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La transformation de l’attention à l’ère d’Internet @ttention Robin de Mourat / approche philosophique / dsaa dpm / session 2011

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Mémoire de réflexion transversale en soutien au projet "garder le fil"

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La transformation de l’attention à l’ère d’Internet

@ttention

Robin de Mourat / approche philosophique / dsaa dpm / session 2011

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@ttentionLa transformation de l’attention à

l’ère d’Internet

Robin de Mourat Diplôme Supérieur d’Arts Appliqués

Département Design de Produits Mobilier Approche philosophique

Ecole Boulle - Paris

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Table des matières

I.Enjeux et ressorts des transformations attentionnelles p.15

A. L’attention au sens cognitif, une question de choix et de sélection p.16

L’attention est une sélection p.16

L’attention est limitée p.17

L’attention comme « aller-retour » entre volonté et spontanéité p.18

L’attention comme « style cognitif » p.19

B. Les fondements de l’attention p.20

Attention psychique et attention sociale p.20

Un agencement de rétentions et de protentions p.21

Internet, rétention tertiaire p.22

Rétentions tertiaires et attention p.23

Le paradoxe des objets d’externalisation de la mémoire p.23

Pharmacologie d’Internet p.25

C. Trois phénomènes transformateurs de l’attention p.26

Le recours aux robots de requête : instantanéité p.26

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Les appareils d’attention aux flux d’information : flexibilité p.28

Les capacités multi-tâches de l’ordinateur : oscillation p.30

II.Les effets de la transformation de l’attention p.33

A. L’ombre de la surcharge cognitive : une non-formation p.34

L’attention comme ressource rare p.34

Le risque de la surcharge cognitive p.35

Les risques du multitâche p.36

Vers une obésité informationnelle p.37

B. Une métamorphose de l’attention p.38

Une capacité accrue à sélectionner les informations p.38

L’attention appareillée p.39

C. Une dé-formation de l’attention à l’ère de l’instantanéité p.42

Une incapacité à se concentrer longuement p.42

Une destruction de l’attention profonde p.43

L’instantanéité est un effacement p.44

Désinvestissement, pulsion et destruction industrielle de l’attention p.46

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III. Comment former son attention avec Internet ? p.49

A. Retenir la transformation p.50

Restreindre p.50

Compenser p.51

B. Accepter la transformation p.52

Eloge de la distraction p.52

Le « non-focus » comme nouvel état attentionnel p.53

La formation de l’attention par la pédagogie p.56

C. Ajuster la transformation p.58

La question des techniques de soi dans la philosophie antique, et son actualité aujourd’hui p.59

Conclusion p.62

Bibliographie p.66

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«L’Internet reconfigure mon cerveau. Il ne change pas seulement la manière dont je pense. L’influence est bien plus profonde. Elle pénètre déjà mes rêves.”

“Nous l’utilisons pour le stockage de notre mémoire externe, comme une prothèse cognitive, émotionnelle et autorégulatrice. Nous pensons avec l’aide de l’internet, et il nous aide à déterminer nos désirs et nos objectifs. Ses affordances nous infectent, érodant subtilement notre sentiment de contrôle. Nous apprenons à accomplir plusieurs tâches simultanément, notre capacité d’attention est de plus en plus courte, et beaucoup de nos relations sociales prennent un caractère étrangement désincarné»

Thomas Metzinger (2010), philosophe, réponse à la question du magazine Edge « comment l’internet transforme-t-il la façon dont vous pensez ? »

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On pourrait définir l’attention comme la manière qu’a notre esprit de traiter les informations, de « tendre vers » le monde qui se présente à lui. Dans ce cadre, la « formation » de notre attention, c’est la manière dont nos expériences passées conditionnent notre accès présent à ces informations.

Dès les premières techniques d’appareillage de l’esprit que sont la lecture et l’écriture, nous avons formé notre attention en la captant par des objets de transmission de la mémoire tels que les livres.

Or, on sait par la neurobiologie que toute nouvelle expérience modifie la structure synaptique de notre cerveau. Dans un cadre où la pratique des technologies numériques prend une place de plus en plus importante dans notre vie, il est évident que celles-ci ont une place majeure dans la formation contemporaine de notre attention.

Aujourd’hui, Internet s’impose comme un cerveau collectif externalisé, dans lequel tout ce qui a été produit par les internautes est à la fois mémorisé et disponible publiquement. Cela fait d’Internet une formidable base de donnée « hypermnésique », dans laquelle tout un chacun peut naviguer dans la mémoire collective pour peu qu’il dispose d’un ordinateur connecté. Pour faire face à cette profusion d’information, nous avons développé des dispositifs de médiation qui appareillent notre attention, et dont les champions se nomment Google, Twitter, ou Facebook.

Le problème est que l’appareillage de l’attention face à

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Internet pourrait peut-être provoquer sa déformation. De nombreux intellectuels s’inquiètent aujourd’hui des formes d’attention développées par Internet en ce qu’elles seraient superficielles et inconstructives. Nicholas Carr, dans son célèbre article « Est-ce que Google nous rend idiot ? », s’inquiétait de son incapacité à lire des textes intégralement et à développer une réflexion soutenue.

Katherine Hayles, chercheuse en littérature, développe d’ailleurs une théorie sur un « changement cognitif générationnel » dans lequel les nouveaux individus seraient soumis à une « hyper-attention » caractérisée par une oscillation rapide entre les tâches et l’incapacité à faire preuve d’attention profonde. Selon ces personnes, contrairement aux livres qui avaient une fonction de formation, Internet aurait un effet déformateur sur l’attention.

Par ailleurs, la question de l’attention ne relève pas que de l’ordre du psychique. En effet, ce qui est le moteur de l’attention psychique, c’est le désir (ou énergie psychique) et ce désir se fonde sur l’attention sociale, au sens de « prendre soin ». Avec Internet, l’appareil psychique, l’appareil social et l’appareil technologique sont intimement liés dans la formation de l’attention, et la destruction de l’un a des répercussions sur l’autre.

Platon, dans le Phèdre1, se méfiait déjà de l’impact des livres sur les jeunes générations, en évoquant l’externalisation de la mémoire rendue possible par la technologie de l’écriture. D’ailleurs, il qualifiait le livre de « pharmakon », mot signifiant à la fois poison, remède et bouc-émissaire.

Sénèque , comme pour répondre à Platon, enseignait d’abord à ses disciples comment utiliser des techniques telles que l’écriture dans le cadre d’une « culture de soi ». Il avançait que la formation de l’attention par des objets techniques , devait

1- PLATON, Le Phèdre, disponible en ligne sur http://fr.wikisource.org/wiki/Phèdre_(Platon,_trad._Cousin)

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s’accompagner de pratiques favorisant son développement.

Aujourd’hui, à l’heure où notre cerveau est toujours plus appareillé, sommes-nous « condamnés à l’intelligence » comme le pense Michel Serres, ou condamnés à la bêtise, comme l’avance Nicolas Carr ? Comment notre attention est-elle transformée par Internet ? L’appareillage technique de l’attention, qui n’est autre qu’une trans-formation de l’attention, nous mènera-t-il à une métamorphose de l’attention, ou à sa déformation ? Comment former son attention à travers le média Internet aujourd’hui ?

Dans cette optique, ce mémoire se propose modestement d’effectuer un tour d’horizon des transformations auxquelles l’attention des individus est exposée via la pratique d’Internet, puis décline les différents mouvements qui réagissent à ces transformations, pour finalement essayer de cerner le rôle du design dans l’ajustement des technologies numériques vis-à-vis de ce problème.

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I.Enjeux et ressorts des transformations attentionnelles

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A. L’attention au sens cognitif, une question de choix et de sélection

L’attention, c’est d’abord un mot dont on se fait une idée intuitive sans savoir vraiment la définir.

Tout le monde sait que l’attention peut être décrite comme notre niveau de vigilance (faire attention) durant une activité de conduite par exemple. Mais on peut aussi parler d’attention pour décrire une orientation de l’esprit vers un objet particulier (faire attention à), comme le fait le chaland qui pointe tel élément insolite dans la rue. Enfin, l’attention est aussi un état de concentration globale (être attentif) opposé à l’inattention, que l’on expérimente dès notre entrée dans les salles de classe.

Pourtant, toutes ces dimensions, que l’on reconnaît instinctivement grâce à notre expérience, renvoient à des définitions différentes.

On pourrait penser qu’en s’en remettant à la psychologie, et plus particulièrement aux sciences cognitives, le sens de ce mot pourrait s’éclaircir et se réduire à une définition simple et globale. Mais il n’en est rien ! L’attention demeure un concept complexe, protéiforme, et fragile, car c’est une notion transversale qui ne s’applique que combinée à d’autres.

Comme définition de départ, on peut avancer que l’attention est avant tout une fonction cognitive utilisée pour décrire le mode de traitement des informations par l’esprit.

L’attention est une sélection

Selon Théodule Ribot, l’attention peut se décrire comme « la prise de possession par l’esprit d’un objet ou de plusieurs

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qui semblent simultanément possibles »1, ou de manière plus nuancée chez Sigmund Freud, un «accroissement de la représentation»2.

On peut se représenter cette définition par une subdivision des informations qui arrivent à l’esprit (externes, internes, sensoriels ou sémantiques) entre informations « cibles » et informations « distracteurs ».

Dans la tradition de Théodule Ribot, l’attention serait donc la capacité de sélectionner dans les informations qui arrivent à l’esprit ce qui est une cible et ce qui est un distracteur. Ensuite, l’attention a pour rôle d’augmenter la qualité de la représentation des informations cibles et diminuer l’importance des distracteurs qui sont perçus comme du « bruit ».

L’attention est limitée

Il paraît alors évident que prendre possession d’un objet, c’est en délaisser un autre qui reste hors du champ de notre attention. Cela suppose une limitation des capacités de traitement de l’esprit, qui ne peut pas traiter toutes les informations et doit effectuer une sélection.

Le pendant de cette théorie, c’est qu’il peut se produire des phénomènes de « surcharge cognitive ». On peut parler de surcharge cognitive dans le cadre d’un « instant t », à savoir un moment pendant lequel le nombre de cibles est trop grand par rapport aux capacités mentales de l’esprit. On peut aussi parler de surcharge cognitive sur le long terme, et ainsi se rattacher à des données plus physiologiques, comme on le fait dans

1- RIBOT T. (1889), Psychologie de l’attention, éd.L’Harmattan2- FREUD S.,cité par A. LALANDE, in Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, P.U.F, 1985 15e édition p. 94.

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l’éducation en mesurant les « capacités attentionnelles » d’un enfant sur la journée pour calculer pendant combien de temps il peut porter son attention sur des objets d’apprentissage.

L’attention représente un effort, il est donc évident que la «quantité» d’attention que l’on accorde à un objet influe sur une «réserve» attentionnelle que l’on pourrait juger à notre disponibilité mentale et notre repos ou fatigue psychique.

L’attention peut alors être considérée comme une ressource, qui rentre en jeu selon la notion de coût.

L’attention comme « aller-retour » entre volonté et spontanéité

Par ailleurs, l’attention relève de l’intention de porter son esprit sur un objet. Mais elle est aussi affectée par des objets qui n’étaient pas sensés être des objets d’attention pour l’individu. On parle de stimuli.

Ainsi il faut distinguer l’attention volontaire et l’attention spontanée : l’attention volontaire consiste à porter son esprit vers des stimuli plutôt que d’autres afin d’améliorer le traitement de certaines informations.

A l’inverse, l’attention spontanée correspond à l’entrée subite d’un objet dans le champ de l’attention par une prépondérance sensorielle (une pub pop-up vient envahir votre écran, une voiture vous klaxonne dans la rue), ou par l’évocation d’un mot qui «attire votre attention» (comme la fameuse expérience de la «cocktail party» en psychologie, reproduisant ce moment durant lequel vous participez à une conversation bruyante mais êtes instantanément interpellés par la prononciation de votre nom à l’autre bout de la pièce).

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L’attention comme « style cognitif »

Enfin, l’attention peut être conçue comme la forme globale de notre accès aux activités que nous réalisons. Cette dernière définition puise sa source dans des théories récentes anglo-saxonnes1 qui ne relèvent pas exclusivement de la psychologie.

Le «style attentionnel» pourrait se définir selon trois facteurs. Le premier est la sélectivité de l’attention d’un individu, à savoir sa capacité à écarter les objets distracteurs, à faire prévaloir ses intentions sur les stimulations. Le second serait la flexibilité de son attention, c’est-à-dire sa capacité à passer d’une activité à une autre plus ou moins facilement et rapidement. Enfin il faut considérer la perméabilité de l’attention, à savoir la capacité à percevoir globalement les objets d’attention possible.

C’est cette dernière acception de l’attention comme « mode général de traitement de l’information » qui nous intéressera principalement ici.

1- Voir l’article de Katherine Hayles, «Hyper and Deep Attention: The Generational Divide in Cognitive Modes», 2007, http://www.mlajournals.org/

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B. Les fondements de l’attention

Attention psychique et attention sociale

Au-delà de son fonctionnement cognitif, il s’agit maintenant de se demander d’où vient l’attention, ce qui la motive.

Or, assez simplement, on peut dire que l’attention est un investissement de notre énergie psychique, c’est-à-dire de notre désir. En effet, c’est ce désir qui va nous porter à faire attention à un objet plutôt qu’à une autre, en fonction de nos expériences passées et de nos projets pour l’avenir.

Dans ce contexte, il est intéressant de voir que chez Bernard Stiegler1, l’attention psychique ne peut être séparée d’une attention au sens social, au sens de prendre soin. En effet, pour Stiegler, ce qui fonde le désir est ce qui dépasse l’individu, qu’il appelle le transindividuel. La transindividuation, est, chez Stiegler, le processus par lequel un individu se constitue à la fois individuellement (psychiquement) et socialement, comme le membre d’une communauté. Attention psychique et sociale sont donc liées.

On peut par exemple étudier l’attention telle qu’elle s’est formée avec les livres. Dans Prendre soin de la jeunesse et des générations2, Bernard Stiegler montre que l’attention psychique développée par les technologies de l’écriture, consistant à s’imprégner durant une longue période et passivement d’un objet, était formée par une attention sociale à la communauté des lecteurs, c’est-à-dire à une culture commune.

1- philosophe français, directeur de l’institut de recherche et d’innovation du centre Pompidou2- STIEGLER B., 2008, Prendre soin : De la Jeunesse et des générations, éd. Flammarion, col. La bibliothèque des savoirs, Paris

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L’attention psychique est donc formée par une attention sociale, mais l’attention sociale est aussi conditionnée par l’apparition de nouvelles formes d’attention psychique.

Ainsi, l’attention est portée par une énergie psychique qui ne peut être dissociée du social, et on peut se demander comment elle est dirigée vers un objet plutôt qu’un autre.

Un agencement de rétentions et de protentions

Pour expliquer comment l’attention se porte sur un objet plutôt qu’un autre, et le lien qu’a ce choix avec ce qu’on appelle « l’expérience », il est intéressant de faire appel au concept de rétention créé par le père de la phénomènologie Husserl1 et repris récemment par Bernard Stiegler dans le contexte des technologies de la mémoire.

Selon Husserl, notre esprit se constitue sur la base de deux formes de rétentions. Les rétentions primaires correspondent à nos impressions immédiates, à ce qui arrive dans le champ de l’attention et se présente à la conscience. À cela s’ajoute les rétentions secondaires, qui sont pour ainsi dire le souvenir des rétentions primaires, la marque dynamique que laissent les rétentions primaires dans l’esprit.

Prenons un exemple : Quand on écoute une mélodie, la rétention primaire est celle qui retient la note entendue pour la lier à celle qui précède. S’il n’y avait pas cette rétention primaire, nous n’entendrions pas de mélodie, mais simplement une succession de note sans rapport entre elles.

Maintenant, si l’on écoute cette musique après l’avoir entendu plusieurs fois, on appréciera cette musique différemment, parce qu’on l’aura déjà préalablement écoutée. Cette différence dans la répétition constitue une rétention secondaire, qui interprète et modifie les rétentions primaires.

1- philosophe allemand du début du XXème siècle

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Comme on l’a vu, pour Bernard Stiegler, l’attention est un investissement du désir, de notre « énergie psychique ». Mais ce qui motive cet investissement, c’est un agencement de rétentions (c’est-à-dire d’expériences, d’éléments de mémoires) qui se dirige dans le sens d’une protention, c’est-à-dire d’une attente.

Pour illustrer cela, on peut dire que ce qui nous porte à faire le choix de faire attention à ceci où cela, c’est à la fois les expériences que l’on a en tête (rétentions) et les projets que l’on a pour l’avenir (protentions).

Internet, rétention tertiaire

À ce concept, Bernard Stiegler ajoute la notion de rétention tertiaire, qui fait référence en fait à tous les objets qui sont des supports de rétentions primaires et secondaires, donc de mémoire. Les rétentions tertiaires sont ce qui permet de transmettre ses rétentions à d’autres individus, et passent donc par des objets.

Dans notre exemple, la rétention tertiaire serait le disque qui supporte la mélodie écoutée plusieurs fois. Les rétentions tertiaires sont le milieu dans lequel interagissent les rétentions primaires et secondaires. Ces rétentions tertiaires, Bernard Stiegler les appelle aussi epiphylogénétiques, car elles constituent un système de supports de mémoire externes à notre propre corps, et grâce auquel nous nous transmettons une mémoire de générations en générations.

En cela, on peut dire que les premières rétentions tertiaires sont les objets qui ont été créés avec l’invention de l’écriture : tablettes, parchemins, gravures, puis livres. Puis ensuite les objets issus de l’imprimerie qui apportent à ces premières rétentions tertiaires une reproductibilité. Et

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enfin, aujourd’hui, Internet, qui est la rétention tertiaire par excellence, puisque c’est un espace d’externalisation de la mémoire global et instantané.

Rétentions tertiaires et attention

Maintenant, vis-à-vis de l’attention, on voit bien que c’est la question des rétentions tertiaires, c’est-à-dire des objets de mémoire, qui est un agent transformateur. En effet, dans la formation de l’attention, s’agencent en même temps des rétentions secondaires (propres à l’individu) et des rétentions tertiaires (externes).

Pour récapituler ce fondement théorique, il faut donc observer Internet comme une rétention tertiaire qui se couple à l’expérience propre de l’utilisateur pour orienter son attention, qui est elle-même nourrie par le désir. Désir qui, comme on l’a montré, se fonde sur le « transindividuel », c’est-à-dire sur le développement de l’individu en tant qu’esprit individuel, mais aussi en tant que membre d’un milieu social.

Le paradoxe des objets d’externalisation de la mémoire

Ces supports de mémoire permettent d’extérioriser cette dernière et donc en théorie d’avoir plus de «matériau» pour exercer son entendement. Le paradoxe, c’est qu’ils présentent le risque de s’en déposséder.

Les rétentions tertiaires forment l’attention psychique et sociale quand elles œuvrent dans le sens de l’attention sociale (du soin), c’est-à-dire quand elles œuvrent à la transindividuation, au développement de l’individu qui se construit au sein d’une communauté.

Mais elles déforment l’attention quand elles ne s’inscrivent pas

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dans une dynamique de transindividuation, on pourrait dire de développement, et quand elles dépossèdent l’individu de son propre entendement.

Platon ne faisait pas une autre critique quand il démontrait le risque inhérent au livre, en avançant qu’il peut nous dispenser d’user de notre propre entendement :

« Très ingénieux Theuth, tel homme est capable de créer les arts, et tel autre est à même de juger quel lot d’utilité ou de nocivité ils conféreront à ceux qui en feront usage. Et c’est ainsi que toi, père de l’écriture, tu lui attribues, par bienveillance, tout le contraire de ce qu’elle peut apporter. Elle ne peut produire dans les âmes, en effet, que l’oubli de ce qu’elles savent en leur faisant négliger la mémoire. Parce qu’ils auront foi dans l’écriture, c’est par le dehors, par des empreintes étrangères, et non plus du dedans et du fond d’eux-mêmes, que les hommes chercheront à se ressouvenir. Tu as trouvé le moyen, non point d’enrichir la mémoire, mais de conserver les souvenirs qu’elle a. Tu donnes à tes disciples la présomption qu’ils ont la science, non la Science elle-même. Quand ils auront, en effet, beaucoup appris sans maître, ils s’imagineront devenus très savants, et ils ne seront pour la plupart que des ignorants de commerce incommode, des savants imaginaires au lieu de vrais savants. »1

Dans ce texte, Socrate fait une critique de l’écriture qui est notamment nuisible pour l’homme parce qu’elle ne met plus en jeu l’oralité, la pensée en soi-même. Se cache derrière cela une critique de la sophistique, qui fait mauvais usage de l’écriture, pensée comme l’inverse de la philosophie qui est en train de se constituer.

1- op. cit., p.122

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Pharmacologie d’Internet

Platon citant Socrate a cependant une position paradoxale vis-à-vis des livres. Car bien évidemment, son propos n’est pas à proprement parler de critiquer le principe des livres : ce serait contradictoire dans son entreprise qui consiste à coucher sur écrit les dialogues menés par Socrate.

Ce que critique Platon ici, c’est un certain usage du livre comme déformation de l’attention, c’est-à-dire un usage du livre qui remplacerait l’entendement. Mais Platon ne dénigre pas le pouvoir de transmission de la pensée de la technologie de l’écriture, tant qu’elle reste vivante.

Pour exprimer ce paradoxe, il nomme la technologie de l’écriture Pharmakon. Ce mot grec, qui ne trouve pas d’équivalent dans la langue française, était à l’époque pour décrire à la fois les poisons et les remèdes, ainsi que les boucs-émissaires.

Ainsi, un pharmakon est un poison et un remède en même temps, qui dépend de l’usage qu’on en fait. Bernard Stiegler avance que toutes les rétentions tertiaires, qui ne sont autre que des technologies d’enregistrement de la mémoire (il appelle cela des hypomnemata) sont des pharmaka.

En cela, il présente l’enjeu du pharmakon qu’est Internet comme une bataille : celle qui consiste à utiliser Internet pour former son attention au lieu de la déformer.

Il faut donc envisager la question centrale de l’influence d’Internet sur l’attention d’un point de vue pharmacologique, à la fois sous l’angle du poison et du remède.

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C. Trois phénomènes transformateurs de l’attention

Sur cette base psychologique et philosophique, on peut maintenant étudier ce qui forme l’attention dans les nouvelles technologies. On peut le faire à travers trois phénomènes révolutionnaires : l’utilisation des outils de recherche, l’intégration de l’attention dans les flux d’information qui parcourent le Net, et la possibilité de faire plusieurs tâches à la fois avec les technologies numériques.

Le recours aux robots de requête : instantanéité

Le premier phénomène qui modifie notre forme d’attention, c’est l’instantanéité de l’accès à Internet que permettent les moteurs de recherche tels que Google.

Si l’on réfléchit à ce qu’est un moteur de recherche, c’est en fait un appareil qui simule le fonctionnement de notre attention dans l’univers virtuel. En effet, tout comme nous portons notre attention sur tel ou tel point d’un paysage qui se porte devant nous, le moteur de recherche effectue une opération de sélection d’objets pertinents suivant les instructions que nous lui envoyons.

L’objectif affiché de Google serait de permettre à une personne qui pose une question de trouver sa réponse le plus rapidement possible, par le classement des résultats suivant un système de popularité et de mots clés tout d’abord, ensuite, à un degré plus court, par la vitesse de réponse du site.

Les moteurs de recherche, proposent un accès instantané à toutes les productions que l’on peut trouver sur Internet en quelques dixièmes de secondes, pour peu que l’on sache ce que l’on cherche.

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Pour Marissa Mayer de Google, “l’internet a mis l’ingéniosité et la pensée critique à l’avant-garde et a relégué la mémorisation des faits à l’exercice mental ou au divertissement. Par l’abondance de l’information et la nouvelle emphase sur l’ingéniosité, l’internet créé le sentiment que tout est connaissable ou trouvable – pour autant que vous pouvez construire la bonne recherche, trouver le bon outil ou vous connecter aux bonnes personnes. L’internet améliore la prise de décision et une utilisation plus efficace du temps.“1

Ce que transforment les moteurs de recherche dans notre attention, c’est donc qu’ils rendent instantané le rapport à l’information en simulant le fonctionnement de notre attention et en externalisant la mémoire.

Et ce mouvement d’accélération de l’accès aux objets de mémoire continue : à la rentrée de l’année 2010, Google lance une nouvelle fonctionnalité : Google Instant. Le principe de Google Instant est d’afficher les résultats possibles d’une requête au fur et à mesure que l’utilisateur tape son texte.

Cette fonctionnalité s’inscrit dans l’impressionnante myriade d’innovations développées par Google pour exploiter au mieux les fonctionnalités attribuées à ses gigantesques bases de données.

Google Instant est le dernier accomplissement du projet de Google pour ses utilisateurs, à savoir afficher les résultats « avant même que vous n’ayez pensé à chercher », selon les mots de son directeur général Eric Schmidt.

La conséquence pour l’attention des individus est une accélération. Alors que l’attention se fondait sur des processus cognitifs lents tels que la mémoire, celle-ci est simulée et

1- Tiré de l’article Internet actu « Comment l’Internet transforme-t-il la façon dont on pense?», 2010, disponible sur http://www.internetactu.net/2010/02/09/comment-linternet-transforme-t-il-la-facon-dont-on-pense-15-un-reseau-dhumains-et-de-machines-enchevetrees/

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déportée sur un dispositif technologique qui nous permet d’aller plus vite à l’objet de notre attention. Cela implique pour l’Internaute une plus grande flexibilité attentionnelle, c’est-à-dire une capacité à changer souvent d’objets d’attention, mais aussi développe sa capacité à faire des choix à court terme face aux différentes informations qui se présentent à lui.

Les appareils d’attention aux flux d’information : flexibilité

L’autre phénomène qui semble déterminant pour la notion d’attention, c’est le rapport qu’entretient un internaute d’aujourd’hui avec les flux d’information. A la différence d’un livre qui est fixe et statique, l’externalisation de la mémoire qu’est Internet évolue en temps réel, et demande donc un travail de mise à jour constant pour l’attention :

« Si Internet est notre système nerveux collectif, et si le Web est notre cerveau collectif, alors le Flux est notre esprit collectif. Le système nerveux et le cerveau sont comme les strates de fondation hardware et software, mais l’esprit est ce que le système est en train de penser en temps réel. Ces trois couches sont interconnectées, et représentent différents aspects de notre éveil progressif à l’intelligence planétaire. »1

Le concept de flux est rendu possible par l’instantanéité et la plasticité de l’échange d’informations sur Internet, et mène directement à tous ces services de lecture des flux d’information que nous côtoyons, à savoir twitter, les flux RSS, et toutes les dynamiques qui relèvent de fils d’actualités, que ce soit dans la presse, ou dans le domaine des réseaux sociaux.

1- SPIVACK N., « Bienvenue dans le flux : un nouvel âge pour le web », in Marin Dacos (dir.), Read/Write Book, Marseille, Cléo (« Coll. Edition électronique »), 2010, p. 73-79.- URL : http://cleo.revues.org/150

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« Le Flux c’est ce que le Web est en train de penser et de faire, là, maintenant. C’est le flux collectif de notre conscience.

Le Flux c’est l’activité dynamique du Web, qui ne cesse de se produire. Ce sont les conversations, le flux vivant d’audio et de vidéo, les changements qui se produisent sur les sites web, les idées et les tendances, les « mêmes », qui se produisent au travers de millions de pages Web, d’applications et d’esprits humains. »1

Dans un flux, l’attention est bombardée de nouvelles données et doit sélectionner les informations importantes dans ce flux. Cela demande aux individus une grande sélectivité, un pouvoir de décision extrême afin de départager les informations qui sont dignes d’attention et celles qui sont parasites.

Selon Danah Boyd2, être dans le flux signifie aussi « ne pas être un consommateur passif d’informations, ne pas simplement se brancher quand on a le temps, mais plutôt être attentif dans un monde où l’information est partout. Etre ouvert à l’information qui s’écoule autour de soi, la saisir au bon moment, quand elle est la plus pertinente, la plus précieuse, la plus amusante ou la plus riche. Vivre avec, dans et autour de l’information. »3

Mais ce n’est pas tout, car être dans le flux signifie aussi y participer. Toute la complexité de la dynamique d’Internet réside dans son interactivité : pour exister dans le réseau, il faut y participer. Ici le fonctionnement de l’attention psychique se couple avec celui de l’attention sociale, car en fait dans

1- SPIVACK, op. cit2- ethnographe américaine spécialisée dans l’étude des réseaux sociaux3- citation tirée de l’article Internet Actu «Vivre avec, dans et autour de l’information», 2010, URL : http://www.internetactu.net/2010/10/25/danah-boyd-vivre-avec-dans-et-autour-de-linformation/

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Internet, attention psychique et sociale sont liés.

« Le désir d’être un nœud vivant du réseau, une autre façon de dire qu’on veut connecter et être connecté ; ne rater aucune opportunité, aucune information, aucun contact, à tout moment. Etre occupé, connecté, vivant, reconnu, faire attention et être pris en attention. »1

D’un point de vue attentionnel et cognitif, vivre dans les flux demande de jongler entre une grande distractibilité et une flexibilité attentionnelle très forte. Il s’agit de pouvoir se dégager d’un objet d’attention et se réengager d’un autre avec aisance, d’avoir une attention constamment en mouvement entre plusieurs objets d’attention.

Les capacités multi-tâches de l’ordinateur : oscillation

Outre ces deux grandes mutations, la capacité d’un ordinateur à effectuer plusieurs tâches en même temps modifie aussi grandement l’attention de ces utilisateurs, dans la mesure où le fonctionnement de l’outil les incite à eux aussi effectuer plusieurs tâches.

Dans une étude de la Kaiser Family Fondation2 sur les pratiques médiatiques des enfants, les observateurs ont remarqué que 80 % des enfants de plus de 10 ans combinaient la plupart du temps deux ou même plusieurs tâches quand ils utilisaient un ordinateur.

On peut observer ainsi des adolescents tenir huit conversation en même temps sur MSN, tout en écoutant de la musique et en faisant leur devoir.

1- STONE L.. «Linda Stone’s Thoughts on Attention and Specifically, Continuous Partial Attention.», URL: http://www.lindastone.net/2- “Generation M, Media in the Lives of 8-18 Year olds”, 2010, URL : http://www.kff.org/entmedia/upload/Generation-M-Media-in-the-Lives-of-8-18-Year-olds-Report.pdf

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Cette aptitude se traduit en termes attentionnels par une aptitude à alterner très rapidement entre plusieurs activités, et être capable de garder une continuité globale malgré un grand nombre de tâches parallèles.

En réalité, l’esprit est incapable de réellement traiter deux tâches à la fois, ce qui permet de dire que le « multi-tâche » est en fait une oscillation très rapide entre plusieurs objets d’attention.

Ainsi, on voit que la nature et le fonctionnement d’Internet engage de fait des transformations de l’attention, de la manière dont on traite les informations.

Du point de vue de l’attention volontaire, les moteurs de recherche accélèrent l’accès à l’information et nous permettent d’accéder à des objets de mémoire d’une manière beaucoup plus rapide qu’avant. D’autre part, les capacités multi-tâches de l’informatique produisent une forme d’attention oscillatoire qu’on décrira plus tard dans ce mémoire comme une hyperattention, caractérisée par l’alternance très rapide entre plusieurs objets d’attention simultanés. Du point de vue de l’attention spontanée, la dynamique des flux oblige l’internaute à être constamment en alerte et prêt à changer d’objet d’attention afin de rester connecté aux flux.

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II.Les effets de la transformation de l’attention

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A. L’ombre de la surcharge cognitive : une non-formation

Pour reprendre l’enjeu développé précédemment, la question que l’on adresse à la technologie Internet est la suivante : Internet transforme-t-il notre attention dans le sens d’une formation de l’attention comme soin, c’est-à-dire comme développement des individus et des groupes ? ou au contraire la transforme-t-il dans le sens d’une déformation, d’une déconnexion entre l’attention psychique et l’attention sociale ?

En pratiquant les technologies numériques et Internet, nous sommes amenés à modifier nos habitudes de traitement de l’information face à l’immense profusion qu’offre Internet. Les premières inquiétudes à formuler concernent déjà cette profusion en soi, à la quantité d’information que doit traiter un internaute avec son attention quand il est connecté.

L’attention comme ressource rare

En effet, comme on l’a montré au début de ce mémoire, les capacités attentionnelles d’un individu sont limitées. Cette limitation de l’attention se heurte au monde marqué par l’augmentation de la quantité d’informations disponible pour l’utilisateur. Herbert Simon, économiste, l’a démontré par la théorie de la rationalité limitée :

« Chaque organisme humain vit dans un environnement qui produit des millions de bits de nouvelle information chaque seconde, mais le goulot d’étranglement de l’appareil de perception n’admet certainement pas plus de 1000 bits »1

1- SIMON H. Theories of Decision-Making in Economics and Behavioral Science.American Economic Review [en ligne]. 1959, 49, n°3. [consulté le 29 octobre 2009]. p. 253-283. URL : http://www.jstor.org/pss/1809901

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Cela fait de l’attention la richesse de notre époque, car elle est rare :

« Dans un monde riche d’information, le foisonnement d’information implique la pénurie de quelque chose d’autre : une rareté de tout ce que l’information consomme. Ce que l’information consomme est plutôt évident : cela consomme l’attention de ses bénéficiaires. Ainsi la richesse d’information engendre une pauvreté d’attention et le besoin d’allouer cette attention efficacement parmi l’abondance de sources d’informations qui pourrait la consommer »1

Le risque de la surcharge cognitive

L’opposition entre les capacités d’attention limitées des individus et l’infinité d’informations disponibles provoque d’abord un risque de surcharge. La richesse des pages web, les sollicitations multiples de la publicité en ligne, et le principe même de l’hyperlien qui encourage à enchaîner les pages Web, provoque le risque d’une surcharge.

On parle d’ Information Overload pour décrire une situation dans laquelle la multiplication des canaux de communication, la soumission aux flux d’informations, et la possibilité de tout un chacun de produire et de diffuser de l’information.

Depuis le mois de Juin 2008, on a même créé l’Information Overload Research Group2 dont l’objectif non lucratif est de réduire la pollution informationnelle et de combattre la surcharge cognitive.

1- SIMON, op. cit. p 40-412- URL : http://iorgforum.org/

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Les risques du multitâche

Parallèlement au risque de surcharge cognitive dans le temps, un deuxième risque de surcharge réside dans la propension aux activités multitâches qu’on observe dans les nouvelles formes d’attention psychique.

De nombreuses études ont montré qu’on ne pouvait pas faire plusieurs choses en même temps, et que le multitâche entravait l’efficacité cognitive d’un individu. Les prétendues évolutions de l’attention en attention multitâche doivent être prises avec réserve, car cognitivement on a prouvé que la multiplication des tâches entraîne une perte d’efficacité dans une tâche donnée. Quand les gens essayent de faire deux ou plusieurs tâches en même temps ou en alternant rapidement entre elles, le taux d’erreur grimpe et cela prend plus de temps à accomplir que quand on le fait de manière séquentielle, explique le professeur David Meyer, directeur du Laboratoire Cerveau, cognition et action1 à l’université du Michigan.

Pour dire les choses de manière évidente, on est moins efficace quand on fait plusieurs choses en même temps, et si l’on prend l’habitude de toujours faire plusieurs choses en même temps, on risque de ne jamais réfléchir efficacement, et donc de ne pas se construire en tant qu’individu.

Sans lui renier une certaine pertinence, mettre ce mode de fonctionnement mental sur un piedéstal est dangereux.

Linda Stone utilise le terme d’attention partielle continue2 pour décrire un état dans lequel on passe constamment d’une activité à une autre. Elle montre que ces activités conduisent à un état de crise artificielle de stress permanent, qui relève plus de la panique et de la frénésie que de la réelle attention.

1- URL : http://www.umich.edu/~bcalab/2- STONE, op. cit.

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Vers une obésité informationnelle

Ainsi, alors que l’attention se transforme, on peut se demander si son rapport démesuré à l’information ne pose pas un problème vis-à-vis de la limitation de l’attention.

Dans les descriptions que l’on peut trouver sur les transformations de l’attention, ce sont la sélectivité et la flexibilité qui s’accroissent mais les capacités attentionnelles d’un seul individu, son attention en tant que « ressource limitée », elles, ne changent pas.

Ainsi, tel le vent qui empêche un arbre de grandir, on peut se demander si la profusion d’informations qui est à l’origine des nouvelles formes d’attention n’est pas aussi l’agent de sa non-formation. Et si l’extrême sélectivité et oscillation de l’attention contemporaine était une attention avortée, incapable de se développée car soumise à trop d’informations, trop de sollicitations ?

Certains, tels que Christian Morel, vont même jusqu’à parler d’infobésité :

« Si l’information et notre attention sont une matière première, au même titre que le charbon ou le pétrole, il faut reconnaître la valeur de l’activité qui en résulte et les effets néfastes des abus, des excès, des saturations nés des systèmes et des pratiques, notamment numériques. Dans cette infopollution ou nous nous noyons, cette infobésité ou nous surnageons, dans ce temps de L’enfer de l’information ordinaire »1

Chez un obèse attentionnel, l’information a un effet de stress et de fatigue sur lui sans pour autant qu’il la traite, qu’il la fasse entrer dans sa propre expérience, en un mot qu’il forme son attention.

1- MOREL C.(2007), L’enfer de l’information ordinaire, éd. Gallimard, col. Bibliothèque des Sciences Humaines

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B. Une métamorphose de l’attention

Pourtant, cette profusion d’information que l’on a décrit ici, n’est-elle pas justement compensée par les dispositifs de médiation que l’on a décrit précédemment, tels que les moteurs de recherche ou les gestionnaires de flux ? L’attention n’est-elle pas elle-même appareillée ?

Une capacité accrue à sélectionner les informations

Cependant, le problème de l’obésité informationnelle s’accompagne, comme on l’a vu dans la première partie, de mutations de l’attention même, qui devient plus agile, plus rapide et plus oscillatoire.

Notre attention ne peut peut-être pas traiter plus d’informations qu’auparavant, car notre « quantité d’attention » reste la même, mais elle a gagné en sélectivité. Plusieurs études ont démontré que l’utilisation de Google stimulait les aires de la sélectivité de l’attention et de la prise de décision, et cela permettrait peut-être de surmonter le problème de la surcharge cognitive.

Avec l’habitude, on peut supposer que les nouvelles générations seront aptes à sélectionner et choisir très efficacement ce qui est digne d’attention et ce qui ne l’est pas.

Si l’on reprend le modèle théorique mis en place par Bernard Stiegler, nous serions donc à même de traiter cet ensemble d’informations comme des rétentions tertiaires qui forment notre attention et de dépasser le problème de la surcharge cognitive.

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L’attention appareillée

L’évolution de l’attention pourrait même être vue comme un progrès. Le principe des moteurs de recherche, qui simulent notre attention pour arriver directement à l’objet de notre intérêt, pourraient nous permettre d’aller directement à l’essentiel et de porter notre esprit uniquement sur « ce qui compte ».

L’Internet qui se dessine va ainsi encore plus loin dans le projet initial de l’informatique qui était de simuler certaines des fonctions cognitives de l’homme : après la simulation de nos fonctions de calcul, de classement, de mémoire, il s’agit maintenant d’accompagner notre réflexion même à travers de nouveaux outils.

Kevin Kelly, spécialiste des technologies, vantait dernièrement les formidables progrès que nous procure l’équipement cognitif apporté par les technologies numériques, et les présente même dans la continuité des anciennes technologies :

«Quand je fais une longue division ou même une multiplication je n’essaie pas de me souvenir des nombres intermédiaires. J’ai après depuis longtemps à les poser sur le papier. Grâce au papier et au stylo je suis « plus intelligent » en arithmétique. D’une manière similaire je n’essaie plus de me rappeler des faits, ou même où est-ce que j’ai trouvé les faits. J’ai appris à les convoquer sur Internet. Parce qu’Internet est mon nouveau papier et stylo, je suis « plus intelligent » dans les faits.»1

Pour Kevin Kelly, Internet, par l’appareillage qu’il propose, nous permettrait aussi de traiter des problèmes plus gros et plus compliqués. S’il ne faut plus prendre le temps de

1- réponse à la question «Comment Internet transforme-t-il la manière dont vous pensez»posée par le magazine Edge en 2010

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mémoriser, on peut déplacer le travail d’association que l’on faisait dans sa propre mémoire en un travail d’association directement sur le réseau : on réfléchit en profitant des productions « mnésiques » non seulement de soi-même, sans peur de l’oubli, mais aussi de toute la communauté d’Internet. Cela nous permet de régler des problèmes plus complexes, en étant un « niveau » au dessus de ce qu’il nous aurait été possible de traiter sans l’aide des technologies.

Internet, nous libérerait d’ailleurs du « devoir écrasant de se souvenir »1, ainsi que le dit Michel Serres, pour nous permettre d’utiliser dans nos « protentions » (nos projets) uniquement les informations les plus pertinentes et les plus importantes.

Notre attention ne se porterait plus sur des tâches ingrates et irait vers ce qui est « digne d’attention », vers uniquement ce qui compte et qui demande réellement une intelligence humaine.

Il est par ailleurs intéressant de voir que c’est cette même utopie qui animent de grands ténors de l’Internet, tel que le groupe Google : Sergey Brin et Larry Page, les brillants jeunes gens qui ont fondé Google pendant leur doctorat en informatique à Stanford, parlent fréquemment de leur désir de transformer leur moteur de recherche en une intelligence artificielle, qui pourrait être connectée directement à nos cerveaux.

«Le moteur de recherche ultime est quelque chose d’aussi intelligent que les êtres humains, voire davantage [...] Pour nous, travailler sur les recherches est un moyen de travailler sur l’intelligence artificielle »2

Dans un entretien de 2004 pour Newsweek, Brin affirmait : “Il est certain que si vous aviez toutes les

1- tiré de l’article «Notre cerveau se démuscle», magazine Clés, Février-Mars 20112- Déclaration de Larry Page lors d’une conférence

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informations du monde directement fixées à votre cerveau ou une intelligence artificielle qui serait plus intelligente que votre cerveau, vous vous en porteriez mieux.” L’année dernière, Page a dit lors d’une convention de scientifiques que Google “essayait vraiment de construire une intelligence artificielle et de le faire à grande échelle.”

Ainsi, alors que l’ombre de la surcharge cognitive pèse sur l’utilisation d’Internet, la mutation de l’attention serait peut-être l’un des agents d’une transformation globale de l’être humain en « quelque chose de plus intelligent ». Appareillée par les outils de recherche et de mémorisation que proposent les services en lignes, notre nouvelle forme d’attention rapide et agile serait une adaptation à ce nouveau système, et nous permettrait d’aller un peu plus loin dans notre transindividuation, dans la poursuite de notre développement en tant qu’individus et en tant que société.

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C. Une dé-formation de l’attention à l’ère de l’instantanéité

Une incapacité à se concentrer longuement

Pourtant, alors qu’un nouvel âge s’annonce grâce à ces technologies d’appareillage de l’attention, nombreux sont les individus qui critiquent la tournure que prend cette transformation de l’attention.

La critique majeure, eu égard aux anciens médias qui captaient notre attention tels que les livres, est que la rapidité et l’instantanéité des activités sur les réseaux nous empêchent de les inscrire dans un processus de pensée.

Nicholas Carr, dans un article intitulé « Is Google Making Us Stupid ? »1, décrivait avec justesse qu’il avait l’impression d’avoir une attention différente depuis qu’il était passé, dans sa pratique d’écrivain, d’une pratique majoritaire des livres et du papier, au monde des écrans :

«Ces dernières années, j’ai eu la désagréable impression que quelqu’un, ou quelque chose, bricolait mon cerveau, en reconnectait les circuits neuronaux, reprogrammait ma mémoire. Mon esprit ne disparaît pas, je n’irai pas jusque là, mais il est en train de changer. Je ne pense plus de la même façon qu’avant. C’est quand je lis que ça devient le plus flagrant. Auparavant, me plonger dans un livre ou dans un long article ne me posait aucun problème. Mon esprit était happé par la narration ou par la construction de l’argumentation, et je passais des heures à me laisser porter par de longs morceaux de prose. Ce n’est plus que rarement le cas. Désormais, ma

1- CARR N. (2008), «Is Google Making Us Stupid», Atlantic Magazine Juillet-Août 2010

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concentration commence à s’effilocher au bout de deux ou trois pages. Je m’agite, je perds le fil, je cherche autre chose à faire. J’ai l’impression d’être toujours en train de forcer mon cerveau rétif à revenir au texte. La lecture profonde, qui était auparavant naturelle, est devenue une épreuve.» 1

Nicholas Carr présente ce changement comme une perte, car pour lui la construction et l’intériorisation de ses lectures passaient avant tout par une lecture longue et approfondie. Il associe une certaine lenteur des mouvements attentionnels à la profondeur de sa réflexion. Selon lui, les livres attirent notre attention et nous isolent de la myriade de distractions qui remplissent la vie quotidienne, alors qu’un ordinateur en réseau est conçu pour disperser son attention.

Une destruction de l’attention profonde

Katherine Hayles, dans un article devenu célèbre intitulé « Hyper and deep attention : the generational divide in cognitive modes »2, présente une théorie selon laquelle les nouvelles générations sont soumises à un changement générationnel dans leur manière d’appréhender le monde via les médias.

Katherine Hayles définit deux formes d’attention qu’elle distingue par leur durée et leur sélectivité. La deep attention ou attention profonde consiste à porter son attention sur une activité donnée pendant un temps long et en évacuant tous les distracteurs, et se développe par des activités telles que la lecture de livres. L’hyperattention consiste à osciller rapidement entre plusieurs objets d’attention et se laisser facilement distraire.

1- CARR, op. cit.2- HAYLES, op. cit.

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Selon elle, la deep attention se développe et se forme à travers les activités qui relèvent des humanités et en premier lieu de la lecture, alors que l’hyperattention se forme au contact des nouvelles technologies.

Pour reprendre les définitions de l’attention en tant que sélectivité développées dans le préambule de ce mémoire, l’hyperattention de Hayles est une incapacité à sélectionner et délimiter correctement les cibles et les distracteurs durant une activité de l’ordre de la construction de soi, telle qu’une activité de lecture ou une phase de travail.

Cette incapacité à faire preuve d’une attention profonde est très problématique pour Hayles, qui est par ailleurs enseignante, car elle considère que seule l’attention profonde est propice aux apprentissages et à une authentique réflexion.

D’autre part, elle avance que cette hyper-distractibilité se rapproche pour beaucoup dans ses symptômes de l’hyperactivité. Ainsi les nouvelles technologies développeraient une hyperactivité chronique.

L’instantanéité est un effacement

Ceci fait d’ailleurs écho au travail de Paul Virilio qui, lui, exerce une critique globale de la machine. Le rythme effréné qu’elle impose à l’humain, à l’image de la succession frénétique de sollicitations auxquelles est obligé de répondre un utilisateur sur Internet, est l’agent de sa disparition et de sa déconnexion du monde.

Dans Esthétique de la disparition1, Paul Virilio décrit le phénomène de picnolepsie, forme d’épilepsie légère qui consiste à avoir des moments d’absence dont on ne se souvient pas. Pour se représenter ce qu’est la picnolepsie, on peut

1- VIRILIO P.(1989), Esthétique de la disparition, éd. galiliée, col. L’espace critique, Paris

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se représenter ces moments d’absence que nous avons tous vécu face à un écran tel que celui de la télévision ou de notre navigateur Internet, réalisant au bout d’un certain temps que nous ne nous rappelons pas exactement de ce que nous avons fait ou vu.

Chez le philosophe Thomas Metzinger, on retrouve une description du même phénomène, qui, à la question « Comment Internet transforme-t-il la façon dont vous pensez ? »1, avait répondu :

« La conscience est l’espace de l’agencement de l’attention (…). En tant qu’agent d’attention, vous pouvez initier un changement dans l’attention et, pour ainsi dire, braquer directement votre lampe de poche intérieure vers certains objectifs (…). Dans de nombreuses situations, les gens perdent la propriété de l’agencement de l’attention, et par conséquent leur sentiment de soi est affaibli. (…) »

La thèse de Virilio est que la pratique des machines nous rend tous picnoleptiques, dans le sens où le décalage entre la vitesse qu’elles imposent et notre propre rythme crée en nous un « décrochage » qui, peu à peu, nous rend un peu plus absents à nous-mêmes.

Cela pose de graves problèmes existentiels relatifs à la notion de conscience même, qui disparaîtrait sous l’effet d’un dépassement par la machine.

Le phénomène picnoleptique est très proche de ce que décrit Katherine Hayles : une instantanéité et un temps réel qui nous empêchent de construire une authentique attention, et nous conduit à une forme d’effacement de la conscience.

Entre hyper-attention et picnolepsie, c’est en fait un désinvestissement et une disparition de l’esprit face à la

1- op. cit., disponible sur http://www.edge.org/q2010/q10_index.html#metzinger

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machine Internet que l’on peut craindre.

Désinvestissement, pulsion et destruction industrielle de l’attention

Par ailleurs, la thèse développée par Katherine Hayles autour de l’hyperattention est d’autant plus inquiétante qu’elle révèle un certain moteur pulsionnel de l’attention contemporaine.

Là où l’attention formée par un usage raisonné des livres relevait d’un investissement du désir, d’un projet psychique et collectif, l’hypersollicitation que génèrent les nouveaux médias transforme l’attention en réflexe, et la fonde sur des pulsions qui poussent l’utilisateur à successivement porter son attention sur telle ou telle chose.

L’enjeu économique qui se cache derrière l’attention, non développé dans ce mémoire, a d’ailleurs beaucoup à voir dans ce problème. En effet, les processus attentionnels qui qui forment l’attention sur Internet et que l’on a présentés précédemment sont parasités par enjeux économiques qui détournent et canalisent l’attention des internautes vers des objets d’achats. Le danger de cette réalité, c’est justement qu’un investissement du désir se déplaçant sur un objet de consommation se réduise à l’état de pulsion, et détruise l’attention véritable.

La dualité de l’entreprise Google est d’ailleurs édifiante à ce propos, puisque l’on sait que son moyen de gagner de l’argent repose sur la publicité, et qu’une partie de leur savoir-faire informatique est utilisé afin de développer des algorithmes de « profilage » permettant de proposer une publicité toujours plus adaptée aux pages que l’on a visitées ou que l’on est en train de visiter.

Le paradoxe de Google réside dans le fait que le moteur de recherche doit être assez efficace pour que vous trouviez ce

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que vous cherchez, et donc vous amener vers un possible processus de «transindividuation», mais également être assez efficace pour que vous vous en détourniez afin de contenter les annonceurs qui financent Google.

Dans ce contexte, l’hyperattention de Hayles peut être définie comme une pratique pulsionnelle, alors que l’attention profonde relève d’un investissement du désir. Si l’hyperattention se généralise, c’est la pulsion qui prend le pas sur le désir.

Stiegler de nouveau, montre que l’exploitation industrielle du désir entraîne sa transformation en pulsion, et donc sa destruction. Il va même jusqu’à parler de « destruction industrielle de la conscience »1.

Entre non-formation, métamorphose et déformation, les transformations induites par la pratique d’Internet posent donc problème. En fin de compte, vis-à-vis de la dimension libidinale et culturelle des fondements de l’attention, on voit bien que l’enjeu majeur de l’attention relève de la dynamique dans laquelle on inscrit cette transformation. Peut-elle être inscrite dans une dynamique de transindividuation ou est-elle condamnée à désinvestir et effacer les individus? Comment réagir face à ces mutations que l’on observe particulièrement chez les plus jeunes générations? Faut-il refuser ces transformations? S’y adapter en les acceptant? Peut-être faudrait-il, pour leur donner du sens, les accompagner d’autres transformations, sociales, pédagogiques et intellectuelles?

1- STIEGLER, op. cit.

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III. Comment former son attention avec Internet ?

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A. Retenir la transformation

Restreindre

Que faire face aux transformations attentionnelles convoyées par internet ? Beaucoup préconisent de les restreindre par des techniques de restriction personnelle.

De nombreux psychologues, comme Serge Tisseron, préconisent avant tout « d’apprendre à arrêter les machines »1. De s’astreindre à ne pas toujours rester connecté, à ne pas regarder ses mails plus de quelques fois par jours.

Ce mouvement de déconnexion s’appuie même sur des études scientifiques et de nouveaux mouvements de pensée. Courant mai 2010, 5 neuro-scientifiques américains ont passé 3 jours à camper et à faire de la randonnée. L ‘idée était de mettre en évidence les changements qu’induisent la connexion permanente au réseau des réseaux.

Au bout de 3 jours de rafting et de randonnée, petit à petit, les vacanciers sont parvenus à se détendre, cessant de vérifier continuellement le téléphone qu’ils n’avaient plus dans la poche.

David Strayer expliqua à la suite de cette expérience que les voyageurs connaissent une phase de détente appelée le syndrome du troisième jour. Sans savoir très bien comment ces courtes vacances ont eu un impact sur le cerveau, l’ensemble des participants est tout de même prêt à recommander à tout le monde de faire une petite pause de temps à autre. “Nous prescrivons bien de l’aspirine sans en connaître le mécanisme exact”, écrit Art Kramer, participant.

Aux Etats-Unis, on a même récemment inventé le principe

1- tiré du magazine Clés, op. cit.

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des « neurovisites », balades organisées en milieu urbain pour entretenir son cerveau via l’observation et le jeu.

Se développent ainsi de nouvelles sciences psychologiques de la déconnexion, comme l’écopsychologie, qui étudient le rôle de la nature dans la formation d’une attention focalisée et dans l’efficacité intellectuelle.

Compenser

Une autre stratégie consisterait à compenser les « transformations psychiques » d’Internet par des exercices d’entraînement cérébral.

Depuis le début de notre siècle, les logiciels d’entraînement se sont prodigieusement développés, tel le célèbre « Programme d’Entraînement Cérébral du Dr Kawashima : Quel Age a votre Cerveau ? » disponible sur la console Wii. Ils promettent de réinstaurer votre mémoire, vos capacités mentales, et même, pour ce qui nous concerne, votre capacité à vous concentrer.

Au regard de la complexité psychosociale de l’attention, on ne peut qu’être sceptique face à ce type de démarches. Penser qu’on peut entraîner une partie de son cerveau, c’est simplifier son fonctionnement, surtout à propos de l’attention. À l’image de la propagation des salles de sport qui démontrent le mal-être corporel de nos sociétés, le développement de ces logiciels d’entraînement ne peut avoir qu’une valeur d’indicateur symptomatique de notre mal-être psychique.

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B. Accepter la transformation

On a démontré que les stratégies de restriction de l’usage des nouvelles technologies n’étaient pas vouées à un avenir très constructif, et par ailleurs que les stratégies qui tentaient d’en compenser les transformations n’étaient qu’une triste conception de l’esprit en tant que « machine à entraîner » qui dénote en fait un certain état d’esprit consumériste qui consiste à réfléchir en termes binaires, tel l’équation « manque d’attention = entraîner l’attention ». La vraie question est : pourquoi ne maîtrisons-nous pas ces nouvelles technologies? Qu’avons-nous vraiment peur de perdre en les utilisant intensivement ?

Eloge de la distraction

Tout d’abord, alors que les cassandres de l’attention pleurent la perte de l’attention soutenue, il serait intéressant de considérer que la distraction est un élément déterminant dans la réflexion individuelle, comme se le représentait déjà Proust avec sa madeleine ou tel grand scientifique faisant une découverte cruciale en faisant tout autre chose. Sam Anderson, acteur et écrivain écrivait dans un article du New York Magazine « Proust avait à abandonner les contraintes de la mémoire volontaire pour atteindre une vérité plus profonde, accessible uniquement par la distraction. »1

La distraction semblerait même être ce dont se nourrit d’une certaine manière l’attention. Dans « Peut-on mesurer les bénéfices de la distraction ? », Hubert Guillaud explique : « l’exercice devient rapidement celui de votre capacité à

1- tiré de l’article Internet Actu «Peut-on bénéficier des bénéfices de la distraction», Hubert Guillaud, URL: http://www.internetactu.net/2009/05/27/sommes-nous-multitaches-22-peut-on-mesurer-les-benefices-de-la-distraction/

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organiser des distractions autour d’un point central ».

Ainsi Sam Anderson, dans son article traitant de la distraction, montre comment la fenêtre Twitter ouverte pendant qu’il écrivait ce même article, pouvait tour à tour perturber ou au contraire enrichir ses propos, dans une dynamique associative.

Le « non-focus » comme nouvel état attentionnel

La distraction, comme vagabondage de l’esprit entre des objets épars, peut aussi être conçue comme la volonté de ne faire aucune sélectivité et de s’interdire de porter son intention sur un point quelconque, tel que peut le faire un usager devant un compte twitter, pour laisser apparaître des associations heureuses autour desquelles l’attention se forme spontanément et sans contrainte.

Il est à ce propos intéressant de voir que dans la culture orientale, l’attention est perçue dans un sens tout à fait différent du notre.

Dans un de ses discours, le grand maître bouddhiste U Silananda explique :

« L’attention - Sati - est comme un gardien. Quand le gardien est présent personne ne peut pénétrer. Aussi, tant que l’attention est présente aux portes de nos sens, notre esprit reste pur. Aucun état mental négatif ne peut pénétrer dans notre esprit. Quand nous perdons notre attention et que nous ne sommes plus attentifs, toutes les impuretés mentales s’infiltrent dans notre esprit. Être attentif est la seule façon de garder notre esprit pur, c’est d’ailleurs un des huit facteurs du noble octuple sentier et le seul moyen pour purifier son esprit.»1

1- extrait d’un discours du maître U Silananda, URL : http://vipassanasangha.free.fr/t05_attention.htm

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Ainsi dans le bouddhisme l’attention n’est pas vue comme la faculté de sélectionner et augmenter certaines capacités psychiques plutôt que d’autres, mais plutôt comme la faculté de n’en sélectionner aucune particulière et de se focaliser sur ce que nous renvoient nos sens dans leur ensemble.

L’attention bouddhiste est ainsi à la fois une barrière et une ouverture, un moyen de laisser couler toutes ses pensées et toutes ses perceptions pour n’en sélectionner aucune et ainsi être dans une ouverture totale au monde.

Il est intéressant de voir que cette conception de l’attention recoupe de manière intéressante le concept d’ « attention flottante » utilisé par l’inventeur de la psychanalyse, Sigmund Freud. L’attention flottante, technique utilisée par le psychanalyste, consiste à ne pas sélectionner ou juger les paroles du patient afin de faire émerger des significations enfouies. L’objectif n’est manifestement pas le même que pour le bouddhiste, mais ce type d’attention non-focalisée ressemble étrangement à ce que décrivent les techno-optimistes qui chantent les nouvelles formes d’attention.

Cette conception de l’attention très loin de nos esprits occidentaux, rejoint une théorie très actuelle issue d’une techno-optimiste américaine, Danah Boyd, qu’on peut figurer sommairement au moyen de cette citation :

«ceux qui sont passionnés par des réseaux sociaux comme Twitter disent à quel point ils se sentent vivre et respirer au même rythme que le monde qui les entoure, attentifs à ce qui se passe autour d’eux et connectés, ajoutant du contenu au flux et saisissant dans le flux quand ça les intéresse»1

Et si les nouvelles générations incarnaient un nouveau

1- tiré de l’article Internet Actu «vivre avec, dans et autour de l’information», op. cit.

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rapport au monde fait d’une ouverture totale aux canaux de l’information ? Pour les théoriciens de l’acabit de Boyd, l’attention du futur ne sera plus un « coup de projecteur » mais un filtrage parmi l’énorme quantité d’information parvenant aux consciences, une sorte de cohabitation et de respiration conjointe avec le flux de l’information. On peut faire un parallèle intéressant à ce titre avec la méditation bouddhiste, puisque les deux ont en commun une conception passive mais ouverte de l’attention qui contraste avec les schémas existants.

Aux Etats-Unis ou en France avec des philosophes tels que Michel Serres, on objecte aux inquiétudes de certains que la libération du devoir d’attention soutenue, qui en fin de compte consiste à ingurgiter passivement ce que d’autres ont fait avant nous, amènera aux nouvelles générations une créativité et une agilité mentale hors du commun à laquelle on ne pouvait pas prétendre avant Internet.

Ce qui se dessinerait, c’est un monde d’individus continument connectés mais ni stressés ni effrayés par la masse d’informations qui leur arriverait à tous les instants. Ces individus réussiraient à combiner une extrême ouverture attentionnelle (une distraction) et une sélectivité d’acrobate leur permettant de piocher des informations éparses et de les assembler de manière sensée dans un mouvement fluide.

Sam Anderson résume très bien ce rêve :

“Les enfants qui grandissent aujourd’hui pourraient avoir un génie associatif que nous n’avons pas – de manière à ce que dix projets s’inscrivent tous dans quelque chose de totalement nouveau. Ils pourraient être en mesure de s’engager dans d’apparente contradiction (qui pourraient ne pas en être). Peut-être, dans les rêves de leur irresponsable responsabilité, ils réussiront à atteindre le paradoxal état de zenitude de la distraction attentive.”1

1- ANDERSON S.(2009), «In defense of Distraction», New York Magazine

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La formation de l’attention par la pédagogie

Outre ces suppositions sur l’éclosion d’une nouvelle forme d’attention adaptée à un monde baigné d’information et d’intelligence collective, il est évident que les institutions en charge de la formation de l’attention sociale, telles que l’école, doivent prendre acte de ces mutations.

En fin de compte, la formation de l’attention a relevé auparavant de la pédagogie et celle-ci devrait s’actualiser aujourd’hui pour correspondre aux pratiques de notre époque.

Bernard Stiegler d’ailleurs montre très bien que le projet initial de l’école était de former l’attention sociale (de préparer à la majorité) par l’intériorisation d’une forme d’attention psychique, basée sur l’écoute et sur la lecture. C’était en formant une certaine forme d’attention psychique qu’on formait une attention sociale, qu’il nomme critique en se référant aux travaux de Kant dans le livre Qu’est-ce que les lumières. L’attention sociale se formait par le passé, par la lecture et l’écriture des livres, qui constituent en fin de compte le liant de notre culture et de notre sentiment de société.

On a bien vu qu’à l’heure de l’interactivité et de l’instantanéité des échanges d’informations, ce modèle n’a pas encore trouvé les moyens de se renouveler.

Aujourd’hui, à l’heure de l’attention appareillée par le numérique, il faudrait peut-être se lancer dans une réforme de ce principe attentionnel. Le projet de pédagogues tels que Howard Rheingold1, dans ce sens est de canaliser les nouvelles formes d’attention, en réinscrivant les moments d’inattention dans un processus d’attention.

Pour ce faire, il divise sa classe en plusieurs groupes : à l’un

1- enseignant et chercheur en pédagogie américain, URL : http://www.google.fr/search?q=howard+rheingold&ie=utf-8&oe=utf-8&aq=t&rls=org.mozilla:fr:official&client=firefox-a

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il demande de l’écouter, à l’autre de prendre des notes, à un autre de discuter via Twitter du cours en train de se faire. Et il change les rôles et les périodes assez souvent.

Pour Rheingold, l’attention est avant tout une compétence qu’il faut entraîner, pour inscrire les différentes formes d’attention psychique dans une attention globale aux apprentissages. On pourrait s’essayer à décrire ce que serait la partie « attention » du fameux socle commun des connaissances :

• Compétence 1 : la polyvalence attentionnelle - Tout individu devrait pouvoir faire preuve d’attention courte et d’attention longue, et différencier ces deux états psychiques.

• Compétence 2 : la mobilité attentionnelle - Tout individu devrait être capable de décider de changer de forme attentionnelle quand il le souhaite et librement

• Compétence 3 : l’intentionnalité de l’attention - Tout individu devrait savoir utiliser son attention dans un but et être capable d’expliquer dans quelle phase il se trouve.

L’approche de Rheingold, très anglo-saxonne, est bien sûr un peu « simpliste » vis-à-vis de ce qu’est vraiment l’attention. Parce qu’il considère l’attention comme un « muscle » à entraîner, alors que l’on a vu auparavant que les fondements libidinaux de l’attention la lient profondément avec la question du désir et donc du social. De simples exercices d’agilité mentale ne suffisent pas.

Mais son projet global semble censé : réactualiser les pratiques de formation de son attention sociale (comme la pédagogie) au regard des nouvelles technologies.

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C. Ajuster la transformation

Finalement, ces différentes approches relèvent toutes de réactions diverses au grand bouleversement technologique que nous vivons.

On a vu que pour certains la transformation de l’attention induite par Internet ouvre de nouvelles perspectives à l’esprit humain, alors que pour d’autres elle est le signe de la disparition d’une attention profonde et constructive, indispensable à la construction des individus et du social.

Christian Fauré, dans Pour en finir avec la mécroissance, présente les désordres et les inquiétudes actuelles comme un désajustement entre la sphère du technologique et les sphères du social et du psychique.

“Quand un nouveau système technique se stabilise, arrive à une certaine maturité, il provoque des désajustements sociologiques, économiques et politiques avec l’ancien système technique.”1

Les technologies du livre, par exemple, en ouvrant un espace critique de réflexion grâce à l’imprimerie, furent l’agent de grands bouleversements politiques tels que la Réforme, mais ne trouvèrent une forme d’attention sociale stable et déterminée qu’à partir du XVIIIème siècle, à travers l’idée de pensée critique consistant à écrire pour un public de lecteurs, tels que le présente Emmanuel Kant dans « Qu’est-ce que les lumières »2.

L’apparition d’Internet, pourrait-on dire, produit d’abord un désajustement psychique face auquel l’attention sociale dans le sens du lien, de la culture qui nous unit tous, a perdu ses repères et ses fondements. Il s’agit donc de réajuster ces

1- FAURé C., GIFFARD A., STIEGLER B.(2009), Pour en finir avec la mécroissance, éd. Flammarion, p. 2592- KANT E., Qu’est-ce que les lumières, ed. Hatier

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technologies dans le sens d’une attention psychique et sociale, tel que c’est déjà le cas par exemple avec les mouvements collaboratifs qui tentent de réinstaurer un espace d’attention collective.

Le défi de ce réajustement sera d’intégrer les nouvelles formes d’attention psychique qui se caractérisent par leur instantanéité et leur versatilité, dans un processus constructif de transindividuation, pour reprendre les mots de Stiegler.

La question des techniques de soi dans la philosophie antique, et son actualité aujourd’hui

Pour envisager l’intégration de ces nouvelles formes d’attention dans des processus de « développement », il serait peut-être intéressant de se tourner vers le passé.

Il est intéressant de voir que la question de la « formation de soi » via les technologies est abordée depuis l’antiquité, et réactualisée par Foucault en 1983 sous l’appellation de « techniques de soi »,dans le cadre de ses travaux autour du « souci de soi » ou epimeleia.

On retrouve la réflexion sur les techniques de soi déjà chez le philosophe Sénèque, qui enseignait à ses disciples, plutôt que des vérités, des techniques de développement de leurs pensée fondées sur des pratiques concrètes, comme par exemple à propos de la lecture et de l’écriture :

« Il ne faut ni se borner à écrire, ni se borner à lire : car l’un amène la tristesse et l’épuisement (je parle de la composition) ; l’autre énerve et dissipe. Il faut passer de l’un à l’autre, et qu’ils se servent mutuellement de correctif : ce qu’aura glané la lecture, que la composition y mette quelque ensemble. »1

1- SENEQUE, Lettre LXXXIV à Lucius

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Les techniques de soi, dans leur définition antique, correspondaient à des activités bien spécifiques, telles que la lecture, l’écriture, la déambulation ou la méditation.

L’art de lire de Sénèque s’appuiait sur des hypomnemata, des aide-mémoire, individuels ou collectifs, le plus souvent sous forme de tablettes. Sénèque conseille de recopier sur ces tablettes des extraits des textes lus, de les classer, et de bien les « digérer « afin de les faire passer « dans notre intelligence, non dans notre mémoire ».

L’objectif des techniques de soi était de se former à travers des pratiques qui associaient d’une certaine manière la formation de notre attention psychique et de notre attention sociale, dans une dynamique d’enrichissement mutuel.

Aujourd’hui, le média Internet et les technologies numériques questionnent les pratiques de soi par le passage en réseau de la lecture, par le rapport à la mémoire induit par les moteurs de recherche, et par la question de l’interactivité que permet ce nouveau média.

Sur quoi s’appuieront les techniques de soi de notre époque ? Les formes actuelles d’Internet suffisent-elles à développer une attention constructive ? Dans la dynamique de formation et de développement de l’esprit, les formes d’attention développées par le livre sont-elles à oublier dans le monde numérique ? Comment encourager des pratiques qui relèvent de la « culture de soi » chez les nouvelles générations, plus que jamais marquées par ce que Katherine Hayles a nommé l’hyperattention ?

Ce sont toutes les questions auxquelles il faudra tenter de répondre à travers le projet « Garder le fil », décrit dans le mémoire de projet ci-joint.

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Conclusion

On a donc montré que la transformation de la fonction cognitive «attention» par l’utilisation d’Internet s’accompagne d’enjeux sociaux et individuels de la plus haute importance. Ce qui est en jeu dans la formation de l’attention, c’est le développement d’une attention comprise au sens d’un soin (faire attention à), soin d’eux-mêmes et soin des autres.

Dans ce contexte, on a vu que la transformation de l’attention, qui consiste en une accélération et une sélectivité accrue dans notre rapport à l’information que nous parcourons via Internet, induit le risque d’une surcharge cognitive stérile, mais nous ouvre aussi de nouvelles opportunités intellectuelles, maintenant que notre esprit est plus appareillé que jamais. On a vu aussi que cette forme d’attention en soi suscitait des inquiétudes, en ce qu’elle priverait l’esprit d’une attention profonde permettant de se construire authentiquement. Nous avons à cette issue découvert que le vrai problème de l’attention se situe dans le désir, c’est-à-dire dans l’inscription des nouvelles formes d’attention dans un processus qui relève du désir et non de la pulsion. Cela appuie la thèse selon laquelle Internet, tout comme l’a été le livre avant lui, est le pharmakon de notre époque, c’est-à-dire à la fois son poison et son remède.

Nous avons examiné les différentes postures qui naissaient en ce début de décennie face à la transformation de l’attention. Contrastées et trop récentes pour pouvoir en exprimer un jugement univoque, on en retient le besoin d’ajuster des technologies qui ne font pas sens d’elles mêmes, en les tournant vers ce que Michel Foucault à appelé des « techniques de soi », pratiques séculaires qui participent au développement de l’esprit, et qu’il s’agit de réactualiser.

Face à cette question, la place du designer, médiateur entre l’homme et les technologies qu’il a créées, est pleine de

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responsabilité. On la formulera ainsi vis-à-vis de l’attention : il s’agit d’ajuster les technologies numériques pour inventer de nouvelles « techniques de soi » au lieu de développer des pratiques pulsionnelles.

Dans l’époque de révolution technologique permanente que nous vivons, le débat est loin d’être clos, et de nouveaux réajustements seront sans doute nécessaires tout au long de notre époque.

Nous n’allons cesser d’être de plus en plus connectés grâce aux terminaux mobiles et aux réseaux sociaux virtuels qui se maillent et s’étoffent au fil du temps, transfigurant notre rapport aux autres et au temps. D’autre part, les interfaces hommes/machine toujours plus tactiles, visuelles, sonores, peut-être un jour haptiques et olfactives, alimenteront le problème de la surcharge cognitive et de la place de l’attention volontaire dans notre rapport aux médias.

Enfin, c’est aussi la notion d’attention sociale qui va être un jour requestionnée quand l’interconnexion passera à un stade supplémentaire avec l’apparition des interfaces mentales entre hommes et machines (et donc, à terme, entre hommes et réseaux tels qu’Internet).

Entre utopie et cauchemar, quand l’heure viendra d’une attention collective et partagée par tous les esprits dans un grand cerveau global fait d’hommes et de machines enchevêtrés, il faudra plus que jamais considérer les nouvelles technologies d’un regard optimiste mais critique, sans jamais sous-estimer le pouvoir transformateur qu’elles ont et ont toujours eu sur nos esprits.

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« D’ici 50 ans, la communication directe depuis nos neurones va rendre la réalité virtuelle plus réelle que la perception sensorielle traditionnelle. “L’information et l’expérience pourraient être échangé entre notre cerveau et le réseau sans aucune action consciente.” Tant et si bien qu’un jour toutes les connaissances et expériences seront partagées universellement et que la notion d’individu ne sera qu’un moment d’une attention particulière de chacun… »

Hubert Guillaud pour Internet actu, « la grande question de l’attention »

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Bibliographie

Ouvrages

CARR N., (2010) The Shallows : What the Internet is Doing tu Our Brains, WW Norton & Co.

CHOKRON S., (2009) Pourquoi et comment fait-on attention?, Le Pommier, Paris

FAURé C. , GIFFARD A., STIEGLER B. (2009) Pour en finir avec la mécroissance, Flammarion, Paris

HUSSERL E., (1912) Phénoménologie de l’attention, Vrin

KANT E., (1784) Qu’est-ce que les lumières?, Hatier

MOREL C.(2007), L’enfer de l’information ordinaire, éd. Gallimard, col. Bibliothèque des Sciences Humaines, Paris

PLATON, DERRIDA J. - Phèdre : Suivi de La pharmacie de Platon, Flammarion

RIBOT T., (1889) Psychologie de l’attention, L’Harmattan, Paris

SENEQUE, (4 av. JC) Lettres à Lucilius, Mille et Une Nuits

STIEGLER B., (2008) Prendre soin : De la jeunesse et des générations, Flammarion, Paris

VARELA F.J., (1997) Invitation aux sciences cognitives, Seuil, Paris

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Principaux sites

Ars Industrialis, association internationale pour une politique industrielle des technologies de l’esprit URL : http://arsindustrialis.org/

Blog de Christian Fauré - «Hypomnemata : supports de mémoire» URL : http://www.christian-faure.net/

InternetActu, site consacré aux actualités et enjeux de l’Internet URL : http://www.internetactu.net/

Edge, World Question Center, compilation d’interview pour le magazine edge URL: http://www.edge.org/questioncenter.html

Blog du séminaire «Paying attention», qui s’est tenu en Septembre 2010 à Linköping (Suède) URL : http://payingattention.org/blog/

Site de Linda Stone, ethnologue américaine, et théoricienne de la «continuous partial attention» URL : http://lindastone.net/

Mémoires

BESTER Emma, (2009) L’économie de l’attention pour le libre accès, mémoire soutenue au Conservatoire National des Arts et Métiers, Paris URL : http://memsic.ccsd.cnrs.fr/docs/00/52/11/26/PDF/BESTER.pdf

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