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    RPUBLIQUEFRANAISE

    OFFICE PARLEMENTAIRE DVALUATIONDES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES

    EXPLORATION DU CERVEAU, NEUROSCIENCES :

    AVANCES SCIENTIFIQUES, ENJEUX THIQUES

    COMPTE RENDU DE LAUDITION PUBLIQUE

    OUVERTE LA PRESSEDU MERCREDI 26 MARS 2008

    Organise par :

    Alain CLAEYS, Dput de la Vienne

    Jean-Sbastien VIALATTE, Dput du Var

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    EXPLORATION DU CERVEAU, NEUROSCIENCES :

    AVANCES SCIENTIFIQUES, ENJEUX THIQUES

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    sommaire

    ACCUEIL ET OUVERTURE DE LA SANCE ............................................................ 5

    PROPOS INTRODUCTIF ........................................................................................... 9

    M. Herv CHNEIWEISS, Directeur du laboratoire de plasticit gliale, Centre de Psychiatrieet neurosciences (INSERM), Membre du Conseil scientifique de lOPECST...........................................9

    LES DEFIS DES SCIENCES ET DES TECHNOLOGIES ............................................ 15

    Imagerie du systme nerveux, implants crbraux et comportement : que lit-on, que dpiste-t-on,que soigne t-on ?............................................................................................................................................................................15

    M. Denis Le BIHAN, Directeur de NeuroSpin, CEA, Directeur de lInstitut fdratif de

    recherche dimagerie neuro- fonctionnelle, Membre de lAcadmie des Sciences..................................15M. Emmanuel-Alain CABANIS, Professeur Universit Paris VI, Centre hospitalier national

    dophtalmologie des Quinze Vingt, Membre associ de lAcadmie de mdecine. ................................23

    M. Thomas BOURGERON, Professeur, responsable du groupe Gntique humaine etfonction cognitive lInstitut Pasteur. .................................................................... .................................29

    M. Franois BERGER, professeur de mdecine, Institut des neurosciences de Grenoble,quipe nano mdecine et cerveau (INSERM- CEA)................................................................................32

    Lhomme augment : les trans-humains, mythe ou ralit ? La neuroconomie : une nouvellediscipline ?.........................................................................................................................................................................................37

    M. Jean-Didier VINCENT, Professeur luniversit de Paris Sud-Orsay, Directeur delInstitut de neurologie Alfred Fessard, Membre de lAcadmie des sciences. .......................................37

    M. Bernard BIOULAC, Directeur scientifique neurosciences et cognition du CNRS,Directeur de lInstitut des neurosciences de Bordeaux. ...................................................................... .....41

    LES ENJEUX ETHIQUES, PHILOSOPHIQUES, CLINIQUESPSYCHOLOGIQUES, SOCIAUX, JURIDIQUES ET ECONOMIQUES ...................... 53

    M. Alain EHRENBERG, Sociologue, Directeur du Centre de recherches psychotropes,sant mentale, socit CNRSINSERM et Universit Paris-Descartes. ..................................................53

    M. Jean-Michel BESNIER, Professeur de philosophie, Universit de Paris IV-Sorbonne,Centre de recherche en pistmologie applique (CREA), CNRS, Ecole polytechnique........................59

    M. Didier SICARD, Professeur de mdecine, Prsident dhonneur du Comit consultatifnational dthique (CCNE). .................................................. ............................................................ .......65

    M. Jean-Claude AMEISEN, Professeur de mdecine, Prsident du Comit dthique delINSERM................................................................................................................................................67

    Mme Dorothe BENOIT-BROWAEYS, Dlgue gnrale de VivAgora, Journalistescientifique...............................................................................................................................................72

    Mme Marie-Agns BERNADIS, Coordinatrice deMeeting of Minds, Cit des sciences etde lindustrie. ............................................................. .............................................................. ................75

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    ACCUEIL ET OUVERTURE DE LA SANCE

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    M. Alain CLAEYS, Dput de la Vienne.Permettez-moi tout dabord de saluer la mmoire de Christian CABAL qui

    vient de dcder. Christian CABAL tait dput, membre de lOffice parlementairedvaluation des choix scientifiques et technologiques. Il a travaill sur denombreux sujets, en particulier sur lespace et la biomtrie. Jaimerais que nousayons une pense pour lui.

    Au nom du prsident Henri REVOL et des membres de lOffice, jeremercie chacun de sa prsence, tout particulirement les personnalits qui ont

    accept dintervenir lors de cette runion.Aprs avoir ouvert le dbat sur lvaluation de la loi de biothique par une

    premire audition publique consacre un tat des lieux liminaire des relationsentre les sciences du vivant et la socit, nous avons dcid dorganiser une sriedauditions publiques plus cibles. Plusieurs membres du Conseil scientifique delOffice avaient appel notre attention sur la ncessit de cerner limpact juridiqueet social des recherches sur le cerveau la lumire des nouvelles technologies.Laudition publique du 29 novembre dernier nous a convaincus quil faudrait

    prendre en compte ces recherches lors de la rvision de la loi de biothique, car

    cest le cerveau en fonctionnement qui est aujourdhui scrut par des machines.Lacclration des recherches en sciences du vivant, dans les domaines des

    nanotechnologies, des technologies de linformation et des neurosciences induit enmme temps une acclration des convergences de ces technologies. Ce double

    phnomne dextension du champ des sciences du vivant et dacclration entrane,pour la socit comme pour le lgislateur, des interrogations qui rendent plusdifficiles les rponses lgislatives. Cette extension nourrit des espoirs pour letraitement des maladies et la prvention.

    Aujourdhui, un continent se rvle, il concerne lexploration desmcanismes crbraux qui sous-tendent la mmoire, les penses, les motions, lescomportements. Or, les possibilits dintervention sur le systme nerveux sontmaintenant multiples, que ce soit avec des molcules chimiques ou des procds

    plus ou moins invasifs tels que limagerie crbrale, la stimulation magntiquetrans-crnienne, les implants ou les neuroprothses.

    Des questions se posent : que lit-on, que dpiste-t-on, que soigne-t-on ?Peut-on attribuer un sens ou un contenu aux nouvelles techniques dimagerie,dduire les causes biologiques dun comportement ou dune maladie mentale ?

    Quels sont les diagnostics actuels et venir de troubles psychiatriques, tels quelautisme, la schizophrnie ou la dpression ? Quel est leur intrt mdical et

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    social ? Quapportent les neurosciences et la gntique au diagnostic despathologies mentales ? Quel est leur pouvoir prdictif et comment les diagnosticsprdictifs pour certains troubles sont-ils reus par les patients et leurs familles alorsquaucun traitement nexiste ? Quels sont les effets du dpistage prcoce quand ilny a pas de remde et quun risque de stigmatisation existe ?

    Doit-on au nom dimpratifs de performance mdicaliser certainesconduites et comportements anormaux en les dsignant comme des pathologies,telle lhyperactivit chez lenfant ? Doit-on au contraire dmdicaliser les

    pathologies mentales, pour que les patients puissent tre insrs dans la socit ?Les moyens se multiplient pour aider la performance physique, intellectuelle,soutenir la mmoire (ou loubli), intervenir par neurochirurgie, neurostimulation,neuroappareillage, greffes de cellules ou de nano dispositifs. Risque-t-on demodifier lhumain ? Ces innovations seront-elles accessibles tous ? Ces

    recherches suscitent espoirs de gurison mais aussi craintes de manipulation,datteintes lautonomie de la volont, lintimit de la vie prive.

    De surcrot, les neurosciences permettent de caractriser des associations deplus en plus pertinentes et prcises entre des cartes fonctionnelles dactivitcrbrale et des comportements individuels comme lagressivit, limpulsivit et laviolence. Ainsi, dans les pays anglo-saxons, les neurosciences sont dj sollicites

    pour caractriser la responsabilit pnale. La demande scuritaire de plus en plusforte incite dailleurs les gouvernements rechercher des indicateurs biologiquesde dangerosit de lindividu, ce qui pourrait conduire des drives inquitantes.

    Aux tats-Unis, une rflexion trans-humaniste est mene. Ses vises nontrien de thrapeutique puisquil sagit daccrotre les performances, de promouvoirun humain augment . Si cest srieux, comme cela semble tre le cas, cestgrave, car il sagit l dun dvoiement de la science et de la technique ! Cest unnouveau champ dinvestigation thique que nous ouvrons donc aujourdhui.

    M. Jean-Sbastien VIALATTE, Dput du Var.

    Je massocie aux remerciements qui vous ont t adresss par Alain

    CLAEYS. La loi de biothique de 2004 ne traite pas directement des questionsthiques que soulve le dveloppement acclr des recherches sur lefonctionnement du cerveau. Cependant, les dbats de la premire audition publiqueconsacre aux dfis des sciences du vivant, comme ceux que lOffice continue demener sur les nanotechnologies ou les biotechnologies font natre desinterrogations, des inquitudes, et surtout un rel besoin de dbattre de limpact deces recherches et de ces nouvelles technologies sur notre socit. Ils appellent aussiune rflexion interdisciplinaire et interpellent le lgislateur.

    Les articles portant sur le cerveau, la neuroimagerie, les neurosciences se

    multiplient, et pas uniquement en cette semaine du cerveau . Ils vhiculent desespoirs de gurison de maladies neurodgnratives, de tumeurs, de troubles

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    neurologiques et psychiatriques. Ils rpondent souvent aux attentes dun publicfascin par la technologie, aux angoisses des patients et de leurs familles, maisaussi des craintes diffuses de manipulations, datteintes la vie prive, lautonomie de la volont. On constate une gourmandise technologique , uneexigence de progrs rpondant de rels besoins thrapeutiques, mais aussi undsir de performances, de matrise de son corps, de connaissance de ses motions etde celles dautrui. Des craintes, des peurs, des angoisses sexpriment, mais aussides espoirs, parfois suivis de dceptions. Quelles que soient les postures, le besoindinformations et de dbats est immense.

    Si nos comportements et nos dcisions, peuvent tre dcortiqus tels desmcanismes biologiques, si les outils diagnostiques aident prdire les troubles

    psychiques, leur cause, leur volution, sil est possible de manipuler des cerveauxet des comportements par des drogues de lhumeur, de la mmoire, de lveil, par

    des implants crbraux ou des greffes de cellules, quels en seront les usages et leslimites ?

    Les techniques dimagerie nous montrent le cerveau en fonctionnement,mais que reprsentent ces images ? Peut-on leur donner un sens et en dduire les

    bases crbrales, les causes biologiques dun comportement ou dune maladiementale ? Si certaines de ces techniques rpondent aux besoins de la clinique,notamment pour les diagnostics et aident la thrapie, dautres ne semblent

    pertinentes que comme outils de recherche et peuvent cependant avoir un impactprdictif de telle ou telle conduite.

    Comment limiterons-nous les risques dutilisation abusive des informationsdiagnostiques et leur impact prdictif sur la justice, les compagnies dassurancesou les services de marketing ? Quels seront les effets sur la socit de laneuroconomie ? Sont-ils conciliables avec notre conception de lautonomie de lavolont, de la dignit des personnes, de la protection de la vie prive et des donnes

    personnelles ?

    Par ailleurs, se dveloppe aux tats-Unis un courant, certes utopique,semblant relever de la science fiction, mais fond sur les nouvelles technologies

    convergentes, nanotechnologies, biotechnologies, informatiques, et sciencescognitives qui, elles, sont utilises. Ce sont les adeptes du transhumanisme qui seflicitent des rsultats de certaines innovations technologiques, des possibilitsdagir sur le cerveau humain, de construire une affectivit et des motionsartificielles partir dordinateurs. Il nous a paru ncessaire dvoquer cette

    problmatique.

    Aussi sagit-il pour notre mission dvaluation de dresser un tat des lieux,le plus objectif possible, afin de dterminer des pistes de rgulation, de savoir si larglementation actuelle est adapte, si les instances comme lAgence de la

    biomdecine, le Comit national consultatif dthique, la Haute autorit de sant,sont en mesure de relever ces dfis.

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    PROPOS INTRODUCTIF___________________________________________________________________

    M. Herv CHNEIWEISS, Directeur du laboratoire de plasticit gliale,Centre de Psychiatrie et neurosciences (INSERM), Membre du Conseilscientifique de lOPECST.

    Je tiens tout dabord remercier M. Alain CLAEYS et M. Jean-SbastienVIALATTE pour lorganisation de cette journe. Je remercie galement les

    participants dtre venus si nombreux.

    En quoi les questions thiques issues des neurosciences sont-elles

    diffrentes de celles dj traites, en particulier pour la gntique des individus ?Par bien des gards en rien ; aussi convient-il dappliquer aux neurosciences et leur usage nombre de principes tablis partir des rflexions sur la gntique, etlon constatera lors de lintervention de Thomas BOURGERON que ce nest pas

    parce que quelques mutations de lADN peuvent tre lorigine de certainesformes dautisme ou dautres pathologies psychiatriques quil faudrait cder audterminisme qui fit le lit de leugnisme.

    Les lois sont encore trop nombreuses, notamment dans le domaine de labiothique. Pourquoi vouloir traiter maintenant des neurosciences ? La plupart des

    principes tablis pour la gntique valent pour nimporte quel champ de larecherche sur les sciences du vivant. Le fait que les neurosciences ou lespathologies associes reprsentent aujourdhui 30 % des dpenses de sant dans laplupart des pays dvelopps, ou que la population vieillisse ne suffit pas justifierune rflexion spcifique aux neurosciences.

    Il existe toutefois au moins deux domaines spcifiques aux neurosciences :celui de la conscience et celui de la pense, en ce quelle dtermine le principedautonomie qui fonde toute discussion thique et donc sinscrit lorigine de notreconception de lindividu et constitue le moyen indispensable de toute dmarche

    thique.

    Lactivit de notre cerveau est la fois lorigine et lmergence de lapense, de la perception et de laction, ainsi que lexpression de notre identitpersonnelle. Les possibilits dintervention sur le cerveau sont aujourdhuimultiples, quelles interviennent grce des molcules chimiques ou des

    procds plus ou moins invasifs. Les possibilits nouvelles de modification descomportements, quils soient vgtatifs comme lapptit, le sommeil ou lasexualit, ou cognitifs comme lhumeur ou la mmoire, ncessitent une rflexionapprofondie car ces possibilits dintervention ne sont pas explicitement couvertes

    par la lgislation en vigueur, notamment en ce qui concerne le respect de la vieprive et la protection des donnes.

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    Le problme de la conscience est bien mis en valeur par son oppos,linconscience ou plus exactement la perte de conscience. Nous lexprimentonstous les jours lorsque nous nous endormons, mais cet tat devient un problme desocit lorsque les technologies, notamment celle de la ranimation, permettent devoir de trs nombreuses personnes dans des tats inconscients. Aux tats-Unis, de112 000 250 000 personnes sont aujourdhui plonges dans un coma ractif ouvigile, et 14 35 000 sont dans un tat vgtatif permanent stable. Transpos enFrance, cela quivaudrait 30 000 comas ractifs et 4 000 tats vgtatifs

    permanents. Au-del du problme de la souffrance des familles et des cotscolossaux, la question de linterruption des soins se pose, dautant plus que, passesles premires heures, les chances de rveil samenuisent, de mme que les capacitsde rcupration. La rponse nest pas simple.

    Les techniques rcentes dimagerie crbrale ont permis de mettre en

    vidence des rponses fonctionnelles des rcits verbaux voquant des vnementsmajeurs de la vie de lindividu, tant pour des patients en coma ractif que pour unpatient en tat vgtatif permanent, lexistence de parties fonctionnelles ne prsumepas un cerveau fonctionnel, et lexistence dun traitement dune information neprjuge pas de la capacit de conscience. Stanislas DEHAENE et ses collaborateursont bien montr linfluence du traitement inconscient de linformation sur nosdcisions apparemment conscientes. Il voquera avec Denis Le BIHAN etEmmanuel-Alain CABANIS les nouvelles possibilits de comprendre lesmcanismes dactivit crbrale avec limagerie fonctionnelle.

    Quid, ds lors, des messages subliminaires ? Lon sait que lon peutinfluencer de faon inconsciente une dcision qui apparat consciente. Jean-DidierVINCENT reviendra sans doute sur le fait que lessentiel de lactivit crbrale estinconsciente et que les motions nous gouvernent au moins autant que la raison. Lecogito cartsien apparat aujourdhui comme un comparateur entre des scnarios

    rationnels issus du lobe frontal et le poids qui leur est attribu par lexprienceet le contexte, tous deux dpendant et gnrant de lmotion issue des circuitslimbiques, lamygdale sinscrivant au carrefour de ces circuits neuraux.

    De la conscience il faudra ensuite passer au champ de laction. Franois

    BERGER et Bernard BIOULAC voqueront alors des neuroprothses et desnanotechnologies appliques lhumain. Des dispositifs mdicaux implants

    permettent aujourdhui des parkinsoniens ne rpondant plus aux thrapeutiquesclassiques de retrouver une vie dcente. Ce traitement est labor en France par legroupe bordelais de Christian GROSS et Bernard BIOULAC, et le groupegrenoblois de Alim-Louis BENABID et Pierre POLLAK

    Cependant, nous dcouvrons que les circuits dopaminergiques contrlentles mcanismes de rcompense, donc laddiction certaines drogues, dabus, etlimpulsivit. La manipulation des circuits dopaminergiques peut galementconduire influer sur les processus de dcision de la personne son insu. Noussommes dans des socits de la performance et de la comptition qui prnent de

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    faon implicite les principes du libralisme lgal, o chacun serait libre dutiliserou de refuser la drogue ou le dispositif de son choix partir du moment o cela nenuit pas autrui.

    Or, il va de soi que le consentement clair pour un traitement, chimique ou

    par implant crbral par exemple, est un pr requis ncessaire, mais ceconsentement clair nest nullement suffisant car la puissance publique est garantedes principes dintgrit et dinviolabilit du corps humain, et cest bien sur lefondement de ces principes que nous ne sommes pas libres de faire nimporte quoide notre corps.

    Lamlioration de la performance ne semble pas condamnable si elle a pourobjet daider lautonomie et le bonheur de lindividu, (permettre aux aveugles devoir, aux paralytiques de marcher) sans en faire payer le prix aux autres. Quel est le

    prix social de lamlioration de la performance ? Comme personne ne le sait, ilnous faudrait dabord valuer les consquences du pouvoir que lamlioration delun peut donner sur les conditions de vie de lautre : avancement scolaire,

    promotion hirarchique, pouvoir de subordination intellectuel son corollaire estlobligation subliminaire du tous dops pour survivre. Tel est le problme des3,5 millions denfants traits par le mthyl phnidate aux tats-Unis, destins engrande partie obtenir des classes calmes dans les quartiers aiss. De mme y sontutiliss des micros dispositifs implants pour amliorer la performance des soldatssur le terrain.

    La libert de lindividu nest possible quautant quon linforme, dolimportance dune telle audition publique. Nous devons dmystifier les fantasmes,et informer le public des dernires avances afin de les encadrer, surtout lorsque les

    progrs de la science entrent dans le champ social pour lamlioration desperformances, le contrle du comportement des enfants. Se pose ainsi la questionde la matrise de ces traitements, surtout quand ils sont remis en cause, comme lefurent certains antidpresseurs, utiliss mauvais escient.

    En consquence un autre aspect du cot social relve du registre de ladiscrimination. Pour oprer dans un rel environnement de libralisme cognitif, il

    faut transformer le procd damlioration en bien public, accessible tous, dontpersonne ne puisse tre priv et dont lusage npuise en rien la ressource. En outre,de tels dispositifs peuvent tre utiliss dans des buts thrapeutiques, ou pouramliorer la performance dun individu. Il faut ds lors crer un nouveau garant,une Agence nationale de lamlioration cognitive charge dvaluer le procd, soninnocuit, sa relle efficacit, son accessibilit, etc.

    Un autre problme fondamental rside dans la vision mcanique dun cerveau machine permettant doptimiser des variables biologiques etfonctionnelles au fur et mesure quelles sont connues : niveau hormonal, taux de

    neurotransmetteurs, adaptation du nombre et de la qualit des cellules actives, ajoutde circuits complmentaires de soutien ou de secours. Le neurobiologiste se

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    substitue alors au grand horloger de lunivers des conceptions distes. On prjugequil existe une universalit du temps sur laquelle chaque horloge peut tre rgleet toute variation la norme doit tre corrige.

    MARX, DARWIN, FREUD et EINSTEIN ont tour tour fait voler en clat

    le schma mcanique, chacun pour sa part de lhumain dans un monde physique,social, volutif et relatif. Lexemple de la mmoire est ce titre instructif car ilnest pas possible dinfrer du quantitatif au qualitatif, et plus de mmoire donne

    plus de capacit dagir.

    La nouvelle de BORGES, Funes ou la mmoire, ou le patient de LURIA,SHERESHEVSKII, montre au contraire des sujets accumulant les souvenirs, maisincapables den extraire linformation pertinente et finalement incapable dagir. Lesexpriences rcentes sur des patients amnsiques aprs une lsion de lhippocampe,confirment le lien entre le souvenir organis et la capacit de projection vers lefutur.

    La demande scuritaire de plus en plus importante incite les gouvernements rechercher des indicateurs biologiques de dangerosit de lindividu. La rcente loisur la rtention de sret des criminels sexuels et leur internement en milieu ferm,mme aprs lexcution de leur peine, conduira certainement renforcer cettedemande. Dans le domaine du prdictif, il serait en effet heureux de savoir si telcriminel peut se rvler dangereux demain. Ds lors, que faire si limagerie rvleune faible capacit de lindividu matriser des pulsions violentes ou ragir de

    faon inapproprie une stimulation sexuelle ? Aprs la bosse du crime issue de laphrnologie, aprs le chromosome du crime issu de lobservation dun Ysupplmentaire chez certains condamns, aprs le gne du crime issu delobservation de certains variants de la monoamine oxydase A en relation avec uncomportement violent, aurons-nous demain limage crbrale du crime ? Laquestion est donc bien une nouvelle fois de dterminer la valeur prdictive relle dutest envisag, et non de valider de manire pseudo scientifique des prjugssociaux.

    Ainsi, aprs le dtecteur de mensonges lectriques, le polygraphe, voici

    venue lre du high-tech avec limagerie par rsonance magntique fonctionnelle(IRMf), permettant daller au plus profond de lme. La justice cherche toujours tablir des faits, do lide quil existerait une vrit neurophysiologique inscriteau sein des circuits crbraux. Mais comment traiter ladhsion quun sujet, tmoin

    par exemple dune scne violente, peut avoir vis--vis dun souvenir erron ?Limage crbrale, si elle savre possible, montrera que le sujet ne se ment pas etne ment pas au tribunal, mais en aucun cas quil dit la vrit.

    Cette vrit serait-elle meilleure si la mmoire tait soutenue ? Cest ici laquestion de la neuropharmacologie et dventuelles techniques permettant

    damliorer la mmoire qui est pose. Une grande partie de la justice tant basesur le tmoignage, ne serait-il pas heureux en effet de pouvoir bnficier dune

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    remmoration plus riche, permettant aux tmoins ou laccus de relater avec plusde dtails le droulement des faits. Le sous-entendu de cette acception implique queces informations obtenues en levant la barrire de la volont de lindividu, volontconsciente ou inconsciente, seraient plus exactes et permettraient une justice plusefficace. Or cest encore une erreur. La leve dune inhibition la remmoration,ou la facilitation de la venue la conscience dune image de mmoire ne garantit enrien la validit du tmoignage. Le cerveau est une puissante machine mettre deshypothses sur le vrai et le faux, et confronter sa perception du rel ceshypothses. Mais il nexiste pas dimage neurale du vrai.

    Utilisera-t-on demain des IRM pour dbattre au tribunal de discriminationraciale ou sexiste ? Mais qui passera le test ? Laccus, les membres du jury, le

    juge, les tmoins, les policiers ? Ce que je souhaite montrer est quil existe uneimage neurale de lactivit de notre cerveau, mais il nexiste pas dimage neurale

    du vrai. Pour reprendre les thses de Max WEBER, il existe une diffrence denature entre les caractristiques du fait scientifique et celles des valeurs sociales.

    Dans son avis n98 sur la biomtrie, le Comit national consultatifdthique (CCNE) constatait : Les trois questions les plus angoissantes sont donccelle du glissement du contrle de l'identit celui des conduites, celles de

    l'interconnexion des donnes et leur obtention l'insu des personnes concernes. Dans son avis n20 portant sur les implants et tout particulirement lesneuroprothses, le Groupe europen dthique (GEE) soulignait galement desrisques datteinte la dignit humaine, vidents pour des dispositifs implants

    buts professionnels ou damlioration de la performance (militaires par exemple),mais galement pour les dispositifs buts mdicaux (questions des implantscochlaires unis ou bilatraux chez les enfants sourds). Le GEE propose dinterdireles implants crbraux qui pourraient tre utiliss comme fondement dun cyber-racisme ; pour modifier lidentit, la mmoire, la perception de soi et la perception

    dautrui ; pour amliorer la capacit fonctionnelle des fins de domination ; pourexercer une coercition sur les personnes qui nen sont pas dotes .

    Notre activit crbrale nest pas seulement la synthse de lactivit de nosgnes et de la coordination de nos rseaux neuraux sculpts par notre histoire

    personnelle. Elle se dveloppe dans une anticipation des vnements de notreenvironnement, dans une projection anthropologique et socialise de notre monde.

    Nous anticipons laction de lautre et la figure de lautre agit sur notre activitneurale. Ds lors, quelles que soient les contraintes physiques et biologiques bienrelles dans lesquelles se droulent nos penses, nous devons prendre enconsidration la plasticit de notre systme nerveux, sa capacit sans cessevoluer et admettre que la libert de pense est ncessaire notre capacit de survieen individu social. Nous devons exister avec les autres et nous existons par lesautres.

    Dune faon gnrale, les principes thiques et lgaux qui ont guidlencadrement des donnes personnelles issues de la gntique et des changes

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    informatiques devraient aujourdhui permettre dencadrer lutilisation deconnaissances issues des neurosciences. Il conviendrait galement dtablir undispositif dautorisation de mise sur le march assorti dvaluations ad hoc pourtout procd ayant comme objectif ou consquence dagir sur les capacitscognitives des individus.

    Une socit de linformation et de la communication est forcment unesocit o le cerveau de chaque individu doit tre protg de linstrumentalisation.Par ailleurs, les molcules et procds issus des connaissances en neurosciencesdoivent tre mis au service de la restauration des fonctions perdues et delaccroissement des liberts dagir, et non permettre lassujettissement une normesociale.

    M. Jean-Sbastien VIALATTE.

    Je vous remercie beaucoup pour ces propos introductifs et instructifs.Jappelle maintenant les participants la premire table ronde qui porte sur lesdfis des sciences et des technologies.

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    LES DEFIS DES SCIENCES ET DES TECHNOLOGIES__________________________________________________________________

    IMAGERIE DU SYSTME NERVEUX, IMPLANTS CRBRAUX ETCOMPORTEMENT : QUE LIT-ON, QUE DPISTE-T-ON, QUE SOIGNE T-ON ?

    M. Alain CLAEYS.

    Je donne la parole M Denis Le BIHAN qui va prsenter les nouvellestechnologies dimagerie.

    M. Denis Le BIHAN, Directeur de NeuroSpin, CEA, Directeur de

    lInstitut fdratif de recherche dimagerie neuro- fonctionnelle,Membre de lAcadmie des Sciences.

    Messieurs les dputs, mes chers confrres, mesdames et messieurs.

    Cest un trs grand honneur pour moi que dintervenir cet aprs-midi pourvous prsenter la neuroimagerie et les outils pour comprendre le cerveau. Jeresterai le plus factuel possible pour en expliquer les principes et montrer que lonobserve des phnomnes intressants, mais quil existe des limites ce que lon

    peut faire.

    Sintresser au cerveau humain, implique de sintresser, non seulement lorgane lui-mme pour aider le neurochirurgien oprer, mais galementsintresser sa place par rapport la personne, pour comprendre les pathologies,les anomalies du dveloppement crbral, le vieillissement et le handicap ducerveau, les troubles lis lhumeur et la psychiatrie.

    Pour tenter de comprendre comment nous communiquons, apprenons etinter ragissons avec des machines, limagerie est devenue incontournable. Il nesagit pas de tout expliquer mais de disposer de notions sur le fonctionnement

    crbral qui nous aident rpondre ces questions.

    En effet, le chirurgien franais Paul BROCA la dmontr, le cerveau estorganis en rgions. Menant des expriences sur un patient clbre atteintdaphasie, Monsieur LEBORGNE, surnomm Monsieur tan tan car ilrpondait ainsi toute question, il a pratiqu une dissection du cerveau et fait deuxdcouvertes majeures : la lsion se situait du ct gauche du cerveau alors qulpoque, on pensait les hmisphres quivalents et la localisation de la lsionsitue dans le lobe frontal tait la cause du trouble de la parole.

    Chaque rgion du cerveau joue un rle plus ou moins particulier. Ceciexplique limportance de limagerie. Si, pendant 150 ans, la recherche a repos surla mthode de la dissection des cerveaux avec des rsultats limits, lapparition du

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    scanner rayons X dans les annes soixante- dix a suscit de nombreusesquestions thiques. Sans avoir besoin de dissquer le cerveau, il devenait possibledtudier lintrieur dun crne et de localiser une lsion. Le lien entre lalocalisation crbrale et les anomalies se prcisa alors.

    Passer en une vingtaine dannes, de limagerie structurale limageriefonctionnelle, fut une autre rvolution, surtout culturelle, en ce quil sagissaitalors dobtenir une image chez un patient normal en train de faire travailler soncerveau pour dterminer les rgions crbrales impliques, car un des secrets ducerveau rside dans son architecture : fonction et localisation sont troitementlies toutes les chelles, ce qui explique limportance de la neuroimagerie.

    La rvolution de limagerie est ne du mariage de la physique et delinformatique. Nous disposons aujourdhui de toute une panoplie de mthodesdimagerie pour tudier lintrieur du cerveau sans ouvrir le crne. On peut tudierles signaux lectriques du cerveau : cest lobjet de llectroencphalographie oula magntoencphalographie. On a la possibilit dintroduire des molcules

    partiellement radioactives produites par un cyclotron qui se localiseront dans deszones prcises du cerveau en fonction de la prsence de rcepteurs et obtenir desimages avec la camra mission de positrons. Nous disposons galement delimagerie par rsonance magntique (IRM), technique que jutilise

    principalement, en aimantant fortement leau qui se trouve dans le cerveau, ce quipermet dobtenir des images fabuleuses de lanatomie et de la fonction crbrale.Un trs gros aimant produit un champ magntique trs intense de 15 000 gauss,

    soit 30 000 fois le champ magntique de Paris, et lon peut obtenir, par traitementinformatique, des images trs prcises partir de la mesure, par ondes radio, desmolcules deau. On voit la matire blanche, la matire grise, les petits vaisseauxuniquement grce laimantation de leau.

    Limagerie permet de regarder le cerveau depuis lextrieur et surtout desavoir comment il se fabrique pendant la grossesse, et se dveloppe tous lesstades de celle-ci. Grce linformatique, on extrait virtuellement le cerveau duftus, cela permet de voir dventuelles anomalies afin de les traiter.

    Notre cerveau compte 100 milliards de neurones, produits durant lagrossesse au rythme de 250 000 par minute. Ces neurones, fabriqusessentiellement au centre du cerveau, migrent ensuite vers la priphrie. Lecerveau devra alors se plisser pour tous les stocker. Il arrive cependant que desneurones restent coincs lors de leur migration, ce qui peut provoquer certaines

    pathologies neurologiques comme lpilepsie, voire des pathologiespsychiatriques. De nombreuses volutions se produisent pendant la grossesse, ilny a que limagerie pour les dceler. Avec des modles animaux, notamment lasouris, il est possible dobserver des relations entre gnes et cerveau.

    Nous pouvons actuellement voir fonctionner un cerveau. Quelquunregarde une image et on observe des changements de couleur limagerie. Eneffet, davantage de sang irrigue les zones trs actives. Or, le passage du sang, qui

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    contient de lhmoglobine donc du fer, dans le champ magntique modifieralaimantation de leau ; il produira des changements infimes de cette aimantationau voisinage des petits vaisseaux sanguins quun ordinateur pourra analyser, cequi permet de dterminer quelle partie du cerveau travaille.

    Il est possible daller plus loin. Les rgions qui servent voir le monderel et celles imaginer sont-elles les mmes ? Une personne est allonge dans uncylindre, sans bouger, totalement immobile, on lui donnera linstructiondimaginer un chat. Lorsque la personne imagine un chat, la rgion qui sert voirle monde rel sactive. Le cerveau utilise donc cette rgion pendant limageriementale. Larrire du cerveau tant organis de faon trs prcise : en simplifiant,ce que lon voit en haut arrive en bas, ce que lon voit gauche arrive droite,ceci se passe comme dans un appareil photo, chacun sa propre projection,comme un code. Ainsi lon arrive mme dterminer si une personne volontaire

    pour une exprience, imagine un objet vertical ou un objet horizontal.

    La mme tude chez une personne aveugle de naissance montrera quelleactive les mmes aires visuelles quand elle lira en braille avec son doigt. Lecerveau sest rorganis. Reste savoir ce qui se passe dans cette rgion visuellequi sert aussi bien voir qu lire le braille ce qui na rien en commun avec lavision mais est li la capacit de gestion de lespace.

    Mais il existe des limites, qui rsident notamment dans les conditions runir pour obtenir ces rsultats. Il est ainsi impossible de forcer quelquun se

    prter cette exprience. Que la personne bouge, ne serait-ce que dun millimtre,et lopration est impossible. Elle nest donc pas ralisable contre la volont de la

    personne place dans lappareil. De surcrot, lencadrement lgislatif permetdviter les abus.

    M. Alain CLAEYS.

    Lencadrement lgislatif et rglementaire est-il adapt? Ne reprsente-t-ilpas un frein ?

    M. Denis Le BIHAN.

    En principe non, mais il peut nous gner dans les modalits pratiques.Ainsi, sil est normal et utile de demander lautorisation un Comit dthique demener ces tudes, il nest pas toujours justifi quun mdecin en soit charg, ceque la loi impose pourtant. Cette obligation se comprend en cas dIRM, du fait duchamp magntique et de contre-indications possibles (porteur de pacemaker,dobjet mtallique), mais elle na plus de raison dtre quand il sagit de mener destests neuropsychologiques ne comportant pas de risque mdical. tant mdecin, jene suis pas pnalis par cette rgle, mais peut-tre Stanislas DEHAENE, aveclequel je travaille, et qui nest pas mdecin, voudra-t-il expliquer cela.

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    M. Stanislas DEHAENE, Directeur de lunit INSERM CEA deneuroimagerie cognitive, Professeur au Collge de France, Membre delAcadmie des sciences.

    Les recherches sur le cerveau recouvrent un spectre trs large, et certaines

    relvent directement de la psychologie. Quand commence la recherchebiomdicale ? Pour le lgislateur ou les Comits dthique la frontire nest pastoujours vidente tracer, mais je pense certaines recherches qui devraient treconsidres comme des recherches strictement psychologiques et pour lesquellesle cadre lgal actuel est inadapt. Ainsi des chercheurs en neurosciences ou en

    psychologie de lINSERM ou du CNRS, non mdecins, ne sont pas matres deleurs propres recherches.

    M. Denis Le BIHAN.

    Il faut environ dix ans pour quune dcouverte scientifique dbouche surune utilisation en milieu mdical. Ceci est le cas pour les patients dont lune desartres crbrales est bouche, ce qui provoque un infarctus crbral, troisimecause de dcs en France, et la premire de handicap car la personne qui devienthmiplgique lest, le plus souvent vie, ce qui a un important retentissementsocial et conomique. Or, lon a dcouvert, dans les annes soixante-dix, que dansla rgion en train de mourir, le mouvement spontan de diffusion des molculesdeau se ralentit de 30 50%. Dans les toutes premires minutes on observe cela limagerie. Grce limagerie mdicale, le mdecin peut tablir un diagnostic trs

    prcoce, dans les six premires heures, et donner au malade un traitement actif quidbouchera lartre. Parce que ce mdicament nest pas anodin, il faut tre certaindu diagnostic, ce que limagerie permet. Alors quun infarctus du myocarde peuttre pris en charge dans les deux heures, il nen va pas du tout de mme pourlinfarctus crbral. Seuls quelques centres en France sont capables dune telleractivit.

    Il est ncessaire de dvelopper ces mthodes dimagerie pour observer lemode de fonctionnement des neurones au travail, les connexions neuronales, voirle cerveau se construire, les gnes au travail et tudier la chimie du cerveau. Il faut

    pousser les limites de limagerie au maximum pour explorer le cerveau depuis lasouris jusqu lhomme, et cette fin utiliser des champs magntiques de plus enplus intenses, ce qui peut poser problme. En effet, lUnion europenne projette derguler lutilisation de ces champs magntiques.

    NeuroSpin, centre ouvert il y a plus dun an au CEA ct de Saclay,nous sommes compltement impliqus dans ces recherches, au premier rangdesquelles figure ltude des effets biologiques des champs magntiques surlhomme ou le petit animal. Explorer et identifier les rgions crbrales, pourtablir une architecture fonctionnelle crbrale, savoir sil existe un ou plusieurs

    codes neuraux en tablissant des liens avec larchitecture crbrale, dvelopperdes mcanismes de rducation, dcouvrir les mcanismes cellulaires et

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    molculaires des maladies pour les prvenir et tablir des diagnostics prcoces,tels sont les grands dfis que devra relever la neuroimagerie.

    M. Alain CLAEYS.

    Je vous remercie beaucoup de cette prsentation trs claire et je donne laparole M. Stanislas DEHAENE

    M. Stanislas DEHAENE.

    Je vous remercie beaucoup de me donner loccasion dexprimer mes idessur les liens entre psychologie et cerveau.

    1.Limagerie crbrale met nu le cerveau et dvoile les reprsentations lesplus fines, toutefois des limites existent. Chaque tat mental est aussi un tat

    matriel : une configuration de dcharges neuronales. Il peut tre dcrit diffrents niveaux de reprsentation. Nos comportements sinscrivent dans destats organiss dactivit du cerveau qui peuvent tre dcrits un niveau rgionalet de grand circuit, mais aussi des niveaux plus microscopiques : colonnescorticales, neurones individuels, synapses et in fine organisation molculaire ducerveau.

    Mme si ces diffrents niveaux de description correspondent diffrentesfacettes du mme objet, cela ne veut pas dire quun niveau de description nest pasmeilleur quun autre. Certaines pilepsies proviennent dune mutation trs prcise

    dune sous unit de tel rcepteur dans le cerveau, mais dautres phnomnesrelvent de la psychologie, et ne se laisseront pas rduire si facilement unereprsentation plus bas niveau.

    Ainsi, si vous dsirez savoir si une personne connat le prnom de telleactrice, mieux vaut lui poser la question que dessayer de lire dans son cerveau !Ces diffrents niveaux de reprsentation et danalyse existent et il ne faut pasoublier quil y a une unit des neurosciences. Un coup de projecteur est donnaujourdhui sur limagerie crbrale, mais ces recherches sappuient elles-mmessur des recherches bien plus fondamentales, chez lanimal, in vivo ou in vitro.

    Nous avons besoin de toute cette chane de travaux.

    M. Herv CHNEIWEISS.

    Au nom de lunit des neurosciences, je me permets dajouter qu ctdes 100 milliards de neurones se trouve une population importante de 300 400milliards de cellules gliales dont lactivit mtabolique va tre visualise parlimagerie. Ctait un petit plaidoyer pour une population de cellules un peuoublie, mais majeure.

    M. Stanislas DEHAENE.Absolument, mais je voudrais moi aussi plaider pour dautres populations

    oublies ; lextrme de ce spectre se trouvent la culture et lducation qui jouent

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    galement un grand rle. Leffet de lducation qua reue une personne se traduitdirectement par des changements dorganisation de ces circuits. Ce que nousobservons en imagerie est le contraire du dterminisme et de lide que les basniveaux dterminent ceux qui sont hauts. Trs souvent, nous observons le rsultatde contraintes conjointes de la gntique et de lducation.

    Nous avons men ces tudes dans des directions diffrentes. Jai choisilexemple de la lecture. Lorsque lon place un mot devant vos yeux, vous

    parvenez le lire trs rapidement, sans avoir conscience quil sagit du rsultatdun calcul sophistiqu du cerveau, que lon peut rvler par lIRM fonctionnel,sous forme dun circuit activ dont les premires tapes sont non conscientes.Certaines rgions jouent un rle fondamental parce quelles sont modifies parlapprentissage de la lecture. Elles traduisent par leur degr dactivit, le degrdexpertise du sujet pour la lecture.

    On peut suivre les tats dactivits en fonction du temps. Sur ces images,on observe la dynamique dactivit crbrale lorsque lon prsente un mot sur uncran dordinateur et que le signal dactivation neuronal se propage depuis lesaires visuelles jusqu larrire du cerveau par la voie visuelle ventrale danslaquelle seront identifis lorthographe, la prononciation et le sens des mots

    Le travail du psychologue, avec ces nouveaux outils dimagerie crbrale,consiste essayer dattribuer une organisation, une architecture, ces activationscrbrales, sous forme de modle. Lactivit de modlisation, dintgration de cesdonnes dans des modles thoriques est trs importante. Elle permet deconsidrer que chacune de ces rgions apporte sa pierre une tape de traitementde linformation. Notre travail consiste concevoir des expriences pourdterminer que telle rgion sintressera la syntaxe de la phrase, telle autre lorthographe.

    Ces recherches fondamentales visent comprendre lorganisation ducerveau et la mettre en relation avec les aspects psychologiques, mais elles ontaussi une importance capitale dans le domaine de la pathologie, dans celui de lalecture, comme en tmoigne par exemple la dyslexie. Sur la base de rsultats

    obtenus dans un cerveau normal, on commence maintenant pouvoir produire desimages comprhensibles de ce quil advient dans le cerveau dun enfant quiconnat des difficults de lecture. Celles-ci peuvent tre mises en relation avec desactivations insuffisantes de certaines rgions du circuit de la lecture, notammentdes rgions lies au code phonologique et au code orthographique. Certainesanomalies anatomiques commencent galement tre dtectes chez ces enfants.

    Pendant des annes, on na pas jug ncessaire de pratiquer des examensIRM chez des enfants dyslexiques ou souffrant de troubles du dveloppement

    parce que lon ne voyait rien. On commence maintenant, grce des statistiques

    un peu plus pousses, avec des imageurs trs performants, observer desanomalies particulires qui se concentrent dans certaines rgions de ces circuits dela lecture. Il ne sagit pas de produire des images de la pathologie et de condamner

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    ces enfants, au contraire ! Lon produit galement des images de la rducation,pour en suivre les progrs. On observe ainsi, la ractivation de nouveaux circuitsdans lhmisphre droit en fonction du degr et du type de rducation.

    2. Sagissant du dcodage crbral, peut-on utiliser ces images, non

    seulement pour comprendre le cerveau, mais aussi pour aller y lire des tats depenses caches du sujet ? partir du moment o lon effectue une mise encorrlation dtats psychologiques avec des tats crbraux, il existe une forme derversibilit ; aussi lorsque lon peut passer dun certain stimulus une activitcrbrale comprhensible, on peut entraner un logiciel informatique oprerinversement, en partant dune activit crbrale. On peut reconstituer ce que la

    personne tait en train de voir ou dimaginer en tenant compte dune grandevariabilit individuelle. Une exprience mene par Bertrand THIRION enlaboratoire montre que lorsquune personne fixe lcran, elle imagine une forme eten partant de son activation crbrale, on arrive pniblement reconstituer unesorte de forme de ce quelle imaginait.

    Une certaine forme de dcodage de lactivit crbrale est donc possiblegrce au dveloppement de nouvelles techniques. On peut sen inquiter, maisaussi se demander quelles en seront les applications pratiques. Cette forme dedcodage de lactivit crbrale en temps rel pourrait permettre au sujet de

    prendre le contrle de son propre cerveau. En permettant une personne souffrantde douleurs chroniques inexpliques et svres dobserver ltat dactivit de soncortex cingulaire antrieur qui est lune des rgions jouant un rle essentiel dans la

    conscience de la douleur, et en lui apprenant moduler cette activitconsciemment, volontairement, on lui permet, aprs plusieurs semaines de recul,de diminuer considrablement sa douleur. Cest une manire de rduquer et derestaurer lautonomie de la personne.

    Les capacits de dtection sont galement trs importantes dans certainespathologies. Il existe des comas vgtatifs persistants pour lesquels limageriecommence permettre de rtablir une forme de communication avec le patient ou tout le moins de dtecter ses tats mentaux, alors que la personne est paralyse etincapable de communiquer. Selon une publication rcente de lquipe belgo-

    britannique dAdrian OWEN de luniversit de Cambridge, sur 60 personnesexamines, en tat vgtatif persistant, lune dentre elles a prsent une activitcrbrale quand on lui a demand dimaginer quelle jouait au tennis ou se

    promenait dans son appartement. Grce lappareil d'imagerie par rsonancemagntique, les chercheurs ont tent de communiquer avec cette patiente,seulement capable de mouvements rflexes. Selon eux, elle s'est rvle capablede rpondre certaines consignes. L'quipe de chercheurs a fait passer desexamens d'imagerie crbrale la jeune femme ainsi qu' des volontaires sains. Orquand on leur demandait de s'imaginer parcourir les pices de leur maison, lesrponses dans diverses zones du cerveau de la patiente et des personnes sainestaient identiques. Cette jeune femme est en train de sortir du coma, et le faitdavoir dtect chez elle une activit mentale structure a jou un rle importantdans sa prise en charge. Ce type dapplication se dveloppera de plus en plus. Le

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    traitement des tats vgtatifs et de ceux frontires avec le locked insyndrome,sera abord par les neurosciences, en sefforant de dvelopper la communication

    par le biais des interfaces homme/machine.

    3.Limagerie crbrale se contente denregistrer lactivit crbrale, elle ne

    manipule pas le cerveau. La publicit na dailleurs pas attendu limageriecrbrale pour le faire. Doit-on sinquiter du fait quelle permette de dcodercertains tats mentaux ? Il faut en avoir conscience et ne pas leurrer le public :lon sait, dores et dj, dcoder des tats mentaux, notamment lorsque le codeneural est macroscopique, cest--dire lchelle du centimtre quand, parexemple, une personne lit ou regarde un visage ; cest diffrent dans le cerveau etil est possible de lobserver. Il est galement possible de dcoder des tats lchelle du millimtre, mais lon ne peut pas dcoder le micro code , savoirce qui fait la spcificit dun individu, ses connaissances particulires, son lexique

    personnel, ses souvenirs. Ce micro code reste un niveau qui continuera dedpasser pendant trs longtemps, sinon jamais, nos capacits de dcodage parcequil se situe au niveau du neurone unique.

    Le dcodage, par ailleurs, prsente un intrt pratique en mdecine pour ladtection dtat de conscience, la communication par interface homme/machine, larducation etc Cependant la sensibilit et la spcificit de ces formes dedcodage crbral restent faibles. Lon est trs satisfait en recherche lorsque lon

    parvient faire mieux que le hasard. On ne dtectera pas chaque tat mental dusujet. Ainsi, le potentiel du dtecteur de mensonges parat trs exagr : si certains

    tats psychologiques peuvent tre observs un niveau neuronal microscopique,dautres ne se rduiront pas si facilement des tats identifiables. Je ne crois pasquil existe un seul tat crbral du mensonge, il existe une telle varit demensonges que sur ce point, il sagit de fantasmes.

    En outre, tous ces examens dimagerie requirent une collaborationparfaite du sujet, qui doit rester immobile lchelle du millimtre, se concentrersur ce quon lui demande de faire et ne pas penser autre chose. En particulier, ilest impossible de dcoder les penses dune personne qui passe sous un portiquedans un aroport. Il convient de rester vigilant, il y aura des applications relles

    mais lon doit viter de propager des fantasmes qui galopent vite dans ce domaine.

    M. Alain CLAEYS.

    Je vous remercie de cette prsentation trs intressante. Quelquundemande-t-il la parole ? M Herv CHNEIWEISS souhaite apporter une prcision.

    M. Herv CHNEIWEISS.

    Cest vrai que ces histoires de portique sont ridicules aux yeux deschercheurs du domaine, mais pas pour la Defense Advanced Research Project

    Agency (DARPA) aux tats-Unis qui a investi des millions de dollars dans aumoins deux socits charges de dvelopper ces systmes. Il convient dedmystifier. Cest important.

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    M. Stanislas DEHAENE.

    Les neurosciences progressent en permanence et il est toujours difficilepour un scientifique sceptique par nature de poser les limites, surtout quand ellesne cessent de reculer. Nanmoins, lon peut affirmer aujourdhui que lchelle du

    neurone est inaccessible chez lhomme avec les mouvements du cerveau quiexistent de faon permanente.

    Une intervenante dans la salle.

    90 % des sourds en France seraient illettrs. Ce chiffre ma impressionne.Des travaux sont-ils mens sur lapprentissage de la lecture par les sourds ?

    M. Stanislas DEHAENE.

    Lapprentissage de la lecture pose des problmes particuliers chez lespersonnes malentendantes parce que les reprsentations phonologiques, support ducode alphabtique que nous utilisons, ne sont pas prsentes chez ces personnes, cequi rend difficile dapprendre dcoder lcrit. ma connaissance, limageriecrbrale na pas permis de trouver de solution alternative ce problme, mais elle

    permet en tout cas daider comprendre la nature des reprsentations disponibles,et en particulier que le langage des signes est une vraie langue. Limageriecrbrale montre que les rgions du langage du cerveau sont concernes comme

    pour une langue parle.

    M. Jean-Sbastien VIALATTE.M. Emmanuel-Alain CABANIS vous allez nous prsenter le point de vue

    du praticien.

    M. Emmanuel-Alain CABANIS, Professeur Universit Paris VI,Centre hospitalier national dophtalmologie des Quinze Vingt,

    Membre associ de lAcadmie de mdecine.

    Il mest apparu intressant propos du dfi relever de rpondre aux troisquestions figurant dans le programme et concernant limagerie savoir que lit-on,que dpiste-t-on, que soigne-t-on ?

    Nous osons relever ce dfi car notre exprience a quasiment un quart desicle et porte sur une cohorte de 200 000 patients environ. Aprs le scanner rayon X, nous disposons du systme dimagerie rsonance magntique quivolue de 0,15 3 Teslas. Comme la rappel Denis Le BIHAN, ce nest pas

    considrable en comparaison de lavenir lorsquon atteindra 17 Teslas.Linstitution que jai lhonneur de servir soccupe du regard et de la vision, cestce centre national des Quinze-Vingt.

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    Ainsi, si aujourdhui la routine est lutilisation dappareil 3 Teslas, il fautse souvenir des craintes de nombre de nos collgues travers le monde, et ne pasoublier que Franois MESSMER au 18me sicle auprs de Pierre Jean GeorgesCABANIS tait lorigine du baquet magntique ce qui fait quun certain nombrede mes chers collgues se sont quelque peu moqus de moi lorsque en 1982, nouscommencions voquer la rsonance magntique. Ce retour aux sources mesemblait important expliquer avec des mots simples. Dans cette imagerie delencphale, que lit-on, que dpiste-t-on et qui soigne-t-on ?

    Question n 1 : que lit-on ?

    Une neuroanatomie du systme nerveux normal in vivo, mais que nousavons apprise et enseigne par des dessins cadavriques dont lorigine remonte au12me sicle puis au 13me sicle, moment de la rvolution anatomiqueeuropenne. Il est intressant de rappeler quaujourdhui avec ces outils nouveauxlon se rapproche de dessins datant du 19me, ceux de Jules DEJERINE quidessinait ces tractus de substance blanche, dans lesquels nous sommes emptrsavec notre tractographie.

    On lit cette neuroanatomie, pour reconnatre dans un signal, un contrastepermettant de distinguer la substance grise de la substance blanche, selon unesuccession de plans de coupe adjacents infrieurs ou gaux au millimtredpaisseur, avec une rsolution grce laquelle nous dcouvrons une smiologieet une anatomie inconnues jusqu prsent.

    Lexemple du lobe temporal est intressant puisquon observe ce que lonavait appris dessiner dans le pass, ce corps godronn essentiel en pileptologieet qui apparat limage avec une rsolution spatiale intressante et file le long dela corne temporale. Voici lhypothalamus qui est un centre vital, visible avec uneautre rsolution : cest un ensemble de 2 mm sur lequel notre fonction vgtativecomplte est runie. Ceci est une imagerie strictement neuve, sans dessin pralablecette fois qui est celle de notre neurotractographie. Vous observez des connexions

    pontiques dune partie du tronc crbral avec le cervelet, et aussi sous le chiasmadu nerf optique, vers les deux pdoncules crbraux.

    Dans ces signaux issus dune technique multiparamtrique, que va-t-onlire ? Des donnes quelquefois inquitantes comme ce globe oculaire qui apparat

    blanc, puis noir, contrast, simplement avec le jeu des squences, ce qui nousconduit avec une immense prudence vers la reconnaissance anatomique de ce qui

    pourrait tre une tumeur cancreuse de 1 mm dpaisseur peine visible.

    Que signifie la normalit ? La normalit reprsente la donne la plusdifficile cerner quand on dirige un service de neuroimagerie. Elle nest riendautre quune statistique de variabilit individuelle, intra ou interindividuelle. Le

    plus bel exemple dont nous disposions, est la gnration du cortex. En routine,plusieurs fois par jour, les coupes anatomiques que vous avez vues prcdemmentpermettent davoir une reconstruction volumique du cortex avec une certitude

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    maintenant absolue. Cette image montre le degr dasymtrie extraordinaire de lasulcation entre lhmisphre gauche et lhmisphre droit chez un mme patient,vu sur cette image sous diffrents angles.

    La description de la neuroanatomie est double dune neurophysiologie

    motrice, vasculaire, circulatoire, macroscopique ou molculaire et mtabolique.Voici in vivo lhexagone de la base de lencphale avec en avant les deux artressylviennes, les bords latraux de lhmisphre, en arrire les artres crbrales

    postrieures, prsentes lanimation puis absentes linstant. Nous introduisonsdans la routine de nos examens, lapproche du cortex visuel par rtinotopie ce qui

    permet plusieurs images du stimulus visuel.

    Lautre physiologie procde de la biochimie dont nous disposons grce auspectre de lIRM qui nous montre des pics aussi minces que ceux dune

    population axonale dans lensemble. Le n-acetyl aspartate ou la cratine priscomme repres nous permettent deffectuer des analyses biochimiquesextrmement discriminantes, notamment dans les malformations crbrales delenfant. Quoi quil en soit, ces signaux, ces formes, doivent tre traites le plusattentivement possible pour sparer la variante individuelle de la variante

    pathologique. Si on prend lexemple dun implant, il est important de pouvoirtraduire le vritable variant individuel, de ce qui est la premire tape de la

    pathologie.

    Ainsi, sur ce nerf que nous observons pour la premire fois en IRM qui estle nerf pathtique permettant de voir le regard du mpris. On baisse vers le bas lesyeux dun regard mprisant. Cet ensemble nous a gns parce que nous nousdemandions si ctait un vaisseau supplmentaire. Nous tions perdus : voir le nerf

    pathtique ! Cela aurait pu faire natre quelques communications savantes !Chaque semaine, depuis plusieurs annes, nous recevons des patients prsentantdes retards mentaux. Nous observons certaines anomalies de sulcation qui sontretrouves de manire strictement inattendue.

    Question n 2 : que dpiste-t-on ?

    1) Le danger: il peut provenir dun corps tranger ferromagntique inclus.Il y a quelques jours, une jeune fille se prsente avec un gonflement facial ; une

    petite plaie attire brusquement notre attention, nous pratiquons un scanner rayons X lesquels sont arrts par le mtal ou par un os dense, nous dcouvrons defaon rellement inattendue un clou ayant pntr lintrieur de lorbite linsuabsolue de cette jeune patiente. Malheureusement aucun des interrogatoiresnaurait permis de le savoir. Or, le cas de linterrogatoire auquel on ne rpond pasou insuffisamment reste une pe de Damocls car le clou sorti de lorbite auraitcrev le globe oculaire. Grce au diagnostic on vitait de nuire. Ainsi, maintenantdans un certain nombre de situations, nous utilisons le scanner rayons X avant

    IRM, ce qui conduit imposer une irradiation. Ceci risque dentraner desconsquences juridiques, en matire dexpertise notamment.

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    2) Le dpistage de lanomalie de la forme : Sur cette image on observeune anomalie de la forme anatomique voque prcdemment, cest uneaugmentation ou une rduction de volume, une variation du signal, acquise oucongnitale, notamment au plan crbral. Une asymtrie trs tonnante du nerfoptique rtro bulbaire intra orbitaire apparat. Il est gros. Cette grosseurcorrespondra une dsorganisation trs inattendue en neurotractographieantrieure ce qui nest pas classique, car elle est prsente chez peu de gens.

    Ceci montre lexistence dune interruption, dune asymtrie de cettedisposition axonale correspondant une maladie de Recklinghausen. Lanomaliede signal est vidente, comme la prcdemment expliqu Denis LE BIHAN qui

    par modestie na pas rappel que ctait lui qui en 1985, avait consacr sarecherche et son nergie imposer la notion de diffusion qui montre que dans lesquelques secondes qui suivent un accident vasculaire, le coefficient de diffusiontmoin de la mobilit des molcules deau dans les tissus varie, ce qui permet dedceler les premiers signes dun accident vasculaire crbral tendu. Aucune autretechnique ne peut permettre deffectuer le diagnostic de cette ncrose locale aprsune ischmie et ceci est tout fait tonnant et modifie compltement lathrapeutique.

    Voici une forme ajoute, anormale et tumorale, cest un processusoccupant de lespace, entour ddme crbral pri lsionnel, les deux provocantun effet de masse. Voici une anomalie de fonction vasculaire qui est uneinterruption dune carotide interne du ct droit alors que du ct gauche, le flux

    circulatoire passe. Cette exploration artriographie seffectue aujourdhui sanscathtrismes. Nous observons laccroche de laorte la partie suprieure du cur,les artres destine cphalique du ct droit et du ct gauche, leur pntrationintracrnienne antrieure et les carotides postrieures vers basilaire. Donc, cetteanomalie neurotractographique de stimulation nous apprendra enfin que devant latumeur voque prcdemment, deux lments concorderont, celui de ladsorganisation des fibres nerveuses et des axones autour de la lsion.

    Neurotractographie, mais aussi refoulement des commandes motrices dufait de la tumeur qui se dveloppe. Ce refoulement est maintenant demand et

    exig en propratoire par nos collgues neurochirurgiens qui veulent savoir sileur geste salvateur dexrse de la tumeur touchera ou pas cette aire motricepour viter que le patient devienne totalement hmiplgique.

    Question n 3 que soigne-t-on ?

    On ne soigne pas par limage seule, on soigne le patient qui peut avoir untractus cortico spinal asymtrique ou abm, la question nest pas l. Trop de

    patients ont t oprs de leurs images et lun des meilleurs exemples nest pas lecerveau, cest celui de la colonne lombaire et de la moelle pinire. Cest donc

    toujours un patient, examin, inform et demandeur avec des degrs decomprhension difficiles valuer et comparer, qui commande laction delexploration intracrnienne.

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    Ce journaliste brillant mavait demand des images, comme tout le monde,de belles images, comme quelques uns, et de trs belles images pour un numrospcial de journalisme. Je lui ai rpondu que les belles images, cest lui qui me lesfournirait car je ne trahirai pas le secret des patients. Votre secret, cest votreanatomie. On va vous examiner, ainsi vous aurez le droit dexploiter votre propreiconographie . Ce journaliste a vu la reconstruction en 3 dimensions et il acompris ce qutait son cerveau, en 3 D et les dissections virtuelles.

    Conclusions

    Sachant que le cadre gnral du que soigne-t-on , recouvre toute lamdecine, rsume en cinq mots traumatique, vasculaire, tumoral, inflammatoire,ou congnital, voil les cinq armoires normandes qui font lexploitation delimagerie de la tte car nous nexplorons pas lencphale, nous explorons la ttetout entire, rgion suprieure du corps humain. Voici un exemple de sclrose en

    plaques : lIRM fonctionnelle montre lattnuation des allumages corticaux dans lapartie postrieure de lensemble. Que lit-on ? Lencphale mais lalphabet cestlanatomie, il faut lapprendre. Que dpiste-t-on ? Des anomalies qui sontcliniquement significatives. Que soigne-t-on ? Les cinq grands ges de la vie delge nonatal ou intra-utrin lge avanc ou troisime ge.

    M. Herv CHNEIWEISS.

    Que se serait-il pass si le journaliste en question avait t atteint dunemalformation vasculaire ou dune tumeur naissante quil aurait ignore avant

    lexamen ?

    M. Emmanuel-Alain CABANIS.

    La question est dautant plus intelligente quelle nous a t poseexactement seize fois par de gnreux volontaires tmoins prsums sains. Uninterrogatoire trs attentif et trs neurologique est pour nous un premier devoir.Les tmoins volontaires prsums sains sont systmatiquement soumis uninterrogatoire neurologique trs attentif.

    Il est galement impratif dvaluer le comportement de celui qui acceptedtre tmoin volontaire prsum sain pour viter de se trouver dans cettesituation. Sans doute grce lexamen pralable que nous pratiquons, nousnavons encore jamais dcouvert de pathologie lourde de faon inopine. Nousavons cependant dcouvert un kyste arachnodien, chez une tudiante technicienne

    paramdicale de 23 ans, volontaire pour contribuer aux travaux de recherche quise dveloppaient autour delle. Ce kyste arachnodien tait une petite zone de 8mm de diamtre pleine de liquide crbrospinal sans aucune consquence

    pathologique, ni consquence grave sur le fonctionnement crbral et ne justifiantpas dintervention neurochirurgicale. Il a fallu discuter longuement avec elle.

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    Dans dautres situations, la dcouverte dune pathologie lourde et grave nenous est jamais arrive. Procder par prcaution un interrogatoire attentif et

    pralable est efficace et devrait tre systmatique.

    M. Stanislas DEHAENE.

    Lorsque lon pratique, comme cest le cas dans un centre dimageriecomme NeuroSpin, des centaines dexamens par an, il nest pas rare de dtecterdes anomalies plus ou moins importantes chez des personnes rputes normales. Ilsagit le plus souvent de problmes mineurs mais il nous est arriv par deux foisde dcouvrir des tumeurs infiltrantes du lobe frontal totalement indtectables surle plan symptomatique. Elles ont t opres un stade prcoce, ce qui a sauv lavie de deux personnes.

    Jattire votre attention sur le fait que cela fait partie du consentement

    clair, sign par la personne. Elle sait que les images seront lues par unneurologue et que sil y a dtection dun phnomne pathologique, elle serainforme, son mdecin le sera et on lui recommandera une srie dexamensdtapes pour contrler ce dont il sagit. Le point le plus important duconsentement clair est la certitude dtre inform des anomalies ventuelles quiseraient dtectes.

    M. Olivier OULLIER, Matre de Confrence, Universit Aix- Marseille,laboratoire de neurobiologie humaine.

    Il mest arriv galement de dcouvrir une tache dallure anormale aucours dune exprience dIRM fonctionnelle. Or il est difficile un non mdecinde pratiquer un debriefing de lexprience avec le sujet. On ne peut pas luiindiquer cette anomalie avant davoir recueilli lavis du neurologue. La

    participation du mdecin au protocole est donc primordiale.

    M. Emmanuel-Alain CABANIS.

    Non seulement tout protocole doit tre mdical mais il doit tretransversal, collgial et organis autour dun personnage incontournable, le

    neurochirurgien.

    Cest de cette faon que nous sommes organiss dans un collgecomprenant, un neurologue, un neuroradiologue et un neurochirurgien, trs aucourant de ces domaines, car il faut connatre le degr et les raisons de lamotivation profonde de certains dans cette participation la recherche. Lesmotivations profondes de certains volontaires ne sont pas toujours claires.

    M. Stanislas DEHAENE.

    Il est en effet important dtre bien prpar ce type de situation et davoirprvu lavance la conduite tenir si lon dcouvre une anomalie. Ainsi, on nemontre jamais les images dIRM la sortie de lexamen. Il existe, selon le degr

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    de gravit de la situation, des procdures permettant dinformer la personneimmdiatement en nuanant le degr de gravit que peut prsenter la situation. Jecrois que cela fait partie de la prparation dune bonne exprience.

    M. Emmanuel-Alain CABANIS.

    Permettez-moi de minscrire en faux contre cette analyse. Mon exprienceau contact de patients prsentant un trouble neurologique ma appris quil estessentiel de dmystifier tout de suite limage. Il nexiste pas de conduite gnrale adopter : il faut sadapter chaque cas individuel. Le fait de laisser un patient

    partir sans lui expliquer de quoi il souffre et sans le lui montrer peut lui treprjudiciable.

    M. Alain CLAEYS.

    Je vous remercie de ces explications. La parole est maintenant M. Thomas BOURGERON.

    M. Thomas BOURGERON, Professeur, responsable du groupeGntique humaine et fonction cognitive lInstitut Pasteur.

    Je remercie lOffice parlementaire dvaluation des choix scientifiques et

    technologiques de me permettre de prsenter les travaux raliss lInstitutPasteur sur les liens entre gntique et troubles psychiatriques.

    Premire question, y a-t-il des gnes impliqus dans le dveloppement desfonctions cognitives ? Bien quil soit ais, mon sens, de rpondre parlaffirmative : sans tte ou sans cur, on imagine mal comment des fonctionscognitives existeraient. Cependant, il ntait gure facile, il ny a pas si longtemps,de poser cette question en France.

    Deuxime question, plus complique : des gnes sont-ils spcifiquement

    impliqus dans le dveloppement des fonctions cognitives, par exemple lelangage, les relations sociales, la lecture ? Selon moi, cela est probable. Il existedes gnes qui semblent tre spcifiques de telle ou telle fonction. Certains modlesanimaux et certaines pathologies humaines montrent que la mutation dun seulgne ou dun trs petit nombre de gnes risque de venir altrer une ou plusieursfonctions cognitives. En soi, lhypothse de lexistence dun ou plusieurs gnes dulangage, par exemple, ne pose pas de problme thique.

    La difficult commence avec la troisime question : y a-t-il des variationsinterindividuelles dans les gnes spcifiquement impliqus dans les fonctionscognitives ? Selon moi, cest probablement le cas : je ne vois pas pourquoi cesgnes chapperaient la variabilit du gnome humain. Ds lors, il marrivesouvent de me demander sil faut identifier ces variations interindividuelles. Si je

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    poursuis ma recherche, cest pour comprendre le fonctionnement du cerveau etpour tenter de remdier certaines atteintes des fonctions cognitives. Cependant,si lon identifie les variations interindividuelles, il est tout fait loisible doprerune discrimination que je supporte mal entre les bons et les mauvais gnesdu langage, et de supprimer ou daugmenter la frquence de ces variations.

    Chacune de nos cellules renferme deux mtres dADN dans nos cellulesque lon peut compacter et squencer. Le gnome humain comporte environ troismilliards de lettres A, C, G, T(adnine, cytosine, guanine et thymine). Cest lavariabilit que lon recherche. La variabilit entre deux personnes prises au hasarddans le monde se traduit par environ une lettre diffrente sur 1 200.

    Il existe dautres variations que lon appelle des polymorphismes desimples nuclotides qui jouent un rle important : 3 millions de variations entreindividu. Cest en Afrique que la variabilit gntique humaine est la plusimportante. Parmi les variations gntiques, certains chercheurs semploient tablir celles qui sont lorigine de notre rsistance ou, au contraire, de notrevulnrabilit des agents infectieux, ou encore celles qui dterminent notrerponse aux mdicaments.

    Les variants du gnome peuvent tre rpartis en trois grandes classes : ceuxdont la frquence est trs faible, voire absents dans la population mais dont limpact,en termes de troubles psychiatriques, est trs fort ; ceux dont la frquence est faibledans la population et qui sont associs un risque modr ; enfin, ceux qui serencontrent frquemment dans la population et qui sont associs un risque faible. Ledogme voudrait que les maladies frquentes, comme le syndrome bipolaire, la

    psychose maniaco-dpressive, la schizophrnie, soient dues la combinaison deplusieurs de ces variants faibles, ainsi qu des facteurs pigntiques.

    Les gnes codent des protines qui jouent un rle trs important dans ladiffrenciation des neurones, dans leur migration et dans la phase primordialequest la synaptognse, au cours de laquelle les neurones entrent en contact. Cette

    phase du dveloppement neuronale se droule entre zro et trois ans ; durant cettetape, un nombre considrable de contacts neuronaux seffectue.

    Mon travail consiste dtecter les altrations susceptibles dentraner, parexemple, des troubles autistiques. Lautisme a t dcrit pour la premire fois pendantla Seconde Guerre mondiale par un psychiatre autrichien exil aux tats-Unis, LoKANNER, partir dun groupe de quatre garons et une fille prsentant des troublesde linteraction sociale, des troubles du langage et des strotypies , c'est--diredes intrts et des gestes restreints et rptitifs. Un autre psychiatre autrichien, HansASPERGER a dcrit, partir dun groupe de huit garons et une fille, un syndrometrs proche de lautisme mais qui sen diffrencie par labsence de troubles dulangage. Laugmentation de la prvalence de lautisme aux tats-Unis sexplique

    probablement par llargissement des critres diagnostiques retenus par lespsychiatres, qui ne sinspirent plus des classifications de KANNER. Dun enfant surmille, on est pass un enfant sur deux cents.

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    On connat depuis dix ou vingt ans certains gnes impliqus dans dessyndromes gntiques augmentant le risque dautisme : syndrome de lX fragile,syndrome de Rett, sclrose tubreuse de Bourneville. Ils nous renseignent sur une

    partie du trouble autistique. Cependant, pour 85 % des enfants atteints, lesconnaissances sont plus limites : il existe des gnes candidats sur lesquels leschercheurs concentrent leurs travaux, mais dont on ne dispose pas de la preuveformelle de leur implication dans lautisme.

    Cest ce stade quintervient un important problme thique. Certainsscientifiques ou certaines entreprises pharmaceutiques annoncent quils ont trouvtel ou tel nombre de gnes impliqus dans lautisme et proposent des diagnosticsgntiques pour dterminer statistiquement le risque davoir un enfant autiste, bienque limplication de ces gnes ne soit nullement prouve.

    Ltude de la transmission danomalies gntiques dans des famillesatteintes par lautisme ou le syndrome dAsperger a permis didentifier certainesmutations qui taient apparues sur la mre. Nous avons travaill et identifi lestrois premiers gnes impliqus dans des syndromes autistiques, gnes sur lX. Cesinformations ont conduit lidentification dautres gnes, sachant quune mutationsur un seul gne qui casse la protine en deux, peut se traduire par un tableauclinique trs svre. On a constat que la mre avait la mutation dans ses ovocytes,mais pas dans son sang, ni ses cellules buccales.

    Lorsque jai commenc ces tudes, il ma t oppos quil tait inutile derechercher des gnes impliqus dans lautisme car il ny en avait pas. Puis, les mmes

    personnes mont affirm quil tait inutile de rechercher ces gnes parce quil y enavait trop ! Pourtant, il apparat maintenant que ces mutations ont un rle fonctionnelau niveau des rseaux neuronaux de la voie synaptique implique dans lautisme. Uneexprience in vivo a montr quune souris dont un gne spcifique a t supprim ne

    prsente aucune prfrence selon quon lui prsente un objet ou une autre souris etmet des sons beaucoup moins varis que les souris normales.

    De mme, on a identifi rcemment des mutations dans la synthse de lamlatonine qui intervient dans la rgulation du sommeil. Comme environ 50 %

    des enfants atteints dautisme prsentent un taux bas de cette hormone, on peutconsidrer quil sagit l dun variant risque.

    On peut actuellement utiliser des puces sur lesquelles on dpose 1 millionde ces variations et on les compare.

    M. Jean-Sbastien VIALATTE.

    Je vous remercie de cet expos trs intressant. La parole est M. FranoisBERGER.

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    M. Franois BERGER, professeur de mdecine, Institut desneurosciences de Grenoble, quipe nano mdecine et cerveau(INSERM- CEA).

    Je vous remercie, mesdames et messieurs les parlementaires, de me donner

    loccasion de prsenter cette courte synthse sur les dveloppementstechnologiques lis aux implants crbraux. Le retard considrable que lonconstate dans la comprhension et le traitement des maladies neurologiques,malgr leur fort impact socio-conomique, tient en partie au fait que le cerveau estun organe inaccessible. La nouvelle technologie des implants permet de pntrerles structures crbrales pour dispenser un traitement local aux perturbations durseau neuronal, par opposition aux thrapies mdicamenteuses systmiques. terme, on vise disposer dimplants multifonctionnels qui diagnostiquent, traitentet surveillent lefficacit du traitement.

    Lre moderne des implants crbraux dbute en 1987 par une dcouvertedu professeur Alim-Louis BENABID. lpoque, les tremblements rsistant auxtraitements mdicamenteux taient traits par lectrocoagulation du noyau ventralintermdiaire (VIM) du thalamus. Le professeur BENABID a observ quuneneurostimulation haute frquence entranait la disparition du tremblement chezle patient. La voie tait ouverte une thrapeutique fonctionnelle non lsionnelleau moyen dimplants dlivrant du courant haute frquence dans le cerveau.Lefficacit de cette approche sest encore accrue par lintgration des donnesdautres quipes de recherche en neurosciences, notamment celles de Bordeaux.

    Vingt ans aprs, nous disposons donc dune sorte de pacemakercrbral . Presque 350 000 patients ont t implants depuis 1995. Il sagit dunethrapeutique valide et rembourse par la scurit sociale, reconnue par la Foodand Drug Administration. En ciblant dautres noyaux, comme le noyau sous-thalamique, on a pu tendre cette stratgie tous les symptmes de la maladie deParkinson et dautres pathologies, notamment dans les dystonies. Lefficacit dutraitement est donc considre comme majeure, dans un contexte de handicap trslourd. Quant aux effets secondaires, on constate quun peu moins de 1 % des

    patients ainsi traits ont eu une hmorragie intracrbrale, il existe un contrat

    informant le malade des risques. Une mauvaise localisation de llectrode risqueaussi de provoquer des rires ou, au contraire, des tats de tristesse, mais ces effetssont rversibles.

    La recherche clinique ouvre sur dautres indications, notammentpsychiatriques. Il existe un protocole de traitement des troubles obsessionnels cardes structures dopaminergiques sont impliques dans ce type de pathologie. Alorsque de nombreuses quipes de par le monde commenaient des essais quelque peuincontrls en matire dapplications psychiatriques, le professeur BENABID ademand lavis du Comit national consultatif dthique, ce qui a amen ensuite

    un contrle des essais thrapeutiques au niveau international. Lquipe duprofesseur Andres LOZANO a dmontr lexistence dune hyperactivit de

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    laire 25 chez des patients atteints de dpression rsistant toute thrapeutique. Lastimulation de cette aire a produit des rsultats remarquables.

    Au-del de ces traitements symptomatiques, des donnes obtenues dansdes modles de maladie de Parkinson chez le rat et le singe laissent penser que

    lutilisation dimplants serait susceptible de sinscrire aussi dans une stratgie demdecine rgnrative. Leffet de la neurostimulation au niveau du noyau sous-thalamique pourrait entraner un ralentissement du processus dgnratif.Lindication de neurostimulation devrait alors tre beaucoup plus prcoce, peut-tre pr clinique, dans lhypothse o lon disposerait de bio marqueurs, ce qui nemanquerait pas de poser des problmes thiques.

    Lapport des micros et nanotechnologies consiste rendre ces dispositifsde moins en moins invasifs, plus efficaces, multifonctionnels, voire plus intgrs la physiologie crbrale. Une exprience de stimulation en trois dimensions est encours Grenoble, elle permet doptimiser les sites de stimulation en fonction de laneuroanatomie dun patient spcifique.

    Lun des gros problmes du traitement des pathologies crbrales tient limpossibilit daccder au tissu pathologique et den raliser le dcryptagemolculaire. Or il a t montr que lon pouvait dtecter des traces de molculessur les lectrodes implantes dans un cerveau parkinsonien. Cest ce qui a conduit llaboration dun implant en silicium permettant deffectuer des biopsies de

    protines ou de molcules sans prlever de fragment de tissu. Ces mmesdispositifs pourront servir la dlivrance localise de mdicaments, si lon intgredans les lectrodes des lments de micro fluidique.

    Enfin, il apparat dsormais possible de mettre le cerveau en interface avecdes ordinateurs. Dans un article publi il y a un an, luniversit du Michiganmontre quun patient paraplgique sur lequel on a implant un micro rseaudlectrodes a la possibilit dapprendre induire une activit crbrale pourcommander un objet distance. Parvenir commander un exosquelette pourcompenser le dficit moteur, telle serait la perspective, pour les personnes atteintesde ce type dhandicap.

    plus long terme encore, plusieurs laboratoires travaillent modliser lescircuits crbraux et les transposer dans un dispositif lectronique susceptibledtre insr dans un cerveau ls par un accident vasculaire ou par la maladiedAlzheimer.

    Les quelques essais cliniques dimplantation dune interfacehomme/cerveau ont rvl un problme majeur de rejet des microlectrodes. Unevoie possible est dinsrer des nanostructures sur ces lectrodes pour amliorerleur action sur les structures neuronales, des analyses toxicologiques sont en

    cours.

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    Une dernire perspective se rapproche de la science-fiction, de lapparitiondun nouvel homme hybride : des nanoparticules magntiques non invasives quelon pourrait guider dans le cerveau. Comme la stimulation magntique a deseffets quivalents la stimulation lectrique, il est permis dimaginer une telletechnologie, qui permettrait un diagnostic, une thrapeutique et un ciblage.

    Les enjeux thiques de ces travaux ont t souligns trs tt. Grenoble,les critiques des dveloppements technologiques possibles, nous ont conduits entrer dans larne . lvidence, les citoyens ont peur, dautant quil existedans lhistoire des erreurs graves : la lobotomie par exemple, qui ne constituaitune indication thrapeutique que pour trs peu de malades, a connu une diffusionincontrle et totalement dpourvue dvaluation.

    M. Alain CLAEYS.

    Avez-vous pris des initiatives pour organiser ce dbat thique ?

    M. Franois BERGER.

    Nous y avons t amens non seulement en raison de la peur des citoyens,mais aussi du fait de la contestation de nos travaux par des organisations lalimite du dbat dmocratique. Les discussions dans des assembles ouvertes ontvite pris une tournure caf du commerce . Selon moi, cest un chec total. Enrevanche, des confrences de citoyens organises en le-de-France depuis unan et plus rcemment en Rhne-Alpes ont donn aux chercheurs la possibilit

    dduquer des citoyens. Il sy est ralis un travail impressionnant qui a dbouchsur des avis thiques.

    Il convient de bien distinguer ltat des lieux, qui rsulte de vingt ans deprocdures trs laborieuses avec, chaque fois, une information du patient et unemise en balance des risques et des bnfices, et les perspectives et les fantasmesque la recherche peut engendrer et sur lesquels il ne faut pas se focaliser.

    Il est galement apparu ncessaire de tenir un dbat thique avec desprofessionnels des sciences sociales. Au plan europen, ce dbat a t organis

    depuis trois ans dans le cadre du rseau dexcellence Nano2Life et de NanoBioRAISE (Nanobiotechnology: Responsible Action on Issues in Society and Ethics).Les changes ont dabord t vifs car la plupart des spcialistes de scienceshumaines partaient du postulat que le cerveau est un sanctuaire et que lon nesaurait le pntrer ou le modifier sans modifier lhumanit elle-mme. Cependant,grce une approche pragmatique permettant ces spcialistes dassister ce quise passait dans le bloc opratoire, il a t possible de conclure que, dans ltatactuel de la mdecine, le sanctuaire que reprsente le cerveau est respect mme silon y place des implants.

    Pour le chercheur, le questionnement thique est obligatoire. Il doit treprcoce et pragmatique et associer des professionnels des sciences humaines. Leclinicien que je suis ne peut cependant que lancer un cri dalarme : attention au

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    principe de prcaution. Trop de rgulation tue linnovation thrapeutique.Lhistoire de la neurostimulation montre quil est possible, dans une socitrgule et dmocratique comme la ntre, dinstituer un accompagnement et unesurveillance efficaces, lesquels sont indispensables. Grenoble, nous mettons en

    place un nouveau projet, Clinatec, (clinique exprimentale utilisant lesnanotechnologies au bnfice des neurosciences), qui sera un site spcifique devalidation des technologies implantes, du diagnostic la thrapeutique.Lobjectif est dacclrer linnovation et les preuves de concept dans lesmeilleures conditions de scurit.

    M. Alain CLAEYS.

    Je vous remercie de cette prsentation, et jappelle maintenant lesparticipants de la deuxime partie de cette table ronde.

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    LHOMME AUGMENT : LES TRANS-HUMAINS, MYTHE OU RALIT ? LANEUROCONOMIE : UNE NOUVELLE