Alibi

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FILATURE -14- -13- R.J. Ellory La rage d’écrire Au début de l'automne dernier, Les Anonymes, le troisième roman de R.J. Ellory, trônait sur les tables des librairies. Cette fois-ci, la CIA et Washington forment le décor de son nouveau polar. Rencontre avec un américanophile de choix. Par Rachèle Bevilacqua / Photos Paolo Bevilacqua GARDE A VUE -47- -46- Saison1-Hiver Saison1- Hiver Alibi01_046-055:A01-Ellory-03-P46-55 06/01/11 18:26 Page46

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Alibi, le plus noir des Mookks

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R.J. ElloryLa rage d’écrireAu début de l'automne dernier, Les Anonymes, le troisième roman de R.J. Ellory,trônait sur les tables des librairies. Cette fois-ci, la CIA et Washington formentle décor de son nouveau polar. Rencontre avec un américanophile de choix.

Par Rachèle Bevilacqua / Photos Paolo Bevilacqua

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d'enfants, a des histoires amoureuses peuconcluantes et souvent avec d'autresdétectives. Je suis fasciné par ces gensqui sacrifient leur vie pour trouver unevérité dont tout le monde se fiche, saufceux qui sont concernés par le drame.Pour les meurtriers, j'ai eu envie, commedans Vendetta, de montrer des person-nages horribles mais qui vont susciter dela compassion car, malgré tout, ils ont uncode de conduite et ne se compromettentpas. Ernesto Perez était un bon père…

Vous êtes attaché à cette idée qu'une per-sonne détestable peut aussi se révélerêtre bonne, humainement. On trouve souvent une gentillesse et unehumanité exceptionnelles chez les per-sonnes qui vivent dans une grande détresseou dans des conditions difficiles. Ceux quiont le moins donnent souvent bien plus.

Vous le dites par expérience ?Oui. J'ai grandi dans un orphelinat et j'airencontré des gens formidables. J'ai aussiconstaté la grande gentillesse de certainsprisonniers. Je les ai un peu fréquentésquand j'ai été condamné pour braconnage.Aujourd'hui, je mène un travail avec desgens illettrés, des alcooliques et des dro-gués, et à nouveau, je note une grandesensibilité et un grand cœur. Enfin, despoliciers m'ont souvent parlé de criminels,de personnes peu fréquentables, qui pour-tant font preuve d'une compassion et d'unoptimisme étonnants. Les gens qui ont unevie facile tendent à ne pas être ceux quivont aider les autres. La condition humaineme passionne et le polar est le genre litté-raire le plus approprié pour enquêter surle sujet. Il permet de parler de gens ordi-naires qui se trouvent dans des situationsextraordinaires et d'aborder un très largeéventail de sentiments.

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“Je suis fasciné par ces gens qui sacrifientleur vie pour trouverune vérité dont tout le monde se fiche, sauf ceux qui sontconcernés par ledrame.“

uatre meurtres. Quatre modes opératoires identiques.Et cette odeur de lavande que l'on retrouve surchaque corps auquel une petite étiquette est accro-chée. L'inspecteur Miller et son adjoint, Roth, pensentà un serial killer mais, rapidement, ils découvrentqu'une des victimes vivait sous une fausse identité.Quelqu'un se joue d'eux. Les Anonymes est le troi-sième roman de Roger Jon Ellory publié en France. EnAngleterre, où il est né et habite, il en compte déjàhuit. L'homme s'est révélé à son public français en2007 avec Seul le silence – vendu à 240 000 exem-plaires – sur lequel plane la présence silencieuse etinvisible de Truman Capote, un auteur qu'il admire. La particularité d'Ellory est de ne pouvoir imaginerses histoires qu'aux États-Unis, un pays qui le fas-cine. Il y revient pour chacun de ses ouvrages. AvecLes Anonymes, il s'est plongé dans le Washington desannées 1980 et l'histoire de la CIA. Ce cadre lui per-met d'explorer le désir d'un homme souhaitant contri-buer à une société juste. Mais au nom de cet idéal, cedernier bafouera l'essence même de sa conviction : lerespect de l'individu. Ellory interroge le libre-arbitre,la recherche de la vérité, de l'absolu, et ausculte l'in-fluence d'une culture, de l'Histoire, sur le parcoursd'un individu. L'automne dernier, Alibi l'a rencontré àParis dans un hôtel du 5e arrondissement.

QQu'est-ce qui vous attire dans le person-nage du flic et du meurtrier ? Commentnaissent-ils ? Comment leur donnez-vouscorps ?Je ne les crée pas consciemment. Je parlebeaucoup avec des détectives anglais,américains ou canadiens. Ces conversa-tions nourrissent mes personnages et lesrendent crédibles. Ce métier est loin del'image romantique que l'on s'en fait. Leprocessus de l'enquête est laborieux, lent,très lent, frustrant et il demande unepatience extraordinaire. Les gens quiconnaissent la vérité ne parlent pas, ceuxqui parlent ne savent généralement pasgrand-chose ou mentent. Quand la véritéapparaît, elle se fait jour très progressive-ment, mais souvent, il est difficile de laprouver. Cet état de choses influe sur la viede Miller, sur celle de Frank Parish dansSaints of New York – ou encore sur cellede Madigan dans Dark and Broken Heart(titre provisoire, à sortir en 2012). Ce der-nier est, par exemple, né suite aux entre-tiens que j'ai eus, en Virginie, avec unedétective spécialisée dans les meurtres.En dehors de son métier, cette femme n'apas de vie. Seul son portable profession-nel sonne. Elle n'est pas mariée, n'a pas

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Prenez-vous du plaisir à écrire les scènes de meurtre ?Oui ! C'est un exercice qui demande une forte imagination et quivous donne beaucoup d'émotions. C'est comme regarder un acci-dent de voiture au ralenti. Je dois, sans doute aussi, avoir une petitefascination pour le morbide… et pourtant je ne peux pas lire deslivres violents. Ma femme a longtemps été étonnée d'être mariéeavec un homme capable d'écrire autant d'horreurs.

À ce propos, que pense votre femme de vos livres ?Quand Vendetta est sorti, elle n'a pas pu aller plus loin que la cen-tième page. “Je suis désolée mais c'est trop violent ”, m'a-t-elledit. Elle n'avait lu aucun de mes livres. Lorsque nous allions à dessignatures ou à des lectures, les gens lui demandaient ce qu'ellepensait de l'ouvrage. Elle rétorquait : “C'est une jolie histoire !”On la prenait pour une folle. Je l'ai donc encouragée à lire Seul lesilence. Elle l'a aimé et elle a lu les autres. Aujourd'hui, c’est uneinconditionnelle de Vendetta et elle a compris que la violence n'estqu'un élément de l'histoire qui, elle, va bien au-delà. Ceci dit, il mesemble que le goût pour un livre est aussi personnel que le désirde coucher avec une personne…

Vous êtes plutôt l'inspecteur Miller ou le tueur Robey ?Robey, car je suis un idéaliste. Il réfléchit. En fait, je suis les deux,comme Conan Doyle qui était à la fois Holmes et Watson. Miller

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d'Annie Proulx. Pour des raisons qui mesont inconnues, ces images m'ont construit.L'Amérique, sa politique, ses films, seslivres, sa musique, me fascinent et m'inspi-rent. Je peux aussi bien écrire sur leWashington d'aujourd'hui, comme dans LesAnonymes, que sur la Louisiane, les années1950 et la mafia dans Seul le silence. J'aimepasser d'un univers à un autre et c'est cequi explique, sans doute, que je ne suis pasun écrivain de séries.

Vous écrivez des romans qui se passent enAmérique du Nord depuis toujours et vousn'y avez mis les pieds qu'en 2007. Quellesont été vos premières impressions ?En réalité, la première fois que j'ai été auxÉtats-Unis c'était en 1993. Mais je n'y suisresté que deux jours. J'y suis retourné en2007 avec la télévision anglaise, pour faireun documentaire sur Seul le silence. Je sui-vais les traces de Joseph, mon personnage,et je dois dire que ce fut très bizarre, voireeffrayant. J'ai eu l'impression d'être dansma fiction. Les lieux que je décrivais corres-pondaient exactement à la réalité. J'ai aussiété très impressionné par le fait que, dèsque l'on sort d'une grosse ville, on a le sen-timent d'être dans les années 1930. Commesi depuis cette époque, rien n'avait changé.

Les Anonymes se passe à Washington.Pour quelles raisons ?Washington est une ville incomprise. Elleabrite le Sénat, le Congrès, la MaisonBlanche et les Services secrets. Elle est lecentre politique du monde occidental maiselle compte aussi l'un des taux les plus éle-vés de porteurs du virus HIV du pays, 30 % des hommes noirs américains sont

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ELLORY, GUITARISTELa musique, le bluesen particulier, tient lepremier rang dans lavie d'Ellory. Il estintarissable sur lesujet des productionsde Chess à CharleyPatton, Joe Mc Coyen passant par LedZeppelin, Hendrix ouJoplin. Ellory est lui-même musicien. Audébut des années 80,il monte un premiergroupe, The MantaRays. Aujourd'hui, ilest guitariste au seinde The Renegades ettravaille en vue demonter sur scènecourant 2011.Antoine Decaunes luia commandé l'intro-duction de sonDictionnaireamoureux du rockqui vient de sortirchez Plon.

aussi me ressemble dans sa faculté d'éton-nement et sa capacité à parfois se sacrifier.

Qu'est-ce qui vous pousse à écrire unroman ?La fin du précédent ! J'adore ce momentoù mon bureau est rangé et est prêt àaccueillir une nouvelle histoire. Je ne faisni plan, ni synopsis, je n'ai qu'une vagueidée de ce dont j'ai envie de parler. Enrevanche, je décide de l'époque, du lieudans lequel le récit va se dérouler et jeréfléchis à la façon dont je peux troublerle lecteur, le faire trembler !

“ Faire trembler ” votre lecteur. Maisencore ?Le sujet sur lequel je vais écrire doit metoucher. Pour Les Anonymes, j'étais trèsétonné, voire indigné, du comportement dela CIA pendant ces cinquante dernièresannées. Les États-Unis ont bombardé qua-rante-cinq pays depuis la fin de la SecondeGuerre mondiale : le Cambodge, leVietnam, la Corée, l'URSS, le Koweït, leSalvador, le Chili, etc. J'ai choisi leNicaragua car la façon dont les États-Unisont agi dans ce pays illustre assez bien lamanière dont elle mène sa politique étran-gère qui reste, encore aujourd'hui, tropméconnue. Peu savent, par exemple, quedans les années 1980, John Poindexter,conseiller de la Sécurité nationale duprésident Reagan, et Oliver North, un lieu-tenant-colonel, ont fait passer clandesti-nement quarante tonnes de cocaïne, parmois, de Managua à Miami. Ils ont ainsidétruit toute une génération.

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BIOGRAPHIE• 1965Naissance àBirmingham enAngleterre. Il n’a jamaisconnu son père, et samère, actrice et dan-seuse, meurt lorsqu’il a7 ans. Après l’orphelinatet l’internat, il estrecueilli par sa grand-mère maternelle quidécède un an plus tard :il a 17 ans.

• 1987Il écrit son premierroman. Vingt et un autressuivront.

• 1993 Personne ne veut lepublier. Il arrête d'écrireet enchaîne des petitsboulots inintéressants

• 2003Publication de son pre-mier roman, Candlemoth,aux éditions Orion. Il estnommé sur la liste desmeilleurs thrillers pourle prix du Crime WritersAssociation SteelDagger.

• 2006Il publie Seul le silence,– vendu à 250 000 exem-plaires en France –,sélectionné par leRichard and Judy BookClub, l'équivalent anglaisdu Oprah Winfrey BookClub. Olivier Dahan en aacheté les droits et,avec Ellory, ils ontadapté l'histoire pour lecinéma.

• 2010 Sortie de Les Anonymes.Troisième roman traduiten français aprèsVendetta, vendu à 49 326exemplaires dansl'Hexagone.

Par quels moyens obtenez-vous vos informations ?Je cherche d'abord sur Internet. Je vais sur le site du New YorkTimes pour acheter un ancien numéro du journal ou je téléchargedes témoignages, des jugements, des arrêts et des dossiers mili-taires sur telle ou telle personne. Je travaille comme un journaliste.Je cherche l'info, vérifie la source, la confirme et puis l'utilise. Lemétier de journaliste m'a longtemps attiré. Mes fictions ont besoinde s'inscrire dans un contexte historique fort mais cela ne fait pasde mes livres des ouvrages historiques et Les Anonymes n'est pasun livre sur la CIA. Je n'écris pas pour dénoncer un système.

Qu'est-ce qui vous a décidé à être écrivain plutôt que journaliste ?Enfant, je n'étais ni un bon élève, ni un bon sportif, mais je m'inté-ressais à la peinture, à la photographie et à la musique. À l'âge de22 ans, j'ai rencontré une personne qui m'a raconté l'effet que Hitde Stephen Frears avait provoqué sur lui. Il s'était senti absorbé etcaptivé par ce livre. Sa façon de me le raconter a agi comme unerévélation. J'ai alors su que je voulais écrire.

Aviez-vous donc lu Hit de Stephen Frears ?Non, à l'époque je lisais des auteurs américains : Steinbeck,Hemingway, Capote, Hammett, McCarthy. J'aime le rythme, la poé-sie, l'atmosphère de cette littérature qui n'a rien à voir avec la poli-tesse, le conservatisme de la littérature anglaise qui, au demeurant,est d'excellente qualité. J'ai lu Hit bien plus tard. C'est un livre mer-veilleusement bien écrit sur l'enfance.

Vous aimez le côté brut, “vrai ”, de la littérature américaine ?Oui, et son côté pionnier. J'aime le Los Angeles de Chandler, d'avantHollywood, et les étendues désertiques du Montana ou du Texas

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ELLORY ET SON CARNET DE NOTESQuand Ellory parled'écriture, il seplaint de ne pasavoir le temps decoucher sur papiertoutes les idées quilui passent par latête. L'homme setrimballe ainsi avecson carnet de notes,l'arme la plus facileà dégainer pour nepas laisser une idéese faire la malle. Enavril 2010, il oubliece précieux objetdans un avion sur unvol Dublin-New York.Lorsqu'il mentionnecette perte à unefemme à qui il dis-pense amicalementdes conseils d'écrit-ure, cette dernièredécide de partir à sarecherche. Aprèsenquête auprès dela compagnieAer Lingus, elleparvient à le retrou-ver. Heureusementpour les lecteurs :trois nouveauxromans se nourris-sent des idées con-signées dans cecarnet.

séropositifs et la pauvreté dans certains quartiers est dévastatrice.Cette dualité m'intéressait.

Pourriez-vous vivre, vous l'Anglais, aux États-Unis ?Of course ! J'adorerais vivre dans l'Upstate New York. J'adore aussiManhattan. Je suis tombé amoureux de cette ville. Mon éditeuraméricain a un appartement incroyable, qui vaut dix millions de dol-lars, à Chelsea. Il me le prête quand je suis en ville. Je m'y installegénéralement pour deux semaines. À New York, je marche, jeprends des photos et je vais voir des écrivains lire et discuter deleurs livres dans des librairies. Le soir, je vais écouter de la musique.Cette ville regorge de salles aux excellentes programmations. Ellem'absorbe.

Que représente l'écriture pour vous ? C'est une vocation. Une raison d'être. Une drogue, une histoired'amour, une passion. J'écris tout le temps. Quelqu'un a ditqu'écrire est une façon de parler sans être interrompu. C'est ceque je ressens. Écrire me rend heureux. Or comme chacun sait,vivre d'un plaisir, c'est ne jamais devoir travailler…

Vous écrivez souvent que les gens oublient, que le monde ne s'in-téresse pas au reste du monde. Écrire, est-ce une façon de ne pasoublier ?On écrit par compassion, par rage, pour des raisons politiques,autobiographiques, pour oublier et même parfois pour changer unefaçon de voir la vie. J'écris à 50 % pour satisfaire mon ego et à 50 %pour calmer mes doutes. Je suis dans une profonde ambiguïté : j'aile sentiment d'avoir quelque chose à dire de très important et enmême temps je trouve mon propos profondément inintéressant. Jene saurais vous dire pourquoi j'aime écrire.

Quelle est la chose la plus facile et la plus difficile à faire ?Commencer un livre est à chaque fois réjouissant. Quand j'en finis

un, j'en commence un autre immédiate-ment. Or, c'est à ce moment-là que mon édi-teur me demande de faire des correctionssur celui que je viens de lui remettre et, par-fois, il lui est même arrivé de me faire lireles épreuves d'un autre. L'exercice est dif-ficile, tout comme l'interview d'aujourd'hui.J'ai écrit Les Anonymes, il y a quatre oucinq ans, et j'ai évidemment oublié plein dedétails. Or certains journalistes aiment lesdécortiquer.

Avez-vous des rituels d'écriture ?Pas vraiment. Lorsque je finis un livre,toutes mes cartes de géographie, mespapiers et tout ce qui m'a servi à écrire monhistoire est mis dans un carton. Je rangemon bureau. C'est un nettoyage printanier.À part ça, je n'ai pas de rituels.

À quoi ressemblent vos journées ?J'écris le matin. Je commence vers 7 h 30,dès que j'ai envoyé mon fils à l'école. J'écris3 000 à 4 000 mots et ce cinq, voire six jours

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“J'écris tout le temps.C'est une vocation.

Une raison d'être. Une drogue,

une histoire d'amour, une passion.“

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À quoi ressemble le lieu où vous travaillez ?C'est une pièce avec du parquet, une tableet des chaises en bois. Les murs sontrecouverts de bibliothèques du sol au pla-fond avec plus de deux mille livres. Surmon bureau sont posées quelques figu-rines de Marvel appartenant à mon fils.Une radio des années 1940, des guitareset des appareils photos ornent la pièce.J'ai encadré des photos de Capa, celle duCafé de Flore, de Union Station, le portraitde Steinbeck, de Truman Capote et deMarilyn Monroe. J'ai aussi ceux de MuddyWaters, Sonny Boy Williamson et Kelly JoePhelps que j'ai, par ailleurs, récemmentrencontré. Il est de ceux dont la musiquevous ravit et vous inspire. Je lui ai doncdédié Candlemoth – que j'ai écrit en écou-tant ses disques – il n'en revenait pas.

Et votre bureau?Il y a des piles de cartes géographiques,des livres, des tas de stylos, des papiersannotés, mon carnet de notes que je trim-balle toujours avec moi, une tasse de caféet une bouteille de Jack Daniels.

Certains soutiennent que votre nom est unfaux nom, une anagramme d'Ellroy.Deux journalistes français en sont persua-dés. Je leur ai proposé de leur apportermon certificat de naissance. L'un d'euxm'a rétorqué qu'il pouvait s'en faire faireun pour quinze euros. Le certificat n'estdonc pas, pour lui, une preuve de monpatronyme. Ellory est pourtant mon vrainom de famille, je le jure !

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par semaine. Mon but est d'en écrire 50 000 par mois. Il m'est arrivéd'en écrire 12 000 en un jour ce qui représentait 10 % de mon livre.C'était pour Vendetta. Ma journée d'écriture se finit lorsque j'ai le sen-timent d'avoir terminé quelque chose. Il est alors 14 ou 15 heures. Jejoue de la guitare, j'écris des chansons et je commence à préparerle dîner. J'adore cuisiner, parfois mon fils m'aide, et j'essaie toujoursde nouvelles recettes. Je dois dire que le soir, avec ma femme, nousrecevons très souvent. Nous aimons avoir la maison pleine d'amis.

J'ai entendu dire que vous aviez de nombreux manuscrits dansvos tiroirs … J'ai écrit vingt-deux livres en six ans. Tous au stylo. Et j'ai dactylo-graphié ceux que j'ai envoyés à des éditeurs. Cela m'a coûté 22 000pounds (environ 25 000 euros) : photocopies, textes reliés, timbres…Je n'ai reçu que des lettres de rejet. J'ai alors décidé de ne plusécrire. En huit ans, je n'ai pas écrit un seul mot. Je suis passé depetits boulots en petits boulots, d'une société de fret à une compa-gnie d'assurance en passant par de l'assistanat de photographe.Je m'ennuyais à mourir. Le lendemain du 11 Septembre 2001,comme beaucoup, j'ai eu une grosse prise de conscience : 3 000personnes n'allaient pas retourner au bureau. Je me suis évidem-ment posé la question de savoir ce qu'était une vie réussie et, pourmoi, cela signifie exercer le métier que l'on aime. Quatre mois plustard, j'avais écrit trois livres. Orion (son éditeur anglais) a choisi depublier Candlemoth, le deuxième. Cette maison d'édition comptedans son catalogue des auteurs comme George Pelecanos, IanRankin et Harlan Coben. J'étais fier !

Que sont devenus vos manuscrits ?Ils sont dans des boîtes. Ils ont besoin d'être retravaillés, notam-ment parce qu'ils sont un peu trop longs. Mais je n'ai pas envie deles ressortir. Je vais les laisser à ma femme. À ma mort, elle pourrales mettre aux enchères sur eBay et avec le fruit de leur vente, ellepourra aller s'acheter des chaussures !

À part votre éditeur, y a-t-il une autre personne qui lit vos manus-crits ?Non. Mon éditeur est mon premier et seul lecteur à ce stade.

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• SEUL LE SILENCEPublié en 2008, c'est leroman qui a révéléEllory au public français.Prix Le NouvelObservateur / BibliObs2009 du roman noir dansla catégorie romanétranger et Prix des lec-teurs du Livre de poche/ Le Choix des libraires2010. Un récit d'unenoirceur absolue qui arévolutionné les his-toires classiques deserial killer.

• VENDETTACe second texte paru

en 2009 plonge le lec-teur dans l'histoire clan-destine des États-Uniset de la mafia. LeBritannique confirmeson statut de nouveaumaître de la manipula-tion et du polar.

• LES ANONYMESCe dernier roman (2010)se situe à Washington,où, sur fond de meurtresen série, Ellory nousdonne à voir les secretsles mieux gardés du gou-vernement américain.

Les romans de R.J. Ellorysont parus aux éditionsSonatine et ont étéréédités au Livre depoche pour les deuxpremiers.

Retrouvez la critique des Anonymes dans la rubrique Autopsie, page 118

BIBLIOGRAPHIE

“ On écrit par compassion, par rage, pour des raisons politiques, autobiogra-

phiques, pour oublier et même parfoispour changer une façon de voir la vie.J'écris à 50% pour satisfaire mon ego

et à 50% pour calmer mes doutes. ”

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