre observation se singularise également par les difficultés opératoires imposant l’usage de la radioscopie pour localiser la balle après la cervicotomie blanche. Ce qui corrobore les observations d’autres auteurs qui ont recours à la scopie pour localiser une balle de pistolet pneumatique sous le cartilage thyroïde (6) et une autre en région sus-claviculaire (2), méthode qui avait été préconisée par Marie Curie en France lors de la Première guerre mondiale.

0022_LOR 22 08/12/2015 10:19:36

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CAS CLINIQUE

▲ Figure 4. Vue peropératoire de la balle.

C o n c l u s i o n

Ce cas de traumatisme balistique cervico-facial montre l’impor-tance de l’imagerie dans la prise en charge du patient. Sa prise en charge chirurgicale doit être faite par des chirurgiens spécia-listes maîtrisant l’anatomie de ces 2 régions. ■

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt.

1. Sonkhya N, Singhal P, Srivastava SP. Civilian firearm injuries in head and neck. Indian J Otolaryngol Head Neck Surg 2005;57(3):262-5.

2. Godhi S, Mittal GS, Kukreja P. Gunshot injury in the neck with an atypical bullet trajectory. J Maxillofac Oral Surg 2011;10(1):80-4.

3. Ongom PA, Kijjambu SC, Jombwe J. Atypical gunshot injury to the right side of the face with the bullet lodged in the carotid sheath: a case report. J Med Case Rep 2014;8:29.

4. Rouvier B, Lenoir B, Rigal S. Les traumatismes balistiques. SFAR 1997. Disponible en ligne : http://www.urgences-serveur.fr/IMG/pdf/trauma1_balistique_sfar97.pdf

5. de Rotalier P, Bizeau A, Buffe P. Plaies cervico-faciales par projectiles. Paris: Elsevier SAS; 2000.

6. Hosseini M, Keramati MR, Heidari A, Olad-Ghobad MK. Entrapment of an air gun pellet between the thyroid cartilage and the lining mucosa in a patient with a penetrating neck injury: a case report. J Med Case Rep 2012;6(1):184.

Références bibliographiques

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