Article du Parisien sur la Justice Restaurative - 10 déc 2012

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L ’actualité / Faits divers Aujourd’hui en France / Lundi 10 décembre 2012 15 des volontaires chez les auteurs ? Au contraire ! Ils sont demandeurs. Cette démarche interpelle la société dans son ensemble, donc aussi les au- teurs, afin de prévenir la récidive. Cel- le-ci a d’ailleurs baissé, même si nous ne possédons pas encore de chiffres définitifs. C’est aussi le but des cercles de soutien et de responsabilité, créés il y a une quinzaine d’années pour les agresseurs sexuels qui sortent de prison et présentent un haut risque. Outre leur agent de probation, ils ren- contrent chaque semaine un groupe de bénévoles qu’ils peuvent appeler si nécessaire. Pour ces hommes, le taux de récidive a baissé de 80 %. Propos recueillis par L.C. cette démarche pour les victimes ? On pense parfois que ces rencontres vont être une épreuve de plus pour elles, mais l’expérience prouve le contraire. Parfois, la colère remonte, mais cela fait partie d’un processus de libération. Quand j’animais des ren- contres sur des cas d’inceste, je me souviens d’une jeune fille qui avait tel- lement peur qu’elle était recroque- villée sur elle-même. A la fin, elle a trouvé la force d’affronter, dans une rencontre en face à face, son oncle qui l’avait agressée. On voit aussi des vic- times de viol qui parviennent, grâce aux rencontres et parfois après de lon- gues années, à porter plainte. Avez-vous des difficultés à trouver réparer le tissu social. Dans un procès pénal, on cherche un coupable. Ces rencontres entre des victimes et des détenus permettent d’aller plus loin : la victime, qui dans notre système ju- diciaireamoinsdedroits qu’enFrance (elle ne peut pas être partie civile, par exemple) a là l’occasion de verbaliser sa douleur, de poser des questions… Cette expérience est aussi faite pour celles et ceux dont l’agresseur n’a ja- mais été identifié et qui n’auront donc même pas l’étape du procès. Pour les auteurs, il s’agit d’un cheminement dans lequel ils prennent conscience des conséquences de leurs actes pour changer leur comportement. Quelles sont les conséquences de A ncien coordinateur des ren- contres détenus-victimes au Québec, Jean-Jacques Goulet est en charge des cercles de soutien et de responsabilité qui entourent les dé- linquants sexuels à leur sortie de prison, autre pilier de la justice répara- trice au Canada. Ces rencontres, qui n’existent qu’au Québec, se déroulent entre des victimes et des auteurs ayant commis des crimes ou délits ap- parentés, de l’accident de la route à l’inceste. Depuis 2004, 400 personnes ont participé à ce programme. Pourquoi le Canada s’est-il lancé dans une politique de justice réparatrice ? JEAN-JACQUES GOULET. L’idée est de rie-José Boulay, mais on a aussi com- pris leurs souffrances, celles de leur famille, et la réalité du monde car- céral. » Celle qui a créé avec son époux l’Association des parents d’enfants victimes (Apev) a aussi vu dans cette expérience un moyen de lutter contre la récidive. « On rencontre des hommes, pas des monstres… Mais tout cela se fait petit à petit. Et, contrai- rement à ce que l’on me demande sou- vent, il ne s’agit pas de pardonner, mais d’encourager leur volonté de ré- insertion. » Depuis, Gaëtan Gaubert bénéficie d’un régime de semi-liberté. C’est la première fois qu’il revoyait Marie- Josée. Avant qu’il ne s’éclipse pour re- prendre son train pour la Bretagne, celle-ci lui a fait la bise… LOUISE COLCOMBET lant avec les détenus que j’ai fini par accepter que certaines questions res- teraient sans réponse. » Gaëtan Gaubert, lui, n’était « pas dans l’introspection », avant que son chef de détention ne lui propose ces rencontres. Il reconnaît : « En prison, on est livré à soi-même et on oublie un peu les victimes. C’est sans doute une façon de se protéger… Avec ces ren- contres, j’ai été infiniment plus cons- cient de ce que j’avais commis, non pas de l’acte, mais de ses consé- quences. Chaque jour, je pense à la victime et à sa famille. « La peine de prison, elle est nécessaire mais elle ne suffit pas. » Parfois, les échanges ont été hou- leux. « On les a secoués, reconnaît Ma- sation organisée par le Projet Imagine, auteur d’une vaste enquête sur le sujet. « Cette démarche, c’était ac- cepter de briser sa carapace pour aller vers l’humanité, l’empathie, la sincé- rité », raconte Marie-Josée Boulay. Elle avait aussi besoin « d’aller au bout de quelque chose », un quelque chose auquel le procès n’avait pas permis de mettre un point final, malgré la sévé- rité de la peine prononcée à l’encontre du meurtrier : perpétuité avec une peine de sûreté de trente ans, le maximum. « J’avais des questions d’ordre émotionnel, qui n’intéres- saient pas la justice. Je voulais com- prendre le passage à l’acte et, au fond, savoir quels avaient été les derniers instants de mon enfant. C’est en par- concept qui fait timidement son chemin en France. Mais à ce jour, une seule expérience a pu être menée dans l’Hexagone. Marie-Josée Boulay, dont la fille a été violée et assassinée en 1988, faisait partie des volontaires. Elle a récem- ment témoigné, aux côtés de Gaëtan Gaubert, lors d’une soirée de sensibili- «L orsqu’elles sont ren- trées dans la salle, j’ai vu des personnes dé- truites physiquement et moralement. J’ai été marqué par cette souffrance et, ce jour-là, j’ai vrai- ment compris ce que signifiait être victime. » C’était en 2010, à la maison centrale de Poissy (Yvelines). Gaëtan Gaubert, qui témoigne pour la pre- mière fois, y était alors incarcéré pour meurtre — il avait tué celui qu’il pen- sait être l’amant de sa petite amie. Comme lui, deux autres détenus et trois victimes ont expérimenté les rencontres victime-auteur, une expé- rience pilote qui s’inspire du système québécois où elles connaissent un vrai succès (lire ci-dessous). Ces six rencontres s’organisent sur le prin- cipe dit de substitution : les faits commis par les auteurs ressemblent à ceux subis par les victimes, mais les participants ne se connaissaient pas. Elles complètent le processus judi- ciaire, avec un triple objectif : réparer la victime, réinsérer l’auteur, rétablir la paix sociale. En juin dernier, la garde des Sceaux, Christiane Taubira, a exprimé son désir de développer ce Quandvictimes etcriminelsseparlent La justice réparatrice, qui consiste à organiser des face-à-face entre des condamnés et des victimes de crimes ou délits, fait une timide entrée en France. Ses objectifs ? Réparer la victime, réinsérer l’auteur, rétablir la paix sociale. Palais de justice de Paris, le 28 novembre. Une soirée de sensibilisation à la justice réparatrice , un concept que Christiane Taubira souhaite développer en France, a été organisée récemment. (Carole Epinette.) « C’est une démarche qui prévient la récidive » INTERVIEW Jean-Jacques Goulet, ancien coordinateur des rencontres détenus-victimes au Québec Paris, le 28 novembre. Jean-Jacques Goulet. (Carole Epinette.) P ratiquée comme règlement traditionnel dans les tribus et peuples premiers, la justice réparatrice ou restaurative a été relancée au Canada dans les années 1970. Il s’agissait alors de favoriser la médiation dans de petites affaires impliquant des mineurs, avant jugement. L’idée s’est ensuite répandue aux Etats- Unis avant de gagner l’Europe (Belgique, Pays-Bas, Royaume- Uni). La justice réparatrice y est pratiquée à des degrés divers et à tout moment du processus judiciaire. Depuis 1994, le Québec propose des « rencontres détenus- victimes », dans le but d’apaiser les deux parties : soulager la douleur d’un côté, anticiper la récidive de l’autre. En France, une seule expérience de ce type a été menée à la centrale de Poissy (Yvelines), courant 2010. LE MOT La justice réparatrice J’avais des questions d’ordre émotionnel qui n’intéressaient pas la justice” La mère d’une victime Paris, le 28 novembre. Gaëtan Gaubert, ex-détenu, a rencontré des victimes et des parents de victimes lors d’une expérience pilote en 2010. (Carole Epinette.)

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L’actualité/ FaitsdiversAu j o u r d ’ h u i e n F r a n c e / L u n d i 1 0 d é c em b r e 2 0 1 2

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desvolontaireschez lesauteurs ?Au contraire ! Ils sont demandeurs.Cette démarche interpelle la sociétédanssonensemble,doncaussi lesau-teurs,afindeprévenir larécidive.Cel-le-ci a d’ailleurs baissé,même si nousne possédons pas encore de chiffresdéfinitifs.C’estaussi lebutdescerclesdesoutienetderesponsabilité,créésily a une quinzaine d’années pour lesagresseurs sexuels qui sortent deprison et présentent un haut risque.Outre leuragentdeprobation, ils ren-contrent chaque semaine un groupedebénévolesqu’ilspeuventappelersinécessaire. Pour ces hommes, le tauxderécidiveabaisséde80%.

Propos recueillispar L.C.

cettedémarchepour lesvictimes ?Onpense parfois que ces rencontresvont être une épreuve de plus pourelles, mais l’expérience prouve lecontraire. Parfois, la colère remonte,maiscelafaitpartied’unprocessusdelibération. Quand j’animais des ren-contres sur des cas d’inceste, je mesouviensd’unejeunefillequiavaittel-lement peur qu’elle était recroque-villée sur elle-même. A la fin, elle atrouvé la force d’affronter, dans unerencontreenfaceàface,sononclequil’avait agressée. On voit aussi des vic-times de viol qui parviennent, grâceauxrencontresetparfoisaprèsdelon-guesannées,àporterplainte.Avez-vousdesdifficultésà trouver

réparer le tissu social. Dansunprocèspénal, on cherche un coupable. Cesrencontres entre des victimes et desdétenus permettent d’aller plus loin :la victime, qui dansnotre système ju-diciaireamoinsdedroitsqu’enFrance(elle ne peut pas être partie civile, parexemple) a là l’occasionde verbalisersa douleur, de poser des questions…Cette expérience est aussi faite pourcelles et ceux dont l’agresseur n’a ja-maisété identifiéetquin’aurontdoncmêmepas l’étape duprocès. Pour lesauteurs, il s’agit d’un cheminementdans lequel ils prennent consciencedes conséquences de leurs actes pourchangerleurcomportement.Quelles sont lesconséquencesde

Ancien coordinateur des ren-contres détenus-victimes auQuébec, Jean-Jacques Goulet

est enchargedescerclesdesoutienetderesponsabilitéquientourentlesdé-linquants sexuels à leur sortie deprison,autrepilierdelajusticerépara-trice au Canada. Ces rencontres, quin’existentqu’auQuébec,sedéroulententre des victimes et des auteursayantcommisdescrimesoudélitsap-parentés, de l’accident de la route àl’inceste.Depuis2004,400personnesontparticipéàceprogramme.Pourquoi leCanadas’est-il lancédansunepolitiquede justiceréparatrice ?JEAN-JACQUESGOULET. L’idée est de

rie-JoséBoulay,mais on a aussi com-pris leurs souffrances, celles de leurfamille, et la réalité dumonde car-céral. »Cellequiacrééavecsonépouxl’Association des parents d’enfantsvictimes (Apev) a aussi vu dans cetteexpérienceunmoyende lutter contrela récidive. « On rencontre deshommes, pas des monstres…Maistoutcelasefaitpetitàpetit.Et,contrai-rementàcequel’onmedemandesou-vent, il ne s’agit pas de pardonner,mais d’encourager leur volonté de ré-insertion.»Depuis, Gaëtan Gaubert bénéficie

d’un régime de semi-liberté. C’est lapremière fois qu’il revoyait Marie-Josée.Avantqu’ilnes’éclipsepourre-prendre son train pour la Bretagne,celle-ci luiafait labise…

LOUISECOLCOMBET

lant avec les détenus que j’ai fini paraccepter que certaines questions res-teraientsansréponse.»Gaëtan Gaubert, lui, n’était « pas

dans l’introspection », avant que sonchef de détention ne lui propose cesrencontres. Il reconnaît : « En prison,onestlivréàsoi-mêmeetonoublieunpeu lesvictimes.C’est sansdouteunefaçon de se protéger…Avec ces ren-contres, j’ai été infiniment plus cons-cient de ce que j’avais commis, nonpas de l’acte, mais de ses consé-quences. Chaque jour, je pense à lavictime et à sa famille. « La peine deprison, elleestnécessairemaisellenesuffitpas.»Parfois, les échanges ont été hou-

leux.«Onlesasecoués, reconnaîtMa-

sationorganiséeparleProjetImagine,auteur d’une vaste enquête sur lesujet. « Cette démarche, c’était ac-cepterdebriser sacarapacepourallervers l’humanité, l’empathie, la sincé-rité », raconte Marie-Josée Boulay.Elleavaitaussibesoin«d’allerauboutdequelquechose»,unquelquechoseauquel leprocèsn’avaitpaspermisdemettre un point final,malgré la sévé-ritédelapeineprononcéeàl’encontredumeurtrier : perpétuité avec unepeine de sûreté de trente ans, lemaximum. « J’avais des questionsd’ordre émotionnel, qui n’intéres-saient pas la justice. Je voulais com-prendre lepassageà l’acteet, au fond,savoir quels avaient été les derniersinstants demon enfant. C’est en par-

concept qui fait timidement soncheminenFrance.Maisàce jour,uneseuleexpérienceapuêtremenéedansl’Hexagone.

Marie-Josée Boulay, dont la fille aétévioléeetassassinéeen1988, faisaitpartie des volontaires. Elle a récem-ment témoigné, aux côtés de GaëtanGaubert,lorsd’unesoiréedesensibili-

«Lorsqu’elles sont ren-trées dans la salle, j’aivu des personnes dé-truites physiquement

et moralement. J’ai étémarqué parcettesouffranceet, ce jour-là, j’aivrai-ment compris ce que signifiait êtrevictime. »C’était en 2010, à lamaisoncentrale de Poissy (Yvelines). GaëtanGaubert, qui témoigne pour la pre-mière fois, yétait alors incarcérépourmeurtre— il avait tué celui qu’il pen-sait être l’amant de sa petite amie.Comme lui, deux autres détenus ettrois victimes ont expérimenté lesrencontres victime-auteur, une expé-rience pilote qui s’inspire du systèmequébécois où elles connaissent unvrai succès (lire ci-dessous). Ces sixrencontres s’organisent sur le prin-cipe dit de substitution : les faitscommispar lesauteursressemblentàceux subis par les victimes,mais lesparticipants ne se connaissaient pas.Elles complètent le processus judi-ciaire, avec un triple objectif : réparerla victime, réinsérer l’auteur, rétablirla paix sociale. En juin dernier, lagardedesSceaux,ChristianeTaubira,a exprimé son désir de développer ce

QuandvictimesetcriminelsseparlentLa justice réparatrice,qui consisteàorganiserdes face-à-faceentredescondamnésetdesvictimesdecrimesoudélits, faitunetimideentréeenFrance.Sesobjectifs ?Réparer lavictime, réinsérer l’auteur, rétablir lapaixsociale.

PalaisdejusticedeParis, le28novembre.Unesoiréedesensibilisationàlajusticeréparatrice,unconceptqueChristianeTaubirasouhaitedévelopperenFrance,aétéorganiséerécemment. (CaroleEpinette.)

«C’estunedémarchequiprévientlarécidive»I N T E RV I EW Jean-JacquesGoulet,anciencoordinateurdesrencontresdétenus-victimesauQuébec

Paris, le28novembre.Jean-JacquesGoulet.(CaroleEpinette.)

P ratiquée comme règlementtraditionnel dans les tribus et

peuples premiers, la justiceréparatrice ou restaurative a étérelancée au Canada dans lesannées 1970. Il s’agissait alors defavoriser la médiation dans depetites affaires impliquant desmineurs, avant jugement. L’idées’est ensuite répandue aux Etats-Unis avant de gagner l’Europe(Belgique, Pays-Bas, Royaume-Uni). La justice réparatrice y estpratiquée à des degrés divers et àtout moment du processusjudiciaire. Depuis 1994, le Québecpropose des « rencontres détenus-victimes », dans le but d’apaiser lesdeux parties : soulager la douleurd’un côté, anticiper la récidive del’autre. En France, une seuleexpérience de ce type a étémenéeà la centrale de Poissy (Yvelines),courant 2010.

L E MOT

La justiceréparatrice

“J’avaisdesquestionsd’ordreémotionnel

quin’intéressaientpas la justice”Lamèred’unevictime

Paris, le28novembre.GaëtanGaubert,ex-détenu,arencontrédesvictimesetdesparentsdevictimeslorsd’uneexpériencepiloteen2010.(CaroleEpinette.)